Language of document : ECLI:EU:C:2020:431

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

4 juin 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE – Article 7, paragraphe 1 – Crédit à la consommation – Contrôle du caractère abusif des clauses – Absence de comparution du consommateur – Étendue de l’office du juge »

Dans l’affaire C‑495/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Okręgowy w Poznaniu (tribunal régional de Poznań, Pologne), par décision du 14 mai 2019, parvenue à la Cour le 26 juin 2019, dans la procédure

Kancelaria Medius SA

contre

RN,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. M. Safjan, président de chambre, Mme C. Toader (rapporteure) et M. N. Jääskinen, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Kancelaria Medius SA, par M. D. Woźniak, adwokat,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme R. Kissné Berta, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. N. Ruiz García et Mme A. Szmytkowska, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Kancelaria Medius SA à RN au sujet d’une créance prétendument due par ce dernier dans le cadre d’un contrat de crédit à la consommation.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 93/13 prévoit :

« La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur. »

4        L’article 2, sous b) et c), de cette directive définit les termes de « consommateur » et de « professionnel » comme suit :

« b)      “consommateur” : toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ;

c)      “professionnel” : toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée. »

5        L’article 3, paragraphe 1, de ladite directive dispose :

« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. »

6        L’article 6, paragraphe 1, de la même directive énonce :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

7        L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 prévoit :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

 Le droit polonais

8        L’article 339 du Kodeks postępowania cywilnego (code de procédure civile) énonce :

« 1.      Le tribunal rend un jugement par défaut lorsque le défendeur n’a pas comparu à l’audience ou, bien qu’ayant comparu, n’y a pas participé.

2.      Dans ce cas, les affirmations relatives aux éléments de fait invoquées par le requérant dans la requête ou dans les actes de procédure notifiés au défendeur avant l’audience sont présumées vraies, à moins qu’elles ne soulèvent des doutes légitimes ou qu’elles n’aient été invoquées pour contourner le droit. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

9        Kancelaria Medius, société établie à Cracovie (Pologne) et offrant des services de recouvrement de créances, a introduit, devant le Sąd Rejonowy w Trzciance (tribunal d’arrondissement de Trzcianka, Pologne), un recours contre RN tendant au paiement d’un montant de 1 231 zlotys polonais (PLN) (environ 272 euros), majoré des intérêts, sur la base d’un prétendu contrat de crédit à la consommation conclu par RN avec Kreditech Polska Spółka z ograniczoną odpowiedzialnością (société à responsabilité limitée), un établissement bancaire établi à Varsovie (Pologne), prédécesseur en droit de Kancelaria Medius.

10      À l’appui de son recours, cette dernière a communiqué la copie d’un contrat-cadre ne comportant pas la signature de RN, ainsi que des documents confirmant la conclusion du contrat de cession de créance avec son prédécesseur en droit.

11      Le Sąd Rejonowy w Trzciance (tribunal d’arrondissement de Trzcianka) a considéré que les documents et les preuves introduits par Kancelaria Medius ne démontraient pas l’existence de la créance visée. Bien que RN n’eût pas comparu, ce tribunal a statué, par défaut, et a rejeté le recours.

12      Kancelaria Medius a interjeté appel du jugement du Sąd Rejonowy w Trzciance (tribunal d’arrondissement de Trzcianka), devant le Sąd Okręgowy w Poznaniu (tribunal régional de Poznań, Pologne), faisant valoir que ce tribunal aurait dû, en vertu de l’article 339, paragraphe 2, du code de procédure civile, se fonder seulement sur les documents qu’elle avait communiqués.

13      La juridiction de renvoi, saisie de cet appel, d’une part relève que, en droit polonais, les règles procédurales sur le jugement par défaut sont également applicables aux affaires introduites par les professionnels contre les consommateurs.

14      D’autre part, elle expose que, en l’occurrence, les conditions d’un jugement par défaut étaient remplies conformément à l’article 339 du code de procédure civile dans la mesure où le défendeur n’a pas conclu en défense après que la requête lui a été dûment notifiée, étant précisé que, en vertu de l’article 139 de ce code, une notification dite « substitutive » est réputée avoir été effectuée lorsque la partie n’a pas retiré le courrier que le tribunal lui a notifié bien qu’elle ait été mise en mesure de le faire.

15      Dans ces conditions, cette juridiction émet des doutes sur la conformité d’une disposition nationale telle que l’article 339, paragraphe 2, du code de procédure civile au niveau de protection des consommateurs exigé par la directive 93/13, notamment en ce qui concerne l’obligation du juge d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif des clauses dans un contrat conclu avec un consommateur.

16      Le libellé de l’article 339, paragraphe 2, du code de procédure civile imposerait, en effet, au juge de rendre un jugement par défaut contre un consommateur, dont le fondement factuel serait constitué uniquement des affirmations du requérant, en l’occurrence un professionnel, et qui seraient présumées vraies, à moins que celles-ci ne soulèvent « des doutes légitimes » ou que le tribunal n’estime que ces affirmations « ont été invoquées pour contourner le droit ». Or, il en résulterait que plus les informations présentées par le professionnel seraient laconiques, moins il serait probable que le tribunal éprouve des « doutes légitimes ».

17      La juridiction de renvoi rappelle la jurisprudence de la Cour, notamment les arrêts du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska (C‑176/17, EU:C:2018:711, points 40 et 57), ainsi que du 3 avril 2019, Aqua Med (C‑266/18, EU:C:2019:282, point 47), selon laquelle les dispositions du droit national doivent respecter les principes d’équivalence et le droit à un recours effectif du consommateur, tel que consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Si le principe d’équivalence était respecté par les dispositions de l’article 339, paragraphe 2, du code de procédure civile, qui s’applique à toutes les procédures nationales en matière civile, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’exigence du droit à un recours effectif, dans le cas où le juge national n’aurait pas la possibilité d’examiner d’office le caractère abusif des clauses contractuelles.

18      Tel serait le cas en l’espèce, s’agissant du jugement de première instance, qui aurait dû, en vertu de l’article 339, paragraphe 2, du code de procédure civile, faire droit aux conclusions de la requérante, sans que le juge puisse vérifier l’existence et le contenu du contrat.

19      Dans ces conditions, le Sąd Okręgowy w Poznaniu (tribunal régional de Poznań) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 7, paragraphe 1, de la directive [93/13] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions procédurales prévoyant qu’un tribunal peut rendre un jugement par défaut en se fondant uniquement sur les affirmations invoquées par la partie requérante dans sa requête, qu’il a l’obligation de tenir pour vraies, dans l’hypothèse où la partie défenderesse – ayant la qualité de consommateur – dûment informée de la date de l’audience, ne comparaît pas et s’abstient de conclure en défense ? »

 Sur la question préjudicielle

20      À titre liminaire, s’agissant de la recevabilité de la présente demande de décision préjudicielle, il y a lieu de relever qu’il ressort des observations écrites du gouvernement polonais que, selon celui-ci, contrairement à l’interprétation de la juridiction de renvoi, la preuve de l’existence d’une créance ne relève pas de la directive 93/13 et que cette juridiction, saisie en appel, devrait statuer sans avoir à appliquer les dispositions relatives aux jugements par défaut, de sorte que la solution de l’affaire au principal ne dépend pas de la réponse à la question posée et que celle-ci n’est, dès lors, pas pertinente.

21      Il convient de rappeler, à cet égard, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 19 ainsi que jurisprudence citée).

22      Il s’ensuit que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 19 septembre 2019, Lovasné Tóth, C‑34/18, EU:C:2019:764, point 40 et jurisprudence citée).

23      Or, en l’occurrence, il ne ressort pas de manière manifeste du dossier soumis à la Cour que la situation en l’espèce corresponde à l’une de ces hypothèses. En particulier, il se dégage de la décision de renvoi que le juge d’appel est tenu d’apprécier si le tribunal de première instance a commis une erreur de droit en rejetant le recours du professionnel au motif que les documents dont il disposait ne lui permettaient pas de vérifier si la créance était fondée sur des clauses abusives, au sens de la directive 93/13.

24      Par ailleurs, selon l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, celle-ci s’applique aux clauses des contrats conclus entre un professionnel et un consommateur qui n’ont pas fait l’objet d’une négociation individuelle (arrêt du 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C‑419/18 et C‑483/18, EU:C:2019:930, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

25      Dans la mesure où, ainsi qu’il résulte des indications de la juridiction de renvoi, le litige en cause au principal oppose un professionnel à un consommateur au sujet d’une prétention relative à une créance découlant d’un contrat de crédit à la consommation dont la rédaction des termes est standardisée, un tel litige est donc susceptible de relever du champ d’application de la directive 93/13.

26      Dès lors, la présente demande de décision préjudicielle est recevable.

27      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’interprétation d’une disposition nationale qui empêcherait le juge saisi d’un recours, introduit par un professionnel contre un consommateur et qui relève du champ d’application de cette directive, et statuant par défaut, en l’absence de comparution de ce consommateur à l’audience à laquelle il était convoqué, de prendre des mesures d’instruction nécessaires pour apprécier d’office le caractère abusif des clauses contractuelles sur lesquelles le professionnel a fondé sa demande, lorsque ce juge éprouve des doutes sur le caractère abusif de ces clauses, au sens de ladite directive, et imposerait audit juge de statuer sur la base des allégations du professionnel, qu’il a l’obligation de tenir pour vraies.

28      Il convient, tout d’abord, de rappeler que, selon l’article 2, sous b), de la directive 93/13, la notion de « consommateur » au sens de cette directive doit s’entendre comme visant « toute personne physique qui, dans les contrats relevant de cette directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ». La notion de « professionnel » est définie, au point c) de cet article, comme comprenant « toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée ». 

29      Ensuite, l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 prévoit que les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

30      Dans sa jurisprudence constante, la Cour a mis l’accent sur la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs, qui se trouvent dans une situation d’infériorité à l’égard des professionnels en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (voir, en ce sens, arrêts du 3 avril 2019, Aqua Med, C‑266/18, EU:C:2019:282, points 27 et 43, ainsi que du 11 mars 2020, Lintner, C‑511/17, EU:C:2020:188, point 23).

31      Ainsi, la Cour a précisé que la protection que la directive 93/13 confère aux consommateurs s’étend aux hypothèses dans lesquelles le consommateur qui a conclu avec un professionnel un contrat contenant une clause abusive s’abstient d’invoquer, d’une part, le fait que ce contrat relève du champ d’application de cette directive et, d’autre part, le caractère abusif de la clause en question, soit parce qu’il ignore ses droits, soit parce qu’il est dissuadé de les faire valoir en raison des frais qu’une action en justice entraînerait (arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C‑147/16, EU:C:2018:320, point 32 et jurisprudence citée).

32      Si la Cour a ainsi déjà encadré, à plusieurs reprises et en tenant compte des exigences de l’article 6, paragraphe 1, ainsi que de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, la manière selon laquelle le juge national doit assurer la protection des droits que les consommateurs tirent de cette directive, il n’en reste pas moins que, en principe, le droit de l’Union n’harmonise pas les procédures applicables à l’examen du caractère prétendument abusif d’une clause contractuelle, et que celles-ci relèvent, dès lors, de l’ordre juridique interne des États membres, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles prévoient une protection juridictionnelle effective, telle que prévue à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux (arrêts du 31 mai 2018, Sziber, C‑483/16, EU:C:2018:367, point 35, ainsi que du 3 avril 2019, Aqua Med, C‑266/18, EU:C:2019:282, point 47).

33      En ce qui concerne le principe d’équivalence, il y a lieu de relever que la Cour ne dispose d’aucun élément de nature à susciter un doute sur la conformité de la réglementation nationale en cause au principal à ce principe.

34      S’agissant de la protection juridictionnelle effective, il convient de relever que chaque situation dans laquelle se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysée en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités devant les diverses instances nationales. Néanmoins, les caractéristiques spécifiques des procédures ne sauraient constituer un élément susceptible d’affecter la protection juridique dont doivent bénéficier les consommateurs en vertu des dispositions de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2016, Radlinger et Radlingerová, C‑377/14, EU:C:2016:283, point 50 et jurisprudence citée).

35      À cet égard, la Cour a jugé que, en l’absence de contrôle efficace du caractère potentiellement abusif des clauses du contrat concerné, le respect des droits conférés par la directive 93/13 ne saurait être garanti (arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska, C‑176/17, EU:C:2018:711, point 62 et jurisprudence citée).

36      En effet, afin d’assurer la protection visée par ladite directive, la Cour a souligné, dans une affaire concernant également une procédure par défaut, que la situation d’inégalité entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C‑147/16, EU:C:2018:320, point 28 et jurisprudence citée).

37      Ainsi, en premier lieu et selon une jurisprudence constante, le juge national est tenu d’apprécier d’office, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel (arrêt du 11 mars 2020, Lintner, C‑511/17, EU:C:2020:188, point 26 et jurisprudence citée).

38      En second lieu, en l’absence desdits éléments de droit et de fait, la juridiction nationale, saisie d’un litige entre un professionnel et un consommateur, doit avoir la possibilité de prendre d’office les mesures d’instruction nécessaires afin d’établir si une clause figurant dans le contrat litigieux relève du champ d’application de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 2020, Lintner, C‑511/17, EU:C:2020:188, points 36 et 37 ainsi que jurisprudence citée).

39      En l’occurrence, il ressort des éléments du dossier soumis à la Cour que, dans la procédure de jugement par défaut en cause au principal, le juge saisi par la requérante doit, en l’absence de la comparution du défendeur, statuer sur le fondement des allégations factuelles invoquées par la requérante, qui sont présumées vraies, à moins qu’elles ne soulèvent des doutes légitimes ou qu’elles n’aient été invoquées pour contourner le droit.

40      À cet égard, il ressort de la jurisprudence citée aux points 36 à 38 du présent arrêt que, même en l’absence de comparution du consommateur, le juge saisi d’un litige portant sur un contrat de crédit à la consommation doit être en mesure de prendre les mesures d’instruction nécessaires pour vérifier le caractère potentiellement abusif des clauses relevant du champ d’application de la directive 93/13, afin d’assurer au consommateur la protection de ses droits découlant de cette directive.

41      Certes, la Cour a précisé que le principe dispositif, invoqué également par le gouvernement hongrois dans ses observations écrites, et le principe ne ultra petita risqueraient d’être méconnus si les juridictions nationales étaient tenues, en vertu de la directive 93/13, d’ignorer ou d’excéder les limites de l’objet du litige fixées par les conclusions et les moyens des parties (voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 2020, Lintner, C‑511/17, EU:C:2020:188, point 31).

42      Toutefois, en l’occurrence, il ne s’agit pas d’examiner des clauses contractuelles autres que celles sur lesquelles le professionnel, qui a engagé la procédure juridictionnelle, a fondé sa prétention et qui font, par conséquent, l’objet du litige.

43      En effet, la juridiction de renvoi indique qu’elle dispose non pas du contrat représentant le fondement de la créance litigieuse et signé par les deux parties au contrat, mais seulement d’une copie d’un contrat-cadre ne comportant pas la signature du défendeur.

44      Or, il importe de constater que si, en vertu de son article 3, paragraphe 1, la directive 93/13 s’applique aux clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, ce qui inclut notamment les contrats standard, il ne saurait être considéré qu’une juridiction « dispose des éléments de fait et de droit », au sens de la jurisprudence précitée, au seul motif qu’elle dispose d’une copie d’un contrat-cadre utilisé par ce professionnel, sans que ladite juridiction ait en sa possession l’instrument constatant le contrat conclu entre les parties au litige pendant devant elle (voir, en ce sens, arrêt du 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C‑419/18 et C‑483/18, EU:C:2019:930, point 64).

45      Par conséquent, les principes dispositif et ne ultra petita ne s’opposent pas à ce qu’une juridiction nationale exige de la partie requérante qu’elle produise le contenu du ou des documents servant de fondement à sa demande, puisqu’une telle demande tend seulement à assurer le cadre probatoire du procès (arrêt du 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C‑419/18 et C‑483/18, EU:C:2019:930, point 68).

46      Il en résulte qu’une protection juridictionnelle effective ne saurait être garantie si le juge national saisi par un professionnel d’un différend l’opposant à un consommateur et relevant de la directive 93/13 n’a pas la possibilité, malgré l’absence de comparution de ce dernier, de vérifier les clauses contractuelles sur lesquelles le professionnel a fondé sa demande, en cas de doutes sur le caractère abusif de ces clauses. Si ce juge est, en vertu d’une disposition nationale, obligé de tenir pour vraies les allégations factuelles du professionnel, l’intervention positive de ce juge, exigée par la directive 93/13 pour les contrats relevant de son champ d’application, serait réduite à néant.

47      Or, en appliquant le droit interne, les juridictions nationales sont tenues de l’interpréter dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive 93/13 pour atteindre le résultat visé par celle-ci (arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C‑147/16, EU:C:2018:320, point 41 et jurisprudence citée).

48      Par conséquent, si la juridiction de renvoi constate qu’une disposition nationale, telle que l’article 339, paragraphe 2, du code de procédure civile, empêche le juge statuant par défaut, sur requête du professionnel, de prendre les mesures d’instruction lui permettant d’effectuer le contrôle d’office des clauses relevant de cette directive et faisant l’objet du litige, il lui revient de vérifier si une interprétation conforme au droit de l’Union pourrait être envisagée, au moyen d’exceptions telles que les « doutes légitimes » ou le « contournement du droit » prévues à cet article 339, paragraphe 2, dès lors qu’elle permettrait au juge statuant par défaut de prendre des mesures d’instruction nécessaires.

49      À cet égard, il convient de rappeler qu’il appartient aux juridictions nationales, en tenant compte de l’ensemble des règles du droit national et en application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, de décider si et dans quelle mesure une disposition nationale, telle que l’article 339 du code de procédure civile, est susceptible d’être interprétée en conformité avec la directive 93/13 sans procéder à une interprétation contra legem de cette disposition nationale (voir, par analogie, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 71 et jurisprudence citée).

50      La Cour a, par ailleurs, jugé que l’exigence d’une interprétation conforme inclut l’obligation, pour les juridictions nationales, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive (arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 72 et jurisprudence citée).

51      À défaut de pouvoir procéder à une interprétation et à une application de la réglementation nationale conformes aux exigences de la directive 93/13, les juridictions nationales ont l’obligation d’examiner d’office si les stipulations convenues entre les parties présentent un caractère abusif et, à cette fin, de prendre les mesures d’instruction nécessaires, en laissant au besoin inappliquées toutes dispositions ou jurisprudence nationales qui s’opposent à un tel examen (voir, en ce sens, arrêt du 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C‑419/18 et C‑483/18, EU:C:2019:930, point 76 et jurisprudence citée).

52      Il résulte de ce qui précède que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’interprétation d’une disposition nationale qui empêcherait le juge saisi d’un recours, introduit par un professionnel contre un consommateur et qui relève du champ d’application de cette directive, et statuant par défaut, en l’absence de comparution de ce consommateur à l’audience à laquelle il était convoqué, de prendre les mesures d’instruction nécessaires pour apprécier d’office le caractère abusif des clauses contractuelles sur lesquelles le professionnel a fondé sa demande, lorsque ce juge éprouve des doutes sur le caractère abusif de ces clauses, au sens de ladite directive.

 Sur les dépens

53      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’interprétation d’une disposition nationale qui empêcherait le juge saisi d’un recours, introduit par un professionnel contre un consommateur et qui relève du champ d’application de cette directive, et statuant par défaut, en l’absence de comparution de ce consommateur à l’audience à laquelle il était convoqué, de prendre les mesures d’instruction nécessaires pour apprécier d’office le caractère abusif des clauses contractuelles sur lesquelles le professionnel a fondé sa demande, lorsque ce juge éprouve des doutes sur le caractère abusif de ces clauses, au sens de ladite directive.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.