Language of document : ECLI:EU:C:2019:924

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

5 novembre 2019 (*)

« Manquement d’État – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – État de droit – Protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union – Principes d’inamovibilité et d’indépendance des juges – Abaissement de l’âge du départ à la retraite des juges des juridictions de droit commun polonaises – Possibilité de continuer à exercer les fonctions de juge au-delà de l’âge nouvellement fixé moyennant autorisation du ministre de la Justice – Article 157 TFUE – Directive 2006/54/CE – Article 5, sous a), et article 9, paragraphe 1, sous f) – Prohibition des discriminations fondées sur le sexe en matière de rémunération, d’emploi et de travail – Instauration d’âges du départ à la retraite différents pour les femmes et les hommes occupant les fonctions de juge des juridictions de droit commun polonaises et du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) ainsi que celles de magistrat du parquet polonais »

Dans l’affaire C‑192/18,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 15 mars 2018,

Commission européenne, représentée par Mmes A. Szmytkowska, K. Banks et C. Valero ainsi que par M. H. Krämer, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna ainsi que par Mmes K. Majcher et S. Żyrek, en qualité d’agents, assistés de M. W. Gontarski, avocat,

partie défenderesse,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente, Mme A. Prechal (rapporteure), MM. M. Vilaras, E. Regan, P. G. Xuereb et Mme L. S. Rossi, présidents de chambre, MM. E. Juhász, M. Ilešič, J. Malenovský, L. Bay Larsen, D. Šváby et Mme K. Jürimäe, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. M. Aleksejev, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 avril 2019,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 juin 2019,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater :

–        d’une part, que, en instaurant, par l’article 13, points 1 à 3, de l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych oraz niektórych innych ustaw (loi portant modification de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun et de certaines autres lois), du 12 juillet 2017 (Dz. U. de 2017, position 1452, ci-après la « loi modificative du 12 juillet 2017 »), un âge du départ à la retraite différent pour les femmes et les hommes appartenant à la magistrature du siège dans les juridictions de droit commun polonaises et au Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) ou à la magistrature du parquet polonais, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 157 TFUE ainsi que de l’article 5, sous a), et de l’article 9, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (JO 2006, L 204, p. 23), et

–        d’autre part, que, en abaissant, par l’article 13, point 1, de la loi modificative du 12 juillet 2017, l’âge du départ à la retraite applicable aux magistrats du siège des juridictions de droit commun polonaises et en habilitant le ministre de la Justice (Pologne) à autoriser ou non la prolongation de la période d’exercice actif de la fonction de magistrat du siège, au titre de l’article 1er, point 26, sous b) et c), de ladite loi, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le traité UE

2        L’article 2 TUE se lit comme suit :

« L’Union [européenne] est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. »

3        L’article 19, paragraphe 1, TUE dispose :

« La Cour de justice de l’Union européenne comprend la Cour de justice, le Tribunal et des tribunaux spécialisés. Elle assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités.

Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. »

 Le traité FUE

4        L’article 157 TFUE énonce :

« 1.      Chaque État membre assure l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur.

2.      Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier.

[...]

3.      Le Parlement européen et le Conseil [de l’Union européenne], statuant selon la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, adoptent des mesures visant à assurer l’application du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d’emploi et de travail, y compris le principe de l’égalité des rémunérations pour un même travail ou un travail de même valeur.

4.      Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle. »

 La Charte

5        Le titre VI de la Charte, intitulé « Justice », comprend l’article 47 de celle-ci, intitulé « Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial », qui dispose :

« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. [...]

[...] »

6        Aux termes de l’article 51 de la Charte :

« 1.       Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les traités.

2.      La présente Charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités. »

 La directive 2006/54

7        Les considérants 14 et 22 de la directive 2006/54 énoncent :

« (14)      Bien que la notion de rémunération au sens de l’article [157 TFUE] n’inclue pas les prestations de sécurité sociale, il est désormais clairement établi qu’un régime de pension pour fonctionnaires entre dans le champ d’application du principe de l’égalité de rémunération si les prestations payables en vertu du régime sont versées au travailleur en raison de sa relation de travail avec l’employeur public, nonobstant le fait que ce régime fasse partie d’un régime légal général. Conformément aux [arrêts du 28 septembre 1994, Beune (C‑7/93, EU:C:1994:350), et du 12 septembre 2002, Niemi (C‑351/00, EU:C:2002:480)], cette condition est satisfaite si le régime de pension concerne une catégorie particulière de travailleurs et si les prestations sont directement fonction du temps de service accompli et calculées sur la base du dernier traitement du fonctionnaire. Par souci de clarté, il convient donc de prendre des dispositions particulières à cet effet.

[...]

(22)      Conformément à l’article [157, paragraphe 4, TFUE], pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas les États membres de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou à compenser des désavantages dans la carrière professionnelle. Étant donné la situation actuelle et compte tenu de la déclaration no 28 annexée au traité d’Amsterdam, les États membres devraient viser avant tout à améliorer la situation des femmes dans la vie professionnelle. »

8        Aux termes de l’article 1er de la directive 2006/54 :

« La présente directive vise à garantir la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.

À cette fin, elle contient des dispositions destinées à mettre en œuvre le principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne :

[...]

c)      les régimes professionnels de sécurité sociale.

[...] »

9        L’article 2, paragraphe 1, de cette directive énonce :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      “discrimination directe” : la situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable en raison de son sexe qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable ;

[...]

f)      “régimes professionnels de sécurité sociale” : les régimes non régis par la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale [(JO 1979, L 6, p. 24)] qui ont pour objet de fournir aux travailleurs, salariés ou indépendants, groupés dans le cadre d’une entreprise ou d’un groupement d’entreprises, d’une branche économique ou d’un secteur professionnel ou interprofessionnel, des prestations destinées à compléter les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ou à s’y substituer, que l’affiliation à ces régimes soit obligatoire ou facultative. »

10      Intitulé « Mesures positives », l’article 3 de la directive 2006/54 prévoit :

« Les États membres peuvent maintenir ou adopter des mesures au sens de l’article [157, paragraphe 4, TFUE], pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle. »

11      Le chapitre 2, intitulé « Égalité de traitement dans les régimes professionnels de sécurité sociale », du titre II de la directive 2006/54, comporte notamment les articles 5, 7 et 9 de celle-ci.

12      L’article 5 de cette directive dispose :

« [...] toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est proscrite dans les régimes professionnels de sécurité sociale, en particulier en ce qui concerne :

a)      le champ d’application de tels régimes et les conditions d’accès à de tels régimes ;

[...] »

13      Intitulé « Champ d’application matériel », l’article 7 de ladite directive prévoit :

« 1.      Le présent chapitre s’applique :

a)      aux régimes professionnels de sécurité sociale qui assurent une protection contre les risques suivants :

[...]

iii)      vieillesse, y compris dans le cas de retraites anticipées,

[...]

[...]

2.      Le présent chapitre s’applique également aux régimes de pension destinés à une catégorie particulière de travailleurs, comme celle des fonctionnaires, si les prestations payables en vertu du régime sont versées en raison de la relation de travail avec l’employeur public. Le fait qu’un tel régime fasse partie d’un régime légal général est sans préjudice de la disposition précédente. »

14      Aux termes de l’article 9 de la même directive, intitulé « Exemples de discrimination » :

« 1.      Sont à classer au nombre des dispositions contraires au principe de l’égalité de traitement celles qui se fondent sur le sexe, soit directement, soit indirectement, pour :

[...]

f)      imposer des âges différents de retraite ;

[...] »

 Le droit polonais

 La loi sur les juridictions de droit commun

15      L’article 69, paragraphes 1 et 3, de l’ustawa – Prawo o ustroju sądów powszechnych (loi sur l’organisation des juridictions de droit commun), du 27 juillet 2001 (Dz. U. no 98, position 1070, ci-après la « loi sur les juridictions de droit commun »), était libellé comme suit :

« 1.      Les juges partent à la retraite le jour de leur 67e anniversaire [...], sauf s’ils adressent au ministre de la Justice, au plus tard six mois avant d’atteindre l’âge précité, une déclaration indiquant leur souhait de continuer à exercer leur fonction et présentent un certificat, établi dans les conditions applicables aux candidats à la magistrature du siège, attestant que leur état de santé leur permet de siéger.

[...]

3.      Lorsqu’un juge fait une déclaration et présente un certificat au sens du paragraphe 1, il ne peut exercer sa fonction que jusqu’à l’âge de 70 ans révolus. [...] »

16      L’article 69, paragraphe 1, de la loi sur les juridictions de droit commun a, tout d’abord, été modifié par l’ustawa o zmianie ustawy o emeryturach i rentach z Funduszu Ubezpieczeń Społecznych oraz niektórych innych ustaw  (loi portant modification de la loi sur les retraites et les pensions au titre du fonds d’assurances sociales et de certaines autres lois), du 16 novembre 2016 (Dz. U. de 2017, position 38, ci-après la « loi du 16 novembre 2016 »), qui a abaissé à 65 ans l’âge du départ à la retraite des juges, tant féminins que masculins. Cette modification devait entrer en vigueur le 1er octobre 2017.

17      Toutefois, avant même que n’entre en vigueur cette modification, ledit article 69, paragraphe 1, a fait l’objet d’une nouvelle modification par l’article 13, point 1, de la loi modificative du 12 juillet 2017, laquelle est entrée en vigueur le 1er octobre 2017. En conséquence de ladite modification, l’âge du départ à la retraite des juges a été fixé à 60 ans pour les femmes et à 65 ans pour les hommes.

18      L’article 1er, point 26, sous b) et c), de la loi modificative du 12 juillet 2017 a, par ailleurs, introduit un nouveau paragraphe 1b à l’article 69 de la loi sur les juridictions de droit commun tout en modifiant le paragraphe 3 de ce dernier article.

19      En conséquence des modifications mentionnées aux deux points précédents, ledit article 69 prévoyait :

« 1.      Les juges partent à la retraite le jour de leur 60e anniversaire pour les femmes et de leur 65e anniversaire pour les hommes, sauf s’ils adressent au ministre de la Justice, douze mois au plus tôt et six mois au plus tard avant d’atteindre l’âge précité, une déclaration indiquant leur souhait de continuer à exercer leur fonction et présentent un certificat, établi dans les conditions applicables aux candidats à la magistrature du siège, attestant que leur état de santé leur permet de siéger.

[...]

1b.      Le ministre de la Justice peut autoriser un juge à continuer d’exercer ses fonctions, compte tenu des impératifs d’utilisation rationnelle des membres du personnel des juridictions de droit commun et des besoins résultant de la charge de travail des différentes juridictions. Lorsqu’un juge atteint l’âge visé au paragraphe 1 avant la fin de la procédure de prolongation de son mandat, il demeure en fonction jusqu’à la clôture de ladite procédure.

[...]

3.      Lorsque le ministre de la Justice délivre une autorisation au sens du paragraphe 1b, le juge concerné ne peut continuer à siéger que jusqu’à l’âge de 70 ans révolus. [...] »

20      Aux termes de l’article 91 de la loi sur les juridictions de droit commun :

« 1.      Le montant de la rémunération des juges, à poste équivalent, varie selon l’ancienneté ou les fonctions exercées :

[...]

1c.      Le traitement de base annuel des juges est basé sur la rémunération moyenne du deuxième trimestre de l’année précédente, publiée dans le journal officiel de la République de Pologne (Monitor Polski) [...]

[...]

2.      Le traitement de base des juges est déterminé selon un barème de taux, dont la valeur est calculée par l’application de coefficients multiplicateurs de la base de calcul du traitement de base visée au paragraphe 1c. Les taux du traitement de base des juges, selon les postes occupés, et les coefficients multiplicateurs servant à déterminer le montant du traitement de base aux différents taux, figurent à l’annexe de la présente loi. [...]

[...]

7.       La rémunération des juges varie en outre en fonction de la prime d’ancienneté, qui représente, à partir de la sixième année de service, 5 % du traitement de base et augmente ensuite de 1 % chaque année, sans excéder toutefois 20 % du traitement de base.

[...] »

21      L’article 91a de la loi sur les juridictions de droit commun dispose :

« 1.      À son entrée en fonction, le juge du [Sąd Rejonowy (tribunal d’arrondissement, Pologne)] perçoit le traitement de base correspondant au premier taux. À son entrée en fonction, le juge du [Sąd Okręgowy (tribunal régional, Pologne)] perçoit le traitement de base correspondant au quatrième taux ; s’il percevait déjà, à un poste inférieur, un traitement correspondant au quatrième ou au cinquième taux, son traitement de base correspond, respectivement, au cinquième ou au sixième taux. À son entrée en fonction, le juge du [Sąd Apelacyjny (cour d’appel, Pologne)] perçoit le traitement de base correspondant au septième taux ; s’il percevait déjà, à un poste inférieur, un traitement correspondant au septième ou au huitième taux, son traitement de base correspond, respectivement, au huitième ou au neuvième taux. [...]

[...]

3.      Le traitement de base d’un juge passe automatiquement au taux supérieur après cinq années de service consécutives à un poste particulier dans la magistrature du siège.

4.      La période d’exercice de la fonction de juge auxiliaire s’ajoute à celle d’exercice de la fonction de juge d’un tribunal d’arrondissement.

[...] »

22      L’article 13, point 1, de la loi modificative du 12 juillet 2017 a modifié le paragraphe 1er de l’article 100 de la loi sur les juridictions de droit commun et a introduit dans ce même article de nouveaux paragraphes 4a et 4b. À la suite de ces modifications, ledit article 100 disposait :

« 1.      Les juges mis à la retraite à l’occasion de modifications de l’organisation des juridictions ou d’un redécoupage des circonscriptions judiciaires perçoivent, jusqu’à leur 60e anniversaire pour les femmes et leur 65e anniversaire pour les hommes, des émoluments du même montant que la rémunération perçue au titre du dernier poste occupé.

2.      Les juges qui partent à la retraite ou sont mis à la retraite du fait de leur âge ou pour des raisons médicales perçoivent des émoluments d’un montant égal à 75 % du traitement de base et de la prime d’ancienneté perçus au titre du dernier poste occupé.

3.      Les émoluments visés aux paragraphes 1 et 2 sont majorés selon les modifications du montant du traitement de base des juges en activité.

[...]

4a.      Dans le cas visé au paragraphe 1, une indemnité forfaitaire est versée au juge retraité à la date de son 60e anniversaire s’il s’agit d’une femme et de son 65e anniversaire s’il s’agit d’un homme.

4b.      Tout juge ayant réintégré le poste qu’il occupait antérieurement ou un poste équivalent au titre de l’article 71c, paragraphe 4, ou de l’article 74, paragraphe 1a, a droit, en cas de départ en retraite ou de mise à la retraite, à une indemnité forfaitaire correspondant à la différence entre le montant de l’indemnité calculé à la date du départ à la retraite ou de la mise à la retraite et le montant de l’indemnité déjà versée. Dans le cas visé au paragraphe 1, l’indemnité est due à la date du 60e anniversaire s’il s’agit d’une femme et du 65e anniversaire s’il s’agit d’un homme. »

 La loi relative au ministère public

23      L’article 127, paragraphe 1, de l’ustawa Prawo o prokuraturze (loi relative au ministère public), du 28 janvier 2016 (Dz. U. de 2016, position 177), énonce :

« Sauf dispositions contraires de la présente loi, les articles 69 à 71, [...] les articles 99 à 102 [...] de la loi [sur les juridictions de droit commun] s’appliquent mutatis mutandis aux magistrats du parquet. [...] »

24      Aux termes de l’article 124 de la loi relative au ministère public :

« 1.      Le montant de la rémunération des procureurs, à poste équivalent, varie selon l’ancienneté ou les fonctions exercées. [...]

2.      Le traitement de base des procureurs est défini selon un barème de taux, dont la valeur est calculée par l’application de coefficients multiplicateurs de la base de calcul du traitement de base des procureurs.

3.      Les procureurs perçoivent à leur entrée en fonction :

–        dans un [Prokuratura Rejonowa (parquet d’arrondissement, Pologne)], le traitement de base correspondant au premier taux ;

–        dans un [Prokuratura Okręgowa (parquet régional, Pologne)], le traitement de base correspondant au quatrième taux ; s’ils percevaient déjà, à un poste inférieur, un traitement correspondant au quatrième ou au cinquième taux, leur traitement de base correspond, respectivement, au cinquième ou au sixième taux ;

–        dans un [Prokuratura Regionalna (parquet supra-régional, Pologne)], le traitement de base correspondant au septième taux ; s’ils percevaient déjà, à un poste inférieur, un traitement correspondant au septième ou au huitième taux, leur traitement de base correspond, respectivement, au huitième ou au neuvième taux.

[...]

5.      Le traitement de base d’un procureur passe au taux directement supérieur après cinq années de service consécutives à un poste particulier dans la magistrature du parquet.

6.      La période d’exercice de la fonction de procureur auxiliaire s’ajoute à celle d’exercice de la fonction de procureur dans un [Prokuratura Rejonowa (parquet d’arrondissement)].

[...]

11.      Les procureurs perçoivent une prime d’ancienneté, qui représente, à partir de la sixième année de service, 5 % du traitement de base actuellement perçu par les intéressés et augmente ensuite de 1 % chaque année, sans excéder toutefois 20 % du traitement de base. Après 20 années de service, la prime est versée sans tenir compte de l’ancienneté supplémentaire, et correspond à 20 % du traitement de base actuellement perçu par les intéressés.

[...] »

25      L’article 13, point 3, de la loi modificative du 12 juillet 2017 a modifié certaines autres dispositions de la loi relative au ministère public en y introduisant notamment des références aux nouveaux âges du départ à la retraite des procureurs, à savoir 60 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes.

 La loi sur la Cour suprême de 2002

26      L’article 30 de l’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 23 novembre 2002 (Dz. U. de 2002, numéro 240, position 2052, ci-après la « loi sur la Cour suprême de 2002 »), fixait, à son paragraphe 1, l’âge du départ à la retraite des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) à 70 ans. Le paragraphe 2 de ce même article 30 prévoyait toutefois que les juges qui en faisaient la demande pouvaient partir à la retraite après avoir atteint l’âge de 67 ans.

27      L’article 30, paragraphe 2, de la loi sur la Cour suprême de 2002 a, dans un premier temps, été modifié par la loi du 16 novembre 2016 qui a abaissé à 65 ans l’âge auquel une telle demande pouvait être formulée. Toutefois, avant même que cette modification n’entre en vigueur, cette même disposition, a, à nouveau, été modifiée, par l’article 13, point 2, de la loi modificative du 12 juillet 2017. Dans sa version issue de cette dernière modification, l’article 30, paragraphe 2, de la loi sur la Cour suprême de 2002 prévoyait :

« Les juges [du Sąd Najwyższy (Cour suprême)] qui en font la demande partent à la retraite :

1)      après avoir atteint l’âge de 60 ans pour les femmes ou de 65 ans pour les hommes.

[...] »

28      Les articles 42 et 43 de la loi sur la Cour suprême de 2002 disposaient :

« Article 42.

[...]

§ 4.      La rémunération des juges [du Sąd Najwyższy (Cour suprême)] est fixée au taux de base ou au taux majoré. Le taux majoré correspond à 115 % du taux de base.

§ 5.      À leur entrée en fonction, les juges [du Sąd Najwyższy (Cour suprême)] perçoivent un traitement de base correspondant au taux de base. Ils passent au taux majoré après sept années de service.

[...]

Article 43.      Les juges [du Sąd Najwyższy (Cour suprême)] ont droit, pour chaque année de service, au bénéfice d’une prime d’ancienneté correspondant à 1 % du traitement de base, qui ne doit pas excéder 20 % de ce traitement. La période prise en compte pour déterminer le montant de la prime inclut également la durée de la période de service ou de la relation de travail précédant la nomination en qualité de juge [au Sąd Najwyższy (Cour suprême)], ainsi que la période d’exercice de la profession d’avocat, de conseil juridique ou de notaire. »

29      L’article 50 de la loi sur la Cour suprême de 2002 était libellé comme suit :

« Les juges [du Sąd Najwyższy (Cour suprême)] à la retraite perçoivent des émoluments d’un montant égal à 75 % du traitement de base et de la prime d’ancienneté perçus au titre du dernier poste occupé. Ces émoluments sont indexés dans les mêmes délais et les mêmes proportions que dans le cas du traitement de base des juges [du Sąd Najwyższy (Cour suprême)] en activité. »

30      La loi sur la Cour suprême de 2002 a été abrogée et remplacée par l’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 5, ci-après la « loi du 8 décembre 2017 »), laquelle est entrée en vigueur le 3 avril 2018.

 La procédure précontentieuse

31      Estimant que, en conséquence de l’adoption de l’article 1er, point 26, sous b) et c), et de l’article 13, points 1 à 3, de la loi modificative du 12 juillet 2017, la République de Pologne avait manqué à ses obligations aux titres, d’une part, de l’article 157 TFUE ainsi que de l’article 5, sous a), et de l’article 9, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/54, et, d’autre part, des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, la Commission a, le 28 juillet 2017, adressé une lettre de mise en demeure à cet État membre. Ce dernier y a répondu par un courrier daté du 31 août 2017 dans lequel il contestait toute violation du droit de l’Union.

32      Le 12 septembre 2017, la Commission a émis un avis motivé dans lequel elle maintenait que les dispositions nationales mentionnées au point précédent méconnaissaient lesdites dispositions du droit de l’Union. En conséquence, cette institution a invité la République de Pologne à prendre les mesures nécessaires pour se conformer audit avis motivé dans un délai d’un mois à compter de la réception de celui-ci. Cet État membre y a répondu par un courrier daté du 12 octobre 2017 dans lequel il concluait à l’inexistence des infractions alléguées.

33      Dans ces conditions, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 La procédure devant la Cour

34      À la suite de la phase écrite de la procédure au cours de laquelle la République de Pologne a déposé un mémoire en défense et, par la suite, un mémoire en duplique en réponse au mémoire en réplique produit par la Commission, les parties ont été entendues en leurs arguments oraux à l’occasion d’une audience qui s’est tenue le 8 avril 2019. M. l’avocat général a présenté ses conclusions le 20 juin 2019, date à laquelle la phase orale de la procédure a, en conséquence, été clôturée.

35      Par acte déposé au greffe de la Cour le 16 septembre 2019, la République de Pologne a demandé la réouverture de la phase orale de la procédure. À l’appui de cette demande, elle indique, en substance, être en désaccord avec les conclusions de M. l’avocat général, lesquelles reposeraient, notamment, ainsi qu’il ressortirait « du contenu et du contexte » de certains points de celles-ci ainsi que de points analogues que comportaient les conclusions de M. l’avocat général prononcées le 11 avril 2019 dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:325), sur une lecture prétendument erronée de la jurisprudence antérieure de la Cour et, en particulier, des arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117), et du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586), lecture qui n’aurait, en outre, pas été débattue entre les parties.

36      À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure de la Cour ne prévoient pas la possibilité, pour les parties, de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (arrêt du 6 mars 2018, Achmea, C‑284/16, EU:C:2018:158, point 26 et jurisprudence citée).

37      D’autre part, en vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général présente publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention. La Cour n’est liée ni par ces conclusions ni par la motivation au terme de laquelle l’avocat général parvient à celles-ci. Par conséquent, le désaccord d’une partie avec les conclusions de l’avocat général, quelles que soient les questions qu’il examine dans celles-ci, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la phase orale de la procédure (arrêt du 6 mars 2018, Achmea, C‑284/16, EU:C:2018:158, point 27 et jurisprudence citée).

38      Cependant, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties (arrêt du 6 mars 2018, Achmea, C‑284/16, EU:C:2018:158, point 28 et jurisprudence citée).

39      En l’occurrence, la Cour considère toutefois, l’avocat général entendu, qu’elle dispose, au terme de la phase écrite de la procédure et de l’audience qui s’est tenue devant elle, de tous les éléments nécessaires pour statuer. Elle relève, par ailleurs, que l’affaire ne doit pas être tranchée sur la base d’un argument qui n’aurait pas été débattu entre les parties.

40      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

 Sur le recours

 Sur le maintien de l’objet du litige

41      Dans son mémoire en duplique et lors de l’audience, la République de Pologne a fait valoir que la présente procédure en constatation de manquement était désormais privée d’objet en conséquence de l’entrée en vigueur, le 23 mai 2018, de l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych, ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz ustawy o Sądzie Najwyższym (loi portant modification de la [loi sur les juridictions de droit commun], de la loi sur le conseil national de la magistrature ainsi que de la [loi du 8 décembre 2017]), du 12 avril 2018 (Dz. U. de 2018, position 848, ci-après la « loi du 12 avril 2018 »).

42      S’agissant du premier grief, tiré de la violation de l’article 157 TFUE ainsi que de l’article 5, sous a), et de l’article 9, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/54, l’article 1er, point 4, de la loi du 12 avril 2018 aurait, en effet, modifié les dispositions de l’article 13, points 1 et  3, de la loi modificative du 12 juillet 2017 en abrogeant les différenciations entre hommes et femmes relatives à l’âge du départ à la retraite des juges des juridictions de droit commun polonaises ainsi que des magistrats du parquet polonais, ce que conteste la Commission. Quant aux dispositions relatives à l’âge du départ à la retraite des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême), celles-ci auraient été entre-temps remplacées par celles contenues dans la loi du 8 décembre 2017.

43      En ce qui concerne le second grief, tiré de la violation des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, les modifications apportées à l’article 13, point 1, et à l’article 1er, point 26, sous b) et c), de la loi modificative du 12 juillet 2017, par l’article 1er, point 4, de la loi du 12 avril 2018, auraient pour conséquence que l’article 69, paragraphe 1b, de la loi sur les juridictions de droit commun prévoit désormais qu’il appartient au conseil national de la magistrature (Pologne) et non plus au ministre de la Justice d’autoriser la continuation de l’exercice des fonctions d’un magistrat du siège des juridictions de droit commun polonaises au-delà de l’âge de 65 ans. En vertu desdites modifications, le conseil national de la magistrature serait en outre appelé à prendre ses décisions à cet égard en considération de critères différents de ceux qui s’appliquaient jusqu’alors en ce qui concerne les décisions du ministre de la Justice.

44      Pour sa part, la Commission a indiqué, lors de l’audience, qu’elle maintenait son recours.

45      À cet égard, et sans même qu’il y ait lieu d’examiner si les modifications législatives ainsi invoquées par la République de Pologne seraient ou non susceptibles d’avoir mis fin, en tout ou en partie, aux manquements allégués, il suffit de rappeler, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, que l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre en cause telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (arrêt du 6 novembre 2012, Commission/Hongrie, C‑286/12, EU:C:2012:687, point 41 et jurisprudence citée).

46      En l’espèce, il est constant que, à la date à laquelle a expiré le délai fixé par la Commission dans son avis motivé, les dispositions nationales que conteste la Commission par le présent recours étaient toujours en vigueur. Il s’ensuit qu’il y a lieu, pour la Cour, de statuer sur ledit recours.

 Sur le premier grief

 Argumentation des parties

47      Par son premier grief, la Commission soutient que les différenciations opérées, par l’article 13, points 1 à 3, de la loi modificative du 12 juillet 2017, entre les femmes et les hommes, en ce qui concerne, d’une part, l’âge du départ à la retraite pour les magistrats du siège des juridictions de droit commun polonaises et pour les magistrats du parquet polonais, et, d’autre part, l’âge à partir duquel un départ anticipé à la retraite est possible s’agissant des magistrats du siège du Sąd Najwyższy (Cour suprême), à savoir, dans les deux cas, 60 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes, constituent des discriminations fondées sur le sexe proscrites par l’article 157 TFUE ainsi que par l’article 5, sous a), et l’article 9, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/54.

48      Selon la Commission, les régimes de retraite applicables à ces trois catégories de magistrats relèvent de la notion de « rémunération » au sens de l’article 157 TFUE et du champ d’application de la directive 2006/54, dès lors qu’ils répondent aux trois critères établis par la jurisprudence de la Cour, à savoir que la pension de retraite prévue par ces régimes n’intéresse qu’une catégorie particulière de travailleurs, qu’elle est directement fonction du temps de service accompli et que son montant est calculé sur la base du dernier traitement.

49      En effet, premièrement, lesdits régimes concerneraient chacun une catégorie particulière de travailleurs. Deuxièmement, le montant de la pension de retraite des intéressés serait calculé sur la base de la rémunération perçue au titre du dernier poste occupé puisqu’il serait fixé à 75 % de ladite rémunération. Troisièmement, cette pension serait directement fonction du temps de service accompli dès lors qu’il ressortirait des dispositions nationales applicables que le nombre d’années de service constitue un facteur décisif pour le calcul de chacune des deux composantes de cette même rémunération, à savoir, le traitement de base, d’une part, et la prime d’ancienneté, d’autre part.

50      Or, tant l’article 157 TFUE que l’article 5, sous a), et l’article 9, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/54 s’opposeraient à la fixation de conditions d’âge différentes selon le sexe pour l’octroi de telles pensions.

51      Par ailleurs, la Commission est d’avis que les différenciations litigieuses ne constituent pas des mesures d’action positive autorisées au titre des dispositions de l’article 157, paragraphe 4, TFUE et de l’article 3 de la directive 2006/54.

52      Pour sa part, la République de Pologne soutient, à titre principal, que les régimes de retraite en cause ne relèvent ni de l’article 157 TFUE ni de la directive 2006/54, mais bien de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24), dont l’article 7, paragraphe 1, sous a), prévoirait la faculté, pour les États membres, d’exclure du champ d’application de cette dernière directive la question de la fixation de l’âge de la retraite avec octroi d’une pension. En effet, ces régimes ne répondraient pas à l’un des trois critères mentionnés au point 48 du présent arrêt, à savoir que la pension en cause doive être directement fonction du temps de service accompli.

53      Le fait que la prime d’ancienneté soit plafonnée à 20 % du traitement de base et qu’un tel plafond soit atteint après 20 années de carrière impliquerait, en effet, que la période de service n’a qu’une importance secondaire pour le calcul du montant de la pension.

54      Quant au traitement de base, compte tenu du fait que, à son entrée en fonction au Sąd Rejonowy (tribunal d’arrondissement) ou au Prokuratura Rejonowa (parquet d’arrondissement), un juge ou un procureur reçoit une rémunération fixée au taux de base et qu’il bénéficie d’un traitement de base au taux immédiatement supérieur après cinq années d’exercice à un tel poste, chaque juge ou procureur bénéficierait du cinquième taux majoré, à savoir le plus élevé, après 20 années de service. Pour sa part, l’acquisition de taux majorés du fait de l’accession à un niveau supérieur de fonctions dépendrait de promotions individuelles des magistrats concernés et ne serait donc pas directement liée au temps de service accompli.

55      Ainsi, en vertu des dispositions nationales applicables, tous les magistrats du siège ou du parquet, hommes ou femmes, y compris ceux ayant exercé auparavant d’autres activités professionnelles qualifiantes pour l’exercice de la fonction de juge ou de procureur, bénéficieraient de la prime d’ancienneté maximale et du traitement de base majoré maximal bien avant d’avoir atteint l’âge du départ à la retraite. Cela aurait pour conséquence que la différenciation de l’âge du départ à la retraite entre les hommes et les femmes introduite par la loi modificative du 12 juillet 2017 n’a aucun impact sur le montant de la pension de retraite que perçoivent ces magistrats, et ce y compris en cas de retraite anticipée, cette dernière étant en effet conditionnée par l’exigence de pouvoir justifier d’au moins 25 années de carrière professionnelle.

56      Enfin, la République de Pologne fait état de ce que, au moment où les dispositions mises en cause par la Commission étaient encore en vigueur, des dispositions transitoires existaient, à savoir celles prévues à l’article 26, paragraphes 1 et 2, de la loi du 16 novembre 2016, en application desquelles tous les magistrats, tant féminins que masculins, visés par la loi modificative du 12 juillet 2017 et ayant atteint l’âge de 60 ans pour les femmes et de 65 ans pour les hommes au plus tard le 30 avril 2018, pouvaient bénéficier de l’âge du départ à la retraite tel qu’il était précédemment fixé, identique pour les hommes et pour les femmes, moyennant le seul dépôt d’une déclaration dans les délais légaux prescrits et sans qu’aucune autorisation de la part d’une quelconque autorité soit requise.

57      À titre subsidiaire, la République de Pologne considère que les dispositions nationales contestées constituent des « mesures d’action positive autorisées » au titre de l’article 157, paragraphe 4, TFUE et de l’article 3 de la directive 2006/54. En effet, en raison de leur rôle social particulier lié à la maternité et à l’éducation des enfants, les femmes auraient plus de difficultés à s’impliquer de manière continue dans une carrière professionnelle de telle sorte qu’elles bénéficieraient moins souvent de promotions professionnelles que les hommes. Or, l’intérêt public requerrait que les exigences posées en vue de telles promotions demeurent élevées et uniformes, ce qui rendrait impossible l’adoption de mesures d’assouplissement spécifiques aux fins de répondre aux difficultés ainsi rencontrées par les femmes pour faire évoluer leur carrière. La possibilité d’un départ anticipé à la retraite constituerait dès lors une compensation indirecte pour les désagréments ainsi généralement subis par celles-ci.

 Appréciation de la Cour

58      En premier lieu, il convient de rappeler que, selon l’article 157, paragraphe 1, TFUE, chaque État membre assure l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur. Conformément à l’article 157, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE, la rémunération est définie comme étant le salaire ou le traitement ordinaire de base ou minimal, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier.

59      Pour apprécier si une pension de retraite entre dans le champ d’application de l’article 157 TFUE, seul le critère tiré de la constatation que la pension est versée au travailleur en raison de la relation de travail qui l’unit à son ancien employeur, c’est-à-dire le critère de l’emploi, tiré des termes mêmes dudit article, peut revêtir un caractère déterminant (arrêt du 15 janvier 2019, E.B., C‑258/17, EU:C:2019:17, point 45 et jurisprudence citée). Des prestations octroyées au titre d’un régime de pension, qui est fonction, pour l’essentiel, de l’emploi qu’occupait l’intéressé, se rattachent à la rémunération dont bénéficiait ce dernier et relèvent de ladite disposition (arrêt du 26 mars 2009, Commission/Grèce, C‑559/07, non publié, EU:C:2009:198, point 42 et jurisprudence citée).

60      Aux termes d’une jurisprudence constante, relève notamment du champ d’application de l’article 157 TFUE la pension qui n’intéresse qu’une catégorie particulière de travailleurs, qui est directement fonction du temps de service accompli et dont le montant est calculé sur la base du dernier traitement (arrêt du 15 janvier 2019, E.B., C‑258/17, EU:C:2019:17, point 46 et jurisprudence citée).

61      En l’occurrence, les juges des juridictions de droit commun polonaises, les juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et les magistrats du parquet polonais auxquels s’appliquent les trois régimes de pension en cause doivent être considérés comme autant de catégories particulières de travailleurs au sens de la jurisprudence rappelée au point précédent. À cet égard, il découle, en effet, d’une jurisprudence constante que des fonctionnaires bénéficiant d’un régime de pension ne se distinguent des travailleurs groupés dans une entreprise ou un groupement d’entreprises, dans une branche économique ou un secteur professionnel ou interprofessionnel qu’en raison des caractéristiques propres qui régissent leur relation d’emploi avec l’État, avec d’autres collectivités ou employeurs publics (arrêts du 29 novembre 2001, Griesmar, C‑366/99, EU:C:2001:648, point 31 et jurisprudence citée, ainsi que du 26 mars 2009, Commission/Grèce, C‑559/07, non publié, EU:C:2009:198, point 52 et jurisprudence citée).

62       Il est également constant que, en l’occurrence, le montant de la pension de retraite versée à chacune de ces trois catégories de magistrats concernés est calculé sur la base du dernier traitement des intéressés. En effet, il ressort de l’article 100, paragraphe 2, de la loi sur les juridictions de droit commun, de l’article 127, paragraphe 1, de la loi relative au ministère public, qui renvoie audit article 100, et de l’article 50 de la loi sur la Cour suprême de 2002 que le montant de la pension versée à ces magistrats est fixé à 75 % du traitement de base et de la prime d’ancienneté perçus par ceux-ci au titre du dernier poste occupé.

63      S’agissant du point de savoir si de telles pensions sont directement fonction du temps de service accompli par les intéressés, il y a lieu de constater, d’une part, qu’il découle des dispositions de l’article 91, paragraphe 1, et de l’article 91a, paragraphe 3, de la loi sur les juridictions de droit commun, de l’article 124, paragraphes 1 et 5, de la loi relative au ministère public et de l’article 42, paragraphes 4 et 5, de la loi sur la Cour suprême de 2002 que le montant du traitement de base qui constitue l’une des deux composantes de la dernière rémunération à laquelle est appliqué un pourcentage de 75 % aux fins de calculer le montant de la pension revenant à ces différentes catégories de magistrats évolue, notamment, en fonction de l’ancienneté des magistrats concernés.

64      D’autre part, et s’agissant de l’autre composante de cette dernière rémunération, à savoir la prime d’ancienneté, il ressort de l’article 91, paragraphe 7, de la loi sur les juridictions de droit commun, de l’article 124, paragraphe 11, de la loi relative au ministère public, et de l’article 43 de la loi sur la Cour suprême de 2002 que le nombre d’années de service intervient dans le calcul de cette prime puisque celle-ci s’élève à 5 % du traitement de base après cinq années de service et qu’elle progresse ensuite de 1 point par année de service durant quinze ans.

65      En outre, et ainsi que l’a fait observer la Commission, la prime d’ancienneté, en ce qu’elle constitue elle-même un pourcentage du montant de ce traitement de base, lequel évolue en fonction de l’ancienneté des magistrats concernés, est également à ce titre fonction du temps de service accompli par les intéressés.

66      Dans ces conditions, les diverses circonstances invoquées par la République de Pologne mentionnées aux points 53 à 55 du présent arrêt sont dépourvues de pertinence aux fins de déterminer si les pensions versées au titre des régimes de retraite en cause relèvent de la notion de « rémunération », au sens de l’article 157 TFUE.

67      En effet, de telles circonstances n’affectent ni le fait que, ainsi qu’il ressort des constats opérés aux points 63 à 65 du présent arrêt, la durée du service accompli par les intéressés joue en l’occurrence un rôle déterminant dans le calcul du montant de leur pension ni la circonstance que les pensions versées au titre des régimes de retraite concernés sont fonction, pour l’essentiel, de l’emploi qu’occupaient les intéressés, ce qui, en vertu de la jurisprudence constante rappelée au point 59 du présent arrêt, constitue le critère déterminant aux fins de la qualification comme « rémunération », au sens de l’article 157 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 28 septembre 1994, Beune, C‑7/93, EU:C:1994:350, points 5 et 46 ; du 29 novembre 2001, Griesmar, C‑366/99, EU:C:2001:648, points 33 à 35, ainsi que du 12 septembre 2002, Niemi, C‑351/00, EU:C:2002:480, points 45 et 55).

68      À cet égard, il convient de préciser, en outre, que, ainsi que l’a fait valoir la Commission, ce lien entre la pension et l’emploi exercé par les intéressés se trouve encore renforcé par le fait qu’il ressort de l’article 100, paragraphe 3, de la loi sur les juridictions de droit commun, de l’article 127, paragraphe 1, de la loi relative au ministère public, qui renvoie audit article 100, et de l’article 50 de la loi sur la Cour suprême de 2002 que les pensions concernées font l’objet de revalorisations qui sont elles-mêmes fonction de l’évolution que connaît la rémunération des magistrats en activité.

69      Il découle de tout ce qui précède que des pensions versées en vertu de régimes tels que ceux établis par la loi sur les juridictions de droit commun, la loi relative au ministère public et la loi sur la Cour suprême de 2002 relèvent de la notion de « rémunération » au sens de l’article 157 TFUE.

70      En ce qui concerne la directive 2006/54, en particulier l’article 5, sous a), et l’article 9, paragraphe 1, sous f), de celle-ci, dont la Commission allègue également la violation, il convient de relever que ces dispositions figurent, toutes deux, dans le chapitre 2 du titre II de ladite directive, lequel chapitre comporte, ainsi qu’il ressort de son intitulé, des dispositions consacrées à l’égalité de traitement dans les régimes professionnels de sécurité sociale.

71      L’article 7 de la directive 2006/54, qui définit le champ d’application matériel dudit chapitre 2, précise, à son paragraphe 2, que ce chapitre s’applique notamment aux régimes de pension destinés à une catégorie particulière de travailleurs, comme celle des fonctionnaires, si les prestations payables en vertu d’un tel régime sont versées en raison de la relation de travail avec l’employeur public.

72      À cet égard, il ressort du considérant 14 de la directive 2006/54 que le législateur de l’Union a entendu prendre acte de ce que, conformément à la jurisprudence de la Cour rappelée au point 60 du présent arrêt, un régime de pension pour fonctionnaires entre dans le champ d’application du principe de l’égalité de rémunération énoncé à l’article 157 TFUE si les prestations payables en vertu de ce régime sont versées au travailleur en raison de sa relation de travail avec l’employeur public, une telle condition étant satisfaite si ledit régime de pension concerne une catégorie particulière de travailleurs et si les prestations sont directement fonction du temps de service accompli et calculées sur la base du dernier traitement du fonctionnaire.

73      Or, il ressort des points 61 à 69 du présent arrêt que les trois régimes de pension concernés par le présent recours satisfont auxdites conditions, de telle sorte qu’ils relèvent du champ d’application matériel du chapitre 2 du titre II de la directive 2006/54 et, partant, de celui des articles 5 et 9 de celle-ci.

74      En deuxième lieu, il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, que l’article 157 TFUE interdit toute discrimination en matière de rémunération entre travailleurs masculins et travailleurs féminins quel que soit le mécanisme qui détermine cette inégalité. D’après cette même jurisprudence, la fixation d’une condition d’âge différente selon le sexe pour l’octroi d’une pension constituant une rémunération au sens de l’article 157 TFUE est contraire à cette disposition (voir, en ce sens, arrêts du 17 mai 1990, Barber, C‑262/88, EU:C:1990:209, point 32 ; du 12 septembre 2002, Niemi, C‑351/00, EU:C:2002:480, point 53, ainsi que du 13 novembre 2008, Commission/Italie, C‑46/07, non publié, EU:C:2008:618, point 55).

75      Quant à l’article 5, sous a), de la directive 2006/54, il dispose que toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est proscrite dans les régimes professionnels de sécurité sociale, en particulier en ce qui concerne le champ d’application et les conditions d’accès à de tels régimes.

76      Pour sa part, l’article 9, paragraphe 1, de cette directive identifie un certain nombre de dispositions qui, lorsqu’elles se fondent sur le sexe, soit directement, soit indirectement, sont à classer au nombre des dispositions contraires au principe de l’égalité de traitement. Tel est notamment le cas, ainsi qu’il ressort du point f) de ladite disposition, des dispositions qui se fondent sur le sexe pour imposer des âges différents de retraite. Le législateur de l’Union a, de la sorte, décidé que les règles dans le domaine des régimes professionnels de sécurité sociale auxquelles se réfère ladite disposition sont contraires au principe de l’égalité de traitement énoncé par la directive 2006/54 (arrêt du 3 septembre 2014, X, C‑318/13, EU:C:2014:2133, point 48).

77      Or, en l’occurrence, il est constant que les dispositions de l’article 13, points 1 à 3, de la loi modificative du 12 juillet 2017, en ce qu’elles fixent l’âge du départ à la retraite des magistrats des juridictions de droit commun et du parquet, respectivement, à 60 ans pour les femmes et à 65 ans pour les hommes, et en ce qu’elles autorisent une éventuelle retraite anticipée des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) à partir de l’âge de 65 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes, se fondent sur le sexe pour imposer des âges différents de retraite.

78      Ce faisant, lesdites dispositions introduisent dans les régimes de pension concernés des conditions directement discriminatoires fondées sur le sexe, notamment, en ce qui concerne le moment auquel les intéressés peuvent bénéficier d’un accès effectif aux avantages prévus par ces régimes, de telle sorte qu’elles méconnaissent tant l’article 157 TFUE que l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2006/54, en particulier son point a), lu en combinaison avec l’article 9, paragraphe 1, sous f), de cette même directive.

79      En troisième lieu, s’agissant de l’argument de la République de Pologne selon lequel la fixation, pour le départ à la retraite, de telles conditions d’âge différentes selon le sexe serait justifiée par l’objectif d’éliminer des discriminations au détriment des femmes, il ressort d’une jurisprudence constante qu’il ne saurait prospérer.

80      Même si l’article 157, paragraphe 4, TFUE autorise les États membres à maintenir ou à adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à prévenir ou à compenser des désavantages dans la carrière professionnelle, afin d’assurer une pleine égalité entre les hommes et les femmes dans la vie professionnelle, il ne saurait en être déduit que cette disposition permet la fixation de telles conditions d’âge différentes selon le sexe. En effet, les mesures nationales couvertes par ladite disposition doivent, en tout état de cause, contribuer à aider les femmes à mener leur vie professionnelle sur un pied d’égalité avec les hommes (voir, en ce sens, arrêts du 29 novembre 2001, Griesmar, C‑366/99, EU:C:2001:648, point 64, et du 13 novembre 2008, Commission/Italie, C‑46/07, non publié, EU:C:2008:618, point 57).

81      Or, la fixation, pour le départ à la retraite, d’une condition d’âge différente selon le sexe n’est pas de nature à compenser les désavantages auxquels sont exposées les carrières des fonctionnaires féminins en aidant ces femmes dans leur vie professionnelle et en remédiant aux problèmes qu’elles peuvent rencontrer durant leur carrière professionnelle (arrêt du 13 novembre 2008, Commission/Italie, C‑46/07, non publié, EU:C:2008:618, point 58).

82      Pour les raisons exposées aux deux points précédents, une telle mesure ne saurait davantage être autorisée sur le fondement de l’article 3 de la directive 2006/54. En effet, ainsi qu’il ressort du libellé même de cette disposition et du considérant 22 de cette directive, les mesures auxquelles renvoie ladite disposition sont uniquement celles qu’autorise l’article 157, paragraphe 4, TFUE lui-même.

83      En quatrième lieu, et s’agissant des mesures transitoires dont a fait état la République de Pologne dans son mémoire en duplique et lors de l’audience, il suffit de relever que lesdites mesures n’étaient, en tout état de cause et de l’aveu même dudit État membre, susceptibles de bénéficier qu’aux magistrats féminins ayant atteint l’âge de 60 ans avant le 30 avril 2018. Il découle ainsi de ce qui précède que, à la date pertinente pour apprécier le bien-fondé du présent recours, à savoir, ainsi qu’il a été rappelé aux points 45 et 46 du présent arrêt, celle à laquelle a expiré le délai fixé dans l’avis motivé, les discriminations fondées sur le sexe que dénonce la Commission demeuraient entières.

84      Eu égard aux considérations qui précèdent, le premier grief de la Commission, tiré d’une violation de l’article 157 TFUE ainsi que de l’article 5, sous a), et de l’article 9, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/54, doit être accueilli.

 Sur le second grief

 Sur la portée du grief

85      Lors de l’audience, la Commission a précisé que, par son second grief, elle demande, en substance, à ce que soit constatée la violation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte. Selon la Commission, la notion de « protection juridictionnelle effective » visée à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit, en effet, être interprétée en ayant égard au contenu de l’article 47 de la Charte et, notamment, aux garanties inhérentes au droit à un recours effectif que consacre cette dernière disposition, de telle sorte que la première de ces dispositions implique que la préservation de l’indépendance d’instances telles que les juridictions de droit commun polonaises auxquelles est notamment confiée la tâche d’interpréter et d’appliquer le droit de l’Union doit être garantie.

86      Aux fins de statuer sur le présent grief, il y a lieu, dès lors, d’examiner si la République de Pologne a manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

 Argumentation des parties

87      S’appuyant, en particulier, sur l’arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117), la Commission soutient que, pour satisfaire à l’obligation que lui impose l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE de prévoir un système de voies de recours assurant un contrôle juridictionnel effectif dans les domaines couverts par le droit de l’Union, la République de Pologne est tenue, notamment, de garantir que les instances nationales qui, à l’instar des juridictions de droit commun polonaises, sont susceptibles de se prononcer sur des questions portant sur l’application ou l’interprétation de ce droit satisfont à l’exigence d’indépendance des juges, cette dernière relevant du contenu essentiel du droit fondamental à un procès équitable ainsi qu’il ressort, notamment, de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte.

88      Or, selon la Commission, en abaissant, par l’article 13, point 1, de la loi modificative du 12 juillet 2017, l’âge du départ à la retraite applicable aux magistrats du siège des juridictions de droit commun polonaises à 65 ans pour les hommes et à 60 ans pour les femmes, tout en habilitant le ministre de la Justice à autoriser ou non la prolongation de la période d’exercice actif de leurs fonctions de magistrat jusqu’à l’âge de 70 ans, en vertu de l’article 1er, point 26, sous b) et c), de ladite loi, la République de Pologne a enfreint l’obligation mentionnée au point précédent.

89      À cet égard, la Commission fait valoir que les critères sur la base desquels le ministre de la Justice est appelé à prendre sa décision revêtent un caractère trop vague et que les dispositions litigieuses n’obligent, en outre, celui-ci, ni à autoriser la continuation de l’exercice des fonctions du juge concerné sur la base desdits critères ni à motiver sa décision en fonction de ceux-ci, ladite décision n’étant en outre pas susceptible de contrôle juridictionnel. Lesdites dispositions ne préciseraient pas davantage dans quel délai ni pour combien de temps cette décision du ministre de la Justice doit être prise et si elle peut ou doit, le cas échéant, être renouvelée.

90      Selon la Commission, eu égard au pouvoir discrétionnaire dont le ministre de la Justice se trouve ainsi investi, la perspective de devoir s’adresser à celui-ci pour demander une telle prolongation de l’exercice des fonctions de juge et, une fois une telle demande introduite, la situation d’attente de la décision du ministre pour une durée non précisée seraient susceptibles de générer, pour le magistrat concerné, une pression de nature à le conduire à se plier à d’éventuels souhaits du pouvoir exécutif en ce qui concerne les affaires dont il se trouve saisi, y compris lorsqu’il est amené à interpréter et à appliquer des dispositions du droit de l’Union. Les dispositions litigieuses porteraient ainsi atteinte à l’indépendance personnelle et fonctionnelle des magistrats en activité.

91      De l’avis de la Commission, ces mêmes dispositions porteraient également atteinte à l’inamovibilité des magistrats concernés. La Commission souligne, à cet égard, que son grief concerne non pas la mesure d’abaissement de l’âge du départ à la retraite des magistrats en tant que telle, mais le fait que cet abaissement ait été en l’occurrence accompagné de l’octroi d’un tel pouvoir discrétionnaire au ministre de la Justice. Selon la Commission, les magistrats devraient en effet être protégés contre toute décision les privant arbitrairement du droit de continuer à exercer leurs fonctions juridictionnelles, non seulement en cas de perte formelle de leur statut résultant, par exemple, d’une révocation, mais également lorsqu’il s’agit de prolonger ou non un tel exercice après qu’ils ont atteint l’âge de la retraite et alors qu’eux-mêmes souhaitent continuer à siéger et que leur état de santé le permet.

92      Dans ce contexte, la Commission fait valoir que l’argument avancé par la République de Pologne selon lequel les dispositions litigieuses auraient eu pour but d’aligner l’âge du départ à la retraite des magistrats des juridictions de droit commun polonaises sur l’âge général de la retraite applicable aux travailleurs est dépourvu de fondement dès lors qu’une violation du principe d’indépendance des juges n’admettrait aucune justification. En tout état de cause, le régime général de retraite emporterait, à la différence du régime applicable aux juges des juridictions de droit commun contesté, non pas une mise à la retraite automatique des travailleurs mais seulement le droit, et non l’obligation, pour ceux-ci, de cesser leur activité. De plus, il ressortirait du livre blanc du 8 mars 2018 édité par le gouvernement polonais et consacré à la réforme des juridictions polonaises que le but de l’abaissement de l’âge du départ à la retraite des magistrats aurait notamment été d’écarter certaines catégories de magistrats.

93      La République de Pologne fait valoir, en premier lieu, que des règles nationales telles que celles que conteste la Commission dans son recours ont trait à l’organisation et au bon fonctionnement de la justice nationale, lesquels relèvent non pas du droit de l’Union ou de la compétence de cette dernière, mais de la compétence exclusive et de l’autonomie procédurale des États membres. De telles règles nationales ne pourraient ainsi être contrôlées à l’aune de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, sans étendre de manière excessive la portée desdites dispositions du droit de l’Union, lesquelles n’auraient en effet vocation à s’appliquer que dans des situations régies par ce droit.

94      En l’occurrence, il n’y aurait, notamment, aucune situation de mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Il découlerait, d’ailleurs, de l’article 6, paragraphe 1, TUE ainsi que de l’article 51, paragraphe 2, de la Charte que celle-ci n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour celle-ci. Pour sa part, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE énoncerait seulement une obligation générale de prendre les mesures nécessaires en vue d’assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union, sans conférer à cette dernière de compétence en ce qui concerne l’adoption des règles organiques relatives au pouvoir judiciaire, notamment celles relatives à l’âge du départ à la retraite des magistrats, lesquelles ne présenteraient pas de liens réels avec le droit de l’Union.

95      En deuxième lieu, la République de Pologne conteste toute atteinte à l’inamovibilité des juges dès lors que cette dernière ne concernerait que les magistrats en exercice et que, pour sa part, la réglementation nationale litigieuse aurait trait à des juges ayant déjà atteint l’âge légal du départ à la retraite. Une fois admis à la retraite, les juges conserveraient leur statut de magistrat et acquerraient le droit à une pension de retraite nettement plus élevée que les prestations de retraite prévues par le régime général de sécurité sociale. En l’occurrence, l’alignement de l’âge du départ à la retraite des juges sur celui du régime général de retraite applicable aux travailleurs ne pourrait, au demeurant, être considéré comme arbitraire ou injustifié.

96      En troisième lieu, il découlerait des critères légaux sur la base desquels le ministre de la Justice est amené à prendre sa décision quant à la prolongation éventuelle de l’exercice des fonctions d’un juge au-delà de l’âge normal du départ à la retraite, qu’un refus de prolongation n’est acceptable que lorsqu’il est justifié par une faible charge de travail du juge concerné au sein de la juridiction dans laquelle il occupe un poste et par le besoin de réaffecter ce poste à une autre juridiction ayant une charge de travail plus élevée. Une telle mesure serait légitime eu égard, notamment, à l’impossibilité, sauf circonstances exceptionnelles, de muter les juges dans une autre juridiction sans leur consentement.

97      En tout état de cause, la crainte que les juges en exercice puissent, au cours d’une période de six à douze mois, être tentés de statuer dans un sens favorable au pouvoir exécutif, en raison de l’incertitude quant à la décision qui sera prise en ce qui concerne la prolongation éventuelle de l’exercice de leurs fonctions, serait dépourvue de fondement. En effet, il serait erroné de croire qu’un juge puisse, après avoir siégé pendant de très nombreuses années, ressentir une pression liée à la non-prolongation éventuelle de ses fonctions de quelques années supplémentaires. Au demeurant, la garantie d’indépendance des juges n’impliquerait pas forcément une absence absolue de rapports entre les pouvoirs exécutif et judiciaire. Ainsi, le renouvellement d’un juge de la Cour de justice de l’Union européenne dépendrait, lui aussi, de l’appréciation du gouvernement de l’État membre dont relève l’intéressé.

 Appréciation de la Cour

–       Sur l’applicabilité et la portée de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE

98      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE, confie aux juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit [arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 50 ainsi que jurisprudence citée, et du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 47].

99      À ce titre, et ainsi que le prévoit l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Ainsi, il appartient aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant un contrôle juridictionnel effectif dans lesdits domaines [arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 34 et jurisprudence citée, ainsi que du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 48].

100    Le principe de protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, auquel se réfère ainsi l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, constitue, en effet, un principe général du droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et qui est à présent affirmé à l’article 47 de la Charte [arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 35 et jurisprudence citée, ainsi que du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 49].

101    Quant au champ d’application matériel de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, il y a lieu de rappeler que cette disposition vise les « domaines couverts par le droit de l’Union », indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte [arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 29, et du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 50].

102    Par ailleurs, si, ainsi que le rappelle la République de Pologne, l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence de ces derniers, il n’en demeure pas moins que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres sont tenus de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union et, en particulier, de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE [arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 40, et du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 52 ainsi que jurisprudence citée].

103    À cet égard, tout État membre doit, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, notamment assurer que les instances relevant, en tant que « juridictions », au sens défini par le droit de l’Union, de son système de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de l’Union et qui sont, partant, susceptibles de statuer, en cette qualité, sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union, satisfont aux exigences d’une protection juridictionnelle effective [voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 55 ainsi que jurisprudence citée].

104    En l’occurrence, il n’est pas contesté que les juridictions de droit commun polonaises peuvent, en cette qualité, être appelées à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union et qu’elles relèvent, en tant que « juridictions », au sens défini par ce droit, du système polonais de voies de recours dans les « domaines couverts par le droit de l’Union », au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de telle sorte que ces juridictions doivent satisfaire aux exigences d’une protection juridictionnelle effective.

105    Or, pour garantir que de telles juridictions de droit commun soient à même d’offrir une telle protection, la préservation de l’indépendance de ces instances est primordiale ainsi que le confirme l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui mentionne l’accès à un tribunal « indépendant » parmi les exigences liées au droit fondamental à un recours effectif [voir, en ce sens, arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 53 ainsi que jurisprudence citée, et du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 57].

106    Cette exigence d’indépendance des juridictions, qui est inhérente à la mission de juger, relève du contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit fondamental à un procès équitable, lequel revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit [arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, points 48 et 63, ainsi que du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 58].

107    Eu égard à ce qui précède, les règles nationales visées par le second grief formulé par la Commission dans son recours peuvent faire l’objet d’un contrôle au regard de l’article 19 paragraphe 1, second alinéa, TUE et il convient, dès lors, d’examiner si, ainsi que le soutient cette institution, la République de Pologne a violé cette disposition.

–       Sur le grief

108    Il y a lieu de rappeler que l’exigence d’indépendance des juridictions, dont les États membres doivent, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, assurer le respect, en ce qui concerne les juridictions nationales qui, à l’instar des juridictions de droit commun polonaises, sont appelées à statuer sur des questions liées à l’interprétation et à l’application du droit de l’Union, comporte deux aspects [voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 71].

109    Le premier aspect, d’ordre externe, requiert que l’instance concernée exerce ses fonctions en toute autonomie, sans être soumise à aucun lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, étant ainsi protégée contre les interventions ou les pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions [arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 44 et jurisprudence citée, ainsi que du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 72].

110    Le second aspect, d’ordre interne, rejoint, pour sa part, la notion d’impartialité et vise l’égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs au regard de l’objet de celui-ci. Cet aspect exige le respect de l’objectivité et l’absence de tout intérêt dans la solution du litige en dehors de la stricte application de la règle de droit [arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 65 ainsi que jurisprudence citée, et du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 73].

111    Ces garanties d’indépendance et d’impartialité postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l’instance, la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes d’abstention, de récusation et de révocation de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de ladite instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent [arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 66 ainsi que jurisprudence citée, et du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 74].

112    Ainsi qu’il résulte également d’une jurisprudence constante, l’indispensable liberté des juges à l’égard de toutes interventions ou pressions extérieures exige certaines garanties propres à protéger la personne de ceux qui ont pour tâche de juger, telles que l’inamovibilité [arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 64 ainsi que jurisprudence citée, et du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 75].

113    Le principe d’inamovibilité exige, notamment, que les juges puissent demeurer en fonction tant qu’ils n’ont pas atteint l’âge obligatoire du départ à la retraite ou jusqu’à l’expiration de leur mandat lorsque celui-ci revêt une durée déterminée. Sans revêtir un caractère totalement absolu, ledit principe ne peut souffrir d’exceptions qu’à condition que des motifs légitimes et impérieux le justifient, dans le respect du principe de proportionnalité. Ainsi est-il communément admis que les juges puissent être révoqués s’ils sont inaptes à poursuivre leurs fonctions en raison d’une incapacité ou d’un manquement grave, moyennant le respect de procédures appropriées [arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 76].

114    À ce dernier égard, il découle, plus précisément, de la jurisprudence de la Cour que l’exigence d’indépendance impose que les règles gouvernant le régime disciplinaire et, partant, une révocation éventuelle de ceux qui ont pour tâche de juger présentent les garanties nécessaires afin d’éviter tout risque d’utilisation d’un tel régime en tant que système de contrôle politique du contenu des décisions judiciaires. Ainsi, l’édiction de règles qui définissent, notamment, tant les comportements constitutifs d’infractions disciplinaires que les sanctions concrètement applicables, qui prévoient l’intervention d’une instance indépendante conformément à une procédure qui garantit pleinement les droits consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte, notamment les droits de la défense, et qui consacrent la possibilité de contester en justice les décisions des organes disciplinaires constitue un ensemble de garanties essentielles aux fins de la préservation de l’indépendance du pouvoir judiciaire [arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 67, ainsi que du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 77].

115    Eu égard à l’importance cardinale du principe d’inamovibilité, une exception à celui-ci ne saurait ainsi être admise que si elle est justifiée par un objectif légitime et proportionnée au regard de celui-ci et pour autant qu’elle n’est pas de nature à susciter des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité des juridictions concernées à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent [voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 79].

116    En l’occurrence, et ainsi qu’elle l’a précisé tant dans ses écritures que lors de l’audience, par son second grief, la Commission n’entend pas critiquer la mesure d’abaissement de l’âge du départ à la retraite des juges des juridictions de droit commun polonaises en tant que telle. Ce grief vise en effet essentiellement le mécanisme dont a été assortie cette mesure, en vertu duquel le ministre de la Justice est habilité à autoriser la continuation de l’exercice des fonctions juridictionnelles actives des juges desdites juridictions au-delà de l’âge du départ à la retraite ainsi abaissé. Selon la Commission, eu égard à ses caractéristiques, ce mécanisme porterait atteinte à l’indépendance des juges concernés en ce qu’il ne permettrait pas de garantir que ceux-ci exercent leurs fonctions en toute autonomie en étant protégés contre les interventions ou les pressions extérieures. En outre, la combinaison de ladite mesure et dudit mécanisme porterait atteinte à l’inamovibilité des intéressés.

117    À cet égard, il y a lieu de relever, à titre liminaire, que le mécanisme ainsi critiqué par la Commission a trait non pas au processus de nomination de candidats à l’exercice de fonctions juridictionnelles, mais à la possibilité, pour des juges en exercice bénéficiant donc des garanties inhérentes à l’exercice de ces fonctions, de poursuivre l’exercice de celles-ci au-delà de l’âge normal du départ à la retraite, et que ledit mécanisme concerne, dès lors, les conditions de déroulement et de cessation de la carrière de ceux-ci [voir, par analogie, arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 109].

118    Par ailleurs, s’il appartient aux seuls États membres de décider s’ils autorisent ou non une telle prolongation de l’exercice de fonctions juridictionnelles au-delà de l’âge normal du départ à la retraite, il demeure que, lorsque ceux-ci optent pour un tel mécanisme, ils sont tenus de veiller à ce que les conditions et les modalités auxquelles se trouve soumise une telle prolongation ne soient pas de nature à porter atteinte au principe de l’indépendance des juges [arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 110].

119    S’agissant de la nécessité, rappelée aux points 109 à 111 du présent arrêt, de garantir que les instances juridictionnelles puissent exercer leurs fonctions en toute autonomie, dans le respect de l’objectivité et en l’absence de tout intérêt dans la solution du litige, en étant protégées contre les interventions ou les pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de jugement de leurs membres et d’influencer leurs décisions, il convient, certes, de relever que la circonstance qu’un organe tel que le ministre de la Justice soit investi du pouvoir de décider ou non d’accorder une prolongation éventuelle de l’exercice des fonctions juridictionnelles au-delà de l’âge normal du départ à la retraite n’est pas suffisante, à elle seule, pour conclure à l’existence d’une atteinte au principe d’indépendance des juges. Toutefois, il y a lieu de s’assurer que les conditions de fond et les modalités procédurales présidant à l’adoption de telles décisions soient telles qu’elles ne puissent pas faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes quant à l’imperméabilité des juges concernés à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent [voir, par analogie, arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 111].

120    À cette fin, il importe, notamment, que lesdites conditions et modalités soient conçues de telle manière que ces juges se trouvent à l’abri d’éventuelles tentations de céder à des interventions ou à des pressions extérieures susceptibles de mettre en péril leur indépendance. De telles modalités doivent, ainsi, en particulier, permettre d’exclure non seulement toute influence directe, sous forme d’instructions, mais également les formes d’influence plus indirecte susceptibles d’orienter les décisions des juges concernés [arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 112 et jurisprudence citée].

121    Or, en l’occurrence, les conditions et les modalités procédurales auxquelles les dispositions nationales contestées subordonnent la continuation éventuelle de l’exercice des fonctions de juge des juridictions de droit commun polonaises au-delà du nouvel âge du départ à la retraite ne satisfont pas à de telles exigences.

122    Tout d’abord, il y a lieu de relever que l’article 69, paragraphe 1b, de la loi sur les juridictions de droit commun prévoit que le ministre de la Justice peut décider d’autoriser ou non une telle continuation en fonction de certains critères. Ces critères apparaissent toutefois trop vagues et non vérifiables et, au demeurant, ainsi que l’a admis la République de Pologne lors de l’audience, la décision du ministre ne doit pas être motivée, notamment à l’aune de ceux-ci. En outre, une telle décision ne peut faire l’objet d’un recours juridictionnel [voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 114].

123    Ensuite, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 69, paragraphe 1, de la loi sur les juridictions de droit commun, la demande de prolongation de l’exercice des fonctions juridictionnelles doit être formulée par les magistrats intéressés au plus tôt douze mois et au plus tard six mois avant d’atteindre l’âge normal du départ à la retraite. Par ailleurs, ainsi que l’a fait valoir la Commission dans ses écritures et lors de l’audience sans que cela soit contesté par la République de Pologne, ladite disposition n’impartit pas au ministre de la Justice un délai au cours duquel celui-ci doit prendre sa décision à cet égard. Cette disposition, conjuguée à celle de l’article 69, paragraphe 1b, de cette même loi, qui prévoit que, lorsqu’un juge atteint l’âge normal du départ à la retraite avant la fin de la procédure visant à une prolongation de l’exercice de ses fonctions, l’intéressé demeure en fonction jusqu’à la clôture de ladite procédure, est de nature à faire perdurer la période d’incertitude dans laquelle se trouve le juge concerné. Il découle de ce qui précède que la durée de la période pendant laquelle les juges sont ainsi susceptibles de demeurer dans l’attente de la décision du ministre de la Justice une fois sollicitée la prolongation de l’exercice de leurs fonctions relève en dernière analyse, elle aussi, de la discrétion de ce dernier.

124    Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater que le pouvoir dont se trouve en l’occurrence investi le ministre de la Justice aux fins d’autoriser ou non la continuation de l’exercice des fonctions de juge des juridictions de droit commun polonaises, de l’âge de 60 ans à l’âge de 70 ans pour les femmes, et de l’âge de 65 ans à l’âge de 70 ans pour les hommes, est de nature à engendrer des doutes légitimes, notamment dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité des juges concernés à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts susceptibles de s’affronter devant eux [voir, par analogie, arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 118].

125    Par ailleurs, ce pouvoir méconnaît aussi le principe d’inamovibilité qui est inhérent à l’indépendance judiciaire [arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 96].

126    À cet égard, il convient de souligner que ledit pouvoir a été conféré au ministre de la Justice dans le contexte plus général d’une réforme ayant conduit à abaisser l’âge normal du départ à la retraite, notamment, des juges des juridictions de droit commun polonaises.

127    Premièrement, eu égard, notamment, à certains documents préparatoires relatifs à la réforme en cause, la combinaison des deux mesures mentionnées au point précédent est de nature à créer, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes quant au fait que le nouveau système pourrait en réalité avoir visé  à permettre au ministre de la Justice, agissant de manière discrétionnaire, d’écarter, une fois atteint l’âge normal du départ à la retraite nouvellement fixé, certains groupes de juges en exercice au sein des juridictions de droit commun polonaises tout en maintenant en fonction une autre partie de ceux-ci [voir, par analogie, arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 85].

128    Deuxièmement, il convient de souligner que la durée d’exercice des fonctions juridictionnelles des magistrats du siège des juridictions de droit commun polonaises, relevant ainsi du pouvoir purement discrétionnaire du ministre de la Justice, est considérable puisqu’il s’agit des dix dernières années d’exercice de telles fonctions dans une carrière de magistrat féminin et des cinq dernières années d’exercice de ces fonctions en ce qui concerne une carrière de magistrat masculin.

129    Troisièmement, il importe de rappeler que, en vertu de l’article 69, paragraphe 1b, de la loi sur les juridictions de droit commun, lorsqu’un juge atteint l’âge normal du départ à la retraite avant la fin de la procédure visant à une prolongation de l’exercice de ses fonctions, l’intéressé demeure en fonction jusqu’à la clôture de ladite procédure. En pareille hypothèse, la décision négative éventuelle du ministre de la Justice, dont il a, en outre, déjà été souligné, au point 123 du présent arrêt, qu’elle n’est soumise à aucun délai, intervient donc après que le magistrat intéressé a été maintenu en fonction, le cas échéant durant une période d’incertitude relativement longue, au-delà de cet âge normal du départ à la retraite.

130    Eu égard aux considérations énoncées aux points 126 à 129 du présent arrêt, il y a lieu de constater que, faute de respecter les exigences rappelées aux points 113 à 115 du présent arrêt, la combinaison de la mesure d’abaissement de l’âge normal du départ à la retraite à 60 ans pour les femmes et à 65 ans pour les hommes, et du pouvoir discrétionnaire dont se trouve en l’occurrence investi le ministre de la Justice aux fins d’autoriser ou de refuser la continuation de l’exercice des fonctions de juge des juridictions de droit commun polonaises, de 60 ans à 70 ans, pour les femmes, et de 65 ans à 70 ans pour les hommes, méconnaît le principe d’inamovibilité.

131    Le constat opéré au point précédent n’est affecté ni par les circonstances, invoquées par la République de Pologne, que les juges qui ne se voient pas autorisés à continuer l’exercice desdites fonctions conservent le titre de juge ou qu’ils continuent de bénéficier d’une immunité et d’émoluments élevés une fois mis à la retraite, ni par l’argument formel de ce même État membre selon lequel les juges concernés ne pourraient plus bénéficier de la garantie d’inamovibilité au motif qu’ils auraient déjà atteint le nouvel âge légal du départ à la retraite. À ce second égard, il a, au demeurant, déjà été rappelé, au point 129 du présent arrêt, que, ainsi qu’il ressort de l’article 69, paragraphe 1b, de la loi sur les juridictions de droit commun, la décision du ministre de la Justice de prolonger ou non l’exercice des fonctions juridictionnelles des intéressés est susceptible d’intervenir alors que ceux-ci ont été maintenus en fonction au-delà de ce nouvel âge normal du départ à la retraite.

132    S’agissant, enfin, de l’argument de la République de Pologne tiré d’une similarité entre les dispositions nationales ainsi mises en cause et la procédure applicable à l’occasion du renouvellement éventuel du mandat de juge de la Cour de justice de l’Union européenne, celui-ci ne saurait prospérer.

133    À cet égard, il convient de rappeler que, à la différence de magistrats nationaux qui sont nommés jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge légal de la retraite, la nomination de juges au sein de la Cour intervient, ainsi que le prévoit l’article 253 TFUE, pour une durée déterminée de six années. Par ailleurs, une nouvelle nomination à un tel poste d’un juge sortant requiert, en vertu de cet article, et à l’instar de la nomination initiale de celui-ci, le commun accord des gouvernements des États membres, après avis du comité prévu à l’article 255 TFUE [voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 121].

134    Les conditions ainsi fixées par les traités ne sauraient modifier la portée des obligations auxquelles les États membres sont tenus en application de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE [arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 122].

135    Eu égard à tout ce qui précède, le second grief de la Commission, tiré de la violation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, doit être accueilli.

136    Le recours de la Commission doit dès lors être accueilli dans son ensemble de telle sorte qu’il y a lieu de constater :

–        d’une part, que, en instaurant, par l’article 13, points 1 à 3, de la loi modificative du 12 juillet 2017, un âge du départ à la retraite différent pour les femmes et les hommes appartenant à la magistrature du siège dans les juridictions de droit commun polonaises et au Sąd Najwyższy (Cour suprême) ou à la magistrature du parquet polonais, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 157 TFUE ainsi que de l’article 5, sous a), et de l’article 9, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/54, et

–        d’autre part, que, en habilitant, au titre de l’article 1er, point 26, sous b) et c), de la loi modificative du 12 juillet 2017, le ministre de la Justice à autoriser ou non la continuation de l’exercice des fonctions des magistrats du siège des juridictions de droit commun polonaises au-delà du nouvel âge du départ à la retraite desdits magistrats, tel qu’abaissé par l’article 13, point 1, de cette même loi, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

 Sur les dépens

137    En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Pologne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1)      En instaurant, par l’article 13, points 1 à 3, de l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych oraz niektórych innych ustaw (loi portant modification de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun et de certaines autres lois), du 12 juillet 2017, un âge du départ à la retraite différent pour les femmes et les hommes appartenant à la magistrature du siège dans les juridictions de droit commun polonaises et au Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) ou à la magistrature du parquet polonais, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 157 TFUE ainsi que de l’article 5, sous a), et de l’article 9, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.

2)      En habilitant, au titre de l’article 1er, point 26, sous b) et c), de la loi portant modification de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun et de certaines autres lois, du 12 juillet 2017, le ministre de la Justice (Pologne) à autoriser ou non la continuation de l’exercice des fonctions des magistrats du siège des juridictions de droit commun polonaises au-delà du nouvel âge du départ à la retraite desdits magistrats, tel qu’abaissé par l’article 13, point 1, de cette même loi, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

3)      La République de Pologne est condamnée aux dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.