Language of document : ECLI:EU:C:2019:320

ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

11 avril 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Services de paiement dans le marché intérieur – Directive 2007/64/CE – Articles 2 et 58 – Champ d’application – Utilisateur de services de paiement – Notion – Exécution d’un ordre de prélèvement émis par un tiers relatif à un compte dont il n’est pas le titulaire – Absence d’autorisation du titulaire du compte débité – Opération de paiement non autorisée »

Dans l’affaire C‑295/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal da Relação do Porto (cour d’appel de Porto, Portugal), par décision du 21 février 2018, parvenue à la Cour le 30 avril 2018, dans la procédure

Mediterranean Shipping Company (Portugal) – Agentes de Navegação SA

contre

Banco Comercial Português SA,

Caixa Geral de Depósitos SA,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, MM. E. Juhász et I. Jarukaitis (rapporteur), juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Mediterranean Shipping Company (Portugal) – Agentes de Navegação SA, par Me P. Neves de Sousa, advogado,

–        pour Banco Comercial Português SA, par Mes M. Mendes Pereira et N. Carrolo dos Santos, advogados,

–        pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et T. Larsen ainsi que par Mmes A. Pimenta et G. Fonseca, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes P. Costa de Oliveira et H. Tserepa-Lacombe, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2 et 58 de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE (JO 2007, L 319, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mediterranean Shipping Company (Portugal) – Agentes de Navegação SA (ci-après « MSC ») à Banco Comercial Português SA (ci-après la « banque BCP ») au sujet du remboursement de certaines sommes prélevées sur le compte de MSC sans qu’elle y ait consenti.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        La directive 2007/64 a été abrogée et remplacée avec effet au 13 janvier 2018 par la directive (UE) 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 2002/65/CE, 2009/110/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) no 1093/2010, et abrogeant la directive 2007/64 (JO 2015, L 337, p. 35). Toutefois, compte tenu de la date des faits en cause, le litige au principal demeure régi par la directive 2007/64.

4        Les considérants 3, 4, 24, 31 et 35 de la directive 2007/64 énonçaient :

« (3)      Plusieurs actes [de l’Union européenne] ont déjà été adoptés dans [l]e domaine [des marchés des services de paiement des États membres], [...] Ces mesures demeurent encore insuffisantes. La coexistence de dispositions nationales et le caractère incomplet du cadre [de l’Union] sont source de confusion et d’un manque de sécurité juridique.

(4)      C’est pourquoi il est crucial d’établir, au niveau [de l’Union], un cadre juridique moderne et cohérent pour les services de paiement [...] qui soit neutre de façon à garantir des conditions de concurrence équitables pour tous les systèmes de paiement, afin de maintenir le choix offert au consommateur, ce qui devrait représenter un progrès sensible en termes de coûts pour le consommateur, de sûreté et d’efficacité par rapport aux systèmes existant au niveau national.

[...]

(24)      Dans la pratique, les contrats-cadres et les opérations de paiement qu’ils couvrent sont nettement plus courants et bien plus importants du point de vue économique que les opérations de paiement isolées. S’il existe un compte de paiement ou un instrument de paiement spécifique, un contrat-cadre s’impose. [...]

[...]

(31)      Afin de réduire les risques et les conséquences des opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées, l’utilisateur de services de paiement devrait notifier dès que possible au prestataire de services de paiement toute contestation relative à des opérations de paiement prétendument non autorisées ou mal exécutées, à condition que le prestataire de services de paiement ait rempli ses obligations d’information en vertu de la présente directive. [...]

[...]

(35)      Il convient de prévoir la répartition des pertes en cas d’opérations de paiement non autorisées. [...] »

5        L’article 1er, paragraphe 1, sous a), de cette directive disposait :

« La présente directive arrête les règles selon lesquelles les États membres distinguent les six catégories suivantes de prestataires de services de paiement :

a)      les établissements de crédit [...] ».

6        L’article 2 de ladite directive prévoyait :

« 1.      La présente directive est applicable aux services de paiement fournis au sein de [l’Union]. Cependant, à l’exception de l’article 73, les titres III et IV s’appliquent uniquement lorsque tant le prestataire de services de paiement du payeur que celui du bénéficiaire, ou l’unique prestataire de services de paiement intervenant dans l’opération de paiement, sont situés dans [l’Union].

2.      Les titres III et IV s’appliquent aux services de paiement fournis en euros ou dans la devise d’un État membre en dehors de la zone euro.

3.      Les États membres peuvent exempter les entités visées à l’article 2 de la directive 2006/48/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2006, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice (JO 2006, L 177, p. 1),] de l’application de l’ensemble ou d’une partie de la présente directive, à l’exception de celles visées au premier et au second tiret dudit article. »

7        L’article 3 de la même directive énumérait des opérations et des services qui étaient exclus de son champ d’application.

8        L’article 4 de la directive 2007/64 exposait, aux fins de celle-ci, les définitions suivantes :

« [...]

3)      “services de paiement” : toute activité exercée à titre professionnel énumérée dans l’annexe ;

[...]

5)      “opération de paiement” : une action, initiée par le payeur ou le bénéficiaire, consistant à verser, transférer ou retirer des fonds, indépendamment de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire ;

[...]

7)      “payeur” : une personne physique ou morale qui est titulaire d’un compte de paiement et autorise un ordre de paiement à partir de ce compte de paiement, ou, en l’absence de compte de paiement, une personne physique ou morale qui donne un ordre de paiement ;

8)      “bénéficiaire” : une personne physique ou morale qui est le destinataire prévu de fonds ayant fait l’objet d’une opération de paiement ;

9)      “prestataire de services de paiement” : les entités visées à l’article 1er, paragraphe 1, [...]

10)      “utilisateur de services de paiement” : une personne physique ou morale qui utilise un service de paiement en qualité de payeur ou de bénéficiaire, ou des deux ;

[...]

14)      “compte de paiement” : un compte qui est détenu au nom d’un ou de plusieurs utilisateurs de services de paiement et qui est utilisé aux fins de l’exécution d’opérations de paiement ;

[...]

28)      “prélèvement” : un service de paiement visant à débiter le compte de paiement d’un payeur, lorsqu’une opération de paiement est initiée par le bénéficiaire sur la base du consentement donné par le payeur au bénéficiaire, au prestataire de services de paiement du bénéficiaire ou au propre prestataire de services de paiement du payeur ;

[...] »

9        Le titre III de cette directive, qui comportait les articles 30 à 50 de celle‑ci, était intitulé « Transparence des conditions et exigences en matière d’informations régissant les services de paiement ». L’article 42 de ladite directive, qui figurait au chapitre 3 de ce titre, consacré aux contrats-cadres, précisait les informations et les conditions devant être fournies à l’utilisateur de services de paiement. Parmi celles-ci figuraient, selon le point 5, sous d), de cet article, le délai et les modalités selon lesquels cet utilisateur devait notifier au prestataire de services de paiement les opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées, conformément à l’article 58 de la même directive, ainsi que la responsabilité du prestataire de services de paiement en matière d’opérations de paiement non autorisées, conformément à l’article 60 de celle-ci. L’article 37, paragraphe 2, de cette dernière, qui figurait au chapitre 2 de ce même titre, relatif aux opérations de paiement isolées, prévoyait une obligation d’information similaire lorsqu’étaient en cause des opérations de paiement isolées.

10      Le titre IV de la directive 2007/64, qui était composé des articles 51 à 83 de celle-ci, était intitulé « Droits et obligations liés à la prestation et à l’utilisation de services de paiement ». L’article 54 de celle-ci, qui figurait au chapitre 2 de ce titre, portant sur l’autorisation des opérations de paiement, était intitulé « Consentement et retrait du consentement » et disposait, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Les États membres veillent à ce qu’une opération de paiement ne soit réputée autorisée que si le payeur a donné son consentement à l’exécution de l’opération de paiement. [...]

2.      Le consentement à l’exécution d’une opération de paiement ou d’une série d’opérations de paiement est donné sous la forme convenue entre le payeur et son prestataire de services de paiement.

En l’absence d’un tel consentement, l’opération de paiement est réputée non autorisée. »

11      Aux termes de l’article 58 de cette directive, intitulé « Notification des opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées » :

« L’utilisateur de services de paiement n’obtient du prestataire de services de paiement la correction d’une opération que s’il signale sans tarder à son prestataire de services de paiement qu’il a constaté une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée donnant lieu à une revendication [...] et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit, à moins que, le cas échéant, le prestataire de services de paiement n’ait pas fourni ou mis à disposition les informations relatives à cette opération de paiement conformément au titre III. »

12      L’article 59 de ladite directive, relatif à la preuve d’authentification et d’exécution des opérations de paiement, précisait, à son paragraphe 1 :

« Les États membres exigent que, lorsqu’un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée, ou affirme que l’opération de paiement n’a pas été exécutée correctement, il incombe à son prestataire de services de paiement de prouver que l’opération en question a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu’elle n’a pas été affectée par une déficience technique ou autre. »

13      L’article 60 de la même directive, qui traitait de la responsabilité du prestataire de services de paiement en cas d’opérations de paiement non autorisées, prévoyait, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent, sans préjudice de l’article 58, à ce que, en cas d’opération de paiement non autorisée, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse immédiatement au payeur le montant de cette opération de paiement non autorisée et, le cas échéant, rétablisse le compte de paiement débité dans l’état où il se serait trouvé si l’opération de paiement non autorisée n’avait pas eu lieu. »

14      L’annexe de la directive 2007/64 énumérait les services de paiement visés à l’article 4, point 3, de celle-ci. Le point 3 de cette annexe énonçait :

« L’exécution d’opérations de paiement, y compris les transferts de fonds sur un compte de paiement auprès du prestataire de services de paiement de l’utilisateur ou auprès d’un autre prestataire de services de paiement :

–        l’exécution de prélèvements, y compris de prélèvements autorisés unitairement,

[...] »

 Le droit portugais

15      La directive 2007/64 a été transposée en droit portugais par le decreto-lei no 317/2009 (décret-loi no 317/2009), du 30 octobre 2009 (Diário da República, 1re série, no 211, du 30 octobre 2009), approuvant, dans son annexe I, le régime juridique réglementant l’accès à l’activité des établissements de paiement et à la prestation de services de paiement.

16      Dans sa version applicable au litige au principal, ce régime (ci-après le « RJSP ») établissait, à son article 2, des définitions qui reproduisaient, en substance, celles figurant à l’article 4 de la directive 2007/64. En particulier, cet article 2, sous i), j), et m), reprenait les définitions données à l’article 4, points 7, 8 et 10, de cette directive et l’article 69 du RJSP correspondait, en substance, à l’article 58 de celle-ci.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

17      MSC est titulaire d’un compte bancaire de dépôt à vue auprès de la banque BCP. À la suite d’un audit réalisé au cours de l’année 2014, cette société a découvert que ce compte était régulièrement débité au moyen de prélèvements exécutés sur celui-ci en faveur d’un tiers (ci-après le « donneur d’ordre ») avec lequel elle n’entretenait aucune relation et sans qu’elle eût accordé d’autorisation à cet effet à la banque BCP.

18      Par une lettre du 17 novembre 2014, MSC a demandé à la banque BCP d’annuler ces prélèvements, de lui rembourser les montants prélevés et de lui transmettre une copie des documents les ayant autorisés. À la suite d’échanges entre ces deux entités, cette banque a procédé à l’annulation demandée et a remboursé la somme de 683,48 euros, correspondant aux prélèvements effectués aux mois d’octobre et de novembre 2014.

19      Au cours de ces échanges, une copie de l’autorisation de paiement relative aux prélèvements en cause a été obtenue auprès de Caixa Geral de Depósitos SA, banque dans laquelle est détenu le compte en faveur duquel ces prélèvements avaient été exécutés (ci-après la « banque du donneur d’ordre »). La banque BCP a alors pu constater que cette autorisation avait été émise non pas par le titulaire du compte débité, MSC, mais par ce donneur d’ordre, une société tierce, en vue de paiements en faveur de ce dernier par prélèvements sur un compte, avec cette circonstance que ladite autorisation mettait en évidence l’existence d’une divergence entre le numéro de compte indiqué et le numéro d’identification bancaire, qui était celui de MSC auprès de la banque BCP.

20      Le 10 décembre 2014, MSC s’est de nouveau adressée à la banque BCP, en réitérant que son compte avait fait l’objet de prélèvements indus. Par une lettre du 16 décembre 2014, cette banque a confirmé l’absence d’une telle autorisation de la part de MSC, ou à tout le moins son irrégularité, et le fait que MSC était, par conséquent, en droit d’obtenir le remboursement des prélèvements exécutés à concurrence de la limite légale de treize mois prévue à l’article 69 du RJSP, soit le montant correspondant aux prélèvements effectués du mois d’octobre 2013 au mois de décembre 2014. Ladite banque en a donc ordonné le remboursement.

21      Par la suite, MSC a constaté que, entre le mois de mai 2010 et le mois de septembre 2013, des prélèvements avaient été effectués sur son compte sur la base de la même autorisation litigieuse pour un montant total de 8 226,03 euros (ci-après les « prélèvements litigieux »). Par une lettre du 3 août 2016, elle a demandé à la banque BCP de lui rembourser également cette somme, ce que cette dernière a refusé.

22      MSC a alors saisi le Tribunal Judicial da Comarca do Porto (tribunal d’arrondissement de Porto, Portugal) d’un recours tendant à ce que la banque BCP soit condamnée à lui restituer le montant correspondant à ces prélèvements. Ce recours – dans le cadre duquel la banque BCP a fait citer la banque du donneur d’ordre pour se garantir la possibilité d’intenter une action récursoire – ayant été rejeté comme étant non fondé, MSC a interjeté appel devant le Tribunal da Relação do Porto (cour d’appel de Porto), la juridiction de renvoi.

23      Devant cette dernière, MSC soutient notamment que le Tribunal Judicial da Comarca do Porto (tribunal d’arrondissement de Porto) a procédé à une interprétation et à une application erronées de l’article 2, sous i), j) et m), et de l’article 69 du RJSP, dès lors qu’elle ne saurait être qualifiée d’« utilisateur d’un service de paiement », au sens de ces dispositions, ni considérée comme tel. Par suite, la limite temporelle prévue à cet article 69 ne s’appliquerait pas. À cet égard, elle souligne n’avoir jamais conclu un quelconque contrat avec la banque BCP, ou lui avoir donné le moindre ordre, visant à autoriser un prélèvement automatique sur son compte de montants correspondant aux factures émises par le donneur d’ordre. La banque BCP conclut au rejet de l’appel.

24      La juridiction de renvoi indique qu’il est établi que la banque BCP a envoyé périodiquement à MSC les extraits de son compte. Cette juridiction observe, en outre, que, MSC étant titulaire d’un compte bancaire auprès de la banque BCP, une relation contractuelle entre ces deux parties, à considérer comme le contrat-cadre bancaire, s’est établie par l’ouverture de ce compte. Elle ajoute que MSC n’a cependant conclu aucun contrat avec cette banque en vue d’autoriser un prélèvement automatique sur son compte de montants afférents à des factures émises par le donneur d’ordre.

25      Se référant aux diverses définitions contenues dans le RJSP, la juridiction de renvoi considère que l’utilisation d’un service de paiement au moyen d’un compte de paiement présuppose la conclusion préalable d’un contrat-cadre ou, dans le cas d’une opération de paiement isolée, la conclusion d’un contrat de service de paiement isolé. Elle estime que, en l’espèce, eu égard aux opérations successives qui ont été effectuées, leur réalisation dépendait nécessairement de la conclusion d’un contrat-cadre entre MSC et la banque BCP et que, pour que la banque BCP puisse se prévaloir du RJSP, il lui incombait d’apporter la preuve de la conclusion de celui-ci, ce qu’elle n’aurait pas fait. Cette juridiction observe cependant que le RJSP régit également l’exécution d’opérations de paiement non autorisées, en offrant à l’utilisateur du service de paiement une protection conformément à l’article 69 de celui-ci.

26      Relevant que le litige dont elle est saisie porte sur l’exécution de prélèvements par un établissement de crédit, au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 2007/64, elle estime nécessaire de déterminer si le champ d’application de celle-ci englobe des circonstances telles que celles en cause devant elle et, en cas de réponse affirmative, si MSC peut être considérée comme un « utilisateur de services de paiement », au sens de l’article 58 de cette directive.

27      Dans ces conditions, le Tribunal da Relação do Porto (cour d’appel de Porto) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 2 de la directive [2007/64] doit-il être interprété en ce sens que le champ d’application de cette directive, défini dans cet article, englobe l’exécution d’un ordre de prélèvement émis par une entité tierce relatif à un compte dont elle n’est pas titulaire et dont le titulaire n’a pas conclu avec l’établissement de crédit concerné un quelconque contrat de service de paiement en vue d’un acte isolé ou de contrat-cadre de prestation de services de paiement ?

2)      En cas de réponse affirmative à la question précédente et dans le même contexte, ce titulaire de compte peut-il être considéré comme un utilisateur de services de paiement aux fins de l’article 58 de ladite directive ? »

 Sur les questions préjudicielles

28      À titre liminaire, il convient de relever que, dans le libellé de sa première question, également pertinent pour l’analyse de la seconde question, la juridiction de renvoi se réfère à une situation dans laquelle un ordre de prélèvement émis par un tiers a été exécuté sur un compte « dont le titulaire n’a pas conclu avec l’établissement de crédit concerné un quelconque contrat de service de paiement en vue d’un acte isolé ou de contrat-cadre de prestation de services de paiement ».

29      Toutefois, il ressort du dossier dont dispose la Cour, d’une part, que MSC, le titulaire concerné dans l’affaire au principal, détient un compte bancaire de dépôt à vue, et, par conséquent, un compte de paiement, au sens de l’article 4, point 14, de la directive 2007/64, auprès de la banque BCP. Ainsi que le relève la juridiction de renvoi et qu’il ressort du considérant 24 de cette directive, l’existence d’un tel compte implique qu’un contrat-cadre, tel que ceux visés au titre III, chapitre 3, de ladite directive, a été conclu entre ces deux parties. D’autre part, ce titulaire conteste la possibilité que lui soit opposée la disposition nationale transposant l’article 58 de cette directive au motif non pas de l’absence de toute relation contractuelle entre lui-même et cette banque, mais du défaut d’autorisation des prélèvements litigieux, que ce soit en vertu d’un tel contrat-cadre ou en qualité d’opérations de paiement isolées, telles que celles visées au titre III, chapitre 2, de ladite directive.

30      En se référant à l’absence de toute relation contractuelle entre MSC et la banque BCP, la juridiction de renvoi ne vise ainsi qu’à indiquer que les prélèvements litigieux n’ont pas été autorisés par MSC auprès de cette banque.

31      En outre, il ressort de la décision de renvoi que MSC n’a pas davantage autorisé ces prélèvements par l’une des autres voies prévues par l’article 4, point 28, de la directive 2007/64 et que le donneur d’ordre était également le bénéficiaire de ces prélèvements, au sens de l’article 4, point 8, de cette directive.

32      Sont donc en cause au principal des prélèvements initiés par le bénéficiaire, qui ont été exécutés sur un compte de paiement dont ce bénéficiaire n’est pas titulaire et sans que le titulaire de ce compte y ait consenti d’une quelconque manière.

33      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les questions posées.

 Sur la première question

34      Bien que, dans sa première question, la juridiction de renvoi vise l’interprétation de l’article 2 de la directive 2007/64, relatif au champ d’application de cette directive, il résulte toutefois de la décision de renvoi que seule l’une des conditions déterminant ce champ d’application, à savoir celle figurant à la première phrase du paragraphe 1 de cet article, selon laquelle ladite directive est applicable aux « services de paiement » fournis au sein de l’Union, est litigieuse dans l’affaire au principal.

35      Dans ces conditions, et eu égard aux considérations liminaires exposées aux points 28 à 32 du présent arrêt, par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2007/64 doit être interprété en ce sens que relève de la notion de « services de paiement », au sens de cette disposition, l’exécution de prélèvements initiés par le bénéficiaire sur un compte de paiement dont il n’est pas titulaire et auxquels le titulaire du compte ainsi débité n’a pas consenti.

36      Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, aux fins de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il convient de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêts du 17 novembre 1983, Merck, 292/82, EU:C:1983:335, point 12, ainsi que du 4 octobre 2018, ING-DiBa Direktbank Austria, C‑191/17, EU:C:2018:809, point 19 et jurisprudence citée).

37      Aux fins de la directive 2007/64, la notion de « services de paiement » est définie à l’article 4, point 3, de celle-ci comme visant « toute activité exercée à titre professionnel énumérée dans l’annexe ». Cette annexe précise, à son point 3, que relève de cette notion l’exécution d’« opérations de paiement », lesquelles, selon l’article 4, point 5, de cette directive, sont des actions, initiées par le payeur ou le bénéficiaire, consistant à verser, à transférer ou à retirer des fonds, indépendamment de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire. Ces opérations incluent, selon le premier tiret du point 3 de ladite annexe, l’exécution de prélèvements, y compris de prélèvements autorisés unitairement. Le « prélèvement » est défini à l’article 4, point 28, de ladite directive comme consistant, en substance, en « un service de paiement visant à débiter le compte de paiement d’un payeur, lorsqu’une opération de paiement est initiée par le bénéficiaire sur la base du consentement donné par le payeur » et la notion de « payeur » est définie à cet article 4, point 7, comme visant, notamment, « une personne physique ou morale qui est titulaire d’un compte de paiement et autorise un ordre de paiement à partir de ce compte de paiement ».

38      Il découle de ces dispositions que l’exécution de prélèvements initiés par le bénéficiaire sur un compte dont il n’est pas titulaire relève de la notion de « services de paiement » figurant à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2007/64, même en l’absence de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire, lorsque le payeur, titulaire du compte de paiement ainsi débité, a consenti à ces prélèvements. Cependant, ces dispositions ne permettent pas, à elles seules, en l’absence d’une mention en ce sens, d’établir de manière univoque si l’exécution de prélèvements initiés par le bénéficiaire sur un compte dont il n’est pas titulaire relève également de cette notion lorsque le titulaire du compte débité n’a pas consenti à ces prélèvements.

39      Dans ces conditions, il convient de s’attacher au contexte dans lequel cette notion de « services de paiement » s’inscrit ainsi qu’aux objectifs que ladite directive poursuit.

40      S’agissant du contexte, force est de constater que l’exécution de prélèvements sur un compte de paiement en l’absence de consentement du titulaire de ce compte ne figure pas parmi les opérations de paiement que l’article 3 de la directive 2007/64 exclut du champ d’application de celle-ci.

41      En outre, il convient de relever que plusieurs dispositions de la directive 2007/64 visent à régir les « opérations de paiement non autorisées », notion qui, selon l’article 54, paragraphes 1 et 2, de celle-ci, vise les opérations exécutées en l’absence de consentement du payeur. Il en va ainsi de l’article 42, paragraphe 5, sous d), de cette directive, qui précise que, parmi les informations et les conditions devant être fournies à l’utilisateur de services de paiement lors de la conclusion d’un contrat-cadre, figurent le délai et les modalités selon lesquels cet utilisateur doit notifier au prestataire de services de paiement les opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées ainsi que les informations relatives à la responsabilité du prestataire de services de paiement en matière d’opérations de paiement non autorisées, une obligation d’information similaire étant d’ailleurs imposée par l’article 37, paragraphe 2, de ladite directive pour les opérations de paiement isolées.

42      De même, tout d’abord, l’article 58 de la directive 2007/64 est relatif à la notification des opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées. Ensuite, l’article 59 de celle-ci porte, en substance, sur la répartition de la charge de la preuve lorsqu’un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée. Enfin, les articles 60 et 61 de cette directive traitent des responsabilités respectives du prestataire de services de paiement du payeur ainsi que du payeur en cas d’opérations de paiement non autorisées.

43      Or, si l’absence de consentement du titulaire du compte de paiement débité à l’exécution d’un prélèvement sur ce compte permettait d’exclure une telle opération de paiement de la notion de « services de paiement », figurant à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2007/64, et, par suite, du champ d’application de celle-ci, ces dispositions, dans la mesure où elles portent sur des opérations de paiement non autorisées, seraient dépourvues de tout sens et d’effet utile.

44      Il ressort ainsi du contexte dans lequel cette notion s’inscrit qu’elle doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut l’exécution de prélèvements initiés par le bénéficiaire sur un compte dont il n’est pas titulaire, même lorsque le titulaire du compte ainsi débité n’y a pas consenti.

45      Cette interprétation est confortée par les objectifs poursuivis par la directive 2007/64. Ainsi, les considérants 3 et 4 de celle-ci énoncent, en substance, que la coexistence de dispositions nationales et le caractère incomplet du cadre juridique de l’Union dans le domaine des marchés de services de paiement des États membres sont source de confusion et d’un manque de sécurité juridique, raisons pour lesquelles il est crucial d’établir, au niveau de l’Union, un cadre juridique moderne et cohérent pour les services de paiement, qui soit neutre de façon à garantir des conditions de concurrence équitables pour tous les systèmes de paiement, afin de maintenir le choix offert au consommateur, ce qui devrait représenter un progrès sensible notamment en termes de sûreté et d’efficacité par rapport aux systèmes existant au niveau national.

46      En ce sens, le considérant 31 de cette directive indique, en substance, que, afin de réduire les risques et les conséquences des opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées, l’utilisateur de services de paiement devrait notifier dès que possible au prestataire de services de paiement toute contestation relative à de telles opérations. Le considérant 35 de celle-ci précise également qu’il convient de prévoir la répartition des risques en cas d’opérations de paiement non autorisées.

47      Or, si les opérations de paiement non autorisées, tels les prélèvements en cause au principal, étaient exclues du champ d’application de la directive 2007/64, non seulement une partie de ces considérants serait dépourvue de sens, mais il serait également porté atteinte à la réalisation des objectifs poursuivis par cette directive, figurant auxdits considérants. En effet, une telle exclusion priverait les acteurs du marché de la protection que ladite directive, par l’instauration de dispositions régissant de manière uniforme au niveau de l’Union certaines conséquences des opérations de paiement non autorisées, vise précisément à leur offrir lorsque sont en cause de telles opérations de paiement.

48      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2007/64 doit être interprété en ce sens que relève de la notion de « services de paiement », au sens de cette disposition, l’exécution de prélèvements initiés par le bénéficiaire sur un compte de paiement dont il n’est pas titulaire et auxquels le titulaire du compte ainsi débité n’a pas consenti.

 Sur la seconde question

49      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 58 de la directive 2007/64 doit être interprété en ce sens que relève de la notion d’« utilisateur de services de paiement », au sens de celui-ci, le titulaire d’un compte de paiement sur lequel des prélèvements ont été exécutés sans son consentement.

50      Cet article 58 prévoit, en substance, que l’utilisateur de services de paiement n’obtient du prestataire de services de paiement la correction d’une opération que s’il signale sans tarder à son prestataire de services de paiement qu’il a constaté une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée donnant lieu à revendication, et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit, à la condition, qui n’est pas en cause au principal, que le prestataire de services de paiement ait satisfait à certaines obligations d’information.

51      Aux fins de la directive 2007/64, l’article 4, point 10, de celle-ci définit la notion d’« utilisateur de services de paiement » comme visant « une personne physique ou morale qui utilise un service de paiement en qualité de payeur ou de bénéficiaire, ou des deux ».

52      Ainsi, certes, au regard du libellé de cette seule disposition, lu en combinaison avec l’article 4, points 7 et 8, de cette directive, relatif aux notions de « payeur » et de « bénéficiaire », le titulaire d’un compte de paiement qui a été débité sans son consentement ne paraît pas relever de cette notion d’« utilisateur de services de paiement ». Toutefois, d’une part, ainsi qu’il a été constaté, en substance, au point 48 du présent arrêt, l’exécution de prélèvements sur un compte de paiement, auxquels le titulaire du compte débité n’a pas consenti, relève de la notion de « services de paiement » figurant à l’article 2, paragraphe 1, de ladite directive. D’autre part, il ressort du libellé même dudit article 58 ainsi que de l’intitulé de ce dernier qu’il a précisément pour objet de s’appliquer, en particulier, à des opérations de paiement non autorisées.

53      Dans ces conditions, la notion d’« utilisateur de services de paiement » doit être interprétée en ce sens qu’elle comprend le titulaire d’un compte de paiement sur lequel des prélèvements ont été exécutés sans son consentement. Au demeurant, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 47 du présent arrêt, une telle interprétation est cohérente avec les objectifs poursuivis par la directive 2007/64, tels qu’ils ont été rappelés aux points 45 et 46 de celui-ci.

54      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que l’article 58 de la directive 2007/64 doit être interprété en ce sens que relève de la notion d’« utilisateur de services de paiement », au sens de celui-ci, le titulaire d’un compte de paiement sur lequel des prélèvements ont été exécutés sans son consentement.

 Sur les dépens

55      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE, doit être interprété en ce sens que relève de la notion de « services de paiement », au sens de cette disposition, l’exécution de prélèvements initiés par le bénéficiaire sur un compte de paiement dont il n’est pas titulaire et auxquels le titulaire du compte ainsi débité n’a pas consenti.

2)      L’article 58 de la directive 2007/64 doit être interprété en ce sens que relève de la notion d’« utilisateur de services de paiement », au sens de celui-ci, le titulaire d’un compte de paiement sur lequel des prélèvements ont été exécutés sans son consentement.

Signatures


*      Langue de procédure : le portugais.