Language of document : ECLI:EU:C:2019:516

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

20 juin 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 4, point 1 – Principe de non-discrimination – Secteur public de l’enseignement – Réglementation nationale accordant un complément de rémunération uniquement aux enseignants employés dans le cadre d’une relation de travail à durée indéterminée en tant que fonctionnaires statutaires – Exclusion des enseignants employés en tant qu’agents contractuels de droit public à durée déterminée – Notion de “raisons objectives” – Caractéristiques inhérentes au statut de fonctionnaire statutaire »

Dans l’affaire C‑72/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo n°1 de Pamplona (tribunal administratif au niveau provincial de Pampelune, Espagne), par décision du 26 janvier 2018, parvenue à la Cour le 5 février 2018, dans la procédure

Daniel Ustariz Aróstegui

contre

Departamento de Educación del Gobierno de Navarra,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, et M. C. Vajda, juge.

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 janvier 2019,

considérant les observations présentées :

–        pour M. Ustariz Aróstegui, par M. J. Araiz Rodríguez, procurador, et M. J. Martínez García, abogado,

–        pour le Departamento de Educación del Gobierno de Navarra, par M. I. Iparraguirre Múgica, letrado,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. S. Jiménez García, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes, M. Figueiredo et T. Larsen ainsi que par Mmes N. Gabriel et M. J. Marques, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. M. van Beek et N. Ruiz García, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 12 mars 2019,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l’« accord-cadre »), qui figure en annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Daniel Ustariz Aróstegui au Departamento de Educación del Gobierno de Navarra (ministère de l’Éducation du gouvernement de Navarre, Espagne, ci-après le « ministère ») au sujet du refus de ce dernier de lui octroyer un complément de rémunération pour grade.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        La directive 1999/70 vise, aux termes de son article 1er, « à mettre en œuvre l’accord-cadre [...], figurant en annexe, conclu [...] entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale [Confédération européenne des syndicats (CES), Unions des confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe (UNICE), Centre européen des entreprises à participation publique (CEEP)]. »

4        Aux termes de la clause 1 de l’accord-cadre, celui-ci a pour objet, d’une part, d’améliorer la qualité du travail à durée déterminée en assurant le respect du principe de non-discrimination et, d’autre part, d’établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.

5        La clause 3 de l’accord-cadre, intitulée « Définitions », dispose :

« Aux termes du présent accord, on entend par :

1.      “travailleur à durée déterminée”, une personne ayant un contrat ou une relation de travail à durée déterminée conclu directement entre l’employeur et le travailleur où la fin du contrat ou de la relation de travail est déterminée par des conditions objectives telles que l’atteinte d’une date précise, l’achèvement d’une tâche déterminée ou la survenance d’un événement déterminé ;

2.      “travailleur à durée indéterminée comparable”, un travailleur ayant un contrat ou une relation de travail à durée indéterminée dans le même établissement, et ayant un travail/emploi identique ou similaire, en tenant compte des qualifications/compétences [...] »

6        La clause 4 de l’accord-cadre, intitulée « Principe de non-discrimination », prévoit, à son point 1 :

« Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives. »

 Le droit espagnol

7        Conformément à l’article 3, paragraphe 1, du Texto Refundido del Estatuto del Personal al Servicio de las Administraciones Públicas de Navarra (texte de refonte du statut du personnel au service des administrations publiques de Navarre), approuvé par le Decreto Foral Legislativo 251/1993 (décret législatif foral 251/1993), du 30 août 1993 (ci-après le « DFL 251/93 ») :

« Le personnel au service des administrations publiques de Navarre est composé par :

a)      les fonctionnaires ;

b)      le personnel auxiliaire ;

c)      le personnel contractuel. »

8        Aux termes de l’article 12 du DFL 251/93 :

« Les fonctionnaires des administrations publiques de Navarre sont répartis selon les niveaux suivants, conformément aux titres requis pour leur engagement et aux fonctions qu’ils occupent [...] »

9        L’article 13 du DFL 251/93 énonce :

« 1.      Chacun des niveaux visés à l’article précédent comprend sept grades.

2.      Les fonctionnaires occupant leur premier poste se voient attribuer le grade 1 du niveau dont ils relèvent.

3.      Les fonctionnaires peuvent être promus de manière successive du grade 1 au grade 7 du niveau dont ils relèvent, conformément aux dispositions de l’article 16 du présent statut. »

10      L’article 16 du DFL 251/93 prévoit :

« 1.      Les fonctionnaires peuvent être promus de manière successive du grade 1 au grade 7 du niveau dont ils relèvent, quelle que soit la spécialité de leur titre académique, de leur formation ou de leur métier.

2.      L’avancement de grade est opéré annuellement, de la manière suivante :

a)      l’avancement est subordonné à une condition indispensable d’ancienneté d’au moins deux ans dans le grade inférieur ;

b)      aucun fonctionnaire ne peut être maintenu pendant plus de huit années dans un même grade, à l’exception de ceux ayant atteint le grade 7 ;

c)      sans préjudice des points qui précèdent, dix pour cent des fonctionnaires des grades 1 à 6 inclus sont promus au grade immédiatement supérieur, par ordre d’ancienneté ;

d)      jusqu’à dix pour cent des fonctionnaires des grades 1 à 6 inclus peuvent être promus au grade immédiatement supérieur après un concours sur titres réalisé conformément aux dispositions définies par voie réglementaire. »

11      La quatrième disposition transitoire du DFL 251/93 dispose :

« 1.      À compter du 1er janvier 1992 et jusqu’à l’approbation de la réglementation relative à la modification du système actuel de grades et d’ancienneté, prévue à l’article 13 de la [Ley Foral 5/1991 de Presupuestos Generales de Navarra para 1991 (loi forale 5/1991 portant loi de finances générales pour la Navarre), du 26 février 1991], le système d’avancement de grade établi à l’article 16 du présent statut est suspendu à titre transitoire, l’avancement étant opéré, à compter de cette date, de manière indépendante pour chaque fonctionnaire, conformément à son ancienneté dans le grade dont il relève et selon les modalités suivantes :

a)      les fonctionnaires des grades 1 à 6 inclus sont automatiquement promus après six ans et sept mois d’ancienneté dans le grade immédiatement inférieur ;

b)      l’application initiale de ce nouveau système est opérée sur la base de l’ancienneté de chaque fonctionnaire dans son grade à la date du 31 décembre 1991. Dans l’hypothèse où un fonctionnaire dépasse, à cette date, six ans et sept mois d’ancienneté dans son grade, la différence est comptabilisée comme ancienneté dans le grade suivant. Le calcul de cette ancienneté et sa répercussion économique ont un caractère provisoire dans l’attente de la résolution des recours juridictionnels relatifs aux primes quinquennales extraordinaires.

2.      En conséquence des dispositions du point qui précède, à compter de cette date et avec le même caractère transitoire, le grade et l’ancienneté dans ce grade obtenus dans le niveau de départ sont maintenus dans les cas de promotion à un niveau supérieur au sein de l’administration de la communauté forale de Navarre prévus à l’article 17 du présent statut. »

12      L’article 40, paragraphe 2, du DFL 251/93 prévoit que la rémunération personnelle de base des fonctionnaires est composée du salaire initial correspondant au niveau auquel le fonctionnaire se trouve, de la rémunération correspondant au grade qu’il y a atteint et de la prime d’ancienneté. Cet article précise en outre que les rémunérations personnelles de base constituent un droit acquis inhérent au statut de fonctionnaire.

13      Aux termes de l’article 11 du Decreto Foral 68/2009 por el que se regula la contratación de personal en régimen administrativo en las Administraciones Públicas de Navarra (décret foral 68/2009 portant réglementation de l’engagement de personnel dans le cadre de contrats de droit public dans les administrations publiques de Navarre), du 28 septembre 2009, dans sa rédaction issue du Decreto Foral 21/2017 (décret foral 21/2017), du 29 mars 2017 (ci-après le « décret foral 68/2009 ») :

« Le personnel engagé dans le cadre de contrats de droit public perçoit les rémunérations correspondant au poste de travail occupé ou à la fonction exercée, la prime d’ancienneté et les allocations familiales. Le [complément pour] grade est exclu, s’agissant d’une rémunération personnelle de base inhérente au statut de fonctionnaire. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

14      M. Ustariz Aróstegui a été engagé à compter du mois de septembre 2007 par le ministère en qualité de professeur dans le cadre d’un contrat de droit public à durée déterminée. Il exerce depuis cette date ses fonctions auprès de plusieurs centres d’éducation.

15      Le 1er juillet 2016, M. Ustariz Aróstegui a demandé au ministère de lui allouer, avec effet rétroactif sur quatre années, le complément de rémunération pour grade dont bénéficient les professeurs fonctionnaires disposant de la même ancienneté que lui, en application du décret foral 68/2009.

16      Par requête du 18 octobre 2016, il a formé un recours hiérarchique contre la décision de rejet implicite de cette demande. Ce recours a été rejeté le 23 décembre 2016 par un arrêté foral du ministère.

17      Le 28 février 2017, M. Ustariz Aróstegui a formé un recours à l’encontre de cet arrêté devant la juridiction de renvoi, le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo n° 1 de Pamplona (tribunal administratif au niveau provincial de Pampelune, Espagne).

18      La juridiction de renvoi relève que le régime juridique actuellement en vigueur en Navarre fixe, comme seule condition objective au versement du complément de rémunération pour grade, une ancienneté de six ans et sept mois dans le grade immédiatement inférieur, l’avancement de grade intervenant ainsi automatiquement au fur et à mesure de l’écoulement du temps. Elle précise également que la réglementation nationale, du fait qu’elle conçoit le grade comme un mécanisme d’évolution professionnelle propre aux fonctionnaires, considère que le complément de rémunération pour grade est une rémunération personnelle, inhérente au statut de fonctionnaire, ce qui constituerait ainsi une condition subjective en vue de son octroi.

19      M. Ustariz Aróstegui remplirait la condition objective de six ans et sept mois d’ancienneté dans l’exercice de ses fonctions, mais ne remplirait pas la condition subjective relative au statut de fonctionnaire.

20      Tout en précisant qu’il n’existe aucune différence entre les fonctions, les services et les obligations professionnelles assumés par un professeur fonctionnaire et ceux assumés par un professeur agent contractuel de droit public, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si la nature et la finalité du complément de rémunération pour grade peuvent constituer une raison objective justifiant le traitement moins favorable réservé aux agents contractuels de droit public.

21      C’est dans ces conditions que le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo n° 1 de Pamplona (tribunal administratif au niveau provincial de Pampelune) a décidé de sursoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La clause 4 de [l’accord cadre] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une norme régionale, telle que celle [en cause] au principal, qui exclut expressément la reconnaissance et le versement d’un complément de rémunération déterminé en faveur du personnel des administrations publiques de Navarre relevant de la catégorie des “agents contractuels de droit public” – dont le contrat est à durée déterminée – au motif que ledit complément constitue une rémunération de l’avancement et de la progression d’un régime d’évolution professionnel s’appliquant spécifiquement et exclusivement au personnel relevant de la catégorie “fonctionnaire” – dont l’engagement est à durée indéterminée ? »

 Sur la question préjudicielle

22      Par sa question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si la clause 4, point 1, de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui réserve le bénéfice d’un complément de rémunération aux enseignants employés dans le cadre d’une relation de travail à durée indéterminée en tant que fonctionnaires statutaires, à l’exclusion notamment des enseignants employés en tant qu’agents contractuels de droit public à durée déterminée.

23      Il importe de rappeler que la clause 4, point 1, de l’accord-cadre énonce une interdiction de traiter, en ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée placés dans une situation comparable, au seul motif qu’ils travaillent pour une durée déterminée, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives.

24      En l’occurrence, il convient de relever, premièrement, que, dans la mesure où M. Ustariz Aróstegui a été employé par le ministère en qualité de professeur dans le cadre d’un contrat de droit public à durée déterminée, il est constant qu’il relève de la notion de « travailleur à durée déterminée », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, lu en combinaison avec la clause 3, point 1, de celui-ci, et, partant, du champ d’application de ces dispositions.

25      S’agissant, deuxièmement, de la notion de « conditions d’emploi », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le critère décisif pour déterminer si une mesure relève de cette notion est précisément celui de l’emploi, à savoir la relation de travail établie entre un travailleur et son employeur (arrêt du 5 juin 2018, Grupo Norte Facility, C‑574/16, EU:C:2018:390, point 41 et jurisprudence citée).

26      La Cour a ainsi considéré que relèvent de cette notion, entre autres, les primes triennales d’ancienneté (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2010, Gavieiro Gavieiro et Iglesias Torres, C‑444/09 et C‑456/09, EU:C:2010:819, point 50, ainsi que ordonnance du 18 mars 2011, Montoya Medina, C‑273/10, non publiée, EU:C:2011:167, point 32), les primes sexennales de formation continue (voir, en ce sens, ordonnance du 9 février 2012, Lorenzo Martínez, C‑556/11, non publiée, EU:C:2012:67, point 38), la participation à un plan d’évaluation professionnelle et l’incitation financière qui s’ensuit en cas de notation positive (ordonnance du 21 septembre 2016, Álvarez Santirso, C‑631/15, EU:C:2016:725, point 36), ainsi que la participation à un régime d’évolution professionnelle horizontale donnant lieu à un complément de rémunération (ordonnance du 22 mars 2018, Centeno Meléndez, C‑315/17, non publiée, EU:C:2018:207, point 47).

27      En l’occurrence, dans la mesure où l’accomplissement d’une période de six années et sept mois de service constitue, ainsi qu’il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi, la seule condition objective à l’octroi dudit complément, celui-ci est versé précisément en raison de la relation de travail, si bien que, dans ces conditions, son octroi doit être considéré comme étant une « condition d’emploi », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre.

28      Troisièmement, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le principe de non-discrimination, dont la clause 4, point 1, de l’accord-cadre constitue une expression particulière, exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 5 juin 2018, Grupo Norte Facility, C‑574/16, EU:C:2018:390, point 46 et jurisprudence citée).

29      Le ministère a fait valoir, à cet égard, dans ses observations écrites, que, en ce qui concerne l’affaire au principal, la différence de traitement entre fonctionnaires statutaires et agents contractuels de droit public dont fait état M. Ustariz Aróstegui ne relève pas de l’interdiction énoncée à la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, dans la mesure où c’est non pas le caractère déterminé ou indéterminé de la durée de la relation de travail qui conditionne, en droit national, le droit au complétement de rémunération en cause au principal, mais le caractère statutaire ou contractuel de cette relation.

30      En outre, le gouvernement espagnol et le ministère ont indiqué, lors de l’audience devant la Cour, que le personnel enseignant employé à durée indéterminée en vertu de contrats de droit privé est également exclu du bénéfice dudit complément.

31      Toutefois, il convient de souligner qu’il découle du libellé de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre qu’il suffit que les travailleurs à durée déterminée en cause soient traités de manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée placés dans une situation comparable, pour que ces premiers travailleurs soient fondés à revendiquer le bénéfice de cette clause.

32      Dès lors, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 31 de ses conclusions, il n’est pas nécessaire à cet effet que les travailleurs employés à durée déterminée en cause soient traités de manière moins favorable par rapport à toutes les catégories de travailleurs à durée indéterminée.

33      Partant, il convient d’examiner si les fonctionnaires statutaires et les agents contractuels de droit public en cause au principal se trouvent dans une situation comparable.

34      Pour apprécier si les travailleurs exercent un travail identique ou similaire, au sens de l’accord-cadre, il y a lieu, conformément à la clause 3, point 2, et à la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, de rechercher si, compte tenu d’un ensemble de facteurs, tels que la nature du travail, les conditions de formation et les conditions de travail, ces travailleurs peuvent être considérés comme se trouvant dans une situation comparable (arrêt du 5 juin 2018, Grupo Norte Facility, C‑574/16, EU:C:2018:390, point 48 et jurisprudence citée).

35      En l’occurrence, il appartient à la juridiction de renvoi, qui est seule compétente pour apprécier les faits, de déterminer si les fonctionnaires statutaires et les agents contractuels de droit public se trouvent dans une situation comparable (voir, par analogie, arrêt du 5 juin 2018, Grupo Norte Facility, C‑574/16, EU:C:2018:390, point 49 et jurisprudence citée).

36      Cela étant, il ressort de la décision de renvoi qu’il n’existe aucune différence entre les fonctions, les services et les obligations professionnelles assumés par un professeur fonctionnaire et ceux assumés par un professeur agent contractuel de droit public, tel que M. Ustariz Aróstegui.

37      Partant, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi au regard de l’ensemble des éléments pertinents, il y a lieu de considérer que la situation d’un travailleur à durée déterminée tel que M. Ustariz Aróstegui est comparable à celle d’un travailleur à durée indéterminée au service du ministère.

38      Dans ces conditions, il convient de constater, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 44 de ses conclusions, qu’il existe une différence de traitement consistant dans le fait que des agents contractuels du secteur public se voient refuser l’octroi du complément de rémunération en cause au principal, alors que, dans une situation comparable, les fonctionnaires statutaires se voient reconnaître un droit à ce complément de rémunération.

39      Il convient de vérifier, quatrièmement, s’il existe une raison objective, au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, susceptible de justifier une telle différence de traitement.

40      Selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion de « raisons objectives » requiert que l’inégalité de traitement constatée soit justifiée par l’existence d’éléments précis et concrets, caractérisant la condition d’emploi dont il s’agit, dans le contexte particulier dans lequel elle s’insère et sur le fondement de critères objectifs et transparents, afin de vérifier si cette inégalité répond à un besoin véritable, est apte à atteindre l’objectif poursuivi et est nécessaire à cet effet. Lesdits éléments peuvent résulter, notamment, de la nature particulière des tâches pour l’accomplissement desquelles des contrats à durée déterminée ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles-ci ou, le cas échéant, de la poursuite d’un objectif légitime de politique sociale d’un État membre (arrêts du 13 septembre 2007, Del Cerro Alonso, C‑307/05, EU:C:2007:509, point 53 ; du 22 décembre 2010, Gavieiro Gavieiro et Iglesias Torres, C‑444/09 et C‑456/09, EU:C:2010:819, point 55, ainsi que du 5 juin 2018, Grupo Norte Facility, C‑574/16, EU:C:2018:390, point 54).

41      En revanche, le recours à la seule nature temporaire du travail des agents contractuels de droit public, tel que M. Ustariz Aróstegui, n’est pas conforme à ces exigences et n’est donc pas susceptible de constituer, à elle seule, une raison objective, au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre. En effet, admettre que la seule nature temporaire d’une relation d’emploi suffit pour justifier une différence de traitement entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée viderait de leur substance les objectifs de la directive 1999/70 ainsi que de l’accord-cadre et reviendrait à pérenniser le maintien d’une situation défavorable aux travailleurs à durée déterminée (arrêt du 8 septembre 2011, Rosado Santana, C‑177/10, EU:C:2011:557, point 74 et jurisprudence citée).

42      À cet égard, le gouvernement espagnol et le ministère ont soutenu, dans leurs observations écrites, que le complément de rémunération en cause au principal constitue une rémunération personnelle de base inhérente au statut de fonctionnaire. Plus particulièrement, ledit complément viserait à récompenser la progression du fonctionnaire dans le régime d’évolution professionnelle, ce qui justifierait l’exclusion, notamment, des agents contractuels de droit public de ce bénéfice, dès lors que ceux-ci ne seraient pas susceptible d’avancer en grade.

43      À cet égard, il convient de rappeler que, compte tenu de la marge d’appréciation dont jouissent les États membres s’agissant de l’organisation de leurs propres administrations publiques, ceux-ci peuvent, en principe, sans contredire la directive 1999/70 et l’accord-cadre, prévoir des conditions d’accès à la qualité de fonctionnaires statutaires ainsi que les conditions d’emploi de tels fonctionnaires (arrêts du 18 octobre 2012, Valenza e.a., C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646, point 57, et du 20 septembre 2018, Motter, C‑466/17, EU:C:2018:758, point 43). Les États membres sont ainsi en droit de poser des conditions d’ancienneté pour accéder à certains emplois ou encore de restreindre l’accès à une promotion par la voie interne aux seuls fonctionnaires, dès lors que cela résulte de la nécessité de tenir compte d’exigences objectives relatives à l’emploi en question et étrangères à la durée déterminée de la relation de travail (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2011, Rosado Santana, C‑177/10, EU:C:2011:557, points 76 et 79).

44      Cependant, une condition abstraite et générale, selon laquelle une personne doit disposer du statut de fonctionnaire pour bénéficier d’une condition d’emploi telle que celle en cause au principal, sans que soient prises en considération, notamment, la nature particulière des tâches à remplir ni les caractéristiques inhérentes à celles-ci, ne correspond pas aux exigences rappelées aux points 40 et 41 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2011, Rosado Santana, C‑177/10, EU:C:2011:557, point 80).

45      De même, la Cour a considéré que l’intérêt public qui s’attache, en soi, aux modalités d’accès à la fonction publique ne peut justifier une différence de traitement (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Vernaza Ayovi, C‑96/17, EU:C:2018:603, point 46).

46      Partant, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 51 de ses conclusions, l’exclusion des agents contractuels de droit public du bénéfice du complément de rémunération en cause au principal, résultant de l’article 11 du décret foral 68/2009, ne saurait être justifiée à moins que les caractéristiques inhérentes au statut des fonctionnaires ne soient réellement déterminantes pour l’octroi de ce bénéfice.

47      En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour que l’octroi dudit complément est lié non pas à l’avancement en grade du fonctionnaire concerné, mais à l’ancienneté. À cet égard, le fait que le complément en cause au principal visait à l’origine à reconnaître le mérite des fonctionnaires dans le cadre du régime d’évolution professionnelle et se distinguait alors d’une mesure visant uniquement à récompenser l’ancienneté ne saurait amener à considérer que ce complément est inhérent au statut des fonctionnaires, dès lors que, en vertu des dispositions transitoires applicables à l’époque des faits afférents à l’affaire au principal, le système de promotion dans les grades supérieurs a été suspendu et remplacé par une réglementation qui se borne à accorder le droit audit complément à l’issue d’une période de service déterminée, anéantissant ainsi toute différence par rapport à une simple prime d’ancienneté. Ainsi, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, le complément de rémunération en cause au principal est octroyé aux fonctionnaires en raison du seul accomplissement de la période de service requise et reste sans incidence sur leur position au sein du régime d’évolution professionnelle.

48      En outre, s’agissant de l’argument avancé par le gouvernement espagnol et par le ministère selon lequel il existe une différence dans la nature des tâches des fonctionnaires statutaires, susceptible de justifier le traitement préférentiel dont ces derniers bénéficient par rapport aux agents contractuels de droit public placés dans une situation comparable, il convient de constater qu’aucun élément concret et précis ne ressort à cet égard du dossier soumis à la Cour. En tout état de cause, une telle différence ne pourrait être pertinente que si le complément de rémunération avait pour objet de récompenser l’accomplissement de tâches qui ne pourraient être exercées que par les seuls fonctionnaires, à l’exclusion des agents contractuels à durée déterminée. Or, la circonstance, confirmée par le ministère lors de l’audience devant la Cour, que les périodes travaillées en vertu de contrats à durée déterminée de droit public sont entièrement prises en compte lors de la titularisation d’un agent contractuel tend à contredire la thèse selon laquelle l’accomplissement de telles tâches serait l’élément décisif aux fins de l’octroi du complément de rémunération étant donné qu’un agent contractuel n’aurait pas pu exercer ce type de tâches avant sa titularisation (voir, par analogie, ordonnance du 22 mars 2018, Centeno Meléndez, C‑315/17, non publiée, EU:C:2018:207, point 75).

49      Dès lors, il y a lieu de considérer que, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer à cet égard, il n’existe, en l’occurrence, aucune « raison objective », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, susceptible de justifier l’exclusion des agents contractuels de droit public ayant accompli la période de service requise du bénéfice du complément de rémunération en cause au principal.

50      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que la clause 4, point 1, de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui réserve le bénéfice d’un complément de rémunération aux enseignants employés dans le cadre d’une relation de travail à durée indéterminée en tant que fonctionnaires statutaires, à l’exclusion notamment des enseignants employés en tant qu’agents contractuels de droit public à durée déterminée, si l’accomplissement d’une certaine période de service constitue la seule condition d’octroi dudit complément.

 Sur les dépens

51      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

La clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure en annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui réserve le bénéfice d’un complément de rémunération aux enseignants employés dans le cadre d’une relation de travail à durée indéterminée en tant que fonctionnaires statutaires, à l’exclusion notamment des enseignants employés en tant qu’agents contractuels de droit public à durée déterminée,si l’accomplissement d’une certaine période de service constitue la seule condition d’octroi dudit complément.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.