Language of document : ECLI:EU:T:2018:27

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

24 janvier 2018 (*)

« Marque de l’Union européenne – Demande de marque de l’Union européenne verbale Fack Ju Göhte – Motif absolu de refus – Marque contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs – Article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement (UE) 2017/1001] »

Dans l’affaire T‑69/17,

Constantin Film Produktion GmbH, établie à Munich (Allemagne), représentée par Mes E. Saarmann et P. Baronikians, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. M. Fischer et Mme D. Walicka, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la cinquième chambre de recours de l’EUIPO du 1er décembre 2016 (affaire R 2205/2015–5), concernant une demande d’enregistrement du signe verbal Fack Ju Göhte comme marque de l’Union européenne,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. G. Berardis, président, S. Papasavvas (rapporteur) et Mme O. Spineanu–Matei, juges,

greffier : Mme J. Weychert, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 3 février 2017,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 24 avril 2017,

à la suite de l’audience du 20 novembre 2017,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 21 avril 2015, la requérante, Constantin Film Produktion GmbH, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal Fack Ju Göhte, qui est, par ailleurs, le titre d’une comédie cinématographique allemande, produite par la requérante, ayant été l’un des plus grands succès cinématographiques de l’année 2013 en Allemagne. Une suite a d’ailleurs été produite par la requérante et a fait l’objet d’une sortie cinématographique en 2015.

3        Les produits et les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 3, 9, 14, 16, 18, 21, 25, 28, 30, 32, 33, 38 et 41 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 3 : « Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons, parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux, dentifrices » ;

–        classe 9 : « Supports de données enregistrées en tous genres ; publications électroniques (téléchargeables), à savoir données audio, vidéo, textes, images et graphiques au format numérique ; appareils et instruments photographiques, cinématographiques et d’enseignement ; appareils pour l’enregistrement, la transmission, la reproduction du son ou des images ; équipement informatique pour le traitement de l’information et ordinateurs et leurs pièces ; logiciels » ;

–        classe 14 : « Joaillerie ; bijouterie ; pierres précieuses ; horlogerie et instruments chronométriques » ;

–        classe 16 : « Produits de l’imprimerie ; photographies ; papeterie ; articles de bureau (à l’exception des meubles) ; matériel d’instruction à l’exception des appareils » ;

–        classe 18 : « Malles et valises ; parapluies et parasols ; cannes ; bagages ; porte-adresses pour bagages ; sacs ; portefeuilles et autres objets de transport » ;

–        classe 21 : « Verrerie, porcelaine et faïence non compris dans d’autres classes ; chandeliers » ;

–        classe 25 : « Vêtements, chaussures, chapellerie » ;

–        classe 28 : « Jeux, jouets ; articles de gymnastique et de sport non compris dans d’autres classes ; décorations pour sapins de Noël » ;

–        classe 30 : « Café, thé, cacao et succédanés du café ; riz ; tapioca et sagou ; farines et préparations faites de céréales, pain, pâtisserie et confiserie ; glaces alimentaires ; sucre, miel, mélasse ; levure, poudre pour faire lever ; sel ; moutarde ; vinaigre, sauces (condiments) ; épices ; glace à rafraîchir » ;

–        classe 32 : « Bières ; eaux minérales et gazeuses et autres boissons sans alcool ; boissons à base de fruits et jus de fruits ; sirops et autres préparations pour faire des boissons » ;

–        classe 33 : « Boissons alcooliques (à l’exception des bières) » ;

–        classe 38 : « Services de télécommunication ; mise à disposition de salons de discussion et de forums sur l’internet, transmission de données via l’internet, en particulier données audio, vidéo, textuelles, d’images et graphiques en format numérique, y compris vidéo à la demande » ;

–        classe 41 : « Éducation ; formation ; divertissement, en particulier divertissements télévisés et cinématographiques, montage de programmes radiophoniques et de télévision, production radiophonique, télévisuelle et cinématographique, location de films cinématographiques, présentations de films dans des cinémas ; activités sportives et culturelles ».

4        Par décision du 25 septembre 2015, l’examinateur a refusé la demande d’enregistrement, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement no 207/2009 [devenu article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement 2017/1001], lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement (devenu article 7, paragraphe 2, du règlement 2017/1001), pour les produits et les services visés au point 3 ci-dessus.

5        Le 5 novembre 2015, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement no 207/2009 (devenus articles 66 à 71 du règlement 2017/1001), contre la décision de l’examinateur.

6        Par décision du 1er décembre 2016 (ci-après la « décision attaquée »), la cinquième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. En particulier, elle a considéré, s’agissant de la détermination du public pertinent, qu’il convenait de se fonder sur la perception des consommateurs germanophones de l’Union européenne, à savoir ceux d’Allemagne et d’Autriche. Elle a ajouté que les produits et les services litigieux s’adressaient au consommateur général, mais que certains d’entre eux s’adressaient aux enfants et aux adolescents. S’agissant de la perception du signe demandé par le public pertinent, la chambre de recours a estimé que la prononciation de l’élément verbal « fack ju » était identique à celle de l’expression anglaise « Fuck you » et que, par conséquent, sa signification était identique. La chambre de recours a également relevé que, même si le public pertinent n’attribuait pas de connotation sexuelle à l’expression « Fuck you », il s’agissait d’une insulte non seulement de mauvais goût, mais également choquante et vulgaire. S’agissant de l’ajout de l’élément « göhte », la chambre de recours a considéré que le fait qu’un écrivain respecté tel que Johann Wolfgang von Goethe soit insulté à titre posthume d’une manière aussi dégradante et vulgaire, qui plus est avec une orthographe erronée, ne pouvait nullement amoindrir le caractère blessant et contraire aux bonnes mœurs de l’insulte « Fack Ju/Fuck you ». Elle a ajouté que la référence à l’écrivain et poète Johann Wolfgang von Goethe créait même éventuellement un niveau supplémentaire de violation des bonnes mœurs. La chambre de recours a également indiqué que le fait que le titre d’un film ayant eu un large succès auprès du public soit identique à la marque demandée ne permettait pas de déduire que le public pertinent ne serait pas choqué par ladite marque. Enfin, alors qu’elle a relevé qu’il convenait d’apprécier une demande de marque en se fondant sur la perception des consommateurs au moment de la demande, la chambre de recours a indiqué que le motif de refus de l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement no 207/2009 ne pouvait pas être surmonté par la preuve d’un caractère distinctif acquis par l’usage au sens de l’article 7, paragraphe 3, dudit règlement (devenu article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001).

 Conclusions des parties

7        La requérante, à la suite d’un désistement partiel, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

8        L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

9        À l’appui de son recours, la requérante soulève deux moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement no 207/2009 et, le second, de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), dudit règlement [devenu article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001].

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement no 207/2009

10      La requérante fait valoir, en substance, que ni le signe demandé dans son ensemble ni les différents éléments qui le composent ne sont vulgaires, choquants ou injurieux. Elle en conclut que la chambre de recours s’est livrée à une interprétation erronée dudit signe et qu’elle a estimé, à tort, qu’il devait être refusé à l’enregistrement conformément à l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement no 207/2009, lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement.

11      À cet égard, il convient de relever que, selon l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement no 207/2009, les marques qui sont contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs sont refusées à l’enregistrement. Selon le paragraphe 2 dudit article, le paragraphe 1 est applicable même si les motifs de refus n’existent que dans une partie de l’Union. Une telle partie peut être constituée, le cas échéant, d’un seul État membre [voir arrêt du 20 septembre 2011, Couture Tech/OHMI (Représentation du blason soviétique), T‑232/10, EU:T:2011:498, point 22 et jurisprudence citée].

12      Il résulte de la jurisprudence que l’intérêt général sous-tendant le motif absolu de refus prévu à l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement no 207/2009 est d’éviter l’enregistrement de signes qui porteraient atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs lors de leur utilisation sur le territoire de l’Union (arrêt du 20 septembre 2011, Représentation du blason soviétique, T‑232/10, EU:T:2011:498, point 29).

13      L’examen du caractère contraire d’un signe à l’ordre public ou aux bonnes mœurs doit être opéré par référence à la perception de ce signe, lors de son usage en tant que marque, par le public pertinent situé dans l’Union ou dans une partie de celle–ci [arrêts du 20 septembre 2011, Représentation du blason soviétique, T‑232/10, EU:T:2011:498, point 50, et du 9 mars 2012, Cortés del Valle López/OHMI (¡Que buenu ye ! HIJOPUTA), T‑417/10, non publié, EU:T:2012:120, point 12].

14      En premier lieu, il y a lieu de relever qu’il est constant que les produits et les services en cause sont des produits et des services de consommation courante. Par conséquent, le public pertinent est composé du grand public, ainsi que l’a considéré à juste titre la chambre de recours par l’utilisation du terme « consommateur général » et comme l’a précisé l’EUIPO à l’audience, et le degré d’attention du public pertinent sera celui du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif.

15      Néanmoins, le public pertinent ne saurait être limité, aux fins de l’examen du motif de refus prévu à l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement no 207/2009, au public auquel sont directement adressés les produits et les services pour lesquels l’enregistrement est demandé. Il convient, en effet, de tenir compte du fait que le signe visé par ce motif de refus choquera non seulement le public auquel les produits et services désignés par le signe sont adressés, mais également d’autres personnes qui, sans être concernées par lesdits produits et services, seront confrontées à ce signe de manière incidente dans leur vie quotidienne [voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2011, PAKI Logistics/OHMI (PAKI), T‑526/09, non publié, EU:T:2011:564, point 18].

16      En deuxième lieu, il convient de rappeler que, même si le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails, il n’en reste pas moins que, en percevant un signe verbal, il identifiera des éléments verbaux qui, pour lui, suggèrent une signification concrète ou ressemblent à des mots qu’il connaît [voir arrêt du 8 juillet 2015, Deutsche Rockwool Mineralwoll/OHMI – Redrock Construction (REDROCK), T‑548/12, EU:T:2015:478, point 37 et jurisprudence citée].

17      En l’espèce, le consommateur moyen constatera que le signe demandé ressemble à l’expression anglaise fréquemment utilisée et largement répandue « Fuck you », à laquelle la requérante a ajouté l’élément « göhte », qui ressemble au patronyme de l’écrivain et poète Johann Wolfgang von Goethe. Or, dès lors que, d’une part, le signe demandé constitue plus précisément une retranscription phonétique en allemand de l’expression anglaise « Fuck you » qui est notoirement connue du public germanophone et, d’autre part, Johann Wolfgang von Goethe est un poète et écrivain allemand très apprécié en Allemagne et en Autriche, l’appréciation de la chambre de recours selon laquelle le public pertinent est composé du consommateur germanophone de l’Union, à savoir celui d’Allemagne et d’Autriche, doit être maintenue.

18      En troisième lieu, s’agissant de la perception du signe demandé par le public pertinent, il a été indiqué au point 17 ci-dessus que ce public assimilera ledit signe à l’expression anglaise « Fuck you » assortie du patronyme Goethe, le tout rédigé avec une orthographe différente. Or, le terme « fuck » est un terme utilisé aussi bien en tant que nom qu’en tant qu’adjectif, adverbe et interjection et dont le sens, à l’instar de la plupart des mots usuels, évolue au fil des ans et dépend du contexte dans lequel il est utilisé. Ainsi, si, dans son sens premier, l’expression anglaise « Fuck you » possède une connotation sexuelle et est empreinte de vulgarité, elle est également utilisée dans un contexte différent, comme l’a d’ailleurs envisagé la chambre de recours, pour exprimer de la colère, de la défiance ou du mépris à l’égard de quelqu’un. Toutefois, même dans une telle hypothèse, cette expression n’en demeure pas moins empreinte d’une vulgarité intrinsèque et l’ajout de l’élément « göhte » à la fin du signe en cause, s’il permet d’identifier à qui sont « adressés » les termes composant le début dudit signe, n’est pas susceptible d’en atténuer la vulgarité.

19      Par ailleurs, il y a lieu de noter que, contrairement à ce qu’a suggéré la requérante dans sa requête ainsi qu’à l’audience, la circonstance que le film Fack Ju Göhte ait été vu par plusieurs millions de personnes lors de sa sortie cinématographique ne signifie pas que le public pertinent ne sera pas choqué par le signe demandé.

20      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que c’est à juste titre que la chambre de recours a estimé que l’expression anglaise « Fuck you » et, partant, le signe demandé dans son ensemble étaient intrinsèquement vulgaires et qu’ils étaient susceptibles de choquer le public pertinent. Dès lors, c’est à bon droit qu’elle en a déduit que le signe demandé devait être refusé à l’enregistrement sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement no 207/2009.

21      Les autres arguments de la requérante ne sont pas de nature à remettre en cause une telle appréciation.

22      Premièrement, la requérante soutient que la condition tenant à la violation de l’ordre public aurait dû faire l’objet d’un examen distinct de celui de la condition tenant à la violation des bonnes mœurs dans la mesure où ces deux notions sont différentes. Elle affirme que la décision attaquée est insuffisamment motivée en droit, dès lors qu’elle n’expose ni les dispositions juridiques ni les principes de droit qui auraient été violés par le signe demandé, justifiant un refus d’enregistrement dudit signe pour violation de l’ordre public.

23      À cet égard, il convient de relever que les dispositions de l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement no 207/2009 n’obligent la chambre de recours ni à procéder à un examen séparé de l’éventuelle contrariété à l’ordre public et de celle aux bonnes mœurs des signes demandés ni, par conséquent, à préciser dans la motivation de quelle hypothèse il s’agit spécifiquement. En outre, contrairement à ce que suggère la requérante, une telle obligation ne ressort pas davantage des directives de l’EUIPO. Au contraire, il est indiqué dans les remarques générales de la partie B, section 4, chapitre 7, desdites directives que, ainsi que le reconnaît d’ailleurs la requérante, l’ordre public et les bonnes mœurs sont deux notions certes différentes, mais qui se recoupent souvent. Dans ces conditions, le présent grief est inopérant et doit être écarté.

24      Force est de constater qu’un tel grief est, en outre, infondé dans la mesure où, s’il ressort de la décision attaquée que la chambre de recours se réfère indifféremment à l’ordre public et aux bonnes mœurs lorsqu’elle cite les dispositions de l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement no 207/2009, elle a précisé, au point 31 de la décision attaquée, que, ainsi que l’a confirmé l’EUIPO lors de l’audience, le signe en cause avait été refusé à l’enregistrement en raison de sa contrariété aux bonnes mœurs. Par suite, c’est sans commettre d’erreur que la chambre de recours n’a ni procédé à un examen séparé de l’éventuelle contrariété à l’ordre public du signe demandé ni exposé les dispositions juridiques et les principes de droit qui auraient été violés par le signe demandé, justifiant un refus d’enregistrement pour violation de l’ordre public.

25      Deuxièmement, la requérante fait valoir que la façon particulière dont les éléments verbaux « fack » et « ju » sont orthographiés constitue une divergence suffisante par rapport à l’expression éventuellement contraire aux bonnes mœurs qu’est « Fuck you ». Elle en conclut que le signe demandé constitue, dans sa globalité, un signe composé intrinsèquement distinctif qui est original et marquant et qui présente une teneur satirique, ironique et ludique manifeste facilement perceptible par le public pertinent.

26      À cet égard, il suffit de relever que, dès lors qu’il a été indiqué au point 17 ci-dessus que le public pertinent comprendra que le signe demandé est la retranscription phonétique allemande de l’expression « Fuck you Goethe », il sera confronté au caractère vulgaire de cette expression et, partant, du signe demandé. Dans ces conditions, le fait que le signe demandé soit orthographié d’une façon particulière ne suffira pas à lui conférer une teneur satirique, ironique et ludique.

27      Troisièmement, la requérante soutient que, en combinaison avec le film Fack Ju Göhte, le signe demandé met en évidence, sur le ton de la plaisanterie, la frustration scolaire occasionnelle des écoliers et utilise, à cet effet, un ensemble de mots qui relève du langage des adolescents.

28      Sur ce point, il y a lieu de rappeler que, tout d’abord, c’est la marque elle-même, à savoir le signe en relation avec les produits ou les services tels qu’ils figurent à l’enregistrement de la marque, qu’il convient d’examiner aux fins d’apprécier si elle est contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs [arrêt du 13 septembre 2005, Sportwetten/OHMI – Intertops Sportwetten (INTERTOPS), T‑140/02, EU:T:2005:312, point 27].

29      Ensuite, ainsi que le note l’EUIPO dans ses écritures, il est constant qu’il existe, dans le domaine de l’art, de la culture et de la littérature, un souci constant de préserver la liberté d’expression qui n’existe pas dans le domaine des marques.

30      Enfin, force est de constater que les produits et les services en cause relèvent d’une consommation courante, de sorte que le public pertinent sera confronté au signe demandé lors de ses achats habituels et lors de l’utilisation de services usuels. Or, il n’est pas établi que, à l’occasion de telles activités, le public pertinent reconnaisse dans le signe demandé le titre d’un film à succès et perçoive ledit signe comme une « blague », ainsi que l’affirme la requérante dans ses écritures.

31      Quatrièmement, la requérante soutient que, en se fondant sur une mauvaise compréhension de l’expression « Fuck you », la chambre de recours a attribué au signe en cause une connotation sexuelle. Or, selon la requérante, l’expression « Fuck you » et, par conséquent, a fortiori, le signe en cause n’ont, selon la perception actuelle du public pertinent, aucune connotation sexuelle.

32      À cet égard, il convient de préciser qu’il a été rappelé au point 18 ci-dessus que l’expression « Fuck you » pouvait être utilisée hors de toute connotation sexuelle. En tout état de cause, il y a lieu de relever que, en l’espèce, la chambre de recours a considéré que, même si le public pertinent n’attribuait pas une telle connotation à l’expression « Fuck you », il s’agissait tout de même d’une expression qui était non seulement de mauvais goût, mais également choquante et vulgaire. Dans ces conditions, l’argumentation de la requérante tirée de ce que la chambre de recours aurait, à tort, estimé que le signe en cause avait une connotation sexuelle est inopérante et ne peut qu’être rejetée.

33      Cinquièmement, la circonstance, à la supposer établie, que le signe demandé s’adresse également aux adolescents et plus particulièrement aux écoliers et que, pour ce groupe en particulier, le signe en cause soit synonyme d’amusement et permette une identification est dénuée de pertinence.

34      En effet, le fait qu’une partie du public pertinent puisse juger acceptables les propos les plus offensants ne saurait suffire à considérer qu’il s’agit de la perception à prendre en considération. Ainsi, l’appréciation de l’existence du motif de refus visé par l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement n° 207/2009 ne saurait être fondée sur la perception de la partie du public pertinent que rien ne choque, ni d’ailleurs sur celle de la partie dudit public qui peut être très facilement offensée, mais doit être faite sur la base des critères d’une personne raisonnable ayant des seuils moyens de sensibilité et de tolérance (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2011, PAKI, T‑526/09, non publié, EU:T:2011:564, point 12).

35      Sixièmement, la requérante rappelle que, dans sa décision du 28 mai 2015 concernant le signe Die Wanderhure, qui signifie « la prostituée itinérante », la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a reconnu que le succès et la renommée du titre d’une œuvre pouvaient effectivement s’opposer à la reconnaissance d’un caractère contraire aux bonnes mœurs d’un tel titre pour des produits et des services relevant des classes 9, 16, 35, 38 et 41.

36      À cet égard, il convient de rappeler que l’EUIPO est tenu d’exercer ses compétences en conformité avec les principes généraux du droit de l’Union, tels que le principe d’égalité de traitement et le principe de bonne administration (arrêt du 10 mars 2011, Agencja Wydawnicza Technopol/OHMI, C‑51/10 P, EU:C:2011:139, point 73).

37      Eu égard à ces deux derniers principes, l’EUIPO doit, dans le cadre de l’instruction d’une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, prendre en considération les décisions déjà prises sur des demandes similaires et s’interroger avec une attention particulière sur le point de savoir s’il y a lieu ou non de décider dans le même sens (voir arrêt du 10 mars 2011, Agencja Wydawnicza Technopol/OHMI, C‑51/10 P, EU:C:2011:139, point 74 et jurisprudence citée).

38      Cela étant, les principes d’égalité de traitement et de bonne administration doivent se concilier avec le respect de la légalité (arrêt du 10 mars 2011, Agencja Wydawnicza Technopol/OHMI, C‑51/10 P, EU:C:2011:139, point 75).

39      Au demeurant, pour des raisons de sécurité juridique et, précisément, de bonne administration, l’examen de toute demande d’enregistrement doit être strict et complet afin d’éviter que des marques ne soient enregistrées de manière indue. Cet examen doit avoir lieu dans chaque cas concret. En effet, l’enregistrement d’un signe en tant que marque dépend de critères spécifiques, applicables dans le cadre des circonstances factuelles du cas d’espèce, destinés à vérifier si le signe en cause ne relève pas d’un motif de refus (voir arrêt du 10 mars 2011, Agencja Wydawnicza Technopol/OHMI, C‑51/10 P, EU:C:2011:139, point 77 et jurisprudence citée).

40      En l’espèce, force est de constater que la demande d’enregistrement du signe en cause et la demande d’enregistrement du signe Die Wanderhure ne saurait être considérées comme similaires au sens de la jurisprudence citée au point 36 ci-dessus. D’une part, ainsi que l’a relevé à bon droit la chambre de recours, le signe Die Wanderhure était descriptif du contenu du film dont il constituait le titre alors que tel n’est pas le cas du signe demandé. Il n’est ainsi pas possible, ainsi qu’il a été indiqué au point 19 ci-dessus, de déduire du large succès rencontré par le film Fack Ju Göhte auprès du public que ce dernier reconnaîtra immédiatement dans le signe en cause le titre dudit film et ne sera pas choqué par le signe demandé. D’autre part, le signe Die Wanderhure est, du point de vue du public pertinent, beaucoup moins choquant et, à supposer qu’il le soit, nettement moins vulgaire que le signe demandé. Enfin, il résulte de l’ensemble de ce qui précède que, contrairement à ce qui a pu être le cas de certaines demandes antérieures d’enregistrement de signes constitués de titres d’œuvres artistiques en tant que marques, la présente demande d’enregistrement se heurte, eu égard aux produits et aux services pour lesquels l’enregistrement était demandé et à la perception par les milieux intéressés, à l’un des motifs de refus énoncés à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 207/2009.

41      Dans ces conditions, il ressort de ce qui précède que le présent grief ne saurait être accueilli.

42      Septièmement, la requérante allègue qu’il n’existe aucun élément indiquant que le signe demandé puisse ne pas être compris comme une indication intrinsèque de la provenance des produits ou des services en cause et être considéré comme contraire aux bonnes mœurs dans d’autres États membres que l’Allemagne et l’Autriche. Elle ajoute que la chambre de recours n’a avancé aucun argument en ce sens.

43      À cet égard, il suffit de relever qu’il ressort de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 que le paragraphe 1 est applicable même si les motifs de refus n’existent que dans une partie de l’Union. Or, dès lors qu’il ressort de tout ce qui précède que le motif de refus en cause existe en Allemagne et en Autriche, le signe en cause pouvait être refusé à l’enregistrement sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous f), dudit règlement.

44      Dans ces conditions, le présent grief doit être écarté ainsi que le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009

45      La requérante soutient que le signe demandé est un signe intrinsèquement distinctif et original et qu’il présente un caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

46      À cet égard, il suffit de noter, d’une part, que, dès lors qu’il résulte du premier moyen que le signe en cause est contraire aux bonnes mœurs, c’est à bon droit que la chambre de recours l’a refusé à l’enregistrement sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement no 207/2009. Dès lors, la circonstance, à la supposer établie, que ledit signe présenterait par ailleurs un caractère distinctif ne permet pas de remettre en cause une telle solution. D’autre part, et en tout état de cause, il ne ressort pas de la décision attaquée que la chambre de recours ait refusé le signe en cause à l’enregistrement sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

47      Dans ces conditions, le second moyen est inopérant et doit être rejeté ainsi que le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

48      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Constantin Film Produktion GmbH est condamnée aux dépens.

Berardis

Papasavvas

Spineanu-Matei

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 janvier 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.