Language of document : ECLI:EU:C:2018:203

ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

21 mars 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Directive 89/391/CEE – Sécurité et santé des travailleurs au travail – Classement comme lieu de travail exposant les travailleurs à des conditions particulières ou spéciales – Évaluation des risques pour la sécurité et la santé au travail – Obligations de l’employeur »

Dans les affaires jointes C‑133/17 et C‑134/17,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj, Roumanie), par décisions du 16 janvier 2017, parvenues à la Cour le 14 mars 2017, dans les procédures

Dănuţ Podilă,

Vasile Oniţă,

Dumitru Cornel Bara,

Gheorghe Podilă,

Alexandru Daniel Coneru,

Mihai Călin Junc,

Dănuţ Bungău,

Francisc Chudi,

Ioan Iancu,

Ionel Negruţ,

Dan Florin Roxin

contre

Societatea Naţională de Transport Feroviar de Călători « CFR Călători » SA Bucureşti (C‑133/17),

et

Costel Nicuşor Mucea

contre

SMDA Mureş Insolvency SPRL, agissant en qualité de curateur à la faillite de SC Industria Sârmei SA Câmpia Turzii (C‑134/17),

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. E. Levits, président de chambre, MM. A. Borg Barthet et F. Biltgen (rapporteur), juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour MM. D. Podilă, Oniţă, Bara, G. Podilă, Coneru, Junc, Bungău, Chudi, Iancu, Negruţ et Roxin, par Mme R. Herlaş, avocată,

–        pour le gouvernement roumain, par M. R-H. Radu ainsi que par Mmes O.–C. Ichim et L. Liţu, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. M. van Beek et C. Hödlmayr, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger les affaires sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent, en substance, sur l’interprétation de l’article 114, paragraphe 3, et des articles 151 et 153 TFUE ainsi que des dispositions de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (JO 1989, L 183, p. 1), en particulier de l’article 9 de cette directive.

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, pour le premier, MM. Dănuţ Podilă, Vasile Oniţă, Dumitru Cornel Bara, Gheorghe Podilă, Alexandru Daniel Coneru, Mihai Călin Junc, Dănuţ Bungău, Francisc Chudi, Ioan Iancu, Ionel Negruţ et Dan Florin Roxin (ci-après « Podilă e.a. ») à Societatea Naţională de Transport Feroviar de Călători « CFR Călători » SA Bucureşti (ci-après « CFR Călători ») (affaire C‑133/17) et, pour le second, M. Costel Nicuşor Mucea à SMDA Mureş Insolvency SRL, agissant en qualité de curateur à la faillite de SC Industria Sârmei SA Câmpia Turzii (ci-après « SC Industria ») (affaire C‑134/17), au sujet de la classification, pour les besoins du calcul des pensions de retraite, des activités professionnelles exercées par les requérants au principal en tant qu’activités exercées sur des lieux de travail exposant les travailleurs à des conditions normales ou à des conditions spéciales.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les huitième, onzième et douzième considérants de la directive 89/391 se lisent comme suit :

« considérant qu’il incombe aux États membres de promouvoir l’amélioration, sur leur territoire, de la sécurité et de la santé des travailleurs ; que la prise de mesures concernant la sécurité et la santé des travailleurs au travail contribue dans certains cas à préserver la santé et, éventuellement, la sécurité des personnes vivant dans leur foyer ;

[...]

considérant que, pour assurer un meilleur niveau de protection, il est nécessaire que les travailleurs et/ou leurs représentants soient informés des risques pour leur sécurité et leur santé et des mesures requises pour réduire ou supprimer ces risques ; qu’il est également indispensable qu’ils soient à même de contribuer, par une participation équilibrée conformément aux législations et/ou pratiques nationales, à ce que les mesures nécessaires de protection soient prises ;

considérant qu’il est nécessaire de développer l’information, le dialogue et la participation équilibrée en matière de sécurité et de santé sur le lieu de travail entre les employeurs et les travailleurs et/ou leurs représentants grâce à des procédures et instruments adéquats, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ».

4        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de cette directive est ainsi libellé :

« 1.      La présente directive a pour objet la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.

2.      À cette fin, elle comporte des principes généraux concernant la prévention des risques professionnels et la protection de la sécurité et de la santé, l’élimination des facteurs de risque et d’accident, l’information, la consultation, la participation équilibrée conformément aux législations et/ou pratiques nationales, la formation des travailleurs et de leurs représentants, ainsi que des lignes générales pour la mise en œuvre desdits principes. »

5        Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive :

« Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour assurer que les employeurs, les travailleurs et les représentants des travailleurs sont soumis aux dispositions juridiques requises pour la mise en œuvre de la présente directive. »

6        L’article 6, paragraphe 1, de la même directive dispose :

« Dans le cadre de ses responsabilités, l’employeur prend les mesures nécessaires pour la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, y compris les activités de prévention des risques professionnels, d’information et de formation ainsi que la mise en place d’une organisation et de moyens nécessaires.

L’employeur doit veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »

7        L’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 89/391 prévoit :

« 1.      L’employeur doit :

a)      disposer d’une évaluation des risques pour la sécurité et la santé au travail, y compris ceux concernant les groupes des travailleurs à risques particuliers ;

b)      déterminer les mesures de protection à prendre et, si nécessaire, le matériel de protection à utiliser ;

[...]

2.      Les États membres définissent, compte tenu de la nature des activités et de la taille des entreprises, les obligations auxquelles doivent satisfaire les différentes catégories d’entreprises, concernant l’établissement des documents prévus au paragraphe 1 points a) et b) [...] »

8        L’article 11, paragraphe 6, de cette directive énonce :

« Les travailleurs et/ou leurs représentants ont le droit de faire appel, conformément aux législations et/ou pratiques nationales, à l’autorité compétente en matière de sécurité et de santé au travail, s’ils estiment que les mesures prises et les moyens engagés par l’employeur ne sont pas suffisants pour garantir la sécurité et la santé au travail. »

 Le droit roumain

9        L’article 19, paragraphes 2 et 4, de la Legea nr. 19/2000 privind sistemul public de pensii şi alte drepturi de asigurări sociale (loi no 19/2000 concernant le système public des pensions et autres droits de sécurité sociale), du 17 mars 2000 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 140 du 1er avril 2000), entrée en vigueur le 1er avril 2001, dispose :

« (2)      Les critères et la méthode de classement comme lieux de travail exposant les travailleurs à des conditions particulières sont établis par décision du gouvernement sur la base d’une proposition commune du ministère du travail, de la famille et de la protection sociale et du ministère de la santé.

[...]

(4)      Les lieux de travail exposant les travailleurs à des conditions particulières sont établis par contrat collectif de travail ou, à défaut de contrat collectif de travail, par décision de l’organe de direction légalement constitué en respectant les critères et la méthode de classement prévus au paragraphe 2. »

10      L’article 20, paragraphe 3, de cette loi, dans sa version applicable aux litiges au principal, prévoit :

« Les critères et la méthode de classement comme lieux de travail exposant les travailleurs à des conditions spéciales sont fixés par décision du gouvernement sur la base d’une proposition commune du ministère du travail, de la famille et de la protection sociale et du ministère de la santé après consultation de la [Casa Naţională de Pensii şi Alte Drepturi de Asigurări Sociale (Office national des pensions et autres droits d’assurance sociale) (CNPAS)]. »

11      L’article 165 bis, paragraphe 1, de ladite loi, dans sa version applicable aux litiges au principal, se lit comme suit :

« Les bénéficiaires d’une pension du système public dont les droits à pension ont été établis en vertu de la législation antérieure au 1er avril 2001, qui ont travaillé dans des lieux relevant des groupes de travail supérieurs, ainsi que ceux ayant exercé dans des lieux considérés comme exposant les travailleurs à des conditions spéciales ou particulières et dont les droits à pension ont été établis en vertu de la législation en vigueur après cette date, bénéficient d’une augmentation du nombre de points cumulés pendant cette période, de la manière suivante :

a)      50 % pour les périodes pendant lesquelles ils ont exercé une activité dans un lieu relevant du groupe de travail I en vertu de la législation en vigueur avant le 1er avril 2001 ou considéré comme exposant les travailleurs à des conditions spéciales en vertu de la législation en vigueur après cette date ;

b)      25 % pour les périodes pendant lesquelles ils ont exercé une activité dans un lieu relevant du groupe de travail II en vertu de la législation en vigueur avant le 1er avril 2001 ou considéré comme exposant les travailleurs à des conditions particulières en vertu de la législation en vigueur après cette date. »

12      Par la suite, le gouvernement roumain a arrêté deux actes normatifs, à savoir l’Hotărârea Guvernului nr. 261/2001 privind criteriile şi metodologia de încadrare a locurilor de muncă în condiţii deosebite (décision du gouvernement no 261/2001 sur les critères et la méthode de classement comme lieu de travail exposant les travailleurs à des conditions particulières), du 22 février 2001 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 114 du 6 mars 2001), et l’Hotărârea Guvernului nr. 1025/2003 privind metodologia şi criteriile de încadrare a persoanelor în locuri de muncă în condiţii speciale (décision du gouvernement no 1025/2003 sur la méthode et les critères de classement comme lieu de travail exposant les travailleurs à des conditions spéciales), du 28 août 2003 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 645 du 10 septembre 2003), visant à établir des critères et une méthode de classement des lieux de travail exposant les travailleurs à des conditions particulières et spéciales, et à fixer des délais pour mettre en œuvre les procédures correspondantes, en impliquant les autorités de l’État ainsi que les employeurs et les syndicats. Lesdits délais ont été prolongés successivement par des décisions gouvernementales ultérieures.

13      L’article 1, paragraphes 1 et 2, de la Legea nr. 226/2006 privind încadrarea unor locuri de muncă în condiţii speciale (loi no 226/2006 sur le classement comme lieu de travail exposant les travailleurs à des conditions spéciales), du 7 juin 2006 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 509 du 13 juin 2006), prévoit :

« (1)      À partir du 1er avril 2001, sont considérés comme exposant les travailleurs à des conditions spéciales, les lieux de travail dans lesquels sont exercés des activités visées à l’annexe 1.

(2)      Les lieux de travail visés au paragraphe 1 sont ceux des unités visées à l’annexe 2 ayant obtenu l’avis concernant la mise en œuvre des procédures et des critères de classement comme lieux de travail exposant les travailleurs à des conditions spéciales, conformément à la [décision du gouvernement no 1025/2003], tel que modifiée et complétée ultérieurement. »

14      L’article 29, paragraphes 1 et 1 bis, de la Legea nr. 263/2010 privind sistemul unitar de pensii publice (loi no 263/2010 sur le système unitaire de pensions publiques), du 16 décembre 2010 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 852 du 20 décembre 2010), dans sa version applicable au litige au principal, dispose :

« (1)      Sont considérés comme exposant les travailleurs à des conditions particulières, les lieux classés conformément aux critères et à la méthode prévue par la législation en vigueur au moment de leur classement.

(1 bis)      Les lieux de travail peuvent continuer à relever de ceux exposant les travailleurs à des conditions particulières par renouvellement des avis de classement sur la base de la méthode fixée par décision du gouvernement pour une période de 3 années au maximum à partir du 1er janvier 2016, délai jusqu’auquel l’employeur est tenu de normaliser les conditions de travail. »

15      Aux termes de l’article 30, paragraphes 2 et 3, de cette loi :

« (2)      Périodiquement, tous les 5 ans, les lieux de travail exposant les travailleurs à des conditions spéciales visés au paragraphe 1, sous e), sont soumis à une procédure de réévaluation de l’exposition à des conditions spéciales établie par décision du gouvernement.

(3)      La procédure de réévaluation visée au paragraphe 2 est fixée par décision du gouvernement dans les 9 mois qui suivent l’entrée en vigueur de la présente loi. »

16      L’article 169, paragraphe 1, de ladite loi énonce :

« Les bénéficiaires d’une pension du système public de pension dont les droits à pension ont été fixés en vertu de la législation antérieure au 1er avril 2001, qui ont exercé des activités dans des lieux relevant du groupe de travail I et/ou du groupe de travail II, bénéficient d’une augmentation du nombre de points annuels cumulés pendant cette période, de la manière suivante :

a)      50 % pour les périodes pendant lesquelles ils ont exercé une activité dans un lieu de travail relevant du groupe de travail I ;

b)      25 % pour les périodes pendant lesquelles ils ont exercé une activité dans un lieu de travail relevant du groupe de travail II. »

17      L’article 12, paragraphes 1 et 2, de la Legea nr. 319/2006 a securităţii şi sănătăţii în muncă (loi no 319/2006 concernant la sécurité et la santé au travail), du 14 juillet 2006 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 646 du 26 juillet 2006), dispose :

« (1)      L’employeur doit :

a)      réaliser et garder disponible une évaluation des risques pour la santé et la sécurité au travail, notamment pour les groupes de travailleurs exposés à des risques spécifiques ;

b)      déterminer les mesures de protection à prendre et, si nécessaire, le matériel de protection à utiliser ;

[...]

(2)      Par arrêté du ministre du travail, de la solidarité sociale et de la famille, en fonction de la nature des activités et de la taille des entreprises, il convient de fixer les obligations qui incombent aux différentes catégories d’entreprises, concernant l’établissement des documents prévus au paragraphe 1. »

18      L’article 39, paragraphe 4, de la même loi prévoit :

« Constitue une contravention sanctionnée par une amende de 4 000 à 8 000 [lei roumains (RON) (environ 860 à 1720 euros)], toute violation des dispositions de l’article 12, paragraphe 1, points a) et b), [...] »

19      Il ressort de la décision de renvoi que, par une interprétation stricte de la législation nationale, l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie) estime, d’une part, qu’il n’existe pas de voie de recours de droit commun visant à faire constater les conditions particulières de travail dans lesquelles les travailleurs ont exercé leurs activités après le 1er avril 2001 ou tendant à faire condamner les employeurs à classer les lieux de travail comme exposant les travailleurs à de telles conditions particulières lorsque lesdits employeurs n’ont pas obtenu ou, le cas échéant, lorsqu’ils n’ont pas renouvelé les avis concernant le classement comme lieu de travail exposant les travailleurs à ces conditions et, d’autre part, que, en ce qui concerne les conditions spéciales, cette voie de recours n’est pas ouverte lorsque les conditions cumulatives concernant l’inscription de l’activité et de l’unité de l’employeur ne figurent pas aux annexes 1 et 2 de la loi no 226/2006 et aux annexes 2 et 3 de la loi no 263/2010, telle que modifiée et complétée ultérieurement.

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 L’affaire C‑133/17

20      Podilă e.a. ont travaillé pour CFR Călători en tant que serrurier-monteur, réviseur technique de wagons, chef d’équipe wagons ou carrossier. Jusqu’au 1er avril 2001, leurs activités ont été classées dans le groupe de travail I, au sens de l’article 165 bis, sous a), de la loi no 19/2000. À partir du 1er avril 2001, date à laquelle la loi no 19/2000 est entrée en vigueur, Podilă e.a. ont été classés dans la catégorie des travailleurs exposés à des conditions de travail normales, bien que, selon leurs propres indications, leurs conditions de travail difficiles et dangereuses caractéristiques des conditions spéciales, ne se soient pas améliorées après le 1er avril 2001.

21      Podilă e.a. ont introduit un recours devant le Tribunalul Bihor (tribunal de grande instance de Bihor, Roumanie) aux fins de voir condamner, d’une part, CFR Călători à reconnaître que, pendant la période allant de l’année 2001 à l’année 2014, leurs activités avaient été exercées sur un lieu de travail exposant les travailleurs à des conditions spéciales et, d’autre part, l’État roumain à payer les contributions sociales dues pour leurs activités exercées dans ces conditions au cours de cette même période.

22      En défense, CFR Călători a fait valoir que, à partir du 1er avril 2001, les lieux de travail classés comme exposant les travailleurs à des conditions spéciales, de même que les unités ayant obtenu l’avis concernant le classement des lieux de travail comme exposant les travailleurs à ces conditions, étaient prévus de manière expresse et restrictive dans la législation nationale. Selon CFR Călători, dès lors que les lieux de travail dans lesquels Podilă e.a. exerçaient leurs activités ne remplissaient pas ces critères cumulatifs prévus par ladite législation, elle n’avait pas à procéder à leur classement comme lieux de travail exposant les travailleurs à des conditions spéciales.

23      Par jugement du 6 octobre 2015, le Tribunalul Bihor (tribunal de grande instance de Bihor) a rejeté le recours de Podilă e.a. au motif que CFR Călători n’était pas tenue de classer automatiquement les emplois relevant, jusqu’au 1er avril 2001, du groupe de travail I comme constituant des emplois exercés dans des lieux de travail exposant les travailleurs à des conditions spéciales conformément à la nouvelle législation entrée en vigueur le 1er avril 2001. Pour le surplus, le recours de Podilă e.a. a été rejeté au motif que ces derniers, en demandant par la voie judiciaire que leurs lieux de travail soient classés comme lieux de travail exposant les travailleurs à des conditions spéciales, n’avaient pas respecté la procédure légale expressément prévue par la décision du gouvernement no 1025/2003.

24      Podilă e.a. ont interjeté appel contre ce jugement devant la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj, Roumanie). Celle-ci considère que, afin de pouvoir juger si la législation nationale est conforme au droit de l’Union, il y a lieu de procéder à l’interprétation, notamment, de l’article 114, paragraphe 3, et des articles 151 et 153 TFUE ainsi que des dispositions de la directive 89/391.

25      Dans ces conditions, la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 114, paragraphe 3, et les articles 151 et 153 TFUE ainsi que les dispositions de la directive [89/391] et des directives individuelles ultérieures doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un État membre de l’[Union] introduise des délais et des procédures limitant l’accès à la justice en ce qui concerne le classement comme lieu de travail exposant les travailleurs à des conditions particulières ou spéciales, privant ainsi les travailleurs du droit à la sécurité et à la santé au travail résultant de ce classement conformément aux réglementations internes citées dans l’ordonnance de renvoi ?

2)      L’article 9, sous a), de la directive [89/391] s’oppose-t-il à une législation interne qui ne sanctionne pas la passivité de l’employeur en ce qui concerne l’obtention d’une évaluation des risques concernant la sécurité et la santé au travail ? »

 L’affaire C134/17

26      M. Mucea a été employé, du 15 juillet 1981 au 1er avril 2001, par SC Industria, en tant que chauffagiste et trempeur chef d’équipe, et classé dans le groupe de travail I, au sens de l’article 165 bis, sous a), de la loi no 19/2000. Du 1er avril 2001 au 16 avril 2003, il a été employé comme trempeur chef d’équipe et exposé à des conditions particulières. Du 16 avril 2003 au 1er janvier 2013, il a travaillé comme chauffagiste exposé à des conditions particulières. Du 1er janvier 2013 au 14 février 2013, il a travaillé comme chauffagiste sans que cette activité ait été classée parmi les travaux exposant les travailleurs à des conditions particulières.

27      M. Mucea soutient que les lieux de travail dans lesquels il a exercé ses activités depuis le 1er avril 2001 doivent être classés comme étant des lieux exposant les travailleurs à des conditions spéciales.

28      M. Mucea a introduit un recours devant le Tribunalul Cluj (tribunal de grande instance de Cluj, Roumanie) tendant à voir condamner SC Industria, d’une part, à reconnaître que les activités qu’il a exercées pendant la période du 1er avril 2001 au 14 février 2013 l’exposaient à des conditions spéciales et, d’autre part, à délivrer un certificat en ce sens.

29      En défense, SC Industria a fait valoir que la classification de son personnel a été effectuée conformément à l’avis du ministère du Travail, de la Solidarité et de la Famille, en tenant compte d’une expertise technique ainsi que d’une appréciation des facteurs de risque.

30      Par jugement du 24 mai 2016, le Tribunalul Cluj (tribunal de grande instance de Cluj) a rejeté le recours de M. Mucea au motif que l’avis obtenu par SC Industria pour la classification des lieux de travail exposant les travailleurs à des conditions spéciales de travail ne couvrait pas son poste de travail, ledit poste ne répondant pas aux critères cumulatifs prévus à cet égard par la législation nationale.

31      M. Mucea a interjeté appel contre ce jugement devant la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj). Celle-ci considère que, afin de pouvoir juger si la législation nationale est conforme au droit de l’Union, il y a lieu de procéder à l’interprétation, notamment, de l’article 114, paragraphe 3, et des articles 151 et 153 TFUE ainsi que des dispositions de la directive 89/391.

32      Dans ces conditions, la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour une question identique à la première question posée dans le cadre de l’affaire C‑133/17, à savoir :

« L’article 114, paragraphe 3, et les articles 151 et 153 TFUE ainsi que les dispositions de la directive [89/391] et des directives individuelles ultérieures doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un État membre de l’[Union] introduise des délais et des procédures limitant l’accès à la justice en ce qui concerne le classement comme lieu de travail exposant les travailleurs à des conditions particulières ou spéciales, privant ainsi les travailleurs du droit à la sécurité et à la santé au travail résultant de ce classement conformément aux réglementations internes citées dans l’ordonnance de renvoi ? »

33      Par décision du président de la Cour du 3 mai 2017, les affaires C‑133/17 et C‑134/17 ont été jointes aux fins de la phase écrite de la procédure ainsi que de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

34      À titre liminaire, il convient de rappeler que la Cour est compétente pour interpréter une directive uniquement pour ce qui concerne l’application de celle-ci dans un nouvel État membre à partir de la date d’adhésion de ce dernier à l’Union (arrêt du 10 janvier 2006, Ynos, C‑302/04, EU:C:2006:9, point 36).

35      Étant donné que, en l’occurrence, une partie des faits des litiges au principal sont postérieurs à la date d’adhésion de la Roumanie à l’Union, à savoir le 1er janvier 2007, la Cour est compétente pour répondre aux questions posées, dans la mesure où elles se réfèrent à des périodes de travail postérieures à cette date.

36      Par ses questions dans les affaires C‑133/17 et C‑134/17, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 114, paragraphe 3, et les articles 151 et 153 TFUE ainsi que la directive 89/391 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui fixe des délais stricts et des procédures ne permettant pas aux juridictions nationales de revoir ou d’établir le classement des activités des travailleurs dans différents groupes à risques, sur la base duquel sont calculées les pensions de retraite de ces travailleurs.

37      En vue de répondre à ces questions, il importe, en premier lieu, de constater que l’article 114, paragraphe 3, TFUE s’adresse à la Commission européenne, au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne et ne contient donc pas d’obligation spécifique à la charge des États membres. Quant aux articles 151 et 153 TFUE, ceux-ci ne contiennent pas d’obligations directes pour les États membres en matière de calcul et de limitation des droits à pension ou de sécurité sociale. En outre, l’Union n’a, à ce stade, exercé aucune compétence dans ce domaine sur la base de l’article 153, paragraphe 1, sous c), TFUE, cette compétence revenant au premier chef aux États membres. Par ailleurs, il est constant que les litiges au principal ne concernent pas les domaines exposés à l’article 153, paragraphe 1, sous g) et i), TFUE.

38      Dans ces conditions, et en l’absence dans les demandes de décision préjudicielle de toute indication quant au lien pouvant exister entre la réglementation nationale en cause au principal et lesdites dispositions du traité FUE, il y a lieu de conclure que des situations, telles que celles en cause au principal, ne relèvent pas du champ d’application de ces dernières dispositions.

39      Il convient, en deuxième lieu, de constater que, ainsi qu’il ressort tant de son intitulé et de son préambule que de son article 1er, la directive 89/391 a pour objet la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail. À cette fin, ainsi que le précise son article 1er, paragraphe 2, cette directive énonce des principes généraux concernant la prévention des risques professionnels et la protection de la sécurité et de la santé, l’élimination des facteurs de risque et d’accident, l’information, la consultation, la participation équilibrée conformément aux législations et/ou aux pratiques nationales, la formation des travailleurs et de leurs représentants, ainsi que des lignes générales pour la mise en œuvre desdits principes.

40      S’agissant des obligations incombant aux employeurs en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, il ressort plus précisément de l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 89/391, d’une part, que les employeurs doivent, notamment, disposer d’une évaluation des risques pour la sécurité et la santé des travailleurs, y compris ceux concernant les groupes des travailleurs à risques particuliers ainsi que déterminer les mesures de protection à prendre, voire le matériel de protection à utiliser et, d’autre part, que les États membres doivent définir, compte tenu de la nature des activités et de la taille des entreprises, les obligations auxquelles doivent satisfaire les différentes catégories d’entreprises, concernant l’établissement des documents prévus par cette directive.

41      Cela étant précisé, il y a toutefois lieu de rappeler que, en l’occurrence, les demandes de décision préjudicielle ont été formulées dans le cadre de deux litiges portant sur le classement des lieux de travail pour les besoins de la détermination des pensions de retraite. En effet, il ressort de ces demandes que les requérants au principal ne cherchent pas, par leur recours respectif, à faire constater que leurs employeurs ne respectent pas les obligations qui leur incombent en matière de sécurité et de santé au travail ni que les conditions dans lesquelles ils ont dernièrement exercé leur travail ne sont pas conformes aux exigences en matière de sécurité et de santé au travail, mais visent à obtenir la reconnaissance que les lieux de travail dans lesquels ils ont exercé leurs activités auraient dû être classés en tant que lieux de travail exposant les travailleurs à des conditions spéciales, afin de pouvoir bénéficier d’une augmentation de leurs pensions de retraite.

42      Certes, il ne saurait d’emblée être exclu qu’un système de classement des activités des travailleurs en différentes catégories pour les besoins du calcul des pensions de retraite selon des procédures administratives spécifiques et des délais stricts puisse avoir une incidence sur le respect des obligations incombant aux employeurs en vertu de la directive 89/391, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier. Tel pourrait, notamment, être le cas si le classement des activités d’un employeur, pour les besoins du calcul des pensions de retraite, en tant qu’activités ne soumettant pas les travailleurs à des conditions particulières ou spéciales devait avoir une influence directe sur le classement de cet employeur dans les catégories d’entreprises, que les États membres sont tenus d’établir en vertu de l’article 9, paragraphe 2, de cette directive, en le soustrayant éventuellement à certaines obligations découlant de ladite directive.

43      Toutefois, en l’occurrence, il y a lieu de constater que la directive 89/391 a été transposée en droit roumain par la loi no 319/2006. En particulier, l’article 9, paragraphes 1 et 2, ainsi que l’article 11, paragraphe 6, de cette directive, lequel prévoit que les travailleurs et/ou leurs représentants ont le droit de faire appel à l’autorité compétente en matière de sécurité et de santé au travail s’ils estiment que les mesures prises et les moyens engagés par l’employeur ne sont pas suffisants pour garantir la sécurité et la santé au travail, ont été repris par la loi no 319/2006. De surcroît, il ressort de l’article 39, paragraphe 4, de cette loi que le législateur national a prévu des sanctions en cas d’inobservation, par l’employeur, des obligations prévues à l’article 9, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89/391, tel que repris à l’article 12, paragraphe 1, sous a) et b), de la loi no 319/2006.

44      Or, en l’absence, dans la décision de renvoi, de toute indication selon laquelle la transposition, en droit roumain, de la directive 89/391 serait incomplète ou que la législation nationale serait appliquée, par les autorités compétentes, de manière non conforme aux exigences de ladite directive, voire d’une manière à créer une incidence directe telle que celle évoquée au point 42 du présent arrêt, il y a lieu de considérer qu’une situation, telle que celle en cause au principal, ne relève pas du champ d’application des dispositions de la directive 89/391.

45      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 114, paragraphe 3, et les articles 151 et 153 TFUE ainsi que les dispositions de la directive 89/391 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne trouvent pas à s’appliquer à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui fixe des délais stricts et des procédures ne permettant pas aux juridictions nationales de revoir ou d’établir le classement des activités des travailleurs dans différents groupes à risques, sur la base duquel sont calculées les pensions de retraite de ces travailleurs.

 Sur les dépens

46      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

L’article 114, paragraphe 3, et les articles 151 et 153 TFUE ainsi que la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne trouvent pas à s’appliquer à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui fixe des délais stricts et des procédures ne permettant

pas aux juridictions nationales de revoir ou d’établir le classement des activités des travailleurs dans différents groupes à risques, sur la base duquel sont calculées les pensions de retraite de ces travailleurs.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.