Language of document : ECLI:EU:T:2018:790

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

15 novembre 2018 (*)

« Aides d’État –Marché de capacité au Royaume-Uni – Régime d’aide – Article 108, paragraphes 2 et 3, TFUE – Notion de doutes au sens de l’article 4, paragraphes 3 ou 4, du règlement (CE) no 659/1999 – Lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014/2020 – Décision de ne pas soulever d’objections – Absence d’ouverture de la procédure formelle d’examen – Droits procéduraux des parties intéressées »

Dans l’affaire T‑793/14,

Tempus Energy Ltd, établie à Worcester (Royaume-Uni),

Tempus Energy Technology Ltd, établie à Cheltenham (Royaume-Uni),

représentées initialement par Mes J. Derenne, J. Blockx, C. Ziegler et M. Kinsella, puis par Mes Derenne, Blockx et Ziegler et enfin par Mes Derenne et Ziegler, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. É. Gippini Fournier, R. Sauer, Mmes K. Herrmann et P. Němečková, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté initialement par Mmes C. Brodie et L. Christie, en qualité d’agents, assistées de M. G. Facenna, QC, puis par Mme S. Simmons, M. M. Holt, Mme Brodie, et M. S. Brandon, en qualité d’agents, assistés de M. G. Facenna, QC, puis par M. Holt, Mme Brodie, et MM. Brandon et D. Robertson, en qualité d’agents, assistés de M. G. Facenna, QC, et enfin par M. Brandon, en qualité d’agent,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2014) 5083 final de la Commission, du 23 juillet 2014, de ne pas soulever d’objections à l’encontre du régime d’aides relatif au marché de capacité au Royaume-Uni, au motif que ledit régime est compatible avec le marché intérieur, en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE (aide d’État 2014/N‑2) (JO 2014, C 348, p. 5),

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),

composé de MM. S. Frimodt Nielsen, président, V. Kreuschitz, I. S. Forrester, Mme N. Półtorak (rapporteur) et M. E. Perillo, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 11 juillet 2017,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

A.      Sur les requérantes et sur l’objet du litige

1        Les requérantes, Tempus Energy Ltd, ayant succédé à Alectrona Grid Services Ltd, et Tempus Energy Technology Ltd (ci-après, prises ensemble, « Tempus »), commercialisent une technologie de gestion de la consommation d’électricité, autrement dit de la « gestion de la demande », auprès des particuliers et des professionnels et possèdent une licence de fournisseur d’électricité au Royaume-Uni.

2        L’offre proposée par Tempus à ses clients vise à générer des réductions de coûts dans la chaîne de l’offre d’électricité en combinant la technologie de gestion de la demande aux services proposés par un fournisseur d’électricité. Tempus vend de l’électricité et aide ses clients à décaler leur consommation électrique non soumise à des contraintes de temps vers des périodes durant lesquelles les prix de gros sont bas, soit parce que la demande est faible, soit parce que l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables est abondante et donc moins coûteuse.

3        Il ressort du dossier que, traditionnellement, les opérateurs de gestion de la demande concluent des contrats avec les consommateurs d’électricité, qui sont généralement des clients industriels et commerciaux ou des petites et moyennes entreprises, stipulant que le client accepte d’être flexible quant à sa consommation d’électricité durant une période donnée. L’opérateur de gestion de la demande calcule la capacité totale disponible à un moment donné auprès de tous les clients flexibles et peut ensuite proposer cette capacité au gestionnaire du réseau d’électricité, National Grid en l’espèce, en échange d’un paiement qu’il transfère au client flexible, tout en préservant une marge bénéficiaire pour lui-même.

4        Par son recours, Tempus demande l’annulation de la décision C(2014) 5083 final de la Commission, du 23 juillet 2014, de ne pas soulever d’objections à l’encontre du régime d’aides relatif au marché de capacité au Royaume-Uni, au motif que ledit régime est compatible avec le marché intérieur, en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE (aide d’État 2014/N‑2) (JO 2014, C 348, p. 5, ci-après la « décision attaquée »).

B.      Sur la mesure en cause

5        Par le régime d’aide visé par la décision attaquée (ci-après la « mesure en cause »), le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord met en place un marché de capacité qui consiste en des enchères centralisées pour la fourniture des capacités requises afin de garantir l’adéquation des capacités. Il s’agit d’un régime d’aide qui consiste en l’octroi d’une rémunération aux fournisseurs de capacité électrique en contrepartie de leur engagement à fournir de l’électricité ou à réduire ou différer la consommation d’électricité en période de tension sur le réseau (considérant 4 de la décision attaquée).

6        Les bases légales de la mesure en cause sont le UK Energy Act 2013 (loi du Royaume-Uni de 2013 sur l’énergie) et les actes réglementaires adoptés sur son fondement, en particulier les Electricity Capacity Regulations 2014 (règlement de 2014 relatif à la capacité électrique) et les Capacity Market Rules 2014 (règles de 2014 relatives au marché de capacité).

7        Le marché de capacité fonctionne ainsi : la quantité de capacité requise est définie de manière centralisée et le marché, par le biais des enchères, détermine le prix approprié pour la fourniture de cette quantité – les fournisseurs de capacité éligibles étant tous en concurrence dans le cadre de la même enchère (considérant 145 de la décision attaquée). La quantité de capacité requise est arrêtée par le gouvernement du Royaume-Uni en tenant notamment compte des recommandations du gestionnaire du réseau d’électricité, National Grid (considérant 11 de la décision attaquée).

8        S’agissant des enchères, la mesure en cause prévoit ce qui suit : chaque année, lors des enchères principales, la capacité requise est mise aux enchères pour une livraison quatre ans plus tard (ci-après les « enchères T‑4 ») ; la capacité qui a fait l’objet d’enchères en 2014, par exemple, était destinée à être livrée en 2018/2019 – la période de livraison allant du 1er octobre 2018 au 30 septembre 2019 (considérant 43 de la décision attaquée). Une autre enchère a lieu l’année précédant l’année de livraison des enchères principales (ci-après les « enchères T‑1 »).

9        Une certaine capacité sera systématiquement retranchée des enchères T‑4 pour être « réservée » aux enchères T‑1, sur la base d’une estimation de la capacité de gestion de la demande « rentable » qui pourrait participer aux enchères T‑1 et sera rendue publique lorsque la courbe de la demande pour les enchères T‑4 sera publiée (considérant 45 de la décision attaquée). Si la demande chute entre les enchères T‑4 et les enchères T‑1, le montant de la capacité mise aux enchères T‑1 sera réduit. Toutefois, la décision attaquée précise que, étant donné que les enchères T‑1 offrent une meilleure voie aux opérateurs de gestion de la demande pour accéder au marché, le gouvernement du Royaume-Uni s’engage à mettre aux enchères T‑1 au moins 50 % de la capacité « réservée » quatre ans plus tôt. La décision attaquée ajoute qu’une certaine latitude sera retenue pour supprimer cette garantie si la gestion de la demande ne s’avère pas rentable à long terme ou si le secteur de la gestion de la demande est considéré comme étant suffisamment mature (considérant 46 de la décision attaquée). Les enchères T‑4 et T‑1 constituent le régime durable.

10      À l’exception, temporaire, des interconnecteurs et des fournisseurs de capacité étrangers, les enchères durables sont ouvertes aux producteurs existants et nouveaux, aux opérateurs de gestion de la demande et aux opérateurs de stockage (considérants 4 et 149 de la décision attaquée).

11      Il existe, outre le régime durable, un régime transitoire. Ainsi, avant la période de livraison 2018/2019, sont prévues des enchères « transitoires », qui sont ouvertes principalement aux opérateurs de gestion de la demande. Les premières enchères transitoires étaient normalement prévues pour 2015 – la période de livraison allant d’octobre 2016 à septembre 2017 ; les deuxièmes enchères transitoires étaient prévues pour 2016 – la période de livraison allant d’octobre 2017 à septembre 2018 (considérant 51 de la décision attaquée).

12      Les ressources de production et de gestion de la demande qui participent au marché de capacité sont appelées « Capacity Market Units » (unités du marché de capacité, ci-après « CMU »). Les CMU de production peuvent participer individuellement en tant que CMU, ou collectivement, agrégées à d’autres unités de production éligibles selon certaines conditions. Une de ces conditions est notamment que la capacité totale de toutes les unités se situe entre le seuil minimal de 2 mégawatts (MW) et celui de 50 MW (considérant 16 de la décision attaquée).

13      Les CMU de gestion de la demande sont définies en fonction d’un engagement à réduire la demande. Un tel engagement suppose de l’opérateur de gestion de la demande qu’il conduise son client à réduire ses importations d’électricité (mesurées par un compteur enregistrant la consommation d’électricité demi-heure par demi-heure) ou à exporter l’électricité qu’il produit grâce à des unités de production qu’il a sur place. Chaque composant d’une CMU de gestion de la demande doit être connecté à un compteur par demi-heure et la capacité de gestion de la demande totale du fournisseur doit être comprise entre 2 MW et 50 MW (considérant 17 de la décision attaquée).

14      Les capacités éligibles doivent se soumettre à un processus de présélection qui, outre la constitution d’un dossier administratif de base, comporte des exigences spécifiques selon que l’éventuel participant est un opérateur existant ou potentiel (considérant 26 de la décision attaquée). Pour les nouvelles capacités de production et les capacités de gestion de la demande non confirmées (par opposition aux capacités de gestion de la demande confirmées dont la capacité déclarée par le fournisseur a été prouvée au terme d’un test), une garantie de soumission s’élevant à 5 000 livres sterling (GBP) (environ 5 650 euros) par MW pour les enchères T‑4 et T‑1 et à 500 GBP (environ 565 euros) par MW pour les enchères transitoires est, en outre, exigée.

15      Le gestionnaire du réseau d’électricité, National Grid, est chargé d’organiser les enchères afin d’obtenir le niveau de capacité requis pour assurer l’adéquation des capacités électriques.

16      Toutes les enchères sont des enchères descendantes, à prix discriminatoire, où tous les participants retenus, les adjudicataires, sont payés selon la dernière offre acceptée. Un prix élevé est annoncé au début des enchères ; les participants soumettent alors des offres pour indiquer la quantité de capacité qu’ils sont prêts à fournir à ce prix. Ce processus est répété plusieurs fois selon un calendrier prédéterminé jusqu’à ce que soit découvert le prix le plus bas auquel la demande correspond à l’offre, c’est-à-dire le prix de clôture. Tous les adjudicataires sont payés le même prix de clôture (« pay-as-clear model ») (considérant 49 de la décision attaquée).

17      Ainsi, s’ils sont retenus, les fournisseurs de capacité se voient attribuer un contrat de capacité au prix de clôture. La durée des contrats de capacité pour lesquels les participants soumissionnent varie. La plupart des fournisseurs de capacité existants ont accès à des contrats d’un an. Les fournisseurs de capacité ayant des dépenses d’équipement supérieures à 125 GBP (environ 141 euros) par kilowatt (kW) (centrales à rénover) ont accès à des contrats d’une durée maximale de trois ans. Les fournisseurs de capacité ayant des dépenses d’équipement supérieures à 250 GBP (environ 282 euros) par kW (nouvelles centrales) ont accès à des contrats d’une durée maximale de quinze ans (considérant 57 de la décision attaquée). Les contrats de plus d’un an ne sont accordés que lors des enchères T‑4. Dans chaque cas, les conditions du contrat de capacité, y compris le prix de la capacité, s’appliquent pendant toute la durée du contrat.

18      Les adjudicataires perçoivent, pendant la durée de leur contrat, une rémunération régulière financée par un prélèvement mis à la charge des fournisseurs d’électricité. En contrepartie, les adjudicataires s’engagent à fournir des capacités en période de tension sur le réseau. Des pénalités sont prévues lorsqu’un adjudicataire ne livre pas la quantité d’électricité conformément à la capacité prévue par le contrat (considérant 4 de la décision attaquée). Par ailleurs, le marché de capacité est soumis à un processus de réexamen (considérant 6 de la décision attaquée).

19      Les coûts exposés pour financer la rémunération des capacités sont pris en charge par l’ensemble des fournisseurs d’électricité agréés (ci-après la « méthode de recouvrement des coûts »). La redevance appliquée aux fournisseurs d’électricité est déterminée en fonction de leur part de marché et est calculée sur la base de la demande enregistrée entre 16 et 19 heures en semaine, entre les mois de novembre et de février, afin de les inciter à faire baisser la demande d’électricité de leurs clients pendant les périodes où celle-ci est généralement la plus élevée. Selon la décision attaquée, cela devrait se traduire par une diminution des capacités requises et, corollairement, par une réduction des coûts du marché de capacité (considérant 69 de la décision attaquée).

20      Les revenus bruts versés aux fournisseurs de capacités ont été modélisés et devraient être compris entre 0,9 milliard et 2,6 milliards de GBP (environ entre 1,02 milliard et 2,94 milliards d’euros) par an, soit entre 8,1 à 23,4 milliards de GBP (environ entre 9,14 milliards et 26,4 milliards d’euros) pour la période allant de 2018 à 2024, ce montant variant selon le niveau requis de « capacité nouvellement construite » (considérant 7 de la décision attaquée).

C.      Sur les dispositions pertinentes des lignes directrices

21      Il convient de rappeler que, dans le domaine spécifique des aides d’État, la Commission européenne peut se doter de lignes directrices pour l’exercice de ses pouvoirs d’appréciation et, pour autant qu’elles ne s’écartent pas des règles du traité, les règles indicatives qu’elles contiennent s’imposent à l’institution (voir arrêt du 13 juin 2002, Pays-Bas/Commission, C‑382/99, EU:C:2002:363, point 24 et jurisprudence citée).

22      Par ailleurs, dans ses réponses aux questions écrites du Tribunal et à nouveau lors de l’audience, Tempus a expressément confirmé ne pas contester la mise en place d’un marché de capacité, en tant que telle, mais uniquement, d’une part, l’appréciation des éléments fournis par le Royaume-Uni en ce qui concerne l’incidence de la gestion de la demande et, d’autre part, les différentes modalités prévues pour permettre aux opérateurs de gestion de la demande de participer au marché de capacité.

23      Parmi les différentes dispositions des lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014/2020 (JO 2014, C 200, p. 1, ci-après « les lignes directrices »), adoptées par la Commission le 9 avril 2014 et entrant en vigueur le 1er juillet 2014, et en considération d’une situation où le principe d’une aide en faveur de l’adéquation des capacités est accepté (voir point 22 ci-dessus), les dispositions pertinentes aux fins de la solution du litige sont les suivantes.

24      Premièrement, au paragraphe 224, sous b), figurant au point 3.9.2 « Nécessité d’une intervention de l’État », les lignes directrices prévoient que, dans son appréciation des éléments fournis par l’État concerné, la Commission tient notamment compte de l’« appréciation de l’incidence de la participation des acteurs de la demande, y compris [d’]une description des mesures destinées à encourager la gestion de la demande ».

25      Deuxièmement, au paragraphe 226, figurant au point 3.9.3 « Caractère approprié de l’aide », les lignes directrices indiquent ce qui suit :

« Les mesures d’aide devraient être ouvertes et fournir des incitations adéquates aussi bien aux producteurs existants qu’aux producteurs futurs, ainsi qu’aux opérateurs utilisant des technologies substituables, telles que des solutions d’adaptation de la demande ou de stockage. Les aides devraient dès lors être octroyées au moyen d’un mécanisme permettant des délais de réalisation potentiellement différents, correspondant au temps dont auront besoin les nouveaux producteurs utilisant diverses technologies pour réaliser de nouveaux investissements. Les mesures d’aide devraient également tenir compte de la mesure dans laquelle les capacités d’interconnexion pourraient remédier à tout éventuel problème d’adéquation des capacités de production ».

26      Troisièmement, au paragraphe 229, figurant au point 3.9.5 « Proportionnalité de l’aide », les lignes directrices précisent qu’une « procédure de mise en concurrence fondée sur des critères clairs, transparents et non discriminatoires, ciblant effectivement l’objectif défini, sera considérée comme engendrant des taux de rendement raisonnables dans des circonstances normales ».

27      Quatrièmement, au paragraphe 232, sous a), figurant au point 3.9.6 « Prévention des effets négatifs non désirés sur la concurrence et les échanges », les lignes directrices soulignent notamment que « les mesures d’aide devraient être conçues de manière à ce que toutes les capacités pouvant contribuer de manière effective à remédier à un problème d’adéquation des capacités de production participent auxdites mesures, notamment en tenant compte [de] la participation de producteurs utilisant différentes technologies et d’opérateurs proposant des solutions aux qualités techniques équivalentes, comme la gestion de la demande, l’interconnexion et les solutions de stockage. » Cette disposition précise également que la participation de ces différents acteurs « peut être restreinte uniquement si les qualités techniques nécessaires pour remédier au problème d’adéquation des capacités de production sont insuffisantes ».

D.      Sur la décision attaquée

28      Dans la décision attaquée, la Commission a estimé, au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, que la mesure en cause était une aide d’État (considérants 109 à 115 de la décision attaquée).

29      S’agissant de la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur, la Commission a indiqué avoir fondé son appréciation sur les conditions établies au point 3.9 des lignes directrices, qui fixent les conditions spécifiques pour l’adéquation des capacités.

30      Sous le point 3.3.1 « Objectif d’intérêt commun et nécessité de l’aide » de la décision attaquée, la Commission énonce ce qui suit :

« (118) La Commission estime que la mesure contribue à la réalisation d’un objectif d’intérêt commun et qu’elle est nécessaire conformément aux points 3.9.1 et 3.9.2 des lignes directrices […].

(119) Premièrement, le Royaume-Uni a mis en place une méthodologie pour identifier le problème d’adéquation. Les travaux de modélisation menés par le Royaume-Uni montrent que l’« enduring reliability adequacy standard » – l’indicateur choisi pour mesurer l’adéquation des capacités de production – pouvait atteindre des niveaux critiques à partir de 2018-2019. Les résultats sont globalement conformes à ceux publiés par ENTSO-E [European Network of Transmission System Operators for Electricity, Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d’électricité] dans son dernier rapport. […]

(120) Le rapport sur la capacité de National Grid a été examiné par un groupe d’experts techniques indépendant (ci-après le « PTE ») nommé par le Department of Energy and Climate Change [ministère de l’Énergie et du Changement climatique du Royaume-Uni]. Le 30 juin 2014, le ministère de l’Énergie et du Changement climatique a publié le rapport du PTE en ce qui concerne l’analyse qui sous-tendait les recommandations de National Grid sur le montant de capacité requise pour les premières enchères. Le PTE a conclu que le scénario général et l’approche modélisée adoptés par National Grid étaient valables quant aux principes et que National Grid avait cherché à prendre en considération des éléments à l’appui et les avis des personnes intéressées. Cependant, il existait un consensus au sein du PTE pour dire que National Grid avait eu tendance à adopter une vision trop conservatrice en ce qui concerne certaines hypothèses clés, notamment l’interconnexion, engendrant une surestimation de la quantité de capacité requise. Le PTE a également noté que des hypothèses moins conservatrices auraient suffi pour ne pas avoir à créer de nouvelles capacités de production.

(121) Les autorités du Royaume-Uni ont expliqué qu’elles avaient pris en compte les recommandations de National Grid ainsi que le rapport du PTE et avaient examiné attentivement les différences dans leurs analyses respectives. […] Au regard des preuves présentées, le gouvernement du Royaume-Uni a décidé de suivre les recommandations de National Grid, en tant que system operator.

(122) En ce qui concerne la participation de la gestion de la demande, le Royaume-Uni a indiqué que la tenue des premières enchères en décembre 2014 serait clé pour obtenir des informations sur la gestion de la demande et sur son potentiel. En réponse au rapport du PTE, National Grid a suggéré un projet commun avec l’Energy Networks Association [Association des réseaux d’énergie] (y compris le Distribution Network Operators) [Opérateurs de réseaux de distribution] pour comprendre la capacité actuelle et la capacité potentielle que pouvait fournir la gestion de la demande. En outre, le Royaume-Uni a élaboré des dispositions relatives aux enchères transitoires afin de soutenir la croissance de la gestion de la demande de 2015 à 2016, ainsi qu’un projet pilote de 20 millions de GBP en matière d’efficacité énergétique [Electricity Demand Reduction pilot]. Enfin, le Royaume-Uni a expliqué qu’il examinerait les données issues des premières enchères et qu’il s’assurerait que les courbes de la demande soient ajustées de manière appropriée, ce qui serait pris en compte dans le processus Future Energy Scenario de National Grid pour les rapports sur la capacité électrique destinés aux futures enchères.

[…]

(124) La Commission a apprécié les initiatives prises par le Royaume-Uni afin de répondre au rapport du PTE et a estimé que certaines des préoccupations identifiées par le PTE étaient sérieuses, en particulier les estimations trop prudentes selon lesquelles l’interconnexion aurait une contribution nette de zéro lors des périodes de tension sur le réseau. […]

(125) La Commission considère que [les engagements pris par le Royaume-Uni] sont suffisants pour apporter une réponse aux préoccupations méthodologiques qui existaient s’agissant de la contribution de l’interconnexion et de son estimation.

[…]

(128) Quatrièmement, la mesure notifiée peut avoir pour résultat de soutenir la production à partir de combustibles fossiles. Cependant, comme indiqué aux considérants (88) à (94), le Royaume-Uni envisage ou met en œuvre des mesures supplémentaires pour remédier aux défaillances du marché identifiées. Ces mesures visent à encourager la gestion de la demande, à réformer les « cash-out arrangements » et à promouvoir un plus haut niveau d’interconnexion. La Commission estime que ces mesures alternatives devraient donc conduire à une réduction des capacités requises au titre de la mesure notifiée. En outre, la Commission note que le Royaume-Uni propose des mesures ad hoc pour soutenir la production à faible émission de carbone (par exemple « Contracts for Differences ») et a adopté de normes de performance rigoureuses en matière d’émissions. En conséquence, la Commission estime que le Royaume-Uni a suffisamment exploré les moyens d’atténuer les effets négatifs que la mesure notifiée pourrait avoir sur l’objectif d’élimination progressive des subventions préjudiciables à l’environnement. En outre, la Commission note que l’évaluation de l’adéquation des capacités de production annuelle prend en compte le volume de production, la contribution des interconnecteurs tout en étant ouverte à tous les types de fournisseurs de capacités, y compris les opérateurs de gestion de la demande.

(129) En ce qui concerne la lettre soumise par les opérateurs de gestion de la demande, la Commission partage l’avis du Royaume-Uni selon lequel des contrats de capacité de quinze ans peuvent être justifiés pour les nouvelles centrales alors que les centrales existantes et les opérateurs de gestion de la demande, compte tenu de leur moindre besoin en capital (indiquant une moindre importance de s’assurer un financement), ne bénéficieraient pas de manière significative de contrats à long terme […]. Par conséquent, la Commission ne considère pas que des contrats plus courts désavantagent clairement les centrales existantes et les opérateurs de gestion de la demande par rapport aux nouvelles centrales. La mesure est neutre sur le plan technologique et ne renforce donc pas la position des producteurs utilisant des combustibles fossiles. La Commission note également que la méthode de recouvrement des coûts conserve une incitation à réduire la demande lors des périodes de pointe, tout en étant prévisible pour les fournisseurs d’électricité. »

31      Sous le point 3.3.2 « Caractère approprié de l’aide » de la décision attaquée, la Commission affirme ce qui suit :

« (130) La Commission estime que la mesure est appropriée, comme l’exige le point 3.9.3 des lignes directrices. […]

(131) Premièrement, la mesure répond aux défaillances du marché identifiées, telles qu’indiquées dans le tableau 1. En outre, la mesure a été conçue pour soutenir et compléter les développements en cours sur le marché et être cohérente avec le marché intérieur de l’énergie et les politiques énergétiques de l’Union européenne : c’est-à-dire le développement d’une gestion active de la demande, un accroissement de la concurrence et de l’investissement dans les capacités d’interconnexion. […]

–        Le marché de capacité aidera le développement d’une gestion active de la demande. Les ressources de gestion de la demande pourront recevoir des paiements de capacité et il y aura des mesures spécifiques pour aider la capacité de cette industrie, qui en est encore à ses débuts, à se développer. Le marché de capacité soutiendra la liquidité et la concurrence (à la fois sur le marché de capacité et sur le marché de l’électricité).

[…]

(134) Troisièmement, la mesure est ouverte aux producteurs existants et nouveaux, aux opérateurs de stockage et aux opérateurs de gestion de la demande. Le processus de mise aux enchères a été conçu pour tenir compte de différents délais de réalisation nécessaires pour rendre la capacité disponible. Les fournisseurs de capacité peuvent soumissionner pour des délais de réalisation d’un ou quatre ans, ce qui devrait répondre aux besoins des nouvelles centrales et à ceux de la remise en état des centrales existantes.

[…]

(140) En ce qui concerne la lettre soumise par les opérateurs de gestion de la demande, la Commission note que l’exclusion des opérateurs de gestion de la demande titulaires d’un contrat de capacité au titre du régime durable de participer aux enchères transitoires vise en fait à promouvoir le développement du secteur de la gestion de la demande. En outre, compte tenu de l’objectif poursuivi par la mesure, la Commission considère justifiée l’absence de rémunération supplémentaire pour les économies en matière de pertes de transport et de distribution de l’électricité réalisées grâce à la gestion de la demande. »

32      Sous le point 3.3.5 « Limitation des effets négatifs sur la concurrence et sur les échanges » de la décision attaquée, la Commission précise ce qui suit :

« (149) [L]a mesure est ouverte à tous les producteurs, aux opérateurs de gestion de la demande et aux opérateurs de stockage existants et nouveaux soumis aux conditions d’éligibilité énumérées aux considérants (15) à (18). »

II.    Procédure et conclusions des parties

33      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 décembre 2014, Tempus a introduit le présent recours.

34      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 15 avril 2015, le Royaume-Uni a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du 30 juin 2015, le président de la huitième chambre du Tribunal a admis cette intervention. Le Royaume-Uni a déposé un mémoire et les parties principales ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

35      La composition du Tribunal ayant été modifiée, l’affaire a été attribuée à un nouveau juge rapporteur le 27 avril 2016.

36      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la troisième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

37      Par mesure d’organisation de la procédure du 20 décembre 2016, le Tribunal a invité la Commission à produire la notification de la mesure en cause qui lui avait été transmise par le Royaume-Uni.

38      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 13 février 2017, la Commission a soumis au Tribunal une version non confidentielle de la notification que lui avait transmise le Royaume-Uni. Elle a fait valoir que la notification en question était un document confidentiel, protégé par l’article 339 TFUE, ne pouvant être transmis à Tempus. Elle a déclaré ne pas être en mesure de transmettre ce document au Tribunal sur le fondement d’une mesure d’organisation de la procédure conformément à l’article 90 du règlement de procédure du Tribunal. La Commission a fait savoir que, si le Tribunal lui ordonnait de produire ce document sur le fondement de l’article 91 du règlement de procédure, elle se conformerait immédiatement à une telle mesure d’instruction.

39      Par ordonnance du 9 mars 2017 relative à une mesure d’instruction concernant la production de documents, le Tribunal a enjoint à la Commission, sur le fondement de l’article 91, sous b), de l’article 92, paragraphe 1, et de l’article 103, paragraphe 1, du règlement de procédure de produire la notification de la mesure en cause qui lui avait été transmise par le Royaume-Uni. La Commission a déféré à cette demande le 16 mars 2017.

40      Par mesure d’organisation de la procédure du 3 avril 2017, le Tribunal a indiqué à la Commission et au Royaume-Uni son intention de verser au dossier plusieurs extraits de la notification. Le Tribunal les a invités à présenter leurs observations quant à la divulgation desdits extraits. Le Royaume-Uni et la Commission ont, respectivement, présenté leurs observations sur la divulgation de ces extraits le 19 avril 2017 et le 24 avril 2017.

41      Le 5 mai 2017, certains extraits de la notification, jugés pertinents et non confidentiels, ont été versés au dossier et transmis à Tempus (ci-après la « notification »).

42      Par mesure d’organisation de la procédure du 5 mai 2017, le Tribunal a invité l’ensemble des parties à répondre à plusieurs questions. En substance, le Tribunal a interrogé les parties sur certains paragraphes des lignes directrices et sur certaines notions qu’elles contiennent. Les parties ont notamment été interrogées sur les informations disponibles au moment de l’adoption de la décision attaquée en ce qui concerne l’évaluation de la gestion de la demande et ses potentielles évolutions technologiques au regard de la sécurité de l’approvisionnement au Royaume-Uni. Par ailleurs, la Commission a été invitée à préciser sa position quant à certaines affirmations contenues dans la décision attaquée et les éléments dont elle disposait lors de son appréciation de la mesure en cause. En outre, le Tribunal a invité Tempus à commenter les affirmations de la Commission, dans la duplique, s’agissant de la méthode de recouvrement des coûts. La Commission a aussi été invitée à indiquer les éléments sur lesquels elle avait fondé son évaluation des besoins de financement des opérateurs de gestion de la demande et Tempus a été invitée à indiquer quels avaient été les éléments de preuve de ces besoins de financement fournis au Royaume-Uni et à la Commission.

43      Le 22 mai 2017, les parties ont déféré à cette mesure.

44      Par actes déposés au greffe du Tribunal les 17 mai et 9 juin 2017, Tempus a émis des observations sur le rapport d’audience.

45      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 29 juin 2017, Tempus a, au nom de l’égalité des armes, sollicité du Tribunal qu’il réexamine l’annexe B de la notification, sur laquelle s’était appuyés la Commission et le Royaume-Uni dans leur réponse à la mesure d’organisation de la procédure du 5 mai 2017 et qu’il détermine si d’autres parties de cette annexe non encore divulguées devaient lui être communiquées.

46      Par ordonnance du 3 juillet 2017 relative à une mesure d’instruction concernant la production de documents, le Tribunal a enjoint à la Commission, sur le fondement de l’article 91, sous b), de l’article 92, paragraphe 1, et de l’article 103, paragraphe 1, du règlement de procédure, de produire ladite annexe B de la notification. La Commission a déféré à cette demande le 4 juillet 2017. Le 6 juillet 2017, cette annexe, jugée pertinente et non confidentielle par le Tribunal, a été versée au dossier et communiquée à Tempus.

47      Tempus conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

48      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou, à tout le moins, comme non fondé ;

–        condamner Tempus aux dépens.

49      Le Royaume-Uni soutient les conclusions de la Commission et conclut au rejet du recours.

III. En droit

A.      Sur la recevabilité

50      La Commission rappelle, dans le mémoire en défense, que, pour être recevable, le recours d’une partie intéressée doit être destiné à assurer la sauvegarde des droits procéduraux qu’elle tire de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1). Il ne devrait donc être tenu compte des arguments de Tempus relatifs au premier moyen que dans la mesure où ceux-ci tendraient effectivement à démontrer que la Commission n’était pas parvenue à surmonter les doutes auxquels elle a dû faire face lors de la phase d’examen préliminaire et que cela aurait affecté ses droits procéduraux.

51      À cet égard, il convient de relever que l’argument de la Commission ne vise pas à contester la recevabilité du recours dans son intégralité, mais seulement la partie de la requête qui ne concerne pas la défense des droits procéduraux de Tempus. Au cours de l’audience, d’ailleurs, la Commission a admis que les parties étaient d’accord pour dire que Tempus était recevable à défendre ses droits procéduraux. Au demeurant, il y a lieu de relever que la Commission n’a pas précisé les arguments qui, selon elle, ne devraient pas être pris en compte aux motifs qu’ils ne sont pas relatifs aux droits procéduraux de Tempus.

52      Eu égard à ce qui précède, l’argumentation de la Commission s’agissant de la recevabilité du premier moyen ne saurait être suivie.

B.      Sur le fond

53      En tant que partie intéressée et afin d’assurer la sauvegarde des droits procéduraux qu’elle tire de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, Tempus fait valoir deux moyens à l’appui de son recours tirés, le premier, de la violation de l’article 108, paragraphe 2, TFUE ainsi que de plusieurs autres règles de droit et, le second, d’un défaut de motivation.

1.      Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, de la violation des principes de non-discrimination, de proportionnalité et de protection de la confiance légitime ainsi que d’une appréciation erronée des faits

a)      Observations liminaires

54      Ainsi que l’expose le Royaume-Uni dans la notification et la Commission dans la décision attaquée, l’énergie électrique disponible dans cet État membre risquait dans un avenir proche de ne pas être suffisante pour satisfaire aux périodes de pics de demande. Les plus vieilles installations de production allaient prochainement fermer et le marché de l’électricité risquait de ne pas être suffisamment incitatif pour que les producteurs développent de nouvelles capacités de production pour compenser ces fermetures. Le marché de l’électricité n’offrirait également pas d’incitations suffisantes aux consommateurs pour qu’ils réduisent leur demande afin de remédier à cette situation. Pour garantir la sécurité d’approvisionnement, le Royaume-Uni estimait donc nécessaire d’instaurer un marché de capacité.

55      L’objet essentiel de ce marché de capacité était d’inciter les fournisseurs de capacité, c’est-à-dire, en principe, aussi bien les producteurs d’électricité (les centrales électriques, y compris les centrales utilisant des combustibles fossiles) que les opérateurs de gestion de la demande, qui proposent de décaler ou de réduire la consommation, à tenir compte des difficultés susceptibles d’intervenir pendant les périodes de pics de demande. Ainsi, même s’ils interviennent à des niveaux différents – l’offre pour la production, la demande pour la consommation – les producteurs et les opérateurs de gestion de la demande constituent des éléments indispensables de la structure et du mode de fonctionnement du marché de capacité envisagé par le Royaume-Uni.

56      Pour Tempus, toutefois, la Commission ne pouvait pas considérer, à l’issue d’un examen préliminaire et au vu des informations disponibles au moment de l’adoption de la décision attaquée, que le marché de capacité envisagé ne suscitait pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur. Tempus met ici en exergue, en tant qu’opérateur de gestion de la demande, sept aspects du marché de capacité qui suscitent autant de doutes au sens donné à cette notion par l’article 4 du règlement no 659/1999. En substance, elle fait valoir que le marché de capacité privilégie la production sur la gestion de la demande d’une manière discriminatoire et disproportionnée qui irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du régime d’aide et satisfaire aux règles de l’Union européenne applicables.

b)      Sur la notion de doutes et la décision de la Commission d’ouvrir ou non la procédure formelle d’examen

57      Ainsi qu’il ressort de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, si la Commission estime, après avoir été informée d’un projet tendant à instituer des aides, que ce projet n’est pas compatible avec le marché intérieur, elle ouvre sans délai la procédure prévue par l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Au titre de la procédure prévue par cette dernière disposition, la Commission a alors l’obligation de mettre les intéressés en demeure de présenter leurs observations.

58      L’article 4 du règlement no 659/1999 indique à cet égard que, pour autant que le projet notifié par l’État membre concerné institue effectivement une aide, c’est l’existence ou l’absence de « doutes » quant à la compatibilité de ce projet avec le marché intérieur qui permet à la Commission de décider ou non d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’issue de son examen préliminaire, dans les termes suivants :

« 1.       La Commission procède à l’examen de la notification du projet dès sa réception. […]

2.       Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée ne constitue pas une aide, elle le fait savoir par voie de décision.

3.       Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée, pour autant qu’elle entre dans le champ de l’article [107], paragraphe 1, [TFUE], ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché [intérieur], elle décide que cette mesure est compatible avec le marché [intérieur] ([la] “décision de ne pas soulever d’objections”). Cette décision précise quelle dérogation prévue par le traité a été appliquée.

4.       Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché [intérieur], elle décide d’ouvrir la procédure prévue à l’article [108], paragraphe 2, [TFUE] ([la] “décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen”) […] ».

59      L’article 6 du règlement no 659/1999 détaille, pour sa part, les modalités de la procédure formelle d’examen :

« 1.      La décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen récapitule les éléments pertinents de fait et de droit, inclut une évaluation préliminaire, par la Commission, de la mesure proposée visant à déterminer si elle présente le caractère d’une aide, et expose les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché [intérieur]. La décision invite l’État membre concerné et les autres parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai déterminé, qui ne dépasse normalement pas un mois. […]

2.       Les observations reçues sont communiquées à l’État membre concerné. […] L’État membre concerné a la possibilité de répondre aux observations transmises […] ».

60      Dans le cadre de la procédure de contrôle des aides d’État doivent donc être distinguées, d’une part, la phase préliminaire d’examen des aides instituée par l’article 108, paragraphe 3, TFUE et régie notamment par l’article 4 du règlement no 659/1999, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale de l’aide en cause, et, d’autre part, la phase d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE et régie notamment par l’article 6 du règlement no 659/1999, qui est destinée à permettre à la Commission d’avoir une information complète sur l’ensemble des données de l’affaire (voir arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, point 57 et jurisprudence citée).

61      La Commission peut s’en tenir à la phase préliminaire prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE pour prendre une décision favorable à une aide si elle est en mesure d’acquérir la conviction, au terme d’un premier examen, que le projet concerné est compatible avec le traité FUE. Cependant, si ce premier examen a conduit la Commission à acquérir la conviction contraire, ou même s’il n’a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l’appréciation de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur, la Commission a le devoir de s’entourer de tous les avis nécessaires et d’ouvrir, à cet effet, la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, points 58 et 59 et jurisprudence citée).

62      S’agissant de la notion de « doutes » quant à la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur, énoncée à l’article 4, paragraphes 3 et 4, du règlement no 659/1999, trois exigences ont été définies par la jurisprudence pour encadrer l’appréciation de la Commission.

63      Premièrement, cette notion revêt un caractère exclusif. Ainsi, la Commission ne saurait refuser d’ouvrir la procédure formelle d’examen en se prévalant d’autres circonstances, telles que l’intérêt de tiers, des considérations d’économie de procédure ou tout autre motif de convenance administrative ou politique (voir, en ce sens, arrêts du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International/Commission, T‑388/03, EU:T:2009:30, point 90 et jurisprudence citée, et du 10 juillet 2012, Smurfit Kappa Group/Commission, T‑304/08, EU:T:2012:351, point 78).

64      Deuxièmement, il résulte notamment de l’article 4, paragraphe 4, du règlement no 659/1999 que, lorsque la Commission ne parvient pas à éliminer tout doute au sens de cette disposition, elle a l’obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen. Elle ne dispose à cet égard d’aucune marge d’appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 113 et jurisprudence citée, et du 10 juillet 2012, Smurfit Kappa Group/Commission, T‑304/08, EU:T:2012:351, point 79 et jurisprudence citée).

65      Troisièmement, la notion de doutes énoncée à l’article 4, paragraphes 3 et 4, du règlement no 659/1999 revêt un caractère objectif. L’existence de tels doutes doit être recherchée tant dans les circonstances d’adoption de l’acte attaqué que dans son contenu, d’une manière objective, en mettant en rapport les motifs de la décision avec les éléments dont la Commission pouvait disposer lorsqu’elle s’est prononcée sur la compatibilité des aides litigieuses avec le marché intérieur. Il en découle que le contrôle de légalité effectué par le Tribunal sur l’existence de doutes dépasse, par nature, la recherche de l’erreur manifeste d’appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 2009, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, C‑431/07 P, EU:C:2009:223, point 63, et du 10 juillet 2012, Smurfit Kappa Group/Commission, T‑304/08, EU:T:2012:351, point 80 et jurisprudence citée).

66      Dans ce contexte, au titre du contrôle de légalité de la décision de la Commission de ne pas soulever d’objections, il incombe au Tribunal d’examiner les arguments avancés par Tempus pour établir que, après un examen préliminaire, la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur au sens de l’article 4, paragraphes 3 et 4, du règlement no 659/1999, ce qui aurait dû entraîner l’adoption d’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen. Un tel examen est d’autant plus important pour Tempus que ces arguments correspondent essentiellement à ceux qu’elle aurait pu avancer en tant que partie intéressée en faisant usage de ses droits procéduraux lors de la procédure formelle d’examen au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE si cette procédure avait été ouverte, droits procéduraux dont elle invoque, en l’espèce, la violation.

67      À cette fin, Tempus supporte la charge de la preuve qu’elle peut rapporter à partir d’un faisceau d’indices concordants, relatifs, d’une part, aux circonstances et à la durée de la procédure d’examen préliminaire et, d’autre part, au contenu de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International/Commission, T‑388/03, EU:T:2009:30, point 93). En particulier, le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen effectué par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire constitue un indice de l’existence de doutes au sens de l’article 4 du règlement no 659/1999 (voir arrêt du 10 juillet 2012, Smurfit Kappa Group/Commission, T‑304/08, EU:T:2012:351, point 81 et jurisprudence citée). Or, en tant que partie intéressée, Tempus ne dispose ni des pouvoirs d’enquête ni, en principe, de capacités d’investigation comparables à celles dont bénéficie la Commission, au besoin en sollicitant la coopération de l’État membre concerné, pour mener à bien son examen de la mesure notifiée.

68      Dès lors, en l’espèce et ainsi qu’il ressort des points 79 à 82 ci-après, à un stade de la procédure où les parties intéressées n’ont pas encore été mises en demeure de présenter leurs observations par une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, il suffit que Tempus expose les raisons pour lesquelles elle estime, au vu de la décision attaquée, que la Commission aurait dû avoir des doutes sur la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur. Elle n’est donc pas tenue de présenter tous les éléments de nature à établir l’incompatibilité du régime d’aide notifié.

69      À cet égard, il convient de rappeler que, pour être en mesure d’effectuer un examen suffisant au regard des règles applicables aux aides d’État, la Commission n’est pas tenue de limiter son analyse aux éléments contenus dans la notification de la mesure en cause. Elle peut et, le cas échéant, doit rechercher les informations pertinentes, afin de disposer, lors de l’adoption de la décision attaquée, d’éléments d’évaluation pouvant raisonnablement être considérés comme étant suffisants et clairs pour les besoins de son appréciation. Pour illustration, il a déjà été jugé que la Commission avait effectué un examen « actif et diligent » de la compatibilité d’une aide dès lors qu’elle s’était interrogée sur le bien-fondé des arguments avancés par l’État membre (voir, en ce sens, arrêts du 10 décembre 2008, Kronoply et Kronotex/Commission, T‑388/02, non publié, EU:T:2008:556, point 127) tandis qu’il a été considéré que cet examen était « insuffisant » dès lors qu’elle n’avait pas obtenu d’informations qui lui auraient permis d’apprécier une mesure (voir, en ce sens, arrêt du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International/Commission, T‑388/03, EU:T:2009:30, points 109 et 110).

70      Dès lors, pour prouver l’existence de doutes au sens de l’article 4, paragraphe 4, du règlement no 659/1999, il suffit que Tempus démontre que la Commission n’a pas recherché et examiné, de manière diligente et impartiale, l’ensemble des éléments pertinents aux fins de cette analyse ou qu’elle ne les a pas dûment pris en considération, de manière à éliminer tout doute quant à la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur.

71      En outre, il est de jurisprudence constante que la légalité d’une décision en matière d’aides d’État doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l’a arrêtée (voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, points 54 et 55 et jurisprudence citée). Or, les éléments d’information dont la Commission « pouvait disposer » incluent ceux qui apparaissaient pertinents pour l’appréciation que cette institution devait effectuer conformément à l’article 108, paragraphes 2 et 3, TFUE et à l’article 4, paragraphes 3 ou 4, du règlement no 659/1999.

72      Afin de démontrer l’existence de doutes quant à la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur, il est dès lors loisible à Tempus d’invoquer toute information pertinente dont disposait ou pouvait disposer la Commission à la date où elle a adopté la décision attaquée. De même, aux fins du contrôle de légalité que le Tribunal est appelé à effectuer à cet égard, celui-ci peut prendre en considération tout élément d’information qui est mentionné dans la décision attaquée au soutien de l’appréciation qui y est effectuée par la Commission.

73      En l’espèce, il convient dès lors de vérifier si les éléments avancés par Tempus devant le Tribunal, au vu des informations disponibles lors de l’adoption de la décision attaquée, étaient de nature à susciter des doutes quant à la compatibilité partielle ou totale de la mesure notifiée avec le marché intérieur, imposant dès lors à la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen, sans préjudice de l’exercice ultérieur par cette institution de son pouvoir d’appréciation de la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur à la suite de l’ouverture de ladite procédure.

c)      Sur la durée des discussions entre l’État membre et la Commission et les circonstances qui entourent l’adoption de la décision attaquée

74      Tempus souligne l’importance des questions auxquelles la Commission faisait face dans cette affaire, qui était la première procédure d’examen concernant un marché de capacité et l’application des lignes directrices. En l’espèce, la longueur des discussions entre le Royaume-Uni et la Commission, avant la notification, irait au-delà de ce qui est requis pour l’adoption d’une décision de ne pas soulever d’objections et constituerait un indice à même d’établir l’existence de doutes. Tempus fait aussi observer qu’il est paradoxal que la Commission considère, d’une part, qu’il n’est pas nécessaire d’ouvrir une procédure formelle d’examen sur le premier marché de capacité notifié et, d’autre part, qu’il convient par la suite de réaliser sur ce sujet la première enquête sectorielle jamais ouverte en matière d’aides d’État, afin de « mieux comprendre ces mesures et [de] garantir le respect des règles de l’UE » et d’atteindre « les parties intéressées qui ne sont pas entendues dans le cadre des procédures ordinaires en matière d’aides d’État » [voir, décision C(2015) 2814 final de la Commission, du 29 avril 2015, ouvrant une enquête sur des mécanismes de capacité dans le secteur de l’énergie en application de l’article 20 bis du règlement no 659/1999 et communiqué de presse correspondant].

75      La Commission rétorque que, en l’absence de plainte, seule la date de notification compte pour déterminer si la durée de la procédure préliminaire d’examen est de nature à révéler des doutes. Or, comme cette procédure a duré moins de deux mois, elle ne serait pas de nature à démontrer l’existence de doutes, mais reflèterait plutôt leur absence. En toute hypothèse, le marché de capacité ayant été conçu dans le cadre d’une consultation publique nationale qui a pris fin peu de temps avant la notification, les échanges que le Royaume-Uni a pu avoir avec la Commission lors de la prénotification seraient nécessairement dénués de pertinence pour savoir si la Commission pouvait avoir des doutes sur la mesure finalement notifiée. Quant au paradoxe évoqué par Tempus, la Commission fait valoir que la légalité de la décision attaquée s’apprécie à la lumière des informations disponibles au moment où elle se prononce sans qu’il puisse être tenu compte, pour un « effet psychologique », des décisions adoptées par la suite. En tout état de cause, la décision ultérieure d’ouvrir une enquête sectorielle sur les mécanismes de capacité dans d’autres États membres que le Royaume-Uni avait pour objectif d’« obtenir une meilleure compréhension de l’existence et du fonctionnement [de ces] mécanismes ». En ce qui concerne le marché de capacité du Royaume-Uni, une telle compréhension aurait déjà été acquise à l’issue de son examen individuel de la mesure notifiée.

76      Pour sa part, le Royaume-Uni soutient que la durée de la discussion qui précède la notification n’est pas de nature à révéler l’existence de doutes.

77      Aux termes de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, « [l]a Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides ». Cette obligation de notification permet à la Commission d’exercer son contrôle préalable sur tout projet d’aide. En effet, ainsi qu’il ressort de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, « [l]a Commission procède à l’examen de la notification dès sa réception ». L’article 4, paragraphe 5, du règlement no 659/1999, précise également que la Commission dispose d’un « délai de deux mois », qui « court à compter du jour suivant la réception d’une notification complète », pour prendre une décision au titre de l’examen préliminaire de la notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, afin, le cas échéant, d’engager la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE si la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur.

78      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’étendue du champ d’investigation couvert par la Commission lors de l’examen préliminaire ainsi que la complexité du dossier considéré peuvent indiquer que la procédure en cause a notablement excédé ce qu’implique normalement un premier examen opéré dans le cadre des dispositions de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Cette circonstance constitue un indice probant de l’existence de doutes au sens de l’article 4, paragraphes 3 ou 4, du règlement no 659/1999 (voir, arrêt du 7 novembre 2012, CBI/Commission, T‑137/10, EU:T:2012:584, point 285 et jurisprudence citée).

79      En l’espèce, force est de constater que la mesure notifiée est significative, complexe et nouvelle.

80      En effet, premièrement, dans la décision attaquée, la Commission a autorisé la mise en œuvre d’un régime d’aide pluriannuel pour une période de dix ans (voir considérants 6 et 162 de la décision attaquée). Les montants concernés par ce régime sont particulièrement importants en ce qu’ils oscillent entre 0,9 milliard et 2,6 milliards de GBP par an (voir considérant 7 de la décision attaquée), soit entre 8,1 et 23,4 milliards de GBP sur une période de dix ans, comme cela a été confirmé par la Commission lors de l’audience. Ainsi, pour 2018-2019, la première année de livraison envisagée par le marché de capacité, le Royaume-Uni avait fait part de son intention de mettre aux enchères une capacité totale de 53,3 gigawatts (GW).

81      Deuxièmement, tant la définition que la mise en œuvre de ce régime d’aide s’avèrent complexes. Les hypothèses exposées pour en justifier l’existence sont nombreuses et fondées sur des probabilités (voir considérants 79 à 82 de la décision attaquée). Plusieurs catégories d’opérateurs sont concernées selon des modalités qui peuvent varier d’une catégorie à l’autre et qui nécessitent de satisfaire certains critères d’éligibilité (voir considérants 15 à 27 de la décision attaquée). Différents mécanismes d’enchères sont définis et celles-ci se déroulent en plusieurs étapes (voir, notamment, considérants 28 à 51 de la décision attaquée). Cette mesure est susceptible de produire des effets significatifs et durables dans le temps, potentiellement bien au-delà de la période de dix ans pour laquelle elle a été autorisée, étant donné qu’elle permet à certains fournisseurs de capacité de conclure un contrat d’une durée allant jusqu’à quinze ans lors de chaque enchère T‑4 annuelle (voir considérant 57 de la décision attaquée). En particulier, ces effets concernent, aussi bien directement qu’indirectement et pour une longue durée, les producteurs existants et nouveaux ainsi que les opérateurs de gestion de la demande.

82      Troisièmement, comme l’affirme Tempus et ainsi que l’a exposé le vice-président de la Commission chargé de la concurrence quand il a résumé dans un communiqué de presse le contenu de la décision attaquée, il s’agit de la première fois que la Commission évalue un marché de capacité à la lumière des lignes directrices. La mesure en cause est donc nouvelle aussi bien en ce qui concerne son objet que ses implications pour l’avenir.

83      Au surplus, il peut être relevé – à l’instar de Tempus et aux seules fins de souligner la complexité et la nouveauté des questions auxquelles la Commission devait faire face dans la présente affaire – tant l’ouverture d’une enquête sectorielle concernant les marchés de capacité que l’ouverture, par la suite, dans certains cas et pour des raisons propres à chaque affaire, de procédures formelles d’examen concernant les marchés de capacité envisagés par d’autres États-membres. De tels évènements étant toutefois tous postérieurs au moment où la Commission a adopté la décision attaquée, ils ne sauraient avoir d’incidence sur l’appréciation du Tribunal quant à la légalité de la décision attaquée.

84      En l’espèce, il s’avère pourtant que, le 23 juillet 2014, à l’issue d’un examen préliminaire d’un mois, la Commission a considéré que la mesure notifiée par le Royaume-Uni le 23 juin 2014 ne suscitait pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur et qu’elle pouvait faire l’objet d’une décision de ne pas soulever d’objections. Les différents fournisseurs de capacité n’ont pas été invités à présenter des observations au cours de cette procédure, la Commission n’estimant pas cela nécessaire.

85      Contrairement à ce que fait valoir la Commission, au vu des circonstances de la présente affaire, le fait que l’examen préliminaire n’ait duré qu’un mois ne permet pas pour autant de considérer qu’il s’agit là d’un indice probant pour conclure à l’absence de doutes au terme du premier examen de la mesure en cause. En effet, ainsi que l’expose Tempus, il importe également de tenir compte de la durée et du contenu des contacts intervenus entre le Royaume-Uni et la Commission avant la notification de la mesure. Si de tels contacts ne sont pas inédits, mais plutôt encouragés par la Commission, ils présentent toutefois en l’espèce certaines caractéristiques qui mettent en exergue la complexité et la nouveauté de la mesure en cause.

86      À titre liminaire, il convient de rappeler que la phase de prénotification, issue de l’expérience acquise par la Commission dans la conduite des procédures de contrôle des aides d’État, a été formalisée dans le code de bonnes pratiques pour la conduite des procédures de contrôle des aides d’État, adopté par la Commission le 16 juin 2009 (JO 2009, C 136, p. 13, ci-après le « code de bonnes pratiques »). Même si, comme l’énonce d’ailleurs le paragraphe 8 du code de bonnes pratiques, celui-ci n’altère aucun droit ni aucune obligation énoncée dans le traité FUE et les différents règlements qui encadrent les procédures relatives aux aides d’État, ce code de bonnes pratiques permet de préciser l’objet, la durée et les modalités de tels contacts informels.

87      Ainsi, selon le paragraphe 10 du code de bonnes pratiques, la phase de prénotification permet aux services de la Commission et à l’État membre d’examiner ensemble, de manière informelle, les aspects juridiques et économiques d’un projet d’aide avant sa notification, afin d’améliorer la qualité et l’exhaustivité de celle-ci. Cette phase ouvre donc la voie à un traitement plus rapide des notifications, une fois qu’elles sont formellement soumises à la Commission.

88      Comme le code de bonnes pratiques le relève, la phase de prénotification a pour objet de faciliter la notification du projet envisagée, ceci afin de permettre à la Commission de procéder de manière optimale, dès la réception de cette notification, à son examen préliminaire. En effet, en application de l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 659/1999, la notification doit fournir tous les renseignements nécessaires pour permettre à la Commission de prendre une décision conformément à l’article°4 (décisions sur l’examen préliminaire de la notification) et à l’article 7 (décisions de clore la procédure formelle d’examen) de ce règlement.

89      L’objectif essentiel de la phase de prénotification consiste ainsi à réduire le risque que la notification puisse être considérée comme étant incomplète, ce qui retarderait d’autant la procédure d’examen du projet notifié. Conformément à l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, la Commission peut demander tous les renseignements complémentaires dont elle a besoin lors de la phase d’examen préliminaire si elle considère que les informations fournies sont incomplètes.

90      En revanche, la phase de prénotification n’a pas pour objet, surtout quand il s’agit d’un cas particulièrement nouveau ou complexe, d’apprécier la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur. La Commission indique d’ailleurs au paragraphe 16 du code de bonnes pratiques que, dans un tel cas, ses services ne fourniront pas en principe, à la fin de la phase de prénotification, d’« appréciation préliminaire informelle » sur la conformité du projet de notification et la compatibilité, à première vue, du projet envisagé avec le marché intérieur. En tout état de cause, une telle indication présentée par la Commission au titre des contacts informels et préalables intervenus à l’occasion de la phase de prénotification ne peut pas être considérée comme étant une prise de position officielle de la Commission adoptée au titre de l’examen de la notification.

91      En effet, ainsi que l’expose l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, ce n’est qu’à partir de la réception de la notification que la Commission procède à son examen. Une affirmation antérieure faite sur le caractère plus ou moins complet de la notification du projet envisagé au regard des règles applicables ne peut donc être assimilée à une appréciation intervenant dans le cadre des procédures de contrôle des aides d’État prévues par le traité FUE et par le règlement no 659/1999. La Commission ne peut confondre la phase, éventuellement préalable, de mise en état de la notification, avec celle de son examen, préliminaire initialement et, le cas échéant, formel par la suite, s’il s’avère nécessaire de lui permettre de recueillir toutes les informations dont elle a besoin pour évaluer la compatibilité de l’aide et de recueillir, à cet effet, les observations des parties intéressées.

92      Dans ce contexte, en premier lieu, il ressort de la notification que la phase de prénotification, laquelle englobe les contacts préalables à la notification qui interviennent entre la Commission et l’État membre concerné, a été significativement plus longue que la période de deux mois envisagée, en règle générale, par le code de bonnes pratiques.

93      En effet, les travaux du gouvernement du Royaume-Uni pour la mise en place d’un marché de capacité ont commencé dès 2010. Dès le mois de décembre 2012, soit environ 18 mois avant que la Commission ne procède à l’examen préliminaire de la notification en application de l’article 4 du règlement no 659/1999, le Royaume-Uni a informé la Commission du contenu de la mesure envisagée.

94      Au titre de ces contacts informels, la Commission a communiqué au Royaume-Uni une première série de questions concernant cette mesure, à laquelle le Royaume-Uni a répondu en juillet 2013.

95      Il ressort également de la notification que, le 25 mars 2014, la Commission a communiqué au Royaume-Uni une deuxième série de questions. Dans ces 47 questions, la Commission demandait notamment au Royaume-Uni de fournir des informations sur le rôle de l’interconnexion, sur la possibilité pour la gestion de la demande de participer au marché de capacité ou sur les différentes durées de contrats proposées aux producteurs. À titre d’exemple, dans la question n° 32, la Commission demandait au Royaume-Uni d’indiquer si les opérateurs de gestion de la demande allaient être autorisés à participer au marché de capacité et comment ils seraient traités. De même, dans la question n° 33, la Commission souhaitait savoir dans quelle mesure la capacité interconnectée allait être prise en compte. Le 31 mars 2014, le Royaume-Uni a répondu à ces questions et a communiqué à la Commission une version actualisée de la mesure envisagée.

96      Le 17 juin 2014, selon ce qu’expose une lettre du Royaume-Uni du 27 juin 2014 produite par la Commission devant le Tribunal, la Commission a informé le Royaume-Uni, « au terme d’une appréciation préliminaire » – faite en dehors du cadre formel prévu par l’article 4 du règlement no 659/1999, l’examen préliminaire ne commençant qu’à compter de la réception de la notification – qu’elle considérait le marché de capacité comme, à première vue, compatible avec l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE au vu des lignes directrices.

97      Ce même 17 juin 2014, la Commission a communiqué au Royaume-Uni une troisième série de questions portant, notamment, sur l’effet incitatif de la mesure envisagée, sur sa proportionnalité et sur d’éventuelles discriminations entre fournisseurs de capacité. Le Royaume-Uni a répondu à ces questions directement dans la notification, notamment dans l’annexe H qui y était jointe, et a fourni un résumé de ces réponses dans sa lettre susmentionnée du 27 juin 2014.

98      Or, en vertu des lignes directrices (voir, notamment, points 3.9.4, 3.9.5 et 3.9.6), il y a lieu de relever que les questions de l’effet incitatif, de la proportionnalité et de l’existence d’éventuelles discriminations font partie des éléments qui doivent nécessairement être appréciés dans le cadre de l’examen de la compatibilité d’une mesure d’aide en faveur de l’adéquation des capacités, telle que la mesure en cause. En d’autres termes, de manière contradictoire et alors même qu’une telle « appréciation préliminaire informelle » et non contraignante n’était pas envisagée au paragraphe 16 du code de bonnes pratiques dans les cas particulièrement nouveaux et complexes, la Commission considérait déjà à ce stade, avant même son examen préliminaire au titre du règlement no 659/1999, que la mesure envisagée était à première vue compatible avec les règles applicables, tout en éprouvant le besoin de solliciter en parallèle des informations sur des points clés d’un tel examen.

99      En deuxième lieu, parallèlement aux discussions susmentionnées intervenant entre le Royaume-Uni et la Commission, le Royaume-Uni a organisé, du 10 octobre au 24 décembre 2013, une consultation publique nationale relative au marché de capacité envisagé.Cette consultation ne concernait toutefois pas la question de la compatibilité de cette mesure au regard des règles applicables aux aides d’État. Elle se limitait seulement à évoquer la nécessité d’une autorisation préalable de la Commission à la mise en œuvre de la mesure envisagée.

100    À cet égard, il ne peut être considéré, comme cela ressort parfois de l’argumentation présentée par le Royaume-Uni et par la Commission, qu’une telle consultation nationale puisse être assimilée à une procédure permettant aux parties intéressées de présenter leurs observations comme cela aurait pu être le cas si la Commission avait ouvert la procédure formelle d’examen. En effet, dans le cadre des procédures de contrôle des aides d’État, l’État-membre concerné, dispensateur de l’aide, ne peut se substituer à la Commission, qui doit, en tant que gardienne des traités et conformément à l’article 108 TFUE, examiner tous les projets tendant à instituer des aides. C’est à la Commission et non à l’État-membre qu’il appartient, le cas échéant et dans le cadre de la procédure prévue à cet effet, de recueillir toutes les informations dont elle a besoin pour évaluer la compatibilité de l’aide. De même, c’est à la Commission et non à l’État dispensateur de l’aide que les parties intéressées doivent présenter leurs observations si elles estiment que cela est nécessaire pour permettre à la Commission de se prononcer en connaissance de cause sur la compatibilité de l’aide.

101    En troisième lieu, même si la Commission estime ne pas avoir reçu de plaintes (voir point 75 ci-dessus), il ressort de la notification et de la décision attaquée que trois types d’opérateurs ont souhaité, au vu des informations dont ils avaient connaissance au moment où ils sont intervenus, faire directement et spontanément part de leurs observations à la Commission sur la compatibilité de l’aide.

102    Ainsi, les 30 mai et 26 juin 2014, la Commission a reçu des observations d’un fournisseur de services d’équilibrage alléguant l’incompatibilité de l’aide avec les lignes directrices (voir considérants 96 et 97 de la décision attaquée).

103    De même, le 9 juin 2014, la Commission a reçu des observations de l’UK Demand Response Association (UKDRA, association de gestion de la demande du Royaume-Uni) alléguant également que la mesure envisagée était contraire aux lignes directrices. En particulier, l’UKDRA évoquait les différentes durées de contrat des opérateurs de gestion de la demande et des producteurs, l’exclusion mutuelle entre la participation aux enchères transitoires et celle aux enchères durables, la méthode de recouvrement des coûts du marché de capacité et l’absence de prise en compte de l’effet de la gestion de la demande sur les coûts de transport et de distribution de l’électricité. L’UKDRA indiquait aussi que, depuis la consultation nationale effectuée par le Royaume-Uni, des modifications substantielles avaient été apportées au projet envisagé, afin notamment de soutenir la production d’électricité à partir de combustibles fossiles (voir considérants 101 et 102 de la décision attaquée).

104    Enfin, les 25 juin et 3 juillet 2014, la Commission a reçu des lettres d’un opérateur ayant fait l’acquisition de centrales existantes. Cet opérateur alléguait que la différence de traitement entre les centrales existantes et les nouvelles centrales – les premières ne pouvant notamment accéder qu’à des contrats d’un an contrairement aux autres – n’était pas conforme au droit de l’Union (voir considérants 98 à 100 de la décision attaquée).

105    Les observations du Royaume-Uni en réponse à ces interventions ont été présentées à la Commission dans l’annexe I jointe à la notification. Le Royaume-Uni indiquant à ce propos qu’il répondait aux allégations faites dans les deux « plaintes » qui avaient été jointes par la Commission à la troisième série de questions posées le 17 juin 2014, à savoir celles présentées le 30 mai et le 9 juin 2014, ainsi qu’aux allégations faites dans une « autre plainte », qui, d’après le Royaume-Uni, allait prochainement être transmise à la Commission par un opérateur ayant fait l’acquisition de centrales existantes (voir considérants 103 à 107 de la décision attaquée, sous l’intitulé « Observations du Royaume-Uni »). Par ailleurs, dans un courriel du 28 juin 2014, adressé à la Commission, le Royaume-Uni a d’une part, présenté, parmi les éléments relatifs à la durée des contrats, à la gestion d’un réseau de stockage et au nucléaire, un tableau récapitulant les différences de traitement entre fournisseurs de capacité et, d’autre part, rappelé que, « pour chacune des plaintes, la notification comport[ait] des informations additionnelles, principalement dans l’annexe I ».

106    Il ressort de tout ce qui précède que la durée de la phase de prénotification a été significativement plus longue que la période de deux mois envisagée, en règle générale, par le code de bonnes pratiques.

107    Il s’avère également que la mesure envisagée non seulement soulevait, dès le départ, plusieurs difficultés relevées par la Commission au titre de la phase de prénotification, mais continuait également de soulever de telles difficultés à la fin de cette phase. En effet, après plus d’une année de contacts informels, la Commission a interrogé le Royaume-Uni sur le rôle de l’interconnexion, sur le statut de gestion de la demande et sur les différences de traitement entre producteurs. De même, au terme de cette procédure informelle, la Commission a demandé au Royaume-Uni des précisions sur plusieurs points évoqués par les lignes directrices, qui constituaient le cadre d’analyse de la mesure envisagée qui allait entrer en vigueur.

108    Néanmoins, à ce stade de la procédure, alors même que la Commission était sur le point de commencer l’examen préliminaire de la notification et que trois types d’opérateurs différents étaient intervenus auprès d’elle pour faire part de leurs préoccupations quant à la compatibilité de la mesure envisagée, elle a considéré qu’elle n’avait pas de doutes et qu’il ne lui était donc pas nécessaire de solliciter les observations des parties intéressées sur les différents choix opérés par le Royaume-Uni dans la notification.

109    Dans ces circonstances, la longueur et les circonstances de la phase de prénotification qui témoignent des difficultés occasionnées par la nécessité de rassembler les informations pertinentes pour permettre à la Commission d’examiner la notification du régime d’aide au regard des dispositions pertinentes du traité FUE, du règlement no 659/1999 et des lignes directrices, tout comme la variété des observations transmises à propos de ce régime d’aide par trois types d’opérateurs différents, ne permettent pas de considérer que la courte durée de la procédure préliminaire d’examen constitue un indice de l’absence de doutes quant à la compatibilité de ce régime avec le marché intérieur, mais sont, tout au contraire, susceptibles de constituer un indice de l’existence de tels doutes.

110    En outre, il ne ressort pas du dossier que, à l’occasion du mois consacré à l’examen préliminaire de la notification, la Commission se soit livrée à une instruction particulière du dossier en ce qui concerne le rôle de la gestion de la demande au sein du marché de capacité. En effet, le seul document fourni sur ce point par la Commission au Tribunal est le courriel du Royaume-Uni du 28 juin 2014 (voir ci-dessus point 105). Dans ce courriel, le Royaume-Uni présente notamment un exposé, sous la forme d’un tableau, des différences de traitement entre fournisseurs de capacité en réponse à des préoccupations exposées à ce propos, vraisemblablement par l’opérateur ayant fait l’acquisition de centrales existantes. La décision attaquée ne fait pas formellement état de cet échange, pas plus qu’elle ne permet d’établir que, à la suite de la réception de ce tableau ou des autres éléments que comporte ce courriel, la Commission se soit interrogée sur leur contenu en ce qui concerne le rôle de la gestion de la demande au sein du marché de capacité, soit à nouveau auprès du Royaume-Uni, soit auprès des parties intéressées. En tout état de cause, ledit tableau ne fait que synthétiser les différences qui existent, au sein du marché de capacité qui est présenté dans la notification, entre les trois types d’opérateurs suivants : premièrement, les centrales existantes et les centrales rénovées ; deuxièmement, les nouvelles centrales et, troisièmement, les opérateurs de gestion de la demande. Ce document ne fournit pas d’éléments permettant d’établir une appréciation autonome de la Commission au regard des critères définis dans les lignes directrices (voir, à ce sujet, points 117 et suivants ci-après).

111    En conséquence, s’agissant de la durée des discussions entre l’État membre et la Commission et des circonstances qui entourent l’adoption de la décision attaquée, il ressort de tout ce qui précède que la mesure notifiée est significative, complexe et nouvelle, et qu’elle a donné lieu à une longue phase de prénotification, à l’occasion de laquelle la Commission a posé de nombreuses questions au Royaume-Uni afin d’obtenir d’importantes clarifications, tout particulièrement en ce qui concerne l’appréciation de cette mesure au regard des lignes directrices. Il en ressort également que cette mesure était contestée sous trois aspects par différents opérateurs qui devaient en bénéficier.

112    De même, il ne ressort pas du dossier que, dans une telle situation, la Commission ait effectué, lors de l’examen préliminaire, une instruction particulière portant sur les informations transmises par le Royaume-Uni en ce qui concerne le rôle de la gestion de la demande au sein du marché de capacité.

113    Or, compte tenu des caractéristiques du régime d’aide en cause et des spécificités de la phase de prénotification, la Commission ne se trouvait pas dans une situation où elle pouvait se contenter de s’en remettre aux éléments d’information présentés par l’État membre concerné sans mener sa propre évaluation afin d’examiner et au besoin de rechercher, le cas échéant auprès des autres parties intéressées, les informations pertinentes pour les besoins de son appréciation (voir point 69 ci-dessus).

114    En l’absence d’éléments fournis par la Commission pour attester d’un tel examen, il est donc permis de considérer que celle-ci s’est limitée, dans la présente affaire, à demander et à reprendre les éléments présentés par l’État membre concerné sans mener à cet égard sa propre analyse.

115    De telles circonstances constituent, ainsi que le fait valoir Tempus, un indice à même d’établir l’existence de doutes quant à la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur.

116    Il convient dès lors d’examiner si des éléments relatifs au contenu de la décision attaquée peuvent, compte tenu des observations présentées à cet égard par Tempus au titre de la présente affaire, également constituer des indices indiquant que la Commission aurait dû avoir des doutes à l’issue de l’examen préliminaire de la mesure notifiée.

d)      Sur l’appréciation par la Commission, au stade de l’examen préliminaire et en considération des éléments disponibles, du rôle de la gestion de la demande au sein du marché de capacité

117    Tempus fait valoir que la Commission n’a pas apprécié correctement le rôle de la gestion de la demande sur le marché de capacité, au regard notamment des lignes directrices qui ont pour objectif de « faciliter » ou d’« encourager » la gestion de la demande. Elle se réfère également à des documents de la Commission qui évoquent la nécessité de reconnaître « la participation potentielle des acteurs de la demande dans le système » afin d’éviter « des investissements caducs dans la production ». Dès lors, au lieu de se borner à approuver la position du Royaume-Uni, selon laquelle « la tenue de la première mise aux enchères en décembre 2014 sera essentielle pour obtenir des informations sur la gestion de la demande et son potentiel » et les mises aux enchères transitoires devraient être suffisantes (voir considérant 122 de la décision attaquée), la Commission aurait dû exiger ou procéder elle-même à une évaluation adéquate du potentiel de la gestion de la demande. Cette analyse aurait eu pour effet de réduire le « montant de capacité de production » disponible dès les premières enchères T‑4 et d’éviter le gaspillage de ressources publiques au détriment du consommateur. La participation des opérateurs de gestion de la demande aux enchères T‑1 ne permettrait pas de compenser cette situation en raison de la faible capacité réservée à ces enchères et de l’engagement du Royaume-Uni de réduire, si possible, le « montant de capacité à obtenir lors de la mise aux enchères prévue une année à l’avance en 2017 ». Dans ces circonstances, la production à partir de combustibles fossiles profiterait dès le départ d’un « verrou » qui risquerait de bloquer pendant des années la capacité qui aurait pu être fournie du côté de la demande.

118    Par ailleurs, les autres mesures auxquelles la Commission se réfère dans le mémoire en défense ne pourraient pas être assimilées à des mesures de soutien de la gestion de la demande au sein du régime d’aide ou à des mesures conçues spécialement pour répondre au problème lié à l’adéquation des capacités. De même, contrairement à ce que fait valoir la Commission dans le mémoire en défense, le seuil d’entrée de 2 MW prévu pour que les opérateurs de gestion de la demande puissent participer aux enchères du régime durable ne serait pas « bas », comme le montreraient des exemples tirés d’autres systèmes, comme le marché de capacité Pennsylvania Jersey Maryland (PJM) et le New York Independent System Operator (NYISO), où le seuil d’entrée serait 20 fois plus bas, à 100 kW.

119    La Commission fait observer que la gestion de la demande serait, en soi, insuffisante pour prévenir le risque de pénurie de capacité. De plus, Tempus n’établirait pas que la Commission n’a pas correctement analysé le rôle potentiel de la gestion de la demande et qu’elle aurait dû avoir, de ce fait, des doutes l’obligeant à ouvrir la procédure formelle d’examen. Ainsi, Tempus omettrait de se référer aux mesures générales de soutien à la gestion de la demande mises en œuvre indépendamment du marché de capacité par le Royaume-Uni. De même, Tempus ne tiendrait pas compte des caractéristiques du marché de capacité du Royaume-Uni destinées à favoriser la gestion de la demande, comme le « seuil bas de 2 MW », requis pour participer aux enchères durables, et les modalités d’agrégation pour les opérateurs dont les CMU se situeraient en deçà de ce seuil. Enfin, la gestion de la demande ne serait pas exclue des enchères T‑4 et les opérateurs de gestion de la demande pourraient soumissionner pour la même durée contractuelle que les producteurs existants. Le risque de « verrouillage » des capacités aurait été réduit au minimum et l’éventuel risque résiduel serait compensé par les effets positifs de la stimulation de nouveaux investissements pour répondre au défi de l’adéquation des capacités.

120    Le Royaume-Uni estime que Tempus lui reproche de ne pas avoir fait davantage pour encourager et faciliter la gestion de la demande sans pour autant établir l’existence de doutes quant à la compatibilité du marché de capacité avec le marché intérieur. La gestion de la demande ne suffirait pas, en tant que telle, à garantir la sécurité de l’approvisionnement. Dès lors, même s’il est important que les opérateurs de gestion de la demande puissent pleinement participer au marché de capacité, celui-ci n’aurait pas à être conçu de façon à principalement les encourager. Le Royaume-Uni conteste le fait que l’attribution de contrats de capacité aux producteurs, existants ou nouveaux, serait un gaspillage de ressources compte tenu de l’importance de ces contrats pour atteindre l’objectif de sécurité de l’approvisionnement.

1)      Équivalence et intérêts de la production et de la gestion de la demande

121    Il ressort des réponses aux questions écrites posées par le Tribunal le 5 mai 2017 que la Commission reconnaît que, pour les besoins notamment de la mise en œuvre du paragraphe 232, sous a), des lignes directrices, tant la capacité offerte par les producteurs que celle offerte par les opérateurs de gestion de la demande peuvent contribuer à remédier au problème d’adéquation des capacités identifié par le Royaume-Uni. En effet, interrogée sur ce point, la Commission a souligné que, « en principe, les deux types de capacités sont capables de contribuer, par leurs qualités techniques, à faire face aux défaillances résiduelles du marché recensées par le Royaume-Uni » (dont le « “missing money” problem » évoqué au considérant 85 de la décision attaquée).

122    La Commission est également d’accord avec Tempus pour reconnaître que la notion d’équivalence technique ne signifie pas pour autant identité.

123    Ainsi, dans sa réponse, la Commission a souligné ce qui suit :

« Il convient toutefois de noter que les deux types de capacité ont des facultés et des avantages spécifiques. De (nouvelles) capacités de production (notamment les énergies renouvelables) sont nécessaires pour servir de base à l’injection d’électricité dans le réseau, tandis que l’écrêtement et le changement de la demande dans les périodes de pointe par la gestion de la demande peuvent réduire le besoin en capacités de production, qui ne seraient nécessaires que pour un nombre d’heures limité durant l’année (et construire de nouvelles capacités de production serait donc trop cher à cet effet). »

124    Pour sa part, Tempus a indiqué sur ce point ce qui suit :

« [L]a gestion de la demande a démontré qu’elle pouvait excéder les exigences de performances techniques minimales afin de fournir de la capacité, en particulier lorsque les législateurs prennent le temps de comprendre sa nature et conçoivent le cadre réglementaire afin de la faciliter et de l’encourager au mieux. La gestion de la demande n’est pas la même chose que la production et ne doit pas l’être. ‘Solutions aux qualités techniques équivalentes’ ne signifie pas les mêmes performances, mais uniquement la capacité technique de parvenir aux mêmes résultats/produits […]. Un système d’énergie sûr et fiable nécessite des sources diversifiées présentant divers avantages. En plus d’être une source de capacité flexible et rentable, la gestion de la demande entraîne les coûts à la baisse en allégeant la pression sur les infrastructures de distribution et de transmission et en réduisant la nécessité d’améliorer les infrastructures à grand renfort de dépenses ; elle améliore la fiabilité du réseau, encourage l’intelligence et l’implication des consommateurs, renforce l’innovation et la concurrence sur le marché de l’approvisionnement, améliore la valeur et la viabilité de la production d’énergies renouvelables intermittentes en faisant correspondre les modèles d’approvisionnement sans devoir doubler la production en passant par une centrale de combustibles fossiles de secours et, dans l’ensemble, joue un rôle unique et important en garantissant la sécurité de l’approvisionnement à un coût minimum pour les consommateurs. »

125    Il ressort de ce qui précède que si la production et la gestion de la demande peuvent l’une et l’autre contribuer à remédier au problème d’adéquation des capacités identifié par le Royaume-Uni, chacune présente un intérêt qui lui est propre. Les capacités de production alimentent le réseau en électricité, tandis que les capacités de gestion de la demande permettent l’écrêtement et la modulation de la demande lors des périodes de pics, réduisant ainsi le besoin en matière de capacités de production qui ne seraient nécessaires que pour un nombre limité d’heures durant l’année, ce qui évite donc la construction de nouvelles capacités de production qui, dans ces conditions, serait trop coûteuses.

126    Dès lors, en application du paragraphe 232, sous a), des lignes directrices, il appartenait à la Commission de s’assurer que le régime d’aide était conçu de manière à ce que la gestion de la demande puisse y participer au même titre que la production, parce que les capacités correspondantes permettaient de remédier de manière effective au problème d’adéquation des capacités.

127    Dans ce contexte, ainsi qu’il ressort notamment du paragraphe 226 des lignes directrices, les mesures d’aide devraient être ouvertes et fournir des incitations adéquates aux opérateurs concernés.

128    La question centrale de la présente affaire n’est donc pas tant de savoir si la gestion de la demande peut jouer un rôle pour assurer le bon fonctionnement du marché de capacité, ce qui est bien le cas, ni, comme l’affirment la Commission et le Royaume-Uni, si elle peut être à même de répondre en tant que telle et à court terme au problème d’adéquation des capacités, ce que ne soutient pas Tempus. La question clé est plutôt de savoir si le rôle susceptible d’être joué par la gestion de la demande a été suffisamment évalué au regard des principes définis par les lignes directrices.

129    C’est au regard de ce qui précède qu’il convient d’examiner les arguments de Tempus reprochant à la Commission d’avoir autorisé la mesure en cause, à l’issue d’un examen préliminaire d’un mois, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue pour permettre à la Commission de recueillir toutes les informations dont elle aurait eu besoin pour évaluer la compatibilité de l’aide et pour permettre aux parties intéressées de présenter leurs observations.

2)      Rôle positif de la gestion de la demande

130    Ainsi qu’il ressort du document de la Commission du 5 novembre 2013 intitulé « Commission Staff Working Document, Generation Adequacy in the internal electricity market – guidance on public interventions » [SWD(2013) 438 final], cité par le Royaume-Uni au paragraphe 219 de la notification : « [l]es mécanismes de capacité doivent être conçus en tenant pleinement compte des caractéristiques propres à la gestion de la demande plutôt qu’en définissant des produits en partant du postulat qu’ils seront satisfaits par de la nouvelle production ».

131    Dans cette perspective, au paragraphe 220 de la notification, le Royaume-Uni a souligné que « la gestion de la demande […] a[vait] le potentiel d’offrir une capacité fiable et une manière plus rentable d’assurer la sécurité de l’approvisionnement ». Au même point, le Royaume-Uni a présenté la gestion de la demande comme une alternative à l’investissement dans des capacités de production, à moindre coût pour les consommateurs. Pour cet État membre, un plus grand développement de la gestion de la demande constitue une étape importante vers un marché de l’électricité plus efficace, où les participants répondent mieux aux signaux de prix en réduisant la demande lorsque l’électricité est rare et les prix sont élevés ou en consommant de l’électricité lorsque la production excède la demande.

132    Par ailleurs, le Royaume-Uni a indiqué, aux paragraphes 61 et 188 de la notification, que la participation des opérateurs de gestion de la demande au marché de capacité était bénéfique pour la concurrence au sein du marché de capacité, mais aussi plus largement au sein du marché de l’énergie.

133    De même, le Royaume-Uni insiste dans la notification sur le fait que, plus la gestion de la demande est importante, moins la nécessité du marché de capacité se fait ressentir. En effet, le Royaume-Uni indique que le marché de capacité sera supprimé quand il ne sera plus nécessaire, ce qui devrait intervenir avec le développement progressif de la gestion de la demande (voir pages 7, 8, 45 et 46 de la notification).

134    Cette analyse est, en substance, la même que celle qui est exposée par Tempus dans la requête, où elle relève que la technologie de gestion de la demande permet aux clients de décaler concrètement des besoins non soumis à des contraintes de temps et ainsi de délester les périodes de pics de demande. Une consommation optimisée, qui réagit rapidement, remplace ainsi une consommation habituelle. Dans ce contexte, la gestion de la demande, qui permet de réduire les pics de demande ou bien de réduire celle-ci lorsque la production est limitée, constitue une alternative à la production, notamment à la production la plus coûteuse sur le plan environnemental.

135    Ces propos, du Royaume-Uni comme de Tempus, traduisent le potentiel réel que représente la gestion de la demande au titre d’un marché de capacité. Ainsi, plus la prise en compte de cette composante de la combinaison des technologies sera rapide et précise, moins il y aura lieu pour le Royaume-Uni d’avoir recours à la capacité de production pour répondre au problème d’adéquation des capacités.

3)      Éléments disponibles concernant le potentiel de la gestion de la demande

136    Il convient de relever que, dans l’annexe B de la notification, intitulée « UK Checklist against the Commission Staff Working Document on Generation Adequacy in the internal electricity market – guidance on public interventions », le Royaume-Uni a répondu comme suit à une question visant à savoir si « le potentiel de la gestion de la demande ainsi qu’une date réaliste concernant sa matérialisation avaient été intégrées dans l’analyse [des besoins en capacité] » :

« La gestion de la demande devrait bénéficier d’une participation directe au marché de capacité, ainsi que de sa participation au régime transitoire. [...] Chaque année, National Grid évaluera la quantité de gestion de la demande actuellement disponible et estimera la gestion de la demande potentielle susceptible de se manifester au cours de la période – dans le cadre de l’analyse qui orientera la prise de décision quant à la capacité à se procurer lors des enchères. Aux États-Unis, le marché de capacité PJM a permis à la gestion de la demande de fournir environ 15 GW sur 10 ans [ce chiffre étant atteint, au vu du tableau, pour la période de livraison 2015/2016]. Toutefois, le marché de capacité PJM comprend environ le triple de la demande du marché du Royaume-Uni. National Grid estime que la gestion de la demande pourrait fournir environ 3 GW de capacité en 2018/19. Les estimations relatives au développement de la gestion de la demande sont très incertaines et difficiles à obtenir. Cependant, le régime transitoire soutiendra le développement de ce secteur et encouragera une plus grande participation de la gestion de la demande au principal marché de capacité ».

137    Au paragraphe 221 de la notification, le Royaume-Uni fait également référence aux résultats observés aux États-Unis en indiquant que « les données provenant des États-Unis ont démontré que les marchés de capacité avec enchères centralisées ont extrêmement bien réussi à promouvoir la gestion de la demande ». En effet, selon le graphique présenté par le Royaume-Uni dans la notification, à partir de la période 2012/2013, la capacité fournie par la gestion de la demande au titre des enchères annuelles du marché de capacité PJM était supérieure à 5 GW et atteignait 15 GW de contrats accordés en 2015/2016.

138    Par ailleurs, interrogée sur les différentes informations disponibles en ce qui concerne l’évaluation du potentiel de la gestion de la demande, Tempus fait notamment état des rapports établis par Sustainability First en septembre 2012 et en janvier 2014, commandés par de grands acteurs du marché de l’électricité, dont National Grid, pour relever qu’il y était mentionné que 4 à 5 GW de capacité fournie par la gestion de la demande pouvaient être modulés dès à présent grâce aux clients du secteur industriel. D’autres données présentées par Tempus, en se fondant sur un rapport d’Element Energy – De Montfort University Leicester, intitulé « Demand side response in the non-domestic sector » et daté de juillet 2012 –, permettaient d’identifier 1,2 GW à 4,4 GW susceptibles d’être déplacés un jour de pic hivernal en 2012 à partir des bâtiments non industriels et non résidentiels. Pour Tempus, cela signifierait qu’au moins 5 GW de capacité fournie par la gestion de la demande, voire plus encore, pouvaient être disponibles et pris en compte au titre du marché de capacité.

139    Enfin, il s’avère, à la lecture de la décision attaquée, que, au moment où la Commission s’est prononcée sur le régime d’aide notifié, elle avait connaissance du rapport du panel d’experts techniques (ci-après le « PTE »), auquel les autorités du Royaume-Uni avaient confié la mission d’examiner les recommandations de National Grid en ce qui concerne la capacité à mettre aux enchères au titre du marché de capacité en décembre 2014, qui a été publié le 30 juin 2014 par le ministère de l’Énergie et du Changement climatique du Royaume-Uni (DECC). La Commission cite d’ailleurs les conclusions du rapport du PTE au considérant 120 de la décision attaquée.

140    Selon ce rapport, qui expose les travaux effectués par ces experts techniques à partir du mois de février 2014, plusieurs observations pouvaient être faites sur la mise en œuvre à venir des premières enchères T‑4 de décembre 2014 pour la période 2018/2019.

141    Premièrement, quand il expose son approche pour examiner les estimations de National Grid, le PTE fait observer ce qui suit au paragraphe 19 de son rapport pour rappeler notamment l’intérêt de l’expérience acquise par d’autres marchés de capacité, en particulier par celui de PJM, pour ce qui est d’intégrer en pratique la gestion de la demande :

« Le comité s’est aussi appuyé sur l’expérience de ses membres sur d’autres marchés comportant un mécanisme de capacité, tels que ceux de PJM et de la Nouvelle-Angleterre, ainsi que sur son expérience dans d’autres domaines clés dans lesquels le besoin d’achat de capacité tient compte de la demande. Le comité est relativement rassuré par le fait que le DECC [se soit] appuyé sur l’expérience de PJM, mais il reste préoccupé du manque de preuves quant à la contribution potentielle de la demande, particulièrement concernant la mesure dans laquelle la production intégrée pourrait devenir disponible, après une certaine mise en conformité et une certaine agrégation, et la mesure dans laquelle la [production combinée de chaleur et d’électricité] peut fournir de l’électricité supplémentaire au système à un niveau dépassant sa propre demande en période de contrainte. »

142    Deuxièmement, quand il examine la contribution susceptible d’être faite par la gestion de la demande au marché de capacité, le PTE fait observer ce qui suit aux paragraphes 96 à 106 de ce rapport :

« 96. Le terme "ressources énergétiques décentralisées" (DER) est celui que nous préférons pour examiner la contribution qui peut être apportée afin de gérer des situations dans lesquelles les producteurs connectés au système de transport ne sont pas en mesure de répondre à la demande d’électricité. Nous préférons ce terme à celui couramment utilisé de "gestion de la demande"qui semble impliquer l’idée préconçue selon laquelle la seule (ou principale) contribution de la demande consiste en une réduction temporaire de celle-ci. Or, le terme "DER" renvoie à toute la gamme d’instruments, autres que la construction de nouvelles centrales électriques, susceptibles de contribuer à la résolution nécessaire des problèmes de capacité. Il est urgent de commencer à rassembler plus d’informations dans ce domaine afin d’éclairer les décisions prises à l’avenir, d’autant plus qu’il n’existe pas d’organisation générale étudiant l’ensemble du système électrique. Ces instruments sont les suivants : a) régulation directe de la charge, b) production intégrée, c) production de remplacement, d) gestion de la demande, e) efficacité énergétique, f) substitution des combustibles (par exemple, recourir à la combustion du gaz plutôt qu’à l’électricité), g) charges interruptibles, h) projet intégré de gestion de la demande (par exemple, utiliser comme puissance de réserve les batteries des voitures électriques garées), i) déplacement de charge, j) comptage intelligent, k) correction du facteur de puissance.

97.       Afin d’apprécier ce dont on établit un modèle, il est important de reconnaître que la liste de candidats qui pourraient fournir de la capacité sous l’angle de la demande est plutôt longue. Il convient aussi de noter qu’il existe des différences qualitatives entre ces instruments.

98.       Par exemple, le déplacement de charge peut consister à inciter un utilisateur qui consomme de l’électricité pour des besoins de réfrigération à réduire sa demande pendant quelques heures et à compter sur l’inertie thermique pour éviter tout préjudice. Un tel utilisateur peut très bien être partie à un contrat de fourniture d’une durée (par exemple) de deux ans, renégocié chaque année ou tous les deux ans ; dans ce cas, ce consommateur serait attentif aux signaux d’enchères à court terme.

99.       Par ailleurs, il est possible d’envisager un autre instrument potentiel, consistant à construire une centrale de cogénération ou un système de gestion de l’énergie dans les bâtiments, dans le but d’optimiser la gestion de la demande, mais la certitude associée à un contrat de capacité à long terme est alors requise pour obtenir un financement. Le point essentiel est le suivant : afin d’estimer ce que la gestion de la demande peut permettre, il est nécessaire de déterminer les instruments potentiels qui répondront probablement aux signaux du marché de capacité et ceux qui n’y répondront pas au motif que les incitations ne correspondent pas aux besoins des acteurs concernés.

100. Nous notons que la méthodologie du DECC pour déterminer le niveau auquel la DSR a contribué à la capacité est tout à fait conforme aux approches adoptées en Nouvelle-Angleterre et à celles de PJM (à l’exception de l’incidence sur les pertes). Dans cette mesure, cela crée une occasion de confirmer des hypothèses en comparant et distinguant ces systèmes.

101. Lors de conversations avec le DECC et N[ational] G[rid], nous avons pris conscience que la gestion de la demande n’est pas encore aussi bien comprise que la production traditionnelle. Il ne s’agit pas d’une critique, car cela ne fait pas partie du rôle de N[ational] G[rid], ce dernier étant nettement séparé des opérateurs du réseau de distribution et des fournisseurs d’électricité agréés et personne n’ayant à la fois une compréhension complète et détaillée des données relatives à la demande, d’une part, et la motivation de recueillir ces données, d’autre part. Par exemple, les réponses aux questions telles que celle de savoir "quelle est en moyenne la disponibilité de la CHP en cas de contrainte sur le système" ne sont pas connues, même si les moyennes annuelles le sont.

102. Pour toutes ces raisons, nous comprenons parfaitement que N[ational] G[rid] n’ait pas été en mesure de procéder à une analyse de la gestion de la demande avec la rigueur et la qualité qui ont jusqu’à présent caractérisé une grande partie de ses autres activités. Néanmoins, cela signifie qu’il est urgent d’établir un processus systématique permettant de garantir que les ressources issues de la gestion de la demande ne soient pas gaspillées et que ce ne soient pas de nouvelles capacités de production qui comblent le manque résultant d’une mauvaise utilisation de ces ressources.

[…]

104.       Bien que le comité ne prétende pas connaître toutes les ressources potentiellement disponibles grâce à la gestion de la demande, il est d’avis que la structure actuellement conçue repose sur des hypothèses relativement modérées quant à la capacité qui peut être obtenue. À cet égard, il convient de noter que le mécanisme de capacité est plus approprié pour certains comportements, méthodes et technologies que pour d’autres.

105.       Par conséquent, même si les expériences internationales en matière de DER, particulièrement aux États-Unis, sur lesquelles le comité a diffusé des informations indiquent que les DER peuvent potentiellement contribuer aux marchés de capacité de manière significative et utile (ce qui a conduit à un besoin réduit de capacités de production supplémentaires), les ambitions doivent être plus modestes dans le cadre de la structure actuellement conçue pour le Royaume-Uni. À titre de justification additionnelle de ces ambitions modestes, nous soulignons que, par exemple, les producteurs traditionnels recevront des paiements et revenus liés à l’utilisation du réseau de transport dans le cadre du mécanisme de capacité, alors que les producteurs décentralisés pourraient bénéficier d’incitations moindres que les producteurs traditionnels s’ils ne peuvent pas avoir accès à la fois aux avantages que procure le fait d’éviter la triade et aux revenus découlant du mécanisme de capacité.

106.       Sur la base de l’interprétation que le comité donne du marché de capacité proposé pour les DER, nous pensons que tout le potentiel qui a été démontré dans d’autres marchés comportant des enchères de capacité, notamment ceux aux États-Unis, sera exploité de manière limitée et que comprendre cet aspect exige des connaissances bien meilleures sur la gamme d’instruments disponibles en matière de gestion de la demande. La conséquence essentielle sur la modélisation est la suivante : son incidence sur le niveau présumé de la demande en période de pointe, qui constitue le facteur principal déterminant la capacité qu’il est nécessaire d’acheter, n’est pas aussi susceptible d’être contestée que ce à quoi l’on pourrait s’attendre. »

143    Tout comme Tempus au titre de son recours, cette analyse met l’accent sur la nécessité urgente de définir des incitations adéquates pour permettre à la gestion de la demande de participer effectivement au marché de capacité en considération de tout son potentiel. Un tel examen aurait ainsi pour conséquence d’éviter que les modalités définies par le marché de capacité ne viennent « gâcher » le potentiel de la gestion de la demande et le remplacer par de nouvelles capacités de production. À ce propos, le PTE déplore l’absence, à l’heure actuelle, d’organisation à même d’obtenir les données nécessaires pour comprendre et recueillir les informations relatives au potentiel de la gestion de la demande sous ses différents aspects, alors même que certaines sont déjà disponibles.

144    Si National Grid et le ministère de l’Énergie et du Changement climatique du Royaume-Uni sont critiqués sur ce point par le PTE, il est permis de penser que la Commission, au titre d’une procédure formelle d’examen, dispose de moyens suffisants pour demander et obtenir les informations pertinentes afin d’apprécier la situation, afin notamment de définir le besoin éventuel ainsi que, le cas échéant, le niveau d’incitation nécessaire pour permettre d’exploiter le potentiel réel de la gestion de la demande pour répondre au besoin d’adéquation des capacités identifié par le Royaume-Uni.

145    Troisièmement, au titre de ses conclusions et recommandations, le PTE relève ce qui suit au paragraphe 6, sous c), et aux paragraphes 119 et 132 de son rapport, pour faire état de ses préoccupations sur le manque d’informations et de compréhension de la gestion de la demande au Royaume-Uni :

« Le comité a exprimé ses craintes quant au manque d’informations et de connaissances relatives à la réduction de la demande (DSR). Il préfère le terme "ressources énergétiques décentralisées" (DER), qui renvoie à la gamme complète de contributions pouvant provenir de sources autres que les producteurs traditionnels, alors que le terme "DSR" paraît limiter la prise en compte de la demande à de simples réductions de celle-ci et de la production intégrée. Relevant l’importance de développer au sein du DECC et de N[ational] G[rid] des connaissances solides en matière de DER, le comité a recommandé un programme d’étude supplémentaire dans ce domaine, afin d’exploiter à l’avenir les possibilités offertes par les DER.

[...] Le scénario général et l’approche modélisée adoptés par NG sont valables quant aux principes et NG a cherché à prendre en considération des éléments à l’appui et les avis des personnes intéressées. Toutefois, ayant dégagé un consensus en son sein, le comité est d’avis que NG a eu tendance à adopter un point de vue trop prudent concernant plusieurs hypothèses essentielles, surtout s’agissant des flux d’interconnexion, et que NG a exagéré le montant à acheter en considérant ces flux (et les conditions météorologiques) comme des variables, au lieu d’inclure les capacités d’interconnexion sur la base de la probabilité estimée de leur disponibilité (comme dans le cas d’une centrale). En revanche, si les flux nets d’interconnexion qui sont attendus s’élevaient à 2,25 GW (décrits comme provenant à 75 % des importations), le montant de capacité à acheter diminuerait en conséquence et, grâce à de légers efforts supplémentaires visant à bénéficier de la DSR et à accélérer la mise en place de capacités d’interconnexion, ainsi que si l’on compte sur une offre accrue venant des centrales à charbon dans le cadre des enchères, ce montant pourrait suffire afin d’éviter de nouvelles CCGT [turbines à gaz à cycle combiné].

[...] Recommandation 9 : […] un programme de recherche portant sur tout le potentiel des DER doit être mis en place dès que possible, afin d’apporter des informations utiles aux futures enchères ; l’accent devrait être particulièrement mis sur tous les instruments mentionnés dans le présent rapport qui permettent d’atténuer la demande en période de pointe ».

146    À ce stade de l’appréciation du Tribunal, il s’avère que, au moment où la Commission a effectué son examen préliminaire, celle-ci était en mesure d’analyser des éléments qui permettaient non seulement d’envisager le rôle actuel de la gestion de la demande, une technologie jugée fiable et rentable par les autorités du Royaume-Uni dont les exemples américains montraient déjà l’utilité et l’efficacité, mais aussi d’envisager le potentiel réel de la gestion de la demande, comme l’illustre notamment l’estimation faite par National Grid, citée par le Royaume-Uni dans la notification, selon laquelle la gestion de la demande pouvait fournir environ 3 GW de capacité en 2018/2019.

147    De même, la Commission avait connaissance des difficultés évoquées par le PTE en ce qui concerne la prise en compte du potentiel de la gestion de la demande au titre du marché de capacité. Tout comme pour la prise en compte du potentiel de l’interconnexion, où les préoccupations du PTE ont été qualifiées de « sérieuses » par la Commission au considérant 124 de la décision attaquée, et comme cela ressort des points 141 à 145 ci-dessus, le marché de capacité envisagé risquait de ne pas suffisamment tenir compte du potentiel de la gestion de la demande ou, plus largement, de tout le potentiel susceptible de diminuer la nécessité de recourir à la capacité de production pour répondre au problème d’adéquation des capacités.

148    Il y a lieu, à cet égard, de rappeler qu’il ressort du paragraphe 224 des lignes directrices que l’appréciation de l’incidence de la participation des opérateurs de gestion de la demande constitue l’une des composantes de l’examen que la Commission doit effectuer quand elle se prononce sur la nécessité d’une intervention de l’État.

149    Pourtant, dans ce contexte, il ressort de la décision attaquée que la Commission a considéré qu’il était suffisant pour apprécier la prise en compte effective de la gestion de la demande – et ne plus se trouver dans une situation où elle pourrait avoir des doutes à ce sujet quant à la compatibilité du régime d’aide avec le marché intérieur – d’accepter les modalités envisagées par le Royaume-Uni à cet égard.

150    En effet, selon ce qu’expose la Commission au considérant 122 de la décision attaquée au titre de son appréciation de la compatibilité de l’aide et de la nécessité d’une intervention de l’État et en ce qui concerne la contribution de la gestion de la demande, il suffit de relever ce qui suit :

–        « le Royaume-Uni a fait valoir que la première enchère de décembre 2014 serait clé pour révéler des informations sur la gestion de la demande et son potentiel » et a « expliqué qu’il examinerait les informations résultant de la première enchère T‑4 et s’assurerait que les courbes de la demande soient ajustées de façon appropriée, ce qui serait pris en compte dans le processus Future Energy Scenario de National Grid pour les rapports sur la capacité électrique destinés aux futures enchères » ;

–        « [e]n réponse au rapport du PTE, National Grid a suggéré un projet commun avec l’Energy Network Association [Association des réseaux d’énergie] (y compris le Distribution Network Operators) [Opérateurs de réseaux de distribution] » ;

–        « [e]n outre, le Royaume-Uni a élaboré des dispositions relatives aux enchères transitoires afin de soutenir la croissance du secteur de la gestion de la demande de 2015 à 2016, ainsi qu’un projet pilote de 20 millions de GBP en matière d’efficacité énergétique [Electricity Demand Reduction pilot] ».

151    La Commission a également considéré, au considérant 128 de la décision attaquée, que, même si le régime d’aide « p[ouvai]t avoir pour résultat de soutenir la production à partir de combustibles fossiles », elle était en mesure de constater que l’évaluation du problème d’adéquation des capacités, réalisé chaque année, prenait en considération tous les types d’opérateurs, y compris les opérateurs de gestion de la demande (voir aussi considérants 134 et 149 de la décision attaquée à d’autres stades de l’analyse). Elle en conclut, au considérant 129 de la décision attaquée, que « la mesure est neutre sur le plan technologique » et n’a donc pas pour effet de renforcer la position des producteurs d’électricité à partir de combustibles fossiles.

152    Rapportés aux éléments disponibles et susmentionnés, tout comme aux éléments dont la Commission pouvait disposer en application des moyens mis à sa disposition par le règlement no 659/1999, ainsi qu’à l’importance du rôle susceptible d’être joué par la gestion de la demande au titre d’un marché de capacité afin notamment de définir au mieux la nécessité d’une intervention étatique et de limiter au montant approprié l’aide à la production à partir de combustibles fossiles, de telles appréciations ne sont pas de nature à permettre à la Commission de se départir des doutes ressortant des éléments dont elle était déjà en possession ou dont elle pouvait disposer au moment où elle a adopté la décision attaquée.

153    En particulier, ainsi qu’il ressort du paragraphe 226 et du paragraphe 232, sous a), des lignes directrices, aux termes desquels les mesures d’aide « devraient être ouvertes », mais aussi « fournir des incitations adéquates aussi bien aux producteurs existants qu’aux producteurs futurs, ainsi qu’aux opérateurs utilisant des technologies substituables, telles que des solutions d’adaptation de la demande », et « devraient être conçues de manière que toutes les capacités pouvant contribuer de manière effective à remédier à un problème d’adéquation des capacités de production participent auxdites mesures », il est particulièrement important pour la Commission de veiller à ce que le marché de capacité en cause permette à toutes les solutions de participer réellement et efficacement, chaque solution ayant ses avantages et ses inconvénients, afin de pouvoir remédier au problème d’adéquation des capacités.

154    Contrairement à ce qu’affirme la Commission dans la décision attaquée, au vu des éléments disponibles et compte tenu du rôle de la gestion de la demande, elle ne pouvait, en l’espèce, se satisfaire du seul « caractère ouvert » de la mesure et conclure, par voie de conséquence, à sa neutralité sur le plan technologique, sans examiner plus en détail la réalité et l’effectivité de la prise en compte de cette solution technologique au sein du marché de capacité.

155    En effet, s’il ressort de la décision attaquée, que la Commission a examiné les éléments invoqués par le Royaume-Uni en ce qui concerne la prise en compte de la capacité de production au titre du marché de capacité et, du fait notamment des préoccupations exprimées par le rapport du PTE, les éléments fournis par la suite en ce qui concerne la prise en compte de la capacité fournie par l’interconnexion, aucun élément mentionné dans la décision attaquée ne permet d’établir que la Commission a diligenté son propre examen en ce qui concerne la prise en compte effective de la gestion de la demande, dont le potentiel était reconnu et utile, au titre de ce marché. À titre d’exemple, à aucun endroit de la décision attaquée il n’est fait référence à l’estimation de 3 GW évoquée par National Grid. En n’examinant pas le rôle et la capacité potentiels de la gestion de la demande au sein du marché de capacité, la Commission a accepté les informations et les hypothèses présentées par le Royaume-Uni (voir points 149 à 151 ci-dessus), malgré l’influence de celles-ci sur la quantité de capacité mise aux enchères et le montant de l’aide nécessaire aux fins du marché de capacité.

156    Ainsi, s’agissant du résultat de la première enchère T‑4 de décembre 2014, dès lors que cette enchère est réalisée en considération de modalités qui ne paraissent pas prendre suffisamment en compte le potentiel de la gestion de la demande, le risque existe – tel qu’il est évoqué notamment par le rapport du PTE – qu’un rôle plus important que nécessaire soit conféré à la capacité de production. Il ne peut ainsi être exclu que, si la Commission avait réalisé son propre examen du potentiel de la gestion de la demande, notamment pour s’interroger sur les modalités de prise en compte des estimations faites par National Grid ou d’autres sources ou pour s’interroger sur les raisons du succès des exemples américains, les modalités de participation des opérateurs de gestion de la demande auraient été différentes.

157    Par ailleurs, en ce qui concerne les enchères T‑1, il y a lieu de rappeler que, selon les considérants 45 à 47 de la décision attaquée, une certaine quantité de capacité sera retranchée des enchères T‑4 pour être « réservée » aux enchères T‑1, à partir d’une estimation de la capacité de gestion de la demande « rentable » qui pourrait participer aux enchères. Il s’avère également que ce montant pourra être réduit si la demande chute entre les enchères T‑4 et les enchères T‑1. Or, et comme cela a été confirmé lors de l’audience, il ressort de ces considérants que le gouvernement du Royaume-Uni s’est engagé à mettre aux enchères T‑1 au moins 50 % de cette capacité « réservée » tout en gardant la possibilité de ne pas honorer cet engagement si la gestion de la demande ne s’avérait pas « rentable à long terme » ou si le secteur de la gestion de la demande était considéré comme étant suffisamment mature. En effet, l’article 10 du règlement de 2014 relatif à la capacité électrique, intitulé « déterminer si une enchère doit être tenue », prévoit par exemple, à son paragraphe 3, que le secrétaire d’État compétent peut décider qu’il n’y a pas lieu de tenir des enchères T‑1 si les prévisions montrent qu’aucun fournisseur de gestion de la demande ne soumissionnera à une telle enchère. Dès lors, étant donné que les enchères T‑1 dépendaient notamment d’une estimation de la capacité de gestion de la demande « rentable » prête à participer aux enchères, la capacité potentielle de la gestion de la demande et son évaluation nécessitaient une analyse de la Commission dans la décision attaquée.

158    Dans ces circonstances, les éléments disponibles en ce qui concerne le potentiel de la gestion de la demande, compte tenu notamment de l’importance du rôle susceptible d’être joué par cette solution technologique au sein du marché de capacité, sont susceptibles de constituer un indice de l’existence de doutes quant à la compatibilité de ce régime avec le marché intérieur dont il n’est pas possible, à la lecture de la décision attaquée, de constater qu’ils ont été écartés à l’issue de l’examen préliminaire de la Commission.

e)      Sur le présumé traitement discriminatoire ou désavantageux de la gestion de la demande au sein du marché de capacité

159    Tempus soutient, en substance, que l’appréciation de la mesure en cause aurait dû susciter des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur en raison d’un certain nombre de violations des principes d’égalité de traitement, de protection de la confiance légitime et de proportionnalité, notamment au détriment des opérateurs de gestion de la demande. En particulier, Tempus soulève des griefs quant au traitement des opérateurs de gestion de la demande en ce qui concerne la durée des contrats de capacité, la méthode de recouvrement des coûts du marché de capacité, les conditions de participation au marché de capacité ainsi que l’absence de rémunération supplémentaire des opérateurs de gestion de la demande en cas de limitation des pertes de transport et de distribution de l’électricité.

1)      Sur la durée des contrats de capacité

160    Tempus soutient, en substance, que la Commission aurait dû avoir des doutes quant à la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur en ce qu’elle réserve la possibilité d’obtenir des contrats de capacité d’une durée supérieure à un an aux seuls producteurs ayant des dépenses en capital supérieures à un certain seuil, violant ainsi le principe d’égalité de traitement au détriment des opérateurs de gestion de la demande. Ce traitement discriminatoire serait contraire à l’objectif de neutralité technologique de la mesure en cause, conférerait un avantage concurrentiel aux producteurs et conduirait à verrouiller une partie importante de la demande qui aurait pu être évitée grâce à la gestion de la demande.

161    Tempus fait valoir que cette inégalité de traitement n’est pas justifiée par les coûts d’investissement plus importants que supporteraient les producteurs rénovant une centrale existante ou construisant une nouvelle centrale. En effet, les opérateurs de gestion de la demande ainsi que leurs clients encourraient également des coûts d’investissement. De plus, les clients des opérateurs de gestion de la demande souhaiteraient obtenir une garantie de revenus sur plusieurs années avant de procéder à ces investissements. À cet égard, Tempus soutient que des informations avaient été communiquées au Royaume-Uni et que ce dernier ne pouvait donc pas se limiter dans la notification à affirmer que le secteur de la gestion de la demande n’avait pas fourni de preuve « quantitative » quant à la nécessité de contrats à plus long terme afin de soutenir la participation des opérateurs de gestion de la demande aux enchères.

162    La Commission rétorque, en substance, avoir examiné comme il se doit la mesure en cause s’agissant du traitement des opérateurs de gestion de la demande par rapport à celui des autres fournisseurs de capacité, et avoir constaté que cette mesure leur permettait d’être concurrentiels compte tenu de leurs caractéristiques propres. La différence entre les durées contractuelles offertes se justifierait par l’objectif central poursuivi par la mesure en cause, à savoir assurer la disponibilité d’une capacité suffisante à l’avenir, y compris en encourageant les investissements dans de nouvelles centrales. Les opérateurs de gestion de la demande ne pourraient pas bénéficier de contrats d’une durée supérieure à un an parce qu’ils n’auraient pas les mêmes besoins de financement que les producteurs rénovant une centrale existante ou construisant une nouvelle centrale. À cet égard, la Commission fait valoir que, au cours de la procédure administrative, ni Tempus ni l’UKDRA n’ont présenté une argumentation étayée selon laquelle les opérateurs de gestion de la demande auraient besoin d’investissements d’un niveau comparable aux projets de rénovation de centrales et de construction de nouvelles centrales, et n’ont pas non plus apporté le moindre élément de preuve quantitatif à cet égard.

163    Dans sa réponse aux questions écrites du Tribunal, la Commission fait valoir que, étant donné le niveau élevé de leurs coûts d’investissement, s’il n’était offert aux centrales à rénover et aux nouvelles centrales que des contrats d’un an, celles-ci ne participeraient probablement pas du tout aux enchères ou en seraient évincées car leur soumission serait supérieure au plafond de prix ; quand bien même elles arriveraient à soumissionner, cela serait probablement à un prix très élevé, qui deviendrait le prix de clôture de l’enchère. Selon la Commission, non seulement cela engendrerait des bénéfices exceptionnels pour les producteurs existants et les opérateurs de gestion de la demande, mais cela entraînerait des coûts élevés pour tous les clients finaux et, partant, un montant disproportionné d’aide.

164    À cet égard, selon une jurisprudence établie, le principe général d’égalité de traitement, en tant que principe général du droit de l’Union, impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Le caractère comparable de situations différentes s’apprécie eu égard à l’ensemble des éléments qui les caractérisent. Ces éléments doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Doivent, en outre, être pris en considération les principes et objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (voir arrêt du 12 décembre 2014, Banco Privado Português et Massa Insolvente do Banco Privado Português/Commission, T‑487/11, EU:T:2014:1077, point 139 et jurisprudence citée).

165    En l’espèce, à titre liminaire, il convient tout d’abord de constater que la mesure en cause n’offre aucune possibilité aux opérateurs de gestion de la demande d’obtenir des contrats de capacité d’une durée supérieure à un an.

166    Selon la décision attaquée, seuls les fournisseurs de capacité qui engagent des dépenses de capital supérieures à 125 GBP par kW (centrales à rénover) sont éligibles à obtenir des contrats de capacité d’une durée maximale allant jusqu’à trois ans et seuls les fournisseurs de capacité qui engagent des dépenses de capital supérieures à 250 GBP par kW (nouvelles centrales) sont éligibles à obtenir des contrats de capacité d’une durée maximale allant jusqu’à quinze ans (considérant 57 de la décision attaquée).

167    Or, bien que le considérant 57 de la décision attaquée utilise le terme technologiquement neutre de « fournisseurs de capacité », il ressort de la notification et de la lecture combinée de l’article 2, paragraphe 1, des articles 4, 5 et de l’article 11, paragraphe 3, du règlement de 2014 relatif à la capacité électrique que les contrats de capacité d’une durée maximale de trois ans et de quinze ans sont expressément réservés aux seules CMU de production ayant des dépenses en capital dépassant les seuils fixés par le secrétaire d’État, à l’exclusion des CMU de gestion de la demande.

168    Par conséquent, d’une part, les opérateurs de gestion de la demande ne sont pas éligibles à obtenir des contrats de capacité d’une durée allant jusqu’à trois ou quinze ans, même s’ils établissent avoir engagé des dépenses en capital supérieures aux seuils fixés pour les CMU de production dans la mesure en cause. D’autre part, la mesure en cause ne contient aucun seuil de dépenses en capital propre aux CMU de gestion de la demande qui ouvrirait à ces opérateurs la possibilité d’obtenir des contrats de capacité d’une durée supérieure à un an.

169    Dans la décision attaquée, la Commission a entériné la position du Royaume-Uni selon laquelle il était adéquat d’offrir des contrats de capacité d’une durée maximale allant jusqu’à trois ou quinze ans aux CMU de production dont les dépenses en capital dépassaient un certain seuil fixé par le secrétaire d’État et il était justifié de n’offrir que des contrats de capacité d’une durée d’un an aux CMU de gestion de la demande (considérants 106, 129 et 145 de la décision attaquée). Elle a ainsi considéré que les opérateurs de gestion de la demande avaient des besoins de dépenses en capital moins importants que ceux des producteurs construisant ou rénovant des centrales. Sur cette base, la Commission a accepté que les capacités de production nouvelles ou à rénover, qui impliquent des coûts d’investissement élevés, soient éligibles à des contrats de capacité plus longs afin de permettre aux opérateurs d’obtenir le financement nécessaire et elle a considéré que l’offre de contrats de capacité d’une durée plus courte aux opérateurs de gestion de la demande ne les désavantageait pas par rapport aux exploitants de centrales à rénover ou de nouvelles centrales. Par conséquent, elle a conclu que la mesure en cause était neutre sur le plan technologique et ne renforçait pas la position des producteurs utilisant des combustibles fossiles.

170    Il convient donc de vérifier si la Commission pouvait entériner le traitement différencié des opérateurs de gestion de la demande par rapport à celui des producteurs sans ouvrir la procédure formelle d’examen ou si l’absence de toute possibilité, pour les opérateurs de gestion de la demande, d’obtenir des contrats de capacité d’une durée supérieure à un an aurait dû mener la Commission à avoir des doutes quant à la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur.

171    À cet égard, en premier lieu, il convient de constater que la mesure en cause vise à être technologiquement neutre, conformément aux prescriptions contenues au paragraphe 226 des lignes directrices.

172    Ainsi, il ressort de la décision attaquée que la mesure en cause vise à obtenir suffisamment de capacités afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement en électricité au Royaume-Uni (considérants 4 et 126 de la décision attaquée).

173    De manière plus détaillée, il ressort de la notification que l’objectif principal de la mesure en cause est de permettre la fourniture d’une capacité fiable et adéquate sur le marché de l’électricité au Royaume-Uni à un coût minimum pour les consommateurs, d’une manière à minimiser les conséquences involontaires et les risques inattendus et à soutenir la réalisation des objectifs gouvernementaux plus larges, à savoir permettre la décarbonisation du marché de l’électricité, le développement d’une demande plus réactive et l’intégration accrue du marché intérieur de l’énergie (paragraphe 139 de la notification). De plus, afin d’atteindre l’objectif de garantir la sécurité de l’approvisionnement en électricité au Royaume-Uni, la notification précise que la mesure en cause vise à inciter des investissements suffisants dans les capacités de production et les autres capacités, y compris un soutien spécifique pour les solutions au niveau de la demande (paragraphe 140 de la notification). Ces objectifs correspondent aux objectifs mentionnés aux paragraphes 216 à 221 des lignes directrices comme étant légitimes pour des mesures d’aide en faveur de l’adéquation des capacités.

174    Or, s’agissant de l’objectif principal de garantir la sécurité de l’approvisionnement en électricité, comme il a déjà été exposé au point 121 ci-dessus et comme la Commission l’a expressément reconnu dans sa réponse aux questions écrites posées par le Tribunal le 5 mai 2017, il est constant entre les parties que tant la capacité offerte par les producteurs que celle offerte par les opérateurs de gestion de la demande peuvent en principe contribuer à remédier au problème d’adéquation des capacités.

175    De même, s’agissant de l’objectif dérivé d’inciter des investissements suffisants dans de nouvelles capacités, il convient de constater que l’objectif de la mesure en cause vise expressément tant les capacités de production que les autres capacités, telles que la gestion de la demande. La notification souligne d’ailleurs expressément, en son paragraphe 355, que le marché de capacité ne vise pas à obtenir des quantités prédéfinies de capacité par type de technologie. Au contraire, la mesure en cause vise à laisser au marché le soin de déterminer quelle est la quantité optimale de chaque type de capacité (nouvelles capacités de production, capacités de production à rénover, capacités de production existantes, capacités de gestion de la demande existantes, capacités de gestion de la demande non confirmées) afin d’atteindre le niveau de sécurité d’approvisionnement défini par le Royaume-Uni.

176    Il s’ensuit que les opérateurs de gestion de la demande doivent être considérés comme se trouvant dans une situation équivalente à celle des producteurs au regard des objectifs de sécurité d’approvisionnement en électricité poursuivis par la mesure en cause, qui sont technologiquement neutres. Il en est d’autant plus ainsi que les lignes directrices exigent que les mesures d’aide mettant en œuvre un marché de capacité soient ouvertes et fournissent des incitations adéquates aussi bien aux producteurs existants qu’aux producteurs futurs ainsi qu’aux opérateurs utilisant des technologies substituables, telles que des solutions d’adaptation de la demande ou de stockage (paragraphe 226 des lignes directrices). Il incombait donc à la Commission de vérifier si la limitation de l’offre de contrats de capacité d’une durée supérieure à un an aux seules capacités de production permettait malgré tout au marché de capacité d’être neutre sur le plan technologique, sans fausser la concurrence entre producteurs et opérateurs de gestion de la demande.

177    En deuxième lieu, il ressort de la décision attaquée que le fait que des contrats de capacité d’une durée supérieure à un an sont offerts à certains fournisseurs de capacité est justifié par leurs dépenses en capital élevées et par leurs difficultés de financement.

178    Ainsi, selon la décision attaquée, le fait que des contrats de capacité de plus longue durée sont offerts pour les nouveaux entrants est justifié par la promotion de l’arrivée sur le marché de nouveaux opérateurs concurrentiels. Accorder aux nouveaux entrants un contrat à long terme leur permettrait d’obtenir un financement à moindre coût pour leur investissement. Cela permettrait d’atténuer les barrières à l’entrée pour les entreprises indépendantes qui ne peuvent pas financer leur investissement dans de nouvelles capacités au moyen de revenus provenant d’autres centrales de leur portefeuille. En encourageant la concurrence sur le marché de capacité, les contrats à plus long terme pourraient donc réduire les coûts supportés par les consommateurs sur les marchés de l’énergie et de capacité. L’offre de contrats à plus long terme devrait également réduire le risque que des participants ayant des coûts d’investissement ou de rénovation très élevés ne cherchent à récupérer l’intégralité de leurs coûts sur un contrat d’une seule année (considérant 59 de la décision attaquée).

179    Il ressort donc de la décision attaquée que l’offre de contrats de capacité de plus longue durée vise à mettre en œuvre les objectifs technologiquement neutres, rappelés au point 173 ci-dessus, consistant à garantir la sécurité de l’approvisionnement en électricité en incitant des investissements suffisants dans les capacités. De plus, bien que la décision attaquée insiste sur le besoin d’encourager de nouvelles entrées sur le marché, force est de constater que le fait d’offrir des contrats de capacité d’une durée supérieure à un an poursuit un but plus large dans la mesure où les opérateurs rénovant des centrales existantes sont également éligibles à obtenir des contrats de capacité d’une durée maximale de trois ans. Il s’ensuit que le fait d’offrir des contrats de capacité d’une plus longue durée a pour principale raison d’être de pallier les difficultés de financement de certains opérateurs en raison de l’importance de leurs dépenses en capital, en leur garantissant un revenu sur plusieurs années et de leur donner les moyens de faire une offre concurrentielle lors des enchères, en leur permettant de récupérer leurs coûts sur plusieurs années.

180    Il convient donc de constater que le critère décisif retenu par la mesure en cause pour déterminer les opérateurs éligibles à obtenir des contrats de capacité d’une durée supérieure à un an est le niveau de dépenses en capital et les difficultés de financement qui pourraient empêcher ces opérateurs de participer au marché de capacité.

181    Dès lors que des contrats à plus long terme étaient jugés nécessaires pour créer des conditions de concurrence équitables, il était nécessaire d’examiner quelle était la durée nécessaire pour permettre à chaque catégorie de fournisseur de capacité de participer pleinement au marché de capacité, au regard de leurs dépenses d’investissement et de leurs difficultés de financement, afin de respecter l’obligation de fournir des incitations adéquates à tous les opérateurs. Il incombait donc à la Commission de vérifier si le fait de réserver les contrats de capacité d’une durée supérieure à un an à certaines technologies présentait un caractère discriminatoire et était contraire à l’objectif de mettre en place un marché de capacité neutre sur le plan technologique, ce qui irait à l’encontre des exigences des lignes directrices.

182    En troisième lieu, il convient de constater que la Commission a entériné la position du Royaume-Uni selon laquelle il n’était pas nécessaire d’offrir des contrats de capacité d’une durée supérieure à un an aux opérateurs de gestion de la demande sans examiner si leurs dépenses en capital et leurs difficultés de financement pouvaient nécessiter de leur offrir la possibilité d’obtenir de tels contrats afin de leur permettre de participer aux enchères, tout en évitant un prix de clôture trop élevé.

183    Il ressort de la décision attaquée que la Commission a bien examiné en détail les besoins en financement des fournisseurs de capacité construisant de nouvelles centrales ou rénovant des centrales existantes. Ainsi, la Commission a expressément demandé au Royaume-Uni de lui fournir des informations supplémentaires au soutien de ses choix en matière de durée des contrats de capacité, dans la mesure où des contrats d’une plus longue durée étaient en principe plus problématiques et devaient être justifiés minutieusement (tableau 16, page 161, de la notification). La Commission a donc pu se fonder sur des informations détaillées fournies par le Royaume-Uni quant aux dépenses en capital et aux difficultés de financement relatives à la construction de nouvelles centrales afin de déterminer la durée optimale des contrats de capacité et les seuils en matière de dépenses en capital auxquels ces contrats devaient être conditionnés. Il s’agissait d’aider ces opérateurs à obtenir le financement nécessaire et d’éviter que leur participation au marché de capacité ne conduise à un prix de clôture trop élevé, tout en ne leur permettant pas de récupérer l’intégralité de leurs coûts fixes d’investissement sur la seule base des revenus provenant du marché de capacité. Les informations fournies par le Royaume-Uni comprenaient notamment plusieurs études de cas détaillées analysant différents scénarios ainsi que des modèles de plans d’affaires types de différents opérateurs et de différentes centrales (points 4.3.1, 4.6.5, C.4.3 de la notification).

184    En revanche, il ressort de la décision attaquée que la Commission n’a pas cherché à analyser en détail les dépenses de capital et les besoins de financement des opérateurs de gestion de la demande. Certes, à la suite de la lettre de l’UKDRA du 9 juin 2014 par laquelle cette association attirait l’attention de la Commission sur la différence de traitement entre les producteurs et les opérateurs de gestion de la demande, la Commission a demandé au Royaume-Uni de réagir. Cependant, la Commission s’est ensuite contentée de prendre acte de la réponse du Royaume-Uni par laquelle il se limitait à affirmer, d’une part, que les opérateurs de gestion de la demande n’avaient pas les mêmes besoins en capital que les exploitants de nouvelles centrales et, d’autre part, que l’UKDRA n’avait fourni aucun élément de preuve quantitatif au soutien de sa thèse selon laquelle des contrats de capacité d’une plus longue durée étaient nécessaires pour soutenir la participation des opérateurs de gestion de la demande aux enchères (paragraphe 511 de la notification).

185    Or, premièrement, il convient de constater que le Royaume-Uni n’a fourni aucune analyse détaillée au soutien de sa position, en contraste frappant avec les informations relatives aux besoins en financement des producteurs. Le manque de données concernant la gestion de la demande, en ce qui concerne le Royaume-Uni, a d’ailleurs été pointé par le PTE dans son rapport (voir, notamment, paragraphes 19, 96 et 101 du rapport cités aux points 141 et 142 ci-dessus). Bien que la Commission cite partiellement les conclusions du rapport du PTE au considérant 120 de la décision attaquée, elle n’a pas jugé utile de recueillir elle-même davantage d’informations concernant la gestion de la demande pour pallier le peu d’informations fournies par le Royaume-Uni. Il y a donc lieu de relever que ni la décision attaquée ni la notification ne contiennent d’examen détaillé des besoins en capital des opérateurs de gestion de la demande.

186    Deuxièmement, il y a lieu d’observer que l’égalité de traitement concernant la durée des contrats de capacité auxquels les différents fournisseurs de capacité pouvaient soumissionner, constituait la revendication principale des opérateurs de gestion de la demande tant envers le gouvernement du Royaume-Uni qu’à l’égard de la Commission. Ainsi, il ressort de la contribution de l’UKDRA à la consultation publique, à laquelle la Commission pouvait avoir accès lors de l’adoption de la décision attaquée, que l’UKDRA contestait non seulement le fait que les contrats de capacité d’une durée supérieure à un an étaient réservés aux seules CMU de production ayant des dépenses en capital dépassant certains seuils, mais également les seuils de dépenses en capital choisis. En particulier, l’UKDRA invitait expressément le Royaume-Uni à réaliser une modélisation des besoins en financement de différents types de technologies et à revoir le montant des seuils sur cette base. Par ailleurs, par sa lettre du 9 juin 2014, l’UKDRA avait fait part de ses interrogations à la Commission quant à la compatibilité des contrats de quinze ans avec les lignes directrices et, indépendamment de la question de la durée des contrats offerts, elle avait réitéré la volonté des opérateurs de gestion de la demande de pouvoir soumissionner pour les mêmes durées de contrat de capacité que celles offertes aux producteurs.

187    Troisièmement, tant l’UKDRA que Tempus admettent que les nouveaux opérateurs de gestion de la demande n’ont pas nécessairement les mêmes dépenses en capital que les producteurs construisant de nouvelles centrales. Elles soutiennent cependant que les nouvelles CMU de gestion de la demande ont, tout comme les nouvelles CMU de production, des dépenses en capital et des difficultés de financement qui justifient l’octroi de contrats de capacité d’une durée supérieure à un an afin de leur permettre de participer pleinement au marché de capacité. En particulier, Tempus fait valoir que les opérateurs de gestion de la demande doivent développer un portefeuille de clients suffisamment étendu afin de couvrir un incident de capacité à durée indéterminée. De plus, les investissements nécessaires pour rendre la consommation électrique de chacun de ces clients flexible dans le temps, au financement desquels les opérateurs de gestion de la demande peuvent être amenés à contribuer, peuvent être importants et peuvent demander des contrats de capacité à plus long terme. De même, le PTE relève expressément au paragraphe 99 de son rapport que certains investissements relatifs à la gestion de la demande « [ont] besoin de la certitude d’un contrat de capacité à long terme afin d’obtenir un financement » et conclut qu’il est essentiel d’identifier les ressources potentielles en matière de gestion de la demande qui ne répondront pas aux signaux du marché parce que les incitations existantes ne permettent pas de rencontrer leurs besoins. Les opérateurs de gestion de la demande n’étaient d’ailleurs pas les seuls à faire valoir que tous les fournisseurs de capacité devaient pouvoir soumissionner pour les mêmes durées de contrats, indépendamment de la technologie utilisée, afin d’assurer des conditions de concurrence équitables. Ainsi, il ressort de la notification que plusieurs compagnies d’électricité verticalement intégrées avaient souligné que, pour permettre une juste comparaison des prix de capacité, toutes les capacités devraient avoir accès aux mêmes durées de contrat et que tout fournisseur de capacité devrait avoir la liberté de choisir la durée de contrat lui permettant d’être compétitif lors des enchères (page 79 de la notification).

188    Quatrièmement, contrairement à ce que soutient la Commission, il ne peut être reproché à Tempus ni à l’UKDRA de ne pas avoir présenté d’informations plus détaillées au cours de la procédure administrative. En effet, selon la jurisprudence, le cas échéant, la Commission doit rechercher les informations pertinentes (voir point 69 ci-dessus), afin de disposer, lors de l’adoption de la décision attaquée, d’éléments d’évaluation pouvant raisonnablement être considérés comme étant suffisants et clairs pour les besoins de son appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 10 décembre 2008, Kronoply et Kronotex/Commission, T‑388/02, non publié, EU:T:2008:556, point 127, et du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International/Commission, T‑388/03, EU:T:2009:30, point 109). Dès lors, pour prouver l’existence de doutes au sens de l’article 4, paragraphe 4, du règlement no 659/1999, il suffit que Tempus démontre que la Commission n’a pas recherché ni examiné, de manière diligente et impartiale, l’ensemble des éléments pertinents aux fins de cette analyse ou qu’elle ne les a pas dûment pris en considération, de manière à éliminer tout doute quant à la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur.

189    En l’espèce, au regard des considérations exposées aux points 171 à 176 ci-dessus, il appartenait à la Commission, face au manque d’information s’agissant des besoins en capital des opérateurs de gestion de la demande, d’instruire davantage la question en acceptant, par exemple, l’offre faite par l’UKDRA, dans sa lettre du 9 juin 2014, de lui fournir plus d’informations pour pouvoir déterminer si l’octroi de contrats d’une durée différente aux opérateurs de gestion de la demande et aux autres fournisseurs de capacité était compatible avec le principe d’égalité de traitement. Il en est d’autant plus ainsi que le secteur de la gestion de la demande est très diversifié et qu’il est établi que les autorités du Royaume-Uni avaient peu de connaissances de ce secteur comparé à celui de la production (voir points 141 à 145 ci-dessus).

190    Enfin, il convient de noter qu’accorder des contrats allant jusqu’à trois ou quinze ans à certains producteurs a des effets sur la concurrence durant toute la durée de ces contrats. Dans la mesure où la Commission considérait, au considérant 131 de la décision attaquée, que le secteur de la gestion de la demande était encore à ses débuts au Royaume-Uni, il lui revenait d’examiner si l’impossibilité, pour les opérateurs de gestion de la demande, de soumissionner pour les mêmes durées de contrat que les producteurs ne risquait pas de réduire leurs opportunités de contribuer à remédier au problème d’adéquation des capacités du Royaume-Uni au moment où leur secteur se serait davantage développé. En effet, l’attribution de contrats de trois ou quinze ans réduit à l’avenir la capacité mise aux enchères dans le cadre du marché de capacité.

191    Cinquièmement, le PTE a décrit, au paragraphe 102 de son rapport, le risque lié à la mise en œuvre du marché de capacité du Royaume-Uni en l’absence d’informations suffisantes relatives à la gestion de la demande dans les termes suivants :

« Pour toutes ces raisons, nous sommes conscients que National Grid a été incapable d’effectuer une analyse de la gestion de la demande avec la rigueur et la distinction qui ont été la marque de fabrique de la majorité du reste de son travail. Toutefois, cela implique un besoin urgent de créer une procédure systématique afin d’assurer que les ressources de la gestion de la demande ne sont pas gaspillées uniquement pour que de nouvelles capacités de production viennent combler l’écart d’inefficacité. »

192    Force est donc de constater que la Commission a entériné la position du Royaume-Uni selon laquelle il n’était pas nécessaire d’offrir des contrats d’une durée supérieure à un an aux opérateurs de gestion de la demande sans examiner quels étaient les niveaux de dépenses en capital relatives aux nouvelles CMU de gestion de la demande, ni vérifier s’il était nécessaire de fixer des seuils propres aux CMU de gestion de la demande au regard de leurs besoins en financement et des objectifs poursuivis par la mesure.

193    À la lumière de tout ce qui précède, il convient de conclure que la différence entre la durée de contrat de capacité offerte aux opérateurs de gestion de la demande et celles offertes aux producteurs constitue un indice de l’existence de doutes quant à la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur. En effet, il revenait à la Commission d’examiner le niveau des dépenses en capital et les besoins en financement des opérateurs de gestion de la demande aux fins de vérifier l’absence de toute violation du principe d’égalité de traitement entre les CMU de production et les CMU de gestion de la demande malgré l’absence de toute possibilité, pour les opérateurs de gestion de la demande, d’obtenir des contrats de capacité d’une durée supérieure à un an. Au regard des objectifs technologiquement neutres poursuivis par la mesure en cause et des critères retenus par la mesure en cause, un tel examen s’imposait avant de pouvoir conclure à la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur. Dès lors, le fait que la Commission n’ait pas disposé d’une information complète en ce qui concerne le choix du Royaume-Uni de ne pas permettre aux opérateurs de gestion de la demande de soumissionner pour les mêmes durées de contrats que celles des autres technologies, dans le cadre de la procédure préliminaire d’examen, constitue un indice de l’existence de doutes.

2)      Sur la méthode de recouvrement des coûts

194    Tempus soutient, en substance, que la Commission aurait dû avoir des doutes quant au caractère proportionné de la mesure en cause et, partant quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, en raison de la méthode de recouvrement des coûts choisie qui n’inciterait pas suffisamment les consommateurs à réduire leur consommation lors des pics de demande et ne permettrait donc pas de limiter le montant total de l’aide au minimum nécessaire.

195    Ainsi, Tempus fait valoir que la méthode de recouvrement des coûts qui a été adoptée, à savoir un recouvrement des coûts fondé sur la consommation d’électricité entre 16 et 19 heures chaque jour de la semaine en hiver plutôt que sur celle durant les trois plus hauts pics annuels de demande, la « triade », désavantagerait les opérateurs de gestion de la demande et violerait le principe de proportionnalité en augmentant le montant de l’aide octroyée. En effet, une telle méthode rendrait plus difficile pour les consommateurs de ne pas contribuer aux coûts du marché de capacité en réduisant leur consommation, c’est-à-dire la demande, au moment pertinent, compte tenu du caractère inévitable de cette consommation pour les entreprises et les familles. Il en serait d’autant plus ainsi que les petites entreprises et les consommateurs résidentiels ne pourraient éviter les coûts du marché de capacité à travers des actions de gestion de la demande en raison du fait qu’ils seraient classés au Royaume–Uni en fonction de leur profil et non en fonction du décompte de leur consommation par demi-heure.

196    De plus, en n’incitant pas suffisamment les consommateurs à réduire la demande d’électricité précisément lorsque celle-ci est la plus élevée et la capacité est la plus faible, Tempus estime que la méthode adoptée augmente le montant de l’aide octroyée en obligeant le Royaume-Uni à se procurer plus de capacité que nécessaire. Or, selon Tempus, le Royaume-Uni ne contesterait pas qu’un signal de prix plus net serait susceptible d’entraîner une baisse du montant de l’aide étant donné que, à l’origine, il avait opté pour la méthode fondée sur la triade, avant de changer d’avis à la suite de la clôture de la consultation publique nationale.

197    En outre, Tempus affirme que la modification de la méthode de recouvrement des coûts a été spécifiquement demandée par les fournisseurs intégrés verticalement, lesquels ont bénéficié du changement effectué. Or, un mois avant l’adoption de la décision attaquée, le 26 juin 2014, l’Office of Gas and Electricity Management (Ofgem, bureau des marchés du gaz et de l’électricité, Royaume-Uni) avait décidé de demander formellement à la Competition and Markets Authority (Autorité de la concurrence et des marchés, Royaume-Uni) d’enquêter sur le marché de la fourniture d’électricité et de gaz aux particuliers et aux petites entreprises en raison, notamment, d’inquiétudes suscitées par la forte position des fournisseurs intégrés verticalement, en particulier quant à l’accès au marché sur un marché où la concurrence est déjà faible (annexe E3 des observations sur le mémoire en intervention, paragraphes 3.16 à 3.18 et annexe E4 des observations sur le mémoire en intervention, paragraphe 1.39).

198    La Commission rétorque que la méthode de recouvrement des coûts appartient au volet financier du marché de capacité qui ne serait pas, du moins pas directement, pertinent pour l’appréciation de la compatibilité de la mesure en cause. La méthode de recouvrement des coûts utilisée en l’espèce serait un compromis entre l’intérêt de maintenir une incitation à la réduction de la consommation et celui de réduire l’incertitude des fournisseurs d’électricité quant à la part des coûts restant à leur charge, l’analyse dans la décision attaquée étant fondée sur les explications fournies par le gouvernement du Royaume-Uni dans la notification, en réponse à la lettre de l’UKDRA. La Commission soutient que ladite méthode de recouvrement des coûts bénéficie aux opérateurs de gestion de la demande et que, en toute hypothèse, elle ajoute un niveau supplémentaire de tarification des pics de demande, ce qui ne serait pas le cas avec d’autres méthodes telles que les tarifs forfaitaires ou l’impôt. Le Royaume-Uni ajoute que, lors de la consultation publique nationale, il avait été spécialement demandé aux participants des alternatives à la méthode de recouvrement des coûts fondée sur la triade.

199    À cet égard, les lignes directrices énoncent qu’une mesure d’aide n’est considérée comme étant proportionnée que si son montant est limité au minimum nécessaire pour atteindre l’objectif fixé [paragraphe 27, sous e), et paragraphe 69 des lignes directrices]. De plus, s’agissant des mesures d’aide en faveur de l’adéquation des capacités, elles doivent être conçues de manière à garantir que le prix payé pour la disponibilité de capacités tend automatiquement vers zéro lorsque le niveau des capacités fournies est adéquat pour répondre au niveau des capacités demandées (paragraphe 231 des lignes directrices).

200    En l’espèce, il convient tout d’abord de constater que la méthode de recouvrement des coûts exposés pour financer les contrats de capacité adoptée par la mesure en cause consiste en une redevance appliquée à l’ensemble des fournisseurs d’électricité agréés et dont le montant est calculé sur la base de leur part de marché dans la demande en électricité enregistrée entre 16 et 19 heures en semaine, de novembre à février (considérant 69 de la décision attaquée).

201    Ensuite, il convient de constater que, dans la décision attaquée, la Commission a entériné la méthode de recouvrement adoptée dans la mesure en cause. Ainsi, elle a considéré que cette méthode constituait une incitation à réduire la demande en électricité lors des pics de demande, tout en étant prévisible pour les fournisseurs d’électricité (considérant 129 de la décision attaquée).

202    Il convient donc de vérifier si la Commission pouvait entériner la méthode de recouvrement des coûts adoptée dans la mesure en cause sans ouvrir la procédure formelle d’examen ou si cette méthode aurait dû mener la Commission à avoir des doutes quant à la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur.

203    À cet égard, en premier lieu, contrairement à ce que soutient la Commission, il convient de constater que la méthode de recouvrement des coûts est pertinente pour apprécier la compatibilité de la mesure avec le marché intérieur et, en particulier, son caractère proportionné.

204    En effet, premièrement, le montant de l’aide dépend du volume de capacité acheté par le biais du marché de capacité et du prix de clôture des enchères. Or, d’une part, le volume de capacité mis aux enchères par le Royaume-Uni est déterminé par une estimation de la demande en électricité ainsi que des capacités disponibles et par l’application d’une norme de fiabilité visant à atteindre le niveau souhaité d’adéquation des capacités lors des pics de demande (considérant 32 de la décision attaquée). Le volume de capacité nécessaire est donc directement lié au niveau d’électricité consommé lors des pics de demande. Moins les pics de demande sont élevés, moins il est nécessaire pour le Royaume-Uni d’acheter de la capacité pour atteindre le niveau souhaité de sécurité d’approvisionnement en électricité. D’autre part, une réduction du volume de capacité mis aux enchères peut également conduire à une réduction du prix de clôture dans la mesure où cela conduit à mettre un plus grand nombre de fournisseurs de capacité en concurrence pour un même volume de capacité. En effet, comme le reconnaît le Royaume-Uni dans sa notification, une plus grande concurrence conduit à une réduction du prix de clôture (point 2, « Box 2 – When will it be possible to withdraw the Capacity Market ? », de la notification). La notification reconnaît d’ailleurs qu’une réduction de la consommation d’électricité lors des pics de demande conduit, à terme, à la sortie du marché de capacité (voir schémas 8 et 9 à la page 47 de la notification indiquant que le problème du « missing money » sera réduit au fur et à mesure que la gestion de la demande progresse).

205    Deuxièmement, le Royaume-Uni a admis que la méthode de recouvrement des coûts du marché de capacité influence le volume de capacité mis aux enchères. Ainsi, le Royaume-Uni explique que le fait de lier la redevance visant à financer le recouvrement des coûts du marché de capacité à la consommation d’électricité lors des pics de demande constitue une incitation claire pour les parties concernées à réduire leur consommation lors de ces pics, ce qui réduit la quantité de capacité devant être achetée pour atteindre le niveau de sécurité d’approvisionnement souhaité et, partant, réduit également le coût pour les consommateurs (point 624 du projet de marché de capacité soumis à consultation publique).

206    En deuxième lieu, il ressort de la notification que le Royaume-Uni a modifié la méthode de recouvrement des coûts après la consultation publique. En effet, il était initialement envisagé de calculer le montant de la redevance sur la base de la part de marché des fournisseurs d’électricité dans la demande en électricité enregistrée durant les périodes dites de « triade », c’est-à-dire les trois périodes d’une demi-heure enregistrant les pics de consommation d’électricité les plus élevés annuellement au Royaume-Uni sur la période allant de novembre à février (paragraphes 521 et 522 de la notification). Ce n’est qu’après la consultation publique que le Royaume-Uni a modifié la méthode de recouvrement des coûts pour adopter celle décrite au point 200 ci-dessus, à savoir une méthode de recouvrement des coûts fondée sur la consommation d’électricité entre 16 et 19 heures chaque jour de la semaine en hiver.

207    En troisième lieu, il convient de constater que la Commission a entériné la position du Royaume-Uni sans examiner les conséquences de ce changement sur le montant total de l’aide et, partant, sur le caractère proportionné de la mesure en cause.

208    Dans sa lettre du 9 juin 2014, l’UKDRA a fait part à la Commission de ses préoccupations à la suite du changement de méthode de recouvrement des coûts. D’une part, selon l’UKDRA, une telle méthode émousserait le signal de prix qui devrait être envoyé aux consommateurs lors des pics de demande les plus élevés afin qu’ils réduisent leur consommation. D’autre part, l’attention de la Commission était également attirée sur le fait que les consommateurs résidentiels étaient classés selon des profils préétablis et qu’ils ne pouvaient pas éviter les coûts du marché de capacité en modifiant leur consommation entre 16 et 19 heures.

209    Certes, à la suite de la lettre de l’UKDRA du 9 juin 2014, la Commission a demandé au Royaume-Uni de réagir. Cependant, la Commission s’est ensuite contentée de prendre acte de la réponse du Royaume-Uni par laquelle il se limitait à affirmer que la méthode de recouvrement des coûts finalement adoptée maintenait une incitation à réduire la consommation d’électricité lors des pics de demande, tout en étant plus prévisible pour les fournisseurs (considérant 129 de la décision attaquée). En particulier, selon le Royaume-Uni, les périodes de triade étant déterminées ex post, les utiliser comme période de référence pour le calcul de la redevance créait une incertitude pour les fournisseurs quant au montant de leur contribution au financement du système qui pouvaient les inciter à faire payer un prix plus élevé aux consommateurs. Le Royaume-Uni affirmait également que le fait de prendre une période déterminée et prévisible comme référence pour le calcul de la redevance visait également à encourager le développement d’une tarification en fonction de l’heure de consommation, ce qui devrait profiter aux consommateurs résidentiels qui seraient alors en mesure de réagir et de réduire leur consommation entre 16 et 19 heures les jours de semaine, durant les mois d’hiver (paragraphe 522 de la notification).

210    Or, malgré la reconnaissance de l’influence de la méthode de recouvrement des coûts sur le volume de capacité qu’il est nécessaire de se procurer par le biais du marché de capacité, il ressort de la décision attaquée que la Commission n’a pas vérifié si la nouvelle méthode de recouvrement des coûts maintenait effectivement une incitation équivalente pour la réduction de la consommation d’électricité lors des pics de demande, notamment par le biais d’un encouragement au développement de la gestion de la demande.

211    La Commission n’a pas non plus vérifié si la méthode de recouvrement des coûts adoptée affectait l’accès au marché, notamment des opérateurs de gestion de la demande, en particulier en augmentant les obstacles à l’entrée et à l’expansion résultant de la forte position des fournisseurs intégrés verticalement. Or, une mesure d’aide peut également générer des distorsions de concurrence en augmentant ou en maintenant un pouvoir de marché important pour le bénéficiaire. Même lorsque l’aide ne renforce pas directement le pouvoir de marché, elle peut le faire indirectement en dissuadant l’expansion des concurrents existants ou en provoquant leur éviction, ou en décourageant l’accès de nouveaux concurrents au marché (paragraphe 92 des lignes directrices).

212    Quant à l’argument du Royaume-Uni selon lequel la méthode initialement proposée pouvait inciter les fournisseurs d’électricité à imposer une prime plus élevée aux consommateurs finals, la Commission n’a pas expliqué en quoi ce risque avait une quelconque incidence sur le montant total de l’aide. De plus, la Commission n’a pas examiné si une telle prime pouvait, pour les consommateurs, être compensée par la possibilité de réduire le volume de capacité acheté par le biais du marché de capacité, voire le prix de clôture, pour les raisons exposées aux points 204 et 205 ci-dessus.

213    À la lumière de tout ce qui précède, il convient de conclure qu’il revenait à la Commission d’examiner l’éventuelle incidence du changement de méthode de recouvrement des coûts sur le caractère proportionné de la mesure en cause et, partant, sa compatibilité avec le marché intérieur. Dès lors, le fait que la Commission n’ait pas disposé d’une information complète en ce qui concerne les conséquences du changement de méthode de recouvrement des coûts dans le cadre de la procédure préliminaire d’examen constituait un indice supplémentaire de l’existence de doutes.

3)      Sur les conditions de participation au marché de capacité

214    Tempus soutient, en substance, que la Commission aurait dû avoir des doutes quant à la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur en ce qu’elle contrevenait aux lignes directrices et, en particulier, à l’obligation d’encourager et de fournir des incitations adéquates aux opérateurs de gestion de la demande, en raison des conditions de participation au marché de capacité auxquelles étaient soumis les opérateurs de gestion de la demande et qui rendaient difficiles leur participation au marché de capacité.

215    Premièrement, Tempus soutient que l’interaction entre les enchères transitoires et les enchères durables incite les opérateurs de gestion de la demande à participer aux enchères transitoires en raison des conditions de participation plus favorables, ce qui conduit de facto à les exclure des premières enchères T‑4. Au lieu d’encourager la participation des opérateurs de gestion de la demande au marché de capacité en leur donnant une occasion supplémentaire de soumissionner, les enchères transitoires conduiraient donc en réalité à restreindre leur participation aux enchères durables.

216    Deuxièmement, Tempus soutient que la mesure en cause désavantage les opérateurs de gestion de la demande en obligeant tous les participants au marché de capacité à garantir des incidents de capacité d’une durée indéterminée, alors même que la plupart des incidents de capacité n’ont qu’une durée limitée dans le temps. Ce faisant, la mesure en cause ne prendrait pas suffisamment en compte les spécificités des opérateurs de gestion de la demande et découragerait leur participation au marché de capacité.

217    Troisièmement, Tempus soutient que le fait de soumettre les participants au marché de capacité à la même obligation de garantie de soumission est susceptible de causer un problème d’entrée sur le marché pour les opérateurs de gestion de la demande, en raison du fait que le secteur n’en est encore qu’à ses débuts. Le problème serait exacerbé par l’obligation de soumissionner pour couvrir des incidents de capacité à durée indéterminée. Le Royaume-Uni avait d’ailleurs initialement prévu de soumettre les nouveaux opérateurs de gestion de la demande à une garantie de soumission inférieure à celle des nouveaux producteurs. La mesure en cause découragerait donc la participation des opérateurs de gestion de la demande au marché de capacité.

218    Quatrièmement, en réponse à l’argument de la Commission dans le mémoire en défense, selon lequel la fixation à 2 MW du seuil minimum de participation aux enchères durables était bas et permettait d’encourager la participation des opérateurs de gestion de la demande, Tempus fait valoir que ce seuil était en réalité assez élevé, notamment au regard du seuil adopté dans les exemples américains de marché de capacité, et renforçait les problèmes liés au montant de la garantie de soumission.

219    La Commission, soutenue par le Royaume-Uni, fait valoir, premièrement, que la mesure en cause n’impose pas aux opérateurs de gestion de la demande de choisir entre les enchères transitoires et les enchères durables, mais qu’elle offre au contraire une chance supplémentaire aux opérateurs de gestion de la demande qui n’ont pas été en mesure de participer aux premières enchères T‑4 ou qui y ont participé sans succès, afin d’encourager la croissance du secteur. Les enchères transitoires n’ayant pas vocation à servir de soutien supplémentaire aux opérateurs de gestion de la demande capables de remporter des enchères durables, il serait justifié d’exclure des enchères transitoires les opérateurs de gestion de la demande qui ont participé avec succès aux enchères durables.

220    Deuxièmement, la Commission soutient que, à la lumière de l’objectif poursuivi par la mesure en cause, à savoir la sécurité de l’approvisionnement indépendamment de la durée effective de chaque situation de tension sur le réseau, l’absence de possibilité de soumissionner pour des incidents de capacité à terme fixe ne constitue pas une discrimination à l’encontre des opérateurs de gestion de la demande dans la mesure où prévoir une telle possibilité limiterait la fiabilité des opérateurs de gestion de la demande par rapport aux autres fournisseurs de capacité, redoublerait la complexité des enchères et pourrait aussi obliger le Royaume-Uni à chercher à obtenir davantage de capacité. Le Royaume-Uni ajoute que si la possibilité de soumissionner pour des incidents de capacité à terme fixe peut être utile au secteur de la gestion de la demande, car elle lui est plus familière et lui permet de faire des offres plus précises, elle ne se justifie pas dans les enchères durables dans la mesure où elle risquerait de compromettre l’objectif poursuivi ou de le rendre plus coûteux.

221    Troisièmement, la Commission considère que les conditions de garantie de soumission sont raisonnables. Elle relève qu’une telle garantie vise à attester le sérieux de la participation des nouveaux opérateurs et à les inciter à fournir les capacités nécessaires pour atteindre l’objectif de sécurité d’approvisionnement. Elle relève qu’aucun problème de discrimination n’a été soulevé à cet égard au cours de la procédure administrative. La Commission précise également que la différence entre les montants de la garantie de soumission exigée dans le cadre du régime durable et de celle exigée dans le cadre du régime transitoire est due au fait que ce dernier a été spécialement conçu pour encourager les nouveaux opérateurs de gestion de la demande. Le Royaume-Uni ajoute que la majorité des réponses à la consultation publique a soutenu l’inclusion d’une exigence de garantie pour les opérateurs de gestion de la demande et a estimé que le niveau proposé était approprié.

222    Enfin, dans la duplique, la Commission soutient que les arguments de Tempus relatifs au seuil minimum de 2 MW sont irrecevables car ils n’ont été soulevés qu’au stade de la réplique. Elle soutient par ailleurs que le seuil minimum de 2 MW est bas.

223    À cet égard, il convient de rappeler que les lignes directrices disposent, en leur paragraphe 226, que les mesures d’aide devraient être ouvertes et fournir des incitations adéquates aussi bien aux producteurs existants qu’aux producteurs futurs, ainsi qu’aux opérateurs utilisant des technologies substituables, telles que des solutions d’adaptation de la demande ou de stockage.

224    En l’espèce, il convient tout d’abord de constater que la notification indique que la mesure en cause contient un certain nombre de mesures destinées à encourager le développement de la gestion de la demande.

225    Premièrement, la notification relève que l’organisation des enchères transitoires vise expressément à soutenir la croissance de la gestion de la demande et à donner aux opérateurs de gestion de la demande la meilleure chance possible de participer avec succès au régime durable par la suite. Au-delà même de leur existence, les enchères transitoires présentent certaines caractéristiques destinées à encourager le développement de la gestion de la demande. Ainsi, la garantie de soumission pour la participation aux enchères transitoires est fixée à un niveau limité à 10 % du niveau requis pour la participation aux enchères durables. De plus, les enchères transitoires permettent de soumissionner pour couvrir des incidents de capacité à terme fixe, alors que les enchères durables exigent des participants qu’ils s’engagent à couvrir des incidents de capacité d’une durée indéterminée (paragraphes 222 et 223 de la notification).

226    Deuxièmement, la notification relève que le développement de la gestion de la demande est encouragé par l’organisation des enchères T‑1 et, en particulier, par la garantie que le Royaume-Uni se procurera par ce biais au moins 50 % du volume de capacité initialement réservé à de telles enchères, quelle que soit l’évolution des besoins en capacité entre le moment où les enchères T‑4 sont organisées et le moment où les enchères T‑1 sont organisées (paragraphes 224 à 226 de la notification).

227    Troisièmement, la notification relève que le développement de la gestion de la demande est également encouragé par certaines conditions de participation aux enchères durables. En particulier, il s’agit de la fixation du seuil minimum à 2 MW, des possibilités d’agrégation et de la possibilité, pour les opérateurs de gestion de la demande, d’influencer le prix de clôture (paragraphe 224 de la notification).

228    Dans la décision attaquée, la Commission a entériné la position du Royaume-Uni. Ainsi, elle indique expressément au considérant 131 de la décision attaquée que la mesure en cause soutient le développement de la gestion de la demande et qu’elle comprend des mesures spécifiquement destinées à aider à développer ce secteur qui n’en est encore qu’à ses débuts. Il ressort de la décision attaquée qu’il s’agit notamment du fait que les enchères transitoires sont « réservées » aux opérateurs de gestion de la demande et spécifiquement structurées afin d’encourager le développement de la gestion de la demande, en aidant les opérateurs de gestion de la demande qui ne sont pas encore suffisamment matures à être concurrentiels dans le cadre des enchères durables (considérants 51 et 107 de la décision attaquée). Il s’agit également de la garantie que les enchères T‑1, qui constituent « une meilleure voie d’accès au marché » pour les opérateurs de gestion de la demande que les enchères T‑4, sont organisées et que le Royaume-Uni « s’engage » à se procurer au moins 50 % du volume réservé à de telles enchères, tout en gardant une certaine flexibilité sur le long terme (considérant 46 de la décision attaquée).

229    Il convient donc de vérifier si la Commission pouvait entériner la mesure en cause comme fournissant des incitations adéquates à la gestion de la demande sans ouvrir la procédure formelle d’examen ou si la Commission aurait dû avoir des doutes quant à la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur.

i)      S’agissant des enchères transitoires

230    Tempus soutient, en substance, que les conditions de participation plus favorables conduiront les opérateurs de gestion de la demande à privilégier la participation aux enchères transitoires. Selon Tempus, cela conduirait à exclure de facto les opérateurs de gestion de la demande des premières enchères T‑4. Cela conduirait également à verrouiller le marché en raison des contrats de capacité à long terme accordés aux producteurs lors de ces enchères.

231    À cet égard, premièrement, il convient de constater que la mesure en cause n’exclut pas les opérateurs de gestion de la demande des enchères durables T‑4 et T‑1, pour autant qu’ils satisfassent aux conditions de participation fixées.

232    Deuxièmement, contrairement à ce que soutient Tempus, il convient de constater qu’il n’existe pas de véritable exclusion mutuelle entre la participation aux enchères transitoires et la participation aux enchères durables. D’une part, les opérateurs de la demande dont les offres n’auraient pas été retenues lors des premières enchères T‑4 gardent la possibilité de participer aux enchères transitoires. D’autre part, les opérateurs de gestion de la demande ayant soumissionné avec succès aux enchères transitoires gardent la possibilité de participer ensuite aux enchères durables T‑4 et T‑1 subséquentes. La mesure en cause n’oblige donc pas les opérateurs de gestion de la demande à choisir entre participer aux enchères transitoires et participer aux enchères durables.

233    Certes, les opérateurs de gestion de la demande qui auraient obtenu un contrat de capacité à la suite des premières enchères T‑4 ne sont pas éligibles à participer aux enchères transitoires. Contrairement à ce que soutient Tempus, cette limitation ne revient cependant pas à exclure les opérateurs de gestion de la demande des premières enchères T‑4. En effet, les enchères transitoires visent uniquement à aider les opérateurs de gestion de la demande qui ne seraient pas encore assez matures pour participer avec succès aux premières enchères durables à se développer en leur offrant une possibilité supplémentaire de recevoir un paiement de capacité dès 2015 et 2016 afin d’être plus concurrentiels lors des enchères durables suivantes. À cet égard, comme le fait valoir à juste titre la Commission, le fait que le secteur de la gestion de la demande n’en soit encore qu’à ses débuts n’exclut pas que certains opérateurs de gestion de la demande aient déjà atteint un niveau de maturité suffisant pour participer de manière concurrentielle aux enchères durables dès les premières enchères T‑4.

234    Troisièmement, s’agissant du risque de verrouillage du marché du fait de la moindre participation des opérateurs de gestion de la demande aux premières enchères T‑4 et de l’octroi consécutif de trop nombreux contrats de capacité à long terme aux producteurs, cet argument sera examiné avec ceux relatifs à l’interaction entre les enchères T‑4 et les enchères T‑1. En effet, le risque de verrouillage du marché allégué par Tempus suppose que le volume de capacité réservé aux enchères T‑1 ne permette pas le développement de la gestion de la demande.

235    Il convient de conclure que l’interaction entre les enchères transitoires et les enchères durables ne conduit pas à exclure les opérateurs de gestion de la demande des enchères durables.

236    Toutefois, il convient également de relever que les enchères transitoires ne font, par définition, pas partie du régime durable. De plus, contrairement à ce que la Commission indique au considérant 51 de la décision attaquée, il ressort du dossier que ces enchères transitoires ne sont pas uniquement réservées aux opérateurs de gestion de la demande, mais sont également ouvertes aux petites unités de production comme cela est indiqué à l’article 29 du règlement de 2014 relatif à la capacité électrique. Dans ces conditions, il convient également d’examiner si les enchères durables procurent aux opérateurs de gestion de la demande des incitations adéquates.

ii)    S’agissant des enchères T1 et de leur interaction avec les enchères T4

237    Tempus soutient, en substance, que les enchères durables ne fournissent pas d’incitations adéquates aux opérateurs de gestion de la demande parce que, d’une part, les enchères T‑4 ne sont pas adaptées aux délais de réalisation des opérateurs de gestion de la demande et, d’autre part, le volume de capacité réservé aux enchères T‑1 est limité.

238    À cet égard, il convient tout d’abord de constater que les enchères T‑1 sont particulièrement importantes pour les opérateurs de gestion de la demande.

239    En effet, il est constant entre les parties que les enchères T‑1 peuvent être plus adaptées aux opérateurs de gestion de la demande que les enchères T‑4 en raison des délais de réalisation de ces opérateurs. Ainsi, selon la décision attaquée, les enchères T‑1 constituent une « meilleure voie d’accès au marché » pour les opérateurs de gestion de la demande (considérant 46 de la décision attaquée). De même, dans la requête, Tempus considère qu’il peut être difficile pour les opérateurs de gestion de la demande de participer aux enchères T‑4 dans la mesure où ces enchères requièrent de soumissionner et de réaliser des investissements immédiatement pour fournir des capacités quatre ans plus tard et ne recevoir un paiement que quatre ans plus tard.

240    Le volume de capacité réservé pour les enchères T‑1 est d’ailleurs calculé dans la mesure en cause sur la base d’une estimation de la gestion de la demande rentable qui pourrait participer à ces enchères (considérant 45 de la décision attaquée).

241    Or, premièrement, il convient de constater que le volume de capacité réservé aux enchères T‑1 est restreint par rapport au volume de capacité mis aux enchères lors des enchères T‑4. De plus, les enchères T‑1 ne sont aucunement réservées aux seuls opérateurs de gestion de la demande et une partie du volume de capacité mis aux enchères T‑1 peut donc être attribué à des fournisseurs de capacité autres que des opérateurs de gestion de la demande.

242    Deuxièmement, contrairement à ce qu’indique la Commission au considérant 46 de la décision attaquée, il ressort du dossier qu’il n’existe pas de garantie que le Royaume-Uni organise des enchères T‑1 si des enchères T‑4 sont organisées, ni qu’il se procure par ce biais au moins 50 % du volume initialement réservé aux enchères T‑1. Ainsi, si l’article 7, paragraphe 4, sous b), les articles 10 et 26 du règlement de 2014 relatif à la capacité électrique, lus conjointement, indiquent que le secrétaire d’État peut décider de ne pas organiser d’enchères T‑1, le texte reste silencieux quant à l’engagement de mettre aux enchères au moins 50 % du volume de capacité initialement réservé à de telles enchères. À l’audience, en réponse aux questions du Tribunal, les représentants de la Commission et du Royaume-Uni n’ont pas non plus été capables d’identifier la disposition juridique confirmant l’existence d’une telle garantie, au-delà des déclarations politiques du Royaume-Uni.

243    À la lumière de ce qui précède, il convient de conclure que, si l’organisation d’enchères T‑1 peut effectivement encourager le développement de la gestion de la demande, la Commission aurait dû avoir des doutes quant à l’ampleur de cet effet incitatif en l’espèce au regard du volume restreint de capacité réservé aux enchères T‑1 et de l’absence de disposition juridique expresse confirmant la garantie du Royaume-Uni de se procurer au moins 50 % du volume réservé à ces enchères.

iii) S’agissant des conditions de participation aux enchères durables

244    Tempus soutient, en substance, que les conditions de participation aux enchères durables ne permettent pas d’accorder des incitations adéquates aux opérateurs de gestion de la demande. Selon Tempus, il était peu probable en pratique, au regard de certaines conditions de participation, que ces opérateurs soient en mesure de participer aux enchères T‑4. Tempus s’appuie notamment sur l’impossibilité pour ces opérateurs de soumissionner pour des obligations couvrant des incidents de capacité à terme fixe et sur le montant de la garantie de soumission.

245    En premier lieu, s’agissant de la durée des incidents de capacité, Tempus soutient que la mesure en cause discrimine les opérateurs de gestion de la demande en traitant de manière équivalente tous les participants aux enchères durables et en les obligeant tous, y compris ces opérateurs, à soumissionner pour des incidents de capacité à durée indéterminée.

246    À cet égard, comme le souligne Tempus, le Royaume-Uni a fait le choix, pour le régime durable, d’imposer à tous les opérateurs de pouvoir répondre à des incidents de capacité d’une durée indéterminée. À l’inverse, s’agissant des enchères transitoires, l’article 29, paragraphe 3, du règlement de 2014 relatif à la capacité électrique permet aux opérateurs de gestion de la demande de choisir de soumissionner pour une obligation couvrant des incidents de capacité soit à terme fixe, soit à durée indéterminée. De plus, comme le reconnaît le Royaume-Uni dans ses écrits devant le Tribunal, des obligations à terme fixe sont plus familières aux opérateurs de gestion de la demande et peuvent les aider à quantifier précisément leur exposition au risque, cela ayant pour conséquence des offres plus précises dans le cadre du régime durable.

247    Toutefois, la Commission fait valoir à juste titre que des soumissions limitées à la couverture d’incidents de capacité à terme fixe procurent un niveau de sécurité d’approvisionnement moindre par rapport aux soumissions couvrant des incidents de capacité à durée indéterminée et ne permettent donc pas aussi facilement d’atteindre le niveau de sécurité d’approvisionnement souhaité. Le fait d’imposer à tous les fournisseurs de capacités de couvrir des incidents de capacité à durée indéterminée, mettant ainsi à charge des opérateurs de gestion de la demande le risque de défaut en cas d’incidents de capacité se prolongeant dans le temps, n’est donc pas de nature à créer des doutes quant à la compatibilité de la mesure en cause, pour autant que cette mesure prenne en compte les besoins de financement propres à chaque technologie afin de permettre à tous les fournisseurs de capacité de participer effectivement au marché de capacité. Comme cela est exposé aux points 182 à 192 ci-dessus, il ne semble toutefois pas que la Commission ait cherché à vérifier si la mesure en cause prenait en compte les besoins de financement des opérateurs de gestion de la demande.

248    En deuxième lieu, s’agissant de la garantie de soumission, Tempus soutient que le fait de soumettre tous les participants au marché de capacité à la même obligation de garantie de soumission est susceptible de causer un problème d’entrée sur le marché pour les opérateurs de gestion de la demande, en raison du fait que le secteur de la gestion de la demande en est encore à ses débuts.

249    À cet égard, premièrement, il convient de relever que le Royaume-Uni a admis que la garantie de soumission pouvait constituer une barrière à l’entrée de nouveaux opérateurs de gestion de la demande. En effet, il ressort du dossier que le Royaume-Uni avait initialement envisagé de réduire le montant de la garantie de soumission pour les CMU de gestion de la demande non confirmées afin d’éviter que cette garantie de soumission ne représente une barrière à l’entrée de nouveaux opérateurs de gestion de la demande (point 565 du projet de marché de capacité soumis à consultation publique). De même, lors de la consultation publique, certains opérateurs de gestion de la demande avaient également déclaré que le montant de la garantie de soumission constituait une barrière à l’entrée de nouveaux opérateurs de gestion de la demande. Le montant de la garantie de soumission pouvait d’autant plus constituer une barrière à l’entrée pour les nouveaux opérateurs de gestion de la demande que tous les participants au marché de capacité devaient s’engager à couvrir des incidents de capacité à durée indéterminée alors que les opérateurs de gestion de la demande pouvaient avoir plus de difficultés que les producteurs à couvrir un incident de capacité qui se prolongeait dans le temps. Dans la mesure où les opérateurs de gestion de la demande risquent, potentiellement, d’être perçus comme étant plus susceptibles de faire défaut, ils pourraient donc avoir plus de difficultés à financer le montant de la garantie de soumission.

250    Deuxièmement, il convient de constater que, à la suite des observations des producteurs et des distributeurs en réponse à la consultation publique, le Royaume-Uni a décidé d’aligner, dans la mesure en cause, la garantie de soumission imposée aux CMU de gestion de la demande non confirmées sur celle exigée des nouvelles CMU de production non encore opérationnelles. La mesure en cause est donc moins favorable aux opérateurs de gestion de la demande que le système initialement envisagé afin de répondre aux difficultés de financement de ces opérateurs.

251    Cependant, comme le souligne la Commission dans le mémoire en défense, alors que le Royaume-Uni avait initialement prévu que la garantie de soumission serait entièrement perdue en cas de défaut de fourniture, il convient de constater que la mesure en cause prévoit que la garantie de soumission ne sera dorénavant perdue qu’au prorata du volume de capacité qui n’a pas effectivement été fourni par les opérateurs de gestion de la demande, pour autant que ceux-ci fournissent au moins 90 % du volume de capacité auquel ils s’étaient engagés. La mesure en cause contient donc une mesure spécifiquement destinée à compenser, pour les opérateurs de gestion de la demande, la perte de l’avantage consistant en un montant réduit de garantie de soumission à la suite de l’alignement du montant de la garantie de soumission des CMU de gestion de la demande non confirmées sur celui des nouvelles CMU de production.

252    Par conséquent, au vu du but poursuivi par l’imposition d’une garantie de soumission, l’alignement du montant de la garantie de soumission des CMU de gestion de la demande non confirmées sur celui des nouvelles CMU de production ne suffit pas, en lui-même, à créer des doutes quant à la compatibilité de la mesure en cause, pour autant que ladite mesure prenne en compte les besoins de financement propres à chaque technologie afin de permettre à tous les fournisseurs de capacité de participer effectivement au marché de capacité. Comme cela est exposé aux points 182 à 192 ci-dessus, il ne semble toutefois pas que la Commission ait cherché à vérifier si la mesure en cause prenait en compte les besoins en financement des opérateurs de gestion de la demande.

253    En troisième lieu, en réponse aux arguments présentés par la Commission dans le mémoire en défense, Tempus fait valoir que la fixation du seuil minimum de participation à 2 MW constitue une barrière à la participation des opérateurs de gestion de la demande au marché de capacité.

254    D’emblée, il y a lieu de constater que l’argument de Tempus s’agissant de ce seuil se rattache à l’argumentation contenue dans la requête relative au traitement discriminatoire ou désavantageux des opérateurs de gestion de la demande au sein du marché de capacité, ainsi que Tempus l’a indiqué à l’audience. En outre, cet argument a été formulé en réponse aux allégations de la Commission dans le mémoire en défense faisant valoir que ce seuil était bas et favorable à la gestion de la demande.Ainsi, en l’espèce, l’argument en question a non seulement un lien étroit avec la requête, mais résulte, de plus, de l’évolution normale du débat au sein d’une procédure contentieuse (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2013, Groupe Gascogne/Commission, C‑58/12 P, EU:C:2013:770, point 31). Contrairement à ce que soutient la Commission, cet argument doit donc être regardé comme l’ampliation d’un grief articulé dans la requête.

255    Ensuite, il convient de relever que la notification présente le seuil minimum de participation de 2 MW comme étant faible au regard du seuil de participation adopté par National Grid dans le cadre d’autres mesures et, partant, comme étant l’une des mesures permettant d’inciter les opérateurs de gestion de la demande à participer au marché de capacité (paragraphe 224 de la notification).

256    Cependant, premièrement, il convient de relever que le seuil de participation du marché de capacité PJM n’était que de 100 kW, soit 20 fois moins élevé que le seuil adopté par la mesure en cause. Or, ledit marché de capacité PJM est expressément pris comme référence par le Royaume-Uni dans la notification au soutien de son affirmation selon laquelle la mesure en cause permet de développer le secteur de la gestion de la demande (paragraphe 221 de la notification).

257    Deuxièmement, s’il est exact que les opérateurs de gestion de la demande ont effectivement la possibilité d’agréger plusieurs sites afin d’atteindre le seuil minimum de 2 MW, il convient de relever qu’ils doivent s’acquitter de la garantie de soumission sur l’intégralité des 2 MW, dès qu’une partie de ce volume, même minime, est constituée de capacités de gestion de la demande non confirmées. Or, pour les raisons exposées aux points 249 à 252 ci-dessus, le montant de la garantie de soumission peut constituer une barrière à l’entrée de nouveaux opérateurs de gestion de la demande.

258    Par conséquent, la Commission aurait dû avoir des doutes quant à l’affirmation selon laquelle la fixation du seuil minimum de participation à 2 MW constituait une mesure favorisant le développement de la gestion de la demande.

iv)    Conclusion

259    Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que l’interaction entre les enchères T‑4 et T‑1 ainsi que certaines conditions de participation des opérateurs de gestion de la demande au marché de capacité auraient dû conduire la Commission à avoir des doutes, d’une part, quant à la capacité de la mesure en cause à atteindre les objectifs affichés par le Royaume-Uni en matière d’encouragement du développement de la gestion de la demande et, d’autre part, quant à sa compatibilité avec les exigences des lignes directrices en matière d’incitations adéquates aux opérateurs de gestion de la demande et, partant, quant à la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur.

f)      Sur l’absence de rémunération supplémentaire des opérateurs de gestion de la demande en cas de limitation des pertes de transport et de distribution de l’électricité

260    Tempus soutient que la mesure en cause suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur en ce qu’elle ne rémunère pas les opérateurs de gestion de la demande pour la limitation des pertes de transport et de distribution de l’électricité. En effet, selon Tempus, la capacité fournie par les opérateurs de gestion de la demande réduit non seulement le montant global de capacité requise et circulant au sein du marché de capacité, mais aussi, à raison d’environ 7 à 8 %, le montant de capacité perdu lors du transport et de la distribution de l’électricité. Elle estime que les économies ainsi réalisées devraient être incorporées dans la rémunération des opérateurs de gestion de la demande, de manière à créer une incitation visant à améliorer l’efficacité du réseau.

261    La Commission, soutenue par le Royaume-Uni, estime que la question de l’absence de rémunération supplémentaire pour les limitations de pertes dans le transport et la distribution de l’électricité a été analysée dans la notification et a été examinée dans la décision attaquée. Ainsi, la Commission aurait fait sienne l’explication du gouvernement du Royaume-Uni selon laquelle le marché de capacité aurait uniquement pour objectif de garantir la disponibilité d’une capacité suffisante sur le réseau, et non de récompenser tous les autres avantages que procurerait chaque type de technologie.

262    En substance, Tempus soutient ainsi que la mesure en cause suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur en ce qu’elle ne rémunère pas les opérateurs de gestion de la demande pour la limitation des pertes de transport et de distribution de l’électricité.

263    Dans la décision attaquée, la Commission a relevé que la mesure en cause rémunérait uniquement la mise à disposition d’un certain volume de capacité, à l’exclusion de toute autre prestation telle que, par exemple, la fourniture d’électricité (considérant 132 de la décision attaquée). Elle a ensuite estimé que, à la lumière de l’objectif poursuivi par la mesure en cause, à savoir assurer l’adéquation des capacités afin d’atteindre le niveau souhaité de sécurité d’approvisionnement, l’absence de rémunération supplémentaire pour les limitations de pertes dans le transport et la distribution de l’électricité était justifiée (considérant 140 de la décision attaquée).

264    À cet égard, il y a lieu de relever que la mesure en cause consiste à mettre en œuvre un marché de capacité visant à remédier au problème d’adéquation des capacités du Royaume-Uni.

265    Or, les lignes directrices disposent expressément que le caractère approprié de mesures d’aide telles que celles en cause est conditionné au fait que « les aides rétribuent uniquement la disponibilité du service garantie par le producteur, c’est-à-dire son engagement à être en mesure de fournir de l’électricité, ainsi que la rétribution qu’il perçoit à ce titre, par exemple sous la forme d’une rémunération par MW de capacité mis à disposition » et qu’« [e]lles ne devraient inclure aucune rétribution pour la vente d’électricité, c’est-à-dire aucune rémunération par MW[h] vendu ».

266    Eu égard à ces considérations, force est de constater que l’absence de rémunération supplémentaire pour les limitations de pertes dans le transport et la distribution de l’électricité ne soulevait pas de doutes au sens de l’article 4, paragraphes 3 et 4, du règlement no 659/1999 qui auraient dû conduire la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Les arguments de Tempus sur ce point doivent, par conséquent, être rejetés.

g)      Conclusion

267    Il ressort de l’examen du premier moyen qu’il existe un ensemble d’indices objectifs et concordants, tirés, d’une part, de la durée et des circonstances de la phase de prénotification et, d’autre part, du contenu incomplet et insuffisant de la décision attaquée du fait de l’absence d’instruction appropriée par la Commission, au stade de l’examen préliminaire, de certains aspects du marché de capacité, qui atteste que cette dernière a pris la décision attaquée malgré l’existence de doutes. Sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres arguments de Tempus, il convient de conclure que l’appréciation de la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur soulevait des doutes au sens de l’article 4 du règlement no 659/1999, qui auraient dû conduire la Commission à ouvrir la procédure visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

268    La décision attaquée doit dès lors être annulée.

2.      Sur le second moyen, tiré d’un défaut de motivation

269    Au vu de l’annulation de la décision attaquée, qui s’impose au regard du premier moyen, il n’est pas nécessaire d’examiner le second moyen.

 Sur les dépens

270    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de Tempus Energy Ltd et de Tempus Energy Technology Ltd, conformément aux conclusions de ces dernières.

271    En application de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, il convient de décider que le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision C(2014) 5083 final de la Commission, du 23 juillet 2014, de ne pas soulever d’objections à l’encontre du régime d’aides relatif au marché de capacité au Royaume-Uni, au motif que ledit régime est compatible avec le marché intérieur, en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE (aide d’État 2014/N2), est annulée.

2)      La Commission européenne est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Tempus Energy Ltd et Tempus Energy Technology Ltd.

3)      Le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.

Frimodt Nielsen

Kreuschitz

Forrester

Półtorak

 

      Perillo

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 novembre 2018.

Signatures


Table des matières


I. Antécédents du litige

A. Sur les requérantes et sur l’objet du litige

B. Sur la mesure en cause

C. Sur les dispositions pertinentes des lignes directrices

D. Sur la décision attaquée

II. Procédure et conclusions des parties

III. En droit

A. Sur la recevabilité

B. Sur le fond

1. Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, de la violation des principes de non-discrimination, de proportionnalité et de protection de la confiance légitime ainsi que d’une appréciation erronée des faits

a) Observations liminaires

b) Sur la notion de doutes et la décision de la Commission d’ouvrir ou non la procédure formelle d’examen

c) Sur la durée des discussions entre l’État membre et la Commission et les circonstances qui entourent l’adoption de la décision attaquée

d) Sur l’appréciation par la Commission, au stade de l’examen préliminaire et en considération des éléments disponibles, du rôle de la gestion de la demande au sein du marché de capacité

1) Équivalence et intérêts de la production et de la gestion de la demande

2) Rôle positif de la gestion de la demande

3) Éléments disponibles concernant le potentiel de la gestion de la demande

e) Sur le présumé traitement discriminatoire ou désavantageux de la gestion de la demande au sein du marché de capacité

1) Sur la durée des contrats de capacité

2) Sur la méthode de recouvrement des coûts

3) Sur les conditions de participation au marché de capacité

i) S’agissant des enchères transitoires

ii) S’agissant des enchères T1 et de leur interaction avec les enchères T4

iii) S’agissant des conditions de participation aux enchères durables

iv) Conclusion

f) Sur l’absence de rémunération supplémentaire des opérateurs de gestion de la demande en cas de limitation des pertes de transport et de distribution de l’électricité

g) Conclusion

2. Sur le second moyen, tiré d’un défaut de motivation

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.