Language of document : ECLI:EU:T:2018:6

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

16 janvier 2018 (*)

« Aides d’État – Aides accordées par les autorités françaises à EDF – Requalification en dotation en capital de provisions comptables constituées en franchise d’impôt pour le renouvellement du réseau d’alimentation générale – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur – Autorité de la chose jugée – Critère de l’investisseur privé »

Dans l’affaire T‑747/15,

Électricité de France (EDF), établie à Paris (France), représentée par Me M. Debroux, avocat,

partie requérante,

soutenue par

République française, représentée initialement par MM. G. de Bergues et D. Colas et Mme J. Bousin, puis par M. Colas et Mme Bousin, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. É. Gippini Fournier, B. Stromsky et Mme D. Recchia, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation des articles 1er à 5 de la décision (UE) 2016/154 de la Commission, du 22 juillet 2015, concernant l’aide d’État SA.13869 (C 68/2002) (ex NN 80/2002) – Requalification en capital des provisions comptables en franchise d’impôt pour le renouvellement du réseau d’alimentation générale mise à exécution par la France en faveur de EDF (JO 2016, L 34, p. 152),

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Frimodt Nielsen (rapporteur), président, V. Kreuschitz et Mme N. Półtorak, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

A.      Introduction

1        Par décision du 16 octobre 2002 (JO 2002, C 280, p. 8, ci-après la « décision d’ouverture »), la Commission des Communautés européennes a ouvert la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, du TFUE relative à l’avantage qui aurait résulté du non-paiement de l’impôt sur les sociétés dû par la requérante, Électricité de France (EDF), lors de la restructuration de son bilan en 1997, sur une partie des provisions comptables créées en franchise d’impôt pour le renouvellement du réseau d’alimentation général (ci-après le « RAG ») et requalifiées en dotation en capital.

2        Par décision du 16 décembre 2003 (JO 2005, L 49, p. 9, ci-après la « décision initiale »), la Commission a déclaré la mesure d’aide dont avait bénéficié EDF incompatible avec le marché intérieur et exigé la récupération de cette aide augmentée des intérêts. Le montant de l’aide a été remboursé à la République française en février 2004.

3        Par arrêt du 15 décembre 2009, EDF/Commission (T‑156/04, ci-après l’« arrêt dans l’affaire T‑156/04 », EU:T:2009:505), le Tribunal a annulé les articles 3 et 4 de la décision initiale. À la suite de cet arrêt, la République française a reversé à EDF le montant que celle-ci lui avait remboursé.

4        Par arrêt du 5 juin 2012, Commission/EDF (C‑124/10 P, ci-après l’« arrêt dans l’affaire C‑124/10 P », EU:C:2012:318), la Cour a rejeté le pourvoi introduit par la Commission contre l’arrêt dans l’affaire T‑156/04.

5        Par décision du 2 mai 2013 (JO 2013, C 187, p. 73), invitant à présenter des observations en application de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, (ci-après la « décision d’extension »), la Commission a étendu la procédure formelle d’examen.

6        Par sa décision (UE) 2016/154, du 22 juillet 2015, concernant l’aide d’État SA.13869 (C 68/2002) (ex NN 80/2002) – Requalification en capital des provisions comptables en franchise d’impôt pour le renouvellement du RAG mise à exécution par la France en faveur de EDF (JO 2016, L 34, p. 152, ci-après la « décision attaquée »), la Commission a, une nouvelle fois, déclaré la mesure d’aide dont avait bénéficié EDF incompatible avec le marché intérieur et exigé la récupération de cette aide augmentée des intérêts. Le montant de l’aide a été remboursé à la République française le 13 octobre 2015.

7        Par requête déposée au greffe le 22 décembre 2015, EDF a introduit le présent recours.

B.      Sur le bénéficiaire de l’aide

8        EDF a été créée par la loi no 46-628, du 8 avril 1946, sur la nationalisation de l’électricité et du gaz (JORF du 9 avril 1946, p. 2651) qui, aux termes de son article 1er, a nationalisé la production, le transport, la distribution, l’importation et l’exportation d’électricité en France. Cette loi confiait la gestion des entreprises nationalisées d’électricité à un établissement public national à caractère industriel et commercial, dénommé « Électricité de France (EDF), Service national ».

9        L’article 16 de la loi no 46-628 prévoyait que le solde net des biens, droits et obligations transférés à EDF constituait son capital, appartenait à la nation, était inaliénable et, en cas de pertes d’exploitation, devait être reconstitué sur les résultats des exercices ultérieurs. Aux termes de l’article 1er du décret no 56-493, du 14 mai 1956, relatif aux dotations en capital à EDF (JORF du 19 mai 1956, p. 4613), celles-ci étaient soumises aux règles fixées par l’article 16 de ladite loi. Suivant l’article 2 du même décret, ces dotations donnaient lieu à l’attribution à l’État d’un intérêt et d’un dividende.

10      En vertu de la loi no 46-628, EDF était depuis sa création, et toujours en 1997, un établissement public national à caractère industriel et commercial, non régi par les dispositions applicables aux sociétés anonymes. La loi no 2004-803, du 9 août 2004, relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières (JORF du 11 août 2004, p. 14256), a modifié ce statut, en prévoyant, par son article 24, qu’EDF, dont l’État devait détenir plus de 70 % du capital, serait régie par les lois applicables aux sociétés anonymes sauf dispositions législatives contraires. L’article 47 de cette dernière loi prévoit également la transformation ultérieure de l’établissement public EDF en société anonyme, sous réserve de publication d’un décret portant sur son nouveau statut. L’article 46 de la même loi précise que le bilan de la société EDF au 31 décembre 2004 serait établi à partir du bilan au 31 décembre 2003 et du compte de résultat pour l’exercice 2004 de l’établissement public EDF.

11      La transformation d’EDF en société anonyme est devenue effective en application du décret no 2004-1224, du 17 novembre 2004, portant statuts de la société anonyme EDF (JORF du 19 novembre 2004, p. 19505). Les statuts annexés audit décret prévoient qu’EDF sera désormais une société anonyme régie par les lois et règlements applicables aux sociétés commerciales, notamment le code de commerce, dans la mesure où il n’y est pas dérogé par des dispositions plus spécifiques, y compris les statuts eux-mêmes.

12      L’article 6 des statuts d’EDF prévoit que le capital social de la société, initialement détenu intégralement par l’État, est fixé à la somme de 8,129 milliards d’euros, divisé en 1 625 800 000 actions de 5 euros chacune. Le capital social de la nouvelle société anonyme EDF a été fixé en novembre 2004 au même montant que le capital et les dotations au capital de l’établissement public à caractère économique et commercial EDF cumulés jusque-là, à savoir 8,1 milliards d’euros. Ce montant de capital et de dotations en capital a été atteint en application de la loi no 97-1026, du 10 novembre 1997, portant diverses mesures d’ordre économique et commercial (JORF du 11 novembre 1997, p. 16387), et était resté inchangé depuis 1997 au moment de l’adoption de la décision attaquée.

13      La loi no 2004-803 et les statuts d’EDF prévoient par ailleurs que, à tout moment, l’État doit détenir plus de 70 % du capital de la société. En novembre 2005, des actions nouvelles d’EDF admises à la cote sur Euronext ont été offertes à prix ouvert (ci-après « OPO »), ouvrant ainsi le capital d’EDF à d’autres actionnaires que l’État.

C.      Sur la constitution de provisions comptables pour le renouvellement du RAG

14      Aux termes de l’article 36 de la loi no 46-628, l’ensemble des concessions d’électricité nationalisées a été transféré à EDF. Conformément à l’article 37 de la même loi, pour ces concessions, le concessionnaire est tenu de respecter un cahier des charges type. Les différentes concessions de transport d’électricité ainsi transférées par l’État à EDF ont été unifiées en 1958 en une concession unique appelée RAG.

15      En l’absence de règles comptables propres aux concessions, EDF a considéré, dès 1946, qu’elle était propriétaire des biens faisant partie du RAG et elle a inscrit ces biens à l’actif de son bilan.

16      En application de l’article 8 du cahier des charges approuvé par le décret no 56‑1225, du 28 novembre 1956, EDF était tenue d’exécuter à ses frais tous les travaux d’entretien et de renouvellement nécessaires au maintien des ouvrages de la concession en bon état de fonctionnement.

17      En 1987, à la suite d’une modification, intervenue en 1982, du plan comptable général prévoyant des règles spécifiques pour les biens devant revenir à l’État à la fin de la concession, EDF a modifié sa pratique comptable pour les actifs du RAG jusque-là considérés comme biens propres et classé ces actifs au poste du bilan « Biens mis en concession ». EDF a appliqué à ces actifs les règles comptables spéciales établies en France pour les biens mis en concession qui devaient être retournés à l’État à la fin de celle-ci et a créé, en franchise d’impôt, des provisions pour le renouvellement du RAG.

18      Dans un rapport de 1994, la Cour des comptes française a considéré que, en présence d’un concessionnaire unique et permanent de l’État, désigné par la loi, tel qu’EDF, il était difficile de considérer les biens constituant le RAG comme devant revenir à l’État à la fin de la concession, par opposition aux biens propres du RAG appartenant à EDF. En d’autres termes, la modification comptable introduite par EDF en 1987 se traduisant par la constitution de provisions en franchise d’impôt n’apparaissait pas justifiée aux yeux de la Cour des comptes française. Des travaux de régularisation de la situation d’EDF ont dès lors été engagés par l’entreprise et les administrations de tutelle.

19      En 1997, EDF avait dans ses comptes deux types de provisions créées en franchise d’impôt pour le renouvellement du RAG : les provisions non encore utilisées, pour un montant de 38,5 milliards de francs français (FRF), et les droits du concédant, correspondant aux opérations de renouvellement déjà réalisées, pour un montant de 18,345 milliards de FRF.

D.      Sur la requalification des provisions comptables

20      La loi no 97-1026 a clarifié le statut des biens constituant le RAG. L’article 4 de cette loi dispose :

« I.      Les ouvrages du RAG en énergie électrique sont réputés constituer la propriété d’EDF depuis que la concession de ce réseau lui a été accordée.

II.      Pour l’application des dispositions du point I, au 1er janvier 1997, la contre-valeur des biens en nature mis en concession du RAG figurant au passif du bilan d’EDF est inscrite, nette des écarts de réévaluation correspondants, au poste “Dotations en capital” […] »

21      Il est constant que le recours à la loi s’imposait pour toute opération portant sur le capital d’EDF, dans la mesure où, en effet, dans sa version en vigueur en 1997, l’article 16 de la loi no 46-628 prévoyait que le capital d’EDF était inaliénable et appartenait à la nation. Ainsi, les dotations au capital d’EDF résultant du reclassement des provisions pour le renouvellement du RAG relevaient, en droit français, du domaine de la loi.

22      La loi no 97-1026 établit la propriété des actifs du RAG. Le bilan d’EDF a été réorganisé par cette même loi. Les provisions constituées par EDF entre 1987 et 1996 pour le renouvellement du RAG, en vue d’une restitution de ces actifs à l’État, utilisées ou non, sont devenues sans objet dès lors que la propriété des biens du RAG était réputée appartenir à EDF.

23      Une lettre du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, du secrétaire d’État au budget et du secrétaire d’État à l’industrie, adressée à EDF le 22 décembre 1997 (ci-après la « lettre du 22 décembre 1997 »), explique, dans son annexe 1, la restructuration du haut bilan d’EDF, en application de l’article 4 de la loi no 97-1026 :

« Reclassement des “droits du concédant” (18 345 563 605 FRF) :

–        consolidation en dotations en capital de la contre-valeur des biens en nature du RAG mis dans la concession à hauteur de 14 119 065 335 FRF ;

–        regroupement des écarts de réévaluation du RAG de 1959 (2 425 [millions de FRF]) et de 1976 (immobilisations non amortissables : 97 [millions de FRF]) avec le poste “Écarts de réévaluation RAG”, dont le montant passe ainsi de 1 720 [millions de FRF] à 4 145 [millions de FRF] ;

–        regroupement des provisions réglementées relatives à la réévaluation des immobilisations amortissables de 1976 (1 704 [millions de FRF]), le poste passant de 877 [millions de FRF] à 2 581 [millions de FRF] ;

–        reclassement des provisions pour renouvellement devenues injustifiées (38 520 943 408 FRF) au report à nouveau, en application de l’avis du Conseil national de la comptabilité no 97‑06 du 18 juin 1997 relatif aux changements comptables. »

24      Dans le cadre de la réorganisation du bilan d’EDF, les autorités françaises ont suivi l’avis no 97-06, du 18 juin 1997, du Conseil national de la comptabilité (CNC), relatif aux changements de méthodes comptables, changements d’estimation, changements d’options fiscales et corrections d’erreurs (ci-après l’« avis du Conseil national de la comptabilité »), lequel établit notamment que les corrections d’erreurs comptables, qui, par leur nature même, portent sur la comptabilisation des opérations passées « sont comptabilisées dans le résultat de l’exercice au cours duquel elles sont constatées ».

25      Conformément à la loi no 97-1026 et à la lettre du 22 décembre 1997, les écarts de réévaluation ont été transférés à la rubrique « Capitaux propres » sans incidence fiscale, car ils correspondaient à des plus-values de réévaluation réalisées en franchise d’impôt ou sous un régime de neutralité fiscale suite aux lois de réévaluation de 1959 et de 1976.

E.      Sur l’incidence fiscale de la requalification des provisions comptables

26      L’annexe 3 de la lettre du 22 décembre 1997 établit également les conséquences fiscales de la réorganisation du bilan d’EDF. Une variation d’actif net est constatée avec le reclassement au report à nouveau des provisions pour renouvellement non utilisées, d’un montant de 38,5 milliards de FRF, et est soumise à l’impôt sur les sociétés au taux de 41,66 % applicable en 1997. Ainsi, les provisions non encore utilisées pour un montant de 38,5 milliards de FRF ont été imposées par les autorités françaises. Il apparaît en revanche, à la lecture de cette annexe, que la partie des provisions ayant été utilisées pour le renouvellement du RAG, correspondant aux droits du concédant et également constituée en franchise d’impôt et consolidée comme dotation au capital, n’a pas été imposée.

27      Une note de la direction générale des impôts du 9 avril 2002 (ci-après la « note du 9 avril 2002 »), adressée à la Commission par les autorités françaises, indique à cet égard que « les droits du concédant afférents au RAG représentent une dette indue que l’incorporation au capital a libérée d’impôt de manière injustifiée » et que « cette réserve aurait dû, préalablement à son incorporation au capital, être transférée du passif de l’établissement où elle figurait à tort vers un compte de situation nette entraînant ainsi une variation positive d’actif net imposable en application de l’article 38–2 » du code général des impôts. Les autorités françaises précisent que « l’avantage en impôts ainsi obtenu [en 1997 par EDF] peut être évalué à 5,88 milliards de FRF (14,119 × 41,66 %) ».

F.      Sur la décision d’ouverture

28      Par la décision d’ouverture, la Commission a ouvert la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, du TFUE sur l’avantage résultant du non-paiement par EDF de l’impôt sur les sociétés dû, lors de la restructuration de son bilan en 1997, sur la partie des provisions correspondant aux droits du concédant.

29      Il y a lieu de relever que, au considérant 52 de la décision attaquée, la Commission a considéré que, dans la mesure où ni la Cour ni le Tribunal n’avaient considéré que la décision d’ouverture était entachée d’illégalité, celle-ci pouvait constituer la base d’une nouvelle décision finale, à savoir la décision attaquée.

G.      Sur la décision initiale de la Commission

30      Dans la décision initiale, la Commission a déclaré la mesure d’aide dont avait bénéficié EDF incompatible avec le marché intérieur et exigé la récupération de cette aide augmentée des intérêts.

31      Parmi les motifs avancés par la Commission à l’appui de la décision initiale, il convient plus particulièrement de souligner ce qui suit :

« 95. Les autorités françaises prétendent […] que la réforme comptable de 1997 équivaut à une dotation complémentaire en capital d’un montant égal à l’exonération partielle d’impôt. Il s’agirait donc de leur part d’un investissement, et non d’une aide. Elles affirment également que sur la période 1987-1996, EDF a globalement versé à l’État une somme supérieure à l’impôt sur les sociétés qu’aurait payé une société de droit commercial, qui n’aurait pas constitué de provisions pour renouvellement du RAG et qui aurait versé à son actionnaire un dividende égal à 37,5 % du résultat net après impôt.

96. La Commission ne peut que rejeter ces arguments en rappelant que le principe de l’investisseur privé ne peut jouer que dans le cadre de l’exercice d’activités économiques, et non dans le cadre de l’exercice de pouvoirs de régulation. Une autorité publique ne peut pas utiliser l’argument des éventuels bénéfices économiques qu’elle pourrait retirer en tant que propriétaire d’une entreprise pour justifier une aide octroyée de manière discrétionnaire à travers les prérogatives dont elle dispose en tant qu’autorité fiscale vis-à-vis de cette même entreprise.

97. En effet, si un État membre peut, en plus de l’exercice de sa fonction de puissance publique, agir comme un actionnaire, il ne peut pas mélanger ses fonctions d’État exerçant la puissance publique et d’État actionnaire. Autoriser les États membres à utiliser leurs prérogatives de puissance publique au service de leurs investissements dans des entreprises actives sur des marchés ouverts à la concurrence priverait de tout effet utile les règles communautaires en matière d’aides d’État. En outre, si, en vertu de son article 295, le traité est neutre à l’égard de la propriété du capital, il n’en reste pas moins que les entreprises publiques doivent être soumises aux mêmes règles que les entreprises privées. Or, il n’y aurait plus d’égalité de traitement entre les entreprises publiques et les entreprises privées si l’État utilisait au profit des entreprises dont il est actionnaire ses prérogatives de puissance publique. »

H.      Sur l’arrêt dans l’affaire T‑156/04

32      EDF, soutenue par la République française, a introduit un recours en annulation à l’encontre de la décision de la Commission du 16 décembre 2003.

33      Par arrêt dans l’affaire T‑156/04, le Tribunal a annulé les articles 3 et 4 de la décision initiale.

34      Aux points 233 à 237 de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04, le Tribunal a considéré que, afin de déterminer s’il incombait ou non à la Commission d’examiner l’intervention de l’État français dans le capital d’EDF au regard du critère de l’investisseur privé, il convenait d’établir si ladite intervention, au vu de sa nature et de son objet et compte tenu de l’objectif poursuivi, constituait un investissement réalisable par un investisseur privé, et était donc effectuée par cet État en tant qu’opérateur économique agissant au même titre qu’un investisseur privé, ou si elle constituait une intervention de l’État en tant que puissance publique, excluant ainsi l’application dudit critère. En particulier, il a estimé qu’il ne convenait pas d’examiner la mesure en cause en fonction seulement de sa forme, le recours à une loi ne suffisant pas, à lui seul, à écarter le fait que, par son intervention de dans le capital d’une entreprise, l’État poursuive un objectif économique que pourrait également poursuivre un investisseur privé.

35      Aux points 240 à 242 de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04, le Tribunal a rappelé que les « droits du concédant » avaient été affectés directement au poste de dotations en capital pour un montant de 14,119 milliards de FRF sans transiter par le compte de résultat. Il a souligné que la Commission avait considéré que seule l’absence d’imposition desdits droits avant la dotation en capital constituait une aide d’État, toutes les parties s’étant accordées pour considérer qu’un impôt était dû sur ce montant avant qu’il ne soit inscrit au poste intitulé « Dotation en capital ».

36      Aux points 243 à 245 de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04, le Tribunal a estimé que l’article 4 de la loi no 97-1026, ayant pour objet de restructurer le bilan d’EDF et d’augmenter les fonds propres de celle-ci, constituait non une disposition de nature fiscale en soi, mais une disposition de nature comptable ayant des incidences fiscales. Toutefois, il a constaté que la Commission n’avait examiné que les incidences fiscales de ladite mesure et qu’elle avait précisé que, en raison du caractère fiscal de l’avantage qu’elle avait identifié, il ne lui appartenait de prendre en considération ni l’augmentation de capital réalisée ni le critère de l’investisseur privé, une renonciation à une créance fiscale, telle que celle en cause, résultant de l’exercice de prérogatives de puissance publique.

37      Aux points 247 à 250 de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04, le Tribunal a considéré que, compte tenu de l’objectif de recapitalisation d’EDF poursuivi par la mesure en cause, la seule nature fiscale de la créance litigieuse ne permettait pas à la Commission d’écarter l’application du critère de l’investisseur privé. Selon lui, il était fait obligation à la Commission de vérifier la rationalité économique de l’investissement en question, en appréciant si un investisseur privé aurait procédé à un investissement comparable dans son montant au profit d’EDF, dans les mêmes circonstances. En effet, une telle obligation s’imposerait à la Commission, indépendamment de la forme sous laquelle les capitaux avaient été apportés par l’État.

38      Aux points 251 et 252 de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04, le Tribunal a précisé qu’il ne saurait être exclu que la forme prise par l’investissement en cause induise des différences de coût de mobilisation du capital et de rendement de ce dernier, qui pourraient conduire à considérer qu’un investisseur privé n’aurait pas réalisé un tel investissement. Or, cela présupposerait la réalisation d’une analyse économique dans le cadre de l’application du critère de l’investisseur privé. En effet, selon le Tribunal, une telle analyse était justifiée, dès lors que, d’une part, une augmentation de capital pouvait résulter de l’incorporation d’une créance détenue par un actionnaire privé à l’égard de l’entreprise et que, d’autre part, le recours à une loi à cet effet pouvait être considéré comme la conséquence nécessaire du fait que les règles relatives au capital d’EDF étaient elles-mêmes fixées par la loi.

39      Partant, au point 253 de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04, le Tribunal a conclu que, eu égard à la nécessité d’apprécier la mesure litigieuse dans son contexte, la Commission ne pouvait se limiter à examiner ses incidences fiscales, mais devait simultanément examiner le bien-fondé de l’argumentation selon laquelle la renonciation à la créance d’impôt dans le cadre de l’opération de restructuration du bilan et d’augmentation du capital d’EDF pouvait satisfaire au critère de l’investisseur privé.

40      Par la suite, le Tribunal a rejeté, aux points 254 à 259 de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04, l’argument de la Commission selon lequel le critère de l’investisseur privé ne pouvait être appliqué, dès lors que l’État français avait exercé, en l’espèce, ses prérogatives de puissance publique en ayant eu recours à une loi pour renoncer à une créance fiscale. À cet égard, il a considéré que, en l’espèce, il n’existait pas d’obligation incombant à l’État en tant que puissance publique et qu’il ne s’agissait pas d’apprécier certains coûts découlant pour l’État de ses obligations de puissance publique.

41      Aux points 260 à 263 de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04, le Tribunal a écarté l’argument de la Commission consistant à soutenir que le critère de l’investisseur privé ne saurait s’appliquer à la conversion en capital d’une créance fiscale, puisqu’un investisseur privé pourrait détenir, à l’égard d’une entreprise, non pas une telle créance, mais uniquement une créance civile ou commerciale. Or, selon lui, le critère de l’investisseur privé a pour objectif de vérifier si, en dépit du fait que l’État dispose de moyens dont ne dispose pas un investisseur privé, ce dernier aurait, dans les mêmes conditions, pris une décision d’investissement comparable. Dès lors, seraient indifférents la nature de la créance et le fait qu’un investisseur privé ne puisse détenir une créance fiscale.

42      Aux points 264 à 277 de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04, le Tribunal a rejeté l’argument de la Commission selon lequel un investisseur privé aurait, quant à lui, dû s’acquitter de l’impôt dans une situation comparable, ce qui aurait entraîné un coût supérieur pour celui-ci, puisque, pour octroyer 100 euros, un tel investisseur aurait dû mobiliser en réalité 141,66 euros.

43      À cet égard, premièrement, le Tribunal a relevé qu’EDF et la République française avaient soutenu et que la Commission avait elle-même estimé, au paragraphe 51 de la décision d’ouverture, que, en vertu du droit fiscal français, la variation d’actif net entraînée par une augmentation de capital par incorporation d’une créance détenue à l’égard d’une entreprise par un actionnaire de cette dernière ne devait pas être prise en compte pour le calcul de l’impôt sur les sociétés et que, par conséquent, cette conversion de créance en capital n’engendrait pas d’imposition ayant pour assiette le montant de cette créance.

44      Deuxièmement, le Tribunal a estimé que l’argument de la Commission selon lequel un investisseur privé aurait, quant à lui, dû s’acquitter de l’impôt dans une situation comparable était en contradiction avec l’avantage qu’elle avait identifié dans la décision initiale dès lors que cet argument conduisait à examiner le coût global que supportait un investisseur privé pour investir 14,119 milliards de FRF, alors que le reclassement des droits du concédant, pour ce montant, n’avait pas été considéré comme constitutif d’une aide par la Commission.

45      Troisièmement, le Tribunal a considéré que l’argument de la Commission selon lequel un investisseur privé aurait, quant à lui, dû s’acquitter de l’impôt dans une situation comparable était dépourvu de cohérence, dès lors qu’elle admettait qu’elle aurait examiné la dotation complémentaire en capital de plusieurs milliards de FRF, si EDF s’était acquittée du montant de cette dotation au titre de l’impôt, puis si l’État français lui avait rétrocédé ce même montant, au motif que les coûts supportés par cet État auraient alors, et seulement alors, pu être comparés avec ceux d’un investisseur privé. Or, il a estimé que, dans cette hypothèse, le coût aurait été le même pour ledit État et le montant perçu par EDF aurait été le même que celui que cette dernière avait perçu au moyen de la mesure litigieuse.

46      Quatrièmement, le Tribunal a estimé que, à supposer qu’un investisseur privé fût effectivement tenu de payer l’impôt, le coût d’une dotation en capital par incorporation de créance aurait été, pour celui-ci, de 5,88 milliards de FRF et, partant, identique à celui supporté, en l’espèce, par l’État français. En outre, seule l’application du critère de l’investisseur privé aurait permis de vérifier l’existence d’une éventuelle différence de coût.

47      Cinquièmement, le Tribunal a considéré que, même si le coût d’une recapitalisation à concurrence de 14,119 milliards de FRF était nul pour l’État français et que ce coût était de 5,88 milliards de FRF pour un investisseur privé, cette différence de coût ne s’opposait pas à une application du critère de l’investisseur privé.

48      Au point 283 de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04, le Tribunal a écarté l’argument de la Commission selon lequel le fait d’admettre l’application du critère de l’investisseur privé pourrait conduire à valider toute forme d’exonération fiscale opérée par les États membres. À cet égard, d’une part, il a rappelé que, en l’espèce, il s’agissait non pas, selon lui, d’une simple exonération fiscale accordée à une entreprise, mais de la renonciation à une créance fiscale dans le cadre d’une augmentation de capital d’une entreprise dont l’État était le seul actionnaire et, d’autre part, il a estimé qu’il ne saurait être préjugé du résultat de l’application de ce critère, faute de quoi ce dernier ne serait d’aucune utilité.

I.      Sur l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P

49      La Commission a introduit, le 26 février 2010, un pourvoi contre l’arrêt dans l’affaire T‑156/04.

50      Par arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, la Cour a rejeté ce pourvoi pour les motifs suivants :

« 16. Par lettre du 16 octobre 2002, publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 16 novembre 2002 (JO [2002], C 280, p. 8), la Commission a notifié aux autorités françaises trois décisions conjointes concernant EDF. En particulier, conformément à l’article 88, paragraphe 2, CE, la Commission a adopté une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen sur l’avantage résultant du non-paiement par EDF de l’impôt sur les sociétés dû sur la partie des provisions comptables créées en franchise d’impôt pour le renouvellement du RAG.

[…]

19. L’article 3 de cette décision dispose :

“Le non-paiement par EDF, en 1997, de l’impôt sur les sociétés sur la partie des provisions créées en franchise d’impôt pour le renouvellement du RAG, correspondant aux 14,119 milliards de [FRF] de droits du concédant reclassés en dotations en capital, constitue une aide d’État incompatible avec le marché commun.

L’élément d’aide impliqué dans le non-paiement de l’impôt sur les sociétés s’élève à 888,89 millions d’euros.”

[…]

21. En ce qui concerne l’avantage fiscal dont aurait bénéficié EDF en 1997, la Commission a, dans les motifs de la même décision, considéré, notamment, ce qui suit :

“(88) La lettre du ministre de l’Économie, établissant les conséquences fiscales de la restructuration du bilan d’EDF, montre que les provisions pour renouvellement du RAG non utilisées ont été soumises par les autorités françaises à l’impôt sur les sociétés au taux de 41,66 %, taux applicable en 1997.

(89) En revanche, conformément à l’article 4 de la loi no 97-1026 [...], une partie de ces provisions, les droits du concédant, correspondant aux opérations de renouvellement déjà réalisées, a été reclassée en dotations en capital à hauteur de 14,119 milliards de FRF sans être soumise à l’impôt sur les sociétés [...] Dans une note de la direction générale des impôts en date du 9 avril 2002, adressée à la Commission, les autorités françaises [...] constatent que ‘l’avantage en impôts ainsi obtenu [en 1997 par EDF] peut être évalué à 5,88 milliards de [FRF] (14,119 × 41,66 %)’, soit 888,89 millions d’euros [...]

[...]

(91) La Commission considère que les droits du concédant auraient dû être imposés en même temps et au même taux que les autres provisions comptables créées en franchise d’impôt. Cela signifie que les 14,119 milliards de FRF de droits du concédant auraient dû être additionnés aux 38,5 milliards de FRF de provisions non utilisées pour être imposés au taux de 41,66 % appliqué à la restructuration du bilan d’EDF par les autorités françaises. En ne payant pas la totalité de l’impôt sur les sociétés dû lors de la restructuration de son bilan, EDF a économisé 888,89 millions d’euros.

[...]

(95) Les autorités françaises prétendent par ailleurs que la réforme comptable de 1997 équivaut à une dotation complémentaire en capital d’un montant égal à l’exonération partielle d’impôt. Il s’agirait donc de leur part d’un investissement, et non d’une aide [...]

(96) La Commission ne peut que rejeter ces arguments en rappelant que le principe de l’investisseur privé ne peut jouer que dans le cadre de l’exercice d’activités économiques, et non dans le cadre de l’exercice de pouvoirs de régulation. Une autorité publique ne peut pas utiliser l’argument des éventuels bénéfices économiques qu’elle pourrait retirer en tant que propriétaire d’une entreprise pour justifier une aide octroyée de manière discrétionnaire à travers les prérogatives dont elle dispose en tant qu’autorité fiscale vis-à-vis de cette même entreprise.

(97) En effet, si un État membre peut, en plus de l’exercice de sa fonction de puissance publique, agir comme un actionnaire, il ne peut pas mélanger ses fonctions d’État exerçant la puissance publique et d’État actionnaire. Autoriser les États membres à utiliser leurs prérogatives de puissance publique au service de leurs investissements dans des entreprises actives sur des marchés ouverts à la concurrence priverait de tout effet utile les règles communautaires en matière d’aides d’État. En outre, si, en vertu de son article 295, le traité est neutre à l’égard de la propriété du capital, il n’en reste pas moins que les entreprises publiques doivent être soumises aux mêmes règles que les entreprises privées. Or, il n’y aurait plus d’égalité de traitement entre les entreprises publiques et les entreprises privées si l’État utilisait au profit des entreprises dont il est actionnaire ses prérogatives de puissance publique.”

[…]

35. […] au point 253 de cet arrêt, le Tribunal a conclu que, eu égard à la nécessité d’apprécier la mesure litigieuse dans son contexte, la Commission ne pouvait se limiter à examiner ses incidences fiscales, mais devait simultanément examiner le bien-fondé de l’argumentation selon laquelle la renonciation à la créance d’impôt dans le cadre de l’opération de restructuration du bilan et d’augmentation du capital d’EDF pouvait satisfaire au critère de l’investisseur privé.

[…]

51. À l’appui de son pourvoi, la Commission soulève deux moyens tirés, le premier, d’une dénaturation des faits et, le second, d’une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 87 CE et, plus particulièrement, dans la détermination du champ d’application et du contenu du critère de l’investisseur privé avisé dans une économie de marché.

52. Il convient d’examiner, en premier lieu, le second moyen.

Sur le second moyen, tiré d’une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 87 CE

53. Le second moyen se divise en quatre branches, qu’il convient d’examiner ensemble.

Argumentation des parties

[…]

Appréciation de la Cour

75. La Commission, l’Autorité de surveillance AELE et Iberdrola reprochent, en substance, au Tribunal d’avoir examiné l’applicabilité, en l’espèce, du critère de l’investisseur privé, premièrement, en ayant pris en compte, à cette fin, l’objectif poursuivi par l’État français lorsqu’il a adopté la mesure litigieuse, deuxièmement, en ayant confondu les rôles de l’État actionnaire et de l’État exerçant ses pouvoirs en matière fiscale, troisièmement, en violant le principe d’égalité de traitement entre entreprises publiques et privées et, quatrièmement, en violant les règles relatives à la dévolution de la charge de la preuve.

76. Il résulte de la jurisprudence qu’une mesure accordée au moyen de ressources d’État qui place l’entreprise bénéficiaire dans une situation financière plus favorable que celle de ses concurrents et qui, pour cette raison, à la fois fausse ou menace de fausser la concurrence et affecte les échanges entre États membres ne saurait échapper d’emblée à la qualification “d’aide” au sens de l’article 87 CE en raison des objectifs poursuivis par ledit État (voir, en ce sens, arrêts du 19 mai 1999, Italie/Commission, C‑6/97, Rec. p. I–2981, point 15 ; du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, Rec. p. I–6857, point 25 et jurisprudence citée, ainsi que du 9 juin 2011, Comitato “Venezia vuole vivere” e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, Rec. p. I‑4727, point 94 et jurisprudence citée).

77. En effet, le paragraphe 1 de cette disposition n’établit pas de distinction selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais définit celles-ci en fonction de leurs effets (arrêt Comitato “Venezia vuole vivere” e.a./Commission, précité, point 94 et jurisprudence citée).

78. Toutefois, il ressort également d’une jurisprudence constante que les conditions que doit remplir une mesure pour relever de la notion “d’aide” au sens de l’article 87 CE ne sont pas satisfaites si l’entreprise publique bénéficiaire pouvait obtenir le même avantage que celui qui a été mis à sa disposition au moyen de ressources d’État dans des circonstances qui correspondent aux conditions normales du marché, cette appréciation s’effectuant, pour les entreprises publiques, par application, en principe, du critère de l’investisseur privé (voir, en ce sens, arrêts du 21 mars 1991, Italie/Commission, C‑303/88, Rec. p. I‑1433, point 20 ; du 16 mai 2002, France/Commission, C‑482/99, Rec. p. I–4397, points 68 à 70, ainsi que Comitato “Venezia vuole vivere” e.a./Commission, précité, point 91 et jurisprudence citée).

79. En particulier, il résulte de la jurisprudence que, aux fins de l’appréciation de la question de savoir si la même mesure aurait été adoptée dans les conditions normales du marché par un investisseur privé se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle de l’État, seuls les bénéfices et les obligations liés à la situation de ce dernier en qualité d’actionnaire, à l’exclusion de ceux qui sont liés à sa qualité de puissance publique, sont à prendre en compte (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, 234/84, Rec. p. 2263, point 14, et Belgique/Commission, 40/85, Rec. p. 2321, point 13, ainsi que du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C‑278/92 à C‑280/92, Rec. p. I–4103, point 22, et du 28 janvier 2003, Allemagne/Commission, C‑334/99, Rec. p. I–1139, point 134).

80. Il en ressort que les rôles de l’État actionnaire d’une entreprise, d’une part, et de l’État agissant en tant que puissance publique, d’autre part, doivent être distingués, comme le font valoir à juste titre la Commission, l’Autorité de surveillance AELE ainsi qu’Iberdrola et que l’a jugé le Tribunal aux points 223 à 228 de l’arrêt attaqué.

81. Par conséquent, l’applicabilité du critère de l’investisseur privé dépend, en définitive, de ce que l’État membre concerné accorde en sa qualité d’actionnaire, et non pas en sa qualité de puissance publique, un avantage économique à une entreprise lui appartenant.

82. Il s’ensuit que, si un État membre invoque, au cours de la procédure administrative, ledit critère, il lui incombe, en cas de doute, d’établir sans équivoque et sur la base d’éléments objectifs et vérifiables que la mesure mise en œuvre ressortit à sa qualité d’actionnaire.

83. Ces éléments doivent faire apparaître clairement que l’État membre concerné a pris, préalablement ou simultanément à l’octroi de l’avantage économique (voir, en ce sens, arrêt France/Commission, précité, points 71 et 72), la décision de procéder, par la mesure effectivement mise en œuvre, à un investissement dans l’entreprise publique contrôlée.

84. Peuvent notamment être requis, à cet égard, des éléments faisant apparaître que cette décision est fondée sur des évaluations économiques comparables à celles que, dans les circonstances de l’espèce, un investisseur privé rationnel se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle dudit État membre aurait fait établir, avant de procéder audit investissement, aux fins de déterminer la rentabilité future d’un tel investissement.

85. En revanche, des évaluations économiques établies après l’octroi dudit avantage, le constat rétrospectif de la rentabilité effective de l’investissement réalisé par l’État membre concerné ou des justifications ultérieures du choix du procédé effectivement retenu ne sauraient suffire à établir que cet État membre a pris, préalablement ou simultanément à cet octroi, une telle décision en sa qualité d’actionnaire (voir, en ce sens, arrêt France/Commission, précité, points 71 et 72).

86. Si l’État membre concerné fait parvenir à la Commission des éléments de la nature requise, il appartient à cette dernière d’effectuer une appréciation globale prenant en compte, outre les éléments fournis par cet État membre, tout autre élément pertinent en l’espèce lui permettant de déterminer si la mesure en cause ressortit à la qualité d’actionnaire ou à celle de puissance publique dudit État membre. En particulier, peuvent être pertinents à cet égard, ainsi que l’a jugé le Tribunal au point 229 de l’arrêt attaqué, la nature et l’objet de cette mesure, le contexte dans lequel elle s’inscrit, ainsi que l’objectif poursuivi et les règles auxquelles ladite mesure est soumise.

87. Par conséquent, dans les circonstances de l’espèce, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé que l’objectif poursuivi par l’État français pouvait être pris en compte, dans le cadre de l’appréciation globale requise, afin de déterminer si ledit État avait bien agi en qualité d’actionnaire et si, dès lors, le critère de l’investisseur privé était applicable en l’espèce.

88. Quant à la question de savoir si l’applicabilité du critère de l’investisseur privé pouvait être écartée, en l’occurrence, sur la seule base de la nature fiscale des moyens employés par l’État français, il convient de rappeler que l’article 87, paragraphe 1, CE prévoit que sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées, sous quelque forme que ce soit, au moyen de ressources d’État qui, en fonction de leurs effets, faussent ou menacent de fausser la concurrence (voir arrêt du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, précité, point 25 et jurisprudence citée).

89. En outre, il a été relevé au point 78 du présent arrêt que l’application du critère de l’investisseur privé vise à déterminer si l’avantage économique accordé, sous quelque forme que ce soit, au moyen de ressources de l’État à une entreprise publique est, en raison de ses effets, de nature à fausser ou à menacer de fausser la concurrence et à affecter les échanges entre États membres.

90. Ainsi, cette disposition et ce critère visent à prévenir que, au moyen de ressources de l’État, l’entreprise publique bénéficiaire dispose d’une situation financière plus favorable que celle de ses concurrents (voir, en ce sens, arrêts du 15 mars 1994, Banco Exterior de España, C‑387/92, Rec. p. I–877, point 14, et du 19 mai 1999, Italie/Commission, précité, point 16).

91. Or, la situation financière de l’entreprise publique bénéficiaire dépend non pas de la forme de la mise à disposition de cet avantage, quelle qu’en soit la nature, mais du montant dont elle bénéficie en définitive. C’est donc sans erreur de droit que le Tribunal a concentré son analyse de l’applicabilité du critère de l’investisseur privé sur l’amélioration de la situation financière d’EDF en vue de l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence et sur les effets de la mesure en cause sur la concurrence et non sur la nature fiscale des moyens employés par l’État français.

92. Partant, il résulte de tout ce qui précède que, eu égard aux objectifs poursuivis par l’article 87, paragraphe 1, CE ainsi que par le critère de l’investisseur privé, un avantage économique, même accordé par des moyens de nature fiscale, doit être apprécié, notamment, au regard du critère de l’investisseur privé, s’il apparaît au terme de l’appréciation globale le cas échéant requise que l’État membre concerné a néanmoins, malgré l’emploi de tels moyens relevant de la puissance publique, accordé ledit avantage en sa qualité d’actionnaire de l’entreprise lui appartenant.

93. Il s’ensuit que le constat effectué par le Tribunal au point 250 de l’arrêt attaqué, selon lequel l’obligation pour la Commission de vérifier si les capitaux ont été apportés par l’État dans des circonstances qui correspondent aux conditions normales du marché existe indépendamment de la forme sous laquelle les capitaux ont été apportés par l’État, n’est entaché d’aucune erreur de droit.

94. S’agissant de l’argument de la Commission, de l’Autorité de surveillance AELE et d’Iberdrola selon lequel un investisseur privé n’aurait pas pu réaliser un investissement, tel que celui auquel a procédé l’État français, dans des conditions comparables, dès lors qu’il aurait dû payer l’impôt et que seul ledit État en tant qu’autorité fiscale pouvait encore disposer des sommes correspondant à cet impôt, il y a lieu de relever, d’une part, que, au titre de l’opération comptable en cause, c’est l’entreprise privée se trouvant dans la situation d’EDF, et non son actionnaire, qui aurait dû payer ledit impôt.

95. En l’occurrence, l’application du critère de l’investisseur privé aurait donc permis de déterminer si un actionnaire privé aurait apporté, à des conditions similaires, un montant égal à l’impôt dû, dans une entreprise se trouvant dans une situation comparable à celle d’EDF.

96. D’autre part, ainsi que l’a relevé le Tribunal aux points 275 et 276 de l’arrêt attaqué, une éventuelle différence entre le coût supporté par un investisseur privé et celui qui est à la charge de l’État investisseur ne s’opposerait pas à l’application du critère de l’investisseur privé. En effet, ce critère permet précisément d’établir, notamment, l’existence d’une telle différence et d’en tenir compte lors de l’appréciation de la question de savoir si les conditions fixées par ledit critère sont remplies.

97. Il s’ensuit que, contrairement à ce que prétendent la Commission, l’Autorité de surveillance AELE et Iberdrola, l’analyse à laquelle s’est livré le Tribunal ne méconnaît pas l’égalité de traitement entre entreprises publiques et privées, n’engendre pas de distorsions de concurrence et ne va pas à l’encontre de l’objectif poursuivi par l’application du critère de l’investisseur privé.

98. Dès lors, en considérant que le critère de l’investisseur privé peut être applicable même dans le cas où des moyens de nature fiscale ont été employés, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit.

99. Il convient d’ajouter que, par l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a préjugé ni de l’applicabilité, en l’espèce, de ce critère ni, ainsi qu’il l’a relevé au point 283 de cet arrêt, du résultat de l’éventuelle application dudit critère.

100. En particulier, en se bornant à vérifier si l’applicabilité du critère de l’investisseur privé pouvait être écartée sur la seule base de la nature fiscale des moyens employés par l’État français, le Tribunal n’a nullement adopté une analyse qui reviendrait à autoriser les États membres à prendre en compte, lors de l’application de ce critère, les bénéfices et les obligations liés à leur qualité de puissance publique ou des éléments subjectifs et sujets à manipulation.

101. Quant à la question de savoir si, en l’espèce, il était nécessaire de définir un investisseur de référence, il convient de relever que la jurisprudence sur laquelle s’appuient à cet égard la Commission, l’Autorité de surveillance AELE et Iberdrola vise l’absence de toute possibilité de comparer la situation d’une entreprise publique avec celle d’une entreprise privée n’opérant pas dans un secteur réservé (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2003, Chronopost e.a./Ufex e.a., C‑83/01 P, C‑93/01 P et C‑94/01 P, Rec. p. I–6993, point 38).

102. Or, la Commission, l’Autorité de surveillance AELE et Iberdrola ne soutiennent pas qu’il est impossible de comparer la situation d’EDF avec celle d’une entreprise privée opérant dans des secteurs d’activité identiques à ceux d’EDF. De surcroît, il ressort de cette même jurisprudence que, aux fins d’une telle comparaison, il y a lieu d’effectuer une appréciation par référence aux éléments objectifs et vérifiables qui sont disponibles.

103. En outre, contrairement à ce que prétendent la Commission et l’Autorité de surveillance AELE, le critère de l’investisseur privé ne constitue pas une exception ne s’appliquant que sur la demande d’un État membre, lorsque les éléments constitutifs de la notion d’aide d’État incompatible avec le marché commun, figurant à l’article 87, paragraphe 1, CE, sont réunis. En effet, il ressort du point 78 du présent arrêt que ce critère, lorsqu’il est applicable, figure parmi les éléments que la Commission est tenue de prendre en compte pour établir l’existence d’une telle aide.

104. Par conséquent, lorsqu’il apparaît que le critère de l’investisseur privé pourrait être applicable, il incombe à la Commission de demander à l’État membre concerné de lui fournir toutes les informations pertinentes lui permettant de vérifier si les conditions d’applicabilité et d’application de ce critère sont remplies et elle ne peut refuser d’examiner de telles informations que si les éléments de preuve produits ont été établis postérieurement à l’adoption de la décision d’effectuer l’investissement en question.

105. En effet, il a déjà été relevé aux points 83 à 85 du présent arrêt que sont seuls pertinents, aux fins de l’application du critère de l’investisseur privé, les éléments disponibles et les évolutions prévisibles au moment où la décision de procéder à l’investissement a été prise. Il en va ainsi, en particulier, lorsque, comme en l’espèce, la Commission examine l’existence d’une aide d’État par rapport à un investissement qui ne lui a pas été notifié et qui a déjà été réalisé par l’État membre concerné au moment où elle effectue son examen.

106. Eu égard à tout ce qui précède, le second moyen doit être écarté.

Sur le premier moyen, tiré d’une dénaturation des faits

107. La Commission estime, en substance, que le Tribunal a dénaturé des éléments de preuve en considérant que la République française a procédé, par la mesure litigieuse, à la conversion d’une créance fiscale en capital. En effet, selon la Commission, la République française a accordé à EDF, par cette mesure, une exonération d’impôt sur les sociétés. Or, la Commission fait valoir que, en cas d’exonération fiscale, le critère de l’investisseur privé n’est pas pertinent.

108. Toutefois, il a été constaté dans le cadre de l’appréciation du second moyen que, lorsqu’un État membre confère un avantage économique à une entreprise lui appartenant, le caractère fiscal du procédé employé aux fins de l’octroi dudit avantage n’est pas de nature à écarter d’emblée l’applicabilité du critère de l’investisseur privé. Il en résulte, a fortiori, que le procédé précis choisi par l’État membre concerné est dénué de pertinence aux fins de l’appréciation de l’applicabilité dudit critère.

109. Dans ces conditions, la prétendue dénaturation des faits commise par le Tribunal, à la supposer établie, ne serait pas, en tout état de cause, de nature à affecter le bien-fondé de l’arrêt attaqué. Il s’ensuit que le premier moyen doit être écarté comme inopérant.

110. Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de rejeter le pourvoi. »

J.      Sur la décision d’extension

51      À la suite de l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, la Commission a adopté la décision d’extension.

52      Il convient d’avoir plus particulièrement égard aux points 58 à 73 de la décision d’extension, dans lesquels la Commission examine, d’une part, l’applicabilité du critère de l’investisseur privé et, d’autre part, et à titre subsidiaire, l’application de ce même critère à la mesure en cause.

53      S’agissant de l’applicabilité du critère, la Commission conclut :

« 66.      Il résulte de ce qui précède que, à ce stade, et sous réserve des précisions que devront apporter les autorités françaises quant aux règles applicables en matière de préaffectation d’une ressource fiscale au profit d’un investissement en dotation au capital d’une entreprise telle qu’EDF en 1997, ainsi que d’autres éléments objectifs et vérifiables attestant de leur volonté de procéder à un investissement au moyen de la mesure fiscale en cause, l’appréciation globale des faits de l’espèce semble indiquer que cette mesure ressortit à la qualité de puissance publique de la République française, écartant par là l’applicabilité du principe de l’investisseur privé, selon les critères indiqués par la [Cour]. »

54      Quant à l’application du critère, la Commission conclut :

« 71.      [À défaut d’éléments tels que ceux requis par l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P], il n’est […] pas établi à ce stade qu’un actionnaire privé aurait apporté, à des conditions similaires, un montant égal à l’impôt dû, dans une entreprise se trouvant dans une situation comparable à celle d’EDF. Dès lors, en 1997, le non-paiement par EDF [de 888,89 millions d’euros] d’impôt sur les sociétés apparaît non pas comme un investissement productif de la part de l’État actionnaire, mais plutôt comme une mesure dérogatoire de nature purement fiscale susceptible d’avoir procuré un avantage économique à EDF.

72.      Un tel avantage renforcerait nécessairement la position d’EDF par rapport à celle de ses concurrents, dès lors que le montant de fonds propres détermine, parmi d’autres facteurs, la capacité de financement externe d’une entreprise. Il crée donc une distorsion de concurrence au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE. L’avantage serait nécessairement sélectif, puisque le non-paiement de l’impôt sur les sociétés sur une partie de ces provisions comptables constitue une exception au traitement fiscal normalement applicable à une telle opération et, en l’espèce, cette exception s’appliquait à la seule entreprise EDF. »

K.      Sur la décision attaquée

55      Par la décision attaquée, la Commission a déclaré la mesure d’aide dont avait bénéficié EDF incompatible avec le marché intérieur et exigé la récupération de cette aide augmentée des intérêts.

56      Les motifs que la Commission retient à cet égard dans la décision attaquée sont les suivants.

57      Premièrement, la Commission expose, aux considérants 62 à 108 de la décision attaquée, les arguments avancés par la République française et par EDF au cours de la procédure formelle d’examen étendue à la suite de la décision d’extension.

58      Deuxièmement, après avoir rappelé la teneur de la mesure litigieuse aux considérants 113 à 123 de la décision attaquée, la Commission considère que la renonciation à percevoir l’impôt lors du reclassement des droits du concédant en capital constitue prima facie un avantage sélectif en faveur d’EDF.

59      Troisièmement, la Commission rappelle, au considérant 124 de la décision attaquée, l’argumentation de la République française, présentée par celle-ci dans ses observations du 11 décembre 2002, selon laquelle la renonciation à percevoir l’impôt s’apparenterait à une dotation complémentaire en capital d’un montant identique à celui qui était dû au titre de l’impôt.

60      Quatrièmement, la Commission rappelle que, au point 99 de l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, la Cour a considéré que le Tribunal n’avait préjugé ni de l’applicabilité, en l’espèce, du critère investisseur privé avisé en économie de marché, ni du résultat de l’éventuelle application de ce critère à la mesure litigieuse.

61      Cinquièmement, la Commission examine ensuite, aux considérants 126 à 153 de la décision attaquée, l’applicabilité du critère de l’investisseur privé à la lumière des précisions apportées par la Cour à cet égard dans l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P. Elle analyse, à cette fin, les éléments se rapportant à la prétendue décision d’investissement, les évaluations économiques qui auraient été réalisées dans le but de déterminer la rentabilité dudit investissement, la nature et l’objet de la mesure litigieuse ainsi que le contexte dans lequel cette dernière décision s’inscrit et les règles auxquelles celle-ci est soumise.

62      La Commission conclut cette analyse en considérant ce qui suit :

« 154. La très grande majorité des éléments qui précèdent indiquent clairement que la [République française] n’a pas pris, préalablement ou simultanément à l’octroi de l’avantage économique résultant du non-paiement de l’impôt sur les sociétés, la décision de procéder, par l’exonération d’impôt, à un investissement dans EDF. De ce fait, le principe de l’investisseur privé avisé en économie de marché n’apparaît pas applicable à cette mesure. Les considérations qui suivent, relatives à l’application du principe de l’investisseur privé avisé en économie de marché, présentent donc un caractère subsidiaire. »

63      La Commission examine ensuite, à titre subsidiaire, aux considérants 155 à 193 de la décision attaquée, si le critère de l’investisseur privé, à le supposer applicable, est rempli en l’espèce.

64      La Commission conclut cette analyse en considérant ce qui suit :

« 191. Quand bien même le principe de l’investisseur privé avisé en économie de marché serait applicable, au regard des pièces transmises par les autorités françaises qui ont éclairé, selon elles, les perspectives de rentabilité et les risques attachés au prétendu investissement sous forme d’exonération d’impôt, l’application du test du principe de l’investisseur privé en économie de marché permet de conclure qu’un investisseur privé avisé n’aurait pas investi un montant égal à l’impôt dû dans l’augmentation de capital d’EDF en 1997.

192. Le non-paiement par EDF de [5,88 milliards de FRF] d’impôt sur les sociétés n’apparaît pas comme un investissement productif de la part de l’État actionnaire en application du principe de l’investisseur privé avisé en économie de marché. Il apparaît plutôt comme une mesure dérogatoire d’exonération fiscale ad hoc qui a procuré un avantage économique à EDF, équivalant au montant d’impôt non payé. Un tel avantage renforce nécessairement la position d’EDF par rapport à celle de ses concurrents, dès lors que le montant de fonds propres détermine, parmi d’autres facteurs, la capacité et les conditions de financement externe d’une entreprise alors que, par ailleurs, les ressources ainsi économisées ont pu être utilisées à d’autres fins comme, notamment, l’investissement en France ou dans d’autres États membres où des concurrents exerçaient leur activité en 1997.

193. L’avantage économique crée donc une distorsion de concurrence au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. L’avantage est sélectif, puisque le non-paiement de l’impôt sur les sociétés sur une partie de ces provisions comptables constitue une exception au traitement fiscal normalement applicable à une telle opération et, en l’espèce, cette exception a été appliquée à la seule entreprise EDF. »

65      Après avoir conclu à l’utilisation de ressources étatiques (considérants 194 et 195 de la décision attaquée), à l’existence d’une distorsion de concurrence et à l’affectation des échanges entre États membres (considérants 196 à 206 de ladite décision) et l’incompatibilité de l’aide avec le marché intérieur (considérants 207 à 215 de cette décision), la Commission déclare que la mesure litigieuse constitue une aide incompatible avec le marché intérieur et en ordonne la récupération.

II.    Procédure et conclusions des parties

66      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 décembre 2015, EDF a introduit le présent recours.

67      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 avril 2016, la République française a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions d’EDF. Par décision du 24 mai 2016, le président de la troisième chambre du Tribunal a admis cette intervention. L’intervenante a déposé son mémoire et les parties principales ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

68      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal, le juge rapporteur a été affecté à la troisième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

69      La clôture de la phase écrite de la procédure a été signifiée aux parties le 26 septembre 2016. Aucune demande de fixation d’une audience n’a été présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de cette signification, tel que prescrit par l’article 106, paragraphe 2, du règlement de procédure.

70      Par décision signifiée aux parties le 19 mai 2017, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, a décidé, en l’absence de demande des parties à cet égard, de statuer sans ouvrir la phase orale de la procédure, conformément à l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure.

71      Par acte adressé au greffe du Tribunal le 19 mai 2017, la requérante a sollicité la tenue d’une audience, en raison de l’importance que l’affaire revêtait pour elle et en particulier ses conséquences financières.

72      Par acte signifié le 12 juin 2017, il a été constaté que le délai pour le dépôt de la demande d’une audience de plaidoiries a expiré le 31 octobre 2016 et que cette demande était dès lors introduite en dehors du délai prévu par l’article 106 du règlement de procédure, la requérante n’ayant pas invoqué de circonstances visant à faire constater un cas fortuit ou un cas de force majeure conformément à l’article 45 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne s’appliquant aux délais légaux tel que celui en cause.

73      Le 20 septembre 2017, la Cour de justice a prononcé l’arrêt Commission/Frucona Košice, C‑300/16 P, (EU:C:2017:706) ci-après « l’arrêt Frucona Košice »), rejetant le pourvoi introduit contre l’arrêt du 16 mars 2016, Frucona Košice/Commission (T‑103/14, EU:T:2016:152).

74      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 3 octobre 2017, la requérante a demandé qu’un débat oral ou écrit puisse intervenir entre parties sur les conséquences de l’arrêt Frucona Košice, sur la présente affaire.

75      Par décision du 12 octobre 2017, le Tribunal a décidé de rouvrir la procédure écrite, de verser la demande de la requérante au dossier et a invité les parties à présenter leurs observations écrites sur les conséquences qu’elles estimaient devoir être tirées de l’arrêt Frucona Košice sur la présente affaire.

76      Les parties ont déféré à cette demande dans les délais requis.

77      Le 9 novembre 2017, le président de la troisième chambre a décidé de clôturer la phase écrite de la procédure. Cette décision a été signifiée aux parties avec la précision que cette signification ne faisait pas courir le délai pour le dépôt d’une demande d’audience de plaidoiries prévu par l’article 106 du règlement de procédure.

78      EDF, soutenue par la République française, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler les articles 1er à 5 de la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler les articles 1er à 3 de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

79      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner EDF aux dépens et condamner la République française aux dépens consécutifs à son intervention.

III. En droit

80      EDF avance quatre moyens à titre principal et deux moyens à titre subsidiaire à l’appui du recours.

81      Le premier moyen avancé à titre principal est tiré de la violation de l’article 266 TFUE, en ce que la Commission a méconnu tant le dispositif de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04 que les motifs qui le sous-tendent.

82      Le deuxième moyen avancé à titre principal est tiré de la violation de l’article 107 TFUE, en ce que la Commission a erré tant en droit qu’en fait lors de l’examen de l’applicabilité du critère de l’investisseur privé.

83      Le troisième moyen avancé à titre principal est pris de la violation de l’article 107 TFUE, en ce que la Commission a erré tant en droit qu’en fait lors de l’examen de l’application du critère de l’investisseur privé.

84      Le quatrième moyen avancé à titre principal est tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée.

85      Le premier moyen avancé à titre subsidiaire est tiré, d’une part, de ce que les mesures en cause, à supposer qu’elles puissent être qualifiées d’aides, doivent, pour la plupart, être considérées comme étant des aides existantes, en application de l’article 1er, sous b), v), du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO 1999, L 83, p. 1), dans la mesure où elles ont été mises en œuvre avant la libéralisation effective du secteur de l’électricité et, d’autre part, que, pour la majeure partie d’entre elles, elles doivent être considérées comme prescrites, au sens de l’article 15, paragraphe 1, dudit règlement.

86      Par le deuxième moyen avancé à titre subsidiaire, EDF soutient que, en tout état de cause, la décision attaquée comporte plusieurs erreurs de calcul qui entachent la validité de celle-ci.

87      La République française estime que les moyens d’EDF sont fondés,mais n’a présenté d’observations qu’en ce qui concernait les trois premiers moyens avancés à titre principal.

A.      Sur le premier moyen avancé à titre principal

1.      Arguments des parties

88      EDF, soutenue par la République française, avance que la Commission a violé l’article 266 TFUE en ne s’étant pas conformée à l’arrêt dans l’affaire T‑156/04 dans la mesure où, d’une part, celle-ci considère, dans la décision attaquée, que la décision d’ouverture n’est pas entachée d’irrégularité et que celle-ci peut, dès lors, constituer la base d’une nouvelle décision, alors que, selon elle, la décision d’ouverture repose sur une présentation des faits inexacte qui a précisément conduit le Tribunal à annuler la décision finale, laquelle était fondée sur cette même présentation erronée des faits. La décision attaquée serait ainsi viciée par les mêmes erreurs et inexactitudes matérielles que celles qui ont justifié l’annulation de la décision finale.

89      D’autre part, selon EDF, la Commission persiste à fonder son analyse, dans la décision attaquée, sur une mesure, à savoir un cadeau fiscal résultant d’un allégement fiscal indu dont elle aurait bénéficié, alors que cette présentation des faits a expressément été écartée par le Tribunal dans son arrêt dans l’affaire T‑156/04.

90      Selon EDF, la Commission continue en effet, y compris dans le mémoire en défense, à dissocier la mesure effectivement mise en œuvre, c’est-à-dire l’augmentation de son capital résultant de l’inscription des provisions pour renouvellement au poste « Dotations en capital », de l’une de ses incidences fiscales, à savoir l’absence d’imposition des « droits du concédant », alors que le Tribunal a rejeté cette approche, en qualifiant la lettre du 22 décembre 1997 de document explicatif de la mesure mise en œuvre, laquelle était, selon celui-ci, la recapitalisation de l’entreprise effectuée par la loi no 97-1026. Elle estime en effet que le Tribunal n’a jamais opéré de distinction, au sein de la mesure de recapitalisation, entre la nature et le traitement des différentes composantes des provisions pour renouvellement.

91      EDF considère que le raisonnement de la Commission repose ainsi sur une confusion entre la qualification de la mesure litigieuse, à savoir l’existence ou non d’une aide d’État, et l’identification de celle-ci. Selon elle, le Tribunal ne s’est en effet pas prononcé sur la qualification de la mesure litigieuse au regard de l’applicabilité ou de l’application du critère de l’investisseur privé, mais il a, au contraire, identifié avec précision ladite mesure. Or, une telle constatation factuelle constitue non seulement un préalable indispensable à toute analyse juridique ultérieure, mais, avant tout, une prérogative du Tribunal, juge souverain des faits. En conséquence, manquerait en fait l’argumentation de la Commission selon laquelle le Tribunal n’a pas qualifié définitivement les faits.

92      EDF précise qu’il y a lieu d’examiner, à cet égard, dans quelle mesure la description des faits qui figure dans la décision attaquée est différente de celle retenue par le Tribunal, puis si les constatations factuelles effectuées par ce dernier sont un motif constituant le soutien nécessaire de l’annulation de la décision initiale prononcée par celui-ci en 2009.

93      Selon EDF, le Tribunal a identifié la mesure en cause comme étant sa recapitalisation opérée par la loi no 97-1026 sans opérer de distinction entre les provisions qui ont été reclassées en dotation en capital alors que la Commission persiste à ne considérer que l’absence d’imposition d’une partie desdites provisions. Elle en déduit que, s’il est exact que la Commission a « tenu compte » de la recapitalisation opérée par ladite loi, c’est en tant que simple élément de contexte et non en tant que constitutive par elle-même de la mesure en cause.

94      Or, la critique de l’identification partielle de la mesure en cause par la Commission constituerait le point de départ et la condition même du raisonnement suivi par le Tribunal et qui aurait conduit à l’annulation de la décision initiale. Par conséquent, l’identification de la mesure constituerait bien un point de droit effectivement et nécessairement tranché par le Tribunal ainsi que, partant, un motif qui constituerait le soutien nécessaire du dispositif de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04.

95      La Commission conteste cette argumentation.

2.      Appréciation du Tribunal

96      Il convient de rappeler, s’agissant de l’autorité de la chose jugée, que la Cour a jugé que, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importait que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause (arrêt du 19 avril 2012, Artegodan/Commission, C‑221/10 P, EU:C:2012:216, point 86).

97      En outre, d’une part, l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision juridictionnelle en cause. D’autre part, cette autorité ne s’attache pas qu’au dispositif de cette décision, mais s’étend aux motifs de celle-ci qui constituent le soutien nécessaire de son dispositif et en sont, de ce fait, indissociables (arrêt du 19 avril 2012, Artegodan/Commission, C‑221/10 P, EU:C:2012:216, point 87).

98      La portée de l’autorité de la chose jugée par l’arrêt dans l’affaire T‑156/04 doit ainsi être déterminée à la lumière de l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P à la suite du pourvoi introduit par la Commission à l’encontre de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04 (voir, en ce sens, arrêt du 19 avril 2012, Artegodan/Commission, C‑221/10 P, EU:C:2012:216, point 88).

99      En l’espèce, il y a lieu de rappeler, premièrement, que, aux paragraphes 50 et 51 de la décision d’ouverture, la Commission a considéré ce qui suit :

« 50. […] il y a lieu d’établir une distinction entre les provisions déjà utilisées et les provisions non utilisées, qui s’élevaient respectivement à 18 345 millions de FRF et à 38 521 millions [de FRF] fin 1997.

51. Sur le montant total des provisions utilisées, 14 119 millions de FRF ont été reclassés au poste du bilan “Dotations en capital”, le solde de 4 226 millions de FRF étant inscrit à divers comptes de réévaluation. Étant donné que la requalification n’a pas transité par le compte de profits et pertes et que les augmentations de capital ne sont pas considérées comme constituant une augmentation du patrimoine net de la société aux fins du calcul de l’impôt sur les sociétés, cette requalification a consolidé l’allégement fiscal dont bénéficiait EDF sur ces provisions.

Selon les autorités françaises, l’avantage dont EDF a bénéficié en termes d’allégement fiscal peut être estimé à 5 883 millions de FRF [14 119 × 41,67 %]. »

100    Deuxièmement, aux considérants 91 et 99 de la décision initiale, la Commission a estimé que « […] les droits du concédant auraient dû être imposés en même temps et au même taux que les autres provisions comptables créées en franchise d’impôt », que « cela signifie que les 14,119 milliards de FRF de droits du concédant auraient dû être additionnés aux 38,5 milliards de FRF de provisions non utilisées pour être imposés au taux de 41,66 % appliqué à la restructuration du bilan d’EDF par les autorités françaises », que, « en ne payant pas la totalité de l’impôt sur les sociétés dû lors de la restructuration de son bilan, EDF a économisé 888,89 millions d’euros », et que « le non-paiement par EDF, en 1997, de 888,89 millions d’euros d’impôt constitu[ait] donc un avantage pour le groupe. »

101    La Commission a conclu, au terme de son examen, que « le non-paiement par EDF, en 1997, de l’impôt sur les sociétés sur la partie des provisions créées en franchise d’impôt pour le renouvellement du RAG, correspondant aux 14,119 milliards de [FRF] de droits du concédant reclassés en dotations en capital, constitu[ait] une aide d’État incompatible avec le marché commun » (article 3 de la décision initiale).

102    Troisièmement, dans l’arrêt dans l’affaire T‑156/04, le Tribunal a précisé que :

« 111. […] tant dans la décision d’ouverture que dans la décision attaquée, la Commission a examiné le traitement fiscal des droits du concédant lors de la restructuration du bilan d’EDF opérée par la loi no 97-1026 (ci-après la “mesure litigieuse”) et que, partant, à cet égard, le cadre d’examen [était] le même dans ces deux décisions. »

103    Dans l’arrêt dans l’affaire T‑156/04, le Tribunal a ensuite jugé que :

« 253. Eu égard à la nécessité d’apprécier la mesure litigieuse dans son contexte, la Commission ne pouvait, par conséquent, se limiter à examiner les incidences fiscales des dispositions adoptées par la République française sans examiner, simultanément – et, éventuellement, écarter au terme de cet examen – le bien-fondé de l’argumentation de la République française selon laquelle la renonciation à la créance d’impôt dans le cadre de l’opération de restructuration du bilan et d’augmentation du capital d’EDF, qui constituait l’objet de l’article 4 de la loi no 97‑1026, pouvait être considérée comme étant une opération satisfaisant au critère de l’investisseur privé. »

104    Il y a lieu de constater que la mesure litigieuse telle que déterminée par le Tribunal porte sur le « traitement fiscal des droits du concédant lors de la restructuration du bilan d’EDF » et que le Tribunal a sanctionné la Commission pour avoir écarté tout examen du critère de l’investisseur privé en raison du seul caractère fiscal de cette mesure qui, selon elle, avait été prise par la République française en sa qualité de puissance publique et pour avoir omis d’examiner cette mesure dans le contexte dans lequel elle s’inscrivait, à savoir la recapitalisation d’EDF, afin d’apprécier si le critère de l’investisseur privé était applicable en l’espèce, sans que le caractère fiscal de la mesure s’oppose, par principe, à ce que ce critère puisse être invoqué par l’État.

105    Quatrièmement, il convient, d’une part, d’avoir égard aux points 16, 19, 21 et 35 de l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P (voir point 50 ci-dessus), qui rappellent la teneur de l’avantage tel qu’identifié par la Commission et par le Tribunal, et, d’autre part, de rappeler que la Cour a jugé, au point 99 dudit arrêt que, par l’arrêt dans l’affaire T‑156/04, le Tribunal n’avait préjugé en l’espèce ni de l’applicabilité du critère de l’investisseur privé ni du résultat de l’éventuelle application dudit critère.

106    Contrairement à ce qu’affirme EDF, il ne saurait être inféré de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04, lu à la lumière, notamment, des points 87, 92, 93, 98 à 100 et 108 de l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P (rappelés au point 50 ci-dessus), que la mesure qu’il convenait d’examiner serait en réalité non la renonciation à percevoir l’impôt sur les droits du concédant, mais « la recapitalisation d’EDF opérée par la loi no 97-1026 sans opérer de distinction entre les provisions qui ont été reclassées en dotation en capital » (point 9 de la requête et points 7 et 17 de la réplique) ou « […] une mesure de recapitalisation d’une entreprise dont l’État est actionnaire » qui « par nature, [aurait été considérée comme par le Tribunal comme tendant] à démontrer que “l’État poursuivait un objectif d’investissement susceptible d’être comparé à celui d’un investisseur privé” » (point 86 de la requête).

107    C’est par conséquent sans commettre d’erreur, ni violer l’autorité de la chose jugée par l’arrêt dans l’affaire T‑156/04 que, après avoir repris la procédure administrative, la Commission a examiné, dans la décision attaquée, l’applicabilité du critère de l’investisseur privé à la mesure par laquelle la République française a renoncé à percevoir l’impôt lors du reclassement des droits du concédant en dotation en capital (points 117 et 188 et article 1er de la décision attaquée), mesure qui, ainsi que le rappelle la Commission, a en outre été clairement et indubitablement identifiée comme étant la mesure litigieuse par la République française dans la note du 9 avril 2002 qu’elle a adressée à la Commission (voir point 27 ci-dessus).

108    Il y a dès lors lieu de rejeter le présent moyen.

B.      Sur le deuxième moyen avancé à titre principal

109    Le deuxième moyen avancé à titre principal par EDF, par lequel celle-ci fait valoir en substance que c’est à tort que la Commission a considéré que le critère de l’investisseur privé n’était pas applicable en l’espèce, se subdivise en cinq branches.

110    À l’appui de la première branche, EDF fait valoir que, lorsque la Commission a apprécié l’applicabilité du critère de l’investisseur privé, celle-ci a, sans justification, omis de prendre en considération de nombreux documents et pièces qui lui avaient été communiqués.

111    La seconde branche est tirée de ce que la Commission, en méconnaissance de l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, a systématiquement confondu les éléments relevant de l’applicabilité du critère de l’investisseur privé et ceux relevant de l’application de ce critère.

112    EDF soutient, par la troisième branche, que la Commission a, à tort, exclu l’applicabilité du critère de l’investisseur privé au motif que la République française avait notamment pris en compte des considérations relevant de sa qualité d’autorité publique aux côtés de considérations relevant de sa qualité d’actionnaire.

113    À l’appui de la quatrième branche, EDF avance que c’est à tort que la Commission a considéré qu’il existait une obligation de disposer d’un plan d’affaires formel pour justifier l’applicabilité du critère de l’investisseur privé.

114    Enfin, au soutien d’une cinquième branche, EDF fait valoir que, si elle n’avait pas commis ces diverses erreurs de droit et de fait, la Commission n’aurait pu que conclure à l’applicabilité du critère de l’investisseur privé, eu égard à la nature et à l’objet de cette mesure, au contexte dans lequel elle s’inscrivait ainsi qu’à l’objectif poursuivi et aux règles auxquelles ladite mesure était soumise.

1.      Rappel de la décision attaquée

115    Après avoir rappelé la teneur de la mesure litigieuse aux considérants 113 à 123 de la décision attaquée, la Commission a examiné, aux considérants 126 à 154 de celle-ci, l’applicabilité du critère de l’investisseur privé à cette mesure dans les termes suivants :

« 126. Pour déterminer l’applicabilité éventuelle du principe de l’investisseur privé avisé en économie de marché, il convient d’établir, dans le cadre d’une appréciation globale, si l’exonération d’impôt a été accordée par la République française en qualité d’actionnaire ou en qualité de puissance publique. La Cour précise dans son arrêt du 5 juin 2012 plusieurs éléments à prendre en compte dans cette appréciation globale. Ces éléments, plus amplement examinés ci-après par rapport aux circonstances de l’espèce, sont les suivants :

il incombe à l’État membre, en cas de doute, d’établir sans équivoque et sur la base d’éléments objectifs et vérifiables que la mesure mise en œuvre ressortit à sa qualité d’actionnaire ; ces éléments doivent faire apparaître clairement que l’État membre concerné a pris, préalablement ou simultanément à l’octroi de l’avantage économique, la décision de procéder, par la mesure effectivement mise en œuvre, à un investissement dans l’entreprise publique contrôlée ;

peuvent notamment être requis, à cet égard, des éléments faisant apparaître que la décision se fonde sur des évaluations économiques comparables à celles que, dans les circonstances de l’espèce, un investisseur privé avisé en économie de marché se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle dudit État membre aurait fait établir, avant de procéder audit investissement, aux fins de déterminer la rentabilité future d’un tel investissement ; la Commission peut refuser d’examiner des éléments de preuve établis postérieurement à l’adoption de la décision d’effectuer l’investissement en question ;

peuvent être pertinents à cet égard la nature et l’objet de la mesure, le contexte dans lequel elle s’inscrit, ainsi que l’objectif et les règles auxquelles ladite mesure est soumise ;

l’application du critère de l’investisseur privé avisé en économie de marché doit permettre de déterminer si un actionnaire privé aurait apporté, à des conditions similaires, un montant égal à l’impôt dû, dans une entreprise se trouvant dans une situation comparable à EDF.

127. Dans leurs observations du 11 décembre 2002 mentionnées au considérant 42, les autorités françaises affirmaient qu’il aurait été jugé plus efficace et neutre pour EDF d’affecter directement les droits du concédant en fonds propres pour leur montant total, sans payer l’impôt sur les sociétés. Pourtant, aucun des documents préalables ou contemporains de la prétendue décision de ne pas prélever l’impôt, transmis par la [République française] ou par EDF à l’appui de leurs observations à la décision d’extension de la procédure, ne mentionne directement ou indirectement la prétendue décision d’investissement, ses conséquences, avantages et inconvénients ou la décision analogue d’accroître le montant des dotations au capital par le non-prélèvement de l’impôt. Les documents transmis par les autorités françaises et mentionnés aux considérants 87 à 108 ne mentionnent pas et, a fortiori, n’analysent pas, les avantages et inconvénients pour l’État de la décision de ne pas prélever l’impôt sur les sociétés sur la partie des provisions des droits du concédant reclassée en dotation en capital d’EDF en vertu de la loi no 97-1026 du 10 novembre 1997.

128. Il incombe à la [République française], en cas de doutes sur l’applicabilité du principe de l’investisseur privé avisé en économie de marché tels que ceux formulés par la Commission, d’établir sans équivoque et sur la base d’éléments objectifs et vérifiables que la mesure mise en œuvre ressortit à sa qualité d’actionnaire. Or, au vu des éléments fournis, il apparaît que la décision de procéder à un investissement en renonçant à prélever l’impôt dû en principe par EDF doit être réputée avoir été prise tacitement, sans acte juridique motivé qui permette de connaître ou de vérifier le contenu précis de cette décision, les raisons et la base juridique qui la fondent et par quelle autorité compétente et à quelle date elle a été prise. Au regard des éléments mis en avant par la Cour pour vérifier l’applicabilité du principe de l’investisseur privé avisé en économie de marché, à savoir, notamment, la nécessité de disposer d’éléments objectifs et vérifiables, une mesure effectivement mise en œuvre ou des évaluations économiques préalables, l’absence de références ou preuves matérielles doit être vue comme une première indication de la non-applicabilité de ce principe.

129. En l’absence de documents retraçant la décision alléguée, il convient de décrire l’éventuelle mesure d’investissement qu’aurait mise en œuvre l’État français. En l’espèce, la Cour a estimé que le critère de l’investisseur privé avisé en économie de marché doit permettre de déterminer si un actionnaire privé aurait apporté, à des conditions similaires, [5,88 milliards de FRF], dans une entreprise se trouvant dans une situation comparable à EDF. Un investissement par la [République française] impliquerait le renoncement à l’encaissement de ce montant en vue de l’obtention d’un profit qui dépasse les ressources initialement employées. C’est donc par rapport au montant de l’impôt sur les sociétés dû qu’il convient d’effectuer l’analyse.

130. À cet égard, l’absence d’études, références ou analyses spécifiques de la profitabilité de l’investissement pour le montant d’exonération d’impôt constitue une difficulté pour isoler les effets de l’investissement allégué dans les informations transmises par la [République française] ou par EDF. Cette difficulté n’est pas insurmontable dès lors qu’il est considéré, pour les besoins de l’analyse dans la plupart des facteurs pertinents pour vérifier l’applicabilité et l’application du principe de l’investisseur privé avisé en économie de marché, que le surcroît d’apport au capital d’EDF pour le montant d’impôt non prélevé bénéficiait des droits attachés à l’ensemble des dotations. Ainsi, si les dotations étaient rémunérées à un certain taux, ce taux devait être et a dans les faits été appliqué au montant d’impôt non prélevé. En revanche dans les cas où c’est l’effet marginal ou incrémental qui est retenu, les informations transmises par la [République française] ou par EDF ne permettent pas d’illustrer à première vue l’effet d’avoir accru le montant des dotations à due concurrence du montant d’impôt non prélevé.

131. Le non prélèvement de l’impôt a eu pour effet d’accroître la dotation au capital d’EDF et, par conséquent, les fonds propres d’EDF à hauteur de [5,88 milliards de FRF] supplémentaires, dans le montant total de [14,119 milliards de FRF] des provisions requalifiées. Ces provisions, qui ne correspondaient pas à un apport d’argent frais préalable de l’État actionnaire, ont été requalifiées en dotations au capital, passant vers le poste correspondant du haut de bilan d’EDF, parmi les autres capitaux propres (capital, dotations etc. – Tableau 2). Sans l’exonération d’impôt, les fonds propres d’EDF qui devaient atteindre [79,8 milliards de FRF] en 1997, auraient atteint FRF 72,1 milliards, d’après les documents examinés à l’époque (considérant 100, Tableau 2). Au lieu de [50,7 milliards de FRF], les dotations de l’État au capital d’EDF se seraient établies à [44,8 milliards de FRF].

Prétendue décision d’investissement : éléments d’analyse

132. Premièrement, comme le soulignent les autorités françaises, puisque l’intégration du montant de l’impôt non payé accroissait l’assiette des dotations et que celle-ci était rémunérée à un taux fixe (3 %), la valeur absolue de la rémunération de l’État a été augmentée par l’exonération ou le non-prélèvement d’impôt (considérant 83). Toutefois, l’accroissement de la dotation au capital correspondant à l’exonération fiscale ne s’est pas traduit par une augmentation relative de la rémunération de l’État. Il est constant à cet égard que la rémunération des dotations de l’État au capital d’EDF est prévue depuis le décret no 56-1360 du 30 décembre 1956 (considérants 18 et 103). Des rémunérations, par ailleurs différentes, ont ainsi été prévues dans les contrats d’entreprise qui ont précédé et suivi celui en vigueur pour la période 1997-2000, comme il est montré aux considérants 93 et 102. Le principe d’une rémunération préexistait [à] la prétendue décision et a été maintenu après celle-ci.

133. En outre, l’examen des faits montre que l’exonération d’impôt en cause a pu avoir pour effet de réduire la rémunération de l’investissement de l’État. Le rapport établi par l’Assemblée nationale en septembre 1997 montre sans ambiguïté que l’augmentation du montant total de la dotation est à l’origine d’une réduction de la rémunération de celle-ci afin de ne pas « alourdir le prélèvement sur EDF » (considérant 103). Le rapport du Sénat corrobore cette réduction voulue par les pouvoirs publics (considérant 108).

134. Entre 1991 et 1996, EDF a mieux rémunéré l’État pour une assiette inférieure de dotations au capital par rapport à ce qui était envisagé entre 1997 et 2000 pour une assiette supérieure. La rémunération moyenne annuelle en valeur absolue de [3,41 milliards de FRF] pour la période 1991-1996 où le montant des dotations était de [36,6 milliards de FRF] a été bien plus importante que celle de [2,35 milliards de FRF] qui était prévue pour une assiette élargie à [50,7 milliards de FRF] pendant la période 1997-2000 (considérants 92 et 102-103, tableau 3). Il s’ensuit que le rendement marginal courant de l’accroissement du montant de la dotation au capital à hauteur de [5,88 milliards de FRF] espéré pour la période 1997-2000 par l’État actionnaire pouvait donc être analysé comme étant négatif au regard de la période 1991-1996.

135. En effet, les autorités françaises ont fait en sorte que la rémunération absolue et relative versée à l’État français au titre de la dotation au capital soit d’autant moins élevée en valeur absolue et en valeur relative que l’assiette de la dotation s’élargissait, comme le montrent sans ambiguïté les rapports établis par l’Assemblée nationale et le Sénat. Il s’ensuit qu’en accroissant le montant de la dotation totale moins bien rémunérée que la dotation existant avant la loi no 97‑1026, la décision d’octroyer une exonération d’impôt n’apparaît pas nécessairement constitutive d’un investissement.

136. Deuxièmement, la manière d’envisager et de fixer la rémunération de l’augmentation des dotations au capital n’est pas celle qu’aurait pu retenir un investisseur privé avisé en économie de marché.

137. En effet, comme le montrent les références tant dans les lettres des ministres de tutelle que dans les rapports parlementaires mentionnés aux considérants 97, 103 et 106, dans l’examen en 1997 de la rémunération de l’État français après la restructuration du bilan d’EDF, les autorités françaises ont pris en compte à la fois, la rémunération des dotations au capital échéant à l’État actionnaire stricto sensu et le montant espéré d’impôt que l’État percevrait à partir de 1997 après plusieurs années de reports fiscaux négatifs échéant à l’État agissant comme puissance publique dans le prélèvement de l’impôt. Comme il est montré au considérant 93, la rémunération des dotations était, à son tour, déductible de l’impôt sur les sociétés, par dérogation au droit commun.

138. Le concept examiné et validé par les autorités françaises en 1997 était donc celui du prélèvement global sur EDF, impôt et rémunération de l’actionnaire cumulés. Le montant de l’impôt global perçu sur EDF, même par-delà l’exonération litigieuse, qui relève des prérogatives fiscales, et la rémunération versée à l’État en tant qu’actionnaire s’enchevêtrent dans les pièces transmises par les autorités françaises. Pourtant, selon elles, ces pièces démontrent l’existence d’une décision d’investissement. Au contraire, cette prise en considération constante du paiement des impôts dus par EDF à l’État percepteur, y compris par la régularisation et apurement de l’impôt non perçu avant la loi no 97-1026 aux fins d’examiner et fixer la rémunération de l’État actionnaire tend à indiquer que c’est par l’État agissant en tant que puissance publique et non en tant qu’investisseur, que l’exonération d’impôt litigieuse a été consentie.

139. Cette indication est par ailleurs renforcée par la nature des objectifs fixés à EDF par l’État en 1997 en considération de préoccupations et objectifs de puissance publique, et non d’actionnaire. Ces préoccupations sont manifestes dans la fixation de tarifs d’EDF, telle que convenue dans le contrat d’entreprise pour la période 1997-2000, dont dépendait la rémunération de l’État actionnaire. En effet, l’État demandait à EDF de contribuer au renforcement de la compétitivité de l’industrie française et celui du pouvoir d’achat des ménages français. Ce sont autant de considérations non seulement étrangères à celles qu’aurait retenues un investisseur privé avisé en économie de marché, mais, de plus, contraires aux intérêts financiers de cet investisseur hypothétique. Il en va de même de l’objectif fixé à EDF dans le contrat d’entreprise 1997-2000 de mettre en œuvre une politique ambitieuse pour soutenir l’activité économique et l’emploi en se mettant au service des collectivités locales (considérants 89 et 95).

Évaluations économiques aux fins de déterminer la rentabilité de l’investissement prétendu

140. Le contrat d’entreprise entre l’État et EDF signé le 8 avril 1997 comportait des évaluations préalables du scenario financier, dans lesquelles s’inséraient des prévisions de retour sur l’investissement en dotations au capital d’EDF pour l’État actionnaire (considérant 92). Ces documents et les analyses mis en avant par les autorités françaises se rapportent aux effets attendus du reclassement de toutes les provisions constituées par EDF, qu’elles aient été imposées ou non, qu’elles aient résulté de la mise en œuvre de la loi no 97-1026 ou non. La seule évaluation systématique présentée par les autorités françaises contenue dans la note d’EDF du 18 février 1997 (considérant 92) est générale et limitée à la rémunération réglementaire appliquée aux dotations en capital, y compris celles antérieures à la restructuration du bilan d’EDF, sans inclure, par exemple, la rémunération du capital hors dotations ou la rémunération des fonds propres.

141. Aucun document transmis par la [République française] ou par EDF ne montre que la décision d’investissement prétendument prise, à savoir fournir une plus grande dotation en capital à EDF en ne prélevant pas d’impôt sur le reclassement, aurait fait l’objet d’examen, d’études ou d’analyses spécifiques. Pourtant, compte tenu des montants en cause, un investisseur privé avisé en économie de marché aurait vraisemblablement fait établir une analyse financière et économique d’investissement avant de décider si, compte tenu de la rentabilité réglementaire des dotations au capital, le montant de [5,88 milliards de FRF] de l’exonération d’impôt était nécessaire pour que l’entreprise assure la rentabilité à long terme de son investissement total et pour que l’actionnaire soit suffisamment rémunéré dans ce but. Ce genre d’étude économique préalable, que la Cour cite au point 84 de son arrêt parmi les éléments permettant de conclure favorablement à l’applicabilité du principe de l’investisseur privé avisé en économie de marché, fait défaut.

142. Il est particulièrement remarquable de constater qu’au-delà de la rémunération qui serait octroyée à l’État sur la période 1997-2000, aucune étude de rémunération ni de rendement à plus long terme n’a été effectuée, alors même que la [République française] prétend précisément avoir fait un investissement à long terme. Or, un investisseur privé avisé en économie de marché n’aurait pas omis de procéder à une analyse de rentabilité d’un investissement pour la période postérieure à l’an 2000.

143. S’il est raisonnable de penser qu’un investisseur privé avisé en économie de marché aurait pris en compte les effets de la réduction du taux d’endettement d’EDF, il y a lieu de constater que l’avantage pour EDF d’emprunter à moindre coût en raison d’un ratio endettement sur fonds propres amélioré est évoqué en des termes généraux dans certains documents produits par la [République française] (considérants 101 et 105) et par EDF. Toutefois, aucun élément n’évoque les avantages et la rentabilité pour l’État actionnaire d’une diminution du coût d’emprunt d’EDF ou d’un ratio d’endettement plus bas. D’après les quantifications d’époque présentées au considérant 101, le ratio dette nette sur fonds propres d’EDF devait atteindre 148 % avec la nouvelle dotation au capital dans son intégralité, qui s’établissait à [50,7 milliards de FRF], en ce compris les [5,88 milliards de FRF] d’exonération litigieuse. Sans l’exonération d’impôt, ce ratio aurait été d’environ 163 %, soit environ trois fois moindre que le ratio de 480 % avant la loi no 97-1026. Considérée isolément des autres effets du reclassement des diverses provisions, la contribution de l’exonération d’impôt à l’amélioration de ce ratio est peu significative et sa traduction concrète en termes de diminution du coût d’emprunt pour EDF, très douteuse (considérants 170 à 172). En tout état de cause, les documents présentés par les autorités françaises ne mentionnent, ni n’analysent comme un investissement ni la rémunération pour l’actionnaire résultant d’un ratio de 148 % ni, a fortiori, celle résultant d’un ratio de 163 %. Il n’y a, sur ce point, aucune évaluation économique préalable comparable à celles qu’un investisseur privé avisé en économie de marché aurait fait établir, telle que mentionnée par la Cour au point 84 de son arrêt.

144. À cet égard, l’étude économique présentée par EDF à l’appui de ses observations (considérants 69 et 70) n’établit pas que la [République française] ait agi en tant qu’investisseur et non en tant que puissance publique. L’étude a été établie postérieurement à la prétendue décision d’investissement prise en 1997 et n’a pas été examinée par les autorités compétentes pour prendre une telle décision. Pour ce motif seul, l’étude n’est pas recevable en tant que preuve, conformément aux indications de la Cour (considérant 126, point 104 de l’arrêt du 5 juin). Que l’étude soit effectuée à partir de données de base authentiques disponibles à l’époque n’est pas de nature à invalider cette conclusion. L’étude a été commandée pour les besoins de la cause à la suite de l’extension de la procédure en mai 2013 et les conclusions auxquelles elle aboutirait étaient apparemment connues par EDF en juillet 2013, alors que l’étude date d’octobre 2013. Des raisons additionnelles rendent par ailleurs non valides les résultats chiffrés auxquels aboutit l’étude et, partant, privent de fondement les conclusions qu’EDF en tire à l’appui de ses observations, à savoir :

l’étude est nourrie par des données de base presque toutes d’époque et applique des approches méthodologiques généralement reconnues dans l’évaluation de la valeur d’entreprises, sous les importantes réserves formulées ci-[après]. Pour autant, elle n’en constitue pas moins une évaluation économique particulièrement complexe, après une recherche de données relativement approfondie, ayant requis trois mois environ pour sa réalisation et validation. Cette élaboration comporte des choix méthodologiques successifs et multiples et parfois contestables. Sans cette élaboration, il est tout à fait impossible, à partir des données de base, éparpillées et de provenances diverses, d’avoir une idée sommaire ou une prévision possible des résultats quantifiés quant à la rentabilité que pouvait prétendument attendre l’État français en 1997, que l’étude présente. Or, la Cour requiert que l’application du principe de l’investisseur privé avisé en économie de marché s’appuie sur les évaluations prévisibles au moment où la décision a été prise (point 105 de l’arrêt du 5 juin 2012). Contrairement aux prétentions d’EDF, le fait même qu’à partir de données disponibles en 1996-1997, les services compétents de l’État français n’aient ni effectué eux-mêmes ni commandé une étude de cette ampleur et de cette complexité fournit une indication que la seule rentabilité pour l’actionnaire de l’investissement prétendu n’était pas la considération pertinente pour les autorités françaises avant de prendre leur décision ;

l’étude analyse le comportement de l’État français au regard du principe de l’investisseur privé avisé en économie de marché avec des informations et hypothèses très différentes de celles présentées aux considérants 87 à 108 et qui, selon les autorités françaises, ont motivé et justifié la décision prétendument prise. Or, ce n’est pas EDF qui a pris la décision d’investissement et, selon la Cour (points 82 et 83 de son arrêt du 5 juin 2012), c’est à la [République française] qu’il incombe de mettre en avant les éléments qui font apparaître la nature et le contexte de la décision prise. Puisque la [République française] allègue que c’est au regard des informations et données qu’elle a présentées qu’elle a pris sa décision, l’étude et, dès lors EDF, se substituent de fait à l’investisseur allégué et prétendent connaître mieux que l’État français les considérations et informations qui auraient effectivement motivé la décision déjà prise et les hypothèses qu’il aurait retenues. De ce fait, l’étude se nourrit de spéculations et conjectures sur les données, informations et hypothèses que les autorités françaises auraient pu prendre en considération – parmi d’autres qui ne peuvent être exclues – en 1997, et n’a donc pas de force probatoire en 2015 (ou en octobre 2013, quand elle a été effectuée) pour expliquer et éclairer la décision effectivement prise par les autorités françaises en 1997, que ces autorités expliquent par des données et hypothèses différentes ;

cette valeur probatoire est d’autant plus absente que, pour aboutir aux résultats présentés au considérant 70, l’étude s’appuie sur des hypothèses soit arbitraires ou hasardeuses, soit non corroborées par les faits, soit contraires aux informations qui se dégagent des pièces transmises par les autorités françaises et qui, selon elles, illustrent l’applicabilité et l’application positive en l’espèce du principe de l’investisseur privé avisé en économie de marché. Ainsi, premièrement, l’étude conjecture que, après 2000, la rémunération servie à l’État actionnaire ne serait pas régie par décret et traduite par un contrat d’entreprise entre l’État et EDF, mais serait fixée par référence aux dividendes que d’autres entreprises du secteur versaient en 1996-1997. Or la rémunération des dotations au capital d’EDF était régie par décret depuis 1956 (considérant 102) et elle a été fixée réglementairement et reflétée dans des contrats d’entreprise pluriannuels avant et bien après 1997, en fonction de considérations sans rapport avec les dividendes que versaient des entreprises du secteur opérant dans d’autres marchés que la [République française] (considérants 94 et 95). De même, deuxièmement, l’étude réintroduit sans justification dans le compte de résultat d’EDF des provisions provenant des comptes sociaux d’EDF pour un montant de [11,6 milliards de FRF] (hors impôt) et 7,3 milliards [de FRF] (après impôt) en accroissant artificiellement d’autant la valeur d’EDF, sans tenir compte des informations disponibles et évolutions prévisibles en 1997 quant au poids des engagements d’EDF sur le régime de retraite de son personnel (considérants 168 et 169) ;

aussi, troisièmement, la croissance de la valeur d’EDF résultant de la croissance des retours et résultats est-elle calculée dans l’étude à partir des « expectatives de marché » en 1997. Or, les autorités françaises disposaient des projections de revenus et résultats spécifiques et chiffrés pour EDF pour 1997 à 2000, validées dans le cadre de l’élaboration du contrat d’entreprise pour la même période et disent s’être appuyées sur ces projections et informations pour prendre leur décision (considérants 78, 79, 90, 94 et 96), tout en ayant, en 1997, une connaissance fine de l’entreprise et de ses perspectives financières (considérant 77). Le recours à des « expectatives de marché » provenant de tiers pour fixer in fine une estimation de la valeur d’EDF dans ces conditions n’est ni avéré ni cohérent par rapport aux arguments qu’avance la [République française] pour expliquer et étayer la décision que ses autorités auraient prétendument prise. Ce[la] d’autant moins que les autorités françaises mettent en avant que l’activité prépondérante d’EDF s’effectuait en France à des tarifs réglementés en 1997 (considérant 85). Par ailleurs, ces tarifs étaient fixés à un niveau bas en vue du renforcement de la compétitivité de l’industrie française et du pouvoir d’achat des ménages français (considérants 89 et 95). L’étude est en défaut d’expliquer, et encore plus de justifier valablement, pourquoi la rémunération, les dividendes et résultats d’entreprises constituées en sociétés anonymes cotées qui n’avaient pas de présence significative en France et opéraient dans des marchés aux contraintes concurrentielles et réglementaires différentes ([par exemple] Endesa, Gas Natural et Union Fenosa en Espagne-, RWE, EON et Verbund en Allemagne- Fluxys en Belgique, etc.), pouvait déterminer les résultats, la rémunération et les dividendes d’EDF, ce qui figure parmi les hypothèses dont dépendent les résultats présentés au considérant 70 ;

enfin, quatrièmement, l’étude postule sans aucune justification qu’un accroissement de la dotation au capital d’EDF en 1997 équivalait à l’acquisition d’un actif financier liquide, au moins potentiellement. Pourtant, EDF était en 1997 un établissement public industriel et commercial, non doté de capital social (considérant 19), dont les autorités françaises et EDF affirmaient à l’époque qu’il garderait le même statut à l’avenir (considérants 95 et 105). Le caractère hasardeux de ce postulat dont dépendent pourtant crucialement les résultats de l’étude est démontré plus amplement dans les considérants 179 à 181.

Nature et objet de la mesure, contexte dans lequel elle s’inscrit et règles auxquelles la mesure est soumise

145. La Cour souligne que la nature de la mesure prise fait partie des éléments pertinents à prendre en considération pour conclure favorablement à l’applicabilité du principe de l’investisseur privé avisé en économie de marché (point 86 de l’arrêt). La décision d’apporter un montant supplémentaire de dotation en capital à EDF en ne prélevant pas d’impôt sur le reclassement des provisions irrégulières afférentes au RAG est à la fois une décision de nature comptable de réaffectation entre postes du bilan d’EDF (considérants 100 et 105) et une décision de nature fiscale, puisque les autorités compétentes estiment que l’impôt sur les sociétés devait être prélevé avant le reclassement (considérant 35), alors même que l’impôt a été payé sur d’autres provisions comptables reclassées. Il n’est donc pas établi, contrairement aux prétentions des autorités françaises, que ces deux volets comptable et fiscal soient indissociablement liés dans une mesure unique mise en place par la loi no 97-1026, du 10 novembre 1997.

146. L’article 4, paragraphe 2, de la loi prévoyait que la contre-valeur des biens en nature mis en concession du RAG figurant au passif du bilan d’EDF devait être inscrite, nette des écarts de réévaluation correspondants, au poste « Dotations en capital » (considérant 28). Il pourrait en être déduit que la loi prévoyait que, hormis d’éventuels écarts d’évaluation, aucun retraitement comptable ou fiscal ne devait amputer le montant de la contre-valeur à inscrire comme dotation au capital d’EDF. Toutefois, la décision de prélever ou non l’impôt sur EDF n’est pas du domaine de la loi en vertu de l’article 34 de la Constitution de la [République française] et la loi no 97-1026 ne pouvait pas statuer valablement sur cette question. Cet article limite les compétences législatives du Parlement en matière fiscale à la fixation de l’assiette, du taux et des modalités de recouvrement des impositions de toutes natures. Ainsi, EDF a acquitté l’impôt des sociétés pour certaines provisions comptables, mais pas pour d’autres à la suite de la même opération de reclassement opérée par la loi.

147. Les documents préparatoires transmis par les autorités françaises mentionnés dans le considérant 104 montrent d’ailleurs que le Conseil d’État était d’avis en 1997 que les dispositions de nature non législative devaient être écartées du texte du projet de loi ; en outre, un projet d’amendement au projet de loi du gouvernement visant à limiter les prélèvements que l’État pourrait effectuer sur EDF en vertu de la loi a lui aussi été écarté. Enfin, les ministres responsables considéraient en avril 1997 que les modalités détaillées de mise en œuvre de la restructuration d’EDF sur le plan comptable et sur le plan fiscal devaient faire l’objet d’échanges supplémentaires entre les autorités de tutelle et l’entreprise (considérant 98).

148. Les éléments, précisés et quantifiés dans la [lettre du 22 décembre 1997], après l’adoption de la loi (considérant 31), indiquent que les aspects fiscaux de mise en œuvre sont dissociables des dispositions de la loi no 97-1026 du 10 novembre 1997. Ces ministres, dans leur lettre adressée à EDF, expliquent la restructuration du haut du bilan d’EDF, en application de l’article 4 de la loi no 97‑1026 du 10 novembre 1997 et semblent décider tacitement des conséquences fiscales de cette restructuration, sans qu’il soit question d’un quelconque investissement rentable[,] ni de dispositions impératives dans la loi.

149. Pour ce qui est du contexte de la mesure, que la Cour met en avant comme élément pertinent parmi d’autres pour apprécier l’éventuelle applicabilité du principe de l’investisseur privé avisé en économie de marché, les réunions préparatoires et les documents d’appui pour la période qui ont mené au contrat d’entreprise entre l’État et EDF signé le 8 avril 1997 montrent que le reclassement des provisions s’inscrivait dans le contexte de la perspective de la libéralisation partielle des marchés de l’électricité dans l’Union, fixée dès 1996. Aussi, le souci d’internationaliser davantage les activités d’EDF est-il présent dans le contrat d’entreprise 1997-2000 et les documents préparatoires, tout comme dans les documents parlementaires. Le contrat d’entreprise lui-même présuppose que, pour être exécuté, une mesure législative de régularisation comme celle prévue par la loi no 97-1026 est nécessaire, établissant par là une continuité de fait entre les objectifs du contrat et ceux du législateur. Toutefois, ni le contrat conclu en avril 1997, ni les documents préparatoires et échanges avec les autorités de tutelle d’EDF ne prennent position sur le montant d’impôt précis.

150. Ce contexte, retracé par les éléments exposés par la [République française] dans ses observations, ne permet toutefois pas d’établir avec certitude que la mesure relève d’un comportement d’actionnaire effectuant un investissement. En effet, la nécessité de remédier aux irrégularités constatées par la Cour des comptes [française] en octobre 1994 fait aussi partie de ce contexte. Alors que, d’un côté, il s’agissait de remédier à une irrégularité comptable qui avait permis à EDF de ne pas s’acquitter de l’impôt sur les sociétés pendant des années, les autorités françaises soulignaient que le dispositif ne remettrait pas en cause le monopole d’EDF (considérant 105) et que le cadre stable permis par la libéralisation du marché devait être maintenu (considérant 95). Il est vrai que la libéralisation ouvrait des perspectives d’expansion sur des marchés nationaux d’autres États membres et que certaines actions étaient prévues dans le contrat d’entreprise 1997-2000 pour qu’EDF s’internationalise davantage. Il n’en demeure pas moins que le souci des pouvoirs publics d’avantager les entreprises nationales par des mesures de soutien financier à l’aube d’une libéralisation ne se limite pas aux entreprises publiques[,] ni ne caractérise le comportement d’actionnaire avisé d’entreprise publique.

151. Enfin, la Cour indique que l’examen des règles auxquelles la mesure litigieuse est soumise est pertinent pour en déterminer le caractère, soit d’investissement par l’État actionnaire[,] soit de prérogative de puissance publique. La classification de la mesure dans l’une ou l’autre catégorie peut donc tenir compte du respect des règles applicables qui la régissent. Il convient donc d’examiner les règles régissant l’investissement de ressources fiscales dans les entreprises telles qu’EDF. Sans la mesure en cause, le produit de l’impôt sur les sociétés non perçu aurait été versé aux recettes générales du budget de l’État français en 1997. Comme le prévoyait l’article 18 de l’ordonnance no 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, applicable à l’époque des faits, l’ensemble des recettes assurant l’exécution de l’ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses de l’État sont imputées à un compte unique, intitulé budget général. Ainsi, les recettes de l’impôt sont versées au budget et au profit de l’État, et non au profit des entreprises publiques.

152. Ce budget est soumis au principe constitutionnel d’universalité en vertu duquel l’ensemble des recettes et l’ensemble des crédits sont inscrits en deux blocs distincts, sans qu’aucune liaison particulière ne soit établie, par exemple, entre une recette d’impôt sur les sociétés et un emploi tel qu’une dotation au capital au profit d’une entreprise publique comme EDF. Certes, la préaffectation d’une ressource fiscale à une personne morale autre que l’État, à titre de subvention ou à titre d’investissement, est possible en droit français, pour autant que cette affectation fasse l’objet de dispositions expresses. L’article 18 de l’ordonnance no 59-2 prévoyait ainsi que, hormis pour les prêts et les avances notamment, l’affectation de recettes de l’État est exceptionnelle et ne peut résulter que d’une disposition de loi de finances, d’initiative gouvernementale.

153. Or, la [loi no 97-1026] n’était pas une loi de finances et ne pouvait, de ce fait, affecter une ressource d’impôt au profit du capital d’EDF. Par ailleurs, il n’apparaît pas que des dispositions spécifiques d’initiative gouvernementale en loi de finances applicable au budget de 1997 aient été adoptées pour préaffecter le produit de l’impôt dû par EDF aux dépenses de l’État français au titre d’un quelconque investissement dans le capital d’EDF dans le cadre du même budget. Cette règle qui rend possible l’investissement d’une ressource fiscale établie au profit de l’État, à une personne morale distincte de l’État telle qu’EDF, ne semble donc pas avoir été appliquée.

154. La très grande majorité des éléments qui précèdent indiqu[e] clairement que la [République française] n’a pas pris, préalablement ou simultanément à l’octroi de l’avantage économique résultant du non-paiement de l’impôt sur les sociétés, la décision de procéder, par l’exonération d’impôt, à un investissement dans EDF. De ce fait, le principe de l’investisseur privé avisé en économie de marché n’apparaît pas applicable à cette mesure. Les considérations qui suivent, relatives à l’application du principe de l’investisseur privé avisé en économie de marché présentent donc un caractère subsidiaire. »

2.      Considérations liminaires

116    Il y a lieu de rappeler que c’est sans commettre d’erreur que la Commission a considéré, en substance, aux considérants 113 et suivants de la décision attaquée, qu’il lui appartenait d’examiner si le critère de l’investisseur privé était applicable à la mesure litigieuse clairement identifiée comme étant la renonciation à l’impôt sur les droits du concédant par la République française telle que décrite dans la note du 9 avril 2002 (voir point 107 ci-dessus).

117    Il y a dès lors lieu de rejeter d’emblée les diverses allégations réitérées par EDF au soutien de son deuxième moyen suivant lesquelles la Commission aurait dû examiner non pas cette renonciation à percevoir l’impôt, mais la mesure de recapitalisation d’EDF sans opérer de distinction entre les provisions qui avaient été reclassées en dotation en capital.

3.      Sur la première branche

a)      Arguments des parties

118    À l’appui de la première branche du deuxième moyen avancé à titre principal, EDF avance en substance que, en méconnaissance de son obligation de prendre en compte l’ensemble des éléments de fait et de droit pertinents dans son analyse tant au stade de l’appréciation de l’applicabilité du critère qu’à celui de l’appréciation de son application, la Commission s’est bornée à se fonder sur les informations et éléments transmis par la République française et a ignoré ceux qu’elle lui avait elle-même communiqués, ce que la Commission justifierait par de prétendues contradictions entre les documents fournis par l’État français et ceux transmis par EDF.

119    EDF reconnaît toutefois que « la Commission a […] mentionné de façon incidente les éléments qui lui [avaient] été transmis par EDF » et renvoie à cet égard au considérant 66 de la décision attaquée qui mentionne « une quarantaine de documents d’époque qu’EDF [a] joint à ses écritures ».

120    EDF avance néanmoins qu’une quarantaine de documents contemporains sur les 53 qu’elle a communiqués à la Commission ne sont pas mentionnés dans la décision attaquée et qu’ils n’ont, par conséquent, pas été analysés, sans que la Commission explique pourquoi ils seraient contradictoires avec les documents transmis par la République française ou non pertinents.

121    Dans ces conditions, il serait incontestable que les seuls éléments ayant été examinés en l’espèce par la Commission seraient ceux transmis par la République française, ce qui démontrerait que celle-ci a volontairement refusé d’examiner les documents communiqués par EDF en violation de son obligation de diligence.

122    EDF soutient également que certains éléments révélés par certains des documents qu’elle avait communiqués à la Commission témoignent de ce que, s’ils avaient été pris en compte, celle-ci aurait été conduite à d’autres conclusions que celles qu’elle a retenues dans la décision attaquée. Elle mentionne à cet égard des éléments contenus dans la pièce no 18 (lettre d’EDF au ministre de l’Économie concernant le régime comptable et fiscal d’EDF), la pièce no 20 (mémento de la réunion du 27 octobre 1995 au ministère des Finances), la pièce no 22 (courrier adressé par EDF au ministère de l’Économie, des Finances et du Plan, contenant une annexe intitulée « Retraitement du bilan d’EDF au 31. 12. 1994 »), la pièce no 23 (courrier d’EDF adressé au ministère du Budget transmettant une annexe intitulée « Proposition de restructuration du bilan d’EDF »), la pièce no 32 (courrier du ministre de l’Économie et des Finances et du ministre de l’Industrie, de la Poste et des Télécommunications) tout en indiquant que cette pièce a été prise en considération dans ladite décision, les pièces nos 50 à 56 (avis d’agences de notation contemporains pris en considération dans l’étude Oxera de 2013) et pièce no 57 (étude intitulée « Pan-European utilities »), ces pièces étant répertoriées dans le tableau figurant au point 77 de la requête.

123    EDF ajoute que les affirmations de la Commission selon lesquelles elle aurait pris ces documents en considération sont fausses et que les deux seules pièces citées dans la décision attaquée présentées comme étant des pièces qu’elle lui avait communiquées sont en réalité des pièces également transmises par la République française.

124    EDF considère que la Commission ne peut affirmer que la seule décision d’écarter les pièces communiquées par elle constitue par elle-même la preuve d’une analyse approfondie.

125    EDF estime que les arrêts du 16 mars 2016, Frucona Košice/Commission (T‑103/14, EU:T:2016:152), et du 26 mai 2016, France et IFP Énergies nouvelles/Commission (T‑479/11 et T‑157/12, sous pourvoi, EU:T:2016:320), confortent ses allégations, suivant lesquelles, en substance, il appartient à la Commission de prendre en considération tout élément pertinent même s’il n’a pas été transmis à l’auteur de la mesure, c’est-à-dire l’État membre concerné.

126    En outre, EDF avance qu’une lecture objective et impartiale des pièces mentionnées au point 80 de la requête démontre sans ambiguïté que la mesure en cause est bien la décision de sa recapitalisation, identifiée par exemple, selon elle, par la pièce no 20 qu’elle avait communiquée à la Commission.

127    Enfin, dans le cadre des observations qu’elle a présentées à la suite de l’arrêt Frucona Košice, la requérante, soutenue par la République française, allègue que, conformément à cet arrêt, la Commission étant tenue de prendre en considération tous les éléments pertinents, quitte à aller au-delà des éléments fournis par l’État et à ignorer l’avis subjectif de l’État, elle ne pouvait par conséquent ignorer les éléments qui lui avaient été communiqués par l’État et par EDF.

128    La République française avance, au soutien de l’argumentation d’EDF, que les considérants 87 à 108 de la décision attaquée ne font que décrire les neuf documents qui ont été annexés aux observations des autorités françaises adressées à la Commission le 1er juillet 2013, mais ils n’expliquent pas les raisons pour lesquelles ces documents conduisent cette dernière à conclure que le critère de l’investisseur privé n’était pas applicable en l’espèce.

129    La République française produit un tableau (annexe 10 du mémoire en intervention) dans lequel elle fait un relevé commenté des pièces produites par elle et par EDF dont la Commission n’a pas tenu compte, alors que, selon elle, ces documents contenaient des éléments cruciaux pour l’appréciation de l’applicabilité du critère en l’espèce.

130    La République française mentionne trois exemples à cet égard.

131    Premièrement, la République française cite une lettre du 19 février 1997 du directeur financier d’EDF au chef de service des financements et des participations, service dépendant de son ministère des Finances, que la Commission ne ferait que mentionner aux considérants 88 et 91 de la décision attaquée sans la prendre en compte dans son raisonnement, alors que ce courrier démontrerait que, dans le cadre de la préparation du contrat d’entreprise 1997-2000 conclu entre l’État français et EDF le 8 avril 1997 (ci-après le « contrat d’entreprise »), ledit État avait examiné la rémunération qu’il percevrait en tant qu’actionnaire pour la période 1997-2000 en se fondant notamment sur des considérations économico-financières. Ce courrier exposerait en effet les projections qui reposent sur les hypothèses dudit contrat d’entreprise (évolution des tarifs, modalité de rémunération de l’État actionnaire, objectifs d’investissement et de désendettement).

132    Deuxièmement, la République française mentionne une note d’analyse d’EDF du 27 juillet 1996, transmise au Sénat français à la demande de celui-ci le 15 septembre 1997 et que la Commission ne fait que mentionner au considérant 88 de la décision attaquée, alors que cette note démontrerait que, lors de l’adoption de la mesure en cause, les préoccupations de l’État français étaient celles d’un actionnaire public. Cette note étudierait, en particulier, les perspectives de rémunération de l’actionnaire public au regard du bilan des entreprises européennes du secteur.

133    Troisièmement, la République française cite le courrier adressé le 26 décembre 1995 par EDF à son ministère de l’Économie, des Finances et du Plan, qui comporte une annexe intitulée « Retraitement du bilan d’EDF au 31. 12. 1994 », qui n’a pas été pris en compte par la Commission dans la décision attaquée et qui comporte des analyses comptables qui démontreraient que la restructuration du capital d’EDF et ses conséquences avaient été examinées en détail par l’État français dès 1995.

134    La Commission conteste cette argumentation.

b)      Appréciation du Tribunal

135    EDF avance, en substance, que, lors de son appréciation de l’applicabilité du critère de l’investisseur privé à la mesure litigieuse, la Commission, en violation de son devoir de diligence, n’a pas pris en considération de nombreux documents qu’elle lui avait communiqués et se serait bornée, sans autre explication, à examiner ceux que lui avait transmis la République française, alors que les éléments révélés par ces documents auraient dû la conduire à la conclusion que ledit critère était applicable.

136    Premièrement, il convient de rappeler que, si un État membre invoque le critère de l’investisseur privé au cours de la procédure administrative, il lui incombe, en cas de doute, d’établir sans équivoque et sur la base d’éléments objectifs, vérifiables et contemporains que la mesure mise en œuvre ressortit à sa qualité d’actionnaire et qu’elle est fondée sur des évaluations économiques préalables telles que requises (voir en ce sens arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, points 82, 85 et 104).

137    Deuxièmement, il convient de rappeler que l’obligation de diligence qui est inhérente au principe de bonne administration et s’applique de manière générale à l’action de l’administration de l’Union dans ses relations avec le public exige de celle-ci qu’elle agisse avec soin et prudence (arrêt du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 34).

138    Dans les cas dans lesquels les institutions de l’Union disposent d’un pouvoir d’appréciation, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figurent, notamment, l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce, le droit de l’intéressé de faire connaître son point de vue ainsi que celui de voir motiver la décision de façon suffisante. C’est seulement ainsi que la Cour et le Tribunal peuvent vérifier si les éléments de faits et de droit dont dépend l’exercice du pouvoir d’appréciation ont été réunis (arrêt du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14).

139    En outre, suivant une jurisprudence constante de la Cour relative aux principes en matière d’administration de la preuve dans le secteur des aides d’État, la Commission est tenue de conduire la procédure d’examen des mesures incriminées de manière diligente et impartiale, afin qu’elle dispose, lors de l’adoption d’une décision finale établissant l’existence et, le cas échéant, l’incompatibilité ou l’illégalité de l’aide, des éléments les plus complets et fiables possibles pour ce faire (voir arrêt du 3 avril 2014, France/Commission, C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 63 et jurisprudence citée).

140    Troisièmement, il convient également de rappeler que la légalité d’une décision en matière d’aides d’État doit être appréciée par le juge de l’Union en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l’a arrêtée (arrêts du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, point 54, et du 2 septembre 2010, Commission/Scott, C‑290/07 P, EU:C:2010:480, point 91).

141    Enfin, quatrièmement, si, dans le cadre du contrôle des aides d’État, l’État membre doit, en vertu du devoir de coopération loyale prévu à l’article 4, paragraphe 3, TUE, fournir à la Commission les éléments lui permettant de se prononcer sur la nature d’aide d’État de la mesure en cause, la Commission est tenue, en vertu de son devoir d’examen diligent et impartial, d’examiner avec soin les éléments qui lui sont fournis par l’État membre. Conformément à l’esprit de la procédure formelle d’examen, qui attribue aux intéressés le rôle de source d’information de la Commission, une telle obligation s’impose également à la Commission en ce qui concerne les informations qui lui ont été communiquées par les intéressés (voir arrêt du 25 juin 2015, SACE et Sace BT/Commission, T‑305/13, EU:T:2015:435, point 112 et jurisprudence citée).

142    En l’espèce, il est constant que la République française a invoqué le critère de l’investisseur privé dès la procédure administrative (voir considérant 95 de la décision initiale, point 31 supra). Il lui appartenait par conséquent d’établir sans équivoque et sur la base d’éléments objectifs, vérifiables et contemporains que la mesure mise en œuvre ressortissait à sa qualité d’actionnaire et qu’elle est fondée sur des évaluations économiques préalables requises (voir en ce sens arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, points 82, 85 et 104).

143    La requérante, soutenue par la République française, fait grief à la Commission, dans le cadre de cette première branche, de ne pas avoir pris en considération l’ensemble des éléments de preuve soumis par EDF à cet égard et de s’être bornée à n’examiner que tout ou partie de ceux avancés par la République française.

144    Il convient d’emblée de relever que les allégations d’EDF ont un caractère extrêmement général et sont singulièrement peu détaillées en ce qui concerne l’identification des éléments prétendument importants, dans les documents qu’elle a présentés à la Commission, que celle-ci aurait omis de prendre en considération.

145    En effet, EDF se borne à présenter, au point 77 de la requête, un tableau dans lequel elle établit une liste de 50 documents (et non 53 comme elle l’avance au point 78 de la requête) qu’elle a transmis à la Commission. Elle indique, à propos de dix d’entre eux, qu’il y est fait référence dans la décision attaquée et se limite, pour les autres, à faire valoir qu’ils ne sont pas mentionnés et qu’ils n’ont, a fortiori, pas été analysés par la Commission. Ils auraient par conséquent été écartés sans justification, alors qu’il incomberait à la Commission d’avoir égard à tous les éléments de fait et de droit pertinent.

146    Ensuite, au point 80 de la requête, EDF mentionne « certains éléments écartés sans motivation » qui, figurant dans des pièces jointes à l’annexe A-7 de la requête, auraient dû, selon elle, conduire la Commission à considérer que le critère de l’investisseur privé était applicable à la mesure litigieuse :

–        « Pièce [no ]18 : “Meilleur arbitrage entre les rôles d’actionnaire propriétaire, de régulateur et de concédant” ;

–        Pièce [no ]20 : “Capitaliser EDF en transformant les droits du concédant État et les provisions pour renouvellement associées en capital et en consolidant les dotations en capital, afin de définir une base permanente de rémunération de l’actionnaire” ;

–        Pièce [no ]22 : “Proposition d’évolution du bilan d’EDF au 31. 12. 1994, RAG en capitaux propres, retraitement des droits du concédant [de distribution publique]” ;

–        Pièce [no ]23 : “Restructuration des capitaux propres au passif du bilan” (voir point 1.1, 1.2 et 1.3) ;

–        Pièce [no ]32 : “Objectif ambitieux de rémunération de l’État” ;

–        Pièces [nos ]50-56 : rapports d’agence de notation commentant la performance et les perspectives des entreprises utilisées comme comparateurs dans l’analyse effectuée par Oxera (établi en 2013). Ces documents fournissent des éléments de contexte économique en Europe, ainsi qu’une description des mesures prises par les entreprises pour faire face à ces perspectives nouvelles. Il s’agit d’éléments importants que la Commission a ignorés sans justification.

–        Pièce [no ]57 : “Morgan Stanley, pan-European utilities” : ce document contemporain essentiel, qui expose clairement la méthodologie et les considérations qui auraient été adoptées par un investisseur privé, a été inexplicablement ignoré par la Commission ».

147    EDF en conclut que la Commission a sciemment écarté des pièces qui allaient à l’encontre de la thèse de celle-ci, et ce sans justification.

148    En premier lieu, la Commission ne saurait être tenue, au titre de son devoir de diligence, tel que rappelé au point 138 ci-dessus, de mentionner ou de prendre position pour autant, dans la décision attaquée, sur chacun des documents qui lui ont été transmis par EDF dont celle-ci reste en défaut d’établir la pertinence en ce qui concerne l’examen qu’il appartenait à la Commission d’effectuer.

149    Il ne saurait dès lors être reproché à la Commission d’avoir violé son devoir de diligence à cet égard.

150    En outre, et pour autant qu’EDF soutienne également que la Commission a manqué à son obligation de motivation, il y a lieu de rappeler que, suivant une jurisprudence constante, la portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté. La motivation doit faire apparaître de manière claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, de façon, d’une part, à permettre au juge de l’Union d’exercer son contrôle de légalité et, d’autre part, à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise, afin de pouvoir défendre leurs droits et de vérifier si la décision est ou non bien fondée. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, la Commission n’est pas tenue de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elle par les intéressés, mais il lui suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir arrêt du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, T‑228/99 et T‑233/99, EU:T:2003:57 points 278 à 280).

151    Il s’ensuit qu’il n’incombait pas non plus à la Commission, au titre de son obligation de motivation, de prendre position, dans la décision attaquée, sur chacun des documents lui ayant été transmis par EDF.

152    L’argumentation d’EDF, en tant qu’elle porte sur un éventuel défaut de motivation, ne saurait par conséquent non plus prospérer.

153    En deuxième lieu, s’agissant des pièces mentionnées par EDF au point 80 de la requête, au sujet desquelles elle invoque des « éléments » qui auraient été ignorés ou négligés par la Commission, force est de constater, d’une part, que les citations, pour le moins laconiques, dont se prévaut EDF ne se réfèrent pas à la mesure litigieuse examinée par la Commission, mais, tout au plus, à la mesure telle qu’interprétée erronément par EDF, c’est-à-dire la recapitalisation d’EDF. D’autre part, même lus dans leur intégralité, aucun des documents mentionnés n’évoque, même incidemment, la mesure litigieuse. L’argumentation de celle-ci manque donc en fait.

154    En outre, il convient de constater qu’EDF n’avance pas le moindre élément d’explication permettant de comprendre en quoi les « éléments » qu’elle invoque au point 80 de la requête seraient de nature à renverser de manière radicale, comme elle le soutient, voire même à infléchir l’analyse de l’applicabilité du critère de l’investisseur privé effectuée par la Commission.

155    En troisième lieu, il y a lieu de relever, ainsi que le fait valoir la Commission, que, même si elle ne se réfère pas de manière explicite à tous les documents cités par EDF, il n’en demeure pas moins que les éléments avancés par cette dernière et qui auraient prétendument été ignorés ont bien été pris en considération dans la décision attaquée.

156    En effet, la clarification entre les différents rôles de l’État français, actionnaire, concédant et régulateur (annexe A-7-18 de la requête) et l’objectif « ambitieux » de rémunération de l’État (annexe A-7-32 de la requête) sont évoqués au considérant 89 et au considérant 95, troisième tiret, de la décision attaquée.

157    L’opération de recapitalisation d’EDF, associant une base de rémunération de l’État actionnaire (annexe A-7-20 de la requête), les propositions d’évolution du bilan (annexe A-7-22 de la requête) ainsi que la restructuration des capitaux propres d’EDF (annexe A-7-23 de la requête ) sont décrites, dans les modalités de l’opération retenues par la République française, aux considérants 25 à 30 et 100 à 103 de la décision attaquée.

158    Les travaux effectués et les réunions tenues depuis 1995 entre EDF et ses autorités de tutelle, dont proviennent les pièces mentionnées par EDF au point 80 de la requête, sont mentionnés aux considérants 28, 89 et 90 de la décision attaquée, dans lesquels la Commission s’est attachée à leurs conclusions plutôt qu’à leur déroulement, ce qui ne saurait être critiqué.

159    Par ailleurs, s’agissant des rapports d’agence de notation pris en considération lors de la réalisation de l’étude Oxera (annexe A-7-50 à A-7-56 de la requête), rapports certes contemporains, à la différence de l’étude Oxera qui date, quant à elle, de 2013, il y a lieu de relever qu’ils ne portent pas spécifiquement sur EDF, et encore moins sur la mesure litigieuse.

160    Le premier rapport, qui émane d’une agence de notation, est intitulé « Rating methodology – European electric utilities » et porte sur une analyse à caractère général du secteur, en mutation en 1999. Il ne comporte aucune analyse propre à la situation comptable et fiscale d’EDF résultant de la structure de son bilan et des provisions pour renouvellement. Il n’y est même pas fait état d’une recapitalisation de l’entreprise, ni d’une restructuration de son bilan. Seule une page, numérotée 875 des annexes de la requête, présente de manière schématique quelques informations à caractère général sur la notation de l’entreprise.

161    Les annexes A-7-51 à A-7-55 de la requête sont constituées par cinq analyses effectuées par une agence de notation concernant respectivement d’autres entreprises qu’EDF.

162    Ces différents rapports ne sont donc d’aucune utilité pour expliquer la motivation ou même pour comprendre la mesure litigieuse proprement dite et constituent, tout au plus, des éléments de contexte sur lesquels est fondée l’étude Oxera.

163    Quant à l’étude Oxera proprement dite, établie en 2013, elle est présentée avec son évaluation au considérant 144, troisième tiret, de la décision attaquée, et elle a donc bien été prise en considération par la Commission.

164    S’agissant enfin du rapport d’une banque qui porte sur l’ensemble du secteur européen de l’énergie et non, en particulier, sur EDF (annexe A-7-57 de la requête), il y a lieu de relever que, dans le considérant 144, troisième tiret, de la décision attaquée, la Commission explique les raisons pour lesquelles elle a considéré que les dividendes versés par d’autres entreprises qu’EDF n’avaient pas servi de référence pour la rémunération versée à l’État français au titre des dotations en capital d’EDF, d’autres considérations, selon la République française elle-même, ayant en effet été examinées et ayant justifié sa décision (et renvoie, à cet égard, au considérant 87, au considérant 102, troisième tiret, au considérant 107, huitième tiret, et au considérant 161 de ladite décision).

165    Force est également de constater que les trois pièces mentionnées par la République française dans le mémoire en intervention ont également été prises en considération par la Commission.

166    Il convient en effet de constater, premièrement, que le contenu de la lettre du directeur financier d’EDF du 19 février 1997, qui porte sur « les principales hypothèses du scénario financier associé au contrat d’entreprise » est exposé aux considérants 90 et 91 de la décision attaquée. Cette lettre n’évoque à aucun moment la mesure litigieuse et les éléments qu’elle comporte ne permettent pas de conclure à l’applicabilité du critère de l’investisseur privé, ce qu’explique, au demeurant, la Commission aux considérants 132 et suivants de ladite décision.

167    Deuxièmement, la note d’analyse d’EDF du 27 juillet 1996 ne contient que des développements très généraux sur le comportement des régulateurs et la rémunération des actionnaires dans le secteur électrique à l’étranger, sans conclusion opérationnelle en ce qui concerne EDF.

168    Enfin, troisièmement, s’agissant du courrier d’EDF du 26 décembre 1995 et plus particulièrement de son annexe intitulée « Retraitement du bilan d’EDF au 31. 12. 1994 », il convient de relever ce qui suit.

169    Plusieurs documents sont annexés au courrier d’EDF du 26 décembre 1995. En premier lieu, plusieurs diagrammes représentent les positions au bilan, avant et après reclassement, des « concessions de distribution publique » (dites aussi concessions des collectivités locales), qui sont distinctes de la concession RAG, ainsi qu’en attestent les annexes A‑7‑23 et A-7-24 de la requête, qui montrent clairement le traitement distinct de ces deux types de concession, également brièvement évoqué dans le rapport Migaud, rapporteur général, au nom de la commission des finances, no 204 corrigé (ci-après le « rapport Migaud ») (annexe I-8 du mémoire en intervention). En deuxième lieu, s’agissant des mêmes concessions, figure une « comparaison du système comptable actuel et du nouveau système envisagé ». En troisième lieu, sont abordés les « financements du concédant et du concessionnaire ayant servi de base aux calculs de caducité et à la détermination de la part respective de dépréciation supportée par les deux parties », toujours au sujet desdites concessions. En quatrième lieu, est présentée une annexe intitulée « Retraitement du bilan au 31. 12. 1994 ». Cette annexe se décompose en trois sous-parties : premièrement, « un bilan détaillé retraité selon les dernières propositions d’EDF en matière de concession et de restructuration de bilan », où sont distinguées les concessions « F. H. » et les concessions de distribution publique (s’agissant du tableau illustrant cette première sous-partie, y figurent certes les modifications envisagées au passif du bilan à la suite de la modification du statut du RAG, semblables à celles intervenues en 1997, mais les incidences fiscales du reclassement des provisions utilisées ne sont en revanche pas évoquées) ; deuxièmement, « le même bilan, mais présenté de manière à mettre en évidence les retraitements afférents aux concessions [de distribution publique] » ; troisièmement, « un troisième tableau sur lequel sont isolés les postes du bilan afférents aux concessions [de distribution publique] (éléments grisés du tableau précédent) afin de mettre en évidence la logique des retraitements portant sur les concessions [de distribution publique] ». En cinquième lieu, sont présentées les « évolutions de long terme des comptes de concession [de distribution publique] du bilan d’EDF » avec certaines projections sommaires jusqu’en 2015.

170    D’une part, force est de constater que la mesure litigieuse n’est aucunement évoquée dans le courrier d’EDF du 26 décembre 1995 et de ses annexes.

171    D’autre part, il convient de constater que la Commission a pris les rares éléments pertinents qui figurent dans le courrier d’EDF du 26 décembre 1995 aux considérants 25 à 30 et 100 à 103 de la décision attaquée, laquelle mentionne en outre dans ses considérants 26, 89 et 90 l’existence de travaux et de réunions depuis 1995 entre l’État français et EDF. Ces considérants exposent de manière détaillée les aspects comptables et fiscaux de la mesure litigieuse, dont il n’est au demeurant même pas allégué qu’ils seraient erronés.

172    Enfin, il ne saurait être reproché à la Commission de s’être attachée, dans la décision attaquée, aux conclusions des différents travaux préparatoires à la loi no 97-1026 qui sont intervenus entre EDF et l’État français plutôt qu’à leur déroulement, d’autant qu’ils ne témoignent pas d’une quelconque prise en considération de la mesure litigieuse et de ses prétendus effets en terme d’investissement.

173    Pour le surplus, s’agissant du tableau figurant à l’annexe 10 du mémoire en intervention et présentant des extraits commentés de documents dont il n’aurait pas été tenu compte, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité d’un tel renvoi à un tableau figurant dans une annexe du mémoire en intervention, force est de constater qu’aucun des passages cités ou des commentaires ne se réfère à la mesure litigieuse.

174    Les extraits visés au point 173 ci-dessus se rapportent tout au plus au contexte dans lequel cette mesure a été prise, contexte dont il n’est pas allégué qu’il n’aurait pas été pris en considération par la Commission.

175    En conclusion, EDF reste en défaut d’établir que la Commission a manqué à son devoir de diligence en n’ayant pas examiné ou pris en considération les pièces qu’elle lui avait transmises, pas plus qu’elle ne démontre que la Commission a manqué à son obligation de motivation.

176    Il convient par conséquent de rejeter la première branche du deuxième moyen avancé à titre principal comme manquant partiellement en fait et comme dépourvue de tout fondement par ailleurs.

4.      Sur la deuxième branche

a)      Arguments des parties

177    À l’appui de la deuxième branche de son deuxième moyen, tirée de la confusion des éléments relevant de l’applicabilité du critère de l’investisseur privé et de ceux pertinents pour son application, EDF rappelle que la Commission a considéré que le critère de l’investisseur privé n’était pas applicable en l’espèce dans la mesure où la République française n’aurait « pas pris, préalablement ou simultanément à l’octroi de l’avantage économique résultant du non-paiement de l’impôt sur les sociétés, la décision de procéder, par l’exonération d’impôt, à un investissement dans EDF ».

178    Or, selon EDF, l’argumentation de la Commission est fondée sur diverses inexactitudes dans l’analyse des éléments de fait et de droit pertinents et méconnaîtrait les enseignements des arrêts dans les affaires T‑156/04 et C‑124/10 P.

179    Selon EDF, la Cour a jugé que la question de l’applicabilité du critère de l’investisseur privé dépendait de la qualité en laquelle l’État agissait, à savoir en qualité d’actionnaire ou de puissance publique.

180    De plus, la mesure en cause étant une mesure de recapitalisation d’une entreprise dont l’État est actionnaire, le Tribunal aurait estimé que, par nature, cette mesure tendait à démontrer que l’État poursuivait un objectif d’investissement susceptible d’être comparé à celui d’un investisseur privé.

181    La décision attaquée méconnaîtrait ainsi les enseignements de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04 s’agissant de la thèse du « cadeau fiscal » et confondrait en outre de manière quasi systématique les conditions relevant de l’applicabilité du critère et celles relatives à son application.

182    À cet égard, EDF fait valoir que les considérants 132 à 135 de la décision attaquée, relatifs à l’augmentation de la rémunération de l’État, relèvent de l’application du critère et non de son applicabilité, tout comme les considérants 140 à 144 de ladite décision, où est abordée la question de la rentabilité de l’investissement en cause.

183    EDF ajoute enfin, d’une part, que les points 82 et 84 de l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P n’ont pas la portée que leur prête la Commission et imposent de lier l’applicabilité du critère à la qualité en laquelle l’État a agi et, d’autre part, que la rentabilité de la décision d’investissement est distincte de celle de la qualité en laquelle l’État a agi et relève de l’application du test. Dès lors, la Commission, en prétendant le contraire, méconnaît l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P.

184    La République française considère pour sa part que la Commission aurait d’abord dû déterminer, de manière autonome, si la décision de recapitaliser EDF était une décision prise par l’État en tant qu’actionnaire public ou en tant que puissance publique, puis elle aurait dû examiner la question de la rentabilité, qui relève, quant à elle, de la seule application du critère.

185    La Commission considère que cette argumentation est infondée.

b)      Appréciation du Tribunal

186    EDF, soutenue par la République française, fait valoir, en substance, que la Commission aurait systématiquement confondu l’analyse requise en ce qui concerne l’applicabilité du critère de l’investisseur privé et celle concernant l’application dudit critère.

187    À cet égard, EDF fait valoir ce qui suit.

188    D’une part, EDF avance que la Cour a jugé que la question de l’applicabilité du critère de l’investisseur privé dépendait de la qualité d’actionnaire ou de puissance publique en laquelle agissait l’État. Selon elle, la mesure litigieuse étant une mesure de recapitalisation d’une entreprise dont l’État est actionnaire, le Tribunal a jugé, au point 259 de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04, que, par nature, cette mesure tendait à démontrer que l’État poursuivait un objectif d’investissement susceptible d’être comparé à celui d’un investisseur privé.

189    Cette argumentation ne saurait prospérer.

190    En effet, la mesure litigieuse n’est pas, contrairement à ce que fait valoir EDF, une mesure de recapitalisation de cette entreprise, mais la renonciation à percevoir l’impôt sur les droits du concédant (voir points 106 et 107 ci-dessus). L’argumentation en cause procède donc d’une lecture erronée des arrêts dans les affaires T‑156/04 et C‑124/10 P.

191    En outre, force est de constater que l’argumentation en cause revient en réalité à vouloir faire reconnaître qu’il résulterait des arrêts dans les affaires T‑156/04 et C‑124/10 P que, la mesure étant une mesure de recapitalisation, c’est par conséquent en sa qualité d’actionnaire que l’État aurait agi, poursuivant de la sorte un objectif d’investissement par nature comparable à celui d’un investisseur privé, ce qui aurait dû conduire la Commission à déclarer le critère applicable.

192    Or, il doit être rappelé que les arrêts dans les affaires T‑156/04 et C‑124/10 P n’ont pas préjugé de l’applicabilité du critère de l’investisseur privé.

193    Au contraire, la Cour a précisé, dans son arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, que :

« 82. […] si un État membre invoque, au cours de la procédure administrative, ledit critère, il lui incombe, en cas de doute, d’établir sans équivoque et sur la base d’éléments objectifs et vérifiables que la mesure mise en œuvre ressortit à sa qualité d’actionnaire.

83. Ces éléments doivent faire apparaître clairement que l’État membre concerné a pris, préalablement ou simultanément à l’octroi de l’avantage économique […], la décision de procéder, par la mesure effectivement mise en œuvre, à un investissement dans l’entreprise publique contrôlée. »

194    En d’autres termes, il ne suffit pas à l’État d’alléguer qu’il a pris la décision de procéder à un investissement et que la mesure ressortit à sa qualité d’actionnaire, mais il lui incombe de l’établir sans équivoque et sur la base d’éléments objectifs, vérifiables et contemporains.

195    L’argumentation en cause procède par conséquent d’une lecture erronée des arrêts dans les affaires T‑156/04 et C‑124/10 P.

196    D’autre part, EDF, soutenue par la République française, avance en substance que la Commission a erronément procédé, au titre de l’examen de l’applicabilité du critère, à une appréciation de l’augmentation de la rémunération de l’État français ainsi que la rentabilité de la mesure (qualifiée à tort par EDF d’« investissement »), ces critères relevant en effet, selon elle, de l’application du critère.

197    Or, la Cour a jugé dans son arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, que :

« 84. Peuvent notamment être requis, à cet égard, des éléments faisant apparaître que cette décision est fondée sur des évaluations économiques comparables à celles que, dans les circonstances de l’espèce, un investisseur privé rationnel se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle dudit État membre aurait fait établir, avant de procéder audit investissement, aux fins de déterminer la rentabilité future d’un tel investissement.

85. En revanche, des évaluations économiques établies après l’octroi dudit avantage, le constat rétrospectif de la rentabilité effective de l’investissement réalisé par l’État membre concerné ou des justifications ultérieures du choix du procédé effectivement retenu ne sauraient suffire à établir que cet État membre a pris, préalablement ou simultanément à cet octroi, une telle décision en sa qualité d’actionnaire (voir, en ce sens, arrêt France/Commission, précité, points 71 et 72) »

198    Il ne saurait dès lors être reproché à la Commission de s’être attachée, dès le stade de l’appréciation de l’applicabilité du critère, à la rentabilité de l’investissement allégué.

199    Il y a par conséquent lieu de rejeter dans son intégralité la deuxième branche du deuxième moyen avancé à titre principal.

5.      Sur la troisième branche

a)      Arguments des parties

200    EDF, soutenue par la République française, soutient, à l’appui de la troisième branche du deuxième moyen avancé à titre principal, que c’est à tort que la Commission a exclu que le critère de l’investisseur privé soit applicable en l’espèce au motif que la République française aurait mélangé ses qualités de puissance publique et d’investisseur, c’est-à-dire qu’elle aurait adopté la mesure sur le fondement, à la fois, de considérations relevant de sa qualité d’actionnaire et de considérations relevant de la puissance publique, ce que démontrerait, selon la Commission, l’enchevêtrement de considérations relatives à la rémunération de l’État et d’autres relatives au montant de l’impôt dû à la suite de la restructuration du bilan d’EDF dans les pièces communiquées par les autorités françaises.

201    EDF estime que cet argument repose à la fois sur des erreurs factuelles, résultant d’une lecture sélective et biaisée des pièces, et sur une erreur de droit relative à la nature même du critère de l’investisseur privé.

202    S’agissant des erreurs factuelles, EDF considère que de nombreuses pièces, et elle vise plus particulièrement les pièces nos 23 à 25 qu’elle a jointes à ses observations communiquées à la Commission en juillet 2013 (annexes A-7-23 à A-7-25 de la requête), démontrent que les incidences de la restructuration envisagée de son bilan sur l’impôt dû par elle ont été examinées en parallèle, mais de façon distincte, des conséquences sur la rémunération de l’État actionnaire, et n’atteste pas d’un quelconque enchevêtrement des considérations fiscales et d’investissement qui auraient guidé l’État.

203    S’agissant de l’erreur de droit, EDF fait valoir que, aux considérants 137 à 139 de la décision attaquée, ce qui est reproché à la République française est en réalité d’avoir examiné les incidences de la restructuration de son bilan sur la situation de l’entreprise en matière fiscale et donc sur les prélèvements d’impôts futurs, tels qu’ils pouvaient être anticipés à l’époque, en dépit du fait que, certes, elle a mené cet examen, mais en parallèle et de manière distincte avec celui des conséquences en termes de rémunération de l’État actionnaire. La République française ajoute qu’une telle approche est conforme à la jurisprudence du Tribunal (arrêt du 24 septembre 2008, Kahla/Thüringen Porzellan/Commission, T‑20/03, EU:T:2008:395).

204    L’argumentation de la Commission témoigne ainsi, selon EDF, d’une méconnaissance de la nature du critère de l’investisseur privé et aboutit à instaurer une rupture de l’égalité de traitement entre l’État et un tel investisseur. La raison d’être du critère serait en effet de permettre de faire le tri entre les décisions que l’État peut adopter en tant qu’investisseur et celles qu’il peut prendre en tant que puissance publique, mais l’applicabilité du critère ne saurait être niée au motif que les premières pourraient coexister avec les secondes. Un tel raisonnement de la Commission témoignerait, une nouvelle fois, du formalisme excessif qui lui a valu d’être sanctionnée par le Tribunal.

205    Le critère de l’investisseur privé ne pourrait être exclu que lorsque l’État n’aurait agi qu’en qualité de puissance publique, mais, lorsqu’il aurait pris en compte plusieurs facteurs dans sa décision d’investissement, le critère serait non seulement applicable, mais il serait indispensable pour faire le tri entre les facteurs de nature économique, qui seraient pertinents au regard des règles en matière d’aides d’État, et les autres, ce qu’illustrerait la communication de la Commission relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, [ TFUE] (JO 2016, C 262, p. 1).

206    Selon EDF, la seule question que la Commission aurait dû examiner est celle de savoir si un investisseur privé, placé dans une situation aussi proche que possible de celle de l’État, aurait procédé à l’investissement considéré sur le fondement de sa rentabilité attendue, sans prendre en compte les considérations fiscales que l’État a pu examiner de manière distincte, ou, en d’autres termes, de savoir si, en isolant les éléments liés à la définition de la mesure et à la qualité de son auteur (une recapitalisation décidée par l’État en sa qualité d’actionnaire) et à sa rentabilité, le critère était applicable et a été correctement appliqué.

207    EDF ajoute que la coexistence de telles considérations de puissance publique et d’investisseur n’a pas empêché la Commission d’appliquer le critère de l’investisseur privé dans sa décision C(2015) 4569 final, du 7 juillet 2015, portant sur une aide présumée en faveur d’Altrad, dans laquelle elle n’a pas refusé par principe l’applicabilité du critère, mais en a vérifié la correcte application. Selon elle, la jurisprudence fait en effet dépendre l’applicabilité dudit critère de la qualité dans laquelle l’État a adopté la mesure, mais elle n’interdit pas à l’État de procéder, en parallèle, et par une analyse distincte, à l’examen de l’ensemble des conséquences qui en découlent.

208     Selon EDF, eu égard au point 52 de l’arrêt du 24 octobre 2013, Land Burgenland e.a./Commission (C‑214/12 P, C‑215/12 P et C‑223/12 P, EU:C:2013:682), il convient de ne pas prendre en compte, dans l’application du critère de l’investisseur privé, des considérations liées à la qualité de puissance publique de l’État, mais il serait contraire au principe de l’égalité de traitement d’en déduire que ledit critère ne serait pas applicable du seul fait de l’existence de telles considérations en parallèle avec des considérations économiques. Ainsi, l’absence de prise en compte de ces considérations au stade de l’application de ce critère n’impliquerait pas la négation de leur existence au stade de l’applicabilité du même critère.

209    EDF estime en outre que l’affirmation de la Commission selon laquelle les considérations autres qu’économiques ne sont guère détachables de la mesure prise par la loi no 97-1026 ne relève que d’une pétition de principe et est contraire aux faits, puisque la recapitalisation a été mise en œuvre par ladite loi, tandis que les autres considérations (baisses des tarifs, soutien à l’emploi) figurent dans le contrat d’entreprise.

210    Enfin, dans le cadre des observations qu’elle a présentées à la suite de l’arrêt Frucona Košice, EDF, soutenue par la République française, allègue que la Cour a réaffirmé le caractère objectif de la notion d’aide d’État et a considéré que la perception subjective que l’État peut avoir de la mesure qu’il met en œuvre n’était pas pertinente. Il en résulte, selon la requérante, que, même en supposant que la République française n’ait pas effectué une distinction claire entre des considérations fiscales et des considérations d’investissement, ce qui n’est pas le cas, cette circonstance est de toute manière dénuée de pertinence pour l’analyse qu’il y avait lieu d’effectuer en l’espèce.

211    Par ailleurs, la République française estime quant à elle que divers documents qu’elle a communiqués à la Commission établissent que, lorsqu’elle a adopté la mesure en cause, elle s’est d’abord fondée sur des considérations d’actionnaire.

212    La République française se réfère, premièrement, au contrat d’entreprise, qui distingue, dans une partie intitulée « Financer équitablement les missions de service public », les modalités de financement de ces missions, ce qui montre, selon elle, la volonté de l’État français de séparer ses considérations de puissance publique de celles de sa qualité d’actionnaire.

213    Deuxièmement, la République française mentionne le « rapport Migaud », présenté par le député Migaud, le 12 septembre 1997, relatif au projet de loi no 201, dans lequel il aborde de manière distincte les considérations de puissance publique et celles d’actionnaire. Selon elle, ce rapport présente l’effet de la restructuration du bilan d’EDF sur les ratios dette brute/capitaux propres et dette nette/capitaux propres, puis compare ces ratios, avec et sans restructuration, à ceux des principaux concurrents européens d’EDF, faisant ressortir le niveau d’endettement disproportionné d’EDF par rapport au niveau de ses capitaux propres, en comparaison avec celui de ses concurrents européens. Ce rapport témoignerait ainsi de ce que l’État français s’est d’abord fondé sur des considérations d’actionnaire.

214    La République française cite ensuite la lettre adressée le 4 avril 1995 à EDF par les directeurs de cabinet de ministres de l’Économie, de l’Industrie, des Postes et Télécommunications et du Commerce extérieur, et du Budget, relative à un programme de travail sur les concessions (annexe A-7-17 de la requête, ci-après la « lettre du 4 avril 1995 »), laquelle n’aurait pas été prise en compte par la Commission et démontrerait que l’une des préoccupations de l’État français, lors de l’adoption de la mesure en cause, était de savoir si elle était conforme aux intérêts de l’État actionnaire. Selon elle, il s’agissait en effet notamment d’identifier « le cas échéant les modifications qu’il conviendrait d’apporter au dispositif existant pour protéger au mieux les intérêts de l’État actionnaire dans la perspective éventuelle d’une ouverture des monopoles ». Elle indique que, dans cette perspective, elle a demandé à EDF de lui fournir des analyses économiques.

215    Enfin, la République française renvoie au courrier d’EDF du 31 octobre 1995 (annexe A-7-23 de la requête, ci-après la « lettre du 31 octobre 1995 ») adressé au ministre du Budget, transmettant notamment une annexe intitulée « Proposition de restructuration du bilan d’EDF », qui démontrerait que l’État français recherchait avant tout une véritable rentabilité d’EDF et une amélioration de l’image financière de l’entreprise.

216    La Commission conteste ces allégations.

b)      Appréciation du Tribunal

217    En substance, EDF soutient que la Commission, en excluant l’applicabilité du critère de l’investisseur privé au motif que la République française aurait adopté la mesure sur le fondement, à la fois, de considérations relevant de sa qualité d’actionnaire et de considérations relevant de la puissance publique, aurait commis à la fois une erreur de droit et méconnu les faits et diverses pièces qui lui avaient été soumises.

1)      Sur l’erreur de droit alléguée

218    EDF fait valoir, d’une part, que la République française a, certes, examiné les incidences sur les prélèvements d’impôts futurs de la restructuration du bilan de l’entreprise, mais elle a mené cet examen en parallèle et de manière distincte avec celui des conséquences de cette opération en termes de rémunération de l’État français. D’autre part, elle estime que la Commission aurait dû se borner à examiner si un investisseur privé aurait procédé, au regard de sa rentabilité, à un investissement comparable, sans prendre en compte les considérations fiscales qui ont pu être examinées par ledit État de manière distincte, en isolant les éléments liés à la définition de la mesure et à la qualité de son auteur, c’est-à-dire en l’occurrence une recapitalisation décidée par cet État en sa qualité d’actionnaire. Le critère serait en effet là pour permettre de faire le partage entre les décisions que l’État peut adopter en tant qu’investisseur et celles qu’il peut adopter en tant que puissance publique, sans que l’éventuelle coexistence des deux types de considération puisse conduire à nier son applicabilité. En outre, selon EDF, il découle de la jurisprudence que la perception subjective que pourrait avoir l’État de la mesure qu’il met en œuvre n’est pas pertinente et il en résulte que, même en supposant que la République française n’ait pas effectué une distinction claire entre des considérations fiscales et des considérations d’investissement, ce qui n’est pas le cas, cette circonstance est de toute manière dénuée de pertinence pour l’analyse qu’il y avait lieu d’effectuer en l’espèce.

219    Il convient, à titre liminaire, de rappeler que la mesure litigieuse est constituée par la renonciation, par la République française, à imposer les droits du concédant, c’est-à-dire les provisions pour renouvellement utilisées par EDF, lors de leur reclassement en capital.

220    La République française a allégué, au cours de la procédure administrative, que l’impôt auquel elle avait renoncé constituait une dotation complémentaire en capital, qu’elle avait de la sorte agi en qualité d’actionnaire d’EDF et qu’il y avait par conséquent lieu d’appliquer le critère de l’investisseur privé.

221    Premièrement, eu égard aux points 80 et 81 de l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, rappelés au point 50 ci-dessus, il convient de distinguer l’État actionnaire de l’État puissance publique, l’applicabilité du critère de l’investisseur privé dépendant de ce que l’avantage accordé à une entreprise l’ait été par l’État en sa qualité d’actionnaire et non en sa qualité de puissance publique.

222    Dans cette mesure, conformément aux points 82 et 83 de l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, la République française ayant invoqué, au cours de la procédure administrative, le critère de l’investisseur privé, il lui incombait par conséquent d’établir sans équivoque et sur la base d’éléments objectifs et vérifiables que la mesure mise en œuvre ressortissait à sa qualité d’actionnaire, ces éléments devant faire apparaître clairement qu’elle avait pris, préalablement ou simultanément à l’octroi de l’avantage, c’est-à-dire en l’espèce la renonciation à percevoir l’impôt lors du reclassement des droits du concédant en dotation en capital, la décision de procéder, par cette mesure, à un investissement dans EDF.

223    De plus, à cet effet, conformément au point 84 de l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, la République française, afin d’établir la nature économique de son action, pouvait soumettre à la Commission des éléments faisant apparaître que cette décision était fondée sur des évaluations économiques comparables à celles que, dans les circonstances de l’espèce, un investisseur privé rationnel se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle de la République française aurait fait établir, avant de procéder audit investissement, aux fins de déterminer la rentabilité future d’un tel investissement.

224    Ces éléments devaient être contemporains de la mesure litigieuse. En effet, conformément au point 85 de l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, des évaluations économiques établies après l’octroi dudit avantage, le constat rétrospectif de la rentabilité effective de l’investissement réalisé par l’État membre concerné ou des justifications ultérieures du choix du procédé effectivement retenu ne sauraient suffire à établir que cet État membre a pris, préalablement ou simultanément à cet octroi, une telle décision en sa qualité d’actionnaire.

225    En outre, conformément au point 86 de l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, si l’État membre concerné fait parvenir à la Commission des éléments de la nature requise, il appartient à cette dernière d’effectuer une appréciation globale prenant en compte, outre les éléments fournis par cet État membre, tout autre élément pertinent en l’espèce lui permettant de déterminer si la mesure en cause ressortit à la qualité d’actionnaire ou à celle de puissance publique dudit État membre. En particulier, peuvent être pertinents à cet égard la nature et l’objet de cette mesure, le contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que l’objectif poursuivi et les règles auxquelles ladite mesure est soumise.

226    En l’espèce, la République française et EDF ont transmis divers éléments à la Commission afin d’établir que la mesure mise en œuvre ressortissait à la qualité d’actionnaire de l’État français.

227    La Commission a, en substance, considéré que les éléments qui lui avaient été transmis par la République française et EDF n’établissaient pas sans équivoque qu’une décision de procéder à un investissement avait été prise par l’État français en renonçant à percevoir l’impôt lors du reclassement des droits du concédant en dotation en capital (voir notamment les considérants 128 à 131, 138 et 139 de la décision attaquée).

228    En effet, la Commission a procédé à une appréciation de l’ensemble des éléments mis à sa disposition prenant en compte, outre les éléments fournis par la République française, les éléments pertinents communiqués par EDF, afin de déterminer si la mesure litigieuse ressortissait à la qualité d’actionnaire ou à celle de puissance publique de l’État français et elle a notamment examiné la nature et l’objet de cette mesure, le contexte dans lequel elle s’inscrivait ainsi que l’objectif poursuivi et les règles auxquelles ladite mesure était soumise (voir les considérants 145 et suivants de la décision attaquée) après avoir préalablement examiné les autres éléments qui lui avaient été communiqués.

229    La Commission n’a dès lors commis aucune erreur de droit dans la manière dont elle a appliqué les conditions régissant l’applicabilité du critère de l’investisseur privé.

230    En effet, la thèse soutenue par EDF et par la République française selon laquelle la Commission aurait dû se borner à examiner si un investisseur privé aurait procédé, au regard de sa rentabilité, à un investissement comparable, sans prendre en compte les considérations fiscales qui ont pu être examinées prétendument par l’État « de manière distincte », et en isolant les éléments liés à la définition de la mesure et à la qualité de son auteur, c’est-à-dire en l’occurrence une recapitalisation décidée par l’État en sa qualité d’actionnaire, procède d’une lecture erronée des points 80 à 86 de l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P.

231    La Commission ne saurait en effet ignorer les éléments qui révéleraient l’existence de considérations de puissance publique et n’examiner que les éléments qui viendraient au soutien de la thèse d’un éventuel investissement. Une telle approche reviendrait à méconnaître la nécessité d’apprécier l’ensemble des éléments pertinents afin de déterminer si la mesure en cause ressortit à la qualité d’actionnaire ou à celle de puissance publique de l’État membre, parmi lesquels figurent notamment le contexte et la nature de la mesure litigieuse.

232    Il n’est certes pas exclu que d’éventuelles considérations de puissance publique puissent, le cas échéant, coexister avec des considérations d’actionnaire mais elles ne sauraient toutefois avoir une incidence sur l’appréciation de la question de savoir si la même mesure aurait été adoptée dans les conditions normales du marché par un investisseur privé se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle de l’État. En effet, seuls les bénéfices et les obligations liés à la situation de ce dernier en qualité d’actionnaire, à l’exclusion de ceux qui sont liés à sa qualité de puissance publique, sont à prendre en compte (arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, point 79).

233    En l’espèce, ni la République française ni EDF n’ont démontré que, préalablement ou simultanément à l’octroi d’un montant équivalant à celui de l’impôt auquel il était renoncé à l’occasion du reclassement en dotation en capital des droits du concédant, l’État français avait pris la décision de procéder, par la mesure effectivement mise en œuvre, à un investissement, ni qu’une telle décision avait été prise sur le fondement d’évaluations économiques préalables comparables à celles que, dans les circonstances de l’espèce, un investisseur privé rationnel se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle dudit État membre aurait fait établir, avant de procéder audit investissement, aux fins de déterminer la rentabilité future d’un tel investissement (voir, en ce sens, arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, points 83, 84 et 104).

234    S’il apparaît que de telles considérations d’actionnaire font défaut, l’applicabilité du critère de l’investisseur privé doit être écartée par la Commission.

235    Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argumentation avancée par EDF concernant l’arrêt du 24 octobre 2013, Land Burgenland e.a./Commission (C‑214/12 P, C‑215/12 P et C‑223/12 P, EU:C:2013:682), laquelle se révèle en effet dépourvue de pertinence, dès lors que les développements consacrés par la Cour au point 52 de cet arrêt portent spécifiquement sur l’application et non l’applicabilité du critère de l’investisseur privé et ne sauraient dès lors justifier que seules les considérations d’actionnaire soient prises en compte aux fins de l’analyse de l’applicabilité du critère.

236    Cette conclusion n’est pas non plus remise en cause par les arguments avancés par EDF tirés de la décision de la Commission C(2015) 4569 final du 7 juillet 2015, portant sur une aide présumée en faveur d’Altrad.

237    En effet, d’une part, la mesure en cause était, dans l’affaire ayant donné lieu à la décision en cause, une souscription directe au capital social d’Altrad par le Fonds stratégique d’investissement assortie d’une option pour un montant supplémentaire et le fait que l’opération constituait un investissement n’était pas remis en cause par la Commission.

238    D’autre part, à supposer même que les opérations aient été comparables, il n’en reste pas moins que la notion d’aide d’État est une notion objective, qui suppose que la mesure, pour qu’elle puisse être qualifiée d’aide, soit susceptible d’affecter les échanges entre les États membres et de fausser ou menacer de fausser la concurrence, qui s’apprécie à la date à laquelle la Commission prend sa décision et qui est fonction de la seule question de savoir si une mesure étatique confère ou non un avantage à une ou à certaines entreprises. La pratique décisionnelle de la Commission en la matière, sur laquelle les parties sont du reste en désaccord, ne saurait donc s’avérer décisive (voir arrêt du 4 mars 2009, Associazione italiana del risparmio gestito et Fineco Asset Management/Commission, T‑445/05, EU:T:2009:50, point 145 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 20 mai 2010, Todaro Nunziatina & C., C‑138/09, EU:C:2010:291, point 21).

239    Cette conclusion n’est pas non plus remise en cause par les arguments avancés par EDF à la suite de l’arrêt Frucona Košice, suivant lesquels la « perception subjective » de la mesure par la République française serait dépourvue de pertinence, ce qui conduirait à priver de conséquence l’absence éventuelle de distinction claire entre considérations d’actionnaire et considérations de puissance publique lors de l’adoption de la mesure litigieuse.

240    En effet, s’agissant de l’incidence de l’arrêt Frucona Košice, il y a lieu de rappeler que, conformément à cet arrêt, le critère du créancier ou de l’investisseur privé ne constitue pas une exception ne s’appliquant que sur la demande d’un État membre, lorsque les éléments constitutifs de la notion d’aide d’État incompatible avec le marché commun, figurant à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sont réunis. En effet, ce critère, lorsqu’il est applicable, figure parmi les éléments que la Commission est tenue de prendre en compte pour établir l’existence d’une telle aide (arrêt Frucona Košice, point 23 et arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, point 103).

241    Par conséquent, lorsqu’il apparaît que le critère du créancier privé pourrait être applicable, il appartient à la Commission d’examiner cette hypothèse indépendamment de toute demande en ce sens par l’État membre concerné et, partant, rien ne s’oppose à ce que le bénéficiaire de l’aide puisse invoquer l’applicabilité de ce critère (voir, en ce sens arrêt Frucona Košice, points 25 et 26).

242    La Cour a enfin précisé que, dans ces deux dernières hypothèses dans lesquelles le critère de l’investisseur privé n’est pas invoqué par l’État membre, il convient, afin de déterminer si ledit critère était applicable, de prendre pour point de départ la nature économique de l’action de l’État membre et non la façon dont, subjectivement, cet État membre pensait agir ou les lignes de conduite alternatives envisagées par cet État membre avant d’adopter la mesure en cause (voir en ce sens arrêt Frucona Košice, points 12 et 27).

243    La Cour a, en revanche, jugé que si un État membre invoque le critère de l’investisseur privé au cours de la procédure administrative, il lui incombe, en cas de doute, d’établir sans équivoque et sur la base d’éléments objectifs et vérifiables que la mesure mise en œuvre ressortit à sa qualité d’actionnaire, ces éléments devant faire apparaître clairement que l’État membre concerné avait pris, préalablement ou simultanément à l’octroi de l’avantage économique, la décision de procéder, par la mesure effectivement mise en œuvre, à un investissement dans l’entreprise publique contrôlée (voir en ce sens arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, points 82 et 83).

244    Par contre, des évaluations économiques établies après l’octroi dudit avantage, le constat rétrospectif de la rentabilité effective de l’investissement réalisé par l’État membre concerné ou des justifications ultérieures du choix du procédé effectivement retenu ne sauraient suffire à établir que cet État membre a pris, préalablement ou simultanément à cet octroi, une telle décision en sa qualité d’actionnaire (voir en ce sens arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, points 85 et 104).

245    En outre, comme il a été rappelé au point 232 ci-dessus, aux fins de l’appréciation de la question de savoir si la même mesure aurait été adoptée dans les conditions normales du marché par un investisseur privé se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle de l’État, seuls les bénéfices et les obligations liés à la situation de ce dernier en qualité d’actionnaire, à l’exclusion de ceux qui sont liés à sa qualité de puissance publique, sont à prendre en compte (arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, point 79).

246    Il incombait dès lors à la Commission d’examiner, afin de déterminer si le critère de l’investisseur privé était effectivement applicable en l’espèce, si la République française avait établi sans équivoque et sur la base d’éléments objectifs, vérifiables et contemporains que la mesure mise en œuvre ressortissait à sa qualité d’actionnaire et si celle-ci avait avancé à cet effet des éléments faisant apparaître clairement qu’elle avait pris, préalablement ou simultanément à l’octroi de l’avantage et sur le fondement d’une évaluation économique préalable requise de rentabilité, la décision de procéder, par la mesure effectivement mise en œuvre, à un investissement dans EDF.

247    Force est de constater que c’est l’examen que la Commission a mené aux points 126 à 154 de la décision attaquée.

248    L’argumentation d’EDF, soutenue par la République française, ne saurait dès lors prospérer.

249    Enfin, doit également être rejetée comme manquant en fait l’allégation d’EDF selon laquelle la Commission s’est fondée sur le seul « enchevêtrement » des considérations d’actionnaire et de puissance publique pour déclarer le critère de l’investisseur privé inapplicable.

250    En effet, c’est au terme d’une appréciation globale et après avoir examiné chacun des éléments susceptibles d’être pertinents que la Commission a conclu que la mesure ne constituait pas un investissement de la part de la République française en l’absence de considérations d’actionnaire établies sur les fondements d’éléments objectifs, vérifiables et contemporains tels que requis par la Cour aux points 82 à 85 de l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P.

251    L’argumentation d’EDF et de la République française tirée d’une erreur de droit commise par la Commission doit par conséquent être rejetée.

2)      Sur les erreurs de fait alléguées

252    EDF fait valoir que de nombreuses pièces, et plus particulièrement les pièces nos 23 à 25 (annexe A-7-23 à A-7-25) qu’elle a jointes à ses observations communiquées à la Commission en juillet 2013, démontrent que les incidences de la restructuration envisagée de son bilan sur l’impôt dû par elle ont été examinées en parallèle, mais de façon distincte, des conséquences sur la rémunération de l’État actionnaire, et que ces pièces n’attestent pas d’un quelconque enchevêtrement des considérations fiscales et d’investissement qui auraient guidé l’État français. La République française avance également que divers documents qu’elle a communiqués à la Commission établissent que, lorsqu’elle a adopté la mesure en cause, elle s’est d’abord fondée sur des considérations d’actionnaire.

253    Il y a lieu de souligner, à titre liminaire, que, parmi les documents invoqués par EDF et la République française, aucun document antérieur à la réponse de la République française à la Commission en 2002 ne mentionne que l’impôt était dû sur les droits du concédant, c’est-à-dire les provisions ayant été utilisées par EDF, lors de leur reclassement en dotation en capital, ni, a fortiori, que la renonciation à prélever l’impôt devrait s’analyser comme un investissement complémentaire dans le capital d’EDF ainsi que la Commission le relève aux considérants 128 et 129 de la décision attaquée.

254    Quant aux pièces mentionnées par EDF qui établiraient l’absence d’enchevêtrement des considérations liées à l’impôt et de celles liées à la rémunération de l’État, il convient de relever ce qui suit.

255    L’annexe A-7-23 de la requête est la lettre du 31 octobre 1995, qui a été adressée un peu plus de deux ans avant l’adoption de la loi no 97‑1026, au ministère du Budget et qui comporte deux annexes, à savoir un document de trois pages intitulé « Propositions de restructuration du bilan d’EDF » et un tableau intitulé « Proposition d’évolution du bilan d’EDF ».

256    Le document de trois pages joint à la lettre du 31 octobre 1995 comporte trois points, qui traitent respectivement, et en termes généraux, de la « [r]estructuration des capitaux propres au passif du bilan » et plus particulièrement du reclassement des droits du concédant en capital, de l’« [a]justement des droits des concédants “collectivités locales” des concessions [de distribution publique] » et, enfin, de l’« [a]purement du report à nouveau fiscal déficitaire ».

257    Le point 1.1 du document en cause concerne le « reclassement des droits du concédant “État” et des provisions pour renouvellement associés en capital ». Y est évoquée la proposition de « capitaliser EDF […] en transformant les droits du concédant RAG et la provision pour renouvellement correspondante en capital », cette « opération [conduisant] à revenir à l’analyse comptable d’avant 1987 ».

258    Le point 1.2 du document en cause, intitulé « Consolidation des dotations en capital au capital d’EDF » mentionne que « [la consolidation des dotations en capital] renforcerait la nature “apport en actionnaire” qu’elles contiennent en elles » dans la mesure où elles avaient un « caractère d’augmentation de capital même si le décret de 1956 les assimil[ait] plutôt à un prêt générateur d’un intérêt ».

259    Le point 1.3 du document en cause porte sur les « conséquences de ces deux mesures » et indique qu’elles présenteraient « les deux avantages suivants » :

–        « l’État pourrait rechercher une véritable rentabilité d’EDF sous la forme d’un dividende assis sur le capital de l’entreprise, c’est-à-dire sur les sommes considérées comme apportées par l’actionnaire. Quant à la consolidation en capital, elles mettraient fin à la controverse qui a fait suite au contrôle fiscal de 1982 sur le caractère de “dividende” ou “intérêt” de leur rémunération » ;

–        « EDF améliorerait son image financière en présentant un capital de 85 [milliards de FRF] environ (contre 2,6 [milliards de FRF] actuellement) et une situation nette de 80 [milliards de FRF] (contre 19,9 [milliards de FRF] actuellement) avant prise en compte de mesures visant à réduire le report à nouveau déficitaire. Ces reclassements répondent en outre aux critiques de la Cour des comptes qui dénie le caractère de réelle concession aux concessions d’État ».

260    D’une part, il convient de relever que la question de l’« apport en capital », tout juste évoquée dans la lettre du 31 octobre 1995, ne porte en tout cas pas sur la renonciation à l’impôt dû sur les droits du concédant, laquelle n’y est pas du tout abordée.

261    D’autre part, force est de constater que les considérations comptables, fiscales et d’actionnaire coexistent étroitement dans le document de trois pages joint à la lettre du 31 octobre 1995, qui, de surcroît, ne comporte aucune évaluation, ni même appréciation de la rentabilité du reclassement en capital des droits du concédant.

262    L’annexe A-7-24 de la requête est une note interne de deux pages d’EDF, du 7 décembre 1995, intitulée « Origine, contenu et conséquences des propositions de restructuration du bilan d’EDF » (ci-après la « note interne du 7 décembre 1995 »).

263    Après avoir rappelé, dans une première partie de la note interne du 7 décembre 1995, les contrôles de la Cour des comptes française et leur incidence sur les provisions pour renouvellement et la vérification effectuée par l’administration fiscale en 1994, puis, dans une seconde partie, et en trois tirets, les objectifs des propositions de restructuration du passif de son bilan faites au ministère, la note évoque la « double démarche » proposée par EDF : d’une part, restructurer son haut bilan, ce qui se traduirait notamment par un assainissement des « relations financières entre EDF et l’État [français]. Ce dernier pourrait désormais rechercher une véritable rentabilité d’EDF sous la forme d’un dividende trouvant sa justification dans le capital de l’entreprise ». Il s’agirait, d’autre part, de « clarifier la présentation comptable des concessions de distribution publique ».

264    Une nouvelle fois, force est de constater que la rentabilité du reclassement des droits du concédant en capital est tout au plus mentionnée dans la note interne du 7 décembre 1995 sans aucune évaluation quelconque et que, en tout état de cause, il n’y est nullement fait mention de la renonciation à percevoir l’impôt sur lesdits droits du concédant.

265    À supposer même que la note interne du 7 décembre 1995 puisse être regardée comme une analyse distincte et « en parallèle » des incidences de la recapitalisation d’EDF, elle est sans pertinence en ce qui concerne l’examen de la mesure litigieuse et constitue tout au plus un indice du contexte dans lequel celle-ci aurait été adoptée.

266    Pour le surplus, il y a lieu de constater que la note interne du 7 décembre 1995 dont le contenu est finalement semblable à celui de la lettre du 31 octobre 1995, ne témoigne, pas plus que celle-ci, d’une analyse détaillée des considérations d’actionnaire et de rémunération ou de rentabilité qui aurait été conduite par l’État ou pour celui-ci dans la perspective de la recapitalisation d’EDF.

267    Enfin, l’annexe A-7-25 de la requête est une lettre du 10 avril 1997 adressée par EDF à un chef de bureau au ministère des Finances (ci-après la « lettre du 10 avril 1997 ») et qui comporte une annexe, d’une page présentée sous forme schématique, intitulée « Hypothèses prévisionnelles de versement à l’État en 1997 et 1998 ».

268    Si la lettre du 10 avril 1997 est susceptible de constituer un indice d’une présentation minimaliste de la rémunération susceptible d’être perçue par l’État français, force est toutefois de constater que cette présentation repose simultanément et entièrement sur les incidences fiscales qui découleraient des versements qui seraient effectués au bénéfice dudit État.

269    Sauf à n’avoir égard qu’à une ligne sur deux, il est par conséquent impossible de regarder la lettre du 10 avril 1997 comme une analyse distincte et « en parallèle » de la rémunération de l’État actionnaire comme le prétend EDF.

270    Les pièces mentionnées par EDF ne témoignent par conséquent pas d’une analyse distincte et autonome des considérations de l’État français en sa qualité d’actionnaire de la mesure litigieuse, pas plus que, contrairement à ce qu’avance EDF, elles n’établissent l’absence d’enchevêtrement des considérations liées à l’impôt et de celles liées à la rémunération dudit État.

271    S’agissant ensuite des éléments avancés par la République française, il y a lieu d’observer que celle-ci se réfère, d’une part, à un tableau figurant à l’annexe 11 du mémoire en intervention, qui est une reproduction quasi à l’identique des citations et des commentaires qui peuvent être lus dans le tableau figurant à l’annexe 10 dudit mémoire qui est produit au soutien des arguments avancés à l’appui de la première branche du deuxième moyen avancé à titre principal, tableau dans lequel sont cités des extraits de divers documents, et, d’autre part, dans ce mémoire, à plusieurs de ces documents mentionnés « à titre d’exemple ».

272    Au rang de ces documents mentionnés à titre d’exemple figure, en premier lieu, le contrat d’entreprise.

273    Force est de constater que, dans le contrat d’entreprise, les considérations de puissance publique non seulement y côtoient étroitement les considérations d’actionnaire, mais, surtout et de toute évidence, y prédominent.

274    Les considérations de puissance publique figurant dans le contrat d’entreprise, qui ont notamment trait à la mise en œuvre de la politique énergétique de l’État, à la nécessité d’assurer la sécurité de l’approvisionnement dans le respect de l’environnement et à moindre coût ainsi qu’une alimentation de qualité au consommateur où qu’il soit établi, au soutien à l’emploi et à l’activité économique, aux services de solidarité pour les plus démunis, à l’aménagement du territoire, sont exposées au titre I dudit contrat, intitulé « Réaffirmer les missions fondamentales de l’entreprise publique », dont les trois sections sont intitulées « Cinq missions de service public renouvelées et renforcées », « Participer à l’aménagement du territoire et à la solidarité » et « Vers une nouvelle législation du secteur électrique ».

275    Le titre II du contrat d’entreprise vise à « [p]réparer aujourd’hui l’avenir de l’entreprise » en assurant son développement en France (par l’amélioration des performances et l’allocation prioritaire des gains de productivité à la baisse des prix, par la baisse des tarifs supposant un ajustement de la structure de ceux-ci, la relation d’EDF avec les producteurs indépendants et par le développement des services, passant notamment par des actions de fidélisation des clients, un meilleur positionnement sur les marchés de l’électricité et les marchés associés, cela avec des moyens commerciaux adaptés, c’est-à-dire des « aides commerciales » à concurrence de 2,8 milliards de FRF), la conquête de nouveaux marchés à l’étranger (à propos desquels il est uniquement fait mention de la nécessité de prendre en considération « la rentabilité des capitaux propres investis » sans qu’aucune autre précision soit apportée à cet égard), la contribution aux innovations et aux progrès technologiques (recherche et développement, partenariat avec les entreprises françaises), ainsi que « l’association de toute l’entreprise au développement » (section dans laquelle sont traitées des questions relatives aux ressources humaines : gestion des ressources humaines, formation, amélioration de l’organisation du travail, de sa sécurité, politique de rémunération du personnel, cohésion sociale, etc).

276    Les considérations de puissance publique figurant dans le titre II du contrat d’entreprise y côtoient ainsi étroitement des considérations assez générales qui ont trait à l’évolution future de l’entreprise, mais qui ne saurait être qualifiées de considérations d’actionnaire destinées à évaluer la rentabilité d’un investissement et encore moins d’un investissement opéré par la mise en œuvre de la mesure litigieuse.

277    Enfin, au titre III du contrat d’entreprise, intitulé « Inscrire l’entreprise dans un cadre financier et institutionnel rénové », sont successivement abordées, sur trois pages, les objectifs suivants : « [s]tabiliser la relation avec l’État actionnaire », « [f]inancer équitablement les missions d’intérêt général », « [p]réparer les outils nécessaires à l’évolution de la réglementation », « [c]réer des ressources pour préparer l’avenir » et les « [m]odalités de suivi des objectifs et engagements ».

278    Dans les trois pages en cause, seuls deux paragraphes ont trait à la restructuration du bilan d’EDF, dont l’un où est évoquée, de manière pour le moins sibylline, la rémunération de l’État français.

279    Le premier paragraphe, dont on ne peut tirer aucun enseignement, figure dans la partie introductive du titre III du contrat d’entreprise et se lit comme suit :

« Le bilan d’EDF sera restructuré, dans le double but de renforcer la situation nette de l’entreprise et de stabiliser la relation financière entre l’État et l’entreprise sur des bases proches du droit commun »

280    Le second paragraphe, qui figure sous le sous-titre intitulé « Stabiliser la relation avec l’État actionnaire » du titre III du contrat d’entreprise, est libellé de la manière suivante :

« La rémunération de l’État se composera de deux éléments :

–        une rémunération des dotations en capital avec un taux d’intérêt de 3 % ;

–        une rémunération complémentaire, égale à 40 % du résultat comptable net de l’entreprise »

281    Il convient de relever que, dans les paragraphes en question, il n’est fait aucune mention d’un investissement complémentaire à hauteur du montant de la créance fiscale de l’État français, pas plus que de sa rentabilité, au titre de cette information limitée sur la rémunération dudit État.

282    Le contrat d’entreprise apparaît dès lors dépourvu de toute pertinence afin de démontrer que la rémunération de l’État français et les considérations d’actionnaire, sans même parler de considérations ayant trait à la mesure litigieuse, auraient été analysées de manière autonome et distincte de celles de puissance publique.

283    La deuxième pièce à laquelle se réfère la République française est un extrait du « rapport Migaud » à l’Assemblée nationale, présenté en vue de l’adoption de la loi no 97-1026.

284    La première partie du « rapport Migaud », décrit les circonstances historiques entourant le statut patrimonial des biens mis en concession (mise en concession des biens, conséquences comptables et position de la Cour des comptes) ayant conduit à la présentation du projet de loi.

285    La seconde partie du « rapport Migaud » présente le « retraitement comptable » qu’impose l’avis de la Cour des comptes française, retraitement impliquant « des modifications dans les relations financières entre l’État et EDF ».

286    La première sous-partie du « rapport Migaud » expose les conséquences comptables qu’il y a lieu de tirer de la reconnaissance de la propriété du RAG ainsi que la modification de la structure des fonds propres d’EDF qu’elle entraîne : « la contre-valeur des biens en nature mis en concession relative à la concession RAG inscrite au sein des fonds propres dans la catégorie “Autres fonds propres” est remontée dans la catégorie “Capitaux propres” afin de tenir compte du statut patrimonial des ouvrages. »

287    Sont ensuite décrits, dans le « rapport Migaud », les mouvements comptables proprement dits qu’impose la mesure litigieuse (qui sont indiqués aux considérants 28 et suivants de la décision attaquée).

288    Il n’est toutefois fait aucune mention, à cette occasion, de la renonciation à percevoir l’impôt sur les droits du concédant.

289    La seconde sous-partie du « rapport Migaud » traite des modifications des relations financières entre l’État français et EDF et indique les modalités de la rémunération dudit État à la suite des modifications comptables à intervenir :

« Cette rémunération comporte deux parties.

D’une part, une rémunération des dotations en capital à un taux d’intérêt fixé annuellement par arrêté interministériel. Le décret plafonne ce taux à 8 %. Depuis 1989, il est fixé à 5 %.

D’autre part, il est prélevé une rémunération complémentaire (le “dividende”) sur le résultat après impôt et intérêt fixe de l’établissement.

Son taux est fixé par arrêté sur la base du résultat des comptes prévisionnels.

[…]

Les dotations en capital constituant l’assiette de l’intérêt fixe, l’augmentation de celles-ci induite par le présent article risquait d’alourdir le prélèvement sur EDF. Une modification de leurs conditions de rémunération est donc prévue dans le contrat d’entreprise 1997-2000 signé le 8 avril 1997.

Le taux d’intérêt fixe est ramené à 3 % afin de compenser l’effet d’assiette. Le montant annuel de l’intérêt fixe sera ainsi ramené de 1 816 millions de [FRF] à 1 522 millions de [FRF].

La rémunération complémentaire de l’État est fixée à 40 % du résultat comptable net de l’entreprise.

Enfin, il est précisé que le montant total de ces deux composantes ne saurait être supérieur à 6 % des dotations en capital (soit un plafond de 3 044 millions de [FRF] au regard des dotations telles qu’elles résulteront du présent article). »

290    Sont ensuite décrites, dans le « rapport Migaud », les conséquences fiscales des changements apportés.

291    Il est notamment précisé dans le « rapport Migaud », ce qui suit :

« La remontée des provisions liées à la concession RAG en report à nouveau va conduire à l’apurement en une seule fois des reports à nouveau comptables et fiscaux déficitaires.

D’une part, la remontée directe de 38,5 milliards de [FRF] conduit à un report à nouveau comptable créditeur de 18,3 milliards de [FRF], entraînant une augmentation de l’actif net taxable elle-même au titre de l’[impôt sur les sociétés]. L’article 38-2 du [code général des impôts] dispose en effet que le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de l’exercice. Dans la mesure où “l’actif net s’entend de l’excédent de valeurs d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiées”, la remontée des provisions engendre mécaniquement une augmentation du bénéfice net.

D’autre part, pour tenir compte des remarques de la Cour des comptes sur les concessions “Forces hydrauliques” et “Distribution publique”, EDF va procéder à des ajustements comptables ayant pour effet de diminuer de 14 milliards de [FRF] son report à nouveau fiscal.

Au total ce dernier devrait donc devenir positif à hauteur de 3,4 milliards de [FRF].

Selon les informations fournies par le ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie à votre rapporteur général, l’impôt sur les sociétés que devra acquitter l’établissement public [à la suite de] ces réformes s’élèverait à 3 milliards de [FRF] en 1997 et à 2,5 milliards de [FRF] en 1998. »

292    Force est de constater que, pas plus qu’au titre des ajustements comptables, il n’est fait mention dans le « rapport Migaud », au titre des conséquences fiscales, de la renonciation à percevoir l’impôt sur les droits du concédant lors de leur requalification en dotation en capital, créance qui résulterait pourtant elle aussi, selon la réponse adressée par la République française à la Commission dans la note du 9 avril 2002, d’une variation d’actif net.

293    Par ailleurs, le « rapport Migaud » comporte, certes, quelques données sur la rémunération attendue par l’État de la recapitalisation d’EDF, rémunération au demeurant nominalement réduite à l’issue de l’opération de recapitalisation. Toutefois, il ressort à l’évidence de la lecture de ce document que ces quelques données ne constituent qu’une partie mineure des considérations, essentiellement de puissance publique, qui ont conduit à l’adoption de la loi no 97-1026.

294    Enfin, on ne peut qu’observer que la teneur du « rapport Migaud » constitue la matrice des considérants 23 et suivants de la décision attaquée et que ces éléments d’appréciation ont donc bien été pris en considération par la Commission.

295    Le troisième document mentionné par la République française est la lettre du 4 avril 1995. Il s’agit d’un document de quatre pages, y compris le document qui y est annexé, adressé à EDF par les directeurs de cabinet de ministres de l’Économie, de l’Industrie, des Postes et Télécommunications et du Commerce extérieur, et du Budget, dont l’objet est de mettre en place un « programme de travail » en vue de la présentation et de l’adoption des mesures qu’impose la Cour des comptes française s’agissant des concessions d’EDF.

296    L’État actionnaire n’est mentionné dans la lettre du 4 avril 1995 qu’à deux reprises et que de manière extrêmement succincte :

–        en page 1 de l’annexe à ladite lettre, où, parmi les objectifs du programme de travail, il est indiqué « [le système actuel] est-il […] conforme aux intérêts de l’État actionnaire ? » ;

–        en page 3 de ladite annexe, où sont abordés les chantiers de réflexion, parmi lesquels figure la « problématique patrimoniale », à propos de laquelle il est indiqué : « identifier le cas échéant les modifications qu’il conviendrait d’apporter au dispositif existant pour protéger au mieux les intérêts de l’État actionnaire dans la perspective d’une éventuelle ouverture des monopoles ».

297    Les autres préoccupations abordées dans la lettre du 4 avril 1995 (qui ne porte au demeurant que sur un programme de travail et non sur ses conclusions) relèvent en réalité essentiellement de considérations de puissance publique et force est de constater que ladite lettre ne témoigne pas d’une analyse distincte et autonome de considérations d’actionnaire.

298    Enfin, le dernier document invoqué par la République française est la lettre du 31 octobre 1995 et il est renvoyé, pour une analyse de ce document, aux points 168 et suivants ci-dessus.

299    Par ailleurs, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité d’un renvoi pur et simple à un tableau figurant dans une annexe du mémoire en intervention, où figurent des extraits de documents, parfois commentés, non mentionnés dans ledit mémoire, force est de constater qu’aucun des passages cités ou de ces commentaires ne se réfère à la mesure litigieuse.

300    Les extraits de documents, visés au point 299 ci-dessus, se rapportent tout au plus au contexte dans lequel la mesure litigieuse a été prise, contexte dont il n’est même pas allégué qu’il n’aurait pas été pris en considération par la Commission qui, pour le décrire, s’est notamment fondée sur lesdits documents.

301    De surcroît, et à l’instar de la Commission, il convient de constater, à la lecture des extraits de documents visés au point 299 ci-dessus qui figurent dans le tableau en question, que les considérations d’actionnaire sont très secondaires par rapport aux considérations de puissance publique.

302    Enfin, ces extraits ne comportent pas le moindre développement circonstancié quant à des considérations d’actionnaire destinées à évaluer la rentabilité d’un investissement et encore moins d’un investissement opéré par la mise en œuvre de la mesure litigieuse.

303    Les pièces mentionnées par la République française, pas plus que les pièces invoquées par EDF, ne témoignent donc d’une analyse « distincte et autonome » des considérations de l’État en sa qualité d’actionnaire, pas plus qu’elle n’établissent l’absence d’enchevêtrement des considérations liées à l’impôt et de celles liées à la rémunération de l’État.

304    En conclusion, il convient de rejeter la troisième branche du deuxième moyen avancé à titre principal.

6.      Sur la quatrième branche

a)      Arguments des parties

305    EDF, soutenue par la République française, avance que c’est à tort que la Commission a considéré que la décision d’investissement n’a pas fait l’objet d’études, de références, d’analyses spécifiques ou d’un plan d’affaires portant sur la rentabilité de l’investissement pour le montant de l’exonération d’impôt, ce qui constituerait une difficulté pour isoler les effets de l’investissement dans les informations transmises par la République française ou EDF (considérant 130 de la décision attaquée).

306    Selon EDF, l’analyse de la Commission repose sur le postulat selon lequel la mesure en cause est la seule exonération d’impôt, qui n’est, comme elle l’a allégué dans le cadre du premier moyen, pas la mesure qu’il y avait lieu d’examiner.

307    En outre, la considération de la Commission relative, en substance, à l’absence de plan d’affaires formel serait à la fois infondée en droit, dans la mesure où, d’une part, un tel plan n’est pas exigé par la jurisprudence de la Cour ou du Tribunal, et où, d’autre part, un tel plan n’était de toute manière pas nécessaire, dès lors que l’État français était actionnaire à 100 %, qu’il connaissait parfaitement l’entreprise et que, dans une telle situation, un investisseur privé n’y aurait pas recouru non plus.

308    De surcroît, la considération de la Commission relative, en substance, à l’absence de plan d’affaires formel serait contraire aux faits, dès lors que divers documents, élaborés in tempore non suspecto et fournis dans le cadre des observations communiquées à la Commission en 2013, constitueraient la substance d’un tel raisonnement planifié. Ils indiqueraient en effet sans ambiguïté que l’État français avait pour objectif d’effectuer un investissement dans l’entreprise et qu’il aurait procédé à de nombreuses analyses et évaluations prospectives.

309    La République française, pour sa part, se réfère à cet égard au tableau 3, qui figure à l’annexe 12 du mémoire en intervention, qui comporte diverses citations de documents accompagnées, parfois, de commentaires, et elle s’arrête, « à titre d’exemple », sur trois de ces documents dans ledit mémoire.

310    En premier lieu, la République française se réfère à la lettre du 10 avril 1997, ainsi qu’à la note qui y est annexée intitulée « Hypothèses prévisionnelles de versement à l’État en 1997 et 1998 ». Ce document démontrerait qu’une analyse de l’évolution de la rémunération de l’État a été demandée par celui-ci à EDF et que les évaluations économiques de la restructuration envisagée ont été affinées et précisées dans la perspective de l’adoption de la mesure en cause.

311    En deuxième lieu, la République française mentionne la lettre du directeur des services financiers et juridiques d’EDF du 9 février 1996 adressée au conseil d’administration d’EDF et incluant une annexe intitulée « La restructuration du bilan d’EDF » (annexe A-7-30 de la requête, ci-après la « lettre du 9 février 1996 ») qui comporte une évaluation économique de la restructuration du bilan d’EDF.

312    Enfin, en troisième lieu, la République française cite le plan stratégique 1996-1998 (annexe A-7-34 de la requête, ci-après le « plan stratégique ») qui aurait été pris en compte par l’État lors de l’adoption de la mesure en cause, type de plan qui serait généralement pris en compte lors de l’application du critère de l’investisseur privé.

313    La Commission conteste ces allégations.

b)      Appréciation du Tribunal

314    EDF, soutenue par la République française, soutient en substance que, premièrement, l’analyse de la Commission figurant au considérant 130 de la décision attaquée repose sur un postulat erroné, dès lors que la mesure litigieuse n’est pas la seule renonciation à prélever l’impôt sur les provisions pour renouvellement utilisées par EDF, deuxièmement, que la Commission a imposé à tort en l’espèce l’existence d’un plan d’affaires formel, et, troisièmement, la considération de cette dernière relative à l’absence d’un tel plan d’affaires formel est contraire aux faits, dès lors que divers documents contemporains constituent la substance dudit plan d’affaires formel. La République française mentionne à cet égard quatre documents qui, selon elle, démontreraient l’existence d’analyses et d’évaluations prospectives de l’investissement.

315    Il convient d’emblée de rejeter le premier argument avancé par EDF, dès lors que la mesure litigieuse est la renonciation à percevoir l’impôt lors du reclassement des droits du concédant en dotation en capital.

316    Il convient également de rejeter l’argumentation d’EDF tirée de ce que la Commission a imposé à tort en l’espèce un plan d’affaires formel, celle-ci procédant d’une lecture erronée de la décision attaquée.

317    En effet, la Commission constate, en substance, dans la décision attaquée, qu’il n’y a pas le moindre document contemporain présentant une évaluation quelconque de la rentabilité du prétendu investissement que constituerait la renonciation à prélever l’impôt sur les droits du concédant.

318    Il y a certes des documents qui évaluent, de manière assez succincte, la rémunération de l’État français telle qu’elle résultera de la recapitalisation d’EDF et, partant, la rentabilité de cette opération, mais rien de plus.

319    Or, si la recapitalisation d’EDF constitue assurément le contexte dans lequel doit s’inscrire l’appréciation de la mesure litigieuse, il n’en reste pas moins que, suivant les termes de l’arrêt dans l’affaire C‑124/10 P, il appartenait à la République française de présenter notamment « des éléments faisant apparaître que cette décision est fondée sur des évaluations économiques comparables à celles que, dans les circonstances de l’espèce, un investisseur privé rationnel se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle dudit État membre aurait fait établir, avant de procéder audit investissement, aux fins de déterminer la rentabilité future d’un tel investissement », mais « des évaluations économiques établies après l’octroi dudit avantage, le constat rétrospectif de la rentabilité effective de l’investissement réalisé par l’État membre concerné ou des justifications ultérieures du choix du procédé effectivement retenu ne sauraient suffire à établir que cet État membre a pris, préalablement ou simultanément à cet octroi, une telle décision en sa qualité d’actionnaire » (points 84 et 85 de cet arrêt).

320    C’est donc sans commettre d’erreur de droit que la Commission a constaté, au considérant 130 de la décision attaquée, que « l’absence d’études, références ou analyses spécifiques de la profitabilité de l’investissement pour le montant d’exonération d’impôt constitue une difficulté pour isoler les effets de l’investissement allégué dans les informations transmises par la [République française] ou par EDF ».

321    Il convient pour le surplus de rejeter l’argumentation avancée par EDF tirée du parallèle qu’elle tente d’établir avec l’arrêt du 25 juin 2015, SACE et Sace BT/Commission (T‑305/13, EU:T:2015:435), dans la mesure où, dans cette affaire, l’absence de plan d’entreprise détaillé s’inscrivait dans un contexte de crise économique. Le Tribunal a, certes, considéré que, dans cette situation, il y avait lieu de tenir compte de l’impossibilité de prévoir de manière fiable et circonstanciée l’évolution de la situation économique et les résultats des différents opérateurs, mais il a toutefois jugé que « l’impossibilité de procéder à des prévisions détaillées et complètes ne saurait dispenser un investisseur public de procéder à une évaluation préalable appropriée de la rentabilité de son investissement, comparable à celle qu’aurait fait établir un investisseur privé se trouvant dans une situation similaire, en fonction des éléments disponibles et prévisibles ».

322    Il convient d’examiner ensuite les documents dont il est allégué par la République française qu’ils constituent ou comportent des évaluations économiques comparables à celles qu’un investisseur privé aurait fait établir avant de procéder à la mise en œuvre de la mesure litigieuse aux fins de déterminer sa rentabilité future.

323    Premièrement, la République française mentionne la lettre du 10 avril 1997 ainsi que la note qui y est annexée et qui est intitulée « Hypothèses prévisionnelles de versement à l’État en 1997 et 1998 » (annexe A-7-25 de la requête).

324    La lettre du 10 avril 1997, constituée de trois lignes, se limite à adresser l’annexe au chef de bureau du ministère des Finances. Quant à cette annexe, elle présente, en une page et de manière schématique, les hypothèses de versement à l’État français en cinq lignes suivies d’un chiffre pour chaque année considérée : résultat comptable avant impôt et rémunération complémentaire, résultat fiscal, rémunération des dotations en capital, impôt sur les sociétés et rémunérations complémentaires.

325    Rien n’est précisé dans la lettre du 10 avril 1997 quant à la rémunération propre aux droits du concédant, ni à l’impôt, théoriquement transformé en investissement, auquel il est renoncé par l’État français.

326    Force est dès lors de constater que la lettre du 10 avril 1997 est dépourvue de toute pertinence ne constitue et ne comporte pas des évaluations économiques comparables à celles qu’un investisseur privé aurait fait établir avant de procéder à la mise en œuvre de la mesure litigieuse aux fins de déterminer sa rentabilité future.

327    La République française mentionne ensuite la lettre du 9 février 1996, qui inclut une annexe intitulée « La restructuration du bilan d’EDF » (annexe A-7-30 de la requête) qui comporte une évaluation économique de la restructuration du bilan d’EDF.

328    La lettre du 9 février 1996, qui émane du directeur des services financiers et juridiques d’EDF, se borne à transmettre au président du conseil d’administration d’EDF, une « fiche synthétique » d’une page qui fait « le point de la négociation avec l’État ».

329    La « fiche synthétique » transmise par la lettre du 9 février 1996 indique ce qui suit, sous le titre « Renforcer le haut bilan d’EDF » :

« La restructuration en cours comporte trois volets :

–        l’incorporation des dotations en capital apportées par l’État au capital stricto sensu ;

–        l’intégration dans le capital des apports effectuée par l’État (ou pour son compte) dans le cadre de la concession RAG ainsi que les provisions constituées au titre de cette concession. Cette opération mettrait fin à la distinction assez subtile entre les apports en capital et les apports en concession de l’État ;

–        l’apurement du report à nouveau comptable négatif qui obère actuellement la situation nette d’EDF.

Ces mesures devraient permettre de conforter la situation financière de l’entreprise en portant le capital de 2,6 à 85 milliards de [FRF] et la situation nette de 20 à 90 milliards de [FRF], ce qui est plus en rapport avec ses actifs, et de présenter ainsi une image comparable à celle des autres électriciens européens.

[…]

En affichant désormais des capitaux propres d’une centaine de milliards de [FRF] et en clarifiant la description de ses concessions, EDF disposerait alors d’un bilan reflétant mieux la situation financière de l’entreprise. »

330    Pas plus les droits du concédant que la renonciation à percevoir l’impôt lors de leur incorporation au capital ne sont mentionnés dans la lettre du 9 février 1996.

331    Il convient dès lors de constater que la lettre du 9 février 1996 est dépourvue de toute pertinence, ne constitue et ne comporte pas des évaluations économiques comparables à celles qu’un investisseur privé aurait fait établir avant de procéder à la mise en œuvre de la mesure litigieuse aux fins de déterminer sa rentabilité future.

332    Enfin, la République française mentionne le plan stratégique qui aurait été pris en compte par elle lors de l’adoption de la mesure en cause. Selon elle, ce type de plan serait généralement pris en compte lors de l’application du critère de l’investisseur privé.

333    Le plan stratégique est un document de 36 pages, qui présente, à destination semble-t-il du personnel de l’entreprise, les orientations de l’entreprise et les actions à mener jusqu’en 1998.

334    Le plan stratégique ne comporte aucune mention relative ni à la renonciation de l’État français à prélever l’impôt sur les droits du concédant, ni aux droits du concédant, ni aux provisions liées à la concession du RAG, ni au statut patrimonial, comptable et fiscal du RAG, ni même à la recapitalisation d’EDF faisant l’objet de la loi no 97-1026.

335    Le plan stratégique apparaît dès lors dépourvu de toute pertinence, ne constitue et ne comporte pas des évaluations économiques comparables à celles qu’un investisseur privé aurait fait établir avant de procéder à la mise en œuvre de la mesure litigieuse aux fins de déterminer sa rentabilité future.

336    Par ailleurs, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité d’un renvoi pur et simple à un tableau figurant dans une annexe du mémoire en intervention, où figurent des extraits de documents, parfois commentés, non mentionnés dans ledit mémoire, force est de constater qu’aucun des passages cités ou des commentaires figurant dans le tableau présenté à l’annexe 12 de ce mémoire ne se réfère à la mesure litigieuse.

337    Par conséquent, il y a lieu de rejeter la quatrième branche du deuxième moyen avancé à titre principal dans son ensemble.

7.      Sur la cinquième branche

a)      Arguments des parties

338    EDF, soutenue par la République française, affirme en substance et de manière conclusive que, comme l’ont démontré les arguments qu’elle a allégués à l’appui de ses deux premiers moyens avancés à titre principal, c’est à tort que la Commission a écarté l’applicabilité du critère de l’investisseur privé en l’espèce. En effet, une analyse objective et non biaisée de la nature et de l’objet de la mesure, du contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que de l’objectif poursuivi et des règles qui lui sont applicables aurait dû la conduire à constater l’applicabilité du critère à la mesure en cause.

339    S’agissant de la nature et de l’objet de la mesure en cause, il s’agirait d’une mesure de recapitalisation d’EDF par la République française qui était seul actionnaire.

340    S’agissant du contexte dans lequel la mesure a été adoptée, il aurait été clairement décrit aux points 9 à 36 de l’arrêt dans l’affaire T‑156/04 et se caractérisait, en 1997, par la perspective de l’ouverture prochaine du marché européen de l’électricité à la concurrence. Or, dans ce contexte, la capacité d’EDF à réagir face à cette libéralisation et à profiter des opportunités d’investissements internationaux aurait été restreinte par l’état de son bilan.

341    S’agissant de l’objectif poursuivi, la loi no 97-1026 aurait eu pour « objet de restructurer le bilan d’EDF et d’augmenter les fonds propres de celle-ci » et poursuivait un « objectif de recapitalisation d’EDF », suivant l’arrêt dans l’affaire T‑156/04 (points 243 et 247).

342    Enfin, s’agissant des règles applicables à la mesure, dans la mesure où celle-ci aurait été une recapitalisation d’EDF dont le capital était défini par une loi, elle n’aurait pu être mise en œuvre que par une loi, ce qu’aurait reconnu le Tribunal au point 252 de son arrêt dans l’affaire T‑156/04.

343    EDF conclut que, en adoptant la loi no 97-1026, qui visait à sa recapitalisation, la République française s’était comportée comme l’aurait fait un actionnaire, ce que démontreraient les documents contemporains qui auraient été transmis à la Commission, et celle-ci aurait dû reconnaître l’applicabilité du critère de l’investisseur privé.

344    La Commission conteste cette argumentation.

b)      Appréciation du Tribunal

345    EDF, soutenue par la République française, fait valoir en substance et de manière conclusive que, comme l’ont démontré les arguments qu’elle a avancés à l’appui de son premier moyen soulevé à titre principal et des quatre premières branches du deuxième moyen avancé à titre principal, c’est à tort que la Commission a écarté l’applicabilité du critère de l’investisseur privé en l’espèce. En effet, une analyse objective et non biaisée de la nature et de l’objet de la mesure, du contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que de l’objectif poursuivi et des règles qui lui sont applicables aurait dû la conduire à constater l’applicabilité du critère à la mesure en cause.

346    L’argumentation avancée par EDF et la République française tend en réalité à faire constater l’applicabilité du critère de l’investisseur privé sur la seule base des éléments relatifs à la nature et à l’objet de la mesure, au contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi qu’à l’objectif poursuivi et aux règles auxquelles ladite mesure est soumise.

347    Toutefois, pour les motifs exposés dans le cadre des quatre premières branches du deuxième moyen avancé à titre principal, ces éléments ne suffisent pas à démontrer l’applicabilité du critère de l’investisseur privé. En effet, EDF et la République française n’ont pas avancé d’éléments permettant d’établir sans équivoque que la République française avait pris, préalablement ou simultanément à l’octroi de l’avantage, c’est-à-dire en l’espèce la renonciation à percevoir l’impôt lors du reclassement des droits du concédant en dotation en capital, la décision de procéder, par cette mesure, à un investissement dans EDF et que, au moment de l’adoption de cette décision, la République française avait évalué, comme l’aurait fait un investisseur privé, la rentabilité de l’investissement que constituerait l’octroi d’un tel avantage à EDF.

348    Partant, la cinquième branche du deuxième moyen avancé à titre principal doit également être rejetée.

8.      Conclusion sur le deuxième moyen avancé à titre principal

349    Il convient en conséquence de rejeter le présent moyen dans son ensemble.

C.      Sur le troisième moyen avancé à titre principal

350    Le troisième moyen avancé à titre principal est tiré de la violation de l’article 107 TFUE, en raison de diverses erreurs qui auraient été commises par la Commission lors de l’examen des conditions de l’application du critère de l’investisseur privé.

351    Il convient toutefois de rappeler que la Commission, dans la décision attaquée, a considéré que le critère de l’investisseur privé n’était pas applicable en l’espèce et qu’elle n’a analysé les conditions de l’application dudit critère qu’à titre subsidiaire.

352    Dès lors qu’EDF n’a pas démontré que c’était à tort que la Commission avait écarté l’applicabilité du critère de l’investisseur privé et qu’il convient, dans cette mesure, de rejeter le deuxième moyen, il y a lieu de rejeter le troisième moyen comme inopérant.

D.      Sur le quatrième moyen avancé à titre principal

1.      Arguments des parties

353    EDF fait valoir que la Commission, en manquant à son obligation de prendre en considération tous les éléments pertinents aux fins de l’analyse de l’avantage, ce qu’elle a démontré dans les trois premiers moyens avancés à titre principal, a également manqué à son obligation de motivation. Elle reproche à cet égard à la Commission d’avoir écarté sans explication, d’une part, des pièces démontrant que la mesure en cause n’était pas une prétendue décision de ne pas imposer les droits du concédant et, d’autre part, des pièces éclairant la méthodologie qu’il convenait d’utiliser dans l’application du critère de l’investisseur privé.

354    La Commission conteste cette argumentation.

2.      Appréciation du Tribunal

355    Il convient de rappeler que, suivant une jurisprudence constante, la portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté. La motivation doit faire apparaître de manière claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, de façon, d’une part, à permettre au juge de l’Union d’exercer son contrôle de légalité et, d’autre part, à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise, afin de pouvoir défendre leurs droits et de vérifier si la décision est ou non bien fondée. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, la Commission n’est pas tenue de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elle par les intéressés, mais il lui suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir arrêt du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, T‑228/99 et T‑233/99, EU:T:2003:57, points 278 à 280).

356    EDF reproche à la Commission d’avoir écarté en violation de son obligation de motivation des pièces qui démontreraient que la mesure litigieuse n’était pas une décision de ne pas imposer les droits du concédant.

357    Toutefois, il y a lieu de constater que, aux considérants 23 à 35, 74 et 112 à 123 de la décision attaquée, la Commission a expliqué les raisons pour lesquelles elle considérait, sur le fondement des éléments communiqués par la République française et en particulier de la note du 9 avril 2002 (voir considérant 35 de ladite décision), que la renonciation à percevoir l’impôt sur les droits du concédant lors de leur requalification en dotation en capital constituait un avantage au profit d’EDF. Cette décision n’est donc entachée d’aucune violation de l’obligation de motivation à cet égard.

358    EDF reproche par ailleurs à la Commission d’avoir écarté en violation de son obligation de motivation des pièces qui éclaireraient la méthodologie qu’il convenait de retenir lors de l’application du critère de l’investisseur privé.

359    Dès lors que l’examen des conditions de l’application du critère de l’investisseur n’a été effectué qu’à titre subsidiaire et que c’est sans commettre d’erreur que la Commission a considéré que ledit critère n’était pas applicable en l’espèce, il y a lieu de déclarer inopérante l’argumentation d’EDF à cet égard.

360    Par conséquent, il convient de rejeter le quatrième moyen avancé à titre principal comme étant partiellement non fondé et partiellement inopérant.

E.      Sur le premier moyen avancé à titre subsidiaire

361    Le premier moyen avancé à titre subsidiaire est tiré, d’une part, de ce que certaines aides auraient dû être qualifiées d’aides existantes et, d’autre part, de la violation de l’article 1er, sous b), v), et de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 659/1999.

1.      Rappel de la décision attaquée

Aux termes du considérant 215 de la décision attaquée :

« La Commission considère aussi que, contrairement à l’affirmation des autorités françaises, la règle de prescription ne s’applique pas en l’espèce. Certes, EDF a créé les provisions comptables en franchise d’impôt de 1987 à 1996. Cependant, il convient de remarquer, d’une part, que d’après le Conseil national de la comptabilité, les corrections d’erreur, qui, par leur nature même, portent sur la comptabilisation des opérations passées, doivent être comptabilisées dans le résultat de l’exercice au cours duquel elles sont constatées et, d’autre part, que la loi qui dispose que les droits du concédant sont reclassés en dotations en capital sans être soumis à l’impôt sur les sociétés date du 10 novembre 1997. L’avantage fiscal date donc de 1997, et la prescription ne s’applique pas à une aide nouvelle versée à cette date, car le premier acte de la Commission concernant cette mesure date du 10 juillet 2001. Par ailleurs, en vertu de l’article 15 du règlement […] no 659/1999, la procédure au contentieux suspend le délai de prescription. »

2.      Sur la première branche, tirée de la violation de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999

a)      Arguments des parties

362    EDF considère que la mesure litigieuse, à supposer avérée la qualification d’aide, devait de toute manière être qualifiée d’aide existante.

363    EDF soutient que, selon l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999, des aides mises en œuvre dans un secteur initialement fermé à la concurrence constituent des aides existantes, qualification qu’elles ne perdent qu’à la date fixée pour la libéralisation du secteur.

364    EDF considère que la solution retenue par le Tribunal, au point 143 de son arrêt du 15 juin 2000, Alzetta e.a./Commission (T‑298/97, T‑312/97, T‑313/97, T‑315/97, T‑600/97 à T‑607/97, T‑1/98, T‑3/98 à T‑6/98 et T‑23/98, EU:T:2000:151), est transposable au cas d’espèce. En effet, le secteur de l’électricité a été libéralisé par la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 décembre 1996, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (JO 1997, L 27, p. 20), qui est entrée en vigueur le 19 février 1997 et prévoyait un délai de transposition expirant le 19 février 1999. Cette directive n’a toutefois été transposée par la République française que le 10 février 2000.

365    EDF soutient que, par conséquent, toute mesure adoptée ou mise en œuvre avant cette date, à supposer établie la qualification d’aides d’État, doit nécessairement être considérée comme existante et ne peut donc faire l’objet d’une injonction de restitution. C’est le cas, selon elle, de la loi no 97-1026, adoptée quinze mois avant l’expiration du délai de transposition fixé dans la directive, en l’absence de mesure nationale de transposition antérieure à ladite loi.

366    La Commission conteste cette argumentation.

b)      Appréciation du Tribunal

367    Il convient de rappeler que, aux termes du considérant 4 du règlement no 659/1999, « dans un souci de sécurité juridique, il convient de définir dans quelles circonstances une aide doit être considérée comme une aide existante ; […] l’achèvement et l’approfondissement du marché intérieur constituent un processus graduel, ce qui se reflète dans l’évolution constante de la politique en matière d’aides d’État ; […] du fait de cette évolution, certaines mesures qui, au moment de leur mise en œuvre, ne constituaient pas une aide d’État, peuvent être devenues une telle aide ».

368    Aux termes de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999, constitue une aide existante toute aide qui est réputée existante, parce qu’il peut être établi qu’elle ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui est devenue une aide par la suite en raison de l’évolution du marché commun et sans avoir été modifiée par l’État membre. Les mesures qui deviennent une aide à la suite de la libéralisation d’une activité par le droit communautaire ne sont pas considérées comme une aide existante après la date fixée pour la libéralisation.

369    Conformément à l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999, la date de libéralisation d’une activité par le droit communautaire doit par conséquent être prise en considération aux seules fins d’exclure que, à la suite de cette date, une mesure qui ne constituait pas une aide avant la libéralisation par le droit communautaire soit qualifiée, par la suite, d’aide existante. En revanche, la présence d’une date de libéralisation, résultant d’une directive telle que celle en cause en l’espèce, ne suffit pas à exclure qu’une mesure puisse être qualifiée d’aide nouvelle si, sur la base du critère de l’évolution du marché, il peut être prouvé que la mesure avait été adoptée sur un marché qui était déjà, en tout ou partie, ouvert à la concurrence avant la date de libéralisation de l’activité concernée par le droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 4 avril 2001, Regione Autonoma Friuli-Venezia Giulia/Commission, T‑288/97, EU:T:2001:115, point 95).

370    La Commission a exposé, aux considérants 196 à 204 de la décision attaquée, et sans que cela soit contesté par EDF, qui avait avancé un moyen à cet égard dans le cadre du recours ayant donné lieu à l’arrêt dans l’affaire T‑156/04, rejeté par le Tribunal aux points 134 à 155 dudit arrêt, que l’aide avait été accordée dans le cadre d’un secteur s’étant ouvert progressivement à la concurrence, dans lequel, avant 1997 déjà, EDF exportait de l’électricité dans d’autres États membres, opérait par l’intermédiaire de filiales sur des marchés de services ouverts à la concurrence, se trouvait en concurrence réelle ou potentielle avec d’autres opérateurs sur le marché de l’électricité dans l’Union européenne dans d’autres États membres et qu’elle était en concurrence en France avec des fournisseurs d’autres énergies telles que le gaz.

371    Dans ces conditions, la mesure litigieuse ne saurait être considérée comme une mesure préexistante qui ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur et qui serait devenue une aide à la suite de l’évolution du marché à la fin de la période de transposition de la directive 92/96.

372    Il convient par conséquent de rejeter comme dénuée de fondement la première branche du premier moyen avancé à titre subsidiaire.

3.      Sur la seconde branche, tirée de la violation de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 659/1999

a)      Arguments des parties

373    EDF rappelle tout d’abord que la complexité et les incertitudes qui régnaient au sujet du statut patrimonial du RAG ont été tranchées par l’article 4, paragraphe 1, de la loi no 97-1026, qui indique que le RAG est réputé constituer la propriété d’EDF depuis que la concession de ce réseau lui a été accordée.

374    EDF soutient qu’il faudrait dès lors en conclure, comme le faisait la Commission dans la décision d’ouverture (paragraphes 45, 49 et 52), que, par la constitution de provisions pour renouvellement de 1987 à 1996, elle avait en réalité bénéficié d’un avantage fiscal indu chaque année de 1987 à 1996, avantage qui n’avait été que partiellement annulé par les ajustements et les reclassements comptables effectués en 1997.

375    Le premier acte d’instruction ayant été effectué par la Commission le 10 juillet 2001, aucune provision constituée avant le 10 juillet 1991 ne pourrait par conséquent entrer en ligne de compte dans le calcul de la mesure dont aurait bénéficié EDF, eu égard à la prescription établie par l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 659/1999.

376    Le montant des droits du concédant constitués après le 10 juillet 1991 susceptible d’être qualifié d’aide nouvelle ne représenterait en ce cas qu’un montant de 7,976 milliards de FRF sur un total de 14,119 milliards de FRF.

377    En outre, EDF avance que la Commission a modifié son analyse de la mesure litigieuse entre la décision d’ouverture et la décision attaquée afin de contourner la prescription. Selon elle, il ressort de la décision d’ouverture que l’aide avait été constituée chaque année depuis 1987. Dans la décision attaquée, la Commission se référerait à la notion de consolidation de l’aide, en considérant que la non-imposition des provisions précédemment constituées aurait constitué une aide à la date de cette non-imposition, c’est-à-dire en 1997.

378    EDF avance que la décision d’ouverture, qui constitue la base de la décision attaquée (considérant 52 de cette dernière), reprend en effet la thèse de l’avantage sélectif qui lui aurait été conféré pendant la période 1987-1996 et indique que le montant de cet avantage correspond « à la différence entre la valeur capitalisée de l’impôt sur les sociétés non payé sur les provisions au cours de la même période et le montant de l’impôt sur les sociétés acquitté par [elle] en 1997 à la suite de l’entrée en vigueur de l’article 4 de la loi no 97‑1026. »

379    Or, le mode de calcul finalement retenu dans la décision attaquée ne reposerait pas sur la différence entre la valeur capitalisée de l’impôt sur les sociétés non payé sur les provisions au cours de la même période et le montant de l’impôt sur les sociétés acquitté par EDF en 1997. Au considérant 220 de ladite décision, la Commission retiendrait en effet le montant « versé sous forme d’exonération d’impôt sur les sociétés d’un montant de 5 882 849 762 FRF relative au reclassement en capital d’une partie des provisions à hauteur de 14 119 065 335 FRF ».

380    De plus, la Commission méconnaîtrait de la sorte la notion d’aide existante en qualifiant d’aide nouvelle une mesure n’ayant que partiellement annulé des avantages consentis antérieurement (paragraphe 49 de la décision d’ouverture).

381    Enfin, EDF fait valoir en substance que la Commission ne saurait opposer une règle de comptabilité nationale pour s’opposer à son argumentation relative à l’existence d’une aide nouvelle.

382    La Commission conteste ces allégations.

b)      Appréciation du Tribunal

383    EDF soutient, en substance, qu’une large partie de l’aide serait prescrite, dans la mesure où, dans la décision d’ouverture (paragraphes 45, 49 et 52), la Commission aurait considéré que, par la constitution de provisions pour renouvellement de 1987 à 1996, elle avait en réalité bénéficié d’un avantage fiscal indu chaque année de 1987 à 1996, avantage qui n’avait été que partiellement annulé par les ajustements et les reclassements comptables effectués en 1997, alors que, dans la décision attaquée, ladite institution aurait à dessein modifié son analyse pour considérer que l’avantage avait été consolidé par la loi no 97-1026.

384    Premièrement, il convient de rappeler que, dans le cadre de la réorganisation du bilan d’EDF, les autorités françaises ont suivi l’avis du Conseil national de la comptabilité, lequel établit que les corrections d’erreurs comptables, qui, par leur nature même, portent sur la comptabilisation des opérations passées, « sont comptabilisées dans le résultat de l’exercice au cours duquel elles sont constatées ». Cet élément n’est pas contesté par la République française.

385    Il convient également d’observer qu’il ressort de la lettre du 22 décembre 1997 (voir point 23 ci-dessus) que, s’agissant des « provisions pour renouvellement devenues injustifiées (38 520 943 408 FRF) [c’est-à-dire les provisions non utilisées, celles-ci sont reclassées] au report à nouveau, en application de l’[avis du Conseil national de la comptabilité] ».

386    Enfin, il convient de rappeler que, dans la note du 9 avril 2002 (annexe D.2 de la duplique), la République française a indiqué que « les droits du concédant [correspondant aux provisions pour renouvellement utilisées] afférents au RAG [représentaient] une dette indue [d’EDF à l’égard de l’État telle qu’elle apparaissait dans le bilan] que l’incorporation au capital [avait] libéré d’impôt de manière injustifiée ». Elle a précisé, dans cette même note, que « le RAG étant constitué de biens propres, EDF n’était tenue à l’égard de l’État d’aucune dette de restitution de ces biens, de sorte que les montants correspondant figurant au poste “droits du concédant” [constituaient] non un passif réel mais une réserve non libérée d’impôt », et que « [d]ans ces conditions, cette réserve aurait dû, préalablement à son incorporation au capital, être transférée du passif de l’établissement, où elle figurait à tort, vers un compte de situation nette, entraînant ainsi une variation positive d’actif net imposable […] l’avantage en impôts ainsi obtenu [pouvant] être évalué à 5,88 milliards [de] FRF (14,119 x 41,67 %) ». Une note en bas de page apporte, au sujet de ces chiffres, la précision suivante : « Taux normal de l’impôt des sociétés (31,1/3 %) augmenté des contributions additionnelles en vigueur pour les exercices clos entre le 1er janvier 1997 et le 1er janvier 1999 ».

387    Il ne fait par conséquent pas de doute que le reclassement des droits du concédant en dotation en capital, intervenu le 1er janvier 1997, constituait le fait générateur de l’imposition.

388    Dans ces circonstances, la prescription n’était pas acquise, puisque le premier acte d’instruction avait été effectué par la Commission le 10 juillet 2001.

389    Deuxièmement, et à titre surabondant, il convient de rappeler que, conformément à l’article 4 du règlement no 659/1999, la Commission doit ouvrir une procédure formelle d’examen, prévoyant l’information des intéressés, dès lors que, au terme d’un examen préliminaire, elle entretient des doutes sur la compatibilité de la mesure financière en cause avec le marché commun. Il en résulte que, dans la communication relative à l’ouverture de cette procédure, la Commission ne peut être tenue de présenter une analyse aboutie à l’égard de l’aide en cause, mais il suffit qu’elle définisse suffisamment le cadre de son examen afin de ne pas vider de son sens le droit des intéressés de présenter leurs observations (voir arrêt dans l’affaire T‑156/04, point 108 et jurisprudence citée).

390    Il convient, par ailleurs, de rappeler que, conformément à l’article 6 du règlement no 659/1999, lorsque la Commission décide d’ouvrir la procédure formelle d’examen, la décision d’ouverture peut se limiter à récapituler les éléments pertinents de fait et de droit, à inclure une évaluation provisoire de la mesure étatique en cause visant à déterminer si elle présente le caractère d’une aide et à exposer les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché commun (voir arrêt dans l’affaire T‑156/04, point 109 et jurisprudence citée).

391    La décision d’ouverture doit ainsi mettre les parties intéressées en mesure de participer de manière efficace à la procédure formelle d’examen lors de laquelle elles auront la possibilité de faire valoir leurs arguments. À cette fin, il suffit que les parties intéressées connaissent le raisonnement qui a amené la Commission à considérer provisoirement que la mesure en cause pouvait constituer une aide nouvelle incompatible avec le marché commun (voir arrêt dans l’affaire T‑156/04, point 110 et jurisprudence citée).

392    Il s’ensuit que l’analyse de la mesure qui figure dans la décision d’ouverture est une analyse provisoire, qui peut donc être affinée ou rectifiée par la Commission dans le cadre de la décision finale.

393    L’analyse de la mesure litigieuse qui figure, en l’espèce, dans la décision d’ouverture, n’était donc pas définitive et c’est à bon droit que la Commission a pu préciser ou rectifier cette analyse dans la décision attaquée.

394    En outre, il convient de relever que, au paragraphe 71 de la décision d’ouverture, la Commission avait en tout état de cause déjà considéré que « les reclassements et les ajustements comptables qui [avaient] consolidé une partie de l’avantage qu’EDF s’était assuré par la création irrégulière de provisions pour le renouvellement du RAG à haute tension [avaient] été enregistrés en 1997, à la suite de l’adoption par le Parlement français de l’article 4 de la loi no 97‑1026 du 10 novembre 1997 », que « [l]’élément d’aide, consistant dans la valeur capitalisée de l’avantage non annulé par lesdits reclassements et ajustements, [avait] donc été consolidé avec l’agrément des autorités françaises dans le courant du délai de prescription de dix ans prévu à l’article 15, paragraphe 3, du règlement no 659/1999 et en infraction avec l’article 88, paragraphe 3, du traité » et que « [c]et élément d’aide [constituait] donc une aide nouvelle. »

395    Enfin, troisièmement, l’argumentation relative au caractère d’aide nouvelle avancée à l’appui de la présente branche se confond pour le surplus avec celle que fait valoir EDF à l’appui de la première branche du présent moyen et doit par conséquent également être rejetée, eu égard aux motifs exposés aux points 367 à 372 ci-dessus.

396    Il convient par conséquent de rejeter la seconde branche du premier moyen avancé à titre subsidiaire.

F.      Sur le second moyen avancé à titre subsidiaire

1.      Arguments des parties

397    EDF soutient, d’une part, à l’appui d’une première branche, que la Commission a retenu un montant de 56 886 millions de FRF, en additionnant le total du montant des provisions pour renouvellement non utilisées au bilan au 31 décembre 1996 (38 520 millions de FRF) et des sommes reclassées en capitaux propres (18 345 millions de FRF). Or, selon elle, le montant total des provisions pour renouvellement constituées au cours de la période 1987-1996 s’élève à 47 943 millions de FRF dont l’affectation a été la suivante : 9 423 millions de FRF aux droits du concédant à l’occasion des opérations de renouvellement des ouvrages du RAG qu’elle a réalisées entre 1987 et 1996 ; le solde, soit 38 520 millions de FRF, à un compte de réserves sans transiter par le compte de résultat lors de la restructuration du bilan.

398    EDF précise que la différence entre le montant total des sommes reclassées en capitaux propres (18 345 millions de FRF) et l’utilisation de la provision pour renouvellement affectée aux droits du concédant (9 423 millions de FRF) est constituée des écarts de réévaluation (4 226 millions de FRF) et des financements par le concédant de certains ouvrages du RAG (4 696 millions de FRF) pendant la période allant de 1987 à 1996.

399    D’autre part, au soutien d’une seconde branche, EDF avance que le taux de l’impôt sur les sociétés qui aurait dû être appliqué pour le calcul du remboursement est celui de 1996 et non celui de 1997. Selon elle, l’article 1er de la loi no 97‑1026 a instauré une nouvelle contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés égale à 15 % de cet impôt pour les exercices clos entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 1998, qui n’existait donc pas auparavant. Seule la contribution additionnelle de 10 % sur l’impôt sur les sociétés aurait été en vigueur.

400    EDF allègue que les régularisations opérées à l’occasion de la restructuration de son bilan ont été taxées au taux de l’impôt sur les sociétés de 1997, soit 33,33 %, augmenté des deux contributions additionnelles de, respectivement, 10 % et 15 % (articles 235 ter ZA et ter ZB du code général des impôts), c’est-à-dire un taux global de 41,67 %.

401    Or, la régularisation aurait dû être faite au titre de l’exercice 1996 au taux global de 36,67 %. En effet, l’article 4 de la loi no 97-1026 dispose expressément que les ouvrages du RAG en énergie électrique sont réputés constituer la propriété d’EDF depuis que la concession de ce réseau lui a été accordée.

402    Selon EDF, il faudrait donc raisonner comme si elle avait toujours eu la propriété du RAG, c’est-à-dire comme si elle n’avait jamais constitué de provisions pour renouvellement sur ces biens. Dans ces conditions, si elle n’avait pas constitué ces provisions, elle serait devenue redevable de l’impôt au titre de l’exercice 1996, son résultat fiscal après imputation des reports antérieurs devenant bénéficiaire au 31 décembre 1996, compte tenu, par ailleurs, des autres corrections liées à sa réforme comptable. C’est donc bien, selon elle, le taux en vigueur pour l’exercice de 1996 qu’il conviendrait d’appliquer à l’exercice de régularisation et, a fortiori,pour évaluer globalement une éventuelle insuffisance de taxation.

403    Enfin, il y aurait lieu de constater que le bilan ayant servi de base à la restructuration est le bilan au 31 décembre 1996, que l’impôt payé en 1997 au titre de cette restructuration a été calculé sans tenir compte du résultat de l’exercice 1997 et que les crédits d’impôts disponibles au 31 décembre 1996 ont été imputés sur cet impôt.

404    En conclusion, EDF considère que le montant des droits du concédant susceptible d’être qualifié d’aide nouvelle, si l’on suit ce raisonnement, s’élève à 7 655 millions de FRF auquel il convient d’appliquer le taux de l’impôt sur les sociétés de 1996, soit 36,67 %. De ce montant, il conviendrait de déduire le montant de la surimposition de la somme de 38 520 millions de FRF du fait d’une taxation de 41,67 % au lieu de 36,67 %, soit 1 926 millions de FRF. Dans ces conditions, le montant de l’aide s’élèverait à : [7 976 x 36,67 %] - [38 520 x (41,67 - 36,67)] = 998,80 millions de FRF, soit 151 millions d’euros.

405    La Commission conteste cette argumentation.

2.      Appréciation du Tribunal

406    À l’appui de la première branche du second moyen avancé à titre subsidiaire, EDF fait valoir que des erreurs de calculs auraient été commises lors de la détermination du montant des provisions pour renouvellement.

407    EDF avance par ailleurs en substance, au soutien d’une seconde branche, que c’est à tort que le taux d’imposition de 1997 a été retenu afin de calculer l’avantage fiscal dont elle avait bénéficié et qu’il aurait fallu retenir le taux applicable en 1996, qui lui aurait été plus favorable.

408    Premièrement, il y a lieu de rappeler que la lettre du 22 décembre 1997 (voir point 23 ci-dessus), précise, s’agissant des droits du concédant : « consolidation en dotations en capital de la contre-valeur des biens en nature du RAG mis dans la concession à hauteur de 14 119 065 335 FRF ».

409    Deuxièmement, dans la note du 9 avril 2002 (annexe D.2 de la duplique), la République française a indiqué ce qui suit :

« […] Il convient […] de distinguer le retraitement des provisions pour renouvellement utilisées qui figuraient selon les informations fournies par EDF au poste “Droits du concédant” pour un montant de 14,119 [milliards de FRF] et non de 18,345 [milliards de FRF] de celles des provisions non encore utilisées pour un montant de 38,5 [milliards de FRF].

Les droits du concédant [correspondant aux provisions pour renouvellement utilisées] afférents au RAG représentent une dette indue [d’EDF à l’égard de l’État français telle qu’elle apparaissait dans le bilan] que l’incorporation au capital a libéré d’impôt de manière injustifiée.

[… ] Le RAG étant constitué de biens propres, EDF n’était tenue à l’égard de l’État d’aucune dette de restitution de ces biens, de sorte que les montants correspondant figurant au poste “Droits du concédant” constituent non un passif réel mais une réserve non libérée d’impôt. Dans ces conditions, cette réserve aurait dû, préalablement à son incorporation au capital, être transférée du passif de l’établissement, où elle figurait à tort, vers un compte de situation nette, entraînant ainsi une variation positive d’actif net imposable […] l’avantage en impôts ainsi obtenu [pouvant] être évalué à 5,88 milliards [de] FRF (14,119 x 41,67 %) ».

410    Une note en bas de page de la note du 9 avril 2002 précise, au sujet de ces chiffres : « Taux normal de l’impôt des sociétés (31,1/3 %) augmenté des contributions additionnelles en vigueur pour les exercices clos entre le 1er janvier 1997 et le 1er janvier 1999 ».

411    Troisièmement, il convient de rappeler que, dans le cadre de la réorganisation du bilan d’EDF, les autorités françaises ont suivi l’avis du Conseil national de la comptabilité, qui établit que les corrections d’erreurs comptables, qui, par leur nature même, portent sur la comptabilisation des opérations passées, « sont comptabilisées dans le résultat de l’exercice au cours duquel elles sont constatées » (voir annexe I-8 du mémoire en intervention).

412    La lettre du 22 décembre 1997 (voir 23 point ci-dessus) précise à cet égard que les « provisions pour renouvellement devenues injustifiées (38 520 943 408 FRF) [sont reclassées] au report à nouveau, en application de l’[avis du Conseil national de la comptabilité] ». Il résulte en outre de l’annexe 3 de cette lettre que ce reclassement des provisions non utilisées a entraîné une variation d’actif net qui a été soumise à l’impôt des sociétés au taux de 41,66 %, qui, il est admis par les parties, était le taux d’imposition applicable en 1997.

413    Il ne saurait par conséquent être reproché à la Commission de s’être fondée sur les informations, relatives notamment au montant des provisions pour renouvellement ou au taux d’imposition applicable, qui lui ont été fournies par la République française au cours de la procédure administrative pour évaluer le montant de l’aide en cause (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2009, France et France Télécom/Commission, T‑427/04 et T‑17/05, EU:T:2009:474, points 302 et 303, confirmé sur pourvoi par arrêt du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission, C‑81/10 P, EU:C:2011:811, points 102 à 104).

414    Partant, il y a lieu de rejeter les deux branches du second moyen avancé à titre subsidiaire et, par conséquent, celui-ci dans son ensemble.

 Sur les dépens

415    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Par ailleurs, aux termes de l’article 134, paragraphe 2, dudit règlement, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens. En outre, l’article 138, paragraphe 1, du même règlement prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

416    En l’espèce, EDF et la République française ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, les dépens de la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Électricité de France (EDF) est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par la Commission européenne, à l’exception de ceux exposés par cette dernière en raison de l’intervention de la République française.

3)      La République française est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission en raison de son intervention.




Frimodt Nielsen

Kreuschitz

Półtorak


Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 janvier 2018.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Frimodt Nielsen


Table des matières


I. Antécédents du litige

A. Introduction

B. Sur le bénéficiaire de l’aide

C. Sur la constitution de provisions comptables pour le renouvellement du RAG

D. Sur la requalification des provisions comptables

E. Sur l’incidence fiscale de la requalification des provisions comptables

F. Sur la décision d’ouverture

G. Sur la décision initiale de la Commission

H. Sur l’arrêt dans l’affaire T156/04

I. Sur l’arrêt dans l’affaire C124/10 P

J. Sur la décision d’extension

K. Sur la décision attaquée

II. Procédure et conclusions des parties

III. En droit

A. Sur le premier moyen avancé à titre principal

1. Arguments des parties

2. Appréciation du Tribunal

B. Sur le deuxième moyen avancé à titre principal

1. Rappel de la décision attaquée

2. Considérations liminaires

3. Sur la première branche

a) Arguments des parties

b) Appréciation du Tribunal

4. Sur la deuxième branche

a) Arguments des parties

b) Appréciation du Tribunal

5. Sur la troisième branche

a) Arguments des parties

b) Appréciation du Tribunal

1) Sur l’erreur de droit alléguée

2) Sur les erreurs de fait alléguées

6. Sur la quatrième branche

a) Arguments des parties

b) Appréciation du Tribunal

7. Sur la cinquième branche

a) Arguments des parties

b) Appréciation du Tribunal

8. Conclusion sur le deuxième moyen avancé à titre principal

C. Sur le troisième moyen avancé à titre principal

D. Sur le quatrième moyen avancé à titre principal

1. Arguments des parties

2. Appréciation du Tribunal

E. Sur le premier moyen avancé à titre subsidiaire

1. Rappel de la décision attaquée

2. Sur la première branche, tirée de la violation de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999

a) Arguments des parties

b) Appréciation du Tribunal

3. Sur la seconde branche, tirée de la violation de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 659/1999

a) Arguments des parties

b) Appréciation du Tribunal

F. Sur le second moyen avancé à titre subsidiaire

1. Arguments des parties

2. Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


*      Langue de procédure : le français.