Language of document : ECLI:EU:C:2019:551

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 27 juin 2019 (1)

Affaires jointes C585/18, C624/18 et C625/18

A. K. (C585/18)

contre

Krajowa Rada Sądownictwa

et

CP (C624/18)

DO (C625/18)

contre

Sąd Najwyższy (C624/18 et C625/18)

en présence de

Prokurator Generalny zastępowany przez Prokuraturę Krajową

[demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne)]

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – État de droit – Article 2 TUE – Article 19, paragraphe 1, TUE – Principe de protection juridictionnelle effective – Principe de l’indépendance des juges – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Articles 47 et 51 – Mesures nationales établissant la Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Mesures nationales modifiant le mode de désignation des membres judiciaires du Conseil national de la magistrature – Primauté du droit de l’Union – Pouvoir de laisser inappliquée une législation nationale contraire au droit de l’Union »






I.      Introduction

1.        À l’instar des problèmes que j’ai examinés dans mes conclusions dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:325) et dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun) (C‑192/18, EU:C:2019:529) (2), les présentes affaires s’inscrivent dans le contexte de la réforme du système judiciaire polonais, instaurée par des mesures adoptées en 2017, qui ont fait l’objet d’une proposition motivée de la Commission (3) au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE, concernant l’État de droit en Pologne, ainsi que d’une vague de critiques au niveau international (4).

2.        Ces litiges portent sur des demandes, fondées en partie sur le droit de l’Union, introduites devant la Chambre du travail et des assurances sociales du Sąd Najwyższy (Cour suprême) (ci-après la « Chambre du travail et des assurances sociales ») par des magistrats affectés par les mesures polonaises abaissant l’âge de départ à la retraite des juges. Dans son arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18) (5), la Cour a jugé que ces mesures étaient incompatibles avec les obligations de la République de Pologne au titre de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, car elles sont contraires aux principes d’inamovibilité et d’indépendance des juges, ces deux principes étant protégés en droit de l’Union.

3.        Bien que, en droit national, la Chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême) (ci-après la « Chambre disciplinaire »), nouvellement créée, ait été désignée aux fins de statuer sur ces demandes, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si cette Chambre disciplinaire offre des garanties d’indépendance suffisantes en vertu du droit de l’Union pour connaître de ces demandes. Il s’agit de tenir compte du fait que le groupe des juges susceptibles d’être nommés au sein de la Chambre disciplinaire par le président de la République est sélectionné par la Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature, Pologne, ci-après le « CNM »), soit l’organe chargé de préserver l’indépendance des juges en Pologne. Cependant, l’indépendance du CNM a été, à son tour, mise en doute à la suite d’une législation polonaise modifiant le mode de désignation de ses membres judiciaires. La composition du CNM est désormais définie, à titre principal, par les autorités législatives et exécutives.

4.        Des interrogations plus spécifiques naissent également quant à la procédure de sélection des juges de la Chambre disciplinaire, utilisée par le CNM.

5.        Par conséquent, la question essentielle sur laquelle la Cour doit statuer en l’espèce est de savoir si la Chambre disciplinaire répond aux exigences d’indépendance en vertu du droit de l’Union, au regard du mode de désignation des membres du CNM et des méthodes de sélection des juges devant siéger au sein de ladite Chambre disciplinaire.

6.        Si la Cour devait juger que la Chambre disciplinaire ne répond pas à ces exigences, la juridiction de renvoi souhaite également savoir si, en vertu du droit de l’Union, elle est habilitée à laisser inappliquées des dispositions de droit national qui peuvent être perçues comme faisant obstacle à ce que ladite juridiction de renvoi se saisisse des litiges au principal.

7.        Par conséquent, la juridiction de renvoi invite la Cour, en substance, à développer sa jurisprudence relative aux obligations des États membres, consistant à assurer l’indépendance des juges en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), afin de faire respecter l’État de droit dans l’ordre juridique de l’Union.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

8.        L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE dispose :

« Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. »

9.        L’article 47, premier et deuxième alinéas, de la Charte prévoit :

« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. [...] »

B.      Le droit polonais

1.      Les dispositions relatives à l’abaissement de l’âge de la retraite des juges de la Cour suprême

10.      L’article 30, paragraphe 1, de la ustawa z dnia 23 listopada 2002 r. o Sądzie Najwyższym (loi relative à la Cour suprême), du 23 novembre 2002 (Dz. U. no 240 de 2002, position 2052, telle que modifiée, ci-après la « loi de 2002 sur la Cour suprême ») a fixé à 70 ans l’âge de départ à la retraite des juges de la Cour suprême, à moins que le juge visé n’adresse au premier président de la Cour suprême, au plus tard six mois avant d’atteindre l’âge de 70 ans, une déclaration indiquant son souhait de continuer à exercer ses fonctions et qu’il ne présente un certificat attestant de son état de santé. Dans ce cas, selon l’article 30, paragraphe 5, de cette même loi, un tel juge pouvait automatiquement exercer ses fonctions jusqu’à l’âge de 72 ans.

11.      Le 20 décembre 2017, le président de la République a signé la loi de 2017 sur la Cour suprême, laquelle est entrée en vigueur le 3 avril 2018.

12.      Selon l’article 37, paragraphes 1 à 4, de la loi de 2017 sur la Cour suprême, les juges de cette Cour doivent en principe partir à la retraite à l’âge de 65 ans, sauf s’ils déposent, dans le délai prévu, une déclaration de leur souhait de continuer à exercer leurs fonctions et un certificat attestant de leur bon état de santé, et si le président de la République consent à la poursuite de l’exercice de ces mêmes fonctions. Suivant la procédure prévue par lesdites dispositions, avant d’accorder une telle autorisation, le président de la République est obligé de consulter le CNM, qui lui fournit un avis. Conformément à l’article 111, paragraphe 1, de ladite loi, les juges de la Cour suprême qui avaient atteint l’âge de 65 ans en date du 3 juillet 2018 étaient tenus de partir à la retraite le 4 juillet 2018, à moins qu’ils n’aient soumis ces documents dans un délai spécifique et que le président de la République ait accordé son autorisation selon la procédure prévue à l’article 37 de ladite loi.

2.      Les dispositions relatives à la Chambre disciplinaire

13.      La loi de 2017 sur la Cour suprême a institué, entre autres, une nouvelle chambre au sein de la Cour suprême, la Chambre disciplinaire, établie, conformément à l’article 133 de ladite loi, à compter du 3 avril 2018.

14.      L’article 20 de la loi de 2017 sur la Cour suprême dispose :

« S’agissant de la Chambre disciplinaire et des juges siégeant au sein de cette même Chambre, les prérogatives du premier président de la Cour suprême, telles que définies :

1)      à l’article 14, paragraphe 1, points 1, 4 et 7, l’article 31, paragraphe 1, l’article 35, paragraphe 2, l’article 36, paragraphe 6, l’article 40, paragraphes 1 et 4, et l’article 51, paragraphes 7 et 14, sont exercées par le président de la Cour suprême dirigeant les travaux de la Chambre disciplinaire ;

2)      à l’article 14, paragraphe 1, point 2, ainsi qu’à l’article 55, paragraphe 3, seconde phrase, sont exercées par le premier président de la Cour suprême, de commun accord avec le président de la Cour suprême dirigeant les travaux de la Chambre disciplinaire. »

15.      L’article 27 de la loi de 2017 sur la Cour suprême énonce :

« 1.      Relèvent de la compétence de la Chambre disciplinaire les affaires :

1)      disciplinaires :

a)      relatives aux juges de la Cour suprême ;

[…]

2)      en matière de droit du travail et des assurances sociales, relatives aux juges de la Cour suprême ;

3)      en matière de mise à la retraite d’un juge de la Cour suprême. »

16.      L’article 29 de la loi de 2017 sur la Cour suprême prévoit :

« Les juges de la Cour suprême sont nommés aux fins d’exercer cette fonction par le président de la République de Pologne, sur proposition du Conseil national de la magistrature. »

17.      L’article 79 de la loi de 2017 sur la Cour suprême dispose :

« Les affaires en matière de droit du travail et des assurances sociales relatives aux juges de la Cour suprême, ainsi que les affaires en matière de mise à la retraite de ces mêmes juges sont examinées :

1)      en première instance, par la Cour suprême, siégeant en formation composée d’un seul juge de la Chambre disciplinaire ;

2)      en degré d’appel, par la Cour suprême, siégeant en formation composée de trois juges de la Chambre disciplinaire. »

18.      L’article 131 de la loi de 2017 sur la Cour suprême, tel que modifié par l’article 1er, point 14, de la ustawa z dnia 12 kwietnia 2018 r. o zmianie ustawy o Sądzie Najwyższym (loi portant modification de la loi sur la Cour suprême), du 12 avril 2018 (Dz. U. de 2018, position 847, ci-après la « première loi modificative du 12 avril 2018 ») (6), entrée en vigueur le 9 mai 2018, prévoit :

« Les juges qui occupent, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, des postes dans d’autres chambres de la Cour suprême peuvent être transférés à des postes au sein de la Chambre disciplinaire. Au plus tard à la date à laquelle tous les juges de la Cour suprême siégeant au sein de la Chambre disciplinaire ont été nommés pour la première fois, le juge qui occupe un poste dans une autre chambre de la Cour suprême soumet au Conseil national de la magistrature une demande de transfert vers un poste au sein de la Chambre disciplinaire, après avoir obtenu l’accord du premier président de la Cour suprême, ainsi que du président de la Cour suprême dirigeant les travaux de la Chambre disciplinaire et du président de la chambre dans laquelle le juge formant cette demande détient un poste. Sur proposition du Conseil national de la magistrature, le président de la République de Pologne nomme un juge auprès de la Cour suprême, au sein de la Chambre disciplinaire, jusqu’au jour où tous les postes au sein de ladite Chambre auront été pourvus pour la première fois. »

3.      Les dispositions relatives au CNM 

19.      Selon l’article 186, paragraphe 1, de la Constitution polonaise :

« Le Conseil national de la magistrature veille à l’indépendance des juridictions et des juges. »

20.      L’article 187 de la Constitution polonaise dispose :

« 1.      Le Conseil national de la magistrature est composé :

1)      du premier président de la Cour suprême, du ministre de la Justice, ainsi que du président de la Cour suprême administrative et d’une personne désignée par le président de la République ;

2)      de quinze membres élus parmi les juges de la Cour suprême, des juridictions de droit commun, des juridictions administratives et des juridictions militaires ;

3)      de quatre membres élus par le Sejm  [la Diète, soit la chambre basse du Parlement polonais –, ci-après la « Diète »] parmi les députés et de deux membres élus par le Sénat parmi les sénateurs.

2.      Le Conseil national de la magistrature élit parmi ses membres un président et deux vice-présidents.

3.      Le mandat des membres élus du Conseil national de la magistrature est d’une durée de quatre ans.

4.      Le régime, le domaine d’activité, le mode de travail du Conseil national de la magistrature, ainsi que le mode d’élection de ses membres sont définis par une loi. »

21.      Le CNM est régi par la ustawa z dnia 12 maja 2011 r. o Krajowej Radzie Sądownictwa (loi sur le Conseil national de la magistrature), du 12 mai 2011 (Dz. U. no 126 de 2011, position 714), telle que modifiée et consolidée (Dz. U. de 2019, position 84) (ci-après la « loi sur le CNM »). Cette loi a été modifiée, notamment, par la ustawa z dnia 8 grudnia 2017 r. o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz niektórych innych ustaw (loi portant modification de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 3, telle que modifiée, ci‑après la « loi modificative de 2017 sur le CNM »), entrée en vigueur le 17 janvier 2018 (7).

22.      En vertu de l’article 1er, point 1, de la loi modificative de 2017 sur le CNM, un article 9 bis a été inséré dans la loi sur le CNM, libellé comme suit :

« 1.      La Diète élit, parmi les juges de la Cour suprême, des juridictions de droit commun, des juridictions administratives et des juridictions militaires, quinze membres du Conseil [national de la magistrature], pour un mandat commun d’une durée de quatre ans.

2.      En procédant à l’élection visée au paragraphe 1, la Diète tient compte, dans la mesure du possible, de la nécessité d’une représentation au sein du Conseil des juges issus des différents types et niveaux de juridictions.

3.      Le mandat commun des nouveaux membres dudit Conseil, élus parmi les juges, débute dès le lendemain de leur élection. Les membres sortants du Conseil exercent leurs fonctions jusqu’au jour où débute le mandat commun des nouveaux membres du Conseil. »

23.      En vertu de son article 1er, points 2 et 3, la loi modificative de 2017 sur le CNM a abrogé l’article 11 de la loi sur le CNM (8) et a introduit les articles 11 bis à 11 sexies, concernant la procédure d’élection des quinze membres judiciaires du CNM.

24.      Selon l’article 11 bis, paragraphe 2, de la loi modificative de 2017 sur le CNM :

« Sont habilités à présenter un candidat au poste de membre du Conseil les groupes réunissant au moins 1) deux mille citoyens de la République de Pologne, âgés de 18 ans révolus, jouissant pleinement de leur capacité juridique et de leurs droits civiques et 2) vingt-cinq juges, à l’exclusion des juges mis à la retraite. »

25.      L’article 11 quinquies de la loi modificative de 2017 sur le CNM prévoit par ailleurs :

« 1.      Le Marszałek Sejmu  [président de la Diète] invite les groupes parlementaires à lui indiquer, dans un délai de sept jours, les candidats aux postes de membres du Conseil [national de la magistrature].

2.      Un groupe parlementaire désigne, parmi les juges dont les candidatures ont été présentées au titre de l’article 11 bis, un maximum de neuf candidats aux postes de membres du Conseil.

3.      Si le nombre total de candidats désignés par les groupes parlementaires est inférieur à quinze, le Prezydium Sejmu [bureau de la Diète] désigne, parmi les candidats présentés au titre de l’article 11 bis, des candidats à hauteur du nombre manquant pour parvenir à quinze.

4.      La commission parlementaire compétente établit une liste des candidats en élisant, parmi les candidats désignés conformément aux paragraphes 2 et 3, quinze candidats aux postes de membres du Conseil, étant entendu que l’on doit prendre en considération au moins un candidat désigné par chaque groupe parlementaire, actif dans un délai de soixante jours depuis la première séance de la législature au cours de laquelle la sélection intervient, pour autant que ce candidat ait été désigné par un groupe dans le cadre de la désignation visée au paragraphe 2.

5.      La Diète élit les membres du Conseil pour un mandat commun d’une durée de quatre ans, lors de la première séance qui suit, à une majorité de trois cinquième des voix, en présence d’au moins la moitié du nombre légal de députés, en votant pour la liste de candidats visée au paragraphe 4.

6.      À défaut d’une élection des membres du Conseil selon la procédure définie au paragraphe 5, la Diète élit les membres du Conseil à la majorité absolue des voix, en présence d’au moins la moitié du nombre légal de députés, en votant pour la liste de candidats visée au paragraphe 4.[...] »

26.      En vertu de l’article 6 de la loi modificative de 2017 sur le CNM :

« Le mandat des membres du [CNM] visés à l’article 187, paragraphe 1, point 2, de la Constitution de la République de Pologne, élus en vertu des dispositions actuelles, courra jusqu’au jour précédant le début du mandat des nouveaux membres du [CNM], mais ne dépassera pas 90 jours à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, à moins qu’il n’ait pris fin précédemment en raison de son expiration. »

27.      La ustawa z dnia 20 lipca 2018 r. o zmianie ustawy ‑ prawo o ustroju sądów powszechnych oraz niektórych innych ustaw (loi portant modification de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun et de certaines autres lois), du 20 juillet 2018 (Dz. U. de 2018, position 1443, ci-après la « loi du 20 juillet 2018 ») a ajouté un paragraphe 3 à l’article 35 de la loi sur le CNM, qui prévoit :

« 1.      Lorsque plusieurs candidats ont postulé pour un poste de juge ou de juge auxiliaire, le groupe élabore une liste de candidats recommandés.

2.      En établissant l’ordre des candidats sur la liste, le groupe prend en compte, en premier lieu, l’appréciation des qualifications desdits candidats et, en outre, il prend en considération :

1)      l’expérience professionnelle, en ce compris l’expérience dans l’application des dispositions légales, la production académique, les avis émis par les supérieurs hiérarchiques, les recommandations, les publications et les autres documents qui sont joints au formulaire de candidature ;

2)      l’avis du kolegium [collège] de la juridiction compétente et l’appréciation de l’assemblée générale des juges compétente.

3.      L’absence des documents visés au paragraphe 2 ne constitue pas un obstacle à l’élaboration de la liste des candidats recommandés. »

28.      La loi modificative de 2017 sur le CNM a ajouté l’article 44, paragraphe 1 bis, et la loi du 20 juillet 2018 a ajouté l’article 44, paragraphe 1 ter, à l’article 44 de la loi sur le CNM, qui dispose :

« 1.      Un participant à la procédure peut former un recours devant la Cour suprême en raison de l’illégalité de la résolution du [CNM], à moins que des dispositions distinctes n’en disposent autrement. [...]

1 bis.      Dans les affaires individuelles concernant une nomination à la fonction de juge de la Cour suprême, il est possible de former un recours devant la Cour suprême administrative. Dans ces affaires, il n’est pas possible de former un recours devant la Cour suprême. Le recours devant la Cour suprême administrative ne peut pas être fondé sur un moyen tiré d’une évaluation inappropriée du respect, par les candidats, des critères pris en compte lors de la prise de décision quant à la présentation de la proposition de nomination au poste de juge de la Cour suprême.

1 ter.      Si tous les participants à la procédure n’ont pas attaqué la résolution visée à l’article 37, paragraphe 1, dans les affaires individuelles concernant la nomination à la fonction de juge de la Cour suprême, ladite résolution devient définitive, pour la partie comprenant la décision de présentation de la proposition de nomination au poste de juge de la Cour suprême et pour la partie comprenant la décision de non-présentation d’une proposition de nomination au poste de juge de cette même Cour, s’agissant des participants à la procédure qui n’ont pas formé de recours. [...] »

4.      La loi du 21 novembre 2018

29.      En date du 17 décembre 2018, le président de la République a signé la ustawa z dnia 21 listopada 2018 r. o zmianie ustawy o Sądzie Najwyższym (loi portant modification de la loi sur la Cour suprême), du 21 novembre 2018 (Dz. U. de 2018, position 2507, ci‑après la « loi du 21 novembre 2018 »), entrée en vigueur le 1er janvier 2019. En vertu de l’article 1er de cette loi, l’article 37, paragraphes 1 bis à 4, et l’article 111, paragraphe 1, de la loi de 2017 sur la Cour suprême sont abrogés ; l’article 37, paragraphe 1, de cette même loi est modifié en ce sens que seuls les juges de la Cour suprême entrés en fonction en cette qualité après la date d’entrée en vigueur de la loi du 21 novembre 2018 prendront leur retraite à l’âge de 65 ans, alors que les dispositions de l’article 30 de la loi de 2002 sur la Cour suprême s’appliqueront aux juges de la Cour suprême entrés en fonction avant cette date.

30.      L’article 2, paragraphe 1, de la loi du 21 novembre 2018 dispose :

« À compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, tout juge de la Cour suprême ou de la Cour suprême administrative qui a été mis à la retraite en vertu de l’article 37, paragraphes 1 à 4, ou de l’article 111, paragraphes 1 ou 1 bis, de la [loi de 2017 sur la Cour suprême] est réintégré dans les fonctions qu’il exerçait à la date d’entrée en vigueur de ladite [loi de 2017 sur la Cour suprême]. L’exercice de ses fonctions de juge de la Cour suprême ou de la Cour suprême administrative est considéré comme n’ayant pas été interrompu. »

31.      L’article 4 de la loi du 21 novembre 2018 précise :

« 1.      Les procédures engagées en vertu de l’article 37, paragraphe 1, et de l’article 111, paragraphes 1 à 1 ter, de la [loi de 2017 sur la Cour suprême] et les procédures de recours pendantes dans ces affaires à la date d’entrée en vigueur de la présente loi sont clôturées.

2.      Les procédures visant à établir l’existence d’une relation de travail en qualité de juge de la Cour suprême ou de juge de la Cour suprême administrative en service actif, relatives aux juges visés à l’article 2, paragraphe 1, engagées et pendantes à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, sont clôturées. [...] »

III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

32.      L’affaire C‑585/18 porte sur un recours formé par A. K., juge de la Cour suprême administrative, contre le CNM. Selon l’ordonnance de renvoi, A. K. avait atteint l’âge de 65 ans à la date du 3 juillet 2018 et avait soumis une déclaration en vue de poursuivre l’exercice de ses fonctions conformément à l’article 37 et à l’article 111, paragraphe 1, de la loi de 2017 sur la Cour suprême. La Cour a considéré ces mesures comme étant incompatibles avec le droit de l’Union, dans son arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18) (9).

33.      En vertu de la procédure prévue à l’article 37 de la loi de 2017 sur la Cour suprême, le CNM a adopté une résolution exprimant un avis négatif. A. K. a formé un recours contre cette résolution, ainsi qu’une demande de suspension de son caractère exécutoire, devant la Chambre du travail et des assurances sociales. À l’appui de son recours, A. K. fait notamment valoir une violation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte et de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (10). Dans ce dernier contexte, A. K. soutient qu’il a été discriminé en raison de son âge.

34.      Les affaires C‑624/18 et C‑625/18 concernent des recours formés par CP et DO, juges de la Cour suprême, contre cette dernière. Selon les ordonnances de renvoi, ces juges avaient atteint l’âge de 65 ans à la date du 3 juillet 2018, mais n’avaient pas soumis de déclaration en vue de poursuivre l’exercice de leurs fonctions, conformément à l’article 37 et à l’article 111, paragraphe 1, de la loi de 2017 sur la Cour suprême.

35.      Étant informés de ce que le président de la République les avait déclarés retraités à compter du 4 juillet 2018, CP et DO ont formé des recours auprès de la Chambre du travail et des assurances sociales, en sollicitant une déclaration selon laquelle leur relation de travail en qualité de juges en service actif n’avait pas été transformée, à compter de cette date, en une relation de travail de juges retraités. Ces juges ont également sollicité le prononcé de mesures provisoires. À l’appui de leurs actions, CP et DO font notamment valoir une violation de l’interdiction de la discrimination fondée sur l’âge, visée à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2000/78 (11). Ici aussi, CP et DO contestent des mesures que la Cour a qualifiées d’incompatibles avec le droit de l’Union dans son arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18) (12).

36.      La Chambre du travail et des assurances sociales, devant laquelle A. K., CP et DO (collectivement, les « requérants ») ont formé leurs recours, formule notamment les observations suivantes.

37.      Avant l’entrée en vigueur de la loi de 2017 sur la Cour suprême, la Chambre du travail et des assurances sociales (13) était compétente aux fins de connaître des recours contre les résolutions du CNM et les litiges afférents aux relations de travail des juges de la Cour suprême étaient tranchés par les juridictions du travail. Conformément à l’article 27, paragraphe 1, deuxième et troisième alinéas, de la loi de 2017 sur la Cour suprême, la compétence aux fins de connaître de ces affaires a été transférée à la Chambre disciplinaire (14). Cependant, à la date du prononcé de ces ordonnances de renvoi, aucun juge n’avait été désigné pour siéger au sein de la Chambre disciplinaire, de sorte que celle-ci n’existait pas, en réalité.

38.      Par conséquent, s’agissant des affaires C‑624/18 et C‑625/18, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si, compte tenu de l’absence de juges nommés au sein de la Chambre disciplinaire, elle est en droit de laisser inappliquées les dispositions de droit national conférant la compétence à la Chambre disciplinaire et de se saisir elle-même de cette compétence, en raison de la nécessité d’assurer une protection effective des droits des requérants en vertu du droit de l’Union, s’agissant d’une discrimination fondée sur l’âge (15). La juridiction de renvoi indique que, dès lors qu’il n’existe pas de juridiction susceptible de conférer une protection juridique dans le litige au principal, ces dispositions doivent, dans la mesure où elles excluent la Chambre du travail et des assurances sociales, être considérées comme incompatibles avec l’article 47 de la Charte et l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/78. Elle relève également que cette question pourrait devenir sans objet car, au fil du déroulement du litige au principal, les postes au sein de la Chambre disciplinaire nouvellement créée étaient en train d’être pourvus.

39.      En tout état de cause, la juridiction de renvoi nourrit des doutes sur le point de savoir si la procédure de sélection des juges devant siéger au sein de la Chambre disciplinaire présente des garanties suffisantes d’indépendance, telles que requises par le droit de l’Union, eu égard au fait que les juges doivent être nommés par le président de la République sur proposition du CNM (16). La juridiction de renvoi souligne que la loi modificative de 2017 sur le CNM a introduit un mécanisme de sélection des membres judiciaires du CNM, en vertu duquel ces membres ne sont plus choisis par les juges, mais par la Diète. Ainsi, en Pologne, les juges de la Cour suprême sont élus par un organe dont la composition est principalement définie par les autorités législatives et exécutives.

40.      La juridiction de renvoi ajoute encore que l’élection des membres actuels du CNM n’est pas transparente, que les membres judiciaires du CNM ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la communauté des juges, que les activités du CNM témoignent d’une absence de prises de position visant à défendre l’indépendance de la Cour suprême et de ses membres et, ainsi que l’illustre la procédure dans l’affaire C‑585/18, la pratique du CNM, lorsque celui-ci statue sur des demandes émanant de juges de la Cour suprême qui ont atteint l’âge de 65 ans et qui désirent poursuivre l’exercice de leurs fonctions, consiste à formuler des avis négatifs qui ne fournissent pas de motifs suffisants pour permettre au président de la République de se faire une opinion sur le candidat en cause.

41.      S’agissant de la procédure de sélection des juges désignés au sein de la Chambre disciplinaire, la juridiction de renvoi indique que la Cour suprême est privée de participation à cette procédure et que, jusqu’au jour où tous les postes au sein de la Chambre disciplinaire auront été pourvus pour la première fois, seuls des juges de la Cour suprême nommés par le président de République peuvent siéger dans cette Chambre. La juridiction de renvoi évoque aussi, entre autres, le fait que les conditions de la procédure ont été altérées. En vertu des articles 35 et 44 de la loi sur le CNM, respectivement, l’obligation, pour les candidats, de déposer certains documents relatifs à leurs qualifications a été abolie, en tant qu’élément du processus d’élaboration de la liste des candidats recommandés ; une règle a été instaurée, selon laquelle, si une résolution dans une affaire individuelle concernant une nomination à un poste judiciaire à la Cour suprême n’a pas été contestée par tous les participants à la procédure, la section de la résolution relative à la décision de soumettre une proposition de nomination audit poste devient valide. La juridiction de renvoi déclare que, par conséquent, cela fait obstacle à un contrôle juridictionnel effectif. En outre, ladite juridiction estime que les candidats recommandés par le CNM pour siéger au sein de la Chambre disciplinaire incluent des personnes inféodées aux autorités politiques.

42.      Si la Cour juge que la Chambre disciplinaire ne satisfait pas aux exigences d’indépendance prévues en droit de l’Union, la juridiction de renvoi souhaite savoir si elle peut laisser inappliquées des dispositions de droit national qui font obstacle à sa compétence aux fins de connaître des litiges concernés (17). S’agissant des affaires C‑624/18 et C‑625/18, la juridiction de renvoi estime que, afin d’assurer l’effectivité du droit de l’Union, la compétence générale dont jouit la Chambre du travail et des assurances sociales afin de connaître des affaires en droit du travail qui impliquent une discrimination l’autorise à examiner les recours formés dans la procédure au principal, qui impliquent des moyens tirés d’une discrimination fondée sur l’âge, au sens de la directive 2000/78 (18).

43.      C’est en de telles circonstances que le Sąd Najwyższy (Cour suprême) a décidé, dans l’affaire C‑585/18, de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 267, troisième alinéa, TFUE, lu conjointement avec l’article 19, paragraphe 1, et l’article 2 TUE, ainsi que l’article 47 de la [Charte] doit-il être interprété en ce sens qu’une chambre créée ex nihilo au sein d’une juridiction de dernière instance d’un État membre, compétente aux fins de connaître du litige relatif à un juge d’une juridiction nationale, auteur d’un recours, chambre dans laquelle doivent siéger uniquement des juges choisis par l’autorité nationale chargée de veiller à l’indépendance des juridictions ([le CNM]) – laquelle, en raison de son modèle de constitution et de son mode de fonctionnement, n’offre pas de garantie d’indépendance par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif, constitue une juridiction indépendante au sens du droit de l’Union ?

2)      En cas de réponse négative à la première question, l’article 267, troisième alinéa, TFUE, lu conjointement avec l’article 19, paragraphe 1, et l’article 2 TUE, ainsi que l’article 47 de la Charte, doit-il être interprété en ce sens qu’une chambre non compétente d’une juridiction de dernière instance d’un État membre qui satisfait aux exigences que le droit de l’Union impose pour une juridiction, ladite chambre étant saisie d’un recours dans une affaire relevant du droit de l’Union, se doit d’écarter l’application des dispositions de la loi nationale qui excluent sa compétence dans cette même affaire ? »

44.      Dans les affaires C‑624/18 et C‑625/18, le Sąd Najwyższy (Cour suprême) a également décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Convient-il d’interpréter l’article 47 de la [Charte], lu en combinaison avec l’article 9, paragraphe 1, de la [directive 2000/78] en ce sens que, dans le cas où la juridiction de dernière instance d’un État membre est saisie d’un recours (action) fondé sur un moyen tiré de la violation de l’interdiction de la discrimination en raison de l’âge à l’égard d’un juge de cette même juridiction, assorti d’une demande de mesures conservatoires, cette juridiction est tenue – afin d’assurer, en appliquant une mesure provisoire prévue par le droit national, la protection des droits résultant du droit de l’Union – de refuser l’application de dispositions nationales qui réservent la compétence, dans l’affaire dans laquelle le recours a été introduit, à une chambre de cette juridiction, laquelle chambre ne fonctionne pas, en raison de la non-désignation des juges devant y siéger ?

2)      En cas de nomination des juges devant siéger dans la chambre compétente, à la lumière du droit national, afin de connaître du recours ainsi introduit, l’article 267, troisième alinéa, TFUE, lu conjointement avec l’article 19, paragraphe 1, et l’article 2 TUE, ainsi que l’article 47 de la Charte doit-il être interprété en ce sens qu’une chambre créée ex nihilo au sein d’une juridiction de dernière instance d’un État membre, compétente afin de connaître du litige relatif à un juge d’une juridiction nationale, auteur d’un recours, chambre dans laquelle doivent siéger uniquement des juges choisis par l’autorité nationale chargée de veiller à l’indépendance des juridictions ([le CNM]) – laquelle, en raison de son modèle de constitution et de son mode de fonctionnement, n’offre pas de garantie d’indépendance par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif, constitue une juridiction indépendante au sens du droit de l’Union ?

3)      En cas de réponse négative à la deuxième question, l’article 267, troisième alinéa, TFUE, lu conjointement avec l’article 19, paragraphe 1, et l’article 2 TUE, ainsi que l’article 47 de la Charte, doit-il être interprété en ce sens qu’une chambre non compétente d’une juridiction de dernière instance d’un État membre qui satisfait aux exigences que le droit de l’Union impose pour une juridiction, ladite chambre étant saisie d’un recours dans une affaire relevant du droit de l’Union, se doit d’écarter l’application des dispositions de la loi nationale qui excluent sa compétence dans cette même affaire ? »

IV.    La procédure devant la Cour

45.      Par décision de la Cour, les présentes affaires ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

46.      Par ordonnance du 26 novembre 2018, le président de la Cour a fait droit à la demande, formulée par la juridiction de renvoi, portant sur l’application de la procédure préjudicielle accélérée conformément à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour (19).

47.      Des observations écrites sur les questions préjudicielles soumises en l’espèce ont été déposées par le Prokurator Generalny zastępowany przez Prokuraturę Krajową (le procureur général représenté par le Parquet national, Pologne, ci-après le « procureur général »), par les gouvernements polonais et letton, par l’Autorité de surveillance AELE, ainsi que par la Commission européenne.

48.      À l’exception du gouvernement letton, ces parties, à l’instar des requérants, ont présenté des observations orales lors de l’audience du 19 mars 2019 (ci-après la « première partie de l’audience »).

49.      Lors de la première partie de l’audience, le procureur général a sollicité la récusation du président de la Cour, M. le juge Koen Lenaerts, dans le cadre des présentes affaires. Par décision du 29 mars 2019, la Cour, qui était présidée par la vice-présidente, a rejeté cette demande.

50.      Par courrier en date du 28 mars 2019, le CNM, qui n’avait pas participé à la première partie de l’audience, a sollicité la tenue d’une nouvelle audience. Par décision du 10 avril 2019, la Cour a décidé de poursuivre l’audience en l’espèce, afin notamment de permettre au CNM de présenter ses observations orales.

51.      Le CNM et le Sąd Najwyższy (Cour suprême), en qualité de parties à la procédure, les parties requérantes, le procureur général, le gouvernement polonais, l’Autorité de surveillance AELE et la Commission ont présenté des observations orales lors de l’audience tenue le 14 mai 2019 (ci-après la « seconde partie de l’audience ») (20).

V.      Résumé des observations des parties

A.      Objections d’ordre procédural

52.      Le procureur général et le gouvernement polonais font valoir que les questions préjudicielles sont irrecevables, car elles sont devenues dénuées d’objet en raison de la loi du 21 novembre 2018. En vertu de cette loi, les règles de droit polonais sous-jacentes aux litiges au principal ont été abrogées et ces litiges ont cessé d’exister (21). Le gouvernement polonais souligne également que les procédures concernées sont nulles en droit polonais, parce qu’elles relèvent de la compétence de la Chambre disciplinaire, conformément aux articles 27 et 79 de la loi de 2017 sur la Cour suprême.

53.      Le gouvernement polonais et la Commission soutiennent en outre qu’il n’est pas nécessaire que la Cour réponde à la première question dans les affaires C‑624/18 et C‑625/18, puisque les juges devant siéger dans la Chambre disciplinaire ont été nommés et que cette dernière exerce désormais ses fonctions juridictionnelles.

54.      Le procureur général et le gouvernement polonais font également valoir que les questions préjudicielles sont irrecevables, car la situation dans le cadre des litiges au principal ne concerne pas le droit de l’Union. Notamment, le procureur général souligne que l’article 19, paragraphe 1, TUE ne confère pas de compétence à l’Union en matière de fonctionnement des conseils de la magistrature et que les présentes affaires diffèrent de l’arrêt Associação Sindical dos Juízes Portugueses (22). Selon le procureur général, l’article 47 de la Charte ne peut pas former la base de normes contraignantes pour la République de Pologne, dès lors que la législation polonaise litigieuse, portant sur la Cour suprême et sur le CNM, ne constitue pas un cas de mise en œuvre du droit de l’Union au sens visé à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. D’après le procureur général, il existerait également une incompatibilité avec l’article 1er, paragraphe 1, du protocole no 30 sur l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni (23).

55.      Les requérants et le Sąd Najwyższy (Cour suprême) soutiennent que les questions préjudicielles demeurent nécessaires, car la loi du 21 novembre 2018 ne répond pas aux problèmes devant être tranchés. Selon le Sąd Najwyższy (Cour suprême), l’article 4 de cette loi n’entraîne pas automatiquement une interruption des litiges et la juridiction de renvoi est la chambre compétente, ratione materiae, dans la procédure au principal.

56.      La Commission affirme que les questions préjudicielles, sauf la première question dans le cadre des affaires C‑624/18 et C‑625/18, sont nécessaires pour permettre à la juridiction de renvoi de se prononcer sur un point liminaire (quaestio in limine litis) portant sur la détermination de la chambre de la Cour suprême compétente afin de statuer sur les litiges en cause. Selon la Commission, la loi du 21 novembre 2018 n’a pas d’incidence sur les réponses auxdites questions préjudicielles et la jurisprudence invoquée par le gouvernement polonais diffère des présentes affaires ; un législateur national ne peut pas interférer dans le mécanisme du renvoi préjudiciel.

57.      La Commission soutient en outre que la situation dans le cadre de la procédure au principal, dans laquelle les requérants font valoir des droits relatifs à une discrimination fondée sur l’âge, conformément à la directive 2000/78, relève des domaines couverts par le droit de l’Union au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et, pour ces motifs, l’article 47 de la Charte est également applicable.

B.      Sur le fond

1.      La première question dans les affaires C624/18 et C625/18 et le non-fonctionnement de la Chambre disciplinaire en pratique

58.      D’après le gouvernement polonais, cette question appelle une réponse négative. Selon son point de vue, les droits des requérants n’ont pas été violés et le refus de la juridiction de renvoi d’appliquer les dispositions de droit national qui réservent la compétence à la Chambre disciplinaire aboutit à une situation dans laquelle aucune des chambres de la Cour suprême n’est compétente aux fins de connaître des litiges concernés. Le gouvernement polonais affirme également, entre autres, que l’article 47 de la Charte et l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/78 ne sont d’aucune utilité pour les requérants, à l’appui d’un procédé qui serait contraire au droit constitutionnel polonais.

59.      Le gouvernement letton et l’Autorité de surveillance AELE proposent que la Cour apporte une réponse positive à cette question. Selon l’Autorité de surveillance AELE, lorsqu’une juridiction jouissant de la compétence exclusive pour connaître d’une matière relevant du champ d’application du droit de l’Union et de l’Espace économique européen (EEE) n’est pas encore opérationnelle, il n’existe de facto pas de juridiction pour examiner le litige ; cela constitue un déni de justice et la juridiction de renvoi est tenue, en vertu du droit de l’Union, d’écarter les règles de droit national concernées et de se déclarer compétente pour assurer le traitement des recours formés au titre du droit de l’Union (24).

2.      La première question dans l’affaire C585/18, la deuxième question dans les affaires C624/18 et C625/18 et l’indépendance de la Chambre disciplinaire

60.      Les parties requérantes soutiennent que la Chambre disciplinaire ne satisfait pas aux critères requis aux fins d’assurer une protection juridictionnelle effective au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ainsi que le droit à une juridiction indépendante et impartiale au sens de l’article 47 de la Charte, dès lors que le CNM a été nommé d’une façon qui le rend dépendant des autorités politiques. D’après les requérants, la sélection des juges par le CNM soulève des doutes sérieux quant à l’indépendance de ces juges, qui compromettent la confiance des citoyens dans le pouvoir judiciaire. Ils estiment aussi que la notion d’indépendance doit être interprétée en fonction de son contexte ; à ce titre, la jurisprudence de la Cour sur l’indépendance des « juridictions » au sens de l’article 267 TFUE n’a pas une importance décisive.

61.      En particulier, les requérants identifient trois éléments qui donnent l’impression que le CNM est dépendant par rapport aux autorités politiques. Premièrement, les juges susceptibles d’être nommés par le président de la République au sein de la Chambre disciplinaire ont été choisis par le CNM à la suite de la révocation prématurée des mandats des anciens membres du CNM, en violation – selon eux – de l’article 187, paragraphe 3, de la Constitution polonaise, qui prévoit un mandat d’une durée de quatre ans (25). Deuxièmement, les requérants relèvent que les quinze membres judiciaires sont désignés par la Diète, et non par les juges, contrairement aux lignes directrices émanant du Conseil de l’Europe (26), de sorte que 23 des 25 membres du CNM proviennent des autorités législatives et exécutives. Troisièmement, les requérants soulignent que la réforme du CNM a été introduite parallèlement à d’autres réformes du pouvoir judiciaire qui ont mené, notamment, à l’engagement du mécanisme de l’article 7, paragraphe 1, TUE à l’égard de la Pologne (27) et à la suspension du CNM au sein du Réseau européen des conseils de la justice (RECJ) (28). Les requérants critiquent aussi les arguments fondés sur les solutions adoptées dans d’autres États membres, étant donné que la situation en Pologne se distingue, eu égard à ces trois éléments.

62.      Le CNM fait valoir que la Cour doit être guidée par des faits, et non par des impressions, et que la Chambre disciplinaire répond aux critères, en ce compris d’indépendance, énoncés par la jurisprudence de la Cour relative à l’article 267 TFUE. D’après son point de vue, le CNM n’influence pas cette Chambre, dès lors que la connexion entre ces deux organes prend fin, à partir du moment où le CNM procède à la recommandation de candidats spécifiques. Il affirme aussi que la législation polonaise relative au CNM améliore la représentativité des membres judiciaires de celui-ci et permet à des groupes de magistrats de présenter leurs candidatures.

63.      Le procureur général soutient que les modifications apportées au mode de désignation des membres du CNM et de sélection des juges de la Chambre disciplinaire ne minent pas l’indépendance du pouvoir judiciaire polonais. Il souligne, entre autres, que la désignation des membres judiciaires du CNM par la Diète contribue à la réalisation de plusieurs principes constitutionnels et à la légitimité démocratique ; le CNM n’est pas un organe judiciaire au sens de l’article 173 de la Constitution polonaise, de sorte que la législation polonaise sur ledit CNM ne viole pas l’indépendance des juges et, de plus, cette législation garantit l’impartialité des activités du CNM. En particulier, ledit procureur a fait valoir au cours de la première partie de l’audience que l’article 44, paragraphe 1 ter, de la loi sur le CNM établit un système effectif, qui permet aux candidats rejetés d’introduire un recours, sans pour autant bloquer la procédure de sélection pour les postes vacants.

64.      Le procureur général affirme aussi que les solutions adoptées en Pologne sont semblables à celles retenues dans d’autres États membres et qu’il ne devrait pas y avoir « deux poids, deux mesures » d’un État membre à l’autre. Le procureur général souligne que la Chambre disciplinaire jouit d’un large soutien au sein de la société polonaise et que le droit polonais comporte des garanties quant à son indépendance. Le procureur général a également affirmé, lors de la première partie de l’audience, en se référant à l’article 131 de la loi de 2017 sur la Cour suprême, que le président de la République nomme de nouveaux juges afin de pourvoir les postes au sein de la Chambre disciplinaire pour la première fois, dès lors que la nomination d’un juge à la Cour suprême est liée à un poste au sein d’une chambre spécifique et qu’il n’est donc pas possible de nommer un juge qui est membre d’une autre chambre de ladite Cour, à moins que ce juge ne démissionne.

65.      Le gouvernement letton affirme que la Cour devrait apporter une réponse négative à cette question. Elle souligne que l’indépendance des juges et des juridictions n’est pas une fin en soi, mais un instrument afin de garantir et de renforcer la démocratie et l’État de droit, ainsi qu’une condition préalable et nécessaire du droit à un procès équitable, tel que reconnu notamment par le droit letton (29).

66.      Le gouvernement polonais fait valoir que l’article 267, troisième alinéa, TFUE, l’article 19, paragraphe 1, TUE, l’article 2 TUE et l’article 47 de la Charte doivent être interprétés en ce sens que l’indépendance d’un juge d’une juridiction nationale n’est aucunement affectée par sa désignation dans le contexte d’une procédure nationale impliquant la participation d’un conseil de la magistrature, dont l’établissement relève de la compétence exclusive de l’État membre concerné. Selon le gouvernement polonais, la procédure de sélection des magistrats de la Cour suprême polonaise, en ce compris de la Chambre disciplinaire, est conforme à la jurisprudence de la Cour portant sur l’indépendance au titre de l’article 267 TFUE (30). Ainsi qu’il l’a relevé au cours des deux parties de l’audience, les normes d’indépendance au titre de l’article 267 TFUE ne devraient pas être interprétées différemment de celles découlant de l’article 19, paragraphe 1, TUE et de l’article 47 de la Charte et, dès lors que le CNM n’est pas une juridiction, les exigences relatives à l’indépendance des juges ne sont pas applicables à son égard.

67.      D’après le gouvernement polonais, les juges, dans cet État, y compris ceux de la Chambre disciplinaire, sont nommés par le président de la République, sur proposition du CNM, pour une durée indéterminée ; en exerçant sa prérogative constitutionnelle de nomination des juges, ledit président n’est pas lié par l’avis du CNM et il agit conformément à la Constitution polonaise (31). Selon le gouvernement polonais, cette procédure ne s’écarte pas de celles prévalant dans les autres États membres et juridictions de l’Union, où la participation des représentants judiciaires est limitée ; le fait que les juges soient sélectionnés par le CNM, qui est composé de juges et de politiciens, n’a pas d’incidence sur l’indépendance des juges désignés par le président de la République. Le gouvernement polonais soutient par ailleurs que l’indépendance des juges de la Chambre disciplinaire est la conséquence d’un système complexe de garanties, lié notamment à la nomination pour une durée illimitée, à l’inamovibilité, à l’immunité, à l’obligation de demeurer apolitique et de s’abstenir d’autres activités professionnelles, et à la rémunération des juges.

68.      En outre, le gouvernemennt polonais soutient, entre autres, que l’élection des quinze membres judiciaires du CNM par la Diète accroît la légitimité démocratique et la représentativité du CNM ; l’arrêt du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle, Pologne), du 25 mars 2019 (affaire K 12/18), aurait dissipé les doutes relatifs à sa conformité à la Constitution polonaise. Le gouvernement polonais a également souligné au cours de la première partie de l’audience que les mandats des anciens membres du CNM avaient été abrégés en raison de la nouvelle méthode de sélection des membres judiciaires et du besoin d’uniformiser leurs mandats ; en pratique, la plupart desdits mandats ont été abrégés à concurrence d’un court laps de temps.

69.      L’Autorité de surveillance AELE a fait valoir que la Chambre disciplinaire ne constitue pas une juridiction indépendante au sens de l’article 267 TFUE. En particulier, elle affirme que les États doivent organiser leurs systèmes judiciaires en conformité avec le droit de l’Union et de l’EEE, et qu’il convient de tenir compte du principe de non-régression quant à l’indépendance des juges, tel que reflété en droit de l’Union et dans les lignes directrices du Conseil de l’Europe (32). Selon cette Autorité, le fait de modifier la composition de l’organe chargé de sélectionner les juges de façon à ce qu’il soit formé d’une majorité de membres désignés par les autorités législatives et exécutives crée un lien avec ces autorités, qui est susceptible de compromettre l’indépendance des juges désignés en vertu de cette procédure. Tel est notamment le cas, selon ladite Autorité, lorsque la modification de la composition fait partie de changements plus larges, qui affaiblissent l’indépendance du pouvoir judiciaire ; la simple apparence d’influence extérieure qui résulte de ces circonstances compromet la confiance du justiciable dans les juridictions (33).

70.      La Commission considère que les exigences d’indépendance et d’impartialité au titre de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte doivent être interprétées en ce sens qu’un organe juridictionnel tel que la Chambre disciplinaire, qui est établi dans les circonstances entourant la procédure au principal et qui jouit de la compétence afin de statuer sur les litiges afférents au statut des juges, ne satisfait pas à ces exigences (34). Selon la Commission, l’article 267 TFUE n’est pas pertinent, dès lors que ce n’est pas la qualification d’un organe procédant à un renvoi préjudiciel en tant que « juridiction » qui est en cause en l’espèce.

71.      La Commission admet qu’en principe l’implication d’un organe politique dans le processus de nomination des juges n’est pas, en soi, susceptible d’affecter l’indépendance ou l’impartialité des juges nommés (35). Elle souligne toutefois que l’apparence d’indépendance et d’impartialité est l’une des composantes de l’indépendance de la justice (36). En l’espèce, la Commission soutient que plusieurs éléments considérés conjointement ont créé une « rupture structurelle », à savoir une discontinuité structurelle résultant d’une pluralité de changements législatifs introduits de façon simultanée en Pologne, de sorte qu’il n’est plus possible d’écarter tout doute légitime quant à l’imperméabilité de la Chambre disciplinaire à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent.

72.      Selon la Commission, ces éléments incluent, premièrement, le fait que la Chambre disciplinaire a été créée ex nihilo, avec un statut distinct des autres chambres de la Cour suprême ; deuxièmement, le fait que, jusqu’au moment où tous les postes au sein de la Chambre disciplinaire auront été pourvus pour la première fois, seuls des juges nommés par le président de la République peuvent entrer dans la composition de la Chambre disciplinaire ; troisièmement, cette mesure fait partie d’un paquet législatif relatif à la réforme du système de la justice en Pologne ; quatrièmement, cette Chambre est compétente afin de statuer sur les litiges afférents au statut des juges, en ce compris leur retraite, et à des décisions adoptées dans des procédures disciplinaires à l’égard de juges – soit des aspects qui ont été substantiellement modifiés par ledit paquet législatif. Selon la Commission, les modifications apportées à la composition du CNM contribuent à cette rupture structurelle et l’arrêt rendu par le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), le 25 mars 2019 (K 12/18), est dénué de pertinence aux fins de l’appréciation de l’indépendance de la Chambre disciplinaire au titre du droit de l’Union.

3.      La seconde question dans l’affaire C585/18, la troisième question dans les affaires C624/18 et C625/18 et la déclaration de compétence en raison du fait que la Chambre disciplinaire ne constitue pas une juridiction indépendante

73.      Les requérants font valoir que la juridiction de renvoi devrait interpréter le droit national de façon à leur offrir la possibilité de faire examiner leurs litiges par une juridiction compétente.

74.      L’Autorité de surveillance AELE soutient qu’il est contraire au droit de l’Union et de l’EEE de laisser une problématique concernant ce droit entre les mains d’une juridiction qui ne répond pas aux critères d’indépendance établis par les juridictions européennes. Ainsi, selon cette Autorité, même si le fait qu’une juridiction se déclare compétente, dans une situation où la juridiction compétente n’est pas indépendante au sens du droit de l’Union et de l’EEE, peut excéder le comblement d’une lacune procédurale, cela peut se justifier en tant que solution temporaire lorsqu’une telle mesure s’impose pour la protection des droits conférés en vertu du droit de l’Union et de l’EEE (37).

75.      La Commission estime que la primauté du droit de l’Union exige que des dispositions de droit national conférant la compétence, dans un litige impliquant le droit de l’Union, à une juridiction qui ne satisfait pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité en vertu de l’article 19, paragraphe 1, TUE et de l’article 47 de la Charte, restent inappliquées. Elle juge que, à la lumière de l’importance du principe d’indépendance de la justice, la juridiction de renvoi doit écarter les dispositions qu’elle considère comme étant contraires à ce principe (38).

VI.    Analyse

A.      Aperçu de mon approche

76.      Je suis parvenu à la conclusion que les exigences d’indépendance des juges, énoncées à l’article 47 de la Charte, devraient être interprétées en ce sens qu’une chambre d’une juridiction nationale de dernière instance, telle que la Chambre disciplinaire, établie dans les circonstances prévalant dans le cadre de la procédure au principal, ne satisfait pas auxdites exigences. L’approche que j’emploierai afin de parvenir à cette conclusion est la suivante.

77.      Comme expliqué ci-dessous au point 84, j’en suis venu à considérer que la situation résultant du litige au principal constitue un cas de mise en œuvre de l’article 47 de la Charte par un État membre, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Par conséquent, stricto sensu, il n’est pas nécessaire que la Cour statue sur l’existence d’une violation, plus largement, de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. Cela étant dit, je procéderai à une appréciation relative à la violation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE dans la section D.4 des présentes conclusions, compte tenu du fait que cette disposition et la garantie de l’indépendance judiciaire qu’elle implique constituent une expression concrète de la valeur fondamentale de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE (39).

78.      J’envisage mon analyse de cette façon car, comme indiqué dans mes conclusions dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun) (C‑192/18), en principe, « une défaillance structurelle qui implique en outre une mise en œuvre du droit de l’Union par un État membre devra être examinée au regard des deux dispositions » (40).

79.      Enfin, une analyse de la protection offerte par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE se justifie également au regard du champ d’application matériel étendu que la Cour a conféré à cette disposition (voir point 87 des présentes conclusions).

80.      Mon raisonnement sera exposé en détail dans les sections C, D et E ci‑dessous, mais j’examinerai en premier lieu les objections d’ordre procédural formulées par les parties en l’espèce, dans la section B.

B.      La compétence de la Cour

81.      Je note que deux objections d’ordre procédural ont été formulées en l’espèce – la première, soutenant en substance que la situation dans l’affaire au principal ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, et la seconde, soutenant que les questions préjudicielles sont devenues sans objet. Ces deux objections semblent être corrélées à la compétence de la Cour, bien qu’elles soient présentées comme portant sur la recevabilité des renvois préjudiciels concernés (41).

1.      La situation dans la procédure au principal s’inscrit dans le champ d’application du droit de l’Union

82.      Selon moi, la situation dans la procédure au principal s’inscrit manifestement dans le champ d’application du droit de l’Union.

83.      Les parties requérantes au principal invoquent une violation de l’interdiction de la discrimination fondée sur l’âge, telle que protégée par la directive 2000/78. Afin d’obtenir l’exécution de cette demande, les requérants sont en droit d’accéder à une juridiction indépendante au titre de l’article 47 de la Charte(42).

84.      Il s’agit d’un « cas d’école » de situation « régie » par le droit de l’Union au sens de la jurisprudence de la Cour (43). Il existe un lien de nature matérielle entre la situation née en vertu du droit national et la mesure de droit de l’Union invoquée (44). Dès lors que les requérants ont cherché un recours auprès d’une juridiction indépendante aux fins de s’assurer de la mise en œuvre de la directive 2000/78 et plus particulièrement du droit à ne pas être discriminé en raison de son âge, protégé par cette directive, la procédure au principal concerne une situation dans laquelle un État membre met en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (45). Par conséquent, la procédure au principal tombe dans le champ d’application de l’article 47 de la Charte.

85.      J’effectuerai donc la partie principale de mon analyse sur la base de l’article 47 de la Charte. Cela étant dit, comme indiqué aux points 93 à 101 de mes conclusions dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun) (C‑192/18) (46), étant donné que l’article 47 de la Charte et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE partagent des sources juridiques communes et sont circonscrits par la matrice plus large des principes généraux du droit de l’Union, il existe une « passerelle constitutionnelle » entre ces deux dispositions et la jurisprudence portant sur celles-ci se recoupe inévitablement (47). C’est cette jurisprudence que j’invoquerai à l’appui de mon analyse.

86.      En outre, la situation dans les affaires au principal s’inscrit dans le champ d’application matériel de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

87.      Dans son arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18) (48), la Cour a confirmé que, s’agissant du champ d’application matériel de l’article 19, paragraphe 1, TUE, cette disposition renvoie aux « domaines couverts par le droit de l’Union », indépendamment de la question de savoir si les États membres mettent en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Par conséquent, dès lors qu’un organe, tel que la Cour suprême, peut être appelé à statuer sur des questions relatives à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union et, en tant que « juridiction » définie par le droit de l’Union, fait partie du système judiciaire de l’État membre concerné dans les domaines couverts par le droit de l’Union, cet État membre est tenu, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de garantir qu’un tel organe répond aux exigences d’une protection juridictionnelle effective, en ce compris l’exigence d’indépendance de la justice, qui est inhérente à la fonction de juger et qui relève du « contenu essentiel » du droit à une protection juridictionnelle effective.

88.      Enfin, ainsi que la Cour l’a établi dans son arrêt N. S. e.a. (49), le protocole no 30 ne remet pas en question l’applicabilité de la Charte en Pologne, de sorte que l’article 47 de la Charte n’est pas exclu dans la procédure au principal. En outre, le protocole no 30 concerne la Charte et ne recouvre pas l’article 19, paragraphe 1, TUE, pour autant qu’il soit applicable (50). À ce titre, je l’exclus de mon analyse afférente à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, figurant dans la section D.4 ci-dessous.

89.      À la lumière de ce qui précède, l’objection d’ordre procédural selon laquelle la situation dans la procédure au principal ne relèverait pas du champ d’application du droit de l’Union doit être rejetée.

2.      La nécessité pour la Cour de statuer

90.      Selon moi, à l’exception de la première question dans les affaires C‑624/18 et C‑625/18, ainsi que du non-fonctionnement de la Chambre disciplinaire en pratique, les questions préjudicielles posées ne sont pas dénuées d’objet.

91.      Selon une jurisprudence constante, il découle à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose qu’un litige soit effectivement pendant devant la juridiction de renvoi, dans le cadre duquel elle est appelée à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt de la Cour (51). En effet, la justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un contentieux (52). Bien que la Cour s’appuie dans la mesure du possible sur l’appréciation faite par les juridictions nationales quant à la nécessité des questions préjudicielles, elle se doit d’être en mesure de procéder à toute appréciation inhérente à l’exercice de ses propres fonctions, en particulier afin de déterminer si elle est compétente (53).

92.      Par conséquent, dans le contexte de l’article 267 TFUE, la Cour juge qu’une question préjudicielle devient sans objet et, à ce titre, qu’il n’est plus nécessaire de statuer (54) généralement lorsque, au cours de la procédure, un changement se produit quant au cadre juridique et/ou factuel afférent à la substance des questions préjudicielles posées – comme lorsque la législation en cause n’est plus applicable ou lorsque l’on a statué sur les demandes des requérants, de sorte que la réponse de la Cour auxdites questions n’est plus nécessaire pour permettre à la juridiction de renvoi de prononcer une décision dans l’affaire au principal (55).

93.      À ce titre, en l’espèce, je suis en accord avec le gouvernement polonais et avec la Commission pour affirmer que la première question dans les affaires C‑624/18 et C‑625/18 est devenue sans objet, en raison du changement du cadre factuel formant la base de cette question. Il n’est pas contesté que, postérieurement au prononcé des ordonnances de renvoi, les juges de la Chambre disciplinaire ont bien été nommés par le président de la République le 20 septembre 2018 ; cette Chambre est opérationnelle et elle exerce ses fonctions juridictionnelles. Je souligne également que la juridiction de renvoi avait relevé que cette question pourrait devenir sans objet pour ces motifs (voir point 38 des présentes conclusions).

94.      Dans ces circonstances, la Cour devrait estimer qu’il n’est plus nécessaire de répondre à la première question dans les affaires C‑624/18 et C‑625/18, dès lors que sa réponse à cette question serait superflue. Je souligne toutefois que cela ne préjudicie aucunement le pouvoir de la juridiction de renvoi de se déclarer compétente dans la procédure au principal, sur la base de ma réponse à la seconde question dans l’affaire C‑585/18 et à la troisième dans les affaires C‑624/18 et C‑625/18, ni la saisine qui doit nécessairement découler, pour la juridiction de renvoi, de ma conclusion selon laquelle la Chambre disciplinaire ne constitue pas une juridiction indépendante (voir section E des présentes conclusions).

95.      Les autres questions posées par la juridiction de renvoi – soit les première et seconde questions dans l’affaire C‑585/18 et les deuxième et troisième questions dans les affaires C‑624/18 et C‑625/18 – ne sont toutefois pas devenues sans objet.

96.      À cet égard, par décision de la Cour, une demande a été adressée à la juridiction de renvoi, portant sur le point de savoir si, à la lumière de l’entrée en vigueur de la loi du 21 novembre 2018 et des affirmations du gouvernement polonais selon lesquelles cette loi aurait pour conséquence qu’il ne serait plus nécessaire pour la Cour de statuer en l’espèce, elle jugeait qu’une réponse aux questions posées à la Cour dans ces affaires restait nécessaire pour lui permettre de statuer sur les litiges au principal.

97.      Dans sa réponse à cette demande, datant du 25 janvier 2019, la juridiction de renvoi a confirmé qu’une réponse aux questions posées demeurait nécessaire pour lui permettre de statuer. En particulier, elle a indiqué, premièrement, que ces questions concernent des problèmes non traités par la loi du 21 novembre 2018 ; deuxièmement, que cette loi n’abroge pas rétroactivement les mesures nationales litigieuses ni leurs effets juridiques ; troisièmement, que l’article 4 de ladite loi limite la possibilité d’obtenir des réponses aux questions posées et ne peut pas être utilisé comme fondement légal pour clore les procédures.

98.      Dans ces circonstances, il ne va pas de soi que l’interprétation du droit de l’Union requise par la juridiction de renvoi ne soit pas nécessaire pour résoudre les litiges dont elle est saisie. Ainsi que la juridiction de renvoi l’a confirmé dans sa réponse, elle est saisie de litiges réels, qui ne peuvent être remis en cause par les parties au principal (56) et la réponse de la Cour aidera la juridiction de renvoi à déterminer la juridiction compétente pour connaître de ces litiges (57).

99.      En sus, je souligne que la jurisprudence invoquée par le gouvernement polonais (voir point 52 des présentes conclusions) diffère des présentes affaires. Dans cette jurisprudence, les changements concernés affectaient la substance des questions préjudicielles posées (58). En l’espèce, les questions posées par la juridiction de renvoi ne sont pas résolues par la loi du 21 novembre 2018, étant donné que cette loi ne porte pas sur les règles régissant la Chambre disciplinaire ou la composition du CNM. En d’autres termes, ces règles sont toujours en vigueur.

100. S’agissant des prétendus effets des articles 2 et 4 de la loi du 21 novembre 2018 sur les litiges au principal, il convient aussi de garder à l’esprit que, dans le cadre de l’article 267 TFUE, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur des questions de droit national ni de vérifier si la décision de renvoi a été prise conformément aux règles nationales d’organisation et de procédure judiciaires (59). Les juridictions nationales statuant en dernière instance, telles que la juridiction de renvoi, sont en principe tenues de renvoyer à la Cour les questions d’interprétation du droit de l’Union, en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE et des règles de droit national ne peuvent interférer dans cette obligation (60).

101. Pour les raisons exposées ci-dessus, il est nécessaire que la Cour statue sur les première et seconde questions dans l’affaire C‑585/18 et sur les deuxième et troisième questions dans les affaires C‑624/18 et C‑625/18 ; les objections procédurales selon lesquelles ces questions seraient devenues sans objet devraient être rejetées.

C.      La première question dans les affaires C624/18 et C625/18 et le non-fonctionnement de la Chambre disciplinaire en pratique

102. Si la Cour devait décider de ne pas retenir mon analyse suivant laquelle cette question est devenue sans objet, les observations suivantes visent à répondre brièvement, à titre alternatif, à ladite question.

103. Cette question porte essentiellement sur le point de savoir si le droit de l’Union confère à la juridiction de renvoi le pouvoir de statuer sur les litiges au principal dès lors que, à l’époque où les requérants ont cherché à faire valoir leurs droits au regard d’une discrimination fondée sur l’âge au titre de la directive 2000/78, la juridiction désignée aux fins de faire respecter ces droits n’avait, en pratique, pas encore été établie.

104. La réponse à cette question est positive, pour les motifs suivants.

105. Premièrement, dans l’arrêt Unibet (61), la Cour a jugé que les États membres n’étaient tenus de créer de nouvelles voies de recours en droit national, pour permettre aux particuliers de faire valoir les droits qu’ils tirent du droit de l’Union, que lorsqu’il n’en existe aucune. Il ne semble pas y avoir de contestation quant au fait que tel était le cas en l’espèce, puisque la Chambre disciplinaire ne fonctionnait pas, au motif que ses juges n’avaient pas encore été nommés. La juridiction de renvoi analyse ce problème en se référant à l’obligation imposée aux cours et tribunaux nationaux, selon la jurisprudence, de laisser inappliquées les règles de droit national contraires au droit de l’Union, afin d’assurer à ce dernier une pleine effectivité (62). Il suffit de dire que cet impératif contribue à conforter l’arrêt prononcé par la Cour dans l’affaire Unibet.

106. En outre, l’article 47 de la Charte, tel que renforcé par l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/78 (63), garantit le droit d’accès à une juridiction (64). En examinant les recours formés par les requérants au principal, la juridiction de renvoi garantit un tel accès.

D.      La première question dans l’affaire C585/18, la deuxième question dans les affaires C624/18 et C625/18 et l’indépendance de la Chambre disciplinaire

1.      Fonctionnement de l’article 47 de la Charte

107. Comme expliqué ci-dessus, la situation dans la procédure au principal est un cas de mise en œuvre du droit de l’Union par un État membre au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte et, par conséquent, elle doit être appréciée à la lumière de l’article 47 de celle‑ci. Cependant, la jurisprudence relative à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE se recoupe inévitablement avec celle relative à l’article 47 de la Charte (voir point 85 des présentes conclusions). Les lignes directrices formulées par les organes européens et internationaux, reflétant les principes qui sont partagés par les États membres quant à l’indépendance des magistrats, fournissent également un point de référence utile (65). Telles sont les sources sur lesquelles je m’appuierai afin de déterminer si les mesures en cause au principal sont conformes aux exigences d’indépendance de la justice au titre du droit de l’Union.

108. Étant donné que la situation dans les affaires au principal doit faire l’objet d’une décision fondée sur l’article 47 de la Charte, il importe de rappeler les dispositions de la Charte qui sont pertinentes pour son fonctionnement. Le second alinéa de l’article 47 de la Charte correspond à l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), portant sur le droit à un procès équitable. Conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, le sens et la portée de cette disposition de la Charte doivent être les mêmes (ou plus étendus) que ceux que lui confère la disposition correspondante de la CEDH, tels que définis par le texte de la CEDH et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH ») (66). Au titre de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte et des explications afférentes à l’article 47 de celle-ci, le droit de l’Union doit fournir le « seuil de protection minimale » garanti en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, s’agissant du droit à un tribunal indépendant et impartial, à la lumière de la jurisprudence de la Cour EDH (67).

109. Enfin, s’agissant des arguments formulés par le gouvernement polonais, l’interprétation de l’article 267 TFUE ne semble pas nécessaire pour l’issue des litiges au principal, étant donné que l’on n’a formulé aucune question qui nécessiterait que la Cour se prononce sur le point de savoir, notamment, si un organe donné s’inscrit dans le cadre de la notion de « juridiction » aux fins de l’article 267 TFUE ou de savoir si une juridiction nationale a le droit ou l’obligation de procéder à un renvoi préjudiciel en vertu de cette disposition.

110. Si la Cour a récemment observé dans sa jurisprudence que « [l]’indépendance des juridictions nationales est, en particulier, essentielle au bon fonctionnement du système de coopération judiciaire qu’incarne le mécanisme de renvoi préjudiciel prévu à l’article 267 TFUE » et que ce mécanisme « ne peut être activé que par une instance, chargée d’appliquer le droit de l’Union, qui répond, notamment, à ce critère d’indépendance » (68), la Cour ne suggérait aucunement que les sources régissant cette indépendance devraient être trouvées uniquement dans la jurisprudence élaborée à la lumière de l’article 267 TFUE.

111. En outre, l’appréciation faite par la Cour quant au critère d’indépendance, lorsqu’elle détermine si un organe répond aux critères de la « juridiction » pour pouvoir former un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, constitue un exercice qualitativement différent de l’appréciation portant sur le point de savoir si les exigences d’indépendance de la justice ont été respectées, au titre de l’article 47 de la Charte, ainsi qu’au titre de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE (69).

112. Dans le cadre du mécanisme de renvoi préjudiciel institué par l’article 267 TFUE, la Cour examine une question liée à la procédure dont elle est saisie, concernant les organes habilités à former des renvois préjudiciels, et qui est corrélée aux objectifs sous-jacents au mécanisme susvisé, consistant à établir un dialogue entre la Cour et les juridictions nationales et à assurer l’interprétation uniforme du droit de l’Union (70).

113. Dans le cadre de l’article 47 de la Charte, ainsi que de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, la Cour procède à une appréciation matérielle sur le point de savoir si, en particulier, la mesure en cause met à mal l’indépendance de la justice, à la lumière des exigences que ces dispositions énoncent.

114. Le plus important, ainsi que je l’ai relevé ci-dessus, en raison de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, est que le droit de l’Union garantit l’indépendance des juges, au minimum, suivant la norme qui a été établie à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH (voir point 108 des présentes conclusions). Cela étant, si la jurisprudence élaborée par la Cour quant au critère d’indépendance en vertu de l’article 267 TFUE (dans le cadre de l’appréciation portant sur le point de savoir si un organe donné peut former un renvoi préjudiciel devant la Cour) devait ne pas correspondre au « seuil de protection minimale » garanti par ledit article 6, paragraphe 1, de la CEDH (71), ladite jurisprudence devrait, en tout état de cause, être relevée au niveau de cette norme.

2.      Le contenu de la garantie d’indépendance des juges en droit de l’Union

115. Il est utile de rappeler que la Cour a reconnu que l’article 47 de la Charte réaffirme le principe de protection juridictionnelle effective, qui est un principe général de droit de l’Union découlant des traditions constitutionnelles communes aux États membres et consacré par les articles 6 et 13 de la CEDH (72) et à travers lequel l’État de droit, en tant que valeur de l’Union conformément à l’article 2 TUE, est protégé (73). Le contenu de la garantie d’indépendance des juges en droit de l’Union est le suivant.

116. Premièrement, selon la jurisprudence de la Cour, les « garanties d’indépendance et d’impartialité postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l’instance, la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes d’abstention, de récusation et de révocation de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de ladite instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent » (74).

117. La Cour a également jugé que l’exigence d’indépendance des juges implique que le régime disciplinaire de ceux qui ont pour tâche de juger présente les garanties nécessaires afin d’éviter tout risque d’utilisation d’un tel régime en tant que système de contrôle politique du contenu des décisions judiciaires. À cet égard, l’édiction de règles qui définissent, notamment, tant les comportements constitutifs d’infractions disciplinaires que les sanctions concrètement applicables, qui prévoient l’intervention d’une instance indépendante conformément à une procédure qui garantit pleinement les droits consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte, notamment les droits de la défense, et qui consacrent la possibilité de contester en justice les décisions des organes disciplinaires constitue un ensemble de garanties essentielles aux fins de la préservation de l’indépendance du pouvoir judiciaire (75).

118. Sur cette base, les mesures relatives à la nomination des juges et au régime disciplinaire applicable aux juges sont des aspects importants des garanties d’indépendance de la magistrature en droit de l’Union, et l’existence d’un organe indépendant dans le contexte dudit régime disciplinaire fait partie de ces garanties. Il convient donc de considérer que, même si un organe chargé de sélectionner les juges, tel que le CNM, n’exerce pas lui-même une fonction juridictionnelle, les règles portant notamment sur sa composition et son fonctionnement, dans la mesure où elles ont une incidence sur ces aspects, peuvent être prises en compte aux fins d’apprécier si une juridiction nationale (ledit organe jouant un rôle substantiel dans la sélection des membres de ladite juridiction) offre des garanties d’indépendance suffisantes à la lumière de l’article 47 de la Charte.

119. Selon une jurisprudence constante de la Cour EDH, pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant » aux fins de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance (76).

120. Ainsi que je l’ai relevé dans mes conclusions dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18) et dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun) (C‑192/18) (77), l’indépendance et l’impartialité d’un juge au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH impliquent une appréciation objective sur le point de savoir si le tribunal concerné offre des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité. Les apparences peuvent revêtir de l’importance, de sorte qu’« il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu’elle le soit au vu et au su de tous ». Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer au justiciable. De plus, pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, de raisons légitimes de redouter que l’apparence d’indépendance objective n’est pas assurée, la Cour EDH a estimé que l’élément déterminant consistait à savoir si cette crainte était objectivement justifiée (78).

121. Dans sa jurisprudence relative à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, la Cour EDH a pris en considération le mode de désignation des membres judiciaires appelés à siéger dans les conseils de la magistrature ou dans des organes analogues, en appréciant le point de savoir si un organe donné est indépendant. Par exemple, dans son arrêt Denisov c. Ukraine (79), la Cour EDH a souligné que, compte tenu de l’importance qu’il y avait à réduire l’influence des organes politiques sur la composition de l’organe concerné, il était pertinent d’apprécier la manière dont les juges étaient désignés dans cet organe, eu égard aux autorités qui procédaient aux désignations et au rôle du corps judiciaire dans ce cadre. Sur cette base, la Cour EDH a jugé que la composition de l’organe concerné faisait apparaître un certain nombre de lacunes structurelles qui en compromettaient l’indépendance et l’impartialité au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. En particulier, elle a tenu compte du fait que cet organe se composait en majorité de membres non judiciaires désignés directement par les autorités exécutives et législatives, que le nombre de membres judiciaires élus par leurs pairs était limité et que les autorités exécutives en étaient membres de plein droit.

122. En outre, dans l’affaire Ástráðsson c. Islande (80), la Cour EDH a constaté l’existence d’une atteinte manifeste aux règles nationales applicables quant à la nomination des juges, dans une situation où les autres branches, en particulier l’exécutif, exerçaient un pouvoir indûment discrétionnaire, qui mettait en péril l’intégrité du processus de nomination en violation de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. À cet égard, la Cour EDH a souligné que le cadre législatif national visait à préserver l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport à la branche exécutive et à minimiser le risque que des intérêts politiques partisans influencent indûment ce processus. La Cour EDH a conclu que ce processus se faisait au détriment de la confiance que le pouvoir judiciaire doit inspirer au public dans une société démocratique et contrevenait à l’axiome fondamental de l’État de droit, selon lequel un tribunal doit être établi par la loi.

123. Sur ce fondement, j’observe que, même si les circonstances sont différentes de celles de l’espèce, la jurisprudence de la Cour EDH quant à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, évoquée ci-dessus, tient compte de l’apparence d’indépendance, ainsi que de la composition des conseils de la magistrature et des organes analogues dans son appréciation de l’indépendance, à l’aune de cette disposition.

124. Par ailleurs, ainsi qu’en témoignent de récentes études (81), les conseils de la magistrature et les organes analogues jouent un rôle essentiel dans la garantie de l’indépendance et de l’autonomie du pouvoir judiciaire dans beaucoup d’États membres, mais pas dans tous. Bien qu’il n’existe pas de modèle uniforme pour les conseils de la magistrature, l’on considère que ceux-ci ont certains attributs communs, relatifs à leur mission de sauvegarde de l’indépendance des juges et à leur fonctionnement au sein des systèmes judiciaires de leurs ordres juridiques respectifs, afin de maintenir le respect de l’État de droit et des droits fondamentaux.

125. Selon les lignes directrices européennes et internationales, je note que ces attributs communs incluent les aspects suivants. Premièrement, la mission de ces conseils est de sauvegarder l’indépendance des juges et des juridictions – ce qui signifie qu’ils doivent être libres de toute influence des autorités législatives et exécutives (82).

126. Deuxièmement, il n’y a pas de modèle unique qu’un État devrait suivre en établissant un conseil de la magistrature, pour autant que sa composition garantisse l’indépendance dudit conseil et lui permette de fonctionner de façon effective (83). En particulier, les conseils de la magistrature devraient en principe être composés d’au moins une majorité de juges élus par leurs pairs, afin d’éviter les manipulations ou les pressions abusives (84). La procédure de sélection devrait être réalisée d’une façon objective et transparente, garantissant une large représentation du pouvoir judiciaire à tous les niveaux et décourageant l’implication des autorités exécutives et législatives dans le processus de sélection (85).

127. Troisièmement, afin de garantir la continuité de leurs fonctions, les mandats des membres des conseils de la magistrature ne devraient pas être remplacés simultanément ou renouvelés à la suite des élections parlementaires (86).

128. Quatrièmement, la sélection, la nomination et/ou la promotion des juges relèvent des fonctions les plus largement reconnues desdits conseils de la magistrature et ces procédures doivent être effectuées par des conseils de la magistrature indépendants des autorités exécutives et législatives (87).

129. Par conséquent, l’on peut considérer que les dispositions qui régissent la composition, les mandats et les fonctions des conseils de la magistrature sont guidées par l’objectif primordial d’assurer leur rôle, qui consiste à sauvegarder l’indépendance des juges et, ainsi, à éviter l’influence des autorités législatives et exécutives en lien, notamment, avec la nomination de leurs membres. À mon sens, si les États membres sont libres de choisir s’ils mettent en place un conseil de la magistrature ou un organe analogue, si un tel organe est établi, son indépendance doit être garantie à suffisance, entre autres, par de telles dispositions.

3.      Application aux circonstances de la procédure au principal

130. À la lumière des considérations qui précèdent, je considère que la Chambre disciplinaire, qui fait l’objet de la procédure au principal, ne satisfait pas aux exigences d’indépendance énoncées à l’article 47 de la Charte.

131. Je note que le CNM est un organe dont la mission est de veiller à l’indépendance des juridictions et des juges en vertu de la Constitution polonaise et que ses fonctions comportent la sélection des juges de la Cour suprême, en ce compris de la Chambre disciplinaire, devant être nommés par le président de la République (voir points 16 et 19 des présentes conclusions). Ainsi, cet organe doit être exempt d’influences des autorités législatives et exécutives afin de pouvoir dûment exécuter ses missions.

132. Cependant, le mode de désignation des membres du CNM révèle en soi des déficiences qui paraissent susceptibles de compromettre son indépendance par rapport aux autorités législatives et exécutives. En premier lieu, ce constat s’appuie sur le fait que, selon l’article 9 bis de la loi sur le CNM (voir point 22 des présentes conclusions), les quinze membres judiciaires du CNM ne sont plus désignés par les juges, mais par la Diète. Cela signifie que le CNM est composé d’une majorité de vingt-trois membres sur vingt-cinq provenant des autorités législatives et exécutives (88).

133. En outre, en vertu de l’article 11 bis, paragraphe 2 de la loi sur le CNM, les candidats aux postes de membres judiciaires du CNM peuvent être proposés par des groupes d’au moins deux mille citoyens polonais ou vingt-cinq juges. Selon l’article 11 quinquies de la loi sur le CNM, l’élection des membres du CNM est effectuée par la Diète, à la majorité des trois cinquième des votes exprimés, en présence d’au moins la moitié des députés habilités à voter (voir points 24 et 25 des présentes conclusions).

134. À ce titre, l’on peut considérer que le mode de désignation des membres du CNM implique une influence des autorités législatives sur le CNM et l’on ne peut exclure que la Diète choisisse des candidats jouissant de peu ou d’aucun soutien de la part des juges, de sorte que l’opinion de la communauté judiciaire pourrait avoir un poids insuffisant dans le processus d’élection des membres du CNM (89). Indépendamment des objectifs allégués d’accroissement de la légitimité démocratique et de la représentativité du CNM, un tel dispositif est de nature à affecter défavorablement l’indépendance de celui-ci (90).

135. Il convient également de garder à l’esprit que les modifications apportées au mode de désignation des membres judiciaires du CNM étaient accompagnées d’une révocation prématurée des mandats des membres du CNM. Il n’est guère contesté que la loi sur le CNM prévoit une révocation anticipée des membres judiciaires du CNM au moment de l’élection de ses nouveaux membres (voir points 22 et 26 des présentes conclusions). Nonobstant l’objectif affiché, consistant à uniformiser les mandats des membres du CNM, le remplacement immédiat desdits membres existants du CNM, combiné avec le nouveau régime de nomination au sein du CNM, peut être considéré comme une entrave de plus à l’indépendance du CNM par rapport aux autorités législatives et exécutives (91).

136. L’arrêt du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), du 25 mars 2019 (K 12/18) (92), n’invalide pas mon analyse. Dans cet arrêt, ladite Cour a jugé, de prime abord, que l’article 9 bis de la loi sur le CNM (voir point 22 des présentes conclusions), portant sur le mode de désignation des membres judiciaires du CNM par la Diète, est conforme par rapport à plusieurs dispositions de la Constitution polonaise et, en second lieu, que l’article 44, paragraphe 1 bis, de la loi sur le CNM (voir point 28 des présentes conclusions), qui porte sur le contrôle juridictionnel des décisions individuelles négatives du CNM sur la sélection des juges, n’est pas conforme à l’article 184 de la Constitution polonaise. Ledit arrêt ne comporte pas d’éléments qui seraient pertinents quant aux exigences d’indépendance de la Chambre disciplinaire au titre du droit de l’Union et, en tout état de cause, il n’a pas pour effet d’écarter, ipso facto, toutes les circonstances contribuant à affaiblir l’indépendance du CNM, comme exposé ci-dessus.

137. Sur cette base, compte tenu du fait que les conseils de la justice sont cruciaux pour garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire dans les pays où ils sont établis et que ces conseils doivent eux-mêmes être indépendants et libres de toute interférence des autorités législatives et exécutives dans l’exécution de leurs missions, le rôle du CNM dans la sélection des juges de la Chambre disciplinaire m’amène à considérer qu’une telle chambre ne présente pas de garanties d’indépendance suffisantes à la lumière de l’article 47 de la Charte. Il y a des raisons légitimes de mettre objectivement en doute l’indépendance de la Chambre disciplinaire, à la lumière du rôle des autorités législatives dans l’élection des 15 membres judiciaires du CNM et du rôle que cet organe exerce dans la sélection des juges susceptibles d’être nommés au sein de la Cour suprême par le président de la République. Ces doutes ne peuvent être dissipés par le rôle consultatif (techniquement parlant) du CNM dans ce processus.

138. De plus, comme indiqué par les parties requérantes, l’Autorité de surveillance AELE et la Commission, il y a une série de considérations liées à la sélection des juges de la Chambre disciplinaire dont il faudrait tenir compte, en combinaison avec les modifications apportées au mode de désignation des membres judiciaires du CNM.

139. En particulier, il n’est pas contesté que, premièrement, jusqu’au moment où tous les postes au sein de la Chambre disciplinaire auront été pourvus pour la première fois, les juges de cette Chambre sont nommés par le président de la République (voir point 18 des présentes conclusions) ; deuxièmement, la Chambre disciplinaire est régie, à un certain degré, par des dispositions spéciales qui la distinguent des autres chambres de la Cour suprême, comme l’article 20 de la loi de 2017 sur la Cour suprême, qui prévoit que les fonctions du premier président de la Cour suprême soient exercées par le président de la Chambre disciplinaire, à l’égard des juges siégeant au sein de ladite Chambre (voir point 14 des présentes conclusions) ; troisièmement, les dispositions relatives à la Chambre disciplinaire ont été introduites en tant qu’éléments du paquet législatif de mesures portant sur la réforme du système judiciaire polonais (voir point 1 des présentes conclusions) ; enfin, quatrièmement, la Chambre disciplinaire est chargée de statuer sur les litiges portant, notamment, sur la mise à la retraite des juges de la Cour suprême et les procédures disciplinaires à l’égard des juges, qui sont deux aspects concernés par ce paquet de mesures (voir points 15 et 17 des présentes conclusions) (93). En effet, la loi modificative de 2017 sur le CNM est entrée en vigueur près de trois mois après la loi de 2017 sur la Cour suprême (voir points 11 et 21 des présentes conclusions), conférant au CNM un tel rôle dans la sélection des juges susceptibles d’être nommés au sein de la Chambre disciplinaire par le président de la République.

140. À cet égard, je note que, dans sa résolution exprimant sa position en l’espèce (94), la Chambre disciplinaire souligne notamment le fait que la nomination des juges est une prérogative constitutionnelle du président de la République, exercée en coopération avec le CNM, et que ladite Chambre disciplinaire satisfait au prescrit de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, dès lors qu’elle est établie par la loi et que les dispositions relatives à son statut, sa compétence, ainsi qu’à son organisation interne garantissent l’indépendance et l’impartialité de ladite Chambre et de ses juges. Elle soutient que l’indépendance et l’impartialité des juges de la Chambre disciplinaire sont assurées, en particulier, par les dispositions relatives à la récusation des juges et qu’elles doivent être appréciées à la lumière d’une situation factuelle concrète.

141. Indépendamment des arguments avancés par le procureur général et par le gouvernement polonais, ainsi que par la Chambre disciplinaire, concernant la prérogative constitutionnelle du président aux fins de la nomination des juges et concernant les garanties formelles d’indépendance applicables à la Chambre disciplinaire, ces arguments ne suffisent pas à éliminer l’impression d’absence d’indépendance objective de celle-ci, lorsqu’on examine celle-ci à l’aune des considérations formulées aux points 132 à 135 et 139 des présentes conclusions.

142. En outre, la situation résultant de la procédure au principal crée une impression amplifiée d’absence d’indépendance, compte tenu du fait que les parties requérantes sollicitent l’intervention d’une juridiction indépendante et impartiale pour remédier à une violation alléguée des protections afférentes à leur inamovibilité et à leur indépendance. S’agissant du requérant dans l’affaire C‑585/18, les dispositions en place semblent contraires au principe de l’égalité des armes (95). Tel est le cas parce que le requérant a reçu un avis négatif du CNM et, en même temps, ledit CNM joue un rôle dans la composition de la Chambre disciplinaire, à savoir la juridiction devant laquelle le requérant peut former un recours en droit polonais. Cela semble problématique du point de vue de l’égalité des armes, à la lumière de la conclusion à laquelle j’ai abouti quant aux manquements, en termes d’indépendance, de la Chambre disciplinaire, ceux-ci résultant de la manière dont les membres du CNM sont désignés.

143. Je voudrais souligner, toutefois, que rien de tout cela ne signifie que les exigences d’indépendance des juges devraient être interprétées comme empêchant les États membres de procéder à des réformes appropriées quant à leurs régimes concernant, notamment, la sélection des juges et la composition de leurs conseils de la magistrature ou d’organes analogues, mais plutôt que lesdits États doivent réaliser ces réformes tout en respectant leurs obligations au titre du droit de l’Union, en ce compris l’obligation d’assurer l’indépendance de leurs juridictions, conformément à l’article 47 de la Charte.

144. Cela étant dit, les arguments avancés par le procureur général et par le gouvernement polonais, fondés sur de prétendues analogies entre les solutions adoptées en Pologne et celles existant dans d’autres États membres ne sont guère convaincants. Comme l’indiquent les requérants, les présentes affaires portent sur la situation en Pologne, en tenant compte en particulier des considérations évoquées aux points 132 à 135 et 139 des présentes conclusions (96). Il conviendrait peut-être de souligner aussi qu’il n’y a pas « deux poids, deux mesures » parmi les États membres dans ce contexte, puisque aucune mesure nationale portant atteinte à l’indépendance de la justice au titre de l’article 47 de la Charte ne devrait être tolérée dans l’ordre juridique de l’Union.

4.      Appréciation sous l’angle de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE

145. Outre la violation de l’article 47 de la Charte, la violation des exigences d’indépendance de la justice dans les circonstances des affaires au principal constitue-t-elle une défaillance structurelle ou généralisée, portant atteinte au contenu essentiel de l’indépendance de la justice aux fins de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE (97), violant ainsi plus largement l’État de droit, tel que protégé par l’article 2 TUE (98) ?

146. Dans mes conclusions dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18) (99), j’ai défendu le point de vue selon lequel les mesures nationales abaissant l’âge de la retraite des juges de la Cour suprême, sans garanties appropriées pour protéger la règle de leur inamovibilité et pour préserver leur indépendance, constituaient en substance une telle défaillance structurelle, affectant ainsi toute une fraction des juges de la Cour suprême. Dans mes conclusions dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun) (C‑192/18) (100), je suis parvenu à la même conclusion quant aux mesures abaissant l’âge de la retraite des juges des juridictions de droit commun, affectant ainsi la totalité du segment du pouvoir judiciaire polonais concerné. Ces deux réformes ont affecté la structure du pouvoir judiciaire polonais de façon généralisée.

147. Je note que, dans son arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18) (101), la Cour semble ne pas s’être prononcée sur la gravité de la violation des règles protégeant l’inamovibilité et l’indépendance des juges dans le contexte de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. Cet arrêt ne comporte aucune mention d’une violation structurelle ou généralisée de ces règles (102).

148. Je suis parvenu à la conclusion que, en tout état de cause, les circonstances entourant la procédure au principal constituaient une violation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

149. J’aboutis à cette conclusion, principalement, car la législation polonaise instaurant une nouvelle chambre de la Cour suprême, en l’occurrence la Chambre disciplinaire, afin d’examiner les recours formés par les juges de la Cour suprême qui ont été mis à la retraite de façon anticipée et illégale, au titre de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, est intimement liée aux problèmes évoqués dans mes conclusions dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18) et qui ont affecté la Cour suprême de façon générale. Dans son arrêt du 24 juin 2019 dans cette même affaire (103), la Cour a jugé que les mesures concernées violaient l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE (voir point 2 des présentes conclusions).

150. Le CNM a un rôle important à jouer dans la nomination des juges de cette nouvelle chambre – un rôle qui, après un examen approfondi, semble aller à l’encontre des lignes directrices européennes et internationales portant sur l’indépendance de tels organes à l’égard des autorités législatives et exécutives (voir points 124 à 135 des présentes conclusions). Cela ouvre la voie à un très haut degré d’influence des autorités politiques sur la nomination des juges de la Cour suprême, qui affecte la structure du pouvoir judiciaire polonais de façon généralisée.

151. En outre, c’est cette nouvelle Chambre disciplinaire qui statue sur les litiges impliquant les juges affectés par les mesures que la Cour a récemment qualifiées de contraires à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ainsi que l’on vient de le mentionner (voir point 149 des présentes conclusions). Compte tenu du calendrier des nouvelles mesures portant sur l’élection des membres judiciaires du CNM et du rôle que cet organe joue afin de déterminer qui est nommé au sein de la Chambre disciplinaire, cela met potentiellement en péril la possibilité pour les juges de la Cour suprême ayant atteint le nouvel âge de départ à la retraite de bénéficier d’un procès équitable, devant une juridiction indépendante, en vue de contester les mesures prises à leur détriment.

152. À ce titre, compte tenu de la proximité entre le problème soulevé en l’espèce et celui que j’ai examiné dans mes conclusions dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18), il convient de considérer ce problème comme étant structurel et généralisé et comme touchant à « l’essence » de l’indépendance judiciaire garantie en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

E.      La seconde question dans l’affaire C585/18, la troisième question dans les affaires C624/18 et C625/18 et la déclaration de compétence motivée par le fait que la Chambre disciplinaire ne constitue pas une juridiction indépendante

153. Si la Cour estime qu’une chambre d’une juridiction nationale de dernière instance, telle que la Chambre disciplinaire dans l’affaire au principal, ne répond pas aux exigences d’indépendance de la justice énoncées par le droit de l’Union, la juridiction de renvoi souhaite savoir si une autre juridiction nationale, comme elle-même, est tenue, en vertu du droit de l’Union, de laisser inappliquées les dispositions de droit national qui font obstacle à sa compétence aux fins de statuer sur les litiges concernés.

154. La réponse à cette question est affirmative, pour les raisons que j’exposerai ci-dessous.

155. En vertu d’une jurisprudence constante, la primauté du droit de l’Union exige que les juridictions nationales chargées d’appliquer, dans le cadre de leurs compétences, les dispositions du droit de l’Union aient l’obligation d’assurer le plein effet de ces dispositions en laissant au besoin inappliquée, de leur propre autorité, toute disposition nationale contraire, en ce compris des règles d’ordre procédural, sans demander ni attendre l’élimination préalable de cette disposition nationale par la voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (104). Les juridictions nationales sont tenues en particulier d’assurer, dans le cadre de leurs compétences, la protection juridictionnelle découlant de l’article 47 de la Charte et de garantir le plein effet de cet article en laissant au besoin inappliquée toute disposition nationale contraire (105).

156. Il découle de ce qui précède que, en l’espèce, les dispositions de droit national conférant la compétence, pour statuer sur un litige qui implique le droit de l’Union, à une chambre d’une juridiction nationale de dernière instance qui ne satisfait pas aux exigences d’indépendance de la justice énoncées par l’article 47 de la Charte et/ou par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doivent être laissées inappliquées. Ainsi que la Commission l’a indiqué, à la lumière de l’importance que revêt l’indépendance judiciaire afin d’assurer une protection juridictionnelle effective aux justiciables en droit de l’Union, une autre chambre d’une juridiction nationale de dernière instance, telle que la juridiction de renvoi, se doit d’être en mesure de laisser inappliquées, de sa propre initiative, les dispositions de droit national qui sont incompatibles avec ce principe. Les juridictions nationales sont tenues d’offrir une voie de recours effective afin de mettre en œuvre le droit de l’Union, lorsqu’une telle voie n’est pas autrement disponible au titre du droit national (106).

VII. Conclusion

157. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’apporter les réponses suivantes aux questions préjudicielles formulées par le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) :

1)      Il n’est pas nécessaire de statuer sur la première question dans les affaires C‑624/18 et C‑625/18.

À titre alternatif, l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lu en combinaison avec l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que, dans le cas où la juridiction de dernière instance d’un État membre est saisie d’un recours fondé sur un moyen tiré de la violation de l’interdiction de la discrimination en raison de l’âge à l’égard d’un juge de cette même juridiction, assorti d’une demande de mesures conservatoires, cette juridiction est tenue – afin d’assurer, en appliquant une mesure provisoire prévue par le droit national, la protection des droits résultant du droit de l’Union – de laisser inappliquées les dispositions nationales qui réservent la compétence, dans l’affaire dans laquelle le recours a été introduit, à une chambre de cette juridiction, laquelle chambre ne fonctionne pas, en raison de la non-désignation des juges devant y siéger.

2)      Les exigences d’indépendance des juges énoncées à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux doivent être interprétées en ce sens qu’une chambre créée ex nihilo au sein d’une juridiction de dernière instance d’un État membre, compétente aux fins de connaître du litige relatif à un juge d’une juridiction nationale, auteur d’un recours, chambre dans laquelle doivent siéger uniquement des juges choisis par la Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature, Pologne), l’autorité nationale chargée de veiller à l’indépendance des juridictions – laquelle, en raison de son modèle de constitution et de son mode de fonctionnement, n’offre pas de garantie d’indépendance par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif – ne satisfait pas à ces exigences.

Une telle situation est aussi prohibée par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

3)      Une chambre d’une juridiction de dernière instance d’un État membre qui n’est pas compétente en l’espèce, mais qui satisfait aux exigences que le droit de l’Union impose pour une juridiction saisie d’un recours dans une affaire relevant du droit de l’Union, se doit de laisser inappliquées les dispositions de la loi nationale qui excluent sa compétence dans cette même affaire.


1      Langue originale : l’anglais.


2      En sus des présentes affaires, plusieurs autres affaires pendantes portent sur la réforme du système judiciaire polonais, en ce compris des renvois préjudiciels de la Cour suprême de Pologne (C‑522/18, C‑537/18 et C‑668/18), de la Cour suprême administrative de Pologne (C‑824/18) et de juridictions polonaises inférieures (C‑558/18, C‑563/18 et C‑623/18). La Commission a également engagé deux recours en manquement contre la République de Pologne (affaires C‑619/18 et C‑192/18). Par souci de clarté, je note que les recours formés devant la Cour, jusqu’à ce jour, concernant la réforme du système judiciaire polonais ont porté sur les éléments suivants : i) l’abaissement de l’âge de départ à la retraite des juges de la Cour suprême et l’octroi, au président de la République, du pouvoir de prolonger le mandat actif de ces juges [voir arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531) et mes conclusions dans cette affaire, EU:C:2019:325] ; ii) une discrimination alléguée, fondée sur le sexe, en raison d’un abaissement de l’âge de départ à la retraite des juges des juridictions de droit commun, des juges et des procureurs, cet âge étant différent pour les femmes et pour les hommes, allant de pair avec l’octroi, au ministre de la Justice, du pouvoir de prolonger le mandat actif des juges des juridictions de droit commun (voir mes conclusions dans l’affaire Commission/Pologne, C‑192/18, EU:C:2019:529) ; et iii) le régime disciplinaire relatif aux juges (voir mes conclusions dans l’affaire Miasto Łowicz e.a., C‑558/18 et C‑563/18, qui seront présentées le 24 septembre 2019).


3      COM(2017) 835 final, 20 décembre 2017 (ci-après la « proposition motivée de la Commission »). Dans cette proposition motivée, la Commission a soulevé des objections portant notamment sur les mesures suivantes : 1) la ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Szkole Sądownictwa i Prokuratury, ustawy ‑prawo o ustroju sądów powszechnych oraz niektórych innych ustaw (loi modifiant la loi relative à l’École nationale de la magistrature et du Parquet, la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun et certaines autres lois), du 11 mai 2017 (Dz. U. de 2017, position 1139, telle qu’amendée) ; 2) la ustawa o zmianie ustawy ‑prawo o ustroju sądów powszechnych oraz niektórych innych ustaw (loi modifiant la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun et certaines autres lois), du 12 juillet 2017 (Dz. U. de 2017, position 1452, telle qu’amendée) ; 3) la ustawa z dnia 8 grudnia 2017 r. o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 5, telle qu’amendée, ci-après la « loi de 2017 sur la Cour suprême ») ; et 4) la ustawa z dnia 8 grudnia 2017 r. o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz niektórych innych ustaw (loi portant modification de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 3, telle qu’amendée). Ce sont ces deux dernières mesures qui sont en cause en l’espèce.


4      Voir, à titre d’exemples, Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), avis no 904/2017, du 11 décembre 2017, sur le projet de loi portant modification de la loi sur le Conseil national de la justice, sur le projet de loi portant modification de la loi sur la Cour suprême, proposés par le président de la République de Pologne, et sur la loi sur l’organisation des tribunaux ordinaires, CDL-AD(2017)031 (ci-après l’« avis de la Commission de Venise no 904/2017) ; Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Report of the Special Rapporteur on the independence of judges and lawyers on his mission to Poland, 5 avril 2018, A/HRC/38/38/Add.1 (ci-après le « rapport ONU 2018 sur la Pologne ») ; Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme, Final Opinion on Draft Amendments to the Act on the National Council of the Judiciary and Certain Other Acts of Poland, 5 mai 2017, JUD-POL/305/2017-Final (ci-après l’« avis final de l’OSCE sur la Pologne de 2017 »), et Opinion on Certain Provisions of the Draft Act on the Supreme Court of Poland (as of 26 September 2017), 13 novembre 2017, JUD‑POL/315/2017.


5      EU:C:2019:531.


6      L’ancienne version de l’article 131 de la loi de 2017 sur la Cour suprême prévoyait que, « [j]usqu’à ce que tous les postes de juges de la Cour suprême au sein de la Chambre disciplinaire aient été pourvus, un juge d’une autre chambre ne pou[vait] pas être transféré à un poste dans ladite Chambre ».


7      En vertu de l’article 10 de la loi modificative de 2017 sur le CNM, certaines dispositions, en ce compris l’article 11 bis de la loi sur le CNM, sont entrées en vigueur le 3 janvier 2018.


8      En vertu de l’ancien article 11 de la loi sur le CNM, les quinze membres judiciaires étaient élus par les juges parmi les juges de la Cour suprême (deux membres), des juridictions administratives (deux membres), des cours d’appel (deux membres), des tribunaux régionaux et d’arrondissements (huit membres) et des juridictions militaires (un membre).


9      EU:C:2019:531.


10      JO 2000, L 303, p. 16. L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/78 dispose : « Les États membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives, y compris, lorsqu’ils l’estiment approprié, des procédures de conciliation, visant à faire respecter les obligations découlant de la présente directive soient accessibles à toutes les personnes qui s’estiment lésées par le non-respect à leur égard du principe de l’égalité de traitement, même après que les relations dans lesquelles la discrimination est présumée s’être produite se sont terminées. »


11      L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2000/78 prévoit que, « [a]ux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement” l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er ». L’article 1er de cette directive renvoie, entre autres, à la discrimination fondée sur l’âge.


12      EU:C:2019:531.


13      La juridiction de renvoi relève que, avant l’entrée en vigueur de la loi de 2017 sur la Cour suprême, ladite chambre était dénommée « Chambre du travail, des assurances sociales et des affaires publiques ».


14      S’agissant de l’affaire C‑585/18, la juridiction de renvoi précise que cela s’applique aux juges de la Cour suprême administrative.


15      La juridiction de renvoi se réfère aux arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49), du 19 juin 1990, Factortame e.a. (C‑213/89, EU:C:1990:257), et du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163).


16      La juridiction de renvoi mentionne notamment l’arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117), ainsi que l’arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586).


17      La juridiction de renvoi se réfère aux arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49), et du 17 avril 2018, Egenberger (C‑414/16, EU:C:2018:257).


18      La juridiction de renvoi se réfère aux arrêts du 22 mai 2003, Connect Austria (C‑462/99, EU:C:2003:297), et du 2 juin 2005, Koppensteiner (C‑15/04, EU:C:2005:345).


19      A. K. e.a. (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, non publiée, EU:C:2018:977).


20      Lors de la seconde partie de l’audience, le président de la Cour a déclaré que, bien que la Chambre disciplinaire ne puisse pas participer à la procédure en l’espèce, en vertu du règlement de procédure de la Cour, puisqu’elle ne figure pas parmi les parties au litige au principal, comme l’indiquent les ordonnances de renvoi reçues de la juridiction de renvoi, la Cour a décidé d’accepter des documents déposés le 14 mai 2019 par le CNM et émanant de la Chambre disciplinaire, en ce compris notamment la résolution no 6 de l’assemblée des juges de la Chambre disciplinaire, du 13 mai 2019, comportant la position de ladite Chambre en l’espèce, que j’évoquerai dans mon analyse (voir points 140 et 141 des présentes conclusions).


21      Le gouvernement polonais renvoie notamment aux arrêts du 9 décembre 2010, Fluxys (C‑241/09, EU:C:2010:753), et du 27 juin 2013, Di Donna (C‑492/11, EU:C:2013:428), ainsi qu’à l’ordonnance du 3 mars 2016, Euro Bank (C‑537/15, non publiée, EU:C:2016:143).


22      Arrêt du 27 février 2018 (C‑64/16, EU:C:2018:117).


23      JO 2016, C 202, p. 312 (ci-après le « protocole no 30 »).


24      L’Autorité de surveillance AELE renvoie aux arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49), et du 19 juin 1990, Factortame e.a. (C‑213/89, EU:C:1990:257).


25      Les requérants se réfèrent à cet égard à l’arrêt de la Cour EDH du 12 mars 2019, Ástráðsson c. Islande (CE:ECHR:2019:0312JUD002637418).


26      Les requérants se réfèrent notamment à la recommandation CM/Rec(2010)12 et exposé des motifs du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, « Les juges : indépendance, efficacité et responsabilités », du 17 novembre 2010 (ci-après la « recommandation de 2010 »).


27      Voir note de bas de page 3 des présentes conclusions.


28      RECJ, Position Paper of the Board of the ENCJ on the membership of the KRS of Poland, adopté le 16 août 2018, disponible sur le site : http://www.encj.eu/. Voir aussi note de bas de page 93 des présentes conclusions.


29      Le gouvernement letton renvoie notamment à l’arrêt du 18 janvier 2010 de la Latvijas Republikas Satversmes tiesa (Cour constitutionnelle, Lettonie), no 2009-11-01.


30      Le gouvernement polonais invoque notamment les arrêts du 17 septembre 1997, Dorsch Consult (C‑54/96, EU:C:1997:413), du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a. (C‑110/98 à C‑147/98, EU:C:2000:145), du 13 décembre 2012, Forposta et ABC Direct Contact (C‑465/11, EU:C:2012:801), ainsi que du 31 janvier 2013, D. et A. (C‑175/11, EU:C:2013:45).


31      Le gouvernement polonais se réfère en particulier à l’article 179 de la Constitution polonaise, combiné avec l’article 144, paragraphe 3, point 17 de celle-ci..


32      L’Autorité de surveillance AELE renvoie aux articles 2, 7 et 49 TUE, à l’article 53 de la Charte, ainsi qu’à la charte européenne sur le statut des juges, adoptée du 8 au 10 juillet 1998 par le Conseil de l’Europe, DAJ/DOC(98)23 (ci-après la « Charte européenne de 1998 »), point 1.1.


33      L’Autorité de surveillance AELE renvoie notamment à la décision de la Cour AELE du 14 février 2017, Pascal Nobile c. DAS Rechtsschutz-Versicherungs, E‑21/16, point 16.


34      La Commission se réfère aux arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117), ainsi que du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586).


35      La Commission invoque l’arrêt de la Cour EDH du 25 mars 1992, Campbell et Fell c. Royaume-Uni (CE:ECHR:1992:0325JUD001359088).


36      La Commission renvoie en particulier à l’arrêt de la Cour EDH du 22 octobre 1984, Sramek c. Autriche (CE:ECHR:1984:1022JUD000879079) ; liste des critères de l’État de droit de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), étude no 711/2013, 18 mars 2016, CDL-AD(2016)007 (ci-après la « liste des critères de l’État de droit de 2016 »), point 75 ; la recommandation de 2010, note de bas de page 26, points 46 et 47.


37      L’Autorité de surveillance AELE renvoie aux arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49), et du 19 juin 1990, Factortame e.a. (C‑213/89, EU:C:1990:257).


38      La Commission renvoie aux arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49), et du 19 janvier 2010, Kücükdeveci (C‑555/07, EU:C:2010:21).


39      Voir notamment arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, point 32), et du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, point 47).


40      EU:C:2019:529, point 116.


41      Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Gullotta et Farmacia di Gullotta Davide & C. (C‑497/12, EU:C:2015:168, points 16 à 25) ; conclusions de l’avocat général Szpunar dans les affaires Rendón Marín et CS (C‑165/14 et C‑304/14, EU:C:2016:75, point 48) ; pour une discussion générale, voir Wahl, N., et Prete, L., « The Gatekeepers of Article 267 TFEU : On Jurisdiction and Admissibility of References for Preliminary Rulings », 2018, 55, Common Market Law Review, 511.


42      Voir, à cet égard, arrêt du 6 novembre 2012, Commission/Hongrie (C‑286/12, EU:C:2012:687).


43      Voir, par exemple, arrêts du 7 mars 2017, X et X (C‑638/16 PPU, EU:C:2017:173, point 45), et du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles) (C‑235/17, EU:C:2019:432, point 63 et jurisprudence citée). Pour un résumé des règles légales permettant de déterminer lorsqu’un État membre « met en œuvre » le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, voir ordonnance du 7 septembre 2017, Demarchi Gino et Garavaldi (C‑177/17 et C‑178/17, EU:C:2017:656, points 19 à 21 et jurisprudence citée).


44      Voir arrêt du 19 avril 2018, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi (C‑152/17, EU:C:2018:264, point 34 et jurisprudence citée). Pour une discussion générale, voir Angela Ward, « Article 51 – Field of Application », in Peers, S., Hervey, T., Kenner, J., et Ward, A., (éd.), The EU Charter of Fundamental Rights : A Commentary, Hart Beck, 2014, p. 1413 à 1454.


45      Voir, à cet égard, arrêt du 22 décembre 2010, DEB (C‑279/09, EU:C:2010:811).


46      EU:C:2019:529.


47      Cela ressort clairement de l’arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, notamment aux points 43, 46, 47, 55 et 57). La Cour y renvoie à l’arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117), qui portait sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, et à l’arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586), portant sur un litige impliquant la mise en œuvre du droit de l’Union et l’article 47 de la Charte, à l’appui de ces mêmes principes de droit.


48      EU:C:2019:531, notamment les points 50, 51, 55 à 59 et jurisprudence citée. Je note qu’un avocat général a défendu le point de vue selon lequel « toute mesure horizontale, transversale, qui, par définition, concerne tout acte des juridictions nationales, est une question de droit de l’Union ». Voir conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Torubarov (C‑556/17, EU:C:2019:339, point 55).


49      Arrêt du 21 décembre 2011 (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, points 119 et 120). Voir aussi conclusions de l’avocate générale Trstenjak dans les affaires jointes NS (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:611, points 167 à 171) et de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Bonda (C‑489/10, EU:C:2011:845, points 21 à 23).


50      Voir arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, point 53).


51      Voir arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a. (C‑612/15, EU:C:2018:392, point 46 et jurisprudence citée).


52      Voir ordonnance du 10 janvier 2019, Mahmood e.a. (C‑169/18, EU:C:2019:5, point 23 et jurisprudence citée).


53      Voir arrêt du 24 octobre 2013, Stoilov i Ko (C‑180/12, EU:C:2013:693, points 37 et 38).


54      Voir, à cet égard, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire García Blanco (C‑225/02, EU:C:2004:669, points 35 à 39).


55      Voir, par exemple, ordonnances du 10 juin 2011, Mohammad Imran (C‑155/11 PPU, EU:C:2011:387) et du 10 janvier 2019, Mahmood e.a. (C‑169/18, EU:C:2019:5).


56      Voir arrêt du 27 février 2014, Pohotovosť (C‑470/12, EU:C:2014:101, point 30).


57      Voir, à cet égard, arrêt du 18 octobre 2011, Boxus e.a. (C‑128/09 à C‑131/09, C‑134/09 et C‑135/09, EU:C:2011:667, point 28).


58      Voir arrêts du 9 décembre 2010, Fluxys (C‑241/09, EU:C:2010:753, points 32 à 34), et du 27 juin 2013, Di Donna (C‑492/11, EU:C:2013:428, points 27 à 32), ainsi que ordonnance du 3 mars 2016, Euro Bank (C‑537/15, non publiée, EU:C:2016:143, points 27 à 30, 34 et 36).


59      Voir arrêt du 7 juillet 2016, Genentech (C‑567/14, EU:C:2016:526, point 22).


60      Voir arrêt du 5 avril 2016, PFE (C‑689/13, EU:C:2016:199, points 32 à 34).


61      Arrêt du 13 mars 2007 (C‑432/05, EU:C:2007:163, points 40 et 41). Voir aussi arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 103 et 104).


62      Voir arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49).


63      Voir, par exemple, arrêt du 8 mai 2019, Leitner (C‑396/17, EU:C:2019:375, point 61 et jurisprudence citée).


64      Voir, à titre d’exemple, arrêt du 30 juin 2016, Toma (C‑205/15, EU:C:2016:499, point 42).


65      Voir mes conclusions dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:325, point 72).


66      Voir explications relatives à la charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17), concernant les articles 47 (p. 30) et 52 (p. 34).


67      Voir arrêt du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (C‑235/17, EU:C:2019:432, point 72). J’observe en passant que, dans son arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531), en particulier les points 76 et 79, la Cour a soumis le principe d’inamovibilité des juges à un critère de proportionnalité. Je note ici que conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, le droit de l’Union protège les principes d’inamovibilité et d’indépendance des juges au seuil de protection minimale garanti par la jurisprudence de la Cour EDH.


68      Voir, en particulier, arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, point 43), et du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 54).


69      Voir, à cet égard, arrêt du 4 février 1999, Köllensperger et Atzwanger (C‑103/97, EU:C:1999:52, point 24) ; conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes Torresi (C‑58/13 et C‑59/13, EU:C:2014:265, points 45 à 54) et conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Pula Parking (C‑551/15, EU:C:2016:825, points 81 à 107).


70      Voir, à titre d’exemples, arrêts du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936, points 22 et 23), et du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, point 45 et jurisprudence citée). Pour une discussion générale, voir Broberg, M., et Fenger, N., Preliminary References to the European Court of Justice, seconde édition, Oxford University Press, 2014, p. 60 à 106.


71      Voir arrêt du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles) (C‑235/17, EU:C:2019:432, point 72).


72      Voir, par exemple, arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, point 49 et jurisprudence citée).


73      Voir notamment arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 48), et du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, point 58).


74      Voir, par exemple, arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 66) ; avis 1/17, du 30 avril 2019 (EU:C:2019:341, point 204). Mise en italique ajoutée par mes soins. Ces garanties d’indépendance et d’impartialité sont corrélées aux aspects externe et interne, respectivement, de l’indépendance, établis dans la jurisprudence : voir, par exemple, arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, points 71 à 73 et jurisprudence citée).


75      Voir, par exemple, arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 67) ; ordonnance du 12 février 2019, RH (C‑8/19 PPU, EU:C:2019:110, point 47). Mise en italique ajoutée par mes soins.


76      Voir, par exemple, arrêt de la Cour EDH du 6 novembre 2018, Nunes De Carvalho c. Portugal (CE:ECHR:2018:1106JUD005539113, § 144 et jurisprudence citée).


77      EU:C:2019:325, point 71 ; EU:C:2019:529, point 11, citant l’arrêt de la Cour EDH du 25 septembre 2018, Denisov c. Ukraine (CE:ECHR:2018:0925JUD007663911, points 60 à 64), et l’arrêt de la Cour EDH du 6 novembre 2018, Nunes De Carvalho c. Portugal (CE:ECHR:2018:1106JUD005539113, points 144 à 150). Voir aussi : principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire, 2002, notamment points 1.3, 1.6 et 3.2.


78      Voir arrêt de la Cour EDH du 6 mai 2003, Kleyn et autres c. Pays-Bas (CE:ECHR:2003:0506JUD003934398, point 194 et jurisprudence citée).


79      Arrêt de la Cour EDH, 25 septembre 2018, CE:ECHR:2018:0925JUD007663911, points 68 à 70, citant l’arrêt de la Cour EDH du 9 janvier 2013, Volkov c. Ukraine, (CE:ECHR:2013:0109JUD002172211, points 109 à 115).


80      Arrêt de la Cour EDH, 12 mars 2019, CE:ECHR:2019:0312JUD002637418, notamment points 103 et 121 à 123.


81      Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Report of the Special Rapporteur on the independence of judges and lawyers, 2 mai 2018 (ci-après le « rapport ONU de 2018 »), points 7 à 31 et références citées. Voir aussi : Conseil consultatif de juges européens (CCJE) du Conseil de l’Europe, avis no 10 (2007) sur le Conseil de la justice au service de la société, 23 novembre 2007 (ci-après l’« avis du CCJE de 2007 ») ; Seibert-Fohr, A., (éd.), Judicial Independence in Transition, Springer, 2012 ; Kosař, D., (éd. invité), « Judicial Self-Governance in Europe », German Law Journal, 2018, 1567.


82      Voir, par exemple, recommandation de 2010, note de bas de page 26, point 26 ; RECJ, Councils for the Judiciary Report 2010-2011, Recommendation on Councils for the Judiciary, 2011 (ci‑après le « rapport du RECJ de 2011 »), point 3.2 ; Union internationale des magistrats, Statut universel du juge, mis à jour le 14 novembre 2017, article 2-3 ; rapport ONU de 2018, note de bas de page 81, points 32 et 37.


83      Voir, par exemple, Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), avis no 403/2006, Nominations judiciaires, 22 juin 2007, CDL-AD(2007)028, point 28 ; avis du CCJE de 2007, note de bas de page 81, point 15 ; rapport ONU de 2018, note de bas de page 81, point 66.


84      À titre d’exemples, Charte européenne de 1998, note de bas de page 32, exposé des motifs, point 1.3 ; avis du CCJE de 2007, note de bas de page 81, points 17 à 19 ; recommandation de 2010, note de bas de page 26, point 27 ; CCJE, Magna Carta des juges (principes fondamentaux), 17 novembre 2010, CCJE(2010) 3 Final, point 13 ; rapport du RECJ de 2011, note de bas de page 82, points 2.1 à 2.3.


85      Voir, par exemple, Charte européenne de 1998, note de bas de page 32, point 1.3 ; avis du CCJE de 2007, note de bas de page 81, points 25 à 31 ; rapport du RECJ de 2011, note de bas de page 82, point 2.3 ; rapport ONU de 2018, note de bas de page 81, points 75 et 76.


86      Voir, par exemple, avis du CCJE de 2007, note de bas de page 81, point 35 ; rapport ONU de 2018, note de bas de page 81, point 83. Voir aussi plan d’action du Conseil de l’Europe pour renforcer l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire, 13 avril 2016, CM(2016) 36 final, note explicative, action 1.1, p. 20 (« Les changements intervenant dans le cadre juridique régissant le fonctionnement des conseils de la justice ne devraient pas aboutir à la cessation anticipée des mandats de personnes élues en vertu des dispositions précédentes, sauf dans le cas où le changement du cadre juridique porte sur le renforcement de l’indépendance dans la composition du conseil. »)


87      Voir, par exemple, Charte européenne de 1998, note de bas de page 32, point 3.1 ; rapport du RECJ de 2011, note de bas de page 82, point 3.3 ; liste des critères de l’État de droit de 2016, note de bas de page 36, point 81 ; rapport ONU de 2018, note de bas de page 81, point 48.


88      En l’occurrence, 21 membres du CNM sont désignés par les autorités législatives (15 membres judiciaires + 4 membres désignés par la Diète + 2 membres désignés par le Sénat, la chambre haute du Parlement polonais) ; 1 membre est désigné par le président de la République ; et parmi les 3 membres d’office, l’un est un membre du pouvoir exécutif (le ministre de la Justice) et deux sont des membres du pouvoir judiciaire (soit le premier président de la Cour suprême et le président de la Cour suprême administrative). Voir point 20 des présentes conclusions.


89      Voir, notamment, proposition motivée de la Commission, note de bas de page 3, considérants 141 à 143 ; avis de la Commission de Venise no 904/2017, note de bas de page 4, points 24 à 26 ; rapport ONU de 2018 sur la Pologne, note de bas de page 4, points 67 à 69.


90      L’on peut également considérer que des mesures alternatives auraient pu être prises afin d’atteindre ces objectifs, comme l’indique la Commission de Venise dans son avis no 904/2017 (note de bas de page 4, point 27) ; groupe d’États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe, Addendum to the Fourth Round Evaluation Report on Poland, 22 juin 2018, Greco-AdHocRep(2018)3, points 28 et 29.


91      Voir, par exemple, proposition motivée de la Commission, note de bas de page 3, considérants 140, 144, 145 et 175 ; avis de la Commission de Venise no 904/2017, note de bas de page 4, points 28 à 31 ; rapport ONU de 2018 sur la Pologne, note de bas de page 4, point 70.


92      Pour un résumé, voir communiqué de presse du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), publié à la suite de l’audience, K 12/18, disponible sur le site : http://trybunal.gov.pl/.


93      Il convient de noter que, dans son avis no 904/2017 (note de bas de page 4 et, en particulier, points 89 à 95, 128 à 131), la Commission de Venise a considéré que les effets combinés de la législation polonaise sur le CNM et la Chambre disciplinaire, ainsi que des autres réformes, constituaient une grave menace pour l’indépendance des juges. Par ailleurs, le 17 septembre 2018, le RECJ a suspendu le CNM en sa qualité de membre, en raison des changements apportés à la nomination de ses membres judiciaires, combinés à 13 éléments additionnels, en ce compris le fait que la loi sur le CNM fait partie d’une réforme globale visant à renforcer la position du pouvoir exécutif et à violer l’indépendance des juges : voir RECJ, Position Paper of the Board of the ENCJ on the membership of the KRS of Poland, adopté le 16 août 2018, note de bas de page 28, et communiqué de presse intitulé « ECNJ Suspends Polish National Judicial Council – KRS », disponible sur le site : http://www.encj.eu/


94      Voir note de bas de page 20 des présentes conclusions.


95      Voir, à titre d’exemples, arrêts du 28 juillet 2016, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C‑543/14, EU:C:2016:605, points 40 et 41), et du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund (C‑682/15, EU:C:2017:373, point 96 et jurisprudence citée).


96      Je note que, selon le tableau de bord de la justice dans l’Union européenne de 2019, sur les 20 États membres sondés, la Pologne est le seul État où la nomination des membres judiciaires du conseil de la magistrature n’est pas proposée exclusivement par des juges et où la nomination est faite par le Parlement. Voir communication de la Commission, The 2019 EU Justice Scoreboard, COM(2019) 198 final, 26 avril 2019, tableau no 54, p. 55 et 62. Voir, également, avis final de l’OSCE sur la Pologne de 2017, note de bas de page 4, points 43 à 46.


97      Voir mes conclusions dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun) (C‑192/18, EU:C:2019:529, point 115 et jurisprudence citée). Voir aussi mes conclusions dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:325, point 63, note de bas de page 41).


98      Voir notamment arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, point 32), et du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, point 47). Comme je l’ai relevé au point 40 de mes conclusions dans l’affaire Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:517), « il peut exister un risque de violation du droit à un procès équitable dans l’État membre d’émission même si celui-ci ne viole pas l’État de droit ».


99      EU:C:2019:325.


100      EU:C:2019:529.


101      EU:C:2019:531.


102      À comparer à l’arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, notamment points 60, 73 et 74).


103      Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531). Je note que, aux points 115 et 116 de cet arrêt, la Cour a jugé que l’intervention du CNM dans le contexte d’un processus de prolongation de l’exercice des fonctions d’un juge au-delà de l’âge normal de son départ à la retraite, peut, en principe, se révéler de nature à contribuer à une objectivation de ce processus, mais « il n’en va, toutefois, de la sorte que pour autant qu’il est satisfait à certaines conditions et, notamment, que ladite instance est elle-même indépendante des pouvoirs législatif et exécutif et de l’autorité à laquelle elle est appelée à rendre un avis ».


104      Voir, par exemple, arrêt du 4 décembre 2018, Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Síochána (C‑378/17, EU:C:2018:979, point 35 et jurisprudence citée).


105      Voir arrêt du 17 avril 2018, Egenberger (C‑414/16, EU:C:2018:257, point 79).


106      Voir arrêt du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163, notamment points 40 et 41). Voir aussi, par exemple, arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 103 et 104).