Language of document : ECLI:EU:T:2019:46

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

31 janvier 2019 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie – Gel des fonds – Erreur d’appréciation – Modulation dans le temps des effets d’une annulation »

Dans l’affaire T‑667/17,

Alkarim for Trade and Industry LLC, établie à Tal Kurdi (Syrie), représentée par Mes J.-P. Buyle et L. Cloquet, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté, par MM. V. Piessevaux et A. Limonet, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision d’exécution (PESC) 2017/1245 du Conseil, du 10 juillet 2017, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2017, L 178, p. 13), du règlement d’exécution (UE) 2017/1241 du Conseil, du 10 juillet 2017, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2017, L 178, p. 1), de la décision (PESC) 2018/778 du Conseil, du 28 mai 2018, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2018, L 131, p. 16), et du règlement d’exécution (UE) 2018/774 du Conseil, du 28 mai 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2018, L 131, p. 1), pour autant que ces actes concernent la requérante,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de M. D. Gratsias, président, Mme I. Labucka et M. I. Ulloa Rubio (rapporteur), juges,

greffier : Mme M. Marescaux, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 20 septembre 2018,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Alkarim for Trade and Industry LLC, est une société de droit syrien active dans le domaine du commerce de lubrifiants, de graisses, d’huiles de base et d’additifs.

2        Condamnant fermement la répression violente des manifestations pacifiques en divers endroits dans toute la Syrie et lançant un appel aux autorités syriennes pour qu’elles s’abstiennent de recourir à la force, le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 9 mai 2011, la décision 2011/273/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2011, L 121, p. 11). Compte tenu de la gravité de la situation, le Conseil a institué un embargo sur les armes, une interdiction des exportations de matériel susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne, des restrictions à l’admission dans l’Union européenne ainsi que le gel des fonds et des ressources économiques de certaines personnes et entités responsables de la répression violente exercée contre la population civile syrienne.

3        Les noms des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie ainsi que ceux des personnes physiques ou morales et des entités qui leur sont liées sont mentionnés dans l’annexe de la décision 2011/273. En vertu de l’article 5, paragraphe 1, de cette décision, le Conseil, statuant sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et de la politique de sécurité, peut modifier cette annexe.

4        Étant donné que certaines des mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne entrent dans le champ d’application du traité FUE, le Conseil a adopté, le 9 mai 2011, le règlement (UE) no 442/2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2011, L 121, p. 1). Ce règlement est, pour l’essentiel, identique à la décision 2011/273, mais il prévoit des possibilités de déblocage des fonds gelés. La liste des personnes, des entités et des organismes reconnus comme étant soit responsables de la répression en cause, soit associés à ces responsables, figurant dans l’annexe II de ce règlement, est identique à celle figurant dans l’annexe de la décision 2011/273. En vertu de l’article 14, paragraphes 1 et 4, du règlement no 442/2011, lorsque le Conseil décide d’appliquer à une personne physique ou morale, à une entité ou à un organisme les mesures restrictives visées, il modifie l’annexe II en conséquence et, par ailleurs examine la liste qui y figure à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois.

5        Par sa décision 2011/782/PESC, du 1er décembre 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et abrogeant la décision 2011/273 (JO 2011, L 319, p. 56), le Conseil a estimé, compte tenu de la gravité de la situation en Syrie, qu’il était nécessaire d’instituer des mesures restrictives supplémentaires. Par souci de clarté, les mesures imposées par la décision 2011/273 et les mesures supplémentaires ont été regroupées dans un instrument juridique unique. La décision 2011/782 prévoit, à son article 18, des restrictions en matière d’admission sur le territoire de l’Union et, à son article 19, le gel des fonds et des ressources économiques des personnes et entités dont le nom figure à son annexe I.

6        Le règlement no 442/2011 a été remplacé par le règlement (UE) no 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement no 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1).

7        Par la décision 2012/739/PESC du Conseil, du 29 novembre 2012, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et abrogeant la décision 2011/782 (JO 2012, L 330, p. 21), les mesures restrictives en cause ont été regroupées dans un instrument juridique unique.

8        La décision 2012/739 a été remplacée par la décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14). La décision 2013/255 a été prorogée jusqu’au 1er juin 2015 par la décision 2014/309/PESC du Conseil, du 28 mai 2014, modifiant la décision 2013/255 (JO 2014, L 160, p. 37).

9        Par sa décision d’exécution 2014/730/PESC, du 20 octobre 2014, mettant en œuvre la décision 2013/255 (JO 2014, L 301, p. 36), le Conseil a modifié cette décision en vue notamment d’appliquer les mesures restrictives en cause à d’autres personnes et entités. Le nom de la requérante figurait à la ligne 64, section B, annexe I, de cette décision concernant les entités visées par ces mesures restrictives, de même que la date de l’inscription de son nom sur la liste en cause, en l’occurrence le 21 octobre 2014, et les motifs suivants :

« Filiale de Pangates, elle en exerce le contrôle opérationnel. À ce titre, elle apporte son soutien au régime et bénéficie de celui-ci. Elle est en outre associée à la compagnie pétrolière syrienne Sytrol, inscrite sur la liste. »

10      Le même jour, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) no 1105/2014, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2014, L 301, p. 7). Le nom de la requérante a été inséré dans la liste figurant à l’annexe de ce règlement avec les mêmes mentions et motifs que ceux retenus dans la décision d’exécution 2014/730.

11      La décision d’exécution 2014/730 et le règlement d’exécution no 1105/2014 ont fait l’objet d’un rectificatif publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2015, L 90, p. 22) à la suite d’une erreur de plume dans les motifs, concernant la requérante, de la version française de ces actes. Par ce rectificatif, la mention « Filiale de Pangates » a été remplacée par la mention « Parent de Pangates ».

12      Le 14 janvier 2015, la requérante a introduit devant le Tribunal un recours visant à obtenir l’annulation de la décision d’exécution 2014/730 et du règlement d’exécution 1105/2014, tels que mis en œuvre ou modifiés jusqu’à la date de présentation du recours, pour autant que ces actes la concernaient. Ce recours a été enregistré au greffe du Tribunal sous le numéro T‑35/15.

13      Le 12 octobre 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/1836, modifiant la décision 2013/255 (JO 2015, L 266, p. 75). Le même jour, il a adopté le règlement (UE) 2015/1828, modifiant le règlement no 36/2012 (JO 2015, L 266, p. 1).

14      Aux termes du considérant 6 de la décision 2015/1836, « [l]e Conseil a estimé que, en raison du contrôle étroit exercé sur l’économie par le régime syrien, un cercle restreint de femmes et d’hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie n’[était] en mesure de maintenir son statut que grâce à des liens étroits avec le régime et au soutien de celui-ci, ainsi qu’à l’influence exercée en son sein » et « [l]e Conseil estime qu’il devrait prévoir des mesures restrictives pour imposer des restrictions à l’admission des femmes et des hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie, identifiés par le Conseil et dont la liste figure à l’annexe I, ainsi que pour geler tous les fonds et ressources économiques qui leur appartiennent, qui sont en leur possession, ou qui sont détenus ou contrôlés par eux, afin de [les] empêcher de fournir un soutien matériel ou financier au régime et, par l’influence qu’ils exercent, d’accroître la pression sur le régime lui-même afin qu’il modifie sa politique de répression ».

15      La rédaction des articles 27 et 28 de la décision 2013/255 a été modifiée par la décision 2015/1836. Ces articles prévoient désormais également des restrictions à l’entrée ou au passage en transit sur le territoire des États membres ainsi que le gel des fonds des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » sauf « informations suffisantes indiquant [que ces personnes] ne sont pas, ou ne sont plus, liées au régime ou qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas associées à un risque réel de contournement ».

16      Le 27 mai 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/850, modifiant la décision 2013/255 (JO 2016, L 141, p. 125). Le nom de M. Mouhamad Wael Abdulkarim a été réinscrit à la ligne 201,section A, annexe I, de cette dernière décision concernant les personnes visées par des mesures restrictives, pour les motifs suivants :

« Homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie dans les secteurs du pétrole et de la chimie et dans l’industrie de transformation. Il représente en particulier Abdulkarim Group, alias Al Karim Group/Alkarim for Trade and Industry/Al Karim Trading and Industry/Al Karim for Trade and Industry. Abdulkarim Group est un important fabricant de lubrifiants, de graisses et de produits chimiques industriels en Syrie. »

17      Le même jour, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2016/840, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2016, L 141, p. 30). Le nom de M. Mouhamad Wael Abdulkarim a été inséré dans la liste figurant à l’annexe de ce règlement avec les mêmes mentions et motifs que ceux retenus dans la décision 2016/850.

18      Par arrêt du 6 avril 2017, Alkarim for Trade and Industry/Conseil (T‑35/15, non publié, EU:T:2017:262), le Tribunal a fait droit au recours en annulation formé par la requérante et a annulé la décision d’exécution 2014/730 et le règlement d’exécution 1105/2014, pour autant qu’ils concernaient la requérante.

19      Le 29 mai 2017, par sa décision (PESC) 2017/917, modifiant la décision 2013/255 (JO 2017, L 139, p. 62), le Conseil a prorogé cette dernière décision jusqu’au 1er juin 2018. Le même jour, il a adopté le règlement d’exécution (UE) 2017/907, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2017, L 139, p. 15).

20      Par lettre du 19 juin 2017, adressée aux représentants de la requérante, le Conseil a informé la requérante de son intention de modifier les motifs de l’inscription du nom de celle-ci sur les listes en cause après avoir procédé au réexamen de cette inscription.

21      Par lettre du 3 juillet 2017, les représentants de la requérante se sont opposées à la réinscription du nom de la requérante sur les listes en cause.

22      Le 10 juillet 2017, le Conseil a adopté la décision d’exécution (PESC) 2017/1245 mettant en œuvre la décision 2013/255 (JO 2017, L 178, p. 13). Le nom de la requérante a été réinscrit à la ligne 71, section B, annexe I, de cette décision concernant les entités visées par des mesures restrictives, pour les motifs suivants :

« Abdulkarim Group est un conglomérat syrien reconnu à l’échelle internationale qui est associé à Wael Abdulkarim, lequel figure en tant qu’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie ».

23      Le même jour, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2017/1241 mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2017, L 178, p. 1). Le nom de la requérante a été inséré dans la liste figurant à l’annexe de ce règlement avec les mêmes mentions et motifs que ceux retenus dans la décision d’exécution 2017/1245.

24      Par lettre du 11 juillet 2017, adressée aux représentants de la requérante, le Conseil a répondu à leur lettre du 3 juillet 2017 et a notifié à la requérante une copie de la décision d’exécution 2017/1245 et du règlement d’exécution 2017/1241.

25      Le 28 mai 2018, par sa décision (PESC) 2018/778, modifiant la décision 2013/255 (JO 2018, L 131, p. 16), le Conseil a prorogé cette dernière décision jusqu’au 1er juin 2019. Le même jour, il a adopté le règlement d’exécution (UE) 2018/774 mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2018, L 131, p. 1).

 Procédure et conclusions des parties

26      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 septembre 2017, la requérante a introduit le présent recours à l’encontre de la décision 2017/1245 et du règlement d’exécution 2017/1241.

27      Le 3 janvier 2018, le Conseil a déposé au greffe du Tribunal le mémoire en défense.

28      Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 26 juillet 2018, la requérante a adapté ses conclusions afin d’obtenir également l’annulation de la décision 2018/778 ainsi que celle du règlement d’exécution 2018/774. Le Conseil a présenté ses observations sur le mémoire en adaptation.

29      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision d’exécution 2017/1245, le règlement d’exécution 2017/1241, la décision 2018/778 et le règlement d’exécution 2018/774 en ce qu’ils la concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

30      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

31      Par le présent recours, la requérante demande, en substance, l’annulation de la décision d’exécution 2017/1245, de la décision 2018/778 et du règlement no 36/2012, tel que modifié, en dernier lieu, par les règlements d’exécution 2017/1241 et 2018/774, pour autant que ces actes la concernent (ci-après les « actes attaqués »).

32      Au soutien du recours, la requérante invoque cinq moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, le deuxième, d’une violation du principe de proportionnalité, le troisième d’une violation du droit de propriété et d’exercer une activité professionnelle, le quatrième d’un détournement de pouvoir et le cinquième, d’une violation de l’obligation de motivation.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

33      La requérante soutient que l’inscription de son nom sur les listes en cause doit reposer sur une base suffisamment solide et que la charge de la preuve des motifs retenus à son égard pèse sur le Conseil.

34      Premièrement, la requérante conteste constituer un conglomérat syrien reconnu à l’échelle internationale. À ce titre, en premier lieu, elle fait valoir que le Conseil, en dépit des explications fournies régulièrement, confond la société qu’elle constitue et le nom commercial Abdulkarim Group. Elle soutient à cet égard qu’Abdulkarim Group n’est pas une personne morale disposant de personnalité juridique, ni un groupe de sociétés ou un conglomérat au sens du droit des sociétés, mais uniquement un nom commercial utilisé par elle-même ainsi qu’Alkarim for Chemicals LLC, Alkarim for Lubricants LLC et Jameel Sharour & Partners Co (ci-après « Jameel Sharour »). Elle soutient, dès lors, que, étant donné qu’Abdulkarim Group n’a pas de personnalité juridique, il n’est pas apte à être le destinataire de mesures restrictives, ni à promouvoir des actions juridiques pour les contester. En deuxième lieu, elle fait valoir que, bien qu’elle fût une société qui se portait plutôt bien avant qu’elle ne fasse l’objet de mesures restrictives, elle n’a jamais été une grande société. En outre, elle soutient qu’Alkarim for Chemicals, Alkarim for Lubricants et Jameel Sharour ne totalisent à elles trois qu’une trentaine d’employés. En troisième lieu, elle fait valoir qu’elle doit être distinguée en termes d’importance de Fuchs Petrolub AG (ci-après « Fuchs ») qui a d’ailleurs révoqué la licence de production qu’elle lui avait octroyée.

35      Deuxièmement, la requérante considère que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en la considérant comme étant associée à M. Mouhamad Wael Abdulkarim. À ce titre, la requérante fait valoir, en premier lieu, que le seul lien existant entre elle-même et cette personne qui ne détient qu’une part minoritaire de ses actions à hauteur de 10 %. En outre, elle souligne que son administrateur délégué n’est pas cette personne, mais M. Jamal Abdulkarim. Troisièmement, la requérante fait valoir que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en considérant que M. Mouhamad Wael Abdulkarim était un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, motif pour lequel le nom de celui-ci a été inscrit sur les listes en cause.

36      Le Conseil conteste les arguments de la requérante.

37      Il y a lieu de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire le nom d’une personne ou d’une entité sur les listes en cause, le juge de l’Union s’assure que l’acte en question repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend cet acte, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un deux considéré comme suffisant en soi pour soutenir ce même acte, sont étayés (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 64 et jurisprudence citée).

38      C’est, en effet, à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé de ces motifs. Il n’est pas requis que cette autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans les actes dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne ou entité concernée (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, points 66 et 67 et jurisprudence citée).

39      En outre, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’enjeu, qui fait partie du contrôle de la proportionnalité des mesures restrictives en cause, il peut être tenu compte du contexte dans lequel s’inscrivent ces mesures, ayant pour objet de faire pression sur le régime syrien afin qu’il arrête la répression violente dirigée contre la population, et de la difficulté d’obtenir des preuves plus précises dans un État en situation de guerre civile doté d’un régime de nature autoritaire (arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:247, point 47).

40      En l’espèce, il convient de rappeler que le Conseil a décidé de réinscrire le nom de la requérante sur les listes en cause pour les motifs suivants :

« Abdulkarim Group est un conglomérat syrien reconnu à l’échelle internationale qui est associé à [Mouhamad] Wael Abdulkarim, lequel figure en tant qu’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie. »

41      Il ressort de ce qui précède que le Conseil a inscrit le nom de la requérante sur les listes en cause sur le fondement d’un seul motif, à savoir le lien entre la requérante et M. Mouhamad Wael Abdulkarim, dont le nom est inscrit également sur les listes en cause. En effet, ainsi que le soulève le Conseil, il ressort de l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255 que « [s]sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant à des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie, à des personnes et entités bénéficiant des politiques menées par le régime ou soutenant celui-ci et à des personnes et entités qui leur sont liées ».

42      En outre, il ressort de la jurisprudence que, lorsque les fonds d’une personne ou d’une entité déjà visée par des mesures restrictives sont gelés, il existe un risque non négligeable que celle-ci exerce une pression sur les entités qu’elle détient ou contrôle ou qui lui appartiennent pour contourner l’effet des mesures qui la visent. Par conséquent, le gel de fonds de ces entités est nécessaire et approprié pour assurer l’efficacité des mesures adoptées et garantir que ces mesures ne seront pas contournées (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 20 février 2013, Melli Bank/Conseil, T‑492/10, EU:T:2013:80, point 55, et du 4 février 2014, Syrian Lebanese Commercial Bank/Conseil, T‑174/12 et T‑80/13, EU:T:2014:52, point 101).

43      Il convient de souligner, d’une part, que le nom de M. Mouhamad Wael Abdulkrim a été réinscrit sur les listes en cause à la ligne 201, section A, annexe I, de la décision 2013/255 par la décision 2016/850 et que cette inscription a été maintenue depuis lors par les décisions 2017/917 et 2018/778. D’autre part, cette réinscription trouve sa justification notamment par le fait que, ainsi qu’il a été rappelé au point 15 ci-dessus, être un homme d’affaires influent constitue, conformément à l’article 28 de la décision 2013/255, telle que modifiée, en dernier lieu, par la décision 2015/1836, un des critères d’inscription sur les listes en cause.

44      Toutefois, il ressort de l’arrêt de ce jour, Abdulkarim/Conseil (T‑559/17, non publié), que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en considérant M. Mouhamad Wael Abdulkarim comme étant un homme d’affaires influent et a annulé les décisions 2017/917 et 2018/778 et le règlement no 36/2012, tel que modifié, en dernier lieu, par les règlements d’exécution 2017/907 et 2018/774, pour autant que ces actes le concernent.

45      Par conséquent, sans qu’il soit besoin d’apprécier les éléments de preuve avancés par le Conseil, et sans qu’il soit besoin d’analyser si la requérante est effectivement liée à M. Mouhamad Wael Abdulkarim, il y a lieu de constater que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en inscrivant le nom de la requérante sur les listes en cause, dans la mesure où le bien-fondé de cette inscription repose sur son lien avec cette personne.

46      Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le premier moyen et d’annuler les actes attaqués pour autant qu’ils concernent la requérante, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens d’annulation soulevés à l’appui du recours.

 Sur les effets dans le temps de l’annulation des actes attaqués

47      S’agissant du règlement no 36/2012, d’une part, dans sa version en vigueur à compter du 29 mai 2017 et, d’autre part, dans sa version en vigueur à compter du 28 mai 2018, pour autant qu’ils concernent la requérante, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, les décisions du Tribunal annulant un règlement, ne prennent effet qu’à compter de la date d’expiration du délai du pourvoi, visé à l’article 56, premier alinéa, de ce statut ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, à compter du rejet de celui-ci.

48      S’agissant de la décision d’exécution 2017/1245 et de la décision 2018/778, il convient de préciser que les effets de leur annulation, pour autant que ces décisions concernent la requérante, sont, en principe, immédiats.

49      Néanmoins, en vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, le Tribunal peut, s’il l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets d’un acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs. Il résulte de la jurisprudence que cette disposition permet au juge de l’Union de décider de la date de prise d’effet de ses arrêts en annulation (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2013, Nabipour e.a./Conseil, T‑58/12, non publié, EU:T:2013:640, points 249 à 251 et jurisprudence citée).

50      En l’espèce, le Tribunal considère qu’il est nécessaire de maintenir les effets de la décision d’exécution 2017/1245 et de la décision 2018/778 dans le temps jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, du statut de la Cour ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, jusqu’au rejet du pourvoi.

51      En effet, l’annulation avec effet immédiat de la décision d’exécution 2017/1245 et de la décision 2018/778 en ce qu’elles concernent la requérante permettrait à cette dernière de transférer tout ou partie de ses actifs hors de l’Union.

52      Par ailleurs, une différence entre la date d’effet de l’annulation du règlement no 36/2012, tel que modifié, en dernier lieu, par les règlements d’exécution 2017/1241 et 2018/774, et celle de la décision d’exécution 2017/1245 et de la décision 2018/778 serait susceptible d’entraîner une atteinte sérieuse à la sécurité juridique (voir, en ce sens, arrêt du 28 mai 2013, Al Matri/Conseil, T‑200/11, non publié, EU:T:2013:275, point 89 et jurisprudence citée).

53      Dès lors, les effets de la décision d’exécution 2017/1245 et de la décision 2018/778 doivent donc être maintenus en ce qui concerne la requérante jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet éventuel du pourvoi.

 Sur les dépens

54      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la requérante conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision d’exécution (PESC) 2017/1245 du Conseil, du 10 juillet 2017, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie, la décision (PESC) 2018/778 du Conseil, du 28 mai 2018, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) no 442/2011, tel que modifié, en dernier lieu, par le règlement d’exécution (UE) 2017/1241 du Conseil, du 10 juillet 2017, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et par le règlement d’exécution (UE) 2018/774 du Conseil, du 28 mai 2018, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie, sont annulés pour autant qu’ils concernent Alkarim for Trade and Industry LLC.

2)      Les effets de la décision d’exécution 2017/1245 et de la décision 2018/778 sont maintenus à l’égard de Alkarim for Trade and Industry jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet éventuel du pourvoi.

3)      Le Conseil de l’Union européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Alkarim for Trade and Industry.

Gratsias

Labucka

Ulloa Rubio

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 31 janvier 2019.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

      D. Gratsias


*      Langue de procédure : le français.