Language of document : ECLI:EU:C:2019:96

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

6 février 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlements (CE) no 44/2001 et (CE) no 1346/2000 – Champs d’application respectifs – Faillite d’un huissier de justice – Action introduite par le syndic en charge de l’administration et de la liquidation de la faillite »

Dans l’affaire C‑535/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), par décision du 8 septembre 2017, parvenue à la Cour le 11 septembre 2017, dans la procédure

NK, curateur aux faillites de PI Gerechtsdeurwaarderskantoor BV et de PI,

contre

BNP Paribas Fortis NV,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteure), vice-présidente de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, MM. A. Arabadjiev, E. Regan, C. G. Fernlund et S. Rodin, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 juillet 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour NK, curateur aux faillites de PI Gerechtsdeurwaarderskantoor BV et de PI, par Mes B. I. Kraaipoel, T. V. J. Bil, P. M. Veder et R. J. M. C. Rosbeek, advocaten,

–        pour BNP Paribas Fortis NV, par Mes F. E. Vermeulen et R. J. van Galen, advocaten,

–        pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes, M. Figueiredo et P. Lacerda, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. R. Troosters ainsi que par Mme M. Heller, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 octobre 2018,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 13 du règlement (CE) no 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO 2000, L 160, p. 1), ainsi que de l’article 17 du règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») (JO 2007, L 199, p. 40).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant NK, en sa qualité de curateur aux faillites de PI Gerechtsdeurwaarderskantoor BV et de PI (ci-après le « curateur »), à BNP Paribas Fortis NV (ci-après « Fortis ») au sujet du recouvrement par le curateur, dans le cadre de faillites ouvertes aux Pays-Bas, d’une somme indûment prélevée par l’un des faillis sur un compte ouvert auprès de Fortis, en Belgique.

 Le cadre juridique

 Le règlement no 1346/2000

3        Les considérants 4, 6, 7 et 23 du règlement no 1346/2000 énoncent :

« (4)      Il est nécessaire, pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, d’éviter que les parties ne soient incitées à déplacer des avoirs ou des procédures judiciaires d’un État à un autre en vue d’améliorer leur situation juridique (forum shopping).

[...]

(6)      Conformément au principe de proportionnalité, le présent règlement devrait se limiter à des dispositions qui règlent la compétence pour l’ouverture de procédures d’insolvabilité et la prise des décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement. Le présent règlement devrait, en outre, contenir des dispositions relatives à la reconnaissance de ces décisions et au droit applicable, qui satisfont également à ce principe.

(7)      Les procédures d’insolvabilité relatives à la faillite d’entreprises insolvables ou d’autres personnes morales, les concordats et les autres procédures analogues sont exclues du champ d’application de la convention [du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 29 novembre 1996 relative à l’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1)].

[...]

(23)      Le présent règlement, dans les matières visées par celui-ci, devrait établir des règles de conflit de lois uniformes qui remplacent – dans le cadre de leur champ d’application – les règles nationales du droit international privé ; sauf disposition contraire, la loi de l’État membre d’ouverture de la procédure devrait être applicable (lex concursus). Cette règle de conflit de lois devrait s’appliquer tant à la procédure principale qu’aux procédures locales. La lex concursus détermine tous les effets de la procédure d’insolvabilité, qu’ils soient procéduraux ou substantiels, sur les personnes et les rapports juridiques concernés. Cette loi régit toutes les conditions de l’ouverture, du déroulement et de la clôture de la procédure d’insolvabilité. »

4        L’article 3, paragraphe 1, de ce règlement est rédigé comme suit :

« Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire. »

5        L’article 4 dudit règlement prévoit :

« 1.      Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est celle de l’État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte, ci-après dénommé “État d’ouverture”.

2.      La loi de l’État d’ouverture détermine les conditions d’ouverture, le déroulement et la clôture de la procédure d’insolvabilité. Elle détermine notamment :

[...]

c)      les pouvoirs respectifs du débiteur et du syndic ;

[...]

e)      les effets de la procédure d’insolvabilité sur les contrats en cours auxquels le débiteur est partie ;

f)      les effets de la procédure d’insolvabilité sur les poursuites individuelles, à l’exception des instances en cours ;

[...]

h)      les règles concernant la production, la vérification et l’admission des créances ;

[...]

m)      les règles relatives à la nullité, à l’annulation ou à l’inopposabilité des actes préjudiciables à l’ensemble des créanciers. »

6        Aux termes de l’article 13 de ce même règlement :

« L’article 4, paragraphe 2, point m), n’est pas applicable lorsque celui qui a bénéficié d’un acte préjudiciable à l’ensemble des créanciers apporte la preuve que :

–        cet acte est soumis à la loi d’un autre État membre que l’État d’ouverture,

et que

–        cette loi ne permet en l’espèce, par aucun moyen, d’attaquer cet acte. »

 Le règlement no 44/2001

7        L’article 1er du règlement no 44/2001, relatif au champ d’application de ce règlement, est libellé comme suit :

« 1.      Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.

2.      Sont exclus de son application :

a)      l’état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testaments et les successions ;

b)      les faillites, concordats et autres procédures analogues ;

c)      la sécurité sociale ;

d)      l’arbitrage.

[...] »

 Le règlement no 864/2007

8        L’article 17 du règlement no 864/2007 est rédigé comme suit :

« Pour évaluer le comportement de la personne dont la responsabilité est invoquée, il est tenu compte, en tant qu’élément de fait et pour autant que de besoin, des règles de sécurité et de comportement en vigueur au lieu et au jour de la survenance du fait qui a entraîné la responsabilité. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        PI était huissier de justice depuis l’année 2002 jusqu’à sa destitution au cours du mois de décembre 2008. Pour les besoins de son étude d’huissier, PI était titulaire d’un compte courant ouvert en Belgique auprès de Fortis. Ce compte était celui que devaient créditer les personnes dont il poursuivait le recouvrement de leurs dettes.

10      Durant l’année 2006, PI a constitué PI Gerechtsdeurwaarderskantoor BV (ci-après « PI.BV »), société de droit néerlandais, dont il était l’unique associé ainsi que l’administrateur. Cette société avait pour objet l’exploitation de l’étude d’huissier de PI, qui a apporté à PI.BV le patrimoine de l’étude d’huissier, y compris le compte courant ouvert auprès de Fortis. PI.BV était également titulaire d’un compte tiers ouvert auprès d’une autre banque, établie aux Pays-Bas, où étaient déposés des fonds appartenant à environ 200 clients de l’étude.

11      Au cours de la période comprise entre les 23 et 26 septembre 2008, PI a transféré par virement électronique une somme totale de 550 000 euros depuis ce compte tiers vers le compte de Fortis. Quelques jours plus tard, entre les 1er et 3 octobre 2008, PI a retiré la somme de 550 000 euros en espèce du compte courant de Fortis. Cet acte a été qualifié de détournement de fonds et PI a été condamné à une peine de prison de ce chef.

12      La faillite de PI.BV suivie de celle, en nom personnel, de PI ont été déclarées respectivement les 23 juin 2009 et 2 mars 2010.

13      Dans le cadre de ces procédures de faillite, le curateur a saisi le rechtbank Maastricht (tribunal de Maastricht, Pays-Bas) d’une action tendant à la condamnation de Fortis au paiement de la somme de 550 000 euros. À l’appui de sa demande, le curateur faisait valoir que Fortis avait engagé sa responsabilité à l’égard de la masse des créanciers de PI.BV et de PI, en collaborant sans réserve aux retraits en espèce effectués par PI et en violation de ses obligations légales, ayant causé un préjudice aux créanciers de la masse des deux faillites.

14      Le rechtbank Maastricht (tribunal de Maastricht) s’est déclaré compétent pour connaître de la demande du curateur. Cette décision a été confirmée par le Gerechtshof ’s-Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc, Pays-Bas) par arrêt interlocutoire du 4 juin 2013, au motif que la demande du curateur trouvait son fondement dans les faillites de PI et de PI.BV et, dès lors, relevait du champ d’application du règlement no 1346/2000.

15      Dans ce contexte, par jugement définitif, le rechtbank Maastricht (tribunal de Maastricht) a condamné Fortis au paiement de la somme de 550 000 euros au titre du dommage causé aux créanciers.

16      En degré d’appel, le Gerechtshof ’s-Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc) a rendu, le 16 février 2016, un arrêt interlocutoire par lequel il a considéré que, étant donné qu’il avait déjà statué sur la compétence des juridictions néerlandaises par son arrêt interlocutoire du 4 juin 2013, il ne pouvait en principe pas examiner de nouveau cette question. Le Gerechtshof ’s-Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc) a toutefois indiqué, dans cet arrêt interlocutoire du 16 février 2016, qu’il ressortait des arrêts de la Cour du 4 septembre 2014, Nickel & Goeldner Spedition (C‑157/13, EU:C:2014:2145), et du 11 juin 2015, Comité d’entreprise de Nortel Networks e.a. (C‑649/13, EU:C:2015:384), que les arguments de Fortis, selon lesquels la décision relative à la compétence des juridictions néerlandaises figurant dans l’arrêt interlocutoire du 4 juin 2013 était erronée, étaient a priori fondés, de sorte qu’il autoriserait la présentation d’un pourvoi en cassation sur ce point.

17      En outre, le Gerechtshof ’s-Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc) a considéré que l’action intentée par le curateur contre Fortis était une action dite « Peeters/Gatzen », dont le principe a été consacré par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), par un arrêt du 14 janvier 1983. En vertu d’une telle action Peeters/Gatzen, dans certaines circonstances, le curateur peut intenter une action en dommages et intérêts pour responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle contre un tiers qui a participé à la réalisation du préjudice subi par la masse des créanciers, même si le failli ne disposait pas lui-même d’une telle action. Selon cette jurisprudence, le produit de cette action introduite par le curateur dans l’intérêt de l’ensemble des créanciers revient à la masse.

18      Le curateur a formé un pourvoi devant la juridiction de renvoi, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), contre l’arrêt du Gerechtshof ’s-Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc) du 16 février 2016. Fortis, pour sa part, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt, reprochant au Gerechtshof ’s-Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc), entre autres, de s’être déclaré compétent sur la base du règlement no 1346/2000 pour connaître de l’action formée par le curateur.

19      La juridiction de renvoi considère qu’il existe un doute raisonnable quant au point de savoir si une action Peeters/Gatzen doit être regardée comme une action régie par les seules règles spécifiques de la procédure d’insolvabilité, de sorte qu’elle échapperait, à ce titre, au champ d’application du règlement no 44/2001.

20      La juridiction de renvoi émet aussi des doutes quant à la question de savoir si la qualification de l’action dans le cadre de l’examen portant sur la compétence est toujours déterminante en vue d’identifier la loi qui lui est applicable, de sorte que, en vertu de l’article 4 du règlement no 1346/2000, il existerait toujours un lien entre la compétence et la loi applicable.

21      Enfin, dans le cas où le droit applicable au fond et, en conséquence, à l’action Peeters/Gatzen serait le droit néerlandais, la juridiction de renvoi demande si, dans une telle situation, pour apprécier le caractère illicite d’un acte déterminé, il convient néanmoins de prendre en compte, par analogie avec l’article 17 du règlement no 864/2007, lu en combinaison avec l’article 13 du règlement no 1346/2000, les règles de sécurité et de comportement en vigueur au lieu du fait dommageable qui est allégué, telles que les règles de comportement imposées aux banques en matière financière.

22      Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’action en responsabilité que le syndic de la faillite, sur la base de l’article 68, paragraphe 1, de la loi sur la faillite qui le charge de la gestion et de la liquidation de la masse de la faillite, intente au nom de l’ensemble des créanciers du failli contre un tiers qui a causé un préjudice à ces créanciers, action dont, en cas de succès, le produit revient à la masse, relève-t-elle de l’exclusion prévue à l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement [no 44/2001] ?

2)      S’il est répondu par l’affirmative à la première question et que, partant, l’action en question relève du règlement [no 1346/2000], cette action est-elle régie par la loi de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité est ouverte, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, tant pour ce qui concerne la compétence du syndic pour intenter cette action que pour ce qui concerne le droit qui s’y applique au fond ?

3)      En cas de réponse affirmative à la deuxième question, le juge de l’État d’ouverture doit-il prendre en compte, que ce soit ou non par analogie :

a)      l’article 13 du règlement [no 1346/2000], en ce sens que la partie dont la responsabilité est mise en cause peut mettre en échec l’action intentée par le syndic pour le compte de l’ensemble des créanciers en apportant la preuve que ses actes n’engagent pas sa responsabilité aux termes de la loi qui se serait appliquée à l’action si sa responsabilité avait été mise en cause non pas par le syndic, mais par un créancier individuel ;

b)      l’article 17 du règlement [no 864/2007], lu en combinaison avec l’article 13 du règlement [no 1346/2000], c’est-à-dire les règles de sécurité et de comportement en vigueur au lieu du fait dommageable qui est allégué, comme les règles de comportement imposées aux banques en matière financière ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

23      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous b), du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une action, telle que celle en cause au principal, ayant pour objet une demande en dommages et intérêts pour responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle, exercée par le syndic dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité et dont le produit revient, en cas de succès, à la masse des créanciers, relève de la notion de « matière civile et commerciale », au sens du paragraphe 1 de cette disposition, et entre, dès lors, dans le champ d’application matériel dudit règlement.

24      À cet égard, il convient de rappeler que, en s’appuyant notamment sur les travaux préparatoires relatifs à la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la « convention de Bruxelles »), texte auquel s’est substitué le règlement no 44/2001, la Cour a jugé que ce dernier règlement et le règlement no 1346/2000 doivent être interprétés de façon à éviter tout chevauchement entre les règles de droit que ces textes énoncent et tout vide juridique. Ainsi, les actions exclues, au titre de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement no 44/2001, du champ d’application de ce dernier, en tant qu’elles relèvent des « faillites, concordats et autres procédures analogues », relèvent du champ d’application du règlement no 1346/2000. À l’inverse, les actions qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000 relèvent du champ d’application du règlement no 44/2001 (arrêt du 9 novembre 2017, Tünkers France et Tünkers Maschinenbau, C‑641/16, EU:C:2017:847, point 17).

25      La Cour a également relevé que, ainsi que l’énonce notamment le considérant 7 du règlement no 44/2001, l’intention du législateur de l’Union a été de retenir une conception large de la notion de « matière civile et commerciale », figurant à l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement, et, par conséquent, un champ d’application large de ce dernier. En revanche, le champ d’application du règlement no 1346/2000, conformément à son considérant 6, ne doit pas faire l’objet d’une interprétation large (arrêt du 9 novembre 2017, Tünkers France et Tünkers Maschinenbau, C‑641/16, EU:C:2017:847, point 18).

26      La Cour a jugé que seules les actions qui dérivent directement d’une procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement sont exclues du champ d’application de la convention de Bruxelles et, à sa suite, du règlement no 44/2001 (voir, en ce sens, arrêts du 22 février 1979, Gourdain, 133/78, EU:C:1979:49, point 4, ainsi que du 19 avril 2012, F‑Tex, C‑213/10, EU:C:2012:215, points 22 et 24). Par voie de conséquence, seules ces actions, ainsi caractérisées, entrent dans le champ d’application du règlement no 1346/2000 (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2017, Tünkers France et Tünkers Maschinenbau, C‑641/16, EU:C:2017:847, point 19 et jurisprudence citée).

27      D’ailleurs, c’est ce même critère, tel que dégagé par la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de la convention de Bruxelles, qui a été repris au considérant 6 du règlement no 1346/2000 aux fins de délimiter l’objet de ce dernier et a été confirmé par le règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO 2015, L 141, p. 19), non applicable ratione temporis à la présente affaire, qui prévoit à son article 6 que les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte sont compétentes pour connaître de toute action qui découle directement de la procédure d’insolvabilité et y est étroitement liée.

28      Le critère déterminant retenu par la Cour pour identifier le domaine dont relève une action est non pas le contexte procédural dans lequel s’inscrit cette action, mais le fondement juridique de cette dernière. Selon cette approche, il convient de rechercher si le droit ou l’obligation qui sert de base à l’action trouve sa source dans les règles communes du droit civil et commercial ou dans des règles dérogatoires, spécifiques aux procédures d’insolvabilité (arrêts du 4 septembre 2014, Nickel & Goeldner Spedition, C‑157/13, EU:C:2014:2145, point 27 ; du 9 novembre 2017, Tünkers France et Tünkers Maschinenbau, C‑641/16, EU:C:2017:847, point 22, ainsi que du 20 décembre 2017, Valach e.a., C‑649/16, EU:C:2017:986, point 29).

29      En effet, d’une part, le fait que, après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, une action soit exercée par le syndic désigné dans le cadre de cette procédure et que ce dernier agisse dans l’intérêt des créanciers ne modifie pas substantiellement la nature de celle-ci, qui est indépendante d’une procédure d’insolvabilité et qui continue d’être soumise, quant au fond, à des règles de droit commun (voir, par analogie, arrêts du 10 septembre 2009, German Graphics Graphische Maschinen, C‑292/08, EU:C:2009:544, points 31 et 33, ainsi que du 4 septembre 2014, Nickel & Goeldner Spedition, C‑157/13, EU:C:2014:2145, point 29).

30      D’autre part, conformément à la jurisprudence de la Cour, c’est l’intensité du lien existant entre une action juridictionnelle et la procédure d’insolvabilité qui est déterminante pour décider si l’exclusion énoncée à l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement no 44/2001 trouve à s’appliquer (arrêt du 9 novembre 2017, Tünkers France et Tünkers Maschinenbau, C‑641/16, EU:C:2017:847, point 28 et jurisprudence citée).

31      En l’occurrence, il ressort, tout d’abord, de la demande de décision préjudicielle que l’action Peeters/Gatzen, laquelle a été admise pour la première fois par la jurisprudence du Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) par arrêt du 14 janvier 1983, peut être introduite par le syndic de la faillite dans l’intérêt de l’ensemble des créanciers dans le cadre de sa mission générale, reconnue par la législation nationale en la matière, de gérer et de liquider la masse. Ensuite, le produit de cette action, dans le cas où la demande est accueillie, revient à la masse en bénéfice de l’ensemble des créanciers afin d’être distribué selon les règles du plan de liquidation. En outre, pour statuer sur une telle action exercée pendant le déroulement de la procédure d’insolvabilité, d’une part, il n’y a pas lieu d’examiner la position individuelle de chacun des créanciers concernés et, d’autre part, le tiers contre lequel est dirigée l’action ne peut pas opposer au syndic les moyens de défense qu’il disposerait contre chacun des créanciers pris individuellement.

32      Or, force est de constater que l’ensemble des caractéristiques de l’action Peeters/Gatzen mentionnées au point précédent font partie du contexte procédural dans lequel s’inscrit cette action. En effet, si une telle action est exercée pendant le déroulement d’une procédure d’insolvabilité, c’est le syndic, dans le cadre de sa mission de gérer et de liquider la masse, conformément à la législation nationale en la matière, qui l’exerce dans l’intérêt de l’ensemble des créanciers et, par voie de conséquence, le produit de celle-ci revient à la masse.

33      Ensuite, d’après les éléments ressortant du dossier soumis à la Cour, l’action introduite par le syndic à l’encontre de Fortis est une action en responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle. La finalité d’une telle action est donc que Fortis soit condamnée sur la base d’un prétendu manquement à ses obligations en matière de surveillance, lesquelles auraient dû la mener à refuser les retraits en espèces opérés par PI à concurrence de 550 000 euros, ceux-ci ayant été, selon le curateur, à l’origine d’un préjudice causé aux créanciers.

34      Partant, sur la base de ces éléments, une telle action apparaît trouver son fondement dans les règles communes de droit civil et commercial et non pas dans des règles dérogatoires, spécifiques de la procédure d’insolvabilité.

35      Enfin, même si, dans l’affaire au principal, l’existence d’un lien avec la procédure d’insolvabilité est indéniable, dès lors qu’il s’agit d’une action intentée par le syndic dans l’intérêt des créanciers, il n’en demeure pas moins que, ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, une telle action peut être introduite par les créanciers individuellement, que ce soit avant, pendant ou après le déroulement de la procédure d’insolvabilité.

36      Dans ces conditions et, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 68 de ses conclusions, une action telle que celle en cause au principal, qui, d’une part, peut être introduite par le créancier lui-même, de telle sorte qu’elle ne relève pas de la compétence exclusive du syndic, et, d’autre part, est indépendante de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, ne saurait être considérée comme étant une conséquence directe et indissociable d’une telle procédure.

37      Il convient, dès lors, de considérer qu’une telle action trouve son fondement non pas dans des règles dérogatoires, spécifiques aux procédures d’insolvabilité, mais, au contraire, dans des règles communes du droit civil et commercial et, en conséquence, ne se situe pas hors du champ d’application du règlement no 44/2001.

38      Eu égard à ces considérations, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous b), du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une action, telle que celle en cause au principal, ayant pour objet une demande en dommages et intérêts pour responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle, exercée par le syndic dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité et dont le produit revient, en cas de succès, à la masse des créanciers, relève de la notion de « matière civile et commerciale », au sens du paragraphe 1 de cette disposition, et entre, dès lors, dans le champ d’application matériel dudit règlement.

 Sur les deuxième et troisième questions

39      Les deuxième et troisième questions n’ayant été posées que dans l’hypothèse où la Cour déciderait qu’une action telle que celle en cause au principal relève de l’exclusion prévue à l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement no 44/2001, il n’y a pas lieu de répondre à ces questions.

 Sur les dépens

40      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 1er, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous b), du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commercial, doit être interprété en ce sens qu’une action, telle que celle en cause au principal, ayant pour objet une demande en dommages et intérêts pour responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle, exercée par le syndic dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité et dont le produit revient, en cas de succès, à la masse des créanciers, relève de la notion de « matière civile et commerciale », au sens du paragraphe 1 de cette disposition, et entre, dès lors, dans le champ d’application matériel dudit règlement.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.