Language of document : ECLI:EU:C:2019:108

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

12 février 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Mandat d’arrêt européen – Article 12 – Maintien de la personne en détention – Article 17 – Délais pour l’adoption de la décision d’exécution du mandat d’arrêt européen – Législation nationale prévoyant la suspension d’office de la mesure de détention 90 jours après l’arrestation – Interprétation conforme – Suspension des délais – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 6 – Droit à la liberté et à la sûreté – Interprétations divergentes de la législation nationale – Clarté et prévisibilité »

Dans l’affaire C‑492/18 PPU,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas), par décision du 27 juillet 2018, parvenue à la Cour le 27 juillet 2018, dans la procédure relative à l’exécution du mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de

TC,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, vice–présidente de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, MM. A. Arabadjiev (rapporteur), E. Regan, C. G. Fernlund et S. Rodin, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la demande de la juridiction de renvoi du 27 juillet 2018, parvenue à la Cour le 27 juillet 2018, de soumettre le renvoi préjudiciel à la procédure d’urgence, conformément à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 octobre 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour TC, par MM. T. J. Kodrzycki et Th. O. M. Dieben, advocaten,

–        pour l’Openbaar Ministerie, par Mmes R. Vorrink et J. Asbroek ainsi que M. K. van der Schaft, Officieren van Justitie,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et M. A. M. de Ree ainsi que par M. J. M. Hoogveld, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil ainsi que par Mme A. Kasalická, en qualité d’agents,

–        pour l’Irlande, par M. A. Joyce et Mme G. Mullan, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. S. Faraci, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par M. R. Troosters, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 novembre 2018,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre de l’exécution, aux Pays-Bas, d’un mandat d’arrêt européen émis le 12 juin 2017 à l’encontre de TC par les autorités compétentes du Royaume-Uni (ci-après le « mandat d’arrêt européen en cause »).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La Charte

3        Aux termes de l’article 6 de la Charte, intitulé « Droit à la liberté et à la sûreté » :

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. »

 La décision-cadre 2002/584/JAI

4        Le considérant 12 de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), énonce :

« La présente décision-cadre respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par l’article 6 du traité sur l’Union européenne et reflétés dans la Charte [...] »

5        L’article 1er de cette décision-cadre, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », prévoit, à son paragraphe 3 :

« La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du traité sur l’Union européenne. »

6        Aux termes de l’article 12 de ladite décision-cadre, intitulé « Maintien de la personne en détention » :

« Lorsqu’une personne est arrêtée sur la base d’un mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire d’exécution décide s’il convient de la maintenir en détention conformément au droit de l’État membre d’exécution. La mise en liberté provisoire est possible à tout moment conformément au droit interne de l’État membre d’exécution, à condition que l’autorité compétente dudit État membre prenne toute mesure qu’elle estimera nécessaire en vue d’éviter la fuite de la personne recherchée. »

7        L’article 15, paragraphe 1, de la même décision-cadre, intitulé « Décision sur la remise », est libellé comme suit :

« L’autorité judiciaire d’exécution décide, dans les délais et aux conditions définis dans la présente décision-cadre, la remise de la personne. »

8        L’article 17 de la décision-cadre 2002/584, intitulé « Délais et modalités de la décision d’exécution du mandat d’arrêt européen », énonce :

« 1.      Un mandat d’arrêt européen est à traiter et exécuter d’urgence.

[...]

3.      Dans les autres cas, la décision définitive sur l’exécution du mandat d’arrêt européen devrait être prise dans un délai de soixante jours à compter de l’arrestation de la personne recherchée.

4.      Dans des cas spécifiques, lorsque le mandat d’arrêt européen ne peut être exécuté dans les délais prévus aux paragraphes 2 ou 3, l’autorité judiciaire d’exécution en informe immédiatement l’autorité judiciaire d’émission, en indiquant pour quelles raisons. Dans un tel cas, les délais peuvent être prolongés de trente jours supplémentaires.

5.      Aussi longtemps qu’aucune décision définitive sur l’exécution du mandat d’arrêt européen n’est prise par l’autorité judiciaire d’exécution, celui-ci s’assurera que les conditions matérielles nécessaires à une remise effective de la personne restent réunies.

[...]

7.      Lorsque, dans des circonstances exceptionnelles, un État membre ne peut pas respecter les délais impartis par le présent article, il en informe [l’Unité de coopération judiciaire de l’Union européenne (Eurojust)], en précisant les raisons du retard. En outre, un État membre qui a subi, de la part d’un autre État membre, plusieurs retards dans l’exécution de mandats d’arrêt européens en informe le Conseil en vue de l’évaluation, au niveau des États membres, de la mise en œuvre de la présente décision-cadre. »

 Le droit néerlandais

9        Aux termes de l’article 22 de l’Overleveringswet (loi sur la remise) (Stb. 2004, no 195, ci-après l’« OLW ») qui transpose la décision-cadre 2002/584 :

« 1.      La décision du tribunal relative à la remise doit être rendue par le rechtbank (tribunal) au plus tard soixante jours après l’arrestation de la personne réclamée, visée à l’article 21.

[...]

3.      Dans des cas exceptionnels et en indiquant à l’autorité judiciaire d’émission les raisons motivant sa décision sur ce point, le rechtbank (tribunal) peut prolonger de trente jours au maximum le délai de soixante jours.

4.      Si, dans le délai indiqué au paragraphe 3, le rechtbank (tribunal) n’a pas rendu de décision, il peut à nouveau prolonger le délai pour une durée indéterminée, moyennant la suspension temporaire, sous conditions, de la privation de liberté de la personne réclamée et information de l’autorité judiciaire d’émission. »

10      Aux termes de l’article 64 de l’OLW :

« 1.      Dans les cas où une décision relative à la privation de liberté peut ou doit être adoptée en vertu de la présente loi, il peut être ordonné que cette privation de liberté soit différée ou suspendue sous conditions jusqu’au prononcé de la décision du rechtbank (tribunal) autorisant la remise. Les conditions fixées sont destinées uniquement à prévenir la fuite.

2.      L’article 80, à l’exception du paragraphe 2, et les articles 81 à 88 du code de procédure pénale s’appliquent mutatis mutandis aux ordonnances rendues par le rechtbank (tribunal) ou le juge d’instruction en vertu du paragraphe 1. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

11      TC, qui fait l’objet du mandat d’arrêt européen en cause, est un ressortissant britannique qui réside en Espagne et qui est soupçonné d’avoir, en tant que haut responsable d’une organisation criminelle, participé à l’importation, la distribution et la vente de drogues dures, notamment de 300 kg de cocaïne. Pour un tel crime, la peine maximale prévue par le droit du Royaume-Uni est la réclusion à perpétuité.

12      TC a été arrêté aux Pays-Bas le 4 avril 2018. Le délai de soixante jours pour l’adoption de la décision d’exécution du mandat d’arrêt européen en cause, prévu à l’article 22, paragraphe 1, de l’OLW et à l’article 17, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584, a commencé à courir à compter de cette date.

13      La juridiction de renvoi, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas), a examiné le mandat d’arrêt européen en cause lors de son audience du 31 mai 2018. À l’issue de celle-ci, elle a ordonné le maintien en détention de TC et a prolongé de trente jours le délai pour l’adoption de la décision d’exécution du mandat d’arrêt européen en cause. Par décision interlocutoire du 14 juin 2018, cette juridiction a rouvert les débats, a sursis à statuer dans l’attente de la réponse de la Cour à la demande de décision préjudicielle introduite le 17 mai 2018 dans l’affaire ayant entre-temps donné lieu à l’arrêt du 19 septembre 2018, RO (C‑327/18 PPU, EU:C:2018:733), et a précisé que le délai de décision était suspendu à partir du 14 juin 2018 et jusqu’au prononcé de ce dernier arrêt.

14      TC a demandé la suspension de sa détention à partir du 4 juillet 2018, date à laquelle 90 jours se sont écoulés depuis son arrestation.

15      La juridiction de renvoi précise que, en vertu de l’article 22, paragraphe 4, de l’OLW, elle doit, en principe, suspendre la mesure de détention en vue de la remise de la personne réclamée dès que le délai de 90 jours, imparti pour adopter une décision définitive au sujet de l’exécution du mandat d’arrêt européen, est dépassé. En adoptant cette disposition, le législateur néerlandais se serait, en effet, fondé sur la prémisse selon laquelle la décision-cadre 2002/584 impose une telle suspension.

16      Toutefois, il ressortirait de l’arrêt du 16 juillet 2015, Lanigan (C‑237/15 PPU, EU:C:2015:474), que cette prémisse est erronée et ne prend pas suffisamment en compte les obligations qui pèsent, en vertu de dispositions du droit primaire de l’Union, sur la juridiction saisie d’une demande d’exécution d’un mandat d’arrêt européen, dont en particulier l’obligation de saisir, en tant que juge de dernière instance dans ce type d’affaires, la Cour d’une demande de décision préjudicielle, lorsque la réponse à cette demande est nécessaire pour rendre sa décision, et de surseoir à statuer en ce qui concerne la remise s’il existe un risque réel de traitement inhumain ou dégradant à l’égard de la personne réclamée dans l’État membre d’émission, au sens de l’arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198).

17      Partant, la juridiction de renvoi indique avoir développé une jurisprudence lui permettant de donner à l’article 22, paragraphe 4, de l’OLW une interprétation à la fois conforme à la décision-cadre 2002/584 et à l’OLW, en ce sens qu’il est sursis à statuer quant à la remise dans les cas visés au point précédent. Cette interprétation ne laisserait pas inappliqué l’article 22, paragraphe 4, de l’OLW, étant donné que le délai fixé pour se prononcer sur la remise est suspendu.

18      Ladite interprétation serait sans préjudice de la possibilité d’ordonner la suspension de la mesure de détention en vue de la remise, ce à quoi la juridiction de renvoi procéderait généralement, notamment lorsque la fixation de conditions permet de ramener le risque de fuite à un niveau acceptable. En l’occurrence, toutefois, il existerait un risque très sérieux de fuite qui ne pourrait pas être réduit à un niveau acceptable.

19      Cependant, le Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam, Pays-Bas) aurait déjà jugé que l’interprétation de l’article 22, paragraphe 4, de l’OLW visée au point 17 du présent arrêt est erronée, tout en estimant aussi que l’application stricte de cette disposition de droit national pourrait nuire à l’effectivité du droit de l’Union. Le Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam) aurait ainsi procédé à une mise en balance in abstracto entre l’intérêt de l’ordre juridique de l’Union, lié aux obligations de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle et d’attendre la réponse de celle-ci ou de reporter la décision sur la remise s’il existe un risque réel que la personne recherchée subisse dans l’État membre d’émission des conditions de détention inhumaines ou dégradantes, et celui d’assurer le respect du droit interne ainsi que de la sécurité juridique. Le résultat de cette mise en balance impliquerait que le délai de décision sur la remise devrait être considéré comme suspendu depuis le moment où le rechtbank (tribunal) décide de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle ou depuis le moment où il sursoit à statuer sur la remise, à moins que le maintien de la détention en vue de la remise soit contraire à l’article 6 de la Charte.

20      Néanmoins, la juridiction de renvoi aurait, par la suite, maintenu son interprétation de l’article 22, paragraphe 4, de l’OLW, conforme, selon elle, à la décision-cadre 2002/584, interprétation qui n’aurait pas encore débouché, à ce jour, sur un autre résultat que la mise en balance abstraite effectuée par le Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam).

21      En l’occurrence, TC ferait notamment valoir que cette interprétation de l’article 22, paragraphe 4, de l’OLW est contraire au principe de sécurité juridique, de telle sorte que le maintien de la détention en vue de sa remise enfreint l’article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), et l’article 6 de la Charte. À l’appui de ce point de vue, TC aurait indiqué que, dans une affaire antérieure similaire, la personne recherchée aurait saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’une plainte contre le Royaume des Pays-Bas pour violation de l’article 5 de la CEDH (affaire Cernea c. Pays-Bas, requête no 62318/16) et que, dans cette affaire, cet État membre aurait déposé une déclaration unilatérale selon laquelle l’article 5 de la CEDH avait été enfreint. La Cour européenne des droits de l’homme n’aurait cependant pas encore statué dans cette affaire.

22      À cet égard, selon la juridiction de renvoi, il ressort du point 32 de l’arrêt du 29 juin 2017, Popławski (C‑579/15, EU:C:2017:503), que l’une des limites à l’obligation de procéder à une interprétation conforme d’une législation nationale à une décision-cadre serait, en effet, le principe de sécurité juridique. En outre, la détention en vue de la remise devrait être conforme à l’article 6 de la Charte.

23      La juridiction de renvoi se demande ainsi si le maintien de la détention en vue de la remise dans un cas comme celui de TC est contraire à l’article 6 de la Charte, en particulier au principe de sécurité juridique qui y serait garanti.

24      Elle précise, à cet égard, que sa jurisprudence relative à la suspension du délai de décision est circonscrite aux deux types de situations évoquées, qu’elle est claire et cohérente et qu’elle est publiée. Il en irait de même de la jurisprudence du Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam). La juridiction de renvoi estime ainsi que TC pouvait prévoir, au besoin après avoir consulté son conseil, que la détention en vue de sa remise pourrait se prolonger au-delà de 90 jours à compter de son arrestation.

25      Si la Cour devait considérer que la détention en vue de la remise dans un cas comme celui de TC est contraire à l’article 6 de la Charte, la juridiction de renvoi se demande, en outre, si elle doit laisser inappliqué l’article 22, paragraphe 4, de l’OLW, dans la mesure où l’application de cette disposition aboutit à une solution contraire au droit de l’Union et qu’une interprétation de cette disposition qui serait conforme à ce droit ne serait alors pas possible, et si une telle démarche ne serait pas elle-même contraire au principe de sécurité juridique.

26      Dans ces circonstances, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) a décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le maintien de la détention en vue de la remise d’une personne réclamée qui présente un risque de fuite, pour une durée qui dépasse les 90 jours à compter de l’arrestation de cette personne, est-il contraire à l’article 6 de la [Charte], lorsque :

–        l’État membre d’exécution a transposé l’article 17 de la [décision-cadre 2002/584] en ce sens que la détention en vue de la remise de la personne réclamée doit toujours être suspendue dès que le délai de 90 jours imparti pour adopter une décision définitive au sujet de l’exécution du mandat d’arrêt européen est dépassé, et que

–        les autorités judiciaires de cet État membre ont interprété la législation nationale en ce sens que le délai de décision est suspendu dès que l’autorité judiciaire d’exécution décide de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une demande de décision préjudicielle ou d’attendre la réponse à une demande de décision préjudicielle formée par une autre autorité judiciaire d’exécution, ou encore de reporter la décision sur la remise en raison d’un risque réel de conditions de détention inhumaines ou dégradantes dans l’État membre d’émission ? »

 Sur la procédure d’urgence

27      La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

28      À l’appui de sa demande, cette juridiction a invoqué le fait que TC était en détention aux Pays-Bas sur la seule base du mandat d’arrêt européen en cause, émis par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord en vue d’exercer des poursuites pénales à l’encontre de celui-ci. Selon la juridiction de renvoi, elle ne pouvait pas se prononcer sur la demande de suspension de la mesure de détention dont TC faisait l’objet avant que la Cour ne statue sur sa demande de décision préjudicielle. Elle estimait, dès lors, que le délai dans lequel interviendrait la réponse de la Cour aurait une incidence directe et décisive sur la durée de la détention de TC.

29      À cet égard, il convient de constater, en premier lieu, que la présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la décision-cadre 2002/584, qui relève des domaines visés au titre V de la troisième partie du traité FUE, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Ce renvoi est, par conséquent, susceptible d’être soumis à la procédure préjudicielle d’urgence.

30      En deuxième lieu, quant au critère relatif à l’urgence, il importe, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, de prendre en considération la circonstance que la personne concernée était privée de liberté et que son maintien en détention dépend de la solution du litige au principal. Par ailleurs, la situation de la personne concernée est à apprécier telle qu’elle se présente à la date de l’examen de la demande visant à obtenir que le renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure d’urgence (arrêt du 19 septembre 2018, RO, C‑327/18 PPU, EU:C:2018:733, point 30 et jurisprudence citée).

31      Or, en l’occurrence, à cette date, il était constant, d’une part, que TC était en détention et, d’autre part, que le maintien de celui-ci dans cette situation dépendait de la décision qui devait être prise quant à sa demande de suspension de cette mesure de détention, demande au sujet de laquelle il avait été décidé de surseoir à statuer dans l’attente de la réponse de la Cour, notamment, dans cette affaire.

32      Dans ces conditions, la première chambre de la Cour a décidé, le 9 août 2018, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence.

33      En troisième lieu, le 9 octobre 2018, la juridiction de renvoi a informé la Cour que, la veille, elle avait ordonné la suspension sous conditions de la mesure de détention dont TC faisait l’objet, à partir du 8 octobre 2018 et jusqu’au prononcé de la décision sur sa remise au Royaume-Uni. En effet, selon les calculs de cette juridiction, le délai de décision de 90 jours venait à expiration, en tenant compte de la période durant laquelle ce délai aurait été suspendu, le 8 octobre 2018.

34      En outre, l’Openbaar Ministerie (ministère public, Pays-Bas) ayant fait appel de la décision de la juridiction de renvoi du 8 octobre 2018, le Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam) a informé la Cour, le 12 novembre 2018, qu’il avait suspendu le traitement de cette procédure d’appel dans l’attente du présent arrêt.

35      Dans ces conditions, la première chambre de la Cour a considéré que l’urgence dans cette affaire était levée depuis le 8 octobre 2018 et que, par conséquent, il n’y avait plus lieu de poursuivre le traitement de celle-ci suivant la procédure préjudicielle d’urgence.

 Sur la question préjudicielle

36      À titre liminaire, il importe de relever que la question posée est fondée sur les prémisses selon lesquelles, premièrement, une procédure de remise, telle que celle en cause au principal, est susceptible de durer plus de 90 jours, notamment dans l’une des hypothèses faisant l’objet de la question posée, deuxièmement, l’obligation de suspendre la mesure de détention de la personne recherchée, en toute hypothèse, dès qu’un délai de 90 jours s’est écoulé depuis l’arrestation de celle-ci, telle qu’imposée par l’article 22, paragraphe 4, de l’OLW, est incompatible avec la décision-cadre 2002/584, troisièmement, tant l’interprétation de cette disposition nationale opérée par la juridiction de renvoi que la jurisprudence du Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam) tendent à rétablir la conformité du cadre juridique national à cette décision-cadre et, quatrièmement, lesdites interprétations n’ont pas abouti à ce jour, malgré leurs fondements juridiques distincts, à des décisions divergentes. En outre, ainsi qu’il a été relevé au point 25 du présent arrêt, la juridiction de renvoi se demande si elle doit, le cas échéant, laisser inappliquée ladite disposition nationale.

37      Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. La circonstance qu’une juridiction nationale a, sur un plan formel, formulé une question préjudicielle en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette juridiction tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 36 et jurisprudence citée).

38      En l’occurrence, la juridiction de renvoi ayant décidé, le 8 octobre 2018, de suspendre la mesure de détention de TC et le Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam) n’ayant pas réformé cette décision, il n’y a pas lieu d’aborder la question évoquée dans les motifs de la décision de renvoi, relative à l’inapplication éventuelle de l’article 22, paragraphe 4, de l’OLW. En revanche, en vue de fournir à la juridiction de renvoi des éléments d’interprétation utiles à la solution du litige dont elle est saisie, il convient de reformuler la question posée et d’y répondre en tenant compte des prémisses exposées au point 36 du présent arrêt.

39      Il s’ensuit qu’il y a lieu de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, d’une part, si la décision-cadre 2002/584 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une obligation générale et inconditionnelle de remise en liberté d’une personne recherchée et arrêtée en vertu d’un mandat d’arrêt européen dès qu’un délai de 90 jours s’est écoulé à compter de son arrestation, lorsqu’il existe un risque très sérieux de fuite de celle-ci, qui ne peut pas être ramené à un niveau acceptable par l’imposition de mesures adéquates, et, d’autre part, si l’article 6 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale permettant le maintien en détention de la personne recherchée au-delà de ce délai de 90 jours, sur le fondement d’une interprétation de cette disposition nationale selon laquelle ledit délai est suspendu lorsque l’autorité judiciaire d’exécution décide soit de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle, soit d’attendre la réponse à une demande de décision préjudicielle formée par une autre autorité judiciaire d’exécution, soit encore de reporter la décision sur la remise au motif qu’il pourrait exister, dans l’État membre d’émission, un risque réel de conditions de détention inhumaines ou dégradantes.

40      À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que la décision-cadre 2002/584 a pour objet, ainsi qu’il ressort, en particulier, de son article 1er, paragraphes 1 et 2, lus à la lumière de ses considérants 5 et 7, de remplacer le système d’extradition multilatéral fondé sur la convention européenne d’extradition, signée à Paris le 13 décembre 1957, par un système de remise entre les autorités judiciaires des personnes condamnées ou soupçonnées aux fins de l’exécution de jugements ou de poursuites, ce dernier système étant fondé sur le principe de reconnaissance mutuelle [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 39 et jurisprudence citée].

41      La décision-cadre 2002/584 tend ainsi, par l’instauration d’un nouveau système simplifié et plus efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale, à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire en vue de contribuer à réaliser l’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice, en se fondant sur le degré de confiance élevé qui doit exister entre les États membres [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 40 et jurisprudence citée].

42      Cet objectif d’accélérer la coopération judiciaire sous-tend, notamment, les délais d’adoption des décisions relatives au mandat d’arrêt européen. À cet égard, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour, les articles 15 et 17 de la décision-cadre 2002/584 doivent être interprétés comme exigeant que la décision définitive sur l’exécution du mandat d’arrêt européen intervienne, en principe, dans ces délais, dont l’importance est d’ailleurs exprimée dans plusieurs dispositions de cette décision-cadre (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2015, Lanigan, C‑237/15 PPU, EU:C:2015:474, points 29 et 32 ainsi que jurisprudence citée).

43      Toutefois, l’appréciation, par l’autorité judiciaire d’exécution devant décider de la remise de la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen, de l’existence d’un risque réel que cette personne subisse, en cas de remise à l’autorité judiciaire d’émission, un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte, ou une violation de son droit fondamental à un tribunal indépendant et, partant, du contenu essentiel de son droit fondamental à un procès équitable, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, conformément à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584 [voir, en ce sens, arrêts du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, points 83 et 88 ainsi que jurisprudence citée, et du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, points 59 et 60 ainsi que jurisprudence citée], est susceptible de conduire à ce que la durée de la procédure de remise dépasse un délai de 90 jours, ainsi que l’indique à juste titre la juridiction de renvoi. Il risque d’en aller de même s’agissant du délai supplémentaire lié au sursis à statuer dans l’attente d’une décision de la Cour en réponse à une demande de décision préjudicielle formée par l’autorité judiciaire d’exécution, sur le fondement de l’article 267 TFUE.

44      En deuxième lieu, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 12 de ladite décision-cadre, l’autorité judiciaire d’exécution décide s’il convient de maintenir une personne arrêtée sur la base d’un mandat d’arrêt européen en détention, conformément au droit de l’État membre d’exécution. Cet article précise également que la mise en liberté provisoire de cette personne est possible à tout moment, conformément au droit de cet État, à condition que l’autorité compétente dudit État prenne toute mesure qu’elle estimera nécessaire en vue d’éviter la fuite de ladite personne.

45      En revanche, force est de constater que cet article ne prévoit pas, de manière générale, que le maintien de la personne recherchée en détention serait envisageable uniquement dans des limites temporelles précises ni, en particulier, que celui-ci serait exclu après l’expiration des délais prévus à l’article 17 de la même décision-cadre (arrêt du 16 juillet 2015, Lanigan, C‑237/15 PPU, EU:C:2015:474, point 44).

46      De même, si l’article 12 de la décision-cadre 2002/584 admet la possibilité, sous certaines conditions, d’une mise en liberté provisoire de la personne arrêtée sur la base d’un mandat d’arrêt européen, ni cette disposition ni aucune autre disposition de cette décision-cadre ne prévoit que, à la suite de l’expiration des délais prévus à l’article 17 de celle-ci, l’autorité judiciaire d’exécution soit tenue de procéder à une telle mise en liberté provisoire ou, a fortiori, à une mise en liberté pure et simple de cette personne (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2015, Lanigan, C‑237/15 PPU, EU:C:2015:474, points 45 et 46).

47      En effet, étant donné que la procédure d’exécution du mandat d’arrêt européen doit être poursuivie également après l’expiration des délais fixés à l’article 17 de la décision-cadre 2002/584, une obligation générale et inconditionnelle de mise en liberté provisoire ou, a fortiori, de mise en liberté pure et simple de cette personne après l’expiration de ces délais ou lorsque la durée totale de la période de détention de la personne recherchée excède lesdits délais pourrait limiter l’efficacité du système de remise instauré par cette décision-cadre et, partant, à faire obstacle à la réalisation des objectifs poursuivis par celle-ci (arrêt du 16 juillet 2015, Lanigan, C‑237/15 PPU, EU:C:2015:474, point 50).

48      Partant, si l’autorité judiciaire d’exécution décide de mettre fin à la détention de la personne recherchée, il lui appartient alors, en vertu de l’article 12 et de l’article 17, paragraphe 5, de ladite décision-cadre, d’assortir la mise en liberté provisoire de cette personne de toute mesure qu’elle estimera nécessaire en vue d’éviter sa fuite et de s’assurer que les conditions matérielles nécessaires à sa remise effective restent réunies aussi longtemps qu’aucune décision définitive sur l’exécution du mandat d’arrêt européen n’est prise (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2015, Lanigan, C‑237/15 PPU, EU:C:2015:474, point 61).

49      Il s’ensuit que, lorsqu’il existe, comme l’indique en l’occurrence la juridiction de renvoi, un risque très sérieux de fuite qui ne peut pas être ramené à un niveau acceptable par l’imposition de mesures adéquates, permettant de s’assurer que les conditions matérielles nécessaires à la remise effective de la personne recherchée restent réunies, la mise en liberté provisoire de celle-ci pourrait porter atteinte à l’efficacité du système de remise instauré par la décision-cadre 2002/584 et, partant, faire obstacle à la réalisation des objectifs poursuivis par celle-ci, étant donné qu’il ne serait plus garanti que ces conditions matérielles demeurent réunies.

50      Il en résulte que l’obligation, en vertu de l’article 22, paragraphe 4, de l’OLW, de suspendre en toute hypothèse la mesure de détention dont la personne recherchée faisait l’objet en vue de sa remise, dès lors que s’est écoulé un délai de 90 jours à compter de l’arrestation de celle-ci, est incompatible avec les dispositions de la décision-cadre 2002/584, comme l’a d’ailleurs fait observer la juridiction de renvoi dans sa demande de décision préjudicielle.

51      En troisième lieu, il convient de relever, tout d’abord, que l’interprétation de ladite disposition nationale opérée par la juridiction de renvoi ne paraît pas de nature à remédier à cette incompatibilité en toutes circonstances, dès lors que, ainsi qu’il ressort du point 33 du présent arrêt, en l’occurrence, malgré le fait qu’elle considérait expressément, dans sa demande de décision préjudicielle, qu’il existait un risque très sérieux de fuite de TC qui ne pouvait pas être ramené à un niveau acceptable par l’imposition de mesures adéquates permettant de s’assurer que les conditions matérielles nécessaires à sa remise effective restent réunies, la juridiction de renvoi a ordonné la suspension sous conditions de la mesure de détention dont TC faisait l’objet à partir du 8 octobre 2018, car, selon ses calculs, le délai de décision de 90 jours venait à expiration à cette date, en tenant compte de la période de suspension de ce délai.

52      Ensuite, si la jurisprudence du Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam) est également susceptible d’aboutir à la mise en liberté provisoire d’une personne recherchée, malgré le fait qu’il existe un risque très sérieux de fuite de celle-ci qui ne peut pas être ramené à un niveau acceptable par l’imposition de mesures adéquates permettant de s’assurer que les conditions matérielles nécessaires à la remise effective de cette personne demeurent réunies, cette jurisprudence ne permet pas non plus de conférer à l’article 22, paragraphe 4, de l’OLW une lecture qui soit compatible avec les dispositions de la décision-cadre 2002/584.

53      Enfin, il y a lieu de souligner que, en tout état de cause, une quelconque suspension du délai de décision définitive sur l’exécution du mandat d’arrêt européen ne saurait être admise que moyennant le respect des obligations d’information imposées à l’autorité judiciaire d’exécution notamment par l’article 17, paragraphes 4 et 7, de cette décision-cadre.

54      En quatrième lieu, il importe de rappeler que, l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584 prévoit expressément que celle-ci ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux, tels qu’ils sont consacrés à l’article 6 UE et reflétés dans la Charte, obligation qui, en outre, concerne tous les États membres, et notamment tant l’État membre d’émission que celui d’exécution (arrêt du 16 juillet 2015, Lanigan, C‑237/15 PPU, EU:C:2015:474, point 53 et jurisprudence citée).

55      L’article 12 de cette décision-cadre doit, dès lors, être interprété en conformité avec l’article 6 de la Charte, qui prévoit que toute personne a droit à la liberté et à la sûreté (arrêt du 16 juillet 2015, Lanigan, C‑237/15 PPU, EU:C:2015:474, point 54).

56      À cet égard, il importe de rappeler que l’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet que des limitations soient apportées à l’exercice de ce droit, pour autant que ces limitations soient prévues par la loi, qu’elles respectent le contenu essentiel desdits droits et libertés et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles soient nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui (arrêts du 16 juillet 2015, Lanigan, C‑237/15 PPU, EU:C:2015:474, point 55 et jurisprudence citée, ainsi que du 15 mars 2017, Al Chodor, C‑528/15, EU:C:2017:213, point 37).

57      Or, dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, l’article 52, paragraphe 3, de la Charte vise à assurer la cohérence nécessaire entre les droits contenus dans celle-ci et les droits correspondants garantis par la CEDH, sans que cela porte atteinte à l’autonomie du droit de l’Union et de la Cour de justice de l’Union européenne. Il convient donc de tenir compte de l’article 5, paragraphe 1, de la CEDH en vue de l’interprétation de l’article 6 de la Charte, en tant que seuil de protection minimale (voir, en ce sens, arrêts du 15 mars 2017, Al Chodor, C‑528/15, EU:C:2017:213, point 37, ainsi que du 14 septembre 2017, K., C‑18/16, EU:C:2017:680, point 50 et jurisprudence citée).

58      À cet égard, il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 5 de la CEDH que le fait que toute privation de liberté doit être régulière implique non seulement que celle-ci doit trouver son fondement dans la loi nationale, mais également que cette dernière soit suffisamment accessible, précise et prévisible dans son application afin d’éviter tout risque d’arbitraire (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2017, Al Chodor, C‑528/15, EU:C:2017:213, point 38 et jurisprudence citée).

59      En outre, selon la jurisprudence de la Cour à cet égard, il convient de souligner que l’objectif des garanties apportées à la liberté, telles que consacrées tant à l’article 6 de la Charte qu’à l’article 5 de la CEDH, est en particulier constitué par la protection de l’individu contre l’arbitraire. Ainsi, la mise en œuvre d’une mesure de privation de liberté, pour être conforme à cet objectif, implique, notamment, qu’elle soit exempte de tout élément de mauvaise foi ou de tromperie de la part des autorités (arrêt du 15 mars 2017, Al Chodor, C‑528/15, EU:C:2017:213, point 39 et jurisprudence citée).

60      Il découle de ce qui précède que, le maintien en détention d’une personne recherchée au-delà d’un délai de 90 jours portant gravement atteinte au droit à la liberté de cette dernière, il est soumis au respect de garanties strictes, à savoir l’existence d’une base légale justifiant celui-ci, cette base légale devant répondre aux exigences de clarté, de prévisibilité et d’accessibilité afin d’éviter tout risque d’arbitraire, ainsi qu’il ressort du point 58 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2017, Al Chodor, C‑528/15, EU:C:2017:213, point 40 et jurisprudence citée).

61      En l’occurrence, il est constant que l’OLW constitue la base légale, dans l’ordre juridique néerlandais, de la mesure de détention visée à l’article 12 de la décision-cadre 2002/584, que cette législation nationale, celle de l’Union ainsi que la jurisprudence en la matière sont librement accessibles et qu’il n’existe aucun indice laissant à penser que cette législation nationale serait appliquée de manière arbitraire. Partant, il convient uniquement d’examiner si ladite législation nationale présente les caractères de clarté et de prévisibilité requis en ce qui concerne les règles relatives à la durée de la détention, aux Pays-Bas, d’une personne, telle que TC, dans l’attente de sa remise dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen.

62      À cet égard, tout d’abord, il convient de relever que, aux termes de l’article 12 de la décision-cadre 2002/584, lorsqu’une personne est arrêtée sur la base d’un mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire d’exécution décide s’il convient de la maintenir en détention conformément au droit de l’État membre d’exécution et que la mise en liberté provisoire de cette personne n’est possible qu’à la condition que l’autorité compétente dudit État membre prenne toute mesure qu’elle estimera nécessaire en vue d’éviter la fuite de celle-ci.

63      Ainsi qu’il ressort des points 49 et 50 du présent arrêt, il découle de la jurisprudence de la Cour, rappelée aux points 54 et 55 de celui-ci, que, lorsqu’il existe un risque très sérieux de fuite qui ne peut pas être ramené à un niveau acceptable par l’imposition de mesures adéquates, permettant de s’assurer que les conditions matérielles nécessaires à la remise effective de la personne recherchée, restent réunies, comme le considère la juridiction de renvoi en l’occurrence, la mise en liberté de celle-ci du seul fait qu’un délai de 90 jours se soit écoulé depuis la date de son arrestation, fût-ce de manière provisoire, n’est pas compatible avec les obligations découlant de la décision-cadre 2002/584.

64      En outre, la Cour a également précisé, aux points 57 à 59 de l’arrêt du 16 juillet 2015, Lanigan (C‑237/15 PPU, EU:C:2015:474), les conditions auxquelles doit répondre le prolongement de la détention de la personne recherchée au-delà des délais visés à l’article 17 de la décision-cadre 2002/584 et jusqu’à la remise effective de cette personne.

65      Il s’ensuit que le droit de l’Union, tel qu’interprété par cet arrêt de la Cour, pose des règles claires et prévisibles relatives à la durée de la détention d’une personne recherchée.

66      Ensuite, il est constant que l’article 22, paragraphe 4, de l’OLW établit, lui aussi, une règle claire et prévisible, en ce que cette disposition prévoit que la mesure de détention de la personne recherchée est, en principe, ipso facto suspendue par le seul effet de l’écoulement d’un délai de 90 jours à compter de son arrestation. Or, il a été constaté, aux points 49 et 50 du présent arrêt que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, la décision-cadre 2002/584 s’oppose à un tel système.

67      À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que le caractère contraignant d’une décision-cadre entraîne dans le chef des autorités nationales, en ce compris les juridictions nationales, une obligation d’interprétation conforme du droit national. En appliquant le droit national, ces juridictions, appelées à interpréter celui-ci, sont donc tenues de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la décision-cadre concernée afin d’atteindre le résultat visé par celle-ci. Cette obligation d’interprétation conforme du droit national est inhérente au système du traité FUE en ce qu’elle permet aux juridictions nationales d’assurer, dans le cadre de leur compétence, la pleine efficacité du droit de l’Union lorsqu’elles tranchent les litiges dont elles sont saisies (arrêt du 29 juin 2017, Popławski, C‑579/15, EU:C:2017:503, point 31 et jurisprudence citée).

68      En particulier, le principe d’interprétation conforme requiert que les juridictions nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité de la décision-cadre en cause et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (arrêt du 29 juin 2017, Popławski, C‑579/15, EU:C:2017:503, point 34 et jurisprudence citée).

69      Il s’ensuit que, en l’occurrence, il était également clair et prévisible, et ce depuis une date bien antérieure à l’introduction de la procédure au principal, que la juridiction de renvoi ainsi que le Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam) étaient tenus de faire tout ce qui relevait de leur compétence afin de garantir la pleine effectivité de la décision-cadre 2002/584, en conférant à l’article 22, paragraphe 4, de l’OLW, et à l’obligation de mise en liberté provisoire que cette disposition prévoit, une interprétation conforme à la finalité poursuivie par cette décision-cadre.

70      Toutefois, il a été constaté aux points 51 et 52 du présent arrêt que les interprétations de cette disposition nationale auxquelles se livrent la juridiction de renvoi ainsi que le Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam) en vue d’en assurer la conformité à cette décision-cadre ne satisfont pas entièrement aux exigences de celle-ci. En particulier, celle employée par la juridiction de renvoi n’a pas permis d’assurer, en l’occurrence, la conformité à la décision-cadre 2002/584 de l’article 22, paragraphe 4, de l’OLW.

71      Enfin, en ce qui concerne les circonstances soulignées par la juridiction de renvoi dans sa demande de décision préjudicielle, selon lesquelles tant son interprétation de l’article 22, paragraphe 4, de l’OLW que la jurisprudence du Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam) sont, tout d’abord, claires et prévisibles, ensuite, fondées sur des raisonnements juridiques divergents et, enfin, bien que cela ne se serait pas encore produit, susceptibles d’aboutir à des décisions divergentes, il y a lieu de considérer ce qui suit.

72      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 60 de ses conclusions, dès lors que la juridiction de renvoi et le Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam) n’ont notamment pas égard au même point de départ en vue du calcul de la période de suspension du délai dans lequel ces juridictions doivent se prononcer sur la remise de la personne recherchée, l’échéance du délai de 90 jours est susceptible de varier selon la juridiction concernée et, partant, d’aboutir à des durées de maintien en détention différentes.

73      En effet, tandis que, en l’occurrence, la juridiction de renvoi a prononcé la suspension du délai de 90 jours avec effet au 14 juin 2018, ainsi qu’il ressort du point 13 du présent arrêt, selon l’approche du Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam), ladite suspension aurait pris effet le 17 mai 2018, dès lors que cette juridiction estimerait qu’une telle suspension de délai doit intervenir dès le moment où la Cour est saisie d’une demande de décision préjudicielle qui s’avère pertinente pour l’affaire au principal.

74      En outre, il importe de relever que ces approches divergentes s’inscrivent dans un contexte juridique marqué par une disposition nationale incompatible avec la décision-cadre 2002/584, en ce que, d’une part, elle est susceptible d’aboutir à la mise en liberté d’une personne recherchée malgré un risque de fuite qui ne peut pas être ramené à un niveau acceptable par l’imposition des mesures adéquates, permettant de s’assurer que les conditions matérielles nécessaires à la remise effective de cette personne demeurent réunies, et, d’autre part, les interprétations divergentes de cette disposition nationale auxquelles se livrent les juridictions nationales en vue d’en assurer la conformité à cette décision-cadre ne satisfont pas entièrement aux exigences de celle-ci.

75      Il en découle que, dans une affaire telle que celle en cause au principal, des personnes arrêtées aux Pays-Bas en vue de leur remise, telles que TC, se trouvent confrontées à des dispositions de droit national, à savoir l’article 22, paragraphe 4, de l’OLW, et de droit de l’Union, à savoir les articles 12 et 17 de la décision-cadre 2002/584, incompatibles entre elles, ainsi qu’à une divergence dans la jurisprudence nationale relative à cette disposition de droit national en vue de lui donner une interprétation conforme au droit de l’Union.

76      Dans ces conditions, force est de constater que la divergence existant entre l’interprétation retenue par la juridiction de renvoi et la jurisprudence du Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam) ne permet pas de déterminer avec la clarté et la prévisibilité requises par la jurisprudence de la Cour, telle que rappelée aux points 59 et 60 du présent arrêt, la durée du maintien en détention, aux Pays-Bas, d’une personne recherchée dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen émis à son égard.

77      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que

–        la décision-cadre 2002/584 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une obligation générale et inconditionnelle de remise en liberté d’une personne recherchée et arrêtée en vertu d’un mandat d’arrêt européen dès qu’un délai de 90 jours s’est écoulé à compter de son arrestation, lorsqu’il existe un risque très sérieux de fuite de celle-ci, qui ne peut pas être ramené à un niveau acceptable par l’imposition de mesures adéquates, et que

–        l’article 6 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale permettant le maintien en détention de la personne recherchée au-delà de ce délai de 90 jours, sur le fondement d’une interprétation de cette disposition nationale selon laquelle ledit délai est suspendu lorsque l’autorité judiciaire d’exécution décide soit de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle, soit d’attendre la réponse à une demande de décision préjudicielle formée par une autre autorité judiciaire d’exécution, soit encore de reporter la décision sur la remise au motif qu’il pourrait exister, dans l’État membre d’émission, un risque réel de conditions de détention inhumaines ou dégradantes, pour autant que cette jurisprudence n’assure pas la conformité de ladite disposition nationale à la décision-cadre 2002/584 et présente des divergences susceptibles d’aboutir à des durées de maintien en détention différentes.

 Sur les dépens

78      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

La décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une obligation générale et inconditionnelle de remise en liberté d’une personne recherchée et arrêtée en vertu d’un mandat d’arrêt européen dès qu’un délai de 90 jours s’est écoulé à compter de son arrestation, lorsqu’il existe un risque très sérieux de fuite de celle-ci, qui ne peut pas être ramené à un niveau acceptable par l’imposition de mesures adéquates.

L’article 6 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale permettant le maintien en détention de la personne recherchée au-delà de ce délai de 90 jours, sur le fondement d’une interprétation de cette disposition nationale selon laquelle ledit délai est suspendu lorsque l’autorité judiciaire d’exécution décide soit de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une demande de décision préjudicielle, soit d’attendre la réponse à une demande de décision préjudicielle formée par une autre autorité judiciaire d’exécution, soit encore de reporter la décision sur la remise au motif qu’il pourrait exister, dans l’État membre d’émission, un risque réel de conditions de détention inhumaines ou dégradantes, pour autant que cette jurisprudence n’assure pas la conformité de ladite disposition nationale à la décision-cadre 2002/584 et présente des divergences susceptibles d’aboutir à des durées de maintien en détention différentes.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.