Language of document : ECLI:EU:C:2018:93

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 22 février 2018 (1)

Affaire C49/17

Koppers Denmark ApS

contre

Skatteministeriet

[demande de décision préjudicielle formée par l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark)]

« Renvoi préjudiciel – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Directive 2003/96/CE – Article 21, paragraphe 3 – Consommation de produits énergétiques dans l’enceinte d’un établissement fabriquant des produits énergétiques – Produits énergétiques destinés à des usages autres que ceux de carburant ou de combustible – Consommation de solvant comme combustible dans une installation de distillation du goudron »






 Introduction

1.        Le problème juridique posé dans la présente affaire concerne essentiellement les relations entre plusieurs dispositions de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (2). Il convient d’admettre que cette directive n’est pas un modèle de formulation claire et logique des dispositions légales, de sorte qu’il lui est difficile d’être totalement cohérente et satisfaisante à tous les points de vue de l’interprétation. Cependant, l’analyse des dispositions de la directive 2003/96 intéressant la juridiction de renvoi dans le contexte d’autres dispositions de cette directive permet, à mon avis, de répondre définitivement aux questions préjudicielles, même si, du point de vue de la cohérence de la réglementation contenue dans cette directive, cette réponse n’est pas entièrement satisfaisante.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2.        L’article 1er de la directive 2003/96 dispose que « [l]es États membres taxent les produits énergétiques et l’électricité conformément à la présente directive ».

3.        L’article 2 de cette directive définit son champ d’application comme suit :

« 1.      Aux fins de la présente directive, on entend par “produits énergétiques” les produits :

[…]

b)      relevant des codes NC 2701, 2702 et 2704 à 2715 inclus ;

[…]

4.      La présente directive ne s’applique pas :

[…]

b)      aux utilisations ci-après des produits énergétiques et de l’électricité :

–        produits énergétiques destinés à des usages autres que ceux de carburant ou de combustible,

[…] »

4.        Aux termes de l’article 21 de la directive 2003/96 :

« 1.      Outre les dispositions générales définissant le fait générateur et les dispositions relatives au paiement figurant dans la directive 92/12/CEE (3), le montant de la taxe sur les produits énergétiques est également dû lorsque survient un des faits générateurs visés à l’article 2, paragraphe 3, de la présente directive.

[…]

3.      La consommation de produits énergétiques dans l’enceinte d’un établissement produisant des produits énergétiques n’est pas considérée comme un fait générateur de la taxe si la consommation consiste en produits énergétiques produits dans l’enceinte de l’établissement. […] Lorsque la consommation vise des fins qui ne sont pas liées à la production de produits énergétiques, et notamment la propulsion de véhicules, elle est considérée comme un fait générateur donnant lieu à taxation.

[…] »

 Le droit danois

5.        Selon les informations contenues dans la demande de décision préjudicielle, pendant la période pertinente, le solvant utilisé comme combustible était imposable au Danemark en vertu de l’article 1er, paragraphe 3, de la Mineralolieafgiftsloven (loi danoise relative à la taxation des huiles minérales), de l’article 1er, paragraphe 1, point 1, de la Kuldioxidafgiftsloven (loi danoise relative à la taxation du dioxyde de carbone), et de l’article 1er, paragraphe 1, de la Svovlafgiftsloven (loi danoise relative à la taxation du soufre).

6.        L’article 21, paragraphe 3, de la directive 2003/96 a été transposé à l’article 7, paragraphe 3, de la loi relative à la taxation du dioxyde de carbone et à l’article 8, paragraphe 4, de la loi relative à la taxation du soufre. À l’époque pertinente, l’article 7, paragraphe 3, de la loi danoise relative à la taxation du dioxyde de carbone était libellé comme suit :

« Est exonéré de taxe sur le dioxyde de carbone tout produit énergétique visé à l’article 2, paragraphe 1, qui est directement mis en œuvre pour la production d’un produit énergétique équivalent. Toutefois, cela ne s’applique pas aux produits énergétiques qui sont utilisés comme carburant. »

L’article 8, paragraphe 4, de la loi relative à la taxation du soufre était quant à lui libellé comme suit à cette époque :

« Est exonéré de taxe sur le soufre tout produit énergétique visé à l’article 1er qui est directement mis en œuvre pour la production d’un produit énergétique équivalent. Toutefois, cela ne s’applique pas aux produits énergétiques qui sont utilisés comme carburant. »

 Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

7.        Koppers Denmark ApS est une société de droit danois. Dans ses installations à Nyborg (Danemark), cette société fabrique plusieurs produits issus du raffinage et de la distillation de goudron de houille, dont un solvant, qui représente environ entre 3 et 4 % de sa production totale. Tous ces produits sont classés sous les codes NC 2707 ou 2708.

8.        Le solvant est le seul produit fabriqué dans les installations de Koppers Denmark à Nyborg que celle-ci utilise comme combustible et qui est donc, en principe, soumis à la taxation sur les produits énergétiques. Les autres produits, bien qu’ils puissent être utilisés comme combustible, ne sont pas utilisés de cette manière et ne sont donc pas soumis à ladite taxation.

9.        La production a lieu dans une installation de distillation du goudron de houille et dans une installation de production de naphtalène. Les deux installations sont interconnectées et tributaires d’une source d’alimentation thermique commune ainsi que d’un système commun de contrôle des processus. Les résidus de l’installation de distillation du goudron de houille sont ensuite transformés dans l’installation de production de naphtalène, puis le solvant fabriqué dans l’installation de production de naphtalène est utilisé comme combustible dans l’installation de distillation du goudron de houille. Le solvant est également utilisé comme combustible d’appoint pour brûler les gaz de distillation de l’installation de goudron de houille et de l’installation de production de naphtalène. La chaleur dégagée par le processus de combustion est réutilisée dans les installations.

10.      Koppers Denmark a déclaré initialement sa consommation de solvant comme soumise à la taxe sur les produits énergétiques, mais elle a demandé, par lettres du 13 novembre et du 22 décembre 2008, le remboursement de la taxe afférente à la période comprise entre le 1er octobre 2005 et le 31 décembre 2007. L’administration fiscale danoise (le SKAT) a adopté, le 24 septembre 2010, une décision aux termes de laquelle la consommation, par Koppers Denmark, de solvant comme combustible dans l’installation de distillation du goudron de houille n’était pas exonérée de la taxe sur cette base, étant donné que le solvant n’était pas utilisé pour fabriquer des produits énergétiques équivalents, les produits fabriqués n’étant pas imposables.

11.      Koppers Denmark a introduit une réclamation contre cette décision devant le Landsskatteret (Commission fiscale nationale, Danemark), lequel a confirmé, le 8 juin 2015, la décision du SKAT au motif, notamment, que la consommation de solvant comme combustible n’est pas couverte par l’article 21, paragraphe 3, de la directive 2003/96, étant donné que ce solvant n’est pas utilisé pour fabriquer des produits énergétiques relevant du champ d’application de cette directive. Le 7 septembre 2015, Koppers Denmark a formé un recours contre la décision de la Commission fiscale nationale devant le Retten i Svendborg (tribunal municipal de Svendborg, Danemark), lequel a décidé, compte tenu des questions de principe soulevées par le litige, de renvoyer l’affaire devant l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark), statuant en première instance en application de l’article 226, paragraphe 1, de la Retsplejeloven (loi danoise relative à la procédure judiciaire).

12.      Nourrissant des doutes quant à l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 21, paragraphe 3, de la directive 2003/96, l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 21, paragraphe 3, de la [directive 2003/96], doit-il être interprété en ce sens que la consommation de produits énergétiques autoproduits, aux fins de la production d’autres produits énergétiques, est exonérée dans une situation telle que celle en cause dans l’affaire au principal, dans le cadre de laquelle les produits énergétiques produits ne sont pas utilisés comme carburant ou comme combustible ?

2)      L’article 21, paragraphe 3, de la [directive 2003/96], doit-il être interprété en ce sens que les États membres peuvent limiter le champ d’application de l’exonération à la consommation d’un produit énergétique qui est mis en œuvre pour produire un produit énergétique équivalent (c’est-à-dire un produit énergétique qui, tout comme le produit énergétique consommé, est également imposable) ? »

13.      Cette demande de décision préjudicielle est parvenue à la Cour le 1er février 2017. Des observations écrites ont été présentées par Koppers Denmark, le gouvernement danois et la Commission européenne. Toutes ces parties étaient également représentées lors de l’audience qui s’est tenue le 10 janvier 2018.

 Appréciation

 Sur la première question préjudicielle

 Observations liminaires

14.      Pour rappel, la première question préjudicielle porte sur le point de savoir si, à la lumière de l’article 21, paragraphe 3, de la directive 2003/96, la consommation d’un produit énergétique, par son producteur, comme combustible pour la production d’autres produits énergétiques, constitue un fait générateur de la taxe sur les produits énergétiques, lorsque les produits énergétiques ainsi produits ne sont pas destinés à être utilisés et ne sont pas non plus utilisés comme carburant ou comme combustible.

15.      Le problème juridique fondamental est ici celui de l’interprétation de la notion de « produits énergétiques » en ce qui concerne des produits qui, bien que relevant de la définition des produits énergétiques contenue à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/96, ne sont pas destinés à être utilisés et ne sont pas non plus utilisés comme carburant ou comme combustibles, de sorte qu’en vertu de l’article 2, paragraphe 4, sous b), premier tiret, de cette directive, celle-ci ne leur est pas applicable.

16.      Koppers Denmark estime que la disposition contenue à l’article 21, paragraphe 3, de la directive 2003/96 doit être interprétée de manière littérale, de sorte que la notion de « produits énergétiques » qu’elle contient doit être comprise comme incluant tous les produits relevant de la définition contenue à l’article 2, paragraphe 1, de cette directive. Le gouvernement danois et la Commission considèrent toutefois que la définition citée des produits énergétiques doit inclure l’exclusion contenue à l’article 2, paragraphe 4, sous b), premier tiret, de la directive 2003/96. Ils estiment donc que la notion de « produits énergétiques » utilisée à l’article 21, paragraphe 3, de la directive 2003/96 comprend exclusivement les produits qui relèvent du champ d’application de cette directive, c’est-à-dire ceux qui sont destinés à être utilisés ou qui sont utilisés comme carburant ou comme combustible.

17.      À première vue, il peut sembler que si l’établissement visé par l’article 21, paragraphe 3, première phrase, de la directive 2003/96 utilise comme combustible des produits énergétiques fabriqués dans cet établissement, c’est par définition un établissement produisant des produits énergétiques, de sorte que les dispositions citées s’appliquent automatiquement. Cela n’était toutefois peut-être pas l’intention du législateur, dès lors que, dans cette situation, la disposition de l’article 21, paragraphe 3, première phrase, de la directive 2003/96, dans laquelle elle traite des produits énergétiques et de l’électricité qui ne sont pas produits au sein de l’établissement, lequel les consomme pour la production d’autres produits énergétiques, perdrait son sens. Selon moi, l’article 21, paragraphe 3, première phrase, de la directive 2003/96 concerne les produits finaux de l’établissement, et non les sous-produits qui sont consommés entretemps lors du processus de production d’autres produits. La disposition de l’article 21, paragraphe 6, sous a), de la directive 2003/96 peut éventuellement s’appliquer à cette dernière situation, toutefois, pour que l’article 21, paragraphe 3, de cette directive soit applicable, il est nécessaire que les produits énergétiques soient des produits finaux de l’établissement.

18.      Il convient par conséquent d’effectuer l’analyse des relations existant entre la définition des produits énergétiques contenue à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/96 et la disposition de l’article 2, paragraphe 4, sous b), premier tiret, de cette directive. La lettre de ces deux dispositions permet plusieurs interprétations. L’une d’entre elle est l’interprétation restrictive de la notion de « produits énergétiques », les limitant aux produits qui ne sont pas utilisés autrement que comme carburant ou combustible. Une autre interprétation possible de l’article 2, paragraphe 4, sous b), de la directive 2003/96 exclut les produits qui y sont énumérés de la taxation harmonisée en vertu de cette directive, sans toutefois affecter la portée des notions qui y sont utilisées.

 L’interprétation restrictive de la notion de « produits énergétiques »

19.      La première de ces interprétations possibles serait conforme à l’argumentation présentée par le gouvernement danois et la Commission. L’article 2, paragraphe 4, sous b), de la directive 2003/96 devrait ainsi être interprété comme une disposition restreignant de manière générale le champ d’application de cette directive. Son premier tiret constituerait donc la précision de la définition de la notion de « produits énergétiques » contenue à l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, avec pour effet que toute utilisation de cette notion dans d’autres dispositions devrait être comprise comme ne comprenant que les produits appartenant à la catégorie indiquée à l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, qui ne sont pas utilisés autrement que comme carburant ou combustible.

20.      Sur la base de l’article 21, paragraphe 3, de la directive 2003/96, il conviendrait de conclure que l’utilisation de produits énergétiques comme carburant pour la production d’autres produits énergétiques ne constitue pas un fait générateur donnant lieu à taxation, excepté lorsque ces autres produits énergétiques ne sont pas utilisés autrement que comme carburant ou combustible. Cette conclusion semble logiquement justifiée. Ainsi, seuls les produits imposables en vertu des dispositions de la directive 2003/96 peuvent en effet affecter le niveau d’imposition des autres produits couverts par cette directive.

21.      Cette interprétation présente toutefois un certain nombre de lacunes qui, selon moi, font obstacle à son adoption.

 Critique de l’interprétation restrictive de la notion de « produits énergétiques » – arguments linguistiques

22.      Du point de vue de la lettre des dispositions de la directive 2003/96, l’interprétation ci-dessus omet le fait que l’article 2, paragraphe 4, sous b), de cette directive n’exclut de son champ d’application ni « les produits énumérés au paragraphe 1 », ni les produits couverts par des codes de classification combinée spécifiques qui ne sont pas utilisés comme carburant ou comme combustible. Cette disposition énonce expressément au premier tiret que la directive 2003/96 ne s’applique pas aux « produits énergétiques utilisés à d’autres fins que celles de carburant ou de combustible » (4).

23.      Cela signifie que les produits couverts par la définition contenue à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/96, mais qui ne sont utilisés ni comme carburant ni comme combustible, ne relèvent certes pas du champ d’application de cette directive, mais qu’ils restent des produits énergétiques au sens des dispositions de cette directive. Une telle conclusion est confirmée par le fait que la définition elle-même des produits énergétiques contenue à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/96 contient, pour certaines catégories de produits, une réserve selon laquelle ils constituent des produits énergétiques s’ils sont utilisés comme carburant ou comme combustible. C’est le cas pour les produits énumérés à l’article 2, paragraphe 1, sous a), d) et h), de la directive 2003/96. Toutefois, dans les autres cas, notamment pour les produits énumérés au paragraphe 1, sous b), qui font l’objet de la procédure au principal, une telle réserve n’existe pas.

24.      La Commission, dans ses observations écrites, explique que certaines catégories énumérées à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/96 incluent des produits qui ne sont généralement pas utilisés comme carburant ou comme combustible, et ce serait la raison pour laquelle le législateur a indiqué que ces produits constituent des produits énergétiques seulement lorsqu’ils sont utilisés comme carburant ou comme combustible. Les produits appartenant aux catégories restantes sont toutefois, selon la Commission, toujours utilisés comme carburant ou comme combustible, de sorte qu’une réserve similaire n’est pas nécessaire.

25.      Il n’en demeure pas moins que la plupart des catégories de produits désignés à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/96 incluent, bien que dans des proportions différentes, tant des produits qui sont ou peuvent être utilisés comme carburant ou comme combustible, que des produits qui ne peuvent pas être utilisés à cette fin ou qui ne le sont pas. Par conséquent, si le législateur voulait utiliser le critère du mode d’utilisation pour séparer de manière précise les produits énergétiques des autres produits, il suffisait de fournir une définition des produits énergétiques, avec une limite générale appropriée. Toutefois, l’intention du législateur était apparemment de différencier les produits qui, en général, ne sont pas des produits énergétiques s’ils ne sont pas utilisés comme carburant ou comme combustible des produits qui restent des produits énergétiques au sens de la directive mais qui ne sont pas soumis à ses dispositions si (et tant que) ils ne sont pas utilisés de cette manière. Cela ne permet pas, selon moi, de traiter la disposition de l’article 2, paragraphe 4, de la directive 2003/96 comme un élément indissociable de la définition des produits énergétiques, ni de conclure qu’à chaque fois que cette directive évoque les produits énergétiques, cette notion n’inclut pas les produits qui ne sont pas utilisés comme carburant ou comme combustible, même s’ils correspondent à la définition contenue à son article 2, paragraphe 1.

26.      De même, je ne suis pas convaincu par l’argument présenté par la Commission, fondé sur l’obligation d’interprétation uniforme de la notion de « produits énergétiques » utilisée à l’article 21, paragraphe 3, de la directive 2003/96. Selon l’affirmation de la Commission, cette notion se réfère, dans le cadre de la disposition citée, tant aux produits utilisés par un établissement donné pour la production d’autres produits énergétiques, (dénommés « produits intermédiaires ») qu’aux produits finaux eux-mêmes. Étant donné que les produits intermédiaires doivent être utilisés comme combustible et qu’ils doivent donc être soumis aux dispositions de la directive 2003/96, alors les produits finaux doivent également être soumis à ces dispositions, de sorte qu’ils ne sauraient être exclus de leur champ d’application en vertu de l’article 2, paragraphe 4, de cette directive.

27.      Bien entendu, ce même terme doit être interprété de la même manière au sein du même acte juridique, a fortiori au sein de la même disposition. Toutefois, j’estime que l’interprétation précitée de la Commission est entachée d’une erreur de raisonnement dénommée pétition de principe. Il est évident que le produit intermédiaire doit être utilisé comme combustible dans le processus de production des produits finaux. Une autre forme d’utilisation de ce produit ne pourrait en effet pas constituer le fait générateur donnant lieu à taxation en vertu de la directive 2003/96 et il n’y aurait donc pas non plus d’occasion d’application éventuelle de l’article 21, paragraphe 3, de cette directive. La condition d’utilisation du produit énergétique comme combustible est donc ici inévitablement remplie. Toutefois, cela ne résulte pas de l’application de l’article 2, paragraphe 4, sous b), premier tiret, de la directive 2003/96 à l’interprétation de la notion de « produits énergétiques » en ce qui concerne les produits intermédiaires, mais de leur utilisation effective comme combustible.

28.      En extrapolant cette utilisation effective des produits intermédiaires à la compréhension de la notion de « produits énergétiques » par rapport aux produits finaux, la Commission a donc commis l’erreur logique citée ci-dessus. Or, l’article 21, paragraphe 3, première phrase, de la directive 2003/96 doit être compris en ce sens que « l’utilisation des produits relevant de la définition contenue à l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, comme combustible pour la production d’autres produits relevant de cette définition, ne donne pas lieu à taxation ». Cette interprétation serait tout à fait sensée sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’article 2, paragraphe 4, de la directive 2003/96. Le principe de l’interprétation uniforme de cette même notion au sein d’une même disposition n’exclut donc pas l’interprétation de la notion de « produits énergétiques » comme désignant tous les produits relevant de la définition contenue à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/96.

29.      Toutefois, les raisons principales qui, selon moi, ne permettent pas d’adopter la thèse relative à la nécessité d’interpréter conjointement l’article 2, paragraphes 1 et 4, de la directive 2003/96 sont de nature systémique.

 Analyse de l’article 2, paragraphe 4, sous b), premier tiret, de la directive 2003/96, dans le contexte d’autres dispositions de cette directive

30.      En vertu de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2003/96, celle-ci s’applique non seulement aux produits énergétiques énumérés au paragraphe 1 de cet article, mais également à l’électricité. L’électricité, de même que les produits énergétiques, est imposable en vertu de cette directive, bien que ce soit sur la base de règles légèrement différentes de celles qui s’appliquent à ces produits. Dans le même temps, en vertu de l’article 2, paragraphe 4, sous b), troisième et quatrième tirets, de la directive 2003/96, elle s’applique à l’électricité « utilisée principalement pour la réduction chimique et l’électrolyse ainsi que dans les procédés métallurgiques » et également « lorsqu’elle intervient pour plus de 50 % dans le coût d’un produit ». En outre, en vertu de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96, sont obligatoirement exonérés de la taxation « les produits énergétiques et l’électricité utilisé[s] pour produire de l’électricité ».

31.      En vertu de tous les principes d’interprétation des dispositions légales, tous les tirets de l’article 2, paragraphe 4, sous b), de la directive 2003/96 doivent être interprétés comme ayant le même effet, de sorte qu’ils doivent avoir la même relation avec les autres dispositions de cette directive. Partant, si l’on considère que l’article 2, paragraphe 4, sous b), premier tiret, de la directive 2003/96 restreint la définition de la notion de « produits énergétiques » contenue au paragraphe 1 de cet article, de telle sorte que la compréhension de cette notion dans ses autres dispositions n’inclut pas les produits utilisés autrement que comme carburant ou combustible, alors il devrait en être de même en ce qui concerne l’électricité utilisée de la manière indiquée à l’article 2, paragraphe 4, sous b), troisième et quatrième tirets de cette directive. L’électricité utilisée pour la réduction chimique et l’électrolyse ainsi que dans les procédés métallurgiques, et également l’électricité qui intervient pour plus de 50 % dans les coûts des produits, ne relèveraient pas de la notion d’« électricité » au sens de la directive 2003/96. Par conséquent, elles ne pourraient pas non plus avoir d’effets sur l’imposition d’autres produits relevant des dispositions de cette directive.

32.      Cela conduirait à des conclusions absurdes sur la base de l’article 14, sous a), de la directive 2003/96. En effet, les produits énergétiques et l’électricité utilisés pour produire de l’électricité pour la réduction chimique et l’électrolyse ainsi que dans les procédés métallurgiques, et également l’électricité qui intervient pour plus de 50 % dans les coûts des produits, ne seraient pas exonérés, de sorte qu’ils devraient être imposés en vertu des règles générales prévues par cette directive. Un tel effet est inacceptable, pour trois raisons.

33.      Premièrement, l’électricité, après avoir été produite, est envoyée dans le réseau dans lequel les utilisateurs, par l’intermédiaire des distributeurs, prennent certaines quantités d’énergie. Il n’y a donc pas de lien direct entre un producteur donné et l’électricité qu’il produit et un utilisateur spécifique. Cela est d’autant plus vrai que ce lien n’existe pas non plus entre le producteur ou le distributeur des produits énergétiques utilisés pour produire l’électricité et l’utilisateur de cette énergie. L’identification puis l’imposition des produits énergétiques utilisés pour la production d’électricité utilisée pour la réduction chimique et l’électrolyse ainsi que dans les procédés métallurgiques serait ainsi extrêmement difficile, voire impossible. Cela serait encore plus difficile dans le cas des produits énergétiques utilisés pour la production d’électricité qui intervient pour plus de 50 % dans les coûts d’autres produits.

34.      Deuxièmement, même si une telle taxation sélective des produits énergétiques utilisés pour la production d’électricité était possible, en fonction du type d’utilisation de cette énergie ou de sa part dans les coûts de production d’autres produits, cette taxation priverait de sens l’exclusion prévue par l’article 2, paragraphe 4, sous b), troisième et quatrième tirets, de la directive 2003/96. En effet, l’électricité utilisée de la manière ici indiquée ne serait certes pas directement taxée, mais son prix inclurait une taxe sur les produits énergétiques utilisés pour la produire, dont le poids serait sans aucun doute, compte tenu de la nature des impôts indirects, répercuté sur les utilisateurs de cette énergie.

35.      Enfin, troisièmement, cette interprétation serait également incompatible avec la règle énoncée à l’article 21, paragraphe 5, de la directive 2003/96, en vertu de laquelle l’électricité est soumise à taxation au moment de sa fourniture par le distributeur. Cette méthode de détermination du moment de la taxation de l’électricité est rendue possible grâce à l’application de l’exonération prévue par l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96 : puisque l’électricité est non pas taxée au stade du combustible utilisé pour sa production, mais en tant que produit final, le moment de la taxation peut être reporté à la dernière étape de la commercialisation de l’électricité, c’est-à-dire au moment de sa livraison au destinataire. Toutefois, s’il était considéré que l’exclusion de certains types d’utilisation de l’électricité, en vertu de l’article 2, paragraphe 4, sous b), troisième et quatrième tirets, de la directive 2003/96, entraînait l’absence d’exonération des produits énergétiques utilisés pour sa production, cette électricité serait non seulement taxée de facto malgré cette exclusion (voir point précédent), mais cette taxation interviendrait non pas lors de la distribution, mais en plus lors de la production.

36.      Pour les raisons exposées ci-dessus, je ne pense pas qu’il soit possible d’adopter le raisonnement en vertu duquel l’exclusion prévue par l’article 2, paragraphe 4, sous b), de la directive 2003/96 a pour effet de restreindre la définition des produits qui y sont énumérés, pour les besoins des autres dispositions de cette directive. Cela concerne tant l’électricité, visée aux troisième et quatrième tirets de cette disposition, que les produits énergétiques, visés au premier tiret.

37.      Selon moi, cela ne change rien au fait que l’article 14, sous a), de la directive 2003/96 porte sur l’exonération de taxe, alors que l’article 21, paragraphe 3, de cette directive traite d’un fait qui n’est pas considéré comme générateur de taxation.

38.      En effet, d’une part, les deux situations ont les mêmes conséquences. Lorsque l’établissement utilise des produits énergétiques qu’il a produit lui-même, pour la production de produits énergétiques, il est difficile de déterminer un autre moment pour la taxation, de sorte que l’effet est le même que si ces produits étaient exonérés de la taxe. Du reste, cette disposition a également été transposée de cette manière en droit danois (voir point 6 des présentes conclusions).

39.      D’autre part, ce qui importe ici n’est pas l’effet du mécanisme prévu, respectivement, par l’article 14, paragraphe 1, sous a), et par l’article 21, paragraphe 3, de la directive 2003/96, mais la relation, qui y est décrite, entre les différents produits. Dans le premier cas comme dans le second, il s’agit de produits soumis aux dispositions de la directive 2003/96, qui sont utilisés pour la production d’autres produits, dont les produits énumérés à l’article 2, paragraphe 4, sous b), de cette directive [respectivement au premier tiret dans le cas de l’article 21, paragraphe 3, et aux troisième et quatrième tirets dans le cas de l’article 14, paragraphe 1, sous a)]. L’effet de l’une ou de l’autre de ces interprétations de l’article 2, paragraphe 4, sous b), de la directive 2003/96 doit donc être identique pour répondre à la question de l’application de ces deux dispositions.

40.      En résumé, l’interprétation de l’article 2, paragraphe 4, sous b), de la directive 2003/96, selon laquelle l’exclusion du champ d’application de cette directive, contenue dans cette disposition, entraîne que les produits qui y sont énumérés ne sauraient influencer le niveau de taxation des autres produits objet de la directive, conduit à l’impossibilité de tirer des conclusions sur la base de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de ladite directive. Cette interprétation doit par conséquent être rejetée, tant en ce qui concerne l’article 2, paragraphe 4, sous b), troisième et quatrième tirets, qu’en ce qui concerne le premier tiret.

 Interprétation de l’article 2, paragraphe 4, sous b), de la directive 2003/96 comme exonération sui generis de la taxation

41.      Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis qu’il convient d’adopter une interprétation de l’article 2, paragraphe 4, sous b), de la directive 2003/96 autre que celle qui a été proposée par le gouvernement danois et la Commission. J’estime notamment que cette disposition constitue en réalité une exonération, pour les produits qui y sont énumérés, de la taxe prévue en vertu de cette directive. Ces produits ne sont donc pas soumis à la taxation harmonisée, mais ils restent, respectivement, des produits énergétiques et de l’électricité au sens de cette directive. La formulation de cette exonération comme exclusion du champ d’application de la directive 2003/96 signifie que les États membres restent libres de déterminer la taxation éventuelle de ces produits sur la base de dispositions nationales différentes. Cette liberté est beaucoup plus limitée dans le cas des produits relevant du champ d’application de la directive 2003/96, mais qui sont exonérés en vertu de ses dispositions (5).

42.      Cette interprétation permet de maintenir la cohérence des dispositions de la directive 2003/96 en matière de taxation de l’électricité. L’exonération prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96 s’applique donc également aux produits utilisés pour la production d’électricité qui est à son tour utilisée de l’une des manières indiquées à l’article 2, paragraphe 4, sous b), troisième et quatrième tirets, de cette directive, ce qui permet d’éviter les difficultés pratiques et logiques évoquées aux points 33 à 35 des présentes conclusions.

43.      Cette interprétation est également conforme au projet initial de directive 2003/96 présenté par la Commission (6). Ce projet ne contenait pas d’équivalent à l’actuel article 2, paragraphe 4, de cette directive. Ce projet prévoyait à la place l’exonération de certaines catégories de produits énergétiques, notamment de ceux qui ne sont pas utilisés comme carburant ou comme combustible [actuel article 2, paragraphe 4, sous b), premier tiret, de la directive 2003/96], et également de l’électricité utilisée pour la réduction chimique et l’électrolyse ainsi que dans les procédés métallurgiques [actuel article 2, paragraphe 4, sous b), troisième tiret, de la directive 2003/96] (7). L’équivalent de l’actuel article 21, paragraphe 3, de la directive 2003/96 se référait quant à lui directement à la définition des produits énergétiques, en énumérant les codes de classification combinée des produits pour la production desquels les produits énergétiques provenant de ce même établissement, utilisés pour ses besoins, n’étaient pas imposables (8). Avec un modèle tel que celui adopté dans le projet de directive 2003/96, la position actuelle du gouvernement danois et de la Commission serait donc indéfendable, même sans devoir recourir à l’analyse du système.

44.      Une logique similaire était également en vigueur sur la base de la directive 92/81/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur les huiles minérales (9), qui a été remplacée par la directive 2003/96. En vertu de l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la directive 92/81, étaient exonérées des droits d’accise harmonisés prévus dans cette directive « les huiles minérales utilisées autrement que comme carburant ou combustible ». L’article 4, paragraphe 3, de cette directive a toutefois introduit une règle analogue à celle prévue à l’article 21, paragraphe 3, première phrase, de la directive 2003/96. Par conséquent, la position du gouvernement danois et de la Commission présentée en l’espèce serait également difficile à maintenir sur la base de la directive 92/81.

45.      En ce qui concerne l’article 21, paragraphe 3, de la directive 2003/96, l’interprétation que j’en propose signifie que cette disposition (la première phrase) s’applique toujours lorsque les produits fabriqués par l’établissement dont il est ici question appartiennent à l’une des catégories décrites à l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, indépendamment du fait qu’ils soient utilisés comme carburant ou comme combustible.

46.      Partant, je ne partage pas le point de vue présenté par le gouvernement danois dans ses observations, selon lequel cette interprétation de l’article 21, paragraphe 3, de la directive 2003/96 prive de sens son article 2, paragraphe 4, sous b), premier tiret. En effet, ainsi que je l’ai indiqué ci-dessus, l’objectif de cette dernière disposition est essentiellement d’exonérer les produits qui y sont cités de la taxe harmonisée en vertu de cette directive, tout en laissant aux États membres la liberté de les taxer éventuellement, en vertu de dispositions distinctes.

47.      Pour cette même raison, il n’existe selon moi aucune contradiction entre l’interprétation que je propose et les conclusions qui découlent de l’arrêt Fendt Italiana (10). En effet, il ressort seulement de cet arrêt que les États membres ne sont pas autorisés à appliquer la taxe harmonisée prévue par la directive 2003/96 aux produits qui sont utilisés autrement que comme carburant ou combustible. Cela ne signifie toutefois pas que ces produits cessent d’être des produits énergétiques au sens de cette directive. La Cour elle-même utilise d’ailleurs le terme « produits énergétiques » en référence à cette catégorie de produits (11).

48.      Reste la question de la ratio legis de l’article 21, paragraphe 3, de la directive 2003/96, interprétée en vertu de la proposition que j’ai présentée. En effet, si la justification de l’exonération des produits utilisés pour la production d’électricité, indépendamment de l’utilisation ultérieure de cette énergie, est compréhensible même pour les raisons évoquées aux points 33 à 35 des présentes conclusions, l’absence de taxation des produits énergétiques utilisés pour la production d’autres produits énergétiques, lesquels à leur tour ne sont utilisés ni comme carburant ni comme combustible, peut ne pas sembler pleinement justifiée.

49.      Selon le gouvernement danois et la Commission, la disposition de l’article 21, paragraphe 3, de la directive 2003/96 a pour objectif d’éviter la double imposition des produits énergétiques : une fois directement et une fois indirectement, par la taxation des produits énergétiques utilisés pour les fabriquer. Un tel objectif de cette disposition plaiderait en faveur de l’interprétation qu’en ont proposé le gouvernement danois et la Commission, en vertu de laquelle seule l’utilisation de produits énergétiques pour la production d’autres produits énergétiques taxés, c’est-à-dire de produits utilisés comme carburant ou comme combustible, n’est pas considérée comme fait générateur de l’obligation de taxation.

50.      Il convient toutefois de noter que la directive 2003/96 ne contient pas d’interdiction générale en ce qui concerne la double imposition des produits énergétiques. La règle de l’imposition unique s’impose seulement pour l’électricité : elle est taxée lors de la distribution, alors que les produits énergétiques utilisés pour sa production sont exonérés de taxe (voir points 34 et 35 des présentes conclusions). Toutefois, s’agissant des produits énergétiques, l’article 21, paragraphe 3, deuxième phrase, de la directive 2003/96 ne donne aux États membres que des pouvoirs facultatifs, en vertu desquels « [ils] peuvent également considérer la consommation d’électricité et d’autres produits énergétiques qui ne sont pas produits dans l’enceinte d’un tel établissement [c’est-à-dire l’établissement de fabrication des produits énergétiques] […] comme n’étant pas un fait générateur ». Ainsi, les produits énergétiques utilisés pour fabriquer d’autres produits énergétiques, mais qui ne sont pas produits au sein de ce même établissement, peuvent tout aussi bien être taxés, indépendamment du fait que les produits finaux seront également taxés. Il est vrai que le Royaume de Danemark a précisément profité de cette possibilité, en exonérant de la taxe tous les produits énergétiques utilisés pour la production de produits énergétiques, indépendamment de leur lieu de production (12). Toutefois, cela ne change rien au fait que la directive 2003/96 ne contient aucune règle générale de taxation unique des produits énergétiques.

51.      La justification de la disposition de l’article 21, paragraphe 3, première phrase, de la directive 2003/96 semble plutôt résider dans la difficulté qu’entraînerait la taxation de produits simultanément fabriqués et consommés dans le même établissement de production. Cela constituerait non seulement une charge supplémentaire pour cet établissement, mais cela exigerait également des contrôles stricts des autorités fiscales. De telles difficultés ne se posent pas dans le cas des produits énergétiques fabriqués par un autre producteur que l’établissement dans lequel ils sont ensuite utilisés, dès lors que l’obligation fiscale s’applique à ce producteur ou au distributeur, qui transfère alors son poids dans le prix des produits énergétiques vendus. Par conséquent, la deuxième phrase de ce paragraphe laisse la question de la taxation de ces situations à la considération des États membres.

52.      Je réalise que, même avec une telle justification, l’interprétation que je propose de donner à l’article 21, paragraphe 3, première phrase, de la directive 2003/96 – en vertu de laquelle la notion qu’il contient de « produits énergétiques » comprend tous les produits énumérés à l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, même ceux qui sont utilisés autrement que comme carburant ou comme combustible – crée certaines lacunes dans le système de taxation prévu par cette directive. Les produits énergétiques utilisés pour la production de produits non soumis à la taxe doivent en effet en principe être taxés.

53.      Toutefois, premièrement, ainsi que l’affirme la Commission elle‑même dans ses observations (voir point 23 des présentes conclusions), dans le cas des catégories de produits qui ne sont que sporadiquement utilisés comme carburant ou comme combustible, l’article 2, paragraphe 1, sous a), d) et h), de la directive 2003/96 prévoit les limites correspondantes. Les produits appartenant à ces catégories ne sont donc pas des produits énergétiques au sens de cette directive, à moins qu’ils ne soient utilisés comme carburant ou comme combustible. Les catégories restantes comprennent toutefois les produits normalement utilisés ou destinés à être utilisés comme carburant ou combustible. L’éventuelle lacune dans la taxation concernera donc des situations exceptionnelles telles que celle de la procédure au principal.

54.      Deuxièmement, le fait d’interpréter l’article 2, paragraphe 4, de la directive 2003/96 comme une disposition restreignant la portée des notions utilisées à l’article 2, paragraphes 1 et 2, de cette directive entraînerait les difficultés évoquées aux points 33 à 35 des présentes conclusions et constituerait une violation de la cohérence du système de taxation prévu par cette directive, dans une mesure bien plus importante que la lacune citée, dans la taxation découlant de l’interprétation que j’ai proposée.

55.      Également pour cette raison, je ne suis pas convaincu par l’argument présenté par la Commission, selon lequel l’article 21, paragraphe 3, de la directive 2003/96, en tant qu’exception au principe de la taxation des produits énergétiques, doit être interprété strictement. En effet, les exceptions doivent être interprétées strictement, et en tout état de cause pas de manière extensive. Toutefois, cela ne saurait conduire à des incohérences fondamentales, telles que celles qui sont indiquées aux points 33 à 35 des présentes conclusions, dans l’interprétation d’autres dispositions de la directive 2003/96.

56.      Enfin, troisièmement, la directive 2003/96 contient de très nombreuses exemptions, exonérations et dérogations (13). En conséquence, le système prévu par cette directive n’est pas fondé sur le principe d’une taxation générale et sans exception, de sorte que l’absence de taxation des produits énergétiques utilisés au sein du même établissement, qui les a produits, n’est pas selon moi de nature à porter réellement atteinte à la logique de ce système.

57.      À la lumière de toutes les considérations qui précèdent, je propose de répondre à la première question préjudicielle que l’article 21, paragraphe 3, première phrase, de la directive 2003/96 doit être interprété en ce sens que la notion de « produits énergétiques » qu’il contient comprend tous les produits, visés par l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, indépendamment de la question de savoir s’ils sont utilisés comme carburant ou comme combustible.

 Sur la seconde question préjudicielle

58.      La seconde question préjudicielle concerne le point de savoir si les États membres peuvent limiter l’application de l’article 21, paragraphe 3, de la directive 2003/96 aux situations dans lesquelles un produit énergétique est utilisé pour la production de produits énergétiques soumis à taxation sur la base de cette directive. Toutefois, la juridiction de renvoi n’explique pas s’il s’agit uniquement d’une limitation portant sur les produits énergétiques utilisés comme carburant ou comme combustible, et qui ne font donc pas l’objet de l’exemption au titre de l’article 2, paragraphe 4, sous b), premier tiret, de cette directive, ou d’une limitation allant au-delà, par exemple portant sur les produits qui ne relèvent d’aucune des nombreuses exonérations prévues par cette directive.

59.      Toutefois, sans préjudice de cela, il convient de distinguer la nature juridique de la disposition de l’article 21, paragraphe 3, première phrase, de la directive 2003/96 de celle de l’article 21, paragraphe 3, deuxième phrase, de cette directive (14).

60.      L’article 21, paragraphe 3, première phrase, de la directive 2003/96 est une disposition de nature contraignante à l’égard des États membres. Ces États membres ont donc l’obligation de procéder à sa transposition en droit national et de garantir sa pleine efficacité. Par conséquent, ils ne peuvent aucunement limiter la portée de son application d’une manière qui s’écarte de son interprétation correcte, qui résulte, entre autres, de l’arrêt qui sera rendu par la Cour dans la présente affaire. Dès lors, si la Cour juge, conformément à ma proposition de réponse à la première question préjudicielle, que cette disposition concerne la production de tous les produits énergétiques au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/96, indépendamment de la manière dont ils sont utilisés, les États membres ne seront pas autorisés à limiter son application. La réponse à la seconde question préjudicielle en ce qui concerne l’article 21, paragraphe 3, première phrase, de cette directive sera donc négative.

61.      En ce qui concerne la disposition contenue à l’article 21, paragraphe 3, deuxième phrase, de la directive 2003/96, elle est de nature facultative. En outre, elle semble prévoir plusieurs variantes à son application. Je serais donc enclin à considérer que les États membres bénéficient ici d’une marge d’appréciation beaucoup plus importante.

62.      La procédure au principal concerne toutefois l’utilisation de produits énergétiques au sein d’un établissement qui les produit, de sorte que c’est l’article 21, paragraphe 3, première phrase, de la directive 2003/96 qui s’applique ici. La question relative à l’interprétation de la deuxième phrase de cette disposition serait donc de nature hypothétique. Partant, je propose de limiter la réponse à la seconde question préjudicielle à l’interprétation de l’article 21, paragraphe 3, première phrase, de cette directive.

 Conclusion

63.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark) :

1)      L’article 21, paragraphe 3, première phrase, de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, doit être interprété en ce sens que la notion de « produits énergétiques » qu’il contient comprend tous les produits visés par l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, indépendamment de la question de savoir s’ils sont utilisés comme carburant ou comme combustible.

2)      Les États membres ne sont pas autorisés à limiter le champ d’application de cette disposition en raison du type des produits énergétiques produits par l’établissement auquel cette disposition s’applique ou en raison de leur mode d’utilisation.


1      Langue originale : le polonais.


2      JO 2003, L 283, p. 51.


3      Directive du Conseil du 25 février 1992 relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO 1992, L 76, p. 1). C’est cette directive qui était en vigueur à l’époque des faits de l’affaire au principal. En vertu de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive, le fait générateur du droit d’accise sur les produits énergétiques est leur production ou leur importation sur le territoire de l’Union.


4      Italique ajouté par mes soins.


5      Article 3, paragraphe 3, de la directive 92/12. Voir arrêt du 5 juillet 2007, Fendt Italiana (C‑145/06 et C‑146/06, EU:C:2007:411, point 44).


6      COM(97) 30 final.


7      Voir article 13, paragraphe 1, sous a), du projet.


8      Voir article 18, paragraphe 3, du projet.


9      JO 1992, L 316, p. 12


10      Arrêt du 5 juillet 2007, Fendt Italiana (C‑145/06 et C‑146/06, EU:C:2007:411).


11      Voir arrêt du 5 juillet 2007, Fendt Italiana (C‑145/06 et C‑146/06, EU:C:2007:411, point 41).


12      En tout état de cause, cela découle selon moi des dispositions de la loi danoise citées au point 6 des présentes conclusions.


13      Outre les exonérations citées dans les présentes conclusions, voir par exemple article 2, paragraphe 4, sous b), deuxième et cinquième tirets, articles 15 et 17, ainsi que les dérogations prévues pour chaque État membre aux articles 18, 18a et 18b de la directive 2003/96.


14      Pour rappel, l’article 21, paragraphe 3, deuxième phrase de la directive 2003/96 dispose que « [l]es États membres peuvent également considérer la consommation d’électricité et d’autres produits énergétiques qui ne sont pas produits dans l’enceinte d’un tel établissement […] comme n’étant pas un fait générateur » (italique ajouté par mes soins).