Language of document : ECLI:EU:C:2019:280

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

2 avril 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Règlement (UE) no 604/2013 – Article 18, paragraphe 1, sous b) à d) – Article 23, paragraphe 1 – Article 24, paragraphe 1 – Procédure de reprise en charge – Critères de responsabilité – Nouvelle demande introduite dans un autre État membre – Article 20, paragraphe 5 – Processus de détermination en cours – Retrait de la demande – Article 27 – Voies de recours »

Dans les affaires jointes C‑582/17 et C‑583/17,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), par décisions du 27 septembre 2017, parvenues à la Cour le 4 octobre 2017, dans les procédures

Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie

contre

H. (C‑582/17),

R. (C‑583/17),

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice‑présidente, M. A. Arabadjiev, Mme A. Prechal, MM. M. Vilaras, E. Regan, Mme C. Toader et M. C. Lycourgos, présidents de chambre, MM. A. Rosas, M. Ilešič, L. Bay Larsen (rapporteur), MM. M. Safjan, D. Šváby, C. G. Fernlund et C. Vajda, juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 septembre 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour H., par Me I. M. Zuidhoek, advocaat,

–        pour R., par Me M. P. Ufkes, advocaat,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et M. H. S. Gijzen, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et R. Kanitz, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement finlandais, par M. J. Heliskoski, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. S. Brandon ainsi que par Mmes Z. Lavery et R. Fadoju, en qualité d’agents, assistés de M. D. Blundell, barrister,

–        pour le gouvernement suisse, par M. E. Bichet, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par M. G. Wils et Mme M. Condou-Durande, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 29 novembre 2018,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31, ci–après le « règlement Dublin III »).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant le Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (secrétaire d’État à la Sécurité et à la Justice, Pays-Bas) (ci-après le « secrétaire d’État ») à H. et à R., ressortissantes syriennes, au sujet du refus de prendre en considération leurs demandes de protection internationale.

 Le cadre juridique

 Le règlement no 1560/2003

3        Les annexes I et III du règlement (CE) no 1560/2003 de la Commission, du 2 septembre 2003, portant modalités d’application du règlement (CE) no 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (JO 2003, L 222, p. 3), tel que modifié par le règlement d’exécution (UE) no 118/2014 de la Commission, du 30 janvier 2014 (JO 2014, L 39, p. 1) (ci-après le « règlement no 1560/2003 »), contiennent respectivement un « Formulaire type de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale » et un « Formulaire uniforme pour les requêtes aux fins de reprise en charge ».

 Le règlement Dublin III

4        Les considérants 4, 5, 13, 14 et 19 du règlement Dublin III sont ainsi rédigés :

« (4)      Les conclusions de Tampere ont [...] précisé que le [régime d’asile européen commun] devrait comporter à court terme une méthode claire et opérationnelle pour déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile.

(5)      Une telle méthode devrait être fondée sur des critères objectifs et équitables tant pour les États membres que pour les personnes concernées. Elle devrait, en particulier, permettre une détermination rapide de l’État membre responsable afin de garantir un accès effectif aux procédures d’octroi d’une protection internationale et ne pas compromettre l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale.

[...]

(13)      Conformément à la convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant de 1989 et à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale des États membres lorsqu’ils appliquent le présent règlement. Lorsqu’ils apprécient l’intérêt supérieur de l’enfant, les États membres devraient en particulier tenir dûment compte du bien-être et du développement social du mineur, de considérations tenant à la sûreté et à la sécurité et de l’avis du mineur en fonction de son âge et de sa maturité, y compris de son passé. Il convient, en outre, de fixer des garanties de procédure spécifiques pour les mineurs non accompagnés, en raison de leur vulnérabilité particulière.

(14)      Conformément à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le respect de la vie familiale devrait être une considération primordiale pour les États membres lors de l’application du présent règlement.

[...]

(19)      Afin de garantir une protection efficace des droits des personnes concernées, il y a lieu d’instaurer des garanties juridiques et le droit à un recours effectif à l’égard de décisions de transfert vers l’État membre responsable conformément, notamment, à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Afin de garantir le respect du droit international, un recours effectif contre de telles décisions devrait porter à la fois sur l’examen de l’application du présent règlement et sur l’examen de la situation en fait et en droit dans l’État membre vers lequel le demandeur est transféré. »

5        L’article 2 de ce règlement est libellé comme suit :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

d)      “examen d’une demande de protection internationale”, l’ensemble des mesures d’examen, des décisions ou des jugements rendus par les autorités compétentes sur une demande de protection internationale conformément à la directive 2013/32/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60),] et à la directive 2011/95/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9)], à l’exception des procédures de détermination de l’État membre responsable en vertu du présent règlement ;

[...] »

6        L’article 3, paragraphes 1 et 2, dudit règlement énonce :

« 1.      Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l’un quelconque d’entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable.

2.      Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l’examen. 

[...] »

7        Figurant au chapitre III du règlement Dublin III, relatif aux « [c]ritères de détermination de l’État membre responsable », l’article 9 de ce règlement, intitulé « Membres de la famille bénéficiaires d’une protection internationale », est ainsi libellé :

« Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d’origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d’une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. »

8        L’article 18 dudit règlement précise :

« 1.      L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de :

a)      prendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 21, 22 et 29, le demandeur qui a introduit une demande dans un autre État membre ;

b)      reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ;

c)      reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29 le ressortissant de pays tiers ou l’apatride qui a retiré sa demande en cours d’examen et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ;

d)      reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre.

2.      Dans les cas relevant du champ d’application du paragraphe 1, points a) et b), l’État membre responsable est tenu d’examiner la demande de protection internationale présentée par le demandeur ou de mener à son terme l’examen.

Dans les cas relevant du champ d’application du paragraphe 1, point c), lorsque l’État membre responsable avait interrompu l’examen d’une demande à la suite de son retrait par le demandeur avant qu’une décision ait été prise sur le fond en première instance, cet État membre veille à ce que le demandeur ait le droit de demander que l’examen de sa demande soit mené à terme ou d’introduire une nouvelle demande de protection internationale [...]

Dans les cas relevant du champ d’application du paragraphe 1, point d), lorsque la demande a été rejetée en première instance uniquement, l’État membre responsable veille à ce que la personne concernée ait la possibilité ou ait eu la possibilité de disposer d’un recours effectif en vertu de l’article 46 de la directive 2013/32/UE. »

9        Le chapitre VI du même règlement, intitulé « Procédures de prise en charge et de reprise en charge », comprend les articles 20 à 33 de celui-ci. 

10      L’article 20, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement Dublin III énonce :

« L’État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, et en vue d’achever le processus de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale, de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre État membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre État membre pendant le processus de détermination de l’État membre responsable. »

11      L’article 21, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement est ainsi rédigé :

« L’État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu’un autre État membre est responsable de l’examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’introduction de la demande au sens de l’article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. »

12      L’article 22, paragraphes 2, 4, 5 et 7, dudit règlement prévoit :

« 2.      Dans le cadre de la procédure de détermination de l’État membre responsable, des éléments de preuve et des indices sont utilisés.

[...]

4.      L’exigence de la preuve ne devrait pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour la bonne application du présent règlement.

5.      À défaut de preuve formelle, l’État membre requis admet sa responsabilité si les indices sont cohérents, vérifiables et suffisamment détaillés pour établir la responsabilité.

[...]

7.      L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d’un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée. »

13      L’article 23 du même règlement dispose :

« 1.      Lorsqu’un État membre auprès duquel une personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu’un autre État membre est responsable conformément à l’article 20, paragraphe 5, et à l’article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne.

[...]

4.      Une requête aux fins de reprise en charge est présentée à l’aide d’un formulaire type et comprend des éléments de preuve ou des indices tels que décrits dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, et/ou des éléments pertinents tirés des déclarations de la personne concernée, qui permettent aux autorités de l’État membre requis de vérifier s’il est responsable au regard des critères définis dans le présent règlement.

La Commission adopte, par voie d’actes d’exécution, des conditions uniformes pour l’établissement et la présentation des requêtes aux fins de reprise en charge. Ces actes d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d’examen visée à l’article 44, paragraphe 2. »

14      L’article 24 du règlement Dublin III énonce :

« 1.      Lorsqu’un État membre sur le territoire duquel une personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), se trouve sans titre de séjour et auprès duquel aucune nouvelle demande de protection internationale n’a été introduite estime qu’un autre État membre est responsable conformément à l’article 20, paragraphe 5, et à l’article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne.

[...]

5.      La requête aux fins de reprise en charge de la personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), est présentée à l’aide d’un formulaire type et comprend des éléments de preuve ou des indices tels que décrits dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, et/ou des éléments pertinents tirés des déclarations de cette personne, qui permettent aux autorités de l’État membre requis de vérifier s’il est responsable au regard des critères définis dans le présent règlement.

[...] »

15      L’article 25 de ce règlement prévoit :

« 1.      L’État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n’excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines.

2.      L’absence de réponse à l’expiration du délai d’un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée. »

16      L’article 27, paragraphe 1, dudit règlement précise :

« Le demandeur ou une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), dispose d’un droit de recours effectif, sous la forme d’un recours contre la décision de transfert ou d’une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction. »

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 L’affaire C582/17

17      H. a introduit, le 21 janvier 2016, une demande de protection internationale aux Pays-Bas.

18      Considérant que H. avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Allemagne, le secrétaire d’État a présenté, le 21 mars 2016, aux autorités allemandes, une requête aux fins de reprise en charge en application de l’article 18, paragraphe 1, sous b), du règlement Dublin III.

19      Les autorités allemandes n’ont pas répondu à cette requête aux fins de reprise en charge dans le délai imparti de deux semaines.

20      Par décision du 6 mai 2016, le secrétaire d’État a décidé de ne pas prendre en considération la demande de protection internationale introduite par H., en considérant que celle-ci ne pouvait se prévaloir de l’article 9 du règlement Dublin III en vue d’établir la responsabilité du Royaume des Pays-Bas en raison de la présence de son conjoint dans cet État membre, dès lors qu’il était question d’une situation de reprise en charge et non d’une situation de prise en charge.

21      H. a formé un recours contre cette décision devant le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Groningen (tribunal de La Haye, siégeant à Groningue, Pays-Bas).

22      Par jugement du 6 juin 2016, cette juridiction a accueilli le recours et annulé la décision du secrétaire d’État en considérant qu’elle était insuffisamment motivée.

23      H. et le secrétaire d’État ont interjeté appel de ce jugement.

24      La juridiction de renvoi considère que, conformément à la logique qui sous-tend le règlement Dublin III, seul l’État membre dans lequel la première demande de protection internationale a été introduite détermine l’État membre responsable. Elle en déduit que H. ne peut se prévaloir d’un critère énoncé au chapitre III dudit règlement aux Pays-Bas, dès lors qu’elle n’avait pas attendu la fin de la procédure de détermination de l’État membre responsable en Allemagne et qu’il existe déjà un accord de reprise en charge entre ces deux États membres.

25      Cela étant, cette juridiction s’interroge sur la compatibilité d’une telle solution avec celle retenue dans les arrêts du 7 juin 2016, Ghezelbash (C‑63/15, EU:C:2016:409), et du 7 juin 2016, Karim (C‑155/15, EU:C:2016:410).

26      Dans ces conditions, le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le règlement [Dublin III] doit–il être interprété en ce sens que seul l’État membre dans lequel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est chargé de déterminer l’État membre responsable, de sorte qu’un ressortissant étranger ne peut introduire que dans cet État membre un recours en vertu de l’article 27 de ce règlement contre une application incorrecte d’un des critères de responsabilité établis par le chapitre III dudit règlement (parmi lesquels figure l’article 9) ? »

 L’affaire C583/17

27      R. a introduit, le 9 mars 2016, une demande de protection internationale aux Pays‑Bas.

28      Considérant que R. avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Allemagne, le secrétaire d’État a demandé aux autorités allemandes de la reprendre en charge en application de l’article 18, paragraphe 1, sous b), du règlement Dublin III.

29      Les autorités allemandes ont initialement rejeté cette demande au motif que R. serait mariée à une personne bénéficiaire d’une protection internationale aux Pays-Bas.

30      Le secrétaire d’État a alors adressé aux autorités allemandes une demande de réexamen dans laquelle il était précisé que le mariage de R. avec cette personne était jugé non vraisemblable. Sur la base de cette demande, les autorités allemandes ont reconsidéré leur position et ont accepté, par une décision du 1er juin 2016, de reprendre R. en charge.

31      Par décision du 14 juillet 2016, le secrétaire d’État a décidé de ne pas prendre en considération la demande de protection internationale introduite par R., en estimant, d’une part, que le prétendu conjoint de R. ne saurait être considéré comme étant un membre de sa famille, dans la mesure où R. avait rendu non vraisemblable le mariage allégué, et, d’autre part, que R. ne pouvait pas se prévaloir de l’article 9 du règlement Dublin III, dès lors qu’il était question d’une situation de reprise en charge et non d’une situation de prise en charge.

32      R. a formé un recours contre cette décision devant le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats’s-Hertogenbosch (tribunal de La Haye, siégeant à Bois-le-Duc, Pays-Bas).

33      Par jugement du 11 août 2016, cette juridiction a accueilli le recours et annulé la décision du secrétaire d’État, au motif qu’un ressortissant de pays tiers peut invoquer les critères énoncés au chapitre III du règlement Dublin III tant dans une situation de prise en charge que dans une situation de reprise en charge.

34      Le secrétaire d’État a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi.

35      Dans ces conditions, le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le règlement [Dublin III] doit–il être interprété en ce sens que seul l’État membre dans lequel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est chargé de déterminer l’État membre responsable, de sorte qu’un ressortissant étranger ne peut introduire que dans cet État membre un recours en vertu de l’article 27 de ce règlement contre une application incorrecte d’un des critères de responsabilité établis par le chapitre III dudit règlement (parmi lesquels figure l’article 9) ?

2)      Dans quelle mesure est–il pertinent, pour la réponse à la première question, que la demande de protection internationale ait déjà fait l’objet d’une décision dans l’État membre où elle a été introduite pour la première fois ou que le ressortissant étranger ait retiré cette demande prématurément ? »

36      Par décision du président de la Cour du 19 octobre 2017, les affaires C‑582/17 et C‑583/17 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

37      Par sa question dans l’affaire C‑582/17 et ses questions dans l’affaire C‑583/17, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers qui a introduit une demande de protection internationale dans un premier État membre puis a quitté cet État membre et a ensuite introduit une nouvelle demande de protection internationale dans un second État membre peut invoquer, dans le cadre d’un recours exercé, au titre de l’article 27, paragraphe 1, de ce règlement, dans ce second État membre contre une décision de transfert prise à son égard, le critère de responsabilité énoncé à l’article 9 dudit règlement.

 Sur la portée du droit au recours

38      L’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III prévoit que la personne faisant l’objet d’une décision de transfert dispose d’un droit de recours effectif, sous la forme d’un recours contre cette décision ou d’une révision, en fait et en droit, de ladite décision devant une juridiction.

39      La portée de ce recours est précisée au considérant 19 de ce règlement, qui indique que, afin de garantir le respect du droit international, le recours effectif instauré par ledit règlement contre des décisions de transfert doit porter, d’une part, sur l’examen de l’application du même règlement et, d’autre part, sur l’examen de la situation en fait et en droit dans l’État membre vers lequel le demandeur est transféré (arrêts du 26 juillet 2017, Mengesteab, C‑670/16, EU:C:2017:587, point 43, et du 25 octobre 2017, Shiri, C‑201/16, EU:C:2017:805, point 37).

40      Dans ce contexte, au regard notamment de l’évolution générale qu’a connue le système de détermination de l’État membre responsable d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres du fait de l’adoption du règlement Dublin III et des objectifs visés par ce règlement, l’article 27, paragraphe 1, dudit règlement doit être interprété en ce sens que le recours qu’il prévoit contre une décision de transfert doit pouvoir porter tant sur le respect des règles attribuant la responsabilité d’examiner une demande de protection internationale que sur les garanties procédurales prévues par le même règlement (voir, en ce sens, arrêts du 26 juillet 2017, A.S., C‑490/16, EU:C:2017:585, points 27 et 31 ; du 26 juillet 2017, Mengesteab, C‑670/16, EU:C:2017:587, points 44 à 48, ainsi que du 25 octobre 2017, Shiri, C‑201/16, EU:C:2017:805, point 38).

41      La circonstance que la décision de transfert contre laquelle est exercé le recours a été adoptée à l’issue d’une procédure de prise en charge ou de reprise en charge n’est pas de nature à influer sur la portée ainsi reconnue à ce recours.

42      En effet, l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III garantit un droit de recours tant aux demandeurs de protection internationale, lesquels peuvent faire l’objet, selon les cas, d’une procédure de prise en charge ou de reprise en charge, qu’aux autres personnes visées à l’article 18, paragraphe 1, sous c) ou d), de ce règlement, lesquelles sont susceptibles de faire l’objet d’une procédure de reprise en charge, sans opérer aucune distinction quant à la portée du recours ouvert à ces différentes catégories de requérants.

43      Cela étant, ce constat ne saurait impliquer qu’une personne concernée peut invoquer, devant la juridiction nationale saisie d’un tel recours, des dispositions de ce règlement qui, en tant qu’elles ne sont pas applicables à sa situation, ne liaient pas les autorités compétentes lors de la conduite de la procédure de prise en charge ou de reprise en charge et de l’adoption de la décision de transfert.

44      En l’occurrence, il ressort des décisions de renvoi que les questions posées trouvent précisément leur origine dans les doutes de la juridiction de renvoi quant à l’applicabilité, dans les situations en cause au principal, de l’article 9 dudit règlement et, partant, quant à l’obligation, pour les autorités compétentes néerlandaises, de tenir compte, dans le cadre d’une procédure de reprise en charge, du critère de responsabilité énoncé à cet article.

45      Il convient donc, en vue de répondre à ces questions, de déterminer si les autorités compétentes sont tenues, dans des situations telles que celles en cause au principal, de procéder à la détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande en prenant en considération ce critère, avant de pouvoir formuler valablement une requête aux fins de reprise en charge.

 Sur la procédure applicable dans des situations telles que celles en cause au principal

46      Le champ d’application de la procédure de reprise en charge est défini aux articles 23 et 24 du règlement Dublin III. Il ressort de l’article 23, paragraphe 1, et de l’article 24, paragraphe 1, de ce règlement que cette procédure est applicable aux personnes visées à l’article 20, paragraphe 5, ou à l’article 18, paragraphe 1, sous b) à d), dudit règlement.

47      L’article 20, paragraphe 5, du même règlement prévoit notamment qu’il s’applique à un demandeur qui introduit une demande de protection internationale dans un État membre après avoir retiré sa première demande dans un autre État membre pendant le processus de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande.

48      Cette disposition implique ainsi qu’un demandeur qui a formellement averti l’autorité compétente de l’État membre dans lequel il avait introduit sa première demande de son souhait de renoncer à celle-ci avant que ce processus soit achevé pourra néanmoins être transféré vers ce premier État membre en vue de l’achèvement dudit processus.

49      Or, un transfert à cette fin vers ledit premier État membre devrait a fortiori être possible dans une situation dans laquelle un demandeur a quitté cet État membre, avant que le processus de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande soit achevé, sans informer l’autorité compétente de ce premier État membre de son souhait de renoncer à sa demande et dans laquelle, par conséquent, ce processus est toujours en cours dans cet État membre.

50      Partant, il y a lieu de considérer, ainsi que l’ont fait valoir le gouvernement finlandais et la Commission lors de l’audience, que l’article 20, paragraphe 5, du règlement Dublin III est également applicable dans une telle situation, le départ du demandeur du territoire d’un État membre dans lequel il a introduit une demande de protection internationale devant être assimilé, aux fins de l’application de cette disposition, à un retrait implicite de cette demande.

51      Quant à l’article 18, paragraphe 1, sous b) à d), du règlement Dublin III, celui-ci se réfère à une personne qui, d’une part, a introduit une demande de protection internationale, laquelle est en cours d’examen, a retiré une telle demande en cours d’examen ou a vu une telle demande rejetée et qui, d’autre part, soit a présenté une demande dans un autre État membre, soit se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre (arrêt du 25 janvier 2018, Hasan, C‑360/16, EU:C:2018:35, point 44).

52      Dès lors qu’il ressort de l’article 2, sous d), de ce règlement que l’examen d’une demande de protection internationale couvre l’ensemble des mesures d’examen prises par les autorités compétentes sur une demande de protection internationale, à l’exception de la procédure de détermination de l’État membre responsable en vertu dudit règlement, il y a lieu de considérer que l’article 18, paragraphe 1, sous b) à d), du même règlement ne peut trouver à s’appliquer que si l’État membre dans lequel une demande a été antérieurement introduite a achevé cette procédure de détermination en admettant sa responsabilité pour examiner cette demande et a débuté l’examen de ladite demande conformément à la directive 2013/32.

53      Il découle de ce qui précède que des situations telles que celles en cause au principal relèvent du champ d’application de la procédure de reprise en charge, indépendamment du point de savoir si la demande de protection internationale introduite dans le premier État membre a été retirée ou si l’examen de celle-ci conformément à la directive 2013/32 a déjà débuté dans ledit État membre.

 Sur le régime applicable aux procédures de reprise en charge

54      Les procédures de prise en charge et de reprise en charge doivent obligatoirement être conduites en conformité avec les règles énoncées au chapitre VI du règlement Dublin III (voir, en ce sens, arrêts du 26 juillet 2017, Mengesteab, C‑670/16, EU:C:2017:587, point 49, ainsi que du 13 novembre 2018, X et X, C‑47/17 et C‑48/17, EU:C:2018:900, point 57), lesquelles soumettent ces procédures à des régimes distincts, définis respectivement aux sections II et III de ce chapitre.

55      Dans le cadre de la procédure de prise en charge, l’article 21, paragraphe 1, de ce règlement ne prévoit la possibilité, pour l’État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite, de requérir un autre État membre aux fins de la prise en charge d’un demandeur que lorsque le premier de ces États membres estime que le second de ceux-ci est l’État membre « responsable de l’examen de cette demande », celui-ci étant en principe l’État membre que désignent les critères énoncés au chapitre III dudit règlement.

56      L’applicabilité de ces critères dans le cadre de la procédure de prise en charge est confirmée par les dispositions de l’article 22, paragraphes 2 à 5, du même règlement, qui régissent, de manière détaillée, l’examen des éléments de preuve et des indices permettant l’application desdits critères et définissent le niveau de preuve nécessaire pour établir la responsabilité de l’État membre requis.

57      Il découle de ces éléments que, dans le cadre de la procédure de prise en charge, le processus de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande sur la base des critères établis au chapitre III du règlement Dublin III revêt un caractère central et que l’autorité compétente de l’État membre auprès duquel une demande a été introduite ne peut adresser à un autre État membre une requête aux fins d’une telle prise en charge que lorsque cette autorité estime que cet autre État membre est responsable de l’examen de cette demande (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2016, Ghezelbash, C‑63/15, EU:C:2016:409, point 43).

58      Toutefois, il n’en va pas de même pour la procédure de reprise en charge, dès lors que celle-ci est régie par des dispositions présentant, à cet égard, des différences substantielles avec les dispositions gouvernant la procédure de prise en charge.

59      Ainsi, en premier lieu, l’article 23, paragraphe 1, et l’article 24, paragraphe 1, du règlement Dublin III prévoient la faculté de formuler une requête aux fins de reprise en charge lorsque l’État membre requérant estime qu’un autre État membre est « responsable conformément à l’article 20, paragraphe 5, et à l’article 18, paragraphe 1, [sous] b) [à] d), » de ce règlement, et non lorsqu’il estime qu’un autre État membre est « responsable de l’examen de [la] demande ».

60      Il en découle, comme l’a relevé la Commission lors de l’audience, que le terme « responsable » est employé à l’article 23, paragraphe 1, et à l’article 24, paragraphe 1, du règlement Dublin III dans un sens différent de celui retenu à l’article 21, paragraphe 1, de ce règlement, en tant qu’il ne vise pas spécifiquement la responsabilité d’examiner la demande de protection internationale. Il ressort d’ailleurs de l’article 18, paragraphe 2, et de l’article 20, paragraphe 5, dudit règlement que le transfert d’une personne vers l’État membre tenu à une obligation de reprise en charge n’a pas nécessairement pour objet de mener à bien l’examen de cette demande.

61      Ainsi, conformément à l’article 23, paragraphe 1, et à l’article 24, paragraphe 1, du règlement Dublin III, l’exercice de la faculté de formuler une requête aux fins de reprise en charge présuppose non pas que soit établie la responsabilité de l’État membre requis pour examiner la demande de protection internationale, mais que cet État membre satisfasse aux conditions prévues à l’article 20, paragraphe 5, ou à l’article 18, paragraphe 1, sous b) à d), de ce règlement.

62      Or, il résulte des termes mêmes de l’article 20, paragraphe 5, dudit règlement que l’obligation de reprise en charge qu’il institue est imposée à « l’État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois ». Dès lors, les critères de responsabilité énoncés au chapitre III du même règlement ne sauraient servir à identifier cet État membre.

63      En outre, subordonner la mise en œuvre de cette obligation à l’achèvement, dans l’État membre requérant, du processus de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande, en vue de vérifier que cette qualité incombe à l’État membre visé à l’article 20, paragraphe 5, dudit règlement, contreviendrait à la logique même de cette disposition, puisque celle-ci précise que la reprise en charge du demandeur imposée à cet État membre a pour but de permettre à ce dernier « d’achever le processus de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande ».

64      La Cour a d’ailleurs déjà constaté que ladite disposition énonce des obligations particulières à la charge du premier État membre auprès duquel une demande de protection a été introduite, celui-ci se voyant ainsi attribuer un statut particulier par le règlement Dublin III (voir, en ce sens, arrêt du 26 juillet 2017, Mengesteab, C‑670/16, EU:C:2017:587, points 93 et 95).

65      S’agissant de l’article 18, paragraphe 1, sous b) à d), de ce règlement, il ressort certes de son libellé que les obligations qu’il énonce s’imposent à « l’État membre responsable ».

66      Pour autant, ainsi qu’il a été relevé aux points 51 et 52 du présent arrêt, les obligations de reprise en charge prévues à ces dispositions ne sont applicables que si le processus de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande prévu par ledit règlement a auparavant été achevé dans l’État membre requis et qu’il a conduit ce dernier à reconnaître sa responsabilité pour examiner cette demande.

67      Dans une telle situation, la responsabilité de l’examen de la demande étant déjà établie, il n’y a pas lieu de procéder à une nouvelle application des règles régissant le processus de détermination de cette responsabilité, au premier rang desquelles figurent les critères énoncés au chapitre III du même règlement.

68      L’article 25 du règlement Dublin III corrobore, en deuxième lieu, l’absence de pertinence des critères de responsabilité énoncés au chapitre III de ce règlement dans le cadre de la procédure de reprise en charge.

69      En effet, alors que l’article 22, paragraphes 2 à 5, du règlement Dublin III prévoit de manière détaillée la façon dont ces critères doivent être appliqués dans le cadre de la procédure de prise en charge, force est de constater que l’article 25 de ce règlement ne comprend aucune disposition similaire et impose seulement à l’État membre requis de procéder aux vérifications nécessaires en vue de statuer sur la requête aux fins de reprise en charge.

70      Le caractère simplifié de la procédure de reprise en charge est de surcroît confirmé par le fait que le délai pour répondre à une requête aux fins de reprise en charge, prévu à l’article 25, paragraphe 2, dudit règlement, est sensiblement plus court que le délai pour répondre à une requête aux fins de prise en charge, prévu à l’article 22, paragraphe 7, du même règlement.

71      En troisième lieu, l’interprétation qui précède est corroborée par les formulaires types de requête aux fins de prise en charge et de requête aux fins de reprise en charge figurant respectivement à l’annexe I et à l’annexe III du règlement no 1560/2003.

72      En effet, alors que le formulaire type de requête aux fins de prise en charge prévoit que l’État membre requérant doit, en cochant une case, mentionner le critère de responsabilité pertinent et permet la fourniture des informations nécessaires pour vérifier si ce critère est satisfait, le formulaire type de requête aux fins de reprise en charge suppose seulement que l’État membre requérant indique si sa requête est fondée sur l’article 20, paragraphe 5, ou sur l’article 18, paragraphe 1, sous b), c) ou d), du règlement Dublin III, et ne comporte aucune rubrique se rapportant aux critères de responsabilité énoncés au chapitre III de ce règlement.

73      Il importe, en quatrième lieu, de relever que l’interprétation inverse, selon laquelle une requête aux fins de reprise en charge ne peut être formulée que si l’État membre requis peut être désigné comme l’État membre responsable en application des critères de responsabilité énoncés au chapitre III du règlement Dublin III, est contredite par l’économie générale de ce règlement.

74      En effet, cette interprétation impliquerait, en définitive, que les procédures de prise en charge et de reprise en charge doivent être menées de manière identique en presque tous points et qu’elles forment, en pratique, une procédure unique supposant, dans un premier temps, de déterminer l’État membre responsable de l’examen de la demande sur la base desdits critères de responsabilité, puis, dans un second temps, de présenter à celui-ci une requête dont il devra apprécier le bien-fondé sur la même base.

75      Or, si le législateur de l’Union avait entendu instaurer une telle procédure unique, il n’aurait logiquement pas choisi de consacrer, dans la structure même dudit règlement, l’existence de deux procédures autonomes, applicables à des cas de figure différents, définis de manière détaillée, et faisant l’objet de dispositions différentes.

76      En cinquième et dernier lieu, l’interprétation mentionnée au point 73 du présent arrêt serait également de nature à compromettre la réalisation de certains objectifs du règlement Dublin III.

77      En effet, celle-ci impliquerait, dans les cas visés à l’article 18, paragraphe 1, sous b) à d), de ce règlement, que les autorités compétentes du deuxième État membre pourraient réexaminer, de fait, la conclusion à laquelle sont parvenues, à l’issue du processus de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande, les autorités compétentes du premier État membre quant à sa propre responsabilité, pour autant que les personnes concernées quittent le territoire de cet État membre après que celui-ci a entamé l’examen de leur demande, ce qui risquerait d’inciter les ressortissants de pays tiers ayant déposé une demande de protection internationale dans un État membre à se rendre dans d’autres États membres, et d’engendrer ainsi des mouvements secondaires que le règlement Dublin III vise précisément à prévenir en instaurant les mécanismes et les critères uniformes tendant à la détermination de l’État membre responsable (voir, par analogie, arrêts du 17 mars 2016, Mirza, C‑695/15 PPU, EU:C:2016:188, point 52, et du 13 septembre 2017, Khir Amayry, C‑60/16, EU:C:2017:675, point 37).

78      L’interprétation mentionnée au point 73 du présent arrêt pourrait, en outre, conduire à porter atteinte au principe essentiel de ce règlement, énoncé à son article 3, paragraphe 1, selon lequel une demande de protection internationale ne doit être examinée que par un seul État membre, dans l’hypothèse où le processus de détermination mené dans le deuxième État membre aboutit à un résultat différent de celui retenu dans le premier État membre.

79      Par ailleurs, le réexamen, le cas échéant répété à plusieurs reprises, du résultat du processus de détermination de l’État membre responsable, dans un contexte où l’application dudit règlement et l’accès effectif à une procédure de protection internationale ont déjà été assurés, porterait atteinte à l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale, mentionné au considérant 5 du même règlement.

80      Il s’ensuit que, dans les cas visés à l’article 23, paragraphe 1, et à l’article 24, paragraphe 1, du règlement Dublin III, les autorités compétentes concernées ne sont pas tenues, avant de présenter une requête aux fins de reprise en charge à un autre État membre, de déterminer, sur la base des critères de responsabilité établis par ce règlement et notamment de celui énoncé à l’article 9 dudit règlement, si ce dernier État membre est responsable de l’examen de la demande.

81      Pour autant, il importe de relever que, dans les cas visés à l’article 20, paragraphe 5, du règlement Dublin III, un éventuel transfert pourra alors, en principe, intervenir sans que la responsabilité pour l’examen de la demande de l’État membre requis ait été préalablement établie.

82      Partant, à la suite d’un tel transfert et à l’issue de l’achèvement, dans cet État membre, du processus de détermination de l’État membre responsable, il ne saurait être exclu qu’un transfert, en sens inverse, vers l’État membre qui avait précédemment requis la reprise en charge du demandeur doive être envisagé. En outre, ainsi que l’ont relevé le gouvernement allemand et la Commission, au regard des délais prévus à l’article 21, paragraphe 1, de ce règlement, il est probable qu’une requête aux fins de prise en charge ne puisse plus, au terme de ce processus, être valablement formulée par l’État membre qui avait été préalablement tenu de reprendre en charge ce demandeur.

83      Cela étant, il y a lieu de rappeler que les critères de responsabilité énoncés aux articles 8 à 10 dudit règlement, lus à la lumière des considérants 13 et 14 de celui‑ci, ont pour objet de contribuer à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et de la vie familiale des personnes concernées, lesquels sont par ailleurs garantis aux articles 7 et 24 de la charte des droits fondamentaux. Dans ces conditions, un État membre ne saurait, conformément au principe de coopération loyale, valablement formuler une requête aux fins de reprise en charge, dans une situation couverte par l’article 20, paragraphe 5, du même règlement, lorsque la personne concernée a transmis à l’autorité compétente des éléments établissant de manière manifeste que cet État membre doit être considéré comme étant l’État membre responsable de l’examen de la demande en application de ces critères de responsabilité. Dans une telle situation, il appartient, au contraire, audit État membre d’admettre sa propre responsabilité.

84      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée dans l’affaire C‑582/17 et aux questions posées dans l’affaire C‑583/17 que le règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers qui a introduit une demande de protection internationale dans un premier État membre puis a quitté cet État membre et a ensuite introduit une nouvelle demande de protection internationale dans un second État membre :

–        ne peut, en principe, invoquer, dans le cadre d’un recours exercé, au titre de l’article 27, paragraphe 1, de ce règlement, dans ce second État membre contre la décision de transfert prise à son égard, le critère de responsabilité énoncé à l’article 9 dudit règlement ;

–        peut, par exception, invoquer, dans le cadre d’un tel recours, ce critère de responsabilité, dans une situation couverte par l’article 20, paragraphe 5, du même règlement, pour autant que ce ressortissant d’un pays tiers a transmis à l’autorité compétente de l’État membre requérant des éléments établissant de manière manifeste qu’il devrait être considéré comme étant l’État membre responsable de l’examen de la demande en application dudit critère de responsabilité.

 Sur les dépens

85      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

Le règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, doit être interprété en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers qui a introduit une demande de protection internationale dans un premier État membre puis a quitté cet État membre et a ensuite introduit une nouvelle demande de protection internationale dans un second État membre :

–        ne peut, en principe, invoquer, dans le cadre d’un recours exercé, au titre de l’article 27, paragraphe 1, de ce règlement, dans ce second État membre contre la décision de transfert prise à son égard, le critère de responsabilité énoncé à l’article 9 dudit règlement ;

–        peut, par exception, invoquer, dans le cadre d’un tel recours, ce critère de responsabilité, dans une situation couverte par l’article 20, paragraphe 5, du même règlement, pour autant que ce ressortissant d’un pays tiers a transmis à l’autorité compétente de l’État membre requérant des éléments établissant de manière manifeste qu’il devrait être considéré comme étant l’État membre responsable de l’examen de la demande en application dudit critère de responsabilité.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.