Language of document : ECLI:EU:C:2017:632

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

6 septembre 2017 (*)

« Pourvoi – Article 102 TFUE – Abus de position dominante – Rabais de fidélité – Compétence de la Commission – Règlement (CE) no 1/2003 – Article 19 »

Dans l’affaire C‑413/14 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 26 août 2014,

Intel Corporation Inc., établie à Wilmington (États-Unis d’Amérique), représentée par M. D. M. Beard, QC, ainsi que par MM. A. Parr et R. Mackenzie, solicitors,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. T. Christoforou, V. Di Bucci, M. Kellerbauer et N. Khan, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

Association for Competitive TechnologyInc., établie à Washington (États-Unis), représentée par Me J.-F. Bellis, avocat,

Union fédérale des consommateurs – Que choisir (UFC – Que choisir),

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice–président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. M. Ilešič, J. L. da Cruz Vilaça (rapporteur), E. Juhász, Mme M. Berger, MM. M. Vilaras et E. Regan, présidents de chambre, MM. A. Rosas, J. Malenovský, E. Levits, F. Biltgen, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. N. Wahl,

greffier : Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 juin 2016,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 octobre 2016,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, Intel Corporation Inc. (ci-après « Intel ») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 juin 2014, Intel/Commission (T‑286/09, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2014:547), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C (2009) 3726 final de la Commission, du 13 mai 2009, relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire COMP/C‑3/37.990 – Intel) (ci-après la « décision litigieuse »).

 Le cadre juridique

2        Le considérant 25 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), explique :

« La détection des infractions aux règles de concurrence devenant de plus en plus difficile, il est nécessaire, pour protéger efficacement la concurrence, de compléter les pouvoirs d’enquête de la Commission. La Commission doit notamment pouvoir interroger toute personne susceptible de disposer d’informations utiles et pouvoir enregistrer ses déclarations. [...] Les agents mandatés par la Commission doivent aussi pouvoir demander toutes les informations ayant un lien avec l’objet et le but de l’inspection. »

3        Selon le considérant 32 de ce règlement :

« Il convient de consacrer le droit des entreprises intéressées d’être entendues par la Commission, de donner aux tiers dont les intérêts peuvent être affectés par une décision l’occasion de faire valoir au préalable leurs observations, ainsi que d’assurer une large publicité des décisions prises. Tout en assurant les droits de la défense des entreprises concernées, et notamment le droit d’accès au dossier, il est indispensable de protéger les secrets d’affaires. En outre, il convient d’assurer que la confidentialité des informations échangées au sein du réseau soit protégée. »

4        L’article 19 du règlement no 1/2003, intitulé « Pouvoir de recueillir des déclarations », énonce :

« 1.      Pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut interroger toute personne physique ou morale qui accepte d’être interrogée aux fins de la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête.

2.      Lorsque l’entretien prévu au paragraphe 1 est réalisé dans les locaux d’une entreprise, la Commission informe l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’entretien a lieu. Les agents de l’autorité de concurrence de l’État membre concerné peuvent, si celle-ci le demande, prêter assistance aux agents et aux autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission pour conduire l’entretien. »

5        L’article 3 du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 et 82 [CE] (JO 2004, L 123, p. 18), intitulé « Pouvoir de recueillir des déclarations », dispose :

« 1.      Lorsque la Commission interroge une personne avec son consentement, conformément à l’article 19 du règlement (CE) no 1/2003, elle indique, au début de l’entretien, sur quelle base juridique celui-ci est fondé ainsi que son objectif, et elle en rappelle le caractère volontaire. Elle informe aussi la personne interrogée de son intention d’enregistrer l’entretien.

2.      L’entretien peut être réalisé par tout moyen de communication, y compris par téléphone ou par voie électronique.

3.      La Commission peut enregistrer sous toute forme les déclarations faites par les personnes interrogées. Une copie de tout enregistrement est mise à la disposition de la personne interrogée pour approbation. La Commission fixe, au besoin, un délai dans lequel la personne interrogée peut communiquer toute correction à apporter à la déclaration. »

 Les antécédents du litige et la décision litigieuse

6        Intel est une société de droit américain qui assure la conception, le développement, la fabrication et la commercialisation de microprocesseurs (ci-après les « CPU »), de jeux de puces (chipsets) et d’autres composants semi-conducteurs ainsi que de solutions pour plates-formes dans le cadre du traitement des données et des dispositifs de communication.

7        Le marché concerné par cette affaire correspond à celui des processeurs, en particulier les CPU x86. L’architecture x86 est une norme conçue par Intel pour ses CPU et permet le fonctionnement des systèmes d’exploitation Windows et Linux.

8        À la suite d’une plainte formelle soumise le 18 octobre 2000 par Advanced Micro Devices Inc. (ci-après « AMD »), complétée le 26 novembre 2003, la Commission a lancé, au mois de mai 2004, une série d’investigations et a procédé, au mois de juillet 2005, à des inspections sur plusieurs sites d’Intel, notamment, en Allemagne, en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni, ainsi que sur les sites de plusieurs de ses clients, en Allemagne, en Espagne, en France, en Italie et au Royaume-Uni.

9        Le 26 juillet 2007, la Commission a notifié à Intel une communication des griefs relative à son comportement à l’égard de cinq grands équipementiers informatiques (Original Equipment Manufacturer, ci‑après les « OEM »), à savoir Dell Inc., Hewlett-Packard Company (HP), Acer Inc., NEC Corp. et International Business Machines Corp. (IBM). Intel y a répondu le 7 janvier 2008 et une audition a eu lieu les 11 et 12 mars 2008.

10      Le 17 juillet 2008, la Commission a notifié à Intel une communication des griefs complémentaire relative à son comportement à l’égard de Media-Saturn-Holding GmbH (ci-après « MSH »), distributeur d’appareils électroniques et premier distributeur européen d’ordinateurs de bureau, ainsi que de Lenovo Group Ltd. (ci-après « Lenovo »), un autre OEM. Cette communication comportait de nouveaux éléments de preuve se rapportant au comportement d’Intel à l’égard de certains des OEM concernés par la communication des griefs du 26 juillet 2007. Intel n’y a pas répondu dans le délai imparti.

11      La Commission, dans la décision litigieuse, a décrit deux types de comportement adoptés par Intel à l’égard de ses partenaires commerciaux, à savoir des rabais conditionnels et des « restrictions non déguisées », visant à exclure un concurrent, à savoir AMD, du marché des CPU x86. Les premiers consisteraient en l’octroi d’un rabais à quatre OEM, en l’occurrence Dell, Lenovo, HP et NEC, à condition qu’ils achètent auprès d’elle la totalité ou la quasi-totalité de leurs CPU x86. Les seconds consisteraient en l’octroi de paiements aux OEM afin qu’ils retardent, annulent ou restreignent la commercialisation de certains produits équipés de CPU d’AMD.

12      Eu égard à ces considérations, la Commission a conclu à l’existence d’une violation unique et continue de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), entre le mois d’octobre 2002 et le mois de décembre 2007, et a par conséquent infligé à Intel une amende s’élevant à 1,06 milliard d’euros.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 juillet 2009, Intel a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse en invoquant neuf moyens.

14      Par acte enregistré au greffe du Tribunal le 2 novembre 2009, Association for Competitive Technology Inc. (ci-après « ACT ») a demandé à intervenir dans la procédure au soutien d’Intel. Elle a été admise à intervenir par décision du 7 juin 2010.

15      À l’appui de son premier moyen, relatif aux questions horizontales concernant les appréciations juridiques effectuées par la Commission, Intel a contesté la répartition de la charge de la preuve et le niveau de preuve requis, la qualification juridique des rabais et des paiements accordés en contrepartie d’un approvisionnement exclusif ainsi que la qualification juridique de paiements, que la Commission a dénommés « restrictions non déguisées », visant à ce que les OEM retardent, annulent ou restreignent la commercialisation de produits équipés de CPU d’AMD.

16      Le Tribunal a, en substance, jugé, au point 79 de l’arrêt attaqué, que les rabais accordés à Dell, à HP, à NEC et à Lenovo étaient des rabais d’exclusivité en ce qu’ils étaient liés à la condition que le client s’approvisionnât auprès d’Intel, soit pour la totalité de ses besoins en CPU x86, soit pour une partie importante de ses besoins. En outre, le Tribunal a exposé, aux points 80 à 89 de l’arrêt attaqué, que la qualification d’abusif d’un tel rabais ne dépend pas d’une analyse des circonstances de l’espèce visant à établir la capacité de celui-ci de restreindre la concurrence.

17      À titre surabondant, le Tribunal a considéré, aux points 172 à 197 de l’arrêt attaqué, que la Commission a démontré, à suffisance de droit et sur la base d’une analyse des circonstances de l’espèce, la capacité des rabais et des paiements d’exclusivité accordés par Intel à Dell, à HP, à NEC, à Lenovo et à MSH de restreindre la concurrence.

18      Sur le deuxième moyen, tiré de ce que la Commission n’a pas prouvé sa compétence territoriale pour appliquer les articles 101 et 102 TFUE aux pratiques mises en œuvre à l’égard d’Acer et de Lenovo, le Tribunal a, tout d’abord, estimé, au point 244 de l’arrêt attaqué, que, pour justifier la compétence de la Commission au regard du droit international public, il suffisait d’établir les effets qualifiés de la pratique ou la mise en œuvre de celle-ci dans l’Union européenne. Il a ensuite jugé, au point 296 de l’arrêt attaqué, que les effets substantiels, prévisibles et immédiats que le comportement d’Intel était susceptible de produire au sein de l’Espace économique européen (EEE) permettaient de justifier la compétence de la Commission. Enfin, à titre surabondant, il a considéré, au point 314 de l’arrêt attaqué, que cette compétence était également fondée en raison de la mise en œuvre du comportement en cause sur le territoire de l’Union et de l’EEE.

19      À l’appui de son troisième moyen, relatif aux vices de procédure reprochés à la Commission, Intel a notamment soulevé une violation de ses droits de la défense du fait de l’absence d’un procès-verbal retranscrivant la réunion avec M. D 1, arguant que certains éléments relatifs à cette réunion auraient pu être utilisés comme éléments à décharge. Il a également été soutenu que la Commission aurait refusé à tort la tenue d’une seconde audition ainsi que la communication de certains documents d’AMD qui auraient pu être pertinents pour la défense d’Intel.

20      Dans un premier temps, le Tribunal a estimé, au point 618 de l’arrêt attaqué, que la réunion en cause ne constituait pas un interrogatoire formel au sens de l’article 19 du règlement no 1/2003 et que la Commission n’était pas tenue de procéder à un tel interrogatoire. Il en a déduit, audit point, que l’article 3 du règlement no 773/2004 n’était pas applicable, si bien que l’argument tiré de la violation des formalités prescrites par cette disposition était inopérant.

21      Dans un second temps, le Tribunal a jugé, aux points 621 et 622 de l’arrêt attaqué, que, même si la Commission avait enfreint le principe de bonne administration en s’abstenant d’établir un document contenant un bref résumé des sujets abordés dans ladite réunion ainsi que le nom de ses participants, elle a toutefois corrigé cette lacune initiale en mettant à la disposition d’Intel la version non confidentielle d’une note interne relative à cette même réunion.

22      S’agissant du quatrième moyen, relatif aux prétendues erreurs d’appréciation des pratiques à l’égard des OEM et de MSH, le Tribunal a rejeté intégralement les griefs invoqués par Intel concernant Dell, HP, NEC, Lenovo, Acer et MSH aux points 665, 894, 1032, 1221, 1371 et 1463 de l’arrêt attaqué.

23      En ce qui concerne le cinquième moyen, par lequel Intel a contesté l’existence d’une stratégie d’ensemble visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants, le Tribunal a jugé, aux points 1551 et 1552 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait, en substance, démontré à suffisance de droit la tentative de dissimulation de la nature anticoncurrentielle des pratiques d’Intel et la mise en œuvre d’une stratégie d’ensemble à long terme dont l’objectif était de barrer l’accès d’AMD auxdits canaux de ventes.

24      S’agissant du sixième moyen, selon lequel la Commission aurait appliqué incorrectement les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2), le Tribunal a notamment considéré, au point 1598 de l’arrêt attaqué, que ni le principe de sécurité juridique ni le principe de légalité des délits et des peines ne s’opposent à ce que la Commission décide d’adopter et d’appliquer de nouvelles lignes directrices pour le calcul des amendes même après qu’une infraction a été commise. En outre, le Tribunal a considéré, audit point, qu’une application efficace des règles de concurrence justifie qu’une entreprise doive tenir compte d’une éventuelle modification de la politique générale de concurrence de la Commission en matière d’amendes en ce qui concerne tant la méthode de calcul que le niveau des amendes.

25      Sur le septième moyen, tiré de la prétendue absence de violation de l’article 102 TFUE, de propos délibéré ou par négligence, le Tribunal a jugé, en substance, aux points 1602 et 1603 de l’arrêt attaqué, qu’Intel ne pouvait ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement et que les éléments de preuve retenus dans la décision litigieuse démontraient à suffisance de droit qu’elle avait mis en œuvre une stratégie d’ensemble à long terme visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants d’un point de vue stratégique tout en s’efforçant de dissimuler le caractère anticoncurrentiel de son comportement.

26      Concernant le huitième moyen, tiré du caractère prétendument disproportionné de l’amende infligée, le Tribunal a constaté, aux points 1614 à 1616 de l’arrêt attaqué, que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence et que, en tout état de cause, les décisions invoquées à cet égard par Intel ne sont pas pertinentes au regard du respect du principe de l’égalité de traitement. Par ailleurs, contrairement à ce qu’a fait valoir Intel, le Tribunal a rappelé, aux points 1627 et 1628 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’a pas pris en considération l’impact concret de l’infraction sur le marché afin de déterminer sa gravité.

27      S’agissant, enfin, du neuvième moyen, lequel visait à obtenir une réduction du montant de l’amende infligée dans le cadre de l’exercice de la compétence de pleine juridiction du Tribunal, ce dernier a notamment jugé, au point 1647 de l’arrêt attaqué, que rien dans les griefs, les arguments et les éléments de droit et de fait avancés par Intel ne permettait de conclure que le montant de l’amende infligée présentait un caractère disproportionné. En effet, le Tribunal a estimé, audit point, que cette amende était appropriée aux circonstances de l’espèce et a souligné qu’elle se situait bien en dessous du plafond de 10 % fixé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003.

 Les conclusions des parties devant la Cour

28      Intel demande à la Cour :

–        d’annuler en tout ou en partie l’arrêt attaqué ;

–        d’annuler en tout ou en partie la décision litigieuse ;

–        d’annuler ou de réduire substantiellement l’amende infligée ;

–        à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue conformément à l’arrêt de la Cour, et

–        de condamner la Commission aux dépens de la présente procédure et à ceux exposés devant le Tribunal.

29      La Commission demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi, et

–        de condamner Intel aux dépens.

30      ACT demande à la Cour :

–        de faire droit au pourvoi d’Intel dans sa totalité, et

–        de condamner la Commission à payer les dépens encourus par elle-même dans le cadre du pourvoi et dans celui du recours en annulation.

 Sur le pourvoi

31      À l’appui de son pourvoi, Intel soulève six moyens. Par le premier moyen, Intel fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en n’examinant pas les rabais litigieux au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes. Par le deuxième moyen, Intel invoque une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’appréciation du constat de l’infraction au titre des années 2006 et 2007, notamment en ce qui concerne l’appréciation de la couverture de marché par les rabais litigieux au cours de ces deux années. Par le troisième moyen, Intel allègue une erreur de droit commise par le Tribunal concernant la qualification juridique des rabais d’exclusivité conclus par Intel avec HP et Lenovo. Par le quatrième moyen, Intel considère que le Tribunal a conclu à tort à l’absence d’un vice de procédure substantiel affectant ses droits de la défense, dans le traitement, par la Commission, de l’entretien de M. D 1. Le cinquième moyen est tiré d’une application erronée par le Tribunal des critères relatifs à la compétence de la Commission à l’égard des accords conclus par Intel avec Lenovo au titre des années 2006 et 2007. Enfin, par le sixième moyen, Intel demande à la Cour d’annuler ou de réduire substantiellement l’amende infligée en application du principe de proportionnalité ainsi que du principe de non-rétroactivité des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une application erronée par le Tribunal des critères relatifs à la compétence de la Commission à l’égard des accords conclus par Intel avec Lenovo au titre des années 2006 et 2007

 Argumentation des parties

32      Par son cinquième moyen, qu’il convient d’examiner en premier lieu en ce qu’il a trait à la compétence de la Commission, Intel fait valoir, tout d’abord, que le Tribunal a confirmé, à tort, la compétence de la Commission pour appliquer l’article 102 TFUE à l’égard des accords conclus par Intel avec Lenovo, une entreprise chinoise, au cours des années 2006 et 2007. Le critère se fondant sur le lieu de la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles (ci-après le « critère de la mise en œuvre ») et celui s’appuyant sur les effets qualifiés de ces pratiques dans l’Union (ci-après le « critère des effets qualifiés ») ne pourraient en effet servir de fondement à la compétence de la Commission en l’espèce.

33      Le Tribunal aurait ainsi jugé à tort, au point 311 de l’arrêt attaqué, que la mise en œuvre de ces accords pouvait être établie en raison de pratiques affectant les projections des clients relatives à leurs ventes de produits en aval dans le monde entier, y compris dans l’EEE. Or, cette circonstance ne permettrait pas de retenir la compétence de la Commission au titre du critère de la mise en œuvre, puisque le comportement litigieux n’aurait pas été mis en œuvre dans l’EEE et qu’Intel n’aurait pas vendu de produits à Lenovo dans l’EEE.

34      En outre, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en admettant, pour la détermination de la compétence de la Commission, le critère des effets qualifiés. Selon Intel, seul le critère de la mise en œuvre constitue un titre de compétence admis par la jurisprudence.

35      Intel soutient, ensuite, que, à supposer même que le critère des effets qualifiés soit effectivement applicable, il ne pourrait en l’espèce justifier la compétence de la Commission. Elle se réfère, à cet égard, au point 87 de l’arrêt du 27 février 2014, InnoLux/Commission (T‑91/11, EU:T:2014:92), dans lequel le Tribunal aurait considéré que, lorsque des composants sont tout d’abord vendus à l’extérieur de l’EEE à des acheteurs indépendants, le lien entre le marché intérieur et l’infraction serait trop faible. Intel en déduit qu’il ne pouvait pas être prévu que les accords conclus avec Lenovo et portant sur les CPU destinés à être livrés en Chine produiraient un effet immédiat et substantiel dans l’EEE. Par ailleurs, même si des effets indirects pouvaient suffire à déterminer un chef de compétence, les accords de 2006 et de 2007 avec Lenovo n’auraient pas pu produire un effet substantiel sur le territoire de l’EEE.

36      Par ailleurs, selon Intel, le Tribunal a illégalement inversé la charge de la preuve, au point 289 de l’arrêt attaqué, en lui imposant de démontrer que la totalité des ventes envisagées a concerné des parties de la région Europe, Moyen-Orient et Afrique en dehors de l’EEE.

37      Enfin, Intel souligne que l’approche de la Commission donnerait lieu à des conflits de compétence avec les autres autorités de la concurrence et créerait un risque réel de double incrimination.

38      ACT rejoint, en substance, les arguments d’Intel. Elle soutient notamment que, selon le libellé de l’article 102 TFUE et la jurisprudence issue de l’arrêt du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, EU:C:1988:447), il est nécessaire de démontrer que le comportement en cause restreint le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun.

39      La Commission estime que le cinquième moyen doit être rejeté

 Appréciation de la Cour

40      Le Tribunal, au point 244 de l’arrêt attaqué, a jugé que la compétence de la Commission pour constater et sanctionner un comportement adopté en dehors de l’Union sur le fondement des règles de droit international public peut être établie soit au regard du critère de la mise en œuvre, soit au regard du critère des effets qualifiés, avant de contrôler la compétence de la Commission dans la présente affaire au regard du critère des effets qualifiés puis, à titre subsidiaire, au regard du critère de la mise en œuvre.

41      Dans ce cadre, il convient d’examiner, en premier lieu, l’argument d’Intel et d’ACT selon lequel le Tribunal a admis à tort que le critère des effets qualifiés peut servir de fondement à la compétence de la Commission.

42      À cet égard, il y a lieu de rappeler, à l’instar de M. l’avocat général au point 288 de ses conclusions, que les règles de concurrence de l’Union énoncées aux articles 101 et 102 TFUE tendent à appréhender les comportements, collectifs et unilatéraux, des entreprises qui limitent le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur. En effet, tandis que l’article 101 TFUE interdit les accords et les pratiques qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence « à l’intérieur du marché intérieur », l’article 102 TFUE prohibe l’exploitation abusive d’une position dominante « sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci ».

43      Il a ainsi été jugé, s’agissant de l’application de l’article 101 TFUE, que le fait pour une entreprise participant à un accord d’être située dans un État tiers ne fait pas obstacle à l’application de cette disposition, dès lors qu’un tel accord produit ses effets sur le territoire du marché intérieur (arrêt du 25 novembre 1971, Béguelin Import, 22/71, EU:C:1971:113, point 11).

44      Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, afin de justifier l’application du critère de la mise en œuvre, la Cour a souligné que faire dépendre l’applicabilité des interdictions édictées par le droit de la concurrence du lieu de la formation de l’entente aboutirait à l’évidence à fournir aux entreprises un moyen facile de se soustraire auxdites interdictions (voir, par analogie, arrêt du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, 89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, EU:C:1988:447, point 16).

45      Or, le critère des effets qualifiés poursuit le même objectif, à savoir appréhender des comportements qui n’ont certes pas été adoptés sur le territoire de l’Union, mais dont les effets anticoncurrentiels sont susceptibles de se faire sentir sur le marché de l’Union.

46      C’est donc à tort qu’Intel, soutenue par ACT, affirme que le critère des effets qualifiés ne peut servir de fondement à la compétence de la Commission.

47      Partant, cet argument doit être rejeté comme non fondé.

48      En deuxième lieu, il convient d’examiner l’argument présenté à titre subsidiaire par Intel, selon lequel, à supposer que le critère des effets qualifiés soit applicable en l’espèce, le Tribunal a considéré à tort que les accords conclus avec Lenovo au cours des années 2006 et 2007 produisaient des effets prévisibles, immédiats et substantiels dans l’EEE. Intel met l’accent, à cet égard, sur le nombre prétendument limité de produits concernés.

49      Il y a lieu de relever, tout d’abord, que, comme le Tribunal l’a jugé aux points 233 et 258 de l’arrêt attaqué, le critère des effets qualifiés permet de justifier l’application du droit de la concurrence de l’Union au regard du droit international public, lorsqu’il est prévisible que le comportement en cause produise un effet immédiat et substantiel dans l’Union.

50      Il importe également de souligner, à l’instar du Tribunal aux points 268 et 280 de l’arrêt attaqué, que c’est au regard du comportement de l’entreprise ou des entreprises en cause, pris dans son ensemble, qu’il convient de déterminer si la Commission dispose de la compétence nécessaire pour appliquer, dans chaque cas, le droit de la concurrence de l’Union.

51      Ensuite, dans la mesure où Intel reproche au Tribunal d’avoir considéré qu’il était prévisible que les accords conclus avec Lenovo portant sur les CPU destinés à être livrés en Chine produisent un effet immédiat dans l’EEE, il importe de relever, d’une part, que le Tribunal a jugé à bon droit, aux points 251, 252 et 257 de l’arrêt attaqué, qu’il suffit de tenir compte des effets probables d’un comportement sur la concurrence pour que la condition tenant à l’exigence de prévisibilité soit remplie.

52      D’autre part, dès lors que le Tribunal a, en substance, constaté, au point 255 de l’arrêt attaqué, que le comportement d’Intel à l’égard de Lenovo relevait d’une stratégie d’ensemble visant à ce qu’aucun ordinateur portable de Lenovo équipé d’un CPU d’AMD ne soit disponible sur le marché, y compris dans l’EEE, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a, au point 277 de l’arrêt attaqué, considéré que le comportement d’Intel était susceptible d’avoir un effet immédiat dans l’EEE.

53      Cet argument doit donc être rejeté comme non fondé.

54      Enfin, Intel fait valoir que le Tribunal a erronément admis que les accords conclus avec Lenovo portant sur les CPU destinés à être livrés en Chine pouvaient produire un effet substantiel sur le marché de l’EEE, alors que les effets de ces accords étaient négligeables.

55      Il suffit, à cet égard, de relever que le Tribunal a jugé que le comportement d’Intel à l’égard de Lenovo faisait partie d’une stratégie d’ensemble visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants du marché, ce que ne conteste d’ailleurs pas Intel dans le cadre de son pourvoi.

56      Partant, compte tenu des considérations figurant au point 50 du présent arrêt, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a pu juger que, en présence d’une stratégie, telle que celle développée par Intel, il convenait de prendre en considération le comportement de l’entreprise pris dans son ensemble afin d’apprécier le caractère substantiel de ses effets sur le marché de l’Union et de l’EEE.

57      Comme le souligne la Commission, procéder autrement conduirait à une fragmentation artificielle d’un comportement anticoncurrentiel global, susceptible d’affecter la structure du marché au sein de l’EEE, en une série de comportements distincts risquant d’échapper à la compétence de l’Union.

58      En conséquence, l’argument mentionné au point 54 du présent arrêt doit être rejeté comme non fondé.

59      En troisième lieu, s’agissant de l’argument d’Intel selon lequel le Tribunal, au point 289 de l’arrêt attaqué, aurait illégalement inversé la charge de la preuve, il suffit de constater que celui-ci procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, ainsi qu’il ressort des points 286 à 289 de cet arrêt, le Tribunal a constaté, pour ce qui concerne le report de lancement de certains ordinateurs sur le plan mondial, qu’il résultait des éléments dont il disposait que des ventes de ces ordinateurs étaient envisagées dans la région Europe, Moyen-Orient et Afrique, dont l’EEE est une partie très importante, ce qui suffisait pour constater des effets au moins potentiels dans l’EEE.

60      Dans ce cadre, le Tribunal s’est certes référé à l’absence d’indices concrets qui pourraient laisser supposer que la totalité des ventes envisagées aurait concerné des parties de cette région autre que l’EEE. Toutefois, cette constatation doit être lue à la lumière des points 287 et 288 de l’arrêt attaqué, dont il ressort que le Tribunal a considéré que la suggestion, formulée lors de l’audience, selon laquelle il était possible que la totalité de ces ordinateurs ait été destinée à des zones autres que l’EEE, ne constituait qu’une spéculation d’Intel à l’appui de laquelle elle n’avait invoqué aucun argument.

61      Partant, ledit argument est non fondé.

62      En quatrième et dernier lieu, s’agissant des arguments d’Intel relatifs à l’application par le Tribunal du critère de la mise en œuvre, il suffit de relever que le Tribunal a précisé, au point 297 de l’arrêt attaqué, qu’il examinait ce critère à titre surabondant.

63      Or, des griefs portant sur des motifs surabondants de l’arrêt attaqué ne sauraient entraîner l’annulation de cet arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 79 et jurisprudence citée).

64      Dès lors, ces arguments doivent être rejetés comme étant inopérants.

65      Il résulte de ce qui précède que le cinquième moyen doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’un vice de procédure substantiel affectant les droits de la défense d’Intel

 Argumentation des parties

66      Le quatrième moyen, qu’il convient d’examiner en deuxième lieu dans la mesure où il concerne la procédure administrative devant la Commission porte sur le traitement procédural de l’entretien de la Commission avec M. D 1. Il est divisé en trois branches.

67      En premier lieu, Intel fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, au point 612 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas violé l’article 19 du règlement no 1/2003, lu en combinaison avec l’article 3 du règlement no 773/2004.

68      D’une part, le Tribunal aurait ainsi établi, au point 614 de l’arrêt attaqué, une distinction artificielle entre les entretiens formels et les entretiens informels. Se fondant sur la décision du Médiateur européen du 14 juillet 2009, Intel soutient que toute réunion avec un tiers visant à recueillir des informations portant sur l’objet d’une enquête constitue un entretien au sens dudit article 19 et doit donc être enregistrée.

69      D’autre part, et à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le règlement no 1/2003 devrait être interprété en ce sens qu’il existe une catégorie d’entretiens informels n’exigeant pas un enregistrement, Intel estime que l’entretien avec M. D 1 ne relevait pas de cette catégorie, si bien que la Commission était tenue de procéder à l’enregistrement du contenu dudit entretien puisque celui-ci, qui a duré cinq heures, comportait des éléments revêtant une grande importance et possédant un lien objectif avec l’objet de l’enquête.

70      En deuxième lieu, Intel affirme que c’est à tort que le Tribunal a admis que le vice de procédure résultant de la violation de l’article 19 du règlement no 1/2003, lu en combinaison avec l’article 3 du règlement no 773/2004, pouvait être corrigé par la communication à Intel de la version non confidentielle d’une note comprenant les points de l’ordre du jour relatifs aux éléments essentiels de l’entretien en cause, mais dépourvue du résumé du contenu du témoignage de M. D 1. Intel fait valoir, à cet égard, que ladite note contenait non pas un bref résumé des sujets abordés, contrairement à ce qu’a relevé le Tribunal au point 622 de l’arrêt attaqué, mais une simple liste des thèmes abordés lors de cet entretien.

71      En outre, Intel souligne que l’argument de la Commission, formulé dans son mémoire en réponse, selon lequel la communication tardive de l’aide-mémoire a remédié à la violation de ses droits de la défense, ne pourrait être concilié avec l’absence flagrante dans la note en cause du contenu du témoignage de M. D 1 ou avec l’aveu de la Commission du fait que cette note n’avait pas vocation à reproduire exactement ou exhaustivement le contenu de la réunion concernée.

72      En troisième lieu, Intel estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne faisant pas application du critère établi par l’arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission (C‑109/10 P, EU:C:2011:686). En affirmant, au point 630 de l’arrêt attaqué, qu’il lui était possible de reconstituer à suffisance de droit le contenu de l’entretien en cause même si elle n’y avait pas assisté, le Tribunal lui aurait ainsi imposé de prouver le contenu d’éléments qui ne lui ont jamais été communiqués.

73      ACT partage les arguments d’Intel à l’appui du quatrième moyen et souligne, notamment, qu’il ne pouvait être exclu que l’opinion exprimée par M. D 1 fût utile à la défense d’Intel dès lors que ce dernier avait fourni des éléments de preuve à décharge lors d’une procédure devant l’US Federal Trade Commission (Agence fédérale de la concurrence des États-Unis) au cours de l’année 2003.

74      Outre qu’elle estime que le quatrième moyen est inopérant, la Commission considère, en premier lieu, que la décision du Médiateur européen, sur laquelle se fonde Intel, ne saurait être invoquée pour démontrer une erreur de droit, au motif que celle-ci n’a pas contesté le point 617 de l’arrêt attaqué, selon lequel la réunion en cause n’avait pas pour but de collecter des preuves sous la forme d’un compte rendu contresigné ou de déclarations au titre de l’article 19 du règlement no 1/2003. La Commission ajoute que le Tribunal, aux points 614 à 616 de l’arrêt attaqué, a assimilé la nature des informations susceptibles d’être obtenues au titre de l’article 19 de ce règlement à celle des informations relevant de l’article 18 du même règlement avant de considérer que cette réunion n’était pas un entretien au sens dudit article 19.

75      La Commission fait valoir, en deuxième lieu, que la communication de la note interne remédiait suffisamment à l’irrégularité procédurale invoquée. Elle ajoute que la circonstance qu’Intel n’était pas présente lors de l’entretien en cause ne démontre aucune erreur dans la conclusion, au point 631 de l’arrêt attaqué, selon laquelle l’élément de preuve pouvait être reconstitué. En effet, Intel réfute ses propres arguments présentés en première instance, par lesquels elle soutenait que les déclarations de M. D 1 pouvaient être reconstituées, à tout le moins pour constater que ces déclarations étaient nécessairement à décharge.

76      La Commission avance, en troisième lieu, que les circonstances de l’espèce sont éloignées de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission (C‑109/10 P, EU:C:2011:686), où la violation des droits de la défense avait été invoquée en relation avec la constatation de la position dominante de Solvay SA sur le marché en cause, constatation qui reposait sur une présomption réfragable.

77      La Commission considère également que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en appliquant la jurisprudence résultant de l’arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission (C‑109/10 P, EU:C:2011:686), aux circonstances de l’espèce afin de conclure qu’il n’y avait pas eu violation des droits de la défense.

78      Dans la mesure où toutes les déclarations de Dell niant l’existence de rabais d’exclusivité ont été considérées, au point 582 de l’arrêt attaqué, comme n’étant pas crédibles face aux autres preuves fournies, la Commission estime qu’un compte rendu in extenso du démenti le plus catégorique de M. D 1 n’aurait été d’aucune utilité pour Intel.

 Appréciation de la Cour

79      À titre liminaire, la Commission fait valoir que le quatrième moyen est inopérant dans la mesure où la conclusion de l’arrêt attaqué selon laquelle Intel a accordé des rabais d’exclusivité à Dell n’est pas contestée.

80      Cet argument doit cependant être écarté dès lors que, par ce moyen, la requérante conclut spécifiquement, d’une part, à une diminution du montant de l’amende infligée et, d’autre part, à l’annulation de la décision litigieuse en tant qu’elle se rapporte à Dell, en faisant valoir que la Commission, en omettant d’enregistrer l’entretien avec M. D 1, l’a privée d’éléments de preuve et a ainsi porté atteinte à ses droits de la défense.

81      Il convient en conséquence d’examiner le bien-fondé dudit moyen.

82      Par ce dernier, Intel reproche, notamment, au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en considérant, au point 612 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas violé l’article 19 du règlement no 1/2003, lu en combinaison avec l’article 3 du règlement no 773/2004.

83      À cet égard, il convient, à titre liminaire, de relever, à l’instar du Tribunal au point 621 de l’arrêt attaqué, qu’il ressort, notamment, de la note interne de la Commission relative à l’entretien avec M. D 1 que les sujets abordés lors de la réunion avec ce dernier, qui a duré plus de cinq heures, concernaient des questions ayant un lien objectif avec le fond de l’investigation. En outre, M. D 1 était l’un des plus hauts dirigeants du plus grand client d’Intel et, comme l’a souligné Intel sans être contredite sur ce point, ce dernier était, plus particulièrement, en charge de la supervision des relations de son entreprise avec Intel. Il s’ensuit que l’entretien que la Commission a eu avec M. D 1 visait à la collecte d’informations relatives à l’objet de son enquête concernant Intel, au sens de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, ce que la Commission n’a, d’ailleurs, pas contesté.

84      En premier lieu, s’agissant de la distinction critiquée entre les entretiens formels et les entretiens informels établie par le Tribunal, au point 614 de l’arrêt attaqué, il ressort du libellé même de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 que ce dernier a vocation à s’appliquer à tout entretien visant la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête.

85      Le considérant 25 du règlement no 1/2003 précise, à cet égard, que ce règlement vise à renforcer les pouvoirs d’enquête de la Commission en permettant, notamment, à cette dernière d’interroger toute personne susceptible de disposer d’informations utiles et d’enregistrer ses déclarations.

86      L’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 constitue ainsi une base juridique habilitant la Commission à procéder à un entretien avec une personne dans le cadre d’une enquête, ce que confirment les travaux préparatoires de ce règlement [voir la proposition de règlement du Conseil relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 [CE] et modifiant les règlements (CEE) no 1017/68, (CEE) no 2988/74, (CEE) no 4056/86 et (CEE) no 3975/87 [COM (2000) 582 final, JO 2000, C 365E, p. 284]].

87      Aucun élément tiré du libellé de cette disposition ou du but qu’elle poursuit ne permet d’inférer que le législateur ait entendu introduire une distinction entre deux catégories d’entretiens relatifs à l’objet d’une enquête ni exclure du champ d’application de ladite disposition certains de ces entretiens.

88      C’est donc à tort que le Tribunal a considéré, aux points 614 à 618 de l’arrêt attaqué, qu’il y avait lieu de distinguer, parmi les entretiens effectués par la Commission dans le cadre d’une enquête, entre les entretiens formels relevant de l’application combinée de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003et de l’article 3 du règlement no 773/2004, et les entretiens informels, lesquels se situeraient en dehors du champ d’application de ces dispositions.

89      En second lieu, dans la mesure où Intel soutient que la Commission a l’obligation de procéder à l’enregistrement de tout entretien mené sur le fondement de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, il y a lieu de relever, tout d’abord, que l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 773/2004, qui dispose que la Commission « informe aussi la personne interrogée de son intention d’enregistrer l’entretien », doit être compris comme signifiant non pas que l’enregistrement de l’entretien revêtirait un caractère facultatif, mais que la Commission est tenue d’avertir la personne concernée de l’enregistrement envisagé.

90      Ensuite, l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 773/2003, qui précise que « [l]a Commission peut enregistrer sous toute forme les déclarations faites par les personnes interrogées », implique, ainsi que le Tribunal l’a correctement jugé au point 617 de l’arrêt attaqué, que, si la Commission décide, avec le consentement de la personne interrogée, de procéder à un entretien sur le fondement de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, elle est tenue d’enregistrer cet entretien dans son intégralité, sans préjudice du choix laissé à la Commission sur la forme de cet enregistrement.

91      Il s’ensuit qu’il pèse sur la Commission une obligation d’enregistrer, sous la forme de son choix, tout entretien mené par elle, au titre de l’article 19 du règlement no 1/2003, aux fins de collecter des informations relatives à l’objet d’une enquête de sa part.

92      Quant au point de savoir si c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 622 de l’arrêt attaqué, que la mise à la disposition d’Intel, lors de la procédure administrative, de la version non confidentielle d’une note interne établie par la Commission en relation avec sa réunion avec M. D 1 avait remédié à la lacune liée à l’absence d’enregistrement de l’entretien intervenu au cours de cette réunion, il convient de relever que, si, ainsi que le Tribunal l’a relevé aux points 635 et 636 de l’arrêt attaqué, cette note interne comporte un bref résumé des sujets abordés au cours de l’entretien litigieux, elle ne contient, en revanche, aucune indication quant à la teneur des discussions qui se sont tenues lors de cet entretien, en particulier quant à la nature des renseignements que M. D 1 a fournis pendant ledit entretien sur les sujets qui y sont mentionnés. Dans ces conditions, c’est à tort que le Tribunal a considéré que la communication de ladite note interne à Intel au cours de la procédure administrative avait corrigé la lacune initiale de cette procédure, tenant à l’absence d’enregistrement de l’entretien en cause.

93      Il résulte des considérations qui précèdent que le Tribunal a commis des erreurs de droit, premièrement, en établissant, parmi les entretiens relatifs à l’objet d’une enquête de la Commission, une distinction entre les entretiens formels, soumis aux dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 et de l’article 3 du règlement no 773/2004, et les entretiens informels, lesquels se situeraient en dehors du champ d’application de ces dispositions, deuxièmement, en estimant que la réunion entre les services de la Commission et M. D 1, alors qu’elle avait pour objet une telle enquête de la Commission, ne relevait pas du champ d’application de ces dispositions au motif qu’elle ne constituait pas un entretien formel, et, troisièmement, en considérant, à titre subsidiaire, que la mise à la disposition d’Intel, au cours de la procédure administrative, d’une version non confidentielle de la note interne établie par la Commission en relation avec cette réunion avait remédié à l’absence d’enregistrement de cette dernière.

94      Cependant, si les motifs d’un arrêt du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que son dispositif apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cet arrêt et il convient alors de procéder à une substitution de motifs (arrêt du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 118 ainsi que jurisprudence citée).

95      En l’occurrence, il y a lieu de relever que le Tribunal a souligné, au point 611 de l’arrêt attaqué, qu’il est constant entre les parties que la Commission, dans la décision litigieuse, ne s’est pas appuyée sur des informations obtenues lors de l’entretien avec M. D 1 pour mettre en cause Intel.

96      Cela étant, dans la mesure où cette dernière a fait valoir que M. D 1 avait fourni à la Commission des éléments à décharge que cette dernière aurait dû consigner dans un procès-verbal adéquat accessible par Intel, il convient de rappeler que, s’agissant de l’absence de communication d’un document prétendument à décharge, il incombe à l’entreprise concernée d’établir que sa non-divulgation a pu influencer, au détriment de cette dernière, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, EU:C:2010:389, point 23 et jurisprudence citée).

97      L’entreprise doit ainsi démontrer qu’elle aurait pu utiliser ledit document à décharge pour sa défense, en ce sens que, si elle avait pu s’en prévaloir lors de la procédure administrative, elle aurait pu invoquer des éléments qui ne concordaient pas avec les déductions opérées à ce stade par la Commission et aurait donc pu influencer, de quelque manière que ce soit, les appréciations portées par cette dernière dans sa décision (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, EU:C:2010:389, point 23 et jurisprudence citée).

98      Il s’ensuit que l’entreprise concernée doit établir, d’une part, qu’elle n’a pas eu accès à certains éléments de preuve à décharge, et, d’autre part, qu’elle aurait pu les utiliser pour sa défense (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, EU:C:2010:389, point 24).

99      Or, en l’occurrence, il ressort de l’analyse circonstanciée effectuée par le Tribunal aux points 629 à 659 de l’arrêt attaqué qu’Intel fut mise en possession, au cours de la procédure administrative, outre de la version non confidentielle de la note interne établie par la Commission en relation avec l’entretien avec M. D 1, d’un « document de suivi » contenant des réponses écrites de Dell à des questions orales qui avaient été posées à M. D 1 lors de cet entretien.

100    En outre, comme indiqué aux points 44 à 49 et 628 de l’arrêt attaqué, si Intel a été mise en mesure de faire valoir, au cours de la procédure devant le Tribunal, ses observations à la lumière de la version confidentielle de cette note interne, laquelle comportait des indications sur le contenu des discussions, elle n’a toutefois fourni aucun indice laissant supposer que la Commission se serait abstenue de consigner, au cours dudit entretien, des éléments à décharge qui auraient pu être utiles à sa défense en ce qu’ils auraient été de nature à donner un éclairage différent aux preuves documentaires directes retenues dans la décision litigieuse afin d’établir la conditionnalité des pratiques en cause.

101    Notamment, comme le souligne la Commission, Intel n’a pas usé de la possibilité dont elle disposait, conformément aux articles 68 à 76 du règlement de procédure du Tribunal, dans sa version applicable à la date de l’arrêt attaqué, de demander à ce que M. D 1 soit cité devant le Tribunal. Elle n’a même pas démontré devant le Tribunal avoir tenté de contacter M. D 1 afin d’obtenir de ce dernier qu’il confirme avoir avancé, lors de son entretien, des éléments à décharge qui auraient pu être utiles à la défense d’Intel.

102    Dans ces conditions, les erreurs de droit, identifiées au point 93 du présent arrêt, dont est entaché l’arrêt attaqué, ne sont pas de nature à invalider la conclusion, au point 625 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la procédure administrative n’est pas entachée d’une irrégularité, au mépris des droits de la défense d’Intel, susceptible d’entraîner l’annulation de la décision litigieuse (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 164).

103    Les première et deuxième branches du quatrième moyen doivent, par conséquent, être écartées comme étant inopérantes (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2015, Commission/IPK International, C‑336/13 P, EU:C:2015:83, point 66).

104    Dans la mesure où la troisième branche du quatrième moyen a trait à l’application de l’arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission (C‑109/10 P, EU:C:2011:686), à la présente espèce, il convient de constater que le Tribunal s’est prononcé sur ce point dans le cadre de l’examen, à titre surabondant, des conséquences d’une hypothétique irrégularité procédurale sur la décision litigieuse.

105    Or, les griefs dirigés contre des motifs surabondants d’un arrêt du Tribunal ne sauraient entraîner l’annulation de cet arrêt et sont donc inopérants (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 79 et jurisprudence citée).

106    Dès lors, la troisième branche du quatrième moyen doit être rejetée comme étant inopérante.

107    Il en résulte que le quatrième moyen doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit en raison de l’absence d’examen des rabais litigieux au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes

 Argumentation des parties

108    Le premier moyen, qu’il convient d’examiner en troisième lieu, dans la mesure où il est relatif à la qualification d’abus de position dominante, au sens de l’article 102 TFUE, se subdivise en trois branches.

109    Par la première branche du premier moyen, Intel soutient que les rabais de fidélité ne peuvent être qualifiés d’abusifs qu’après un examen de toutes les circonstances pertinentes visant à déterminer si les rabais sont susceptibles de restreindre la concurrence. Intel se fonde, notamment, sur les points 70 et 71 de l’arrêt du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission (C‑549/10 P, EU:C:2012:221), pour en déduire qu’une analyse de l’ensemble des circonstances s’applique indifféremment aux rabais d’exclusivité ainsi qu’aux autres remises revêtant un effet fidélisant.

110    Intel ajoute que ni le libellé ni la structure de l’article 102 TFUE n’indiquent que certains types de comportements, dès lors qu’ils sont adoptés par une entreprise en position dominante, doivent être qualifiés d’anticoncurrentiels par nature.

111    Intel soutient que la jurisprudence constante de la Cour exige, afin de constater l’existence d’un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE, un examen de l’ensemble des circonstances, incluant l’examen du niveau des rabais en cause, de la durée de ceux-ci, des parts de marché concernées, des besoins des clients et de la capacité des rabais d’évincer un concurrent aussi efficace (as efficient competitor test, ci-après le « test AEC »), afin d’établir que de tels rabais sont susceptibles de restreindre la concurrence et, partant, constituent un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE.

112    Par ailleurs, l’affirmation du Tribunal, au point 94 de l’arrêt attaqué, selon laquelle une entreprise en position dominante pourrait démontrer que son comportement est objectivement justifié, constituerait une fausse possibilité, dès lors que, au point 89 dudit arrêt, le Tribunal a affirmé que les effets bénéfiques d’un tel comportement ne sauraient être reconnus. De même, la position de la Commission conduirait à un renversement de la charge de la preuve puisqu’Intel devrait justifier son comportement avant même que la Commission n’ait à établir que celui-ci est susceptible de restreindre la concurrence.

113    Par la deuxième branche du premier moyen, Intel reproche au Tribunal de ne pas avoir évalué la probabilité d’une restriction de concurrence. Ainsi, le fait que les rabais litigieux soient qualifiés ou analysés dans l’arrêt attaqué en tant que rabais d’exclusivité ne devrait pas exclure un examen de leur aptitude à restreindre la concurrence.

114    Par la troisième branche de son premier moyen, Intel fait valoir que l’analyse du Tribunal, aux points 172 à 197 de l’arrêt attaqué, relative à la capacité des rabais de restreindre la concurrence et visant à démontrer que le comportement en cause à l’égard des bénéficiaires des rabais était susceptible de restreindre la concurrence, est insuffisante et ne rectifie pas les erreurs de droit précédemment identifiées.

115    Le Tribunal aurait négligé à tort des circonstances importantes telles que la couverture insuffisante du marché par les rabais litigieux, la courte durée des pratiques contestées, l’absence de verrouillage et une baisse rapide des prix ainsi que l’analyse préalable du concurrent aussi efficace.

116    S’agissant de la couverture du marché par les rabais litigieux, le Tribunal aurait erronément considéré que la part de marché couverte par le comportement litigieux était significative. Le taux de couverture en cause, en moyenne de 14 %, ne serait pas comparable au verrouillage de 39 % du marché concerné dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission (C‑549/10 P, EU:C:2012:221), et de 40 % dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods/Commission (T‑65/98, EU:T:2003:281). Intel conteste, à cet égard, l’argument de la Commission selon lequel la couverture du marché par les pratiques contestées n’est pas pertinente, car elle ne concerne que les effets concrets. Intel répond qu’une couverture du marché substantielle est un élément nécessaire pour pouvoir constater un abus.

117    Quant à la durée des pratiques contestées, Intel estime que les accords de courte durée ne produisent aucun effet préjudiciable réel ou potentiel. Intel ajoute que, pour déclarer, au point 113 de l’arrêt attaqué, que la durée des accords n’a pas été courte, le Tribunal s’est fondé non pas sur la durée des accords pris individuellement, mais sur le cumul de multiples accords, si bien qu’il n’a pas pu prendre en considération le fait que les clients d’Intel pouvaient se dégager fréquemment de leurs accords. Intel conteste, à cet égard, l’affirmation de la Commission selon laquelle ses clients OEM ne pouvaient pas se dégager des accords conclus avec elle en dépit de leur courte durée. Le fait non contesté que Dell a changé de fournisseur au profit d’AMD alors que les rabais d’Intel étaient à leur plus haut niveau prouverait que la possibilité de changement était réelle.

118    S’agissant de l’absence de verrouillage des rabais litigieux, Intel considère que le Tribunal n’a pas tenu compte des contraintes de capacité auxquelles AMD avait été confrontée et qui l’ont empêchée de répondre aux demandes de CPU, si bien que Dell et Lenovo se sont approvisionnées exclusivement auprès d’Intel au cours des périodes concernées.

119    Concernant la pertinence du test AEC, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en ne considérant pas l’analyse développée par la Commission dans la décision litigieuse comme pertinente et comme faisant partie du contrôle qu’il doit exercer pour se conformer à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. Selon Intel, il n’est pas question de savoir si la Commission était tenue de réaliser ce test. Toutefois, dans la mesure où elle a procédé à une telle analyse, les résultats correctement appréciés auraient dû être pris en compte au titre de l’ensemble des circonstances pertinentes pour démontrer l’existence d’une probabilité de restriction de la concurrence.

120    ACT se rallie, en substance, à la position d’Intel.

121    La Commission considère que le premier moyen repose sur un postulat non étayé selon lequel les rabais d’exclusivité seraient simplement un type de pratique tarifaire. La Cour n’aurait donc pas à examiner ce moyen.

122    À titre subsidiaire, la Commission fait valoir que les rabais d’exclusivité présentent des caractéristiques anticoncurrentielles telles qu’il est généralement inutile de démontrer leur capacité de restreindre la concurrence. Ainsi, ces rabais auraient un effet dissuasif engendré par la perspective pour l’entreprise cliente de perdre les rabais sur la part non disputable du marché. Il en résulterait qu’ils restreignent généralement la liberté des clients de choisir leurs sources d’approvisionnement en fonction de l’offre la plus attrayante.

123    En outre, Intel aurait procédé à une interprétation erronée des points 70 et 71 de l’arrêt du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission (C‑549/10 P, EU:C:2012:221), en affirmant que ces points concernaient les rabais d’exclusivité.

124    La Commission estime que l’argumentation formulée en deuxième lieu par Intel est irrecevable au motif qu’elle ne se réfère à aucune erreur de droit.

125    En tout état de cause, ladite argumentation serait inopérante puisque, aux points 172 à 197 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que le comportement d’Intel avait la capacité de restreindre la concurrence.

126    La Commission ajoute, à titre subsidiaire, que le critère juridique issu de la jurisprudence relative aux pratiques tarifaires ainsi qu’aux pratiques de prix d’éviction n’est pas applicable aux rabais d’exclusivité. Elle explique, à cet égard, que la Cour aurait pu transposer le critère juridique d’appréciation du caractère abusif de pratiques tarifaires aux régimes de rabais dans l’arrêt du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission (C‑549/10 P, EU:C:2012:221), mais que, à l’occasion de ce dernier, elle a expressément réitéré qu’une entreprise occupant une position dominante abuse de cette position lorsqu’elle fait usage d’un tel système de rabais.

127    La Commission considère, enfin, qu’il n’est pas nécessaire que la Cour examine les arguments soulevés par Intel concernant les points 172 à 197 de l’arrêt attaqué, puisque c’est à titre surabondant que le Tribunal a examiné la question de savoir si la Commission avait établi dans la décision litigieuse la capacité du comportement d’Intel de restreindre la concurrence.

128    À titre subsidiaire, la Commission fait valoir que l’arrêt attaqué démontre à suffisance de droit l’existence d’une stratégie d’ensemble et que les arguments d’Intel sur ce point sont irrecevables en ce qu’ils visent à une nouvelle appréciation des faits. Elle répond également aux arguments d’Intel relatifs au caractère pertinent de la couverture de marché ainsi que de la durée de la pratique.

 Appréciation de la Cour

129    En premier lieu, par les deux premières branches de son premier moyen, Intel, soutenue par ACT, reproche, en substance, au Tribunal d’admettre que les pratiques en cause puissent être qualifiées d’abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE sans qu’il soit préalablement procédé à l’examen de l’ensemble des circonstances de l’espèce et sans qu’ait été examinée la probabilité qu’une restriction de concurrence résulte de ce comportement.

130    En second lieu, par la troisième branche de son premier moyen, Intel critique l’analyse du Tribunal effectuée à titre surabondant, notamment aux points 172 à 197 de l’arrêt attaqué, relative à la capacité des rabais et des paiements accordés à Dell, à HP, à NEC, à Lenovo et à MSH de restreindre la concurrence au regard des circonstances de l’espèce.

131    Dans ce cadre, Intel conteste, notamment, l’appréciation portée par le Tribunal quant à la pertinence du test AEC appliqué par la Commission en l’espèce.

132    Elle fait, en particulier, valoir que, dans la mesure où la Commission a procédé à un tel test, le Tribunal aurait dû examiner son argumentation tirée du fait que l’application dudit test comportait de nombreuses erreurs et que, si celui-ci avait été correctement appliqué, il aurait conduit à la conclusion, inverse de celle à laquelle la Commission est parvenue, à savoir que les rabais litigieux n’avaient pas la capacité de restreindre la concurrence.

133    À cet égard, il convient de rappeler que l’article 102 TFUE n’a aucunement pour but d’empêcher une entreprise de conquérir, par ses propres mérites, la position dominante sur un marché. Cette disposition ne vise pas non plus à assurer que des concurrents moins efficaces que l’entreprise occupant une position dominante restent sur le marché (voir, notamment, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C‑209/10, EU:C:2012:172, point 21 et jurisprudence citée).

134    Ainsi, tout effet d’éviction ne porte pas nécessairement atteinte au jeu de la concurrence. Par définition, la concurrence par les mérites peut conduire à la disparition du marché ou à la marginalisation des concurrents moins efficaces et donc moins intéressants pour les consommateurs du point de vue notamment des prix, du choix, de la qualité ou de l’innovation (voir, notamment, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C‑209/10, EU:C:2012:172, point 22 et jurisprudence citée).

135    Cependant, il incombe à l’entreprise qui détient une position dominante une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur (voir, notamment, arrêts du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, EU:C:1983:313, point 57, ainsi que du 27 mars 2012, Post Danmark, C‑209/10, EU:C:2012:172, point 23 et jurisprudence citée).

136    C’est pourquoi l’article 102 TFUE interdit, notamment, à une entreprise occupant une position dominante de mettre en œuvre des pratiques produisant des effets d’éviction pour ses concurrents considérés comme étant aussi efficaces qu’elle-même, renforçant sa position dominante en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites. Dans cette perspective, toute concurrence par les prix ne peut donc être considérée comme légitime (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C‑209/10, EU:C:2012:172, point 25).

137    À cet égard, il a déjà été jugé que, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, le fait de lier, fût-ce à leur demande, des acheteurs par une obligation ou une promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 102 TFUE, soit que l’obligation est stipulée sans plus, soit qu’elle trouve sa contrepartie dans l’octroi d’un rabais. Il en est de même lorsque ladite entreprise, sans lier les acheteurs par une obligation formelle, applique, soit en vertu d’accords passés avec ces acheteurs, soit unilatéralement, un système de rabais de fidélité, c’est-à-dire de remises liées à la condition que le client, quel que soit par ailleurs le montant de ces achats, s’approvisionne exclusivement pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante (voir arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, EU:C:1979:36, point 89).

138    Toutefois, il convient de préciser cette jurisprudence dans le cas où l’entreprise concernée soutient, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction reprochés.

139    Dans un tel cas, la Commission est non seulement tenue d’analyser, d’une part, l’importance de la position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent et, d’autre part, le taux de couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités d’octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant, mais elle est également tenue d’apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces (voir, par analogie, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C‑209/10, EU:C:2012:172, point 29).

140    L’analyse de la capacité d’éviction est également pertinente pour l’appréciation du point de savoir si un système de rabais relevant en principe de l’interdiction de l’article 102 TFUE peut être objectivement justifié. En outre, l’effet d’éviction qui résulte d’un système de rabais, désavantageux pour la concurrence, peut être contrebalancé, voire surpassé, par des avantages en termes d’efficacité qui profitent aussi au consommateur (arrêt du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C‑95/04 P, EU:C:2007:166, point 86). Une telle mise en balance des effets, favorables et défavorables pour la concurrence, de la pratique contestée ne peut être opérée dans la décision de la Commission qu’à la suite d’une analyse de la capacité d’éviction de concurrents au moins aussi efficaces, inhérente à la pratique en cause.

141    Si, dans une décision constatant le caractère abusif d’un système de rabais, la Commission effectue une telle analyse, il appartient au Tribunal d’examiner l’ensemble des arguments de la partie requérante visant à mettre en cause le bien-fondé des constatations faites par la Commission quant à la capacité d’éviction du système de rabais concerné.

142    En l’occurrence, dans la décision litigieuse, la Commission, tout en soulignant que les rabais en cause avaient, par leur nature même, la capacité de restreindre la concurrence de sorte qu’une analyse de l’ensemble des circonstances de l’espèce et, en particulier, un test AEC n’étaient pas nécessaires pour constater un abus de position dominante (voir, notamment, les points 925 et 1760 de cette décision), a néanmoins opéré un examen approfondi de ces circonstances, en consacrant, aux points 1002 à 1576 de cette décision, des développements très détaillés à son analyse menée dans le cadre du test AEC, analyse qui l’a conduite à conclure, aux points 1574 et 1575 de ladite décision, qu’un concurrent aussi efficace aurait dû pratiquer des prix qui n’auraient pas été viables et que, partant, la pratique de rabais en cause était susceptible d’avoir des effets d’éviction d’un tel concurrent.

143    Il s’ensuit que, dans la décision litigieuse, le test AEC a revêtu une importance réelle dans l’appréciation par la Commission de la capacité de la pratique de rabais en cause de produire un effet d’éviction de concurrents aussi efficaces.

144    Dans ces conditions, le Tribunal était tenu d’examiner l’ensemble des arguments d’Intel formulés au sujet de ce test.

145    Or, il a jugé, aux points 151 et 166 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était pas nécessaire d’examiner si la Commission avait effectué le test AEC dans les règles de l’art et sans commettre d’erreurs, et qu’il n’était pas non plus nécessaire d’examiner la question de savoir si les calculs alternatifs proposés par Intel avaient été effectués de manière correcte.

146    Dans le cadre de son examen, à titre surabondant, des circonstances de l’espèce, le Tribunal a, dès lors, dénié, aux points 172 à 175 de l’arrêt attaqué, toute pertinence au test AEC opéré par la Commission, et n’a, partant, pas répondu aux critiques émises contre ce test par Intel.

147    En conséquence, sans qu’il soit besoin de statuer sur les deuxième, troisième et sixième moyens, il convient d’annuler l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal s’est, à tort, abstenu, dans le cadre de son analyse de la capacité des rabais litigieux de restreindre la concurrence, de prendre en considération l’argumentation d’Intel visant à dénoncer de prétendues erreurs commises par la Commission dans le cadre du test AEC.

 Sur le renvoi de l’affaire devant le Tribunal

148    Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé. Tel n’est cependant pas le cas en l’espèce.

149    En effet, le contrôle par le Tribunal, à la lumière des arguments avancés par Intel, de la capacité des rabais litigieux de restreindre la concurrence implique l’examen d’éléments factuels et économiques qu’il lui incombe d’effectuer.

150    Partant, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

 Sur les dépens

151    L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 juin 2014, Intel/Commission (T286/09, EU:T:2014:547), est annulé.

2)      L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.

3)      Les dépens sont réservés.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.