Language of document : ECLI:EU:T:2018:145

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

15 mars 2018 (*)

« Aides d’État – Conditions d’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par une compagnie de transport maritime – Utilisation exclusive d’infrastructures financées par des fonds publics, en dehors d’un contrat de concession – Exonération d’une partie des taxes portuaires – Plainte d’une concurrente – Décision constatant l’absence d’aides d’État au terme de la procédure d’examen préliminaire – Difficultés sérieuses lors de l’examen des mesures concernées – Évolution de la situation en cause au cours de la procédure administrative – Notion d’avantage accordé au moyen de ressources d’État – Erreurs d’appréciation des faits et erreurs de droit – Décision d’une juridiction nationale suspendant les effets d’un appel d’offres – Exigence d’examen diligent et impartial de la plainte »

Dans l’affaire T‑108/16,

Naviera Armas, SA, établie à Las Palmas de Gran Canaria (Espagne), représentée par Mes J. L. Buendía Sierra et Á. Givaja Sanz, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. A. Bouchagiar, G. Luengo et S. Noë, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Fred Olsen, SA, établie à Santa Cruz de Tenerife (Espagne), représentée par Me F. Marín Riaño, avocat,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2015) 8655 final de la Commission, du 8 décembre 2015, concernant l’aide d’État SA.36628 (2015/NN) (ex 2013/CP) – Espagne – Fred Olsen,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise et R. da Silva Passos (rapporteur), juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 21 septembre 2017,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Naviera Armas, SA, est une compagnie maritime établie dans les Îles Canaries (Espagne). Elle offre des services commerciaux de transport maritime de personnes et de marchandises entre les principales îles de cet archipel, entre ce dernier et l’Espagne continentale, ainsi qu’entre l’Espagne continentale et le Maroc. La requérante assure notamment une liaison maritime entre le port de Las Palmas de Gran Canaria (Espagne) et celui de Santa Cruz de Tenerife (Espagne).

2        Grande Canarie et Ténériffe étant les îles les plus peuplées de l’archipel des Canaries, le trafic maritime commercial entre ces deux îles représente une partie substantielle du chiffre d’affaires des compagnies maritimes actives dans cet archipel.

 Transport maritime commercial au départ de Puerto de Las Nieves (Grande Canarie)

3        Puerto de Las Nieves (Espagne) est un port est situé sur la côte nord-ouest de Grande Canarie, face à Ténériffe. Ce port, qui était autrefois un port de pêche, a été adapté au trafic commercial au milieu des années 1990. Son infrastructure permet l’accueil de transbordeurs rapides depuis la fin des années 1990.

4        La compagnie maritime Fred Olsen, SA, qui est l’une des principales concurrentes de la requérante, a été la première, en novembre 1993, à demander l’autorisation d’établir une ligne régulière de transport commercial de passagers et de marchandises entre Puerto de Las Nieves et le port de Santa Cruz de Tenerife.

5        La direction générale de la marine marchande du ministère espagnol des Travaux publics, des Transports et de l’Environnement a, en date du 21 décembre 1994, autorisé Fred Olsen à exploiter une ligne de cabotage entre ces deux ports. Cette autorisation a été accordée sur la base du principe prior in tempore, potior in jure.

6        Fred Olsen est, depuis cette époque, la seule compagnie maritime à exploiter une ligne de transport commercial de passagers et de marchandises entre Puerto de Las Nieves et le port de Santa Cruz de Tenerife. Depuis 1999, cette ligne est assurée par deux transbordeurs rapides qui se croisent à mi-chemin de la traversée, chacun de ces navires quittant son port de départ en même temps.

7        L’utilisation par Fred Olsen de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves est soumise au paiement de plusieurs taxes prévues par l’article 115 bis du decreto legislativo 1/1994 por el que se aprueba el texto refundido de las disposiciones legales vigentes en materia de tasas y precios públicos de la Comunidad Autónoma de Canarias (décret législatif 1/1994 portant approbation de la refonte des dispositions légales en vigueur en matière de taxes et de prix publics de la communauté autonome des Canaries), du 29 juillet 1994 (BOC no 98, du 10 août 1994, p. 5603). Ces taxes sont relatives notamment à l’entrée et au séjour de navires dans le port (ci-après la « taxe T 1 »), à l’accostage (ci-après la « taxe T 2 »), aux passagers (ci-après la « taxe T 3 »), aux marchandises (ci-après la « taxe T 4 ») et aux services d’entreposage et d’utilisation de locaux ou de bâtiments (ci-après la « taxe T 9 »).

8        La requérante a, à plusieurs reprises depuis 1994, demandé à la direction générale de Puertos Canarios (office public des ports canariens) (ci-après la « DGPC ») à pouvoir accoster à Puerto de Las Nieves, dans un premier temps avec des transbordeurs conventionnels et, depuis la demande présentée le 3 juillet 2013, avec un transbordeur rapide. La DGPC a, jusqu’à la réalisation de travaux d’extension de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves en 2014, rejeté chacune de ces demandes. Ces décisions étaient fondées, en substance, sur la capacité d’accueil limitée de Puerto de Las Nieves et sur la nécessité d’assurer la sécurité des manœuvres de navires à l’entrée de ce port et dans celui-ci.

9        Ces mêmes raisons ont justifié le rejet par la DGPC de la demande formulée en 2004 par une autre compagnie maritime (Trasmediterránea) d’accoster à Puerto de Las Nieves au moyen d’un transbordeur rapide.

 Procédure administrative et évolution de la situation en cause au cours de ladite procédure

10      Le 26 avril 2013, la requérante a introduit auprès de la Commission européenne une plainte alléguant, notamment, que les autorités espagnoles avaient, par diverses mesures relatives à Puerto de Las Nieves, accordé des aides d’État illégales à Fred Olsen (ci-après la « plainte »).

11      Selon la plainte, ces aides résultaient, premièrement, de la décision de la DGPC d’accorder à Fred Olsen le droit exclusif de développer des activités de transport maritime commercial à partir de Puerto de Las Nieves sans avoir lancé d’appel d’offres public, transparent et non discriminatoire, deuxièmement, d’une exonération partielle pour Fred Olsen du paiement de certaines redevances portuaires, à savoir les taxes T 2 et T 9, et, troisièmement, du financement à l’aide de fonds publics de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves, construite en vue de son usage exclusif par Fred Olsen.

12      Une version non confidentielle de la plainte a été adressée aux autorités espagnoles, lesquelles ont soumis leurs observations le 4 juillet 2013. Les autorités espagnoles ont, le 20 août 2013, adressé à la Commission des observations complémentaires en réponse à une demande de renseignements de la Commission.

13      Le 22 octobre 2013, la Commission a communiqué à la requérante un courrier contenant une appréciation préliminaire selon laquelle, à première vue, les mesures en cause ne semblaient pas pouvoir être qualifiées d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Le courrier adressé à la requérante laissait entendre que les autorités espagnoles avaient, d’une part, apporté des preuves d’un règlement correct des taxes portuaires par Fred Olsen et, d’autre part, produit un rapport technique démontrant la capacité limitée de Puerto de Las Nieves. Ce courrier faisait également référence à l’intention des autorités espagnoles d’agrandir l’infrastructure de ce port.

14      La requérante a, par courrier du 13 décembre 2013, contesté cette appréciation préliminaire et souligné la nécessité pour la Commission d’ouvrir une procédure formelle d’examen au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Ces observations ont, le 18 février 2014, été transmises par la Commission aux autorités espagnoles, lesquelles ont répondu le 18 mars 2014.

15      En octobre 2014, la Commission a appris par la presse qu’un appel d’offres avait été organisé en vue de l’octroi d’un accès à l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins de transport maritime commercial. Fred Olsen a, de sa propre initiative, soumis des observations à la Commission, à la suite desquelles cette dernière a, par courrier du 9 décembre 2014, demandé aux autorités espagnoles de lui transmettre certains renseignements et de la tenir régulièrement informée du déroulement de cet appel d’offres. Les autorités espagnoles ont répondu à cette lettre le 16 janvier 2015 et ont adressé ensuite plusieurs courriers d’information à la Commission entre les mois de février et d’octobre 2015. Fred Olsen a, à deux reprises au cours de l’année 2015, également informé la Commission de l’évolution de l’appel d’offres.

16      Selon les informations parvenues à la Commission, l’appel d’offres en question avait été publié par la DGPC le 14 octobre 2014, en vue de l’attribution de deux lots relatifs à des créneaux horaires pour le trafic commercial à Puerto de Las Nieves. Cet appel d’offres faisait suite à des travaux d’agrandissement dans ce port en 2014, destinés à permettre à deux transbordeurs rapides d’y accoster en même temps. Le 24 novembre 2014, le conseil d’administration de la DGPC a rejeté le recours introduit par Fred Olsen contre cet appel d’offres. Il a, par décision du 3 février 2015, attribué le premier lot à Fred Olsen et le second à la requérante, seules ces deux compagnies ayant soumissionné.

17      Fred Olsen a contesté le résultat de cet appel d’offres devant le Tribunal Superior de Justicia de Canarias, Sala de lo Contencioso-Administrativo, Sección Primera de Santa Cruz de Tenerife (Cour supérieure de justice des Canaries, chambre du contentieux administratif, première section de Santa Cruz de Tenerife, Espagne), au motif qu’il méconnaissait les règles en matière de marchés publics. Parallèlement à son recours sur le fond, Fred Olsen a sollicité la suspension judiciaire de l’appel d’offres. La suspension a été accordée par ordonnance du 27 février 2015 (ci-après, l’« ordonnance de suspension du 27 février 2015 »), confirmée par ordonnance du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) du 7 juillet 2016.

18      Par lettre du 6 octobre 2015, la requérante a adressé à la Commission une invitation à agir au sens de l’article 265 TFUE. Le 28 octobre 2015, la Commission a adressé aux autorités espagnoles une ultime demande de renseignements, à laquelle il a été répondu le 23 novembre de cette même année.

 Décision attaquée

19      Le 8 décembre 2015, la Commission a adopté la décision C(2015) 8655 final concernant l’aide d’État SA.36628 (2015/NN) (ex 2013/CP) – Espagne – Fred Olsen (ci-après la « décision attaquée »).

20      Au paragraphe 42 de la décision attaquée, la Commission a considéré qu’il y avait tout d’abord lieu d’examiner ensemble les premier et troisième griefs invoqués dans la plainte, ceux-ci visant en substance à critiquer l’avantage dont aurait bénéficié Fred Olsen en raison de l’utilisation exclusive par cette compagnie de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves en dehors de tout appel d’offres public, transparent et non discriminatoire.

21      À cet égard, la Commission s’est fondée sur quatre motifs pour conclure, au paragraphe 62 de la décision attaquée, que cette utilisation exclusive n’avait engendré l’octroi d’aucune aide d’État.

22      Premièrement, au paragraphe 43 de la décision attaquée, la Commission a relevé que tant le développement initial de Puerto de Las Nieves en vue de permettre le transport commercial que son adaptation afin d’accueillir des transbordeurs rapides étaient antérieurs au prononcé de l’arrêt du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission (T‑128/98, EU:T:2000:290). La Commission en a déduit que les autorités compétentes avaient pu légitimement considérer, à cette époque, que le financement public de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves ne constituait pas une aide d’État et ne nécessitait dès lors pas de notification à la Commission.

23      Deuxièmement, au paragraphe 44 de la décision attaquée, la Commission a indiqué, en substance, que l’infrastructure portuaire permettant le transport commercial à partir de Puerto de Las Nieves n’avait été initialement ni planifiée ni développée en vue de bénéficier spécifiquement à Fred Olsen ou à toute autre compagnie maritime.

24      Troisièmement, la Commission a relevé, au paragraphe 45 de la décision attaquée, que la requérante n’avait pas allégué que le niveau des taxes portuaires dues au titre de l’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par Fred Olsen engendrait l’octroi d’une aide d’État. La Commission en a déduit que cette partie de la plainte n’identifiait aucun avantage accordé au moyen de ressources d’État, un tel avantage ne pouvant résulter de la seule circonstance que, de facto, Fred Olsen était la seule utilisatrice de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves.

25      Quatrièmement, aux paragraphes 46 à 61 de la décision attaquée, la Commission a examiné si la situation dénoncée dans la plainte était conforme à sa pratique décisionnelle aux termes de laquelle l’utilisateur d’une infrastructure portuaire financée au moyen de fonds publics ne perçoit pas d’aide d’État lorsque, d’une part, l’exploitant de l’infrastructure perçoit de cet utilisateur des taxes comparables à celles perçues dans d’autres ports comparables et, d’autre part, l’accès à cette infrastructure est ouvert et non discriminatoire.

26      S’agissant de la première condition, la Commission l’a considérée comme remplie en l’espèce, eu égard à l’assurance donnée par le Royaume d’Espagne, non contestée par la requérante, que la DGPC percevait les mêmes taxes portuaires dans l’ensemble des ports relevant de sa compétence dans les Îles Canaries.

27      S’agissant de la seconde condition, la Commission a distingué entre la période antérieure au 3 juillet 2013 et la période postérieure à cette date, à laquelle la requérante a pour la première fois manifesté formellement son souhait d’entreprendre des activités de transport maritime commercial avec des transbordeurs rapides à partir de Puerto de Las Nieves.

28      Pour ce qui est de la période antérieure au 3 juillet 2013, la Commission a estimé en substance que, dès lors qu’aucune compagnie maritime n’avait manifesté le souhait d’opérer dans ce port au moyen de transbordeurs rapides, il était permis de considérer que les autorités espagnoles n’avaient adopté aucune mesure réservant l’usage exclusif du port à Fred Olsen ou présentant un caractère discriminatoire à l’égard d’autres utilisateurs potentiels. Elle a souligné, à cet égard, que les demandes d’accès à l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves précédemment formulées par Trasmediterránea et la requérante concernaient des transbordeurs conventionnels et que les autorités espagnoles avaient établi que l’accès à l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par les seuls transbordeurs rapides était justifié pour des raisons de sécurité.

29      Pour ce qui est de la période postérieure au 3 juillet 2013, la Commission a tout d’abord reconnu que la DGPC n’était pas en mesure de satisfaire la demande de la requérante d’obtenir un accès à l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves pour le 1er septembre de cette même année, eu égard à la brièveté de cette échéance. Toutefois, elle a considéré que la DGPC, en tant que gestionnaire de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves, était tenue, à compter de cette demande, d’entreprendre les démarches nécessaires afin d’assurer un accès non discriminatoire à cette infrastructure à tout utilisateur potentiel opérant au moyen de transbordeurs rapides.

30      La Commission a par ailleurs estimé que, compte tenu de l’appel d’offres lancé après l’agrandissement de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves en 2014, la DGPC avait satisfait à cette obligation dans un délai raisonnable à compter de la demande d’accès de la requérante du 3 juillet 2013. À cet égard, elle a précisé, au paragraphe 59 de la décision attaquée, que l’attribution de deux lots relatifs à des créneaux horaires couplée à une augmentation de la capacité d’accueil de véhicules sur le quai de Puerto de Las Nieves était préférable à une réduction de la fréquence d’embarquement et de débarquement par les navires de Fred Olsen, dès lors que, premièrement, cette dernière compagnie pouvait légitimement s’attendre au maintien de ses conditions d’utilisation de ce port et que, deuxièmement, une telle réduction aurait eu des effets bénéfiques limités pour la concurrence.

31      Aux paragraphes 60 à 62 de la décision attaquée, la Commission a conclu que, dès lors que les taxes exigées pour l’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves étaient les mêmes que celles perçues dans des ports comparables et que, de surcroît, le statu quo résultant de l’ordonnance de suspension du 27 février 2015 était temporaire, la DGPC avait entrepris les démarches nécessaires pour assurer un accès ouvert et non discriminatoire à ce port et que Fred Olsen n’avait donc bénéficié d’aucune aide d’État. Elle a toutefois souligné que cette conclusion ne devait pas empêcher la DGPC de continuer à poursuivre ses efforts en vue de permettre au plus vite à une seconde compagnie opérant au moyen de transbordeurs rapides d’offrir des services de transport à partir de Puerto de Las Nieves.

32      En ce qui concerne le deuxième grief, pris d’une exonération partielle du paiement de certaines taxes portuaires consentie à Fred Olsen, la Commission a souligné, au paragraphe 63 de la décision attaquée, que les autorités espagnoles avaient confirmé que Fred Olsen s’était vu imposer l’ensemble des taxes portuaires applicables et qu’elles avaient de surcroît démontré que cette compagnie s’était, à tout le moins depuis 2005, acquittée de l’ensemble des avis d’imposition qui lui avaient été adressés.

33      Au paragraphe 66 de la décision attaquée, la Commission, après avoir rappelé en substance qu’il ne lui appartenait pas de se prononcer sur la façon dont les taxes portuaires étaient appliquées, a considéré qu’il n’était pas établi que Fred Olsen avait bénéficié d’un quelconque avantage au titre de la taxe T 9 dès lors que, selon les explications fournies par les autorités espagnoles, cette taxe était calculée de la même manière dans l’ensemble des ports canariens relevant de la compétence de la DGPC.

34      La Commission a également écarté l’argument selon lequel la taxe T 2 aurait dû être imposée à Fred Olsen, en ce qui concernait l’utilisation par cette dernière des rampes mobiles, pour des périodes de 24 heures et non pour la seule période pendant laquelle elles étaient effectivement utilisées. Elle a en effet précisé avoir reçu des indications suffisantes de la part des autorités espagnoles en ce sens que la taxe T 2 était calculée de la même manière par la DGPC dans l’ensemble des ports canariens relevant de sa compétence. Dès lors qu’il n’était pas établi que Fred Olsen avait reçu un quelconque avantage à ce titre, la Commission a estimé, au paragraphe 70 de la décision attaquée, que l’examen des autres conditions prévues par l’article 107, paragraphe 1, TFUE pour qualifier une mesure d’aide d’État n’était pas nécessaire en l’espèce.

35      La Commission a déduit de l’ensemble de ces éléments, au paragraphe 71 de la décision attaquée, que les mesures en cause ne constituaient pas des aides d’État.

 Procédure et conclusions des parties

36      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 mars 2016, la requérante a introduit le présent recours.

37      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 16 juin 2016, Fred Olsen a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission.

38      Par ordonnance du 7 septembre 2016, le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis Fred Olsen à intervenir.

39      L’intervenante a déposé un mémoire en intervention le 31 octobre 2016. Le 19 décembre 2016, la requérante a présenté ses observations sur ce mémoire, la Commission ayant informé le Tribunal, le 17 novembre 2016, qu’elle n’avait pas d’observations sur celui-ci.

40      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, la présente affaire a été attribuée à la neuvième chambre dans laquelle un nouveau juge rapporteur a été désigné.

41      Par mesure d’organisation de la procédure adoptée sur le fondement de l’article 90 de son règlement de procédure, le Tribunal a posé des questions écrites aux parties, pour réponse lors de l’audience.

42      La requérante conclut en substance à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer recevables et fondés les moyens d’annulation soulevés dans la requête et, par conséquent, annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

43      La Commission et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

44      La requérante soulève un moyen unique à l’appui du recours, pris de l’omission, de la part de la Commission, d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, en dépit des difficultés sérieuses soulevées par l’appréciation des mesures dénoncées dans la plainte. Ce moyen unique repose sur trois séries d’arguments relatifs à la durée de la procédure d’examen préliminaire et à l’intensité des échanges qui ont eu lieu au cours de celle-ci entre la Commission et le Royaume d’Espagne, à des erreurs manifestes dans l’appréciation des faits et, enfin, à des erreurs de droit ainsi qu’à une insuffisance de motivation.

45      Il y a lieu, après avoir rappelé, à titre liminaire, la jurisprudence pertinente applicable au présent litige, d’examiner en premier lieu les arguments présentés par la requérante au soutien de sa demande en annulation faisant état de difficultés sérieuses apparues pendant la procédure d’examen préliminaire proprement dite et, en second lieu, les arguments relatifs au contenu de la décision attaquée.

 Considérations liminaires

46      Selon une jurisprudence constante, lorsque la Commission ne peut pas acquérir la conviction, à la suite d’un premier examen mené dans le cadre de la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qu’une mesure soit ne constitue pas une « aide » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, soit, si elle est qualifiée d’aide, est compatible avec le traité FUE, ou lorsque cette procédure ne lui a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l’appréciation de la compatibilité de la mesure considérée, cette institution est dans l’obligation d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE sans disposer à cet égard d’une marge d’appréciation (voir arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 113 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 10 mai 2005, Italie/Commission, C‑400/99, EU:C:2005:275, point 48).

47      Cette obligation est expressément confirmée par les dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 4, et de l’article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1) (arrêts du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 113, et du 14 septembre 2016, Trajektna luka Split/Commission, T‑57/15, non publié, EU:T:2016:470, point 59 ; voir également, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2006, Asociación de Estaciones de Servicio de Madrid et Federación Catalana de Estaciones de Servicio/Commission, T‑95/03, EU:T:2006:385, point 134 et jurisprudence citée), repris en substance à l’article 4, paragraphe 4, et à l’article 15, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9), entré en vigueur le 14 octobre 2015 et dès lors applicable à la date à laquelle la décision attaquée a été adoptée.

48      De surcroît, la notion de difficultés sérieuses, dont la présence oblige la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen, revêt un caractère objectif. L’existence de telles difficultés doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de l’acte attaqué que dans les appréciations sur lesquelles s’est fondée la Commission, d’une manière objective, en mettant en rapport les motifs de la décision avec les éléments dont la Commission disposait lorsqu’elle s’est prononcée sur l’existence ou la compatibilité des aides litigieuses avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 2009, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, C‑431/07 P, EU:C:2009:223, point 63 ; du 18 novembre 2009, Scheucher – Fleisch e.a./Commission, T‑375/04, EU:T:2009:445, point 74 et jurisprudence citée, et du 28 mars 2012, Ryanair/Commission, T‑123/09, EU:T:2012:164, point 77 et jurisprudence citée).

49      Il en découle que le contrôle de légalité effectué par le Tribunal sur l’existence de difficultés sérieuses, par nature, ne peut se limiter à la recherche de l’erreur manifeste d’appréciation [arrêts du 27 septembre 2011, 3F/Commission, T‑30/03 RENV, EU:T:2011:534, point 55, et du 17 mars 2015, Pollmeier Massivholz/Commission, T‑89/09, EU:T:2015:153, point 49 (non publié)]. Un contrôle juridictionnel entier s’avère d’autant plus nécessaire lorsque, comme en l’espèce, la partie requérante critique l’examen opéré par la Commission de la qualification même des mesures en cause d’aides d’État, cette notion, telle qu’elle est définie dans le traité FUE, présentant un caractère juridique et devant être interprétée sur la base d’éléments objectifs [arrêts du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 111, et du 17 mars 2015, Pollmeier Massivholz/Commission, T‑89/09, EU:T:2015:153, point 47 (non publié)].

50      Il ressort également de la jurisprudence que le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire constitue un indice de l’existence de difficultés sérieuses [voir arrêt du 17 mars 2015, Pollmeier Massivholz/Commission, T‑89/09, EU:T:2015:153, point 50 (non publié) et jurisprudence citée].

51      La partie requérante supporte la charge de la preuve de l’existence de difficultés sérieuses, preuve qu’elle peut rapporter à partir d’un faisceau d’indices concordants, relatifs, d’une part, aux circonstances et à la durée de la procédure d’examen préliminaire et, d’autre part, au contenu de la décision attaquée (arrêts du 3 mars 2010, Bundesverband deutscher Banken/Commission, T‑36/06, EU:T:2010:61, point 127, et du 16 septembre 2013, Colt Télécommunications France/Commission, T‑79/10, non publié, EU:T:2013:463, point 37 ; voir également, en ce sens, arrêt du 15 mars 2001, Prayon-Rupel/Commission, T‑73/98, EU:T:2001:94, point 49).

 Sur les arguments relatifs à la procédure d’examen préliminaire

52      La requérante se fonde tout d’abord sur la longue durée de la procédure d’examen préliminaire ainsi que sur la fréquence élevée des échanges entre la Commission et le Royaume d’Espagne au cours de celle-ci en vue de démontrer que l’examen des mesures en cause a donné lieu à des difficultés sérieuses.

53      D’une part, la période de plus de deux ans et huit mois ayant séparé le dépôt de la plainte et l’adoption de la décision attaquée serait excessive, eu égard au délai maximal de deux mois prévu pour la procédure d’examen préliminaire à l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 659/1999 et, depuis l’abrogation de celui-ci, à l’article 4, paragraphe 5, du règlement 2015/1589. Une telle durée mettrait en évidence la complexité de l’affaire, et ce d’autant que la Commission n’a adopté la décision attaquée qu’après avoir été mise en demeure par la requérante.

54      D’autre part, la requérante fait valoir, en substance, que les nombreux échanges qui ont eu lieu entre la Commission et le Royaume d’Espagne, décrits dans la décision attaquée, ont de loin dépassé ce que pouvait comporter une instruction préliminaire en matière d’aides d’État. Une telle fréquence d’échanges, qui pourrait s’expliquer par le manque de coopération du Royaume d’Espagne, serait incompréhensible en l’absence de difficultés sérieuses dans l’examen de la plainte. Les difficultés rencontrées par la Commission au cours de la procédure d’examen préliminaire seraient corroborées par la circonstance que c’est par le biais des médias qu’elle a appris l’organisation d’un appel d’offres postérieurement au dépôt de la plainte et que, de surcroît, c’est uniquement sous réserve d’une modification substantielle de la situation en cause et du caractère temporaire de la suspension judiciaire de cet appel d’offres qu’elle a conclu à l’inexistence d’une aide d’État dans la décision attaquée.

55      La Commission aurait elle-même reconnu, dans le cadre de la présente instance, qu’elle avait retardé délibérément l’adoption de la décision attaquée dans l’attente du résultat de cet appel d’offres. Cela témoignerait du fait que, du point de vue de la Commission, l’ouverture de l’accès à l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves était essentielle pour l’examen des mesures en cause et que, contrairement à ce que la Commission fait désormais valoir, l’absence prétendue d’avantage accordé au moyen de ressources d’État n’était pas considérée comme déterminante.

56      Quant à la tentative de la Commission de justifier la durée de la procédure d’examen préliminaire par le nombre d’arguments présentés par la requérante, fondés sur plusieurs dispositions du traité FUE, elle serait dénuée de fondement. D’une part, la Commission aurait immédiatement choisi de traiter séparément la partie de la plainte fondée sur une méconnaissance de l’article 106 TFUE, lu en combinaison avec l’article 102 TFUE, et celle, qui fait l’objet de la décision attaquée, fondée sur une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. D’autre part, la Commission aurait décidé de classer la première partie de la plainte dès le 19 juillet 2013, si bien que celle-ci n’aurait aucunement retardé l’examen des mesures en cause.

57      La requérante souligne encore qu’elle a exprimé son point de vue sur l’analyse des mesures dénoncées à une seule occasion, à savoir lorsqu’elle a présenté ses observations sur les conclusions préliminaires de la Commission, et que, par conséquent, le retard pris durant la procédure d’examen préliminaire ne saurait en aucun cas lui être imputé.

58      La Commission souligne, tout comme l’intervenante, que ni l’intensité des échanges avec l’État membre concerné au cours de la procédure d’examen préliminaire ni la longue durée de celle-ci ne révèlent nécessairement l’existence de difficultés sérieuses dans l’analyse des mesures en cause. La longue durée de la procédure d’examen préliminaire pourrait s’expliquer par la charge de travail de la Commission résultant, notamment, d’autres plaintes ou de demandes répétées d’information à l’État membre concerné ou, encore, d’une évolution des circonstances.

59      Selon la Commission, premièrement, l’appréciation de la durée de la procédure d’examen préliminaire devrait tenir compte du fait qu’elle a communiqué à la requérante ses conclusions préliminaires dès le 22 octobre 2013 et que celles-ci sont restées pratiquement inchangées par la suite. Deuxièmement, la situation en cause aurait évolué tout au long de la procédure d’examen préliminaire, à compter de la demande d’accès à l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves formulée par la requérante le 3 juillet 2013, et la décision attaquée aurait été adoptée quelques mois seulement après l’ordonnance de suspension du 27 février 2015. Troisièmement, la longueur de la procédure s’expliquerait notamment par les fondements multiples de la plainte déposée par la requérante, qui a dû être examinée par différentes unités de la Commission. Quatrièmement, les nombreuses réactions de la requérante au cours de la procédure d’examen préliminaire auraient nécessité une multiplication des échanges avec les autorités espagnoles, afin de faire toute la lumière sur les mesures en cause. Quant à l’intensité des échanges avec les autorités espagnoles, elle serait principalement due à la circonstance que la Commission, après avoir appris l’organisation d’un appel d’offres, a estimé que la connaissance du résultat de celui-ci lui permettrait d’adopter une décision plus concrète et plus utile sur les mesures en cause. La Commission souligne toutefois, en substance, que ni cette évolution des circonstances ni le fait que le résultat de l’appel d’offres a été suspendu judiciairement n’étaient de nature à influer sur le constat selon lequel les mesures en cause ne constituaient pas des aides d’État.

60      À cet égard, il convient tout d’abord de rappeler que, dans le cas où les mesures étatiques litigieuses n’ont pas été notifiées par l’État membre concerné, la Commission n’est pas tenue de procéder à un examen préliminaire de ces mesures dans un délai déterminé. Toutefois, dans la mesure où la Commission possède une compétence exclusive pour apprécier la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, elle est tenue, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité FUE relatives aux aides d’État, de procéder à un examen diligent et impartial d’une plainte dénonçant l’existence d’une aide incompatible avec le marché intérieur. Il s’ensuit, notamment, que la Commission ne peut prolonger indéfiniment l’examen préliminaire de mesures étatiques ayant fait l’objet d’une plainte, dès lors qu’elle a, comme en l’espèce, accepté d’entamer un tel examen en demandant des renseignements à l’État membre concerné (arrêts du 10 mai 2006, Air One/Commission, T‑395/04, EU:T:2006:123, point 61 ; du 12 décembre 2006, Asociación de Estaciones de Servicio de Madrid et Federación Catalana de Estaciones de Servicio/Commission, T‑95/03, EU:T:2006:385, point 121, et du 9 septembre 2009, Diputación Foral de Álava e.a./Commission, T‑30/01 à T‑32/01 et T‑86/02 à T‑88/02, EU:T:2009:314, point 260). Le seul objet de cet examen est, en effet, de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la qualification des mesures soumises à son appréciation et sur leur compatibilité avec le marché intérieur (voir arrêt du 25 novembre 2014, Ryanair/Commission, T‑512/11, non publié, EU:T:2014:989, point 68 et jurisprudence citée).

61      Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure d’examen préliminaire doit s’apprécier en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, du contexte de celle-ci, des différentes étapes procédurales que la Commission doit suivre, de la complexité de l’affaire ainsi que de son enjeu pour les différentes parties intéressées (voir arrêt du 20 septembre 2011, Regione autonoma della Sardegna e.a./Commission, T‑394/08, T‑408/08, T‑453/08 et T‑454/08, EU:T:2011:493, point 99 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêts du 27 septembre 2011, 3F/Commission, T‑30/03 RENV, EU:T:2011:534, point 58 et jurisprudence citée, et du 16 octobre 2014, Portovesme/Commission, T‑291/11, EU:T:2014:896, point 72 et jurisprudence citée).

62      En l’espèce, la Commission a été saisie de la plainte de la requérante le 26 avril 2013 et a communiqué ses conclusions préliminaires à la requérante le 22 octobre de la même année. Ce faisant, la Commission s’est conformée à la règle figurant au point 48 du code de bonnes pratiques pour la conduite des procédures de contrôle des aides d’État (JO 2009, C 136, p. 13), qui prévoit que, « [e]n principe, dans un délai de douze mois, la Commission s’efforce [...] d’adresser une première lettre administrative au plaignant pour lui exposer ses conclusions préliminaires dans les cas non prioritaires » (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2016, Trajektna luka Split/Commission, T‑57/15, non publié, EU:T:2016:470, point 67).

63      Toutefois, la décision attaquée a été adoptée le 8 décembre 2015, soit plus de 31 mois après la réception de la plainte et plus de deux ans après la communication à la requérante des conclusions préliminaires de la Commission.

64      Or, même en tenant compte du droit de la Commission d’accorder des degrés de priorité différents aux plaintes dont elle est saisie (voir arrêt du 4 juillet 2007, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, T‑475/04, EU:T:2007:196, point 158 et jurisprudence citée), les délais mentionnés au point 63 ci-dessus ont excédé notablement ce qu’impliquait en principe un premier examen des mesures dénoncées dans la plainte. À cet égard, il a été jugé qu’une telle circonstance était susceptible, avec d’autres éléments, d’indiquer que la Commission avait rencontré des difficultés sérieuses d’appréciation qui exigeaient l’ouverture de la procédure prévue par l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 10 mai 2000, SIC/Commission, T‑46/97, EU:T:2000:123, point 102 ; du 27 septembre 2011, 3F/Commission, T‑30/03 RENV, EU:T:2011:534, point 72, et du 14 septembre 2016, Trajektna luka Split/Commission, T‑57/15, non publié, EU:T:2016:470, point 62).

65      Il convient d’apprécier si, ainsi que le soutient la Commission, la durée particulièrement longue en l’espèce de la procédure d’examen préliminaire a pu résulter en partie de circonstances objectives étrangères à toute difficulté sérieuse rencontrée lors de l’examen des mesures en cause.

66      S’agissant tout d’abord de la circonstance que la requérante a invoqué dans la plainte une violation non seulement de l’article 107 TFUE, mais également des articles 102 et 106 TFUE, il y a lieu de souligner que cette dernière partie de la plainte a pu être classée dès le 19 juillet 2013. Ainsi que le souligne à juste titre la requérante, le traitement par la Commission de la partie de la plainte consacrée à une prétendue violation des articles 102 et 106 TFUE n’a donc pu occasionner aucun retard significatif dans l’examen préliminaire des mesures dénoncées dans la plainte comme constitutives d’aides d’État.

67      S’agissant ensuite de l’évolution de la situation en cause au cours de la procédure administrative, il convient de relever que la requérante a en effet présenté à la DGPC une demande d’autorisation d’accostage à Puerto de Las Nieves le 3 juillet 2013, soit un peu plus de deux mois après le dépôt de la plainte à la Commission. Comme il ressort des paragraphes 23 à 27 de la décision attaquée, cette demande a non seulement donné lieu à une décision de refus de la DGPC, mais également conduit cette dernière à envisager d’autoriser une seconde compagnie maritime à opérer à Puerto de Las Nieves à des fins de transport commercial et, dans cette perspective, à entreprendre des travaux d’aménagement de ce port ainsi qu’à organiser une procédure d’appel d’offres. De telles circonstances objectives étaient indéniablement de nature à entraîner une modification des conditions dans lesquelles l’intervenante avait jusqu’alors été autorisée à utiliser l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves. Dès lors que ces conditions faisaient précisément l’objet de la partie de la plainte dénonçant l’octroi d’aides d’État à l’intervenante, l’évolution de la situation susvisée constituait une circonstance objective de nature à justifier un allongement du délai nécessité par le traitement de cette plainte.

68      Il en va de même s’agissant du recours de l’intervenante contre l’appel d’offres, introduit devant le Tribunal Superior de Justicia de Canarias, Sala de lo Contencioso-Administrativo, Sección Primera de Santa Cruz de Tenerife (Cour supérieure de justice des Canaries, chambre du contentieux administratif, première section de Santa Cruz de Tenerife), ainsi que de l’ordonnance de suspension du 27 février 2015, dès lors que ces circonstances postérieures au dépôt de la plainte ont eu pour effet de créer un état d’incertitude quant au maintien ou non des conditions d’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par l’intervenante, dénoncées dans la plainte.

69      S’agissant enfin des multiples échanges entre la Commission et les autorités espagnoles, il convient de rappeler que le seul fait que des discussions se soient nouées entre la Commission et l’État membre concerné durant la procédure d’examen préliminaire et que, dans ce cadre, des informations complémentaires aient pu être demandées par la Commission sur les mesures soumises à son contrôle ne peut pas, en soi, être considéré comme une preuve de ce que cette institution se trouvait confrontée à des difficultés sérieuses d’appréciation (voir arrêt du 27 septembre 2011, 3F/Commission, T‑30/03 RENV, EU:T:2011:534, point 71 et jurisprudence citée).

70      À cet égard, d’une part, il y a lieu de souligner que la requérante a contesté de façon détaillée l’appréciation préliminaire figurant dans le courrier qui lui avait été adressé par la Commission le 22 octobre 2013 et que cette circonstance a pu justifier que la Commission cherche à obtenir des renseignements complémentaires auprès des autorités espagnoles.

71      D’autre part, l’évolution de la situation en cause en l’espèce, examinée aux points 67 et 68 ci-dessus, était également de nature à justifier de nouveaux échanges avec le Royaume d’Espagne concernant les conditions d’accès à l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins de transport commercial et, par conséquent, à allonger la durée de l’examen préliminaire de celles-ci. Il en va d’autant plus ainsi en l’espèce que l’intervenante a, de sa propre initiative, présenté des observations à la Commission après que celle-ci avait sollicité des explications des autorités espagnoles au sujet de la procédure d’appel d’offres et a par la suite, au cours de l’année 2015, informé à deux reprises la Commission de l’évolution de ce même appel d’offres (voir point 15 ci-dessus).

72      Il résulte de ce qui précède que tant le déroulement de la procédure que l’évolution de la situation en cause ainsi que les échanges complémentaires qui en ont résulté entre la Commission et le Royaume d’Espagne, d’une part, et entre la Commission et l’intervenante, d’autre part, constituent des circonstances objectives ayant pu contribuer à allonger la durée de l’examen préliminaire des mesures identifiées dans la plainte comme des aides d’État.

73      Par conséquent, la durée de la procédure d’examen préliminaire n’est pas en elle-même révélatrice de difficultés sérieuses qui obligeaient la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

74      Il convient dès lors d’examiner les autres arguments invoqués par la requérante à l’appui du moyen unique et visant à établir que le contenu même de la décision attaquée, y compris la partie de cette décision dans laquelle a été examinée l’évolution des circonstances postérieure au dépôt de la plainte, fournit des indices en ce sens que l’examen des mesures en cause soulevait des difficultés sérieuses qui auraient dû conduire la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen.

 Sur les arguments relatifs au contenu de la décision attaquée

75      Il convient d’examiner ensemble les deuxième et troisième branches du moyen unique, par lesquelles la requérante soutient que la décision attaquée est entachée de diverses erreurs manifestes d’appréciation des faits et d’erreurs de droit, en distinguant néanmoins, après avoir formulé des observations préliminaires, la partie de la décision attaquée consacrée à l’examen des conditions d’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par l’intervenante (premier et troisième griefs soulevés dans la plainte) de celle consacrée à l’examen des conditions d’application de la taxe T 9 à l’intervenante en raison de son occupation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves (deuxième grief soulevé dans la plainte).

 Observations liminaires

76      Lorsque, comme en l’espèce, le recours vise à contester le bien-fondé d’une décision écartant l’existence d’une aide d’État au terme de la procédure d’examen préliminaire, il appartient au Tribunal, conformément à la jurisprudence citée aux points 48 à 51 ci-dessus, d’apprécier les indices tirés du contenu de la décision attaquée afin d’y déceler l’existence d’une éventuelle difficulté sérieuse (voir, en ce sens, arrêt du 7 novembre 2012, CBI/Commission, T‑137/10, EU:T:2012:584, point 66 et jurisprudence citée).

77      En l’espèce, il y a tout d’abord lieu de relever qu’aucun élément du dossier ne suggère que les services commerciaux de transport maritime fournis par l’intervenante à partir de Puerto de Las Nieves incluent l’exécution de services d’intérêt économique général. Par conséquent, l’examen des mesures en cause ne saurait être opéré par référence à la jurisprudence selon laquelle ne relève pas de l’article 107, paragraphe 1, TFUE une intervention étatique considérée comme une compensation représentant la contrepartie de prestations effectuées par l’entreprise bénéficiaire pour exécuter des obligations de service public, cette entreprise ne profitant en réalité pas, dans ce cas, d’un avantage financier la plaçant dans une position concurrentielle plus favorable que celle des entreprises concurrentes (arrêts du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, EU:C:2003:415, point 87, et du 6 avril 2017, Regione autonoma della Sardegna/Commission, T‑219/14, EU:T:2017:266, point 91).

78      Ensuite, il convient de relever que l’activité de l’intervenante à Puerto de Las Nieves qui a fait l’objet de la plainte à l’origine du présent litige consiste à utiliser à des fins commerciales une infrastructure portuaire relevant du domaine public. L’intervenante est donc bien une entreprise exerçant une activité économique soumise à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, définie comme toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (voir arrêt du 1er juillet 2008, MOTOE, C‑49/07, EU:C:2008:376, point 22 et jurisprudence citée).

79      Enfin, si aucun élément porté à la connaissance du Tribunal ne permet de conclure que l’intervenante a, à un quelconque moment depuis qu’elle exerce des activités de transport maritime à partir de Puerto de Las Nieves, bénéficié d’une concession ou de tout autre droit exclusif pour l’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins de transport commercial, il convient de relever que celle-ci, au moment de l’adoption de la décision attaquée, était depuis 1994 la seule à pouvoir utiliser cette infrastructure à de telles fins, les demandes d’autorisation d’accostage formulées par d’autres compagnies, y compris par la requérante, ayant toutes été rejetées par la DGPC jusqu’à l’organisation d’un appel d’offres en 2014 et le résultat de ce dernier ayant fait l’objet de l’ordonnance de suspension du 27 février 2015. Cette constatation, qui porte sur l’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves spécifiquement à des fins de transport commercial de personnes et de marchandises, n’est pas remise en cause par l’argument de la Commission, répété à l’audience, selon lequel l’intervenante n’a bénéficié à aucun moment d’une utilisation exclusive dudit port dès lors que celui-ci accueille également des activités de pêche et de plaisance.

 Sur l’examen des conditions d’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par l’intervenante (premier et troisième griefs soulevés dans la plainte)

80      La requérante critique chacun des quatre motifs sur lesquels repose le constat, dans la décision attaquée, selon lequel l’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par l’intervenante ne constitue pas une aide d’État (voir points 21 à 31 ci-dessus). Il convient dès lors d’examiner successivement les griefs dirigés contre chacun de ces motifs, afin d’apprécier s’ils permettent de mettre en lumière des difficultés sérieuses soulevées par l’examen des conditions d’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par l’intervenante.

–       Sur les griefs dirigés contre le premier motif, relatif à l’arrêt du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission (T128/98)

81      S’agissant du premier motif, figurant au paragraphe 43 de la décision attaquée, la requérante soutient que la Commission a erronément conclu que les autorités canariennes n’étaient tenues de considérer l’exploitation d’infrastructures portuaires comme une activité économique qu’à compter du prononcé de l’arrêt du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission (T‑128/98, EU:T:2000:290). Or, l’interprétation de la portée de l’article 107, paragraphe 1, TFUE donnée par le juge de l’Union européenne dans cet arrêt aurait une valeur purement déclaratoire et serait en outre cohérente avec la jurisprudence antérieure, selon laquelle le financement public d’activités économiques est susceptible de constituer une aide d’État. Par conséquent, la seule circonstance que l’adaptation de l’infrastructure portuaire de Puerto Las Nieves au trafic commercial soit intervenue avant le prononcé de l’arrêt du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission (T‑128/98, EU:T:2000:290), n’aurait pas dispensé les autorités compétentes d’assurer dès cette époque un accès ouvert et non discriminatoire à ce port, afin d’éviter que ses conditions d’utilisation n’entraînent l’octroi d’aides d’État. En tout état de cause, le raisonnement suivi par la Commission ne serait pas de nature à justifier l’octroi d’aides à l’intervenante depuis le prononcé de cet arrêt et ce dernier manquerait de surcroît de pertinence dès lors qu’il concerne la qualification d’activité économique de la gestion d’une infrastructure et non, comme en l’espèce, de l’utilisation de cette infrastructure à des fins commerciales.

82      La Commission soutient que le paragraphe 43 de la décision attaquée se limitait à constater l’ancienneté de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves et son adaptation progressive à l’exercice d’activités économiques. Or, il y aurait lieu de distinguer l’octroi d’une concession exclusive à un utilisateur d’une situation, telle que celle en cause en l’espèce, dans laquelle un opérateur utilise seul une infrastructure en raison des capacités limitées de celle-ci. Une telle utilisation ne saurait en aucun cas être assimilée à l’octroi d’un droit exclusif. Dès lors que la création et le développement de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves sont antérieurs au prononcé de l’arrêt du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission (T‑128/98, EU:T:2000:290), la seule circonstance que les autorités espagnoles n’ont pas notifié ces mesures relatives à cette infrastructure n’aurait créé aucune difficulté sérieuse au cours de la procédure d’examen préliminaire.

83      À cet égard, sans même qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le bien-fondé de la distinction d’ordre temporel opérée par la Commission au paragraphe 43 de la décision attaquée par référence au prononcé de l’arrêt du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission (T‑128/98, EU:T:2000:290), il suffit de constater, comme le souligne à juste titre la requérante, qu’en l’occurrence le bénéficiaire des mesures dénoncées n’est pas le gestionnaire de l’infrastructure, comme dans la situation ayant donné lieu audit arrêt, mais un utilisateur de ladite infrastructure. Par conséquent, les considérations avancées par la Commission au sujet de cet arrêt dans la décision attaquée n’étaient pas de nature à écarter la qualification d’aides d’État des mesures en cause et, dès lors, ne permettaient pas de dissiper toute difficulté sérieuse dans l’examen desdites mesures.

–       Sur les griefs dirigés contre le deuxième motif, relatif à la circonstance que l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves n’a été ni planifiée ni développée en vue de bénéficier spécifiquement à l’intervenante ou à toute autre compagnie maritime

84      S’agissant du deuxième motif, figurant au paragraphe 44 de la décision attaquée, la requérante conteste en substance la constatation qui y a été faite selon laquelle l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves n’a été ni développée en vue de bénéficier spécifiquement à l’intervenante ni attribuée à celle-ci ou à une quelconque autre entreprise au moment de sa construction. Ce faisant, la Commission aurait méconnu le caractère objectif de la notion d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Seule importerait la circonstance que l’intervenante bénéficie d’un monopole d’utilisation de l’infrastructure portuaire en cause et, partant, d’un avantage évident sur ses concurrents. En tout état de cause, l’intention des autorités canariennes de favoriser l’intervenante serait évidente en l’espèce et constituerait un indice de l’existence des aides dont celle-ci a bénéficié. La jurisprudence exclurait en effet que les coûts d’infrastructures publiques dont bénéficie un opérateur particulier soient supportés par la collectivité. Quant au principe prior in tempore, potior in jure, la requérante fait valoir qu’il n’est en aucun cas susceptible de justifier l’octroi d’un droit exclusif d’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à l’intervenante. L’absence de référence à ce principe dans la décision attaquée s’expliquerait par la circonstance qu’il est manifestement incompatible avec les principes de base régissant le droit de l’Union en matière d’aides d’État, une telle priorité constituant plutôt un indice de l’octroi d’une aide d’État. La requérante rejette à cet égard l’analogie faite par la Commission avec la protection qu’offre le droit de l’Union aux intérêts légitimement acquis par les compagnies aériennes en matière de créneaux horaires, une protection comparable n’étant pas prévue dans le secteur du transport maritime.

85      La Commission soutient que, à la lumière des informations disponibles, aucun élément n’indique que l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves ait été développée en vue de bénéficier spécifiquement à l’intervenante, cette dernière ayant simplement été la première à utiliser ce port à des fins commerciales en 1994 jusqu’à ce que la capacité maximale de celui-ci soit atteinte. Le rejet de demandes d’accès introduites par d’autres opérateurs s’expliquerait essentiellement par des considérations de sécurité et non par une volonté de réserver à l’intervenante l’utilisation exclusive de cette infrastructure. Or, il ressortirait de l’arrêt du 14 janvier 2015, Eventech (C‑518/13, EU:C:2015:9, point 45), qu’une telle circonstance est pertinente en vue d’exclure la qualification d’aides d’État s’agissant de la mise à disposition d’infrastructures publiques à des opérateurs économiques.

86      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne fait pas de distinction entre les interventions étatiques selon leurs causes ou leurs objectifs, mais les définit en fonction de leurs effets (arrêts du 19 mars 2013, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission e.a. et Commission/France e.a., C‑399/10 P et C‑401/10 P, EU:C:2013:175, point 102, et du 30 juin 2016, Belgique/Commission, C‑270/15 P, EU:C:2016:489, point 40), la notion d’aide constituant ainsi une notion objective qui est fonction, notamment, de la question de savoir si une mesure étatique confère ou non un avantage à une ou à certaines entreprises (voir arrêts du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, T‑228/99 et T‑233/99, EU:T:2003:57, point 180 et jurisprudence citée, et du 13 septembre 2010, Grèce e.a./Commission, T‑415/05, T‑416/05 et T‑423/05, EU:T:2010:386, point 211 et jurisprudence citée).

87      Un avantage est dès lors susceptible d’être accordé en méconnaissance de l’article 107, paragraphe 1, TFUE même lorsqu’il n’a pas été spécifiquement institué au profit d’une entreprise ou de certaines entreprises déterminées.

88      En l’espèce, il découle des principes énoncés aux points 86 et 87 ci-dessus que, à supposer même établi le constat opéré au paragraphe 44 de la décision attaquée selon lequel l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves n’a été ni développée en vue de bénéficier spécifiquement à l’intervenante ni attribuée à celle-ci ou à une quelconque autre entreprise au moment de sa construction, ce constat ne serait pas de nature à exclure que les conditions dans lesquelles cette infrastructure a été mise à la disposition de l’intervenante à des fins d’utilisation commerciale aient pu impliquer l’octroi d’aides d’État à celle-ci.

89      Cette constatation n’est pas remise en cause par le point 45 de l’arrêt du 14 janvier 2015, Eventech (C‑518/13, EU:C:2015:9), cité au paragraphe 44 de la décision attaquée et auquel la Commission se réfère dans ses écritures. Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la juridiction de renvoi demandait à la Cour, en substance, si le fait d’autoriser, aux fins de créer un système de transport sûr et efficace, les taxis londoniens à circuler sur les couloirs de bus aménagés sur les voies publiques aux heures pendant lesquelles les limitations de circulation relatives à ces couloirs s’appliquaient, tout en interdisant aux voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) d’y circuler, sauf pour prendre et déposer des passagers les ayant préalablement réservées, impliquait un engagement de ressources d’État et conférait à ces taxis un avantage économique sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

90      La Cour a certes souligné, au point 45 de l’arrêt du 14 janvier 2015, Eventech (C‑518/13, EU:C:2015:9), qu’il ressortait sans équivoque du dossier dont elle disposait que les couloirs de bus à Londres (Royaume-Uni) n’avaient pas été construits au bénéfice d’une entreprise spécifique ni d’une catégorie particulière d’entreprises, telle celle des taxis londoniens, voire des prestataires de services de bus, et qu’ils n’avaient pas été attribués à ces entreprises postérieurement à leur construction, mais qu’ils avaient plutôt été construits en tant qu’élément du réseau routier londonien et, avant tout, afin de faciliter le transport public réalisé au moyen des bus. Toutefois, aux points 54 à 61 de l’arrêt du 14 janvier 2015, Eventech (C‑518/13, EU:C:2015:9), la Cour a invité la juridiction de renvoi qui l’avait saisie à titre préjudiciel à vérifier si les taxis londoniens bénéficiaient d’un avantage économique sélectif, du fait de l’utilisation gratuite de couloirs de bus dont l’usage était interdit aux VTC. Certains éléments du dossier ont conduit la Cour à considérer que les taxis et les VTC étaient dans des situations suffisamment différentes, notamment au vu des obligations réglementaires pesant sur les taxis, pour exclure un avantage économique sélectif au profit de ces derniers. Or, en l’espèce, la situation de la requérante et celle de l’intervenante ne présentent pas de telles différences, si bien que la Commission était en tout état de cause tenue d’examiner si d’autres éléments que le fait que l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves n’avait été ni planifiée ni développée en vue de bénéficier spécifiquement à l’intervenante étaient de nature à exclure l’existence d’une aide d’État au profit de cette dernière.

–       Sur les griefs dirigés contre les troisième et quatrième motifs, relatifs à la portée de l’argumentation de la requérante dans la plainte ainsi qu’aux critères d’identification d’une aide d’État au profit de l’utilisateur d’une infrastructure portuaire financée au moyen de fonds publics

91      S’agissant du troisième motif, figurant au paragraphe 45 de la décision attaquée, la requérante soutient que, contrairement à ce qui y est affirmé, l’exclusivité dont bénéficie l’intervenante pour l’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves constitue en soi, à supposer même que cette entreprise se soit acquittée de toutes les taxes réglementaires dues, un avantage accordé de manière sélective au moyen de ressources d’État. D’une part, elle se réfère à la jurisprudence ainsi qu’à la communication de la Commission relative à l’application des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État aux compensations octroyées pour la prestation de services d’intérêt économique général (JO 2012, C 8, p. 4), en vue de soutenir que l’octroi de droits exclusifs sur des biens du domaine public, sans procédure transparente et non discriminatoire, peut impliquer un abandon de ressources d’État et procurer un avantage aux bénéficiaires. D’autre part, elle soutient que, en vertu de la législation espagnole, l’octroi à l’intervenante d’un droit d’utilisation exclusive dans le cadre d’une concession aurait supposé le versement par elle d’une redevance. La valeur économique du droit d’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves, indépendamment des taxes portuaires, serait attestée par les montants de redevance proposés tant par la requérante que par l’intervenante dans leur réponse à l’appel d’offres lancé par la DGPC en 2014.

92      La décision attaquée serait ainsi entachée d’erreurs, dès lors que la Commission a omis de vérifier que les taxes portuaires acquittées par l’intervenante couvraient les coûts supportés par la DGPC et lui procuraient un bénéfice raisonnable, en tenant compte de la valeur de marché de l’utilisation exclusive de l’infrastructure en cause.

93      La requérante ajoute, dans la réplique, que la décision attaquée identifie un problème d’accès à l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves pour les concurrents de l’intervenante, susceptible de révéler l’existence d’une aide d’État. Or, la Commission tenterait de réécrire cette partie de la décision attaquée en prétendant désormais que le quatrième motif examiné dans celle-ci était accessoire à la constatation selon laquelle l’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par l’intervenante ne pouvait s’analyser comme un avantage accordé au moyen de ressources d’État. Il résulterait toutefois de la pratique décisionnelle constante de la Commission que, afin d’éviter une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il convient que les utilisateurs potentiels d’infrastructures portuaires disposent d’un accès ouvert et non discriminatoire à celles-ci et s’acquittent pour ce faire de taxes établies à un niveau comparable à celui du marché.

94      Au demeurant, contrairement à ce que suggère la Commission, il n’incomberait pas au plaignant de démontrer la réunion de l’ensemble des éléments constitutifs d’une aide d’État, la Commission étant elle-même tenue d’examiner la conformité des mesures dénoncées avec l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

95      En tout état de cause, la requérante aurait démontré l’engagement de ressources d’État en l’espèce. Ainsi, premièrement, il résulterait de la jurisprudence que la concession exclusive d’infrastructures publiques à une entreprise est susceptible d’impliquer un renoncement à des ressources d’État. Deuxièmement, l’intervenante aurait bénéficié du droit d’utiliser l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves sans devoir acquitter une redevance. Or, selon la requérante, une enquête correctement diligentée aurait permis à la Commission de se rendre compte du fait que l’octroi d’une concession par le biais d’un appel d’offres, en principe requis par l’article 43 de la Ley 14/2003 de Puertos de Canarias (loi 14/2003, relative aux ports des Canaries), du 8 avril 2003 (BOC no 85, du 6 mai 2003), aurait impliqué le paiement d’une redevance. Cela serait confirmé par les conditions techniques particulières de l’appel d’offres lancé par la DGPC en juillet 2014. Troisièmement, enfin, la Commission soutiendrait à tort que les taxes portuaires acquittées par l’intervenante avaient été fixées au niveau des prix du marché au seul motif que la DGPC appliquait des taxes portuaires identiques et calculées de la même manière dans tous les ports relevant de sa compétence. Le point 227 de la communication de la Commission relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE (JO 2016, C 262, p. 1), prévoirait certes que l’appréciation du critère de l’opérateur agissant en économie de marché peut être faite à la lumière des conditions d’utilisation d’une infrastructure comparable mise à disposition par des exploitants privés comparables dans des situations comparables, pour autant qu’une telle comparaison soit possible. Toutefois, dans la décision attaquée, la Commission n’aurait pas examiné les taxes appliquées à des infrastructures comparables à celles de Puerto de Las Nieves ou pris comme référence les taxes perçues pour l’utilisation de ports privés. Elle n’aurait pas davantage procédé à une analyse de la structure des coûts de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves, si bien que rien ne permettrait de conclure que les taxes portuaires acquittées par l’intervenante couvraient les dépenses d’exploitation et les coûts d’amortissement de cette infrastructure.

96      La Commission souligne en substance que, indépendamment d’éventuelles erreurs d’appréciation des faits dénoncées par la requérante, rien ne permet de considérer que l’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par l’intervenante ait impliqué l’octroi à cette dernière d’un avantage accordé au moyen de ressources d’État. La requérante n’aurait pas allégué dans la plainte que le niveau des taxes portuaires dues au titre de cette utilisation impliquait l’octroi d’une aide d’État, si bien que cette partie de la plainte n’aurait identifié aucun avantage accordé au moyen de ressources d’État. En outre, un tel avantage ne pourrait résulter de la seule circonstance que, de facto, l’intervenante était la seule compagnie maritime utilisatrice de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves.

97      La Commission se réfère encore dans ses écritures, d’une part, aux points 113 à 122 de l’arrêt du 22 janvier 2013, Salzgitter/Commission (T‑308/00 RENV, EU:T:2013:30), et, d’autre part, au point 137 de l’arrêt du 9 décembre 2015, Grèce et Ellinikos Chrysos/Commission (T‑233/11 et T‑262/11, EU:T:2015:948), afin de justifier sa position selon laquelle, dès lors que la requérante n’avait à aucun moment allégué au cours de la procédure administrative que les taxes payées par l’intervenante pour l’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves étaient fixées à un niveau impliquant une aide d’État, elle n’était pas tenue de procéder d’office à un tel examen dans la décision attaquée.

98      À cet égard, il y a tout d’abord lieu de relever que les passages des arrêts auxquels la Commission se réfère et mentionnés au point 97 ci-dessus concernaient une problématique différente de celle qui fait l’objet du présent litige, à savoir l’échange d’informations entre la Commission et l’État membre concerné dans le cadre d’une procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, aboutissant à une décision qualifiant certains avantages accordés à une entreprise d’aides d’État incompatibles avec le marché intérieur.

99      Sur ce point, il ressort certes d’une jurisprudence constante, dans laquelle s’inscrivent les arrêts auxquels se réfère la Commission, que, dans le cas où la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE est ouverte, il revient à l’État membre et au bénéficiaire potentiel de l’aide d’État de faire valoir leurs arguments tendant à démontrer que le projet d’aide correspond aux exceptions prévues en application du traité FUE, l’objet de la procédure formelle d’examen étant précisément d’éclairer la Commission sur l’ensemble des données de l’affaire (voir arrêt du 27 septembre 2012, Wam Industriale/Commission, T‑303/10, non publié, EU:T:2012:505, point 118 et jurisprudence citée). En outre, si l’article 108, paragraphe 2, TFUE impose à la Commission, avant de prendre sa décision, de recueillir les observations des parties intéressées, il ne lui interdit pas de conclure, en l’absence de telles observations, qu’une aide est incompatible avec le marché intérieur. C’est dans ce contexte qu’il a été jugé qu’il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir tenu compte d’éventuels éléments de fait ou de droit qui auraient pu lui être présentés pendant la procédure administrative, mais qui ne l’avaient pas été, la Commission n’étant pas dans l’obligation d’examiner d’office et par supputation les éléments qui auraient pu lui être soumis (voir arrêts du 27 septembre 2012, Wam Industriale/Commission, T‑303/10, non publié, EU:T:2012:505, point 119 et jurisprudence citée, et du 28 janvier 2016, Autriche/Commission, T‑427/12, non publié, EU:T:2016:41, point 50 et jurisprudence citée).

100    Cette jurisprudence n’apporte toutefois un éclairage que sur le déroulement de la procédure formelle d’examen dans des affaires dans lesquelles était en cause la compatibilité des mesures d’aide et ne précise pas la portée de l’examen auquel la Commission doit procéder dans le cadre de la procédure d’examen préliminaire pour qualifier certaines mesures d’aides d’État, en particulier lorsqu’elle est saisie d’une plainte.

101    À cet égard, il a été jugé que la Commission pouvait, dans certaines circonstances, être tenue d’instruire une plainte en allant au-delà du seul examen des éléments de fait et de droit portés à sa connaissance par le plaignant. En effet, la Commission est tenue, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité relatives aux aides d’État, de procéder à un examen diligent et impartial de la plainte, ce qui, contrairement à ce que soutient la Commission, peut rendre nécessaire que celle-ci procède à l’examen d’éléments qui n’ont pas été expressément évoqués par le plaignant [arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 62, et du 17 mars 2015, Pollmeier Massivholz/Commission, T‑89/09, EU:T:2015:153, point 106 (non publié) ; voir également, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Scott, C‑290/07 P, EU:C:2010:480, point 90].

102    Ainsi, il résulte tant de l’exigence d’examen diligent et impartial par la Commission des plaintes qui lui sont transmises que de l’économie de l’article 10, paragraphes 1 et 2, du règlement no 659/1999, repris en substance à l’article 12, paragraphes 1 et 2, du règlement 2015/1589, que c’est à cette institution, lorsqu’elle est saisie d’une plainte fondée sur une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et identifiant de manière non équivoque et circonstanciée des mesures à l’origine de cette violation, qu’il appartient d’examiner avec soin si ces mesures peuvent être qualifiées d’aides d’État, au besoin en sollicitant la coopération de l’État membre concerné et en prenant en considération des éléments qui n’ont pas été expressément évoqués par le plaignant. Cette solution apparaît d’autant plus nécessaire que, comme la requérante l’a elle-même relevé en substance dans la plainte, un plaignant ne dispose ni des pouvoirs d’enquête confiés à la Commission par l’article 108 TFUE ni, en principe, de capacités d’investigation comparables à celles dont bénéficie celle-ci.

103    En l’espèce, il ressort de l’examen du dossier que la requérante a notamment fait valoir dans la plainte que l’intervenante avait bénéficié depuis plusieurs années d’aides d’État en raison des conditions dans lesquelles elle avait été autorisée à utiliser à titre exclusif l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins commerciales, en dehors de toute procédure d’appel d’offres et sans contribution au financement de cette infrastructure.

104    S’agissant plus particulièrement de la condition tenant à l’octroi d’un avantage, la requérante a notamment précisé dans la plainte, en substance, que celui-ci découlait de la « concession de droits exclusifs sans recours à une procédure d’appel d’offres publique, transparente et non discriminatoire, concernant l’occupation ou l’utilisation du domaine public portuaire (ou la jouissance d’autres droits spéciaux ou exclusifs à valeur économique), entraînant, dans la pratique, un avantage pour les bénéficiaires, qui [étaient] favorisés par rapport à leurs concurrents ». Elle a également indiqué, après avoir souligné que l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves avait été financée au moyen de fonds publics, qu’il ressortait de la pratique décisionnelle de la Commission que, « si l’infrastructure [avait] pour seul but de satisfaire les besoins d’une entreprise privée, celle-ci [devait] en assumer le financement » et que, en l’espèce, « [l]’exonération de ces frais [avait] donc également [constitué] un avantage pour [l’intervenante] ». Elle en a déduit qu’« il [était] évident que les mesures publiques (aides d’État) [en cause] favoris[ai]ent [l’intervenante], en lui octroyant un avantage par l’exonération du paiement d’une infrastructure à usage privé qu’elle aurait dû financer elle-même ».

105    S’agissant par ailleurs du critère de l’affectation de ressources publiques, la requérante a tout d’abord rappelé dans la plainte que, conformément à la jurisprudence et à la communication de la Commission relative à l’application des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État aux compensations octroyées pour la prestation de services d’intérêt économique général, « l’octroi de droits exclusifs sur des biens du domaine public, sans procédure d’appel d’offres publique, transparente et non discriminatoire, p[ouvai]t supposer un abandon manifeste de ressources d’État ». Elle a ensuite précisé, notamment, que « le financement public intégral ou partiel d’infrastructures de quelque type que ce soit destinées à l’usage privé d’un opérateur donné, répondant à ses intérêts et besoins, sans aucun objectif d’intérêt général, répond[ait] au critère d’“affectation de ressources publiques” ».

106    La requérante a enfin souligné qu’elle n’avait pas la capacité d’apporter des preuves concluantes de l’existence et de l’ampleur des aides d’État dénoncées, étant donné qu’il s’agissait soit d’informations financières détenues par les autorités publiques, soit de données économiques à caractère privé concernant un concurrent. Elle a dès lors invité la Commission à adresser au Royaume d’Espagne des demandes de renseignements et, le cas échéant, à faire usage des mécanismes de coercition à sa disposition en vue d’assurer une instruction optimale du dossier.

107    Eu égard à ces éléments, il y a lieu de considérer que la requérante avait indiqué sans équivoque dans la plainte que l’intervenante bénéficiait d’aides d’État en ce que, en substance, cette dernière n’était pas tenue au paiement d’une contrepartie correspondant à la valeur économique réelle de son droit d’utiliser seule l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins de transport commercial. Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la Commission, la requérante avait identifié avec un degré suffisant de précision dans la plainte en quoi elle estimait que les conditions d’utilisation de cette infrastructure par l’intervenante avaient procuré à cette dernière un avantage financé au moyen de ressources d’État.

108    Partant, c’est à tort que la Commission a estimé, au point 45 de la décision attaquée, que la requérante avait omis d’identifier dans la plainte un avantage accordé au moyen de ressources d’État au seul motif qu’elle n’avait pas cherché à remettre en cause dans celle-ci le niveau des taxes portuaires dues par l’intervenante au titre de l’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins de transport commercial.

109    De même, eu égard à la conclusion figurant au point 107 ci-dessus, le fait que la requérante n’a pas allégué au cours de la procédure administrative que l’intervenante ne s’acquittait pas des taxes réglementaires dues par les utilisateurs uniques d’infrastructures portuaires dans l’archipel des Canaries est dénué de pertinence.

110    Dans ces circonstances, il appartenait dès lors à la Commission, en vertu du devoir qui lui incombait de procéder à un examen diligent et impartial de la plainte dont elle était saisie, de vérifier, en utilisant les critères appropriés, si l’intervenante avait bénéficié d’un avantage accordé au moyen de ressources d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en raison des conditions dans lesquelles elle utilisait l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins de transport commercial depuis le milieu des années 1990. Or, il s’avère, ainsi que la requérante l’a en substance soutenu dans l’argument exposé au point 92 ci-dessus, que la Commission n’a pas vérifié si les taxes portuaires acquittées par l’intervenante couvraient les coûts supportés par la DGPC et procuraient à cette dernière un bénéfice raisonnable.

111    La Commission soutient toutefois que la condition tenant à l’existence d’un avantage accordé au moyen de ressources d’État n’est pas remplie en l’espèce, si bien que l’examen de cette partie de la plainte ne soulevait en tout état de cause aucune difficulté sérieuse. Elle fait valoir à cet égard, d’une part, que l’intervenante s’est acquittée de toutes les taxes réglementaires dues pour l’utilisation l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves et, d’autre part, que la DGPC avait, conformément aux exigences prévues à l’article 41, paragraphe 1, de la loi relative aux ports des Canaries, calculé ces taxes de manière à couvrir les frais et les amortissements et à générer un bénéfice raisonnable. Quant à la circonstance, soulignée par la requérante dans ses écritures, que l’intervenante n’a pas été tenue de payer une redevance, elle s’expliquerait par le fait que cette dernière ne peut aucunement être considérée comme un concessionnaire exclusif de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves, mais uniquement comme un simple utilisateur de celle-ci. La Commission relève encore, en substance, que la seule circonstance qu’un appel d’offres n’avait pas été organisé ne suffit pas pour conclure à l’existence d’un avantage accordé au moyen de ressources d’État, en particulier lorsque l’État gère des ressources du domaine public ou des ressources publiques rares, impliquant l’existence d’une limite physique ou temporelle à l’octroi d’un accès simultané à plusieurs utilisateurs.

112    À cet égard, il convient avant tout de rappeler que, selon une jurisprudence constante, seuls les avantages accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État ou constituant une charge supplémentaire pour l’État sont à considérer comme des aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 12 décembre 2014, Banco Privado Português et Massa Insolvente do Banco Privado Português/Commission, T‑487/11, EU:T:2014:1077, point 50 ; voir également, en ce sens, arrêt du 24 janvier 1978, van Tiggele, 82/77, EU:C:1978:10, points 24 et 25). Dès lors, une mesure étatique ne comportant pas de transfert direct ou indirect de ressources d’État ne peut pas être qualifiée d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, même si elle remplit les autres conditions prévues par ladite disposition (voir arrêt du 12 décembre 2006, Asociación de Estaciones de Servicio de Madrid et Federación Catalana de Estaciones de Servicio/Commission, T‑95/03, EU:T:2006:385, point 104 et jurisprudence citée).

113    De plus, il est loisible à la Commission, le cas échéant, de classer une plainte au terme de l’examen préliminaire lorsqu’elle est en mesure d’exclure d’emblée la qualification d’aide d’État des mesures en cause après avoir constaté que l’une des conditions essentielles à l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE n’est pas satisfaite (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2006, Deutsche Bahn/Commission, T‑351/02, EU:T:2006:104, point 104).

114    Toutefois, en premier lieu, la seule circonstance qu’un bien du domaine public ne peut, en raison de ses caractéristiques propres, être mis à la disposition que d’un nombre limité d’utilisateurs, voire d’un seul, ne suffit pas à exclure qu’une telle mise à disposition puisse s’analyser comme un avantage sélectif accordé au moyen de ressources d’État, y compris lorsque cette limitation trouve son origine dans des considérations de sécurité.

115    En effet, l’article 107, paragraphe 1, TFUE a pour objet d’empêcher que les échanges entre États membres soient affectés par des avantages consentis par les autorités publiques qui, sous des formes diverses, faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. La notion d’aide peut dès lors recouvrir non seulement des prestations positives telles que des subventions, des prêts ou des prises de participation au capital d’entreprises, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise et qui, par-là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (voir arrêts du 8 mai 2003, Italie et SIM 2 Multimedia/Commission, C‑328/99 et C‑399/00, EU:C:2003:252, point 35 et jurisprudence citée ; du 14 janvier 2015, Eventech, C‑518/13, EU:C:2015:9, point 33 et jurisprudence citée, et du 16 juillet 2015, BVVG, C‑39/14, EU:C:2015:470, point 26 et jurisprudence citée).

116    De même, ainsi qu’il a été rappelé au point 86 ci-dessus, il découle de l’article 107, paragraphe 1, TFUE que la notion d’aide est une notion objective qui est fonction, notamment, de la question de savoir si une mesure étatique confère ou non un avantage à une ou à certaines entreprises.

117    Ainsi, afin d’apprécier si une mesure étatique constitue une aide, il convient notamment de déterminer si l’entreprise bénéficiaire reçoit un avantage qu’elle n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (arrêts du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C‑39/94, EU:C:1996:285, point 60, et du 29 avril 1999, Espagne/Commission, C‑342/96, EU:C:1999:210, point 41 ; voir, également, arrêt du 12 juin 2014, Sarc/Commission, T‑488/11, non publié, EU:T:2014:497, point 90 et jurisprudence citée). C’est ainsi que, selon une jurisprudence désormais constante, la fourniture de biens ou de services à des conditions préférentielles est susceptible de constituer une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir arrêts du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C‑39/94, EU:C:1996:285, point 59 et jurisprudence citée ; du 1er juillet 2010, ThyssenKrupp Acciai Speciali Terni/Commission, T‑62/08, EU:T:2010:268, point 57 et jurisprudence citée, et du 28 février 2012, Land Burgenland/Commission, T‑268/08 et T‑281/08, EU:T:2012:90, point 47 et jurisprudence citée).

118    La mise en œuvre du critère de l’opérateur privé en économie de marché consiste à comparer le comportement des pouvoirs publics à celui qu’aurait eu un opérateur privé d’une taille comparable dans les mêmes circonstances. Dans l’hypothèse où l’État ne fait, en réalité, que se comporter comme le ferait tout opérateur privé agissant dans des conditions normales de marché (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2015, Electrabel et Dunamenti Erőmű/Commission, C‑357/14 P, EU:C:2015:642, point 144 et jurisprudence citée), il n’existe pas d’avantage lié à l’intervention de l’État, car l’entité bénéficiaire aurait pu en principe tirer les mêmes bénéfices du simple fonctionnement du marché (voir arrêt du 30 avril 2014, Tisza Erőmű/Commission, T‑468/08, non publié, EU:T:2014:235, point 85 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 28 février 2012, Land Burgenland/Commission, T‑268/08 et T‑281/08, EU:T:2012:90, point 48 et jurisprudence citée).

119    Or, en l’espèce, comme la Commission l’a confirmé à l’audience en réponse à une question du Tribunal, l’activité par laquelle la DGPC gère l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves et la met à disposition d’une compagnie maritime utilisatrice, moyennant le paiement de taxes portuaires, constitue bien une activité « économique » (voir, par analogie, s’agissant de la gestion d’infrastructures aéroportuaires, arrêts du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission, T‑128/98, EU:T:2000:290, points 121 et 125, et du 24 mars 2011, Freistaat Sachsen et Land Sachsen–Anhalt/Commission, T‑443/08 et T‑455/08, EU:T:2011:117, point 93). Dans un tel cas de figure, c’est donc à l’aune du critère de l’investisseur privé agissant en économie de marché qu’il appartenait à la Commission de vérifier si le comportement de la DGPC avait procuré à l’intervenante un avantage qu’elle n’aurait pas reçu dans des conditions de concurrence normales (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2008, Ryanair/Commission, T‑196/04, EU:T:2008:585, point 85).

120    Cette conclusion est d’ailleurs conforme au point 225 de la communication de la Commission relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, aux termes duquel, en substance, les entreprises utilisatrices d’infrastructures publiques sont susceptibles de bénéficier d’un avantage constitutif d’une aide d’État, à moins que les modalités d’utilisation de cette infrastructure ne soient conformes au critère de l’opérateur en économie de marché, c’est-à-dire lorsque l’infrastructure est mise à leur disposition dans les conditions du marché. Elle est également corroborée par les points 226 et 228 de cette même communication, dans lesquels la Commission précise, d’une part, que l’existence d’un tel avantage peut néanmoins être exclue lorsque les redevances payées pour l’utilisation de l’infrastructure ont été fixées au moyen d’une procédure d’appel d’offres transparente et non discriminatoire et, d’autre part, que le critère de l’opérateur en économie de marché peut être satisfait pour le financement public d’infrastructures ouvertes non réservées à un ou plusieurs utilisateurs spécifiques lorsque les utilisateurs contribuent progressivement, d’un point de vue ex ante, à la rentabilité du projet ou de l’exploitant.

121    En deuxième lieu, la circonstance, soulignée par la Commission, que l’intervenante ait pu utiliser l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves en dehors de tout contrat de concession et qu’elle n’ait ainsi pas été tenue au paiement d’une redevance concerne uniquement la forme juridique dans laquelle s’est inscrite cette utilisation et non la question de savoir si les conditions économiques de ladite utilisation ont permis à l’intervenante de bénéficier d’un avantage qu’elle n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché. Eu égard aux principes rappelés aux points 116 et 117 ci-dessus, cette seule circonstance n’était dès lors nullement de nature à exclure que les conditions d’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par l’intervenante, à des fins de transport commercial, aient pu procurer à celle-ci un avantage financé au moyen de ressources d’État. Dans ce contexte, il n’appartient pas au Tribunal de se prononcer sur l’argument de la requérante selon lequel l’utilisation par l’intervenante de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves en dehors de tout contrat de concession et, partant, sans paiement d’une redevance, méconnaîtrait l’article 43 de la loi relative aux ports des Canaries, cette question relevant du seul droit national.

122    Pour le même motif, l’argument de l’intervenante selon lequel, en substance, l’autorisation d’accostage à Puerto de Las Nieves dont elle bénéficie depuis plus de vingt ans et l’utilisation ininterrompue de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves depuis lors aurait créé pour elle un droit subjectif au maintien de telles conditions d’utilisation ne saurait être retenu. En effet, à supposer même qu’un tel droit subjectif soit établi en vertu du droit national applicable à la situation en cause, ledit droit ne ferait pas obstacle à un constat selon lequel ces conditions d’utilisation ont procuré à l’intervenante un avantage financé au moyen de ressources d’État.

123    En troisième lieu, il convient d’écarter l’argument de la Commission selon lequel l’absence d’avantage accordé à l’intervenante au moyen de ressources d’État découlerait du fait que celle-ci s’est acquittée de toutes les taxes réglementaires dues pour l’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves, que ces taxes sont identiques dans tous les ports relevant de la compétence de la DGPC et qu’elles sont de surcroît, en vertu de la loi relative aux ports des Canaries, calculées de manière à couvrir les frais et les amortissements et à générer un bénéfice raisonnable.

124    En effet, il résulte de la jurisprudence rappelée aux points 117 à 119 ci-dessus que, dans les circonstances de la présente affaire, l’examen tenant à l’existence d’un avantage accordé à l’intervenante au moyen de ressources d’État en raison des conditions dans lesquelles elle a été autorisée à utiliser l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins de transport commercial supposait que la Commission apprécie concrètement si les taxes portuaires acquittées par l’intervenante, assimilables à des redevances perçues pour l’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves, étaient d’un montant au moins équivalent à la compensation qu’un opérateur privé, agissant dans des conditions de concurrence normales, aurait pu obtenir en contrepartie d’une telle mise à disposition (voir, en ce sens, arrêt du 12 juin 2014, Sarc/Commission, T‑488/11, non publié, EU:T:2014:497, point 91 et jurisprudence citée).

125    Or, ni le fait que l’intervenante s’était acquittée de l’ensemble des taxes réglementaires mises à sa charge pour l’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves, ni la circonstance, soulignée aux paragraphes 47 et 62 de la décision attaquée, que la DGPC appliquait dans tous les ports relevant de sa compétence les mêmes taxes réglementaires, calculées de la même manière, n’étaient de nature à dispenser la Commission de procéder à une telle appréciation concrète.

126    De même, l’argument que tire la Commission de l’article 41, paragraphe 1, de la loi relative aux ports des Canaries, dont il découlerait que les taxes réglementaires applicables aux utilisateurs des ports canariens doivent être calculées de manière à couvrir les frais et les amortissements et à générer un bénéfice raisonnable, ne pouvait la conduire à se dispenser de la vérification concrète mentionnée au point 124 ci-dessus, qu’il lui incombait d’assurer, compte tenu de sa responsabilité en matière de contrôle des aides d’État découlant des dispositions de l’article 108 TFUE. En effet, une telle règle relative au montant des taxes réglementaires dues pour l’utilisation des ports dans l’archipel des Canaries, inscrite dans une disposition de droit national, ne suffit pas, comme telle, à établir que les taxes réglementaires mises à la charge de l’intervenante par la DGPC pour l’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins de transport commercial couvraient à tout le moins la contrepartie qu’un opérateur privé aurait été en mesure d’obtenir, dans des conditions normales de marché, d’une compagnie maritime utilisant cette infrastructure dans les mêmes conditions.

127    Il n’est dès lors pas établi que la condition tenant à l’existence d’un avantage accordé au moyen de ressources d’État n’était en tout état de cause pas remplie en l’espèce. Ainsi, la Commission ayant omis de procéder à l’analyse concrète à laquelle il est fait référence aux points 117 et 124 ci-dessus, il y a lieu de considérer que l’examen des premier et troisième griefs de la plainte lors de la procédure d’examen préliminaire a été entaché d’une lacune importante. Cette lacune constitue, conformément à la jurisprudence citée au point 50 ci-dessus, un indice en ce sens que l’examen de la mesure mise en cause dans le cadre de ces griefs soulevait une difficulté sérieuse.

128    Contrairement à ce que font valoir la Commission et l’intervenante, il ne ressort pas du dossier que la requérante ait pu bénéficier de conditions d’utilisation semblables à celles dénoncées dans la plainte dans un autre port de l’archipel des Canaries. En tout état de cause, à supposer même une telle circonstance établie, celle-ci ne saurait à elle seule, sans examen de la situation factuelle et juridique des compagnies maritimes assurant la liaison avec Ténériffe dans les différents ports des autres îles des Canaries, permettre d’écarter la qualification d’aide d’État des conditions d’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par l’intervenante.

129    De même, la conclusion figurant au point 127 ci-dessus ne saurait être remise en cause par l’argument de la Commission, tiré, dans ses écritures, des arrêts du 14 janvier 2015, Eventech (C‑518/13, EU:C:2015:9), et du 4 juillet 2007, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission (T‑475/04, EU:T:2007:196), et, à l’audience, de l’arrêt du 12 juin 2014, Sarc/Commission (T‑488/11, non publié, EU:T:2014:497), selon lequel la réalisation d’une procédure d’appel d’offres n’est pas indispensable pour exclure l’existence d’une aide dans tous les cas où un État membre gère des ressources publiques.

130    En effet, il suffit de constater à cet égard que les développements figurant aux points 112 à 128 ci-dessus ne reposent aucunement sur la prémisse selon laquelle la qualification d’aide d’État d’un avantage accordé à l’intervenante, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, résulterait de la seule circonstance que cette dernière a pu utiliser seule l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins de transport commercial en dehors de tout appel d’offres organisé par la DGPC. Les points 112 à 128 ci-dessus appliquent en revanche au présent litige la jurisprudence constante mentionnée au point 86 ci-dessus selon laquelle la notion d’aide d’État est fonction de la seule question de savoir si une mesure étatique confère ou non un avantage à une ou à certaines entreprises, financé au moyen de ressources d’État.

131    Cela étant, il y a lieu de préciser que la circonstance que l’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins de transport commercial dont bénéficie l’intervenante depuis le milieu des années 1990 ne trouve pas son origine dans une procédure d’appel d’offres ouverte et non discriminatoire, mais dans la règle prior in tempore, potior in jure, rendait d’autant plus nécessaire que la Commission opérât en l’espèce l’appréciation concrète à laquelle il est fait référence au point 124 ci-dessus. En effet, il découle de cette circonstance que, jusqu’à l’organisation par la DGPC d’une procédure d’appel d’offres en 2014, aucune procédure de mise en concurrence n’avait permis de mesurer, dans des conditions normales de marché, la valeur économique du droit pour une compagnie maritime d’utiliser seule l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins de transport commercial et, partant, la contrepartie financière que serait à même d’obtenir un opérateur agissant dans de telles conditions pour une telle mise à disposition de ladite infrastructure.

132    Enfin, le constat opéré par la Commission dans la décision attaquée selon lequel les autorités espagnoles auraient consenti les efforts nécessaires pour assurer dans un délai raisonnable un accès à l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves sur une base ouverte et non discriminatoire, dès le moment où la requérante avait manifesté son souhait d’y accoster au moyen d’un transbordeur rapide (quatrième motif), ne saurait davantage mettre en cause la conclusion figurant au point 127 ci-dessus.

133    À cet égard, il convient de rappeler une nouvelle fois que la notion d’aide d’État est une notion objective qui est fonction, notamment, de la question de savoir si une mesure étatique confère ou non un avantage à une ou à certaines entreprises (voir jurisprudence citée au point 86 ci-dessus).

134    Il s’ensuit que les efforts récents des autorités espagnoles auxquels se réfère la Commission et qui occupent une place essentielle dans l’économie de la décision attaquée n’étaient pas, comme tels, de nature à exclure que l’intervenante ait pu bénéficier d’aides d’État du fait des conditions objectives dans lesquelles celle-ci a été autorisée à utiliser seule, pendant de nombreuses années, l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins de transport commercial ni, par conséquent, à permettre à la Commission d’écarter toute difficulté sérieuse dans l’examen des premier et troisième griefs de la plainte.

135    En tout état de cause, la requérante fait valoir à juste titre que le quatrième motif de la décision attaquée sur lequel repose la conclusion de la Commission selon laquelle l’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves n’avait pas entraîné l’octroi d’une aide d’État (voir point 25 ci-dessus) est entaché de deux erreurs d’appréciation.

136    Premièrement, comme l’admet la Commission dans ses écritures, c’est de manière erronée qu’elle a constaté, au paragraphe 49 de la décision attaquée, qu’aucune compagnie concurrente de l’intervenante n’avait formellement manifesté d’intérêt pour opérer à Puerto de Las Nieves au moyen de transbordeurs rapides jusqu’à la demande présentée par la requérante le 3 juillet 2013.

137    Il ressort en effet de l’examen du dossier que la demande d’autorisation d’accostage dans ce port présentée dès 2004 par Trasmediterránea, une compagnie maritime tierce, concernait un transbordeur rapide et non, ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 50 de la décision attaquée, un transbordeur conventionnel. Comme le souligne à juste titre la requérante, les caractéristiques techniques du navire pour lequel Trasmediterránea avait demandé cette autorisation sont, en ce qui concerne la longueur totale et la vitesse de croisière, très proches de celles de l’un des transbordeurs rapides avec lesquels l’intervenante opère à Puerto de Las Nieves.

138    Il s’ensuit que dix années environ se sont écoulées entre la demande présentée en 2004 par Trasmediterránea et l’organisation par la DGPC d’un appel d’offres en juillet 2014. Dans ces circonstances et sans préjudice des constats opérés aux points 128, 133 et 134 ci-dessus, c’est dès lors à tort que la Commission a conclu en substance, au paragraphe 58 de la décision attaquée, que la DGPC avait entrepris dans un délai raisonnable les démarches nécessaires afin d’assurer un accès ouvert et non discriminatoire à l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves.

139    Cette erreur d’appréciation des faits n’est nullement remise en cause par l’argument de la Commission, présenté dans la duplique, selon lequel l’analyse figurant dans la décision attaquée concernait uniquement les mesures prises par les autorités espagnoles à partir de la demande d’accès introduite par la requérante au cours de l’année 2013 et ne portait dès lors pas sur la question de savoir si le rejet de la demande formulée au cours de l’année 2004 signifiait qu’un accès ouvert et non discriminatoire à l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves n’était pas assuré à cette époque. Il suffit de constater, à cet égard, qu’il ressort sans ambiguïté du paragraphe 50 de la décision attaquée que l’analyse par la Commission de la situation en cause avant le 3 juillet 2013 reposait sur la prémisse erronée que la demande d’accès formulée par Trasmediterránea en 2004 concernait un transbordeur conventionnel.

140    Deuxièmement, force est de constater que l’appréciation par la Commission des conséquences de l’ordonnance de suspension du 27 février 2015 dans la décision attaquée est également entachée d’une erreur.

141    À cet égard, d’une part, il y a lieu de relever que, au moment de l’adoption de la décision attaquée, l’ordonnance de suspension du 27 février 2015 faisait obstacle à l’attribution par la DGPC du premier lot de créneaux horaires à l’intervenante et du second lot à la requérante. Cette suspension, certes temporaire par nature, avait dès lors pour effet de maintenir inchangées les conditions dans lesquelles l’intervenante utilisait seule l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves, empêchant par là-même l’accès à cette infrastructure sollicité par la requérante à des fins de transport commercial. Cette suspension a donc eu pour effet de maintenir les conditions d’utilisation de cette infrastructure dénoncées par la requérante dans la plainte.

142    D’autre part, comme le soutient à juste titre la requérante, le caractère par nature temporaire de cette suspension n’excluait nullement que le résultat de l’appel d’offres organisé par la DGPC fût finalement invalidé par les juridictions nationales. Une telle éventualité apparaissait d’autant moins hypothétique que, ainsi que le confirme le raisonnement suivi dans l’ordonnance de suspension du 27 février 2015, cette suspension supposait nécessairement la reconnaissance par le juge national de l’apparence de bon droit (fumus boni juris) du recours introduit au fond par l’intervenante contre l’appel d’offres en question.

143    Dans ces circonstances et indépendamment même de l’éventuelle qualification des mesures en cause d’aides d’État, la Commission ne pouvait valablement, ainsi qu’elle l’a fait au paragraphe 61 de la décision attaquée, pas s’attacher au caractère « intrinsèquement temporaire » de l’ordonnance de suspension du 27 février 2015 afin de conclure en substance que le statu quoqui en résultait s’agissant des conditions d’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par l’intervenante ne remettait pas en cause les efforts entrepris par la DGPC pour assurer un accès ouvert et non discriminatoire à ladite infrastructure. Au contraire, cette circonstance constitue un indice supplémentaire des difficultés sérieuses soulevées par l’examen desdites conditions au regard de l’interdiction édictée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

144    Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de la Commission selon lequel, en substance, il serait loisible à la requérante de déposer à l’avenir une nouvelle plainte en fonction du résultat au fond du recours de l’intervenante devant le Tribunal Superior de Justicia de Canarias, Sala de lo Contencioso-Administrativo, Sección Primera de Santa Cruz de Tenerife (Cour supérieure de justice des Canaries, chambre du contentieux administratif, première section de Santa Cruz de Tenerife). En effet, il suffit de constater à cet égard que ce résultat, quel qu’il soit, n’aura aucune incidence sur le constat opéré au point 141 ci-dessus selon lequel, au moment de l’adoption de la décision attaquée, l’ordonnance de suspension du 27 février 2015 avait pour effet de maintenir les conditions d’utilisation par l’intervenante de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves, critiquées dans les premier et troisième griefs de la plainte.

145    Eu égard aux développements qui précèdent et sans même qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres arguments de la requérante contestant l’examen par la Commission des conditions d’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par l’intervenante, il y a lieu de conclure que l’absence d’appréciation concrète par la Commission de la question de savoir si les taxes portuaires acquittées par l’intervenante en contrepartie de l’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins de transport commercial correspondaient à la contrepartie qu’un investisseur privé aurait pu obtenir pour une telle utilisation dans des conditions normales de marché ainsi que la durée particulièrement longue de la procédure d’examen préliminaire, cumulées, au surplus, à l’obstacle à la mise en œuvre du résultat de l’appel d’offres organisé par la DGPC en 2014 résultant de l’ordonnance de suspension du 27 février 2015, constituent des indices en ce sens que l’examen de l’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves au regard de l’interdiction édictée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE soulevait des difficultés sérieuses.

146    Il découle ainsi de la jurisprudence rappelée aux points 46 et 47 ci-dessus que la Commission, en présence de ces difficultés, était tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE en vue d’apprécier si l’intervenante avait bénéficié d’une aide d’État au titre de cette utilisation exclusive.

147    Il s’ensuit que le moyen unique du recours doit être accueilli dans la mesure où il est dirigé contre la partie de la décision attaquée dans laquelle la Commission a, sans ouvrir la procédure formelle d’examen, conclu que les conditions d’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par l’intervenante à des fins de transport commercial, dénoncées par la requérante au titre des premier et troisième griefs de la plainte, n’avaient procuré à l’intervenante aucune aide d’État. Il y a dès lors lieu d’annuler la décision attaquée dans cette mesure.

 Sur l’examen par la Commission de la taxe T 9 imposée à l’intervenante en raison de l’occupation de l’infrastructure portuaire à Puerto de Las Nieves (deuxième grief soulevé dans la plainte)

148    La requérante fait valoir que c’est à tort que la Commission n’a pas constaté que l’intervenante avait perçu des aides d’État pendant plus de 20 ans sous la forme d’une exonération partielle du paiement de la taxe T 9, impliquant une diminution des ressources publiques.

149    La requérante soutient tout d’abord que l’assiette pour le calcul de la taxe T 9 aurait dû, conformément à la réglementation applicable, correspondre à la totalité de l’espace portuaire occupé par l’intervenante à titre exclusif et non pas seulement à la superficie du terrain occupé par ses rampes d’accostage. L’intervenante occuperait en effet de manière exclusive la totalité de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves relevant du domaine public, cette zone étant d’ailleurs clôturée et son accès contrôlé par des employés de l’intervenante. La requérante précise à cet égard que, dès lors que la législation portuaire est similaire sur l’ensemble du territoire espagnol, la Commission ne pouvait, à l’effet d’exclure l’existence d’une aide d’État, se limiter à constater que la taxe T 9 était perçue de la même manière dans tous les ports canariens. En tout état de cause, la situation de Puerto de Las Nieves serait spécifique, puisqu’il s’agit du seul port de l’archipel des Canaries occupé à titre exclusif par une compagnie de transport maritime en dehors d’une concession, et, partant, sans versement d’une redevance, et que l’intervenante serait en outre le seul opérateur dans cet archipel à avoir installé des rampes fixes occupant la totalité de la zone de manœuvre, à l’usage exclusif de ses navires. Cette situation différerait par exemple de façon significative de celle du port de Morro Jable (Espagne), où opère la requérante et à laquelle se réfère la Commission dans le cadre du présent recours.

150    À titre subsidiaire, la requérante conteste les explications fournies par les autorités espagnoles au cours de la procédure administrative et acceptées par la Commission selon lesquelles la superficie occupée par les rampes fixes serait déjà couverte par les taxes T 2, T 3 et T 4 et ne devrait dès lors pas être prise en compte également pour le calcul de la taxe T 9. D’une part, la taxe T 2 grèverait exclusivement la superficie de la ligne d’accostage, laquelle ne recouvre pas la zone de manœuvre ni d’autres zones de service sur lesquelles se trouvent les rampes de l’intervenante. D’autre part, il serait possible que les rampes de l’intervenante couvrent une partie de la zone de manœuvre ou de la zone de service non couverte par les taxes T 3 et T 4, grevant pour leur part l’usage des eaux du port et des bassins, les accès terrestres, les voies de circulation, les zones de manipulation, les stations maritimes et les services de police. La requérante ajoute, dans ses observations sur le mémoire en intervention, que les taxes T 2, T 3 et T 4 sont dues uniquement entre le moment où l’embarcation accède au port et le moment où les personnes et les marchandises le quittent, tandis que la taxe T 9 grève la mise à disposition de l’espace portuaire pendant la durée souhaitée par l’opérateur concerné.

151    La Commission conteste l’argumentation de la requérante. En premier lieu, elle fait valoir que l’intervenante a bien acquitté la taxe T 9 pour l’ensemble des surfaces qu’elle occupe de manière exclusive et les taxes T 2, T 3 et T 4 pour l’utilisation des terrains et des allées contigus à la ligne d’accostage. En deuxième lieu, elle relève que la requérante elle-même a utilisé le port de Morro Jable de manière exclusive pendant plus de quinze ans sans être redevable de la taxe T 9 pour la totalité de la superficie du port, mais uniquement pour l’utilisation de certains espaces tels que les bureaux, les entrepôts ou d’autres installations nécessitant une utilisation privative du sol. En troisième lieu, la Commission, soutenue en substance par l’intervenante, souligne que la requérante ne conteste pas la conclusion, figurant dans la décision attaquée, selon laquelle la taxe T 9 a été correctement imposée à l’intervenante en excluant l’utilisation de la superficie du port destinée à l’usage des rampes d’accostage appartenant à l’intervenante. En effet, toute autre conclusion entraînerait un chevauchement considérable entre cette taxe et une série d’autres taxes portuaires, donnant ainsi lieu à une double imposition, les autorités espagnoles ayant d’ailleurs confirmé au cours de la procédure administrative que la méthode de calcul des taxes T 2, T 3, T 4 et T 9 n’avait impliqué aucun renoncement à des ressources publiques. L’intervenante ajoute sur ce point que l’intitulé même de la taxe T 9 (« Services d’entreposage, locaux et bâtiments ») constitue un indice en ce sens que l’espace occupé par la rampe qu’elle utilise n’y est pas soumis, tandis que cet espace relève bien des notions d’« ouvrages d’accostage », d’« eaux portuaires et bassins » et d’« eaux portuaires et bassins, quais et jetées, et zones de manipulation » relevant de la description, dans le décret législatif no 1/1994, des faits générateurs des taxes T 2, T 3 et T 4. En dernier lieu, la Commission rappelle le constat opéré dans la décision attaquée selon lequel il n’a pas été contesté que la taxe T 9 était imposée de la même manière dans l’ensemble des ports relevant de la compétence de la DGPC, dont les ports utilisés par un seul opérateur. Or, eu égard à l’ensemble des informations disponibles, la Commission soutient avoir pu valablement déduire de ce constat que l’intervenante n’avait bénéficié d’aucun avantage par rapport à d’autres compagnies de transport maritime et, dès lors, estimer qu’aucune difficulté sérieuse sur ce point ne nécessitait l’ouverture d’une procédure formelle d’examen.

152    Il convient de souligner, à titre liminaire, que la requérante ne remet pas en cause le constat, figurant au paragraphe 63 de la décision attaquée, selon lequel, depuis au moins 2005, l’intervenante a acquitté l’ensemble des taxes mises à sa charge par la DGPC en raison de son utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins de transport maritime commercial.

153    Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que le deuxième grief de la plainte concernait tant la taxe T 2 que la taxe T 9 et que ces deux taxes ont été examinées dans une section distincte de la décision attaquée, aux paragraphes 63 à 70 de celle-ci (voir points 32 à 34 ci-dessus). Or, dans le cadre du présent recours, la requérante ne conteste cette partie de la décision attaquée qu’en ce qu’elle porte sur la taxe T 9.

154    Par son deuxième grief soulevé dans la plainte, la requérante avait notamment soutenu que l’intervenante bénéficiait depuis de nombreuses années d’une exonération partielle de la taxe T 9. Ainsi, elle avait fait valoir, en substance, que l’intervenante aurait dû, conformément à l’article 115 bis du décret législatif no 1/1994, se voir imposer le paiement de cette taxe non seulement pour la superficie occupée par ses propres rampes, mais, plus largement, pour l’occupation exclusive de la quasi-totalité de la superficie de Puerto de Las Nieves.

155    À la différence des premier et troisième griefs visant une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, cette partie de la plainte ne visait donc pas l’obtention par l’intervenante d’un avantage résultant, comme tel, de la valeur économique de l’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves, mais mettait spécifiquement en cause, notamment, l’avantage dont aurait bénéficié l’intervenante en raison d’une exonération d’une partie de la taxe T 9 qui aurait dû lui être imposée en vertu de la législation espagnole applicable. Au paragraphe 66 de la décision attaquée, la Commission, après avoir rappelé en substance qu’il ne lui appartenait pas d’apprécier comment les taxes portuaires étaient appliquées et au titre de quels événements imposables, a rejeté cette argumentation au motif qu’il ressortait des explications fournies par les autorités espagnoles que la taxe T 9 était perçue de la même façon par la DGPC dans l’ensemble des ports relevant de sa compétence. L’examen préliminaire n’aurait donc permis d’identifier aucun avantage sélectif pour l’intervenante résultant d’une prétendue exonération partielle de cette taxe.

156    À cet égard, il convient de rappeler que la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 53 et jurisprudence citée).

157    En ce qui concerne la condition relative à la sélectivité de l’avantage qui est constitutive de la notion d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il résulte d’une jurisprudence constante que l’appréciation de cette condition impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de discriminatoire (voir arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 54 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2015, Eventech, C‑518/13, EU:C:2015:9, point 55 et jurisprudence citée).

158    S’agissant en particulier de mesures nationales conférant un avantage fiscal, il y a lieu de rappeler qu’une mesure de cette nature, qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation plus favorable que les autres contribuables, est susceptible de procurer un avantage sélectif aux bénéficiaires et constitue, partant, une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En revanche, ne constitue pas une telle aide au sens de cette disposition un avantage fiscal résultant d’une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques (voir arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 56 et jurisprudence citée).

159    En l’espèce, la mesure en cause a consisté, selon la requérante, en une exonération partielle et individuelle de la taxe T 9 dont aurait bénéficié l’intervenante, dès lors que la DGPC n’a, à aucun moment depuis que ladite intervenante utilise l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves, mis à la charge de celle-ci la taxe T 9 prenant pour assiette la totalité ou la quasi-totalité de la superficie de cette infrastructure.

160    Toutefois, aucun des arguments soulevés par la requérante n’est susceptible de remettre en cause la constatation opérée par la Commission dans la décision attaquée selon laquelle, en substance, la requérante n’a avancé aucun élément démontrant que les modalités de calcul de la taxe T 9 mise à la charge de l’intervenante ont procuré à cette dernière un quelconque avantage sélectif au sens de la jurisprudence rappelée au point 157 ci-dessus.

161    Tout d’abord, la requérante fait valoir que, dès lors que la législation portuaire est similaire dans toute l’Espagne, l’échelle territoriale normale qui aurait dû être utilisée à des fins comparatives était celle de ce pays et non celle des seules Îles Canaries. À cet égard, il suffit de constater que, par cet argument, la requérante n’avance aucun indice concret de nature à établir que les modalités de calcul de la taxe T 9 appliquées à l’intervenante auraient procuré à celle-ci un avantage par rapport à d’autres compagnies maritimes soumises à cette même taxe et se trouvant, au regard de celle-ci, dans une situation factuelle et juridique comparable à celle de l’intervenante.

162    Ensuite, l’argument pris de la circonstance que l’intervenante serait la seule compagnie maritime des Îles Canaries dont les rampes d’accès sont fixées au sol et occupent la totalité de la zone de manœuvre et opérant dans un port de manière exclusive sans disposer à cet effet d’une concession et selon lequel une exonération de la taxe T 9 serait seulement justifiée lorsqu’une compagnie maritime concessionnaire paye une redevance d’occupation ne saurait être retenu.

163    En effet, force est de constater que, outre qu’il n’est étayé par aucun élément de preuve, cet argument repose sur une comparaison de la situation de l’intervenante à Puerto de Las Nieves avec celle de compagnies maritimes se trouvant dans une situation factuelle et juridique qui, au regard de la taxe T 9, n’est pas comparable à la sienne. Cet argument n’est donc pas non plus de nature à établir, conformément à la jurisprudence rappelée au point 157 ci-dessus, que les modalités de calcul de la taxe T 9 appliquées à l’intervenante ont procuré à cette dernière un avantage sélectif par rapport à d’autres compagnies se trouvant, au regard de celle-ci, dans une situation factuelle et juridique comparable.

164    Enfin, pour ce même motif, il y a lieu également de rejeter, d’une part, l’argument de la requérante pris de la circonstance que la situation des compagnies maritimes opérant dans d’autres ports des Îles Canaries et relevant de la compétence de la DGPC ne serait pas comparable à celle de l’utilisation par l’intervenante de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves dès lors que ces compagnies exercent leur activité en régime de concurrence et partagent ainsi avec d’autres compagnies l’utilisation d’infrastructures publiques, telles que les rampes mobiles, et, d’autre part, l’argument subsidiaire, rappelé au point 150 ci-dessus, par lequel la requérante conteste que l’occupation de la superficie des rampes fixes serait déjà couverte par les taxes T 2, T 3 et T 4 et ne devrait dès lors pas être prise en compte également pour le calcul de la taxe T 9.

165    Dans ces circonstances, la requérante, à qui il incombe de démontrer l’existence de difficultés sérieuses (voir point 51 ci-dessus), n’a donc pas mis en lumière d’indices susceptibles d’établir que l’examen du deuxième grief avancé dans la plainte au titre d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE soulevait de telles difficultés, nécessitant l’ouverture par la Commission d’une procédure formelle d’examen.

166    Partant, le recours doit être rejeté comme non fondé en tant qu’il vise à l’annulation de la partie de la décision attaquée, détachable de celle examinée aux points 80 à 147 ci-dessus, dans laquelle la Commission a, sans ouvrir la procédure formelle d’examen, conclu en substance que le calcul par la DGPC de la taxe T 9 en ce qui concerne l’intervenante n’avait, comme tel, emporté l’octroi d’aucune aide d’État à cette dernière et rejeté pour ce motif le deuxième grief de la plainte déposée par la requérante.

 Conclusions sur l’ensemble du recours

167    Au regard de tout ce qui précède, il convient d’accueillir le recours en tant qu’il vise à l’annulation de la partie de la décision attaquée dans laquelle la Commission a, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, conclu que les conditions d’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par l’intervenante à des fins de transport commercial, dénoncées par la requérante au titre des premier et troisième griefs de la plainte, n’avaient procuré à l’intervenante aucune aide d’État. Le recours doit être rejeté pour le surplus.

 Sur les dépens

168    Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs de conclusion, le Tribunal peut décider que chaque partie supporte ses propres dépens ou répartir les dépens. Le recours ayant été partiellement accueilli, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la requérante supportera un quart de ses propres dépens, le reste de ses dépens étant supporté par la Commission et cette dernière ainsi que l’intervenante supportant par ailleurs leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C(2015) 8655 final de la Commission, du 8 décembre 2015, concernant l’aide d’État SA.36628 (2015/NN) (ex 2013/CP) – Espagne – Fred Olsen, est annulée dans la mesure où il y a été constaté, au terme de la procédure d’examen préliminaire, que l’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par Fred Olsen, SA n’avait emporté l’octroi d’aucune aide d’État à cette dernière.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Naviera Armas, SA supporte un quart de ses propres dépens, le reste de ses dépens étant supporté par la Commission européenne.

4)      La Commission et Fred Olsen supportent leurs propres dépens.

Gervasoni

Madise

da Silva Passos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 mars 2018.

Signatures



Table des matières


Antécédents du litige

Transport maritime commercial au départ de Puerto de Las Nieves (Grande Canarie)

Procédure administrative et évolution de la situation en cause au cours de ladite procédure

Décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

Considérations liminaires

Sur les arguments relatifs à la procédure d’examen préliminaire

Sur les arguments relatifs au contenu de la décision attaquée

Observations liminaires

Sur l’examen des conditions d’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par l’intervenante (premier et troisième griefs soulevés dans la plainte)

– Sur les griefs dirigés contre le premier motif, relatif à l’arrêt du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission (T128/98)

– Sur les griefs dirigés contre le deuxième motif, relatif à la circonstance que l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves n’a été ni planifiée ni développée en vue de bénéficier spécifiquement à l’intervenante ou à toute autre compagnie maritime

– Sur les griefs dirigés contre les troisième et quatrième motifs, relatifs à la portée de l’argumentation de la requérante dans la plainte ainsi qu’aux critères d’identification d’une aide d’État au profit de l’utilisateur d’une infrastructure portuaire financée au moyen de fonds publics

Sur l’examen par la Commission de la taxe T 9 imposée à l’intervenante en raison de l’occupation de l’infrastructure portuaire à Puerto de Las Nieves (deuxième grief soulevé dans la plainte)

Conclusions sur l’ensemble du recours

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’espagnol.