Language of document : ECLI:EU:C:2020:459

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

11 juin 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Protection de la santé publique – Marché intérieur – Médicaments à usage humain – Directive 2001/83/CE – Publicité – Article 96 – Distribution d’échantillons gratuits de médicaments soumis à prescription aux seules personnes habilitées à prescrire – Exclusion des pharmaciens du bénéfice de la distribution – Inapplicabilité à la distribution d’échantillons gratuits de médicaments non soumis à prescription – Conséquences pour les États membres »

Dans l’affaire C‑786/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), par décision du 31 octobre 2018, parvenue à la Cour le 14 décembre 2018, dans la procédure

ratiopharm GmbH

contre

Novartis Consumer Health GmbH,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J. Malenovský (rapporteur), F. Biltgen et N. Wahl, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : Mme M. Krausenböck, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 novembre 2019,

considérant les observations présentées :

–        pour ratiopharm GmbH, par Mes I.-M. Schulte-Franzheim et M. Viefhues, Rechtsänwalte,

–        pour Novartis Consumer Health GmbH, par Me D. Bruhn, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hellénique, par Mmes V. Karra, Z. Chatzipavlou et E. Tsaousi, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme M. Russo, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. M. Noll-Ehlers et A. Sipos, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 janvier 2020,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 96, paragraphes 1 et 2, de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67), telle que modifiée par la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004 (JO 2004, L 136, p. 34) (ci-après la « directive 2001/83 »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant ratiopharm GmbH à Novartis Consumer Health GmbH (ci-après « Novartis ») au sujet d’une demande de Novartis tendant à ce qu’il soit fait interdiction à ratiopharm de distribuer aux pharmaciens des échantillons gratuits de médicaments.

 Le cadre juridique

 Le droit de lUnion

3        Les considérants 2 à 4, 14, 45 à 47, 50 et 51 de la directive 2001/83 sont libellés comme suit :

« (2)      Toute réglementation en matière de production, de distribution ou d’utilisation des médicaments doit avoir comme objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique.

(3)      Toutefois ce but doit être atteint par des moyens qui ne puissent pas freiner le développement de l’industrie pharmaceutique et les échanges de médicaments au sein de la Communauté.

(4)      Les disparités de certaines dispositions nationales, et notamment des dispositions relatives aux médicaments, à l’exclusion des substances ou compositions qui sont des denrées alimentaires, des aliments destinés aux animaux ou des produits d’hygiène, ont pour effet d’entraver les échanges des médicaments au sein de la Communauté et elles ont de ce fait une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur.

[...]

(14)      La présente directive constitue une étape importante dans la réalisation de l’objectif de la libre circulation des médicaments. Toutefois de nouvelles mesures peuvent s’avérer nécessaires à cette fin, compte tenu de l’expérience acquise, notamment au sein dudit comité des spécialités pharmaceutiques, en vue d’éliminer les obstacles à la libre circulation qui subsistent encore.

[...]

(45)      La publicité auprès du public faite à l’égard des médicaments qui peuvent être délivrés sans prescription médicale pourrait affecter la santé publique si elle était excessive et inconsidérée. Cette publicité, lorsqu’elle est autorisée, doit donc satisfaire à certains critères essentiels qu’il convient de définir.

(46)      Par ailleurs, la distribution gratuite d’échantillons au public à des fins promotionnelles doit être interdite.

(47)      La publicité des médicaments auprès des personnes habilitées à les prescrire ou à les délivrer contribue à l’information de ces personnes. Il convient cependant de la soumettre à des conditions strictes et à un contrôle effectif, en s’inspirant notamment des travaux réalisés dans le cadre du Conseil de l’Europe.

[...]

(50)      Les personnes habilitées à prescrire des médicaments doivent être à même d’exercer ces tâches en toute objectivité, sans être influencées par des incitations financières directes ou indirectes.

(51)      Il convient que des échantillons gratuits de médicaments puissent être délivrés, dans le respect de certaines conditions restrictives, aux personnes habilitées à prescrire ou à délivrer des médicaments, afin qu’elles se familiarisent avec les nouveaux médicaments et acquièrent une expérience de leur utilisation. »

4        L’article 1er de ladite directive énonce :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

2)      “médicament” :

a)      toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ; ou

b)      toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou pouvant lui être administrée en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d’établir un diagnostic médical ;

[...]

19)      prescription médicale : toute prescription de médicaments émanant d’un professionnel habilité à cet effet ;

[...] »

5        En vertu de l’article 70, paragraphe 1, de la même directive :

« Lorsqu’elles autorisent la mise sur le marché d’un médicament, les autorités compétentes précisent la classification du médicament en :

–        médicament soumis à prescription médicale,

–        médicament non soumis à prescription.

Elles appliquent à cette fin les critères énumérés à l’article 71, paragraphe 1. »

6        Selon l’article 71 de la directive 2001/83 :

« 1.      Les médicaments sont soumis à prescription médicale lorsqu’ils :

–        sont susceptibles de présenter un danger, directement ou indirectement, même dans des conditions normales d’emploi, s’ils sont utilisés sans surveillance médicale,

ou

–        sont utilisés souvent, et dans une très large mesure, dans des conditions anormales d’emploi et que cela risque de mettre en danger directement ou indirectement la santé,

ou

–        contiennent des substances ou des préparations à base de ces substances, dont il est indispensable d’approfondir l’activité et/ou les effets indésirables,

ou

–        sont, sauf exception, prescrits par un médecin pour être administrés par voie parentérale.

2.      Lorsque les États membres prévoient la sous-catégorie des médicaments soumis à prescription médicale spéciale, ils tiennent compte des éléments suivants :

–        le médicament contient, à une dose non exonérée, une substance classée comme stupéfiant ou psychotrope au sens des conventions internationales telles que la convention des Nations unies de 1961 et 1971,

[...] »

7        En vertu de l’article 72 de cette directive :

« Les médicaments non soumis à prescription sont ceux qui ne répondent pas aux critères énumérés à l’article 71. »

8        Le titre VIII de la directive 2001/83, intitulé « Publicité », comprend les articles 86 à 88 de celle-ci.

9        L’article 86, paragraphe 1, de ladite directive est libellé comme suit :

« Aux fins du présent titre, on entend par “publicité pour des médicaments” toute forme de démarchage d’information, de prospection ou d’incitation qui vise à promouvoir la prescription, la délivrance, la vente ou la consommation de médicaments ; elle comprend en particulier :

–        la publicité pour les médicaments auprès du public,

–        la publicité pour les médicaments auprès des personnes habilitées à les prescrire ou à les délivrer,

–        la visite des délégués médicaux auprès de personnes habilitées à prescrire ou à délivrer des médicaments,

–        la fourniture d’échantillons,

–        les incitations à prescrire ou à délivrer des médicaments par l’octroi, l’offre ou la promesse d’avantages, pécuniaires ou en nature, sauf lorsque leur valeur intrinsèque est minime,

[...] »

10      Aux termes de l’article 88 de la même directive :

« 1.      Les États membres interdisent la publicité auprès du public faite à l’égard des médicaments :

a)      qui ne peuvent être délivrés que sur prescription médicale, conformément au titre VI ;

b)      qui contiennent des substances définies comme des psychotropes ou des stupéfiants selon les conventions internationales, telles que les conventions des Nations unies de 1961 et de 1971. 

2.      Les médicaments qui, par leur composition et leur objectif, sont destinés à être utilisés sans intervention d’un médecin pour le diagnostic, la prescription ou la surveillance du traitement, au besoin avec le conseil du pharmacien, et conçus dans cette optique, peuvent faire l’objet d’une publicité auprès du grand public.

3.      Les États membres peuvent interdire sur leur territoire la publicité auprès du public faite à l’égard des médicaments qui sont remboursables.

[...]

6.      Les États membres interdisent la distribution directe des médicaments au public à des fins promotionnelles par l’industrie. »

11      Le  titre VIII bis de la directive 2001/83, intitulé « Information et publicité », comprend les articles 88 bis à 100 de celle-ci.

12      L’article 89, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« Sans préjudice de l’article 88, toute publicité auprès du public faite à l’égard d’un médicament doit :

a)      être conçue de façon à ce que le caractère publicitaire du message soit évident et que le produit soit clairement identifié comme médicament ;

[...] »

13      L’article 90 de la même directive dispose :

« La publicité auprès du public faite à l’égard d’un médicament ne peut comporter aucun élément qui :

[...] »

14      L’article 94, paragraphes 1 à 3, de la directive 2001/83 énonce :

« 1.      Dans le cadre de la promotion des médicaments auprès des personnes habilitées à les prescrire ou à les délivrer, il est interdit d’octroyer, d’offrir ou de promettre à ces personnes une prime, un avantage pécuniaire ou un avantage en nature à moins que ceux-ci ne soient de valeur négligeable et n’aient trait à l’exercice de la médecine ou de la pharmacie.

2.      L’hospitalité offerte, lors de manifestations de promotion de médicaments, doit toujours être strictement limitée à leur objectif principal ; elle ne doit pas être étendue à des personnes autres que les professionnels de santé.

3.      Les personnes habilitées à prescrire ou à délivrer des médicaments ne peuvent solliciter ou accepter aucune des incitations interdites en vertu du paragraphe 1 ou contraires aux dispositions du paragraphe 2. »

15      L’article 96 de cette directive prévoit :

« 1.      Des échantillons gratuits ne peuvent être remis à titre exceptionnel qu’aux personnes habilitées à prescrire et dans les conditions suivantes :

a)      le nombre d’échantillons fourni pour chaque médicament par an et par prescripteur doit être limité ;

b)      chaque fourniture d’échantillons doit répondre à une demande écrite, datée et signée, émanant du prescripteur ;

c)      il doit exister, chez les personnes remettant des échantillons, un système approprié de contrôle et de responsabilité ;

d)      aucun échantillon ne doit être plus grand que le plus petit conditionnement commercialisé ;

e)      chaque échantillon doit porter la mention “échantillon médical gratuit – ne peut être vendu” ou toute autre indication de signification analogue ;

f)      chaque échantillon doit être accompagné d’une copie du résumé des caractéristiques du produit ;

g)      aucun échantillon de médicaments contenant des psychotropes ou des stupéfiants, au sens des conventions internationales telles que la convention des Nations Unies de 1961 et 1971, ne peut être délivré.

2.      Les États membres peuvent restreindre davantage la distribution des échantillons de certains médicaments. »

 Le droit allemand

16      L’article 47 du Arzneimittelgesetz (loi sur les médicaments), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« AMG »), intitulé « Circuit de distribution », dispose, à ses paragraphes 3 et 4 :

« (3)      Les entreprises pharmaceutiques sont autorisées à distribuer ou à faire distribuer des échantillons de médicaments (produits finis) :

1.      aux médecins, aux dentistes et aux vétérinaires,

2.      aux autres personnes qui exercent la médecine ou la dentisterie professionnellement, pour autant qu’il ne s’agisse pas de médicaments soumis à prescription,

3.      aux établissements de formation aux professions de la santé.

Les entreprises pharmaceutiques ne peuvent distribuer ou faire distribuer des échantillons d’un médicament (produit fini) aux établissements de formation aux professions de la santé qu’à des fins de formation. Les échantillons ne doivent contenir aucune substance ni préparation

1.      au sens de l’article 2 du Betäubungsmittelgesetz [(loi sur les stupéfiants)] figurant à l’annexe II ou III de la loi sur les stupéfiants, ou

2.      qui, conformément à l’article 48, paragraphe 2, troisième phrase, ne peut être prescrite que sur ordonnance spéciale.

(4)      Les entreprises pharmaceutiques sont autorisées à distribuer ou faire distribuer aux personnes visées au paragraphe 3, première phrase, uniquement sur demande écrite ou électronique, des échantillons d’un médicament (produit fini) de la taille du plus petit conditionnement, à raison de deux échantillons par an au maximum pour un médicament (produit fini). Les échantillons doivent être accompagnés du résumé des caractéristiques du produit, dans la mesure où celui‑ci est prévu par l’article 11a. L’échantillon vise en particulier à informer le médecin de l’objet du médicament. En ce qui concerne les destinataires des échantillons, ainsi que la nature, la portée et la date de la distribution des échantillons, des preuves doivent être fournies séparément pour chaque destinataire et présentées sur demande de l’autorité compétente. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

17      Novartis fabrique et commercialise le médicament Voltaren Schmerzgel, qui contient la substance active Diclofenac.

18      Pour sa part, ratiopharm commercialise le médicament Diclo-ratiopharm-Schmerzgel, qui contient également la substance active Diclofenac, délivré uniquement en pharmacie. Au cours de l’année 2013, des collaborateurs de ratiopharm ont remis gratuitement à des pharmaciens allemands des boîtes de ce médicament destinées à la vente, dans un format réduit, et portant la mention « à des fins de démonstration ».

19      Novartis a considéré qu’une telle distribution était contraire à l’article 47, paragraphe 3, de l’AMG et s’apparentait à un octroi de cadeaux publicitaires interdit par la législation allemande.

20      Novartis a par conséquent saisi la juridiction de première instance afin que soit ordonné à ratiopharm de cesser la distribution gratuite des échantillons de médicaments aux pharmaciens. Cette juridiction a accueilli la demande de Novartis.

21      La juridiction devant laquelle ratiopharm a fait appel a confirmé la décision de première instance, en se fondant sur le fait que l’article 47, paragraphe 3, de l’AMG ne mentionne pas les pharmaciens parmi les personnes auxquelles les échantillons gratuits de médicaments peuvent être distribués.

22      Ratiopharm a formé un pourvoi en Revision devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne).

23      Cette juridiction estime que le litige au principal soulève des questions d’interprétation du droit de l’Union qui sont décisives pour la solution dudit litige. En effet, l’article 47, paragraphe 3, de l’AMG devant être interprété conformément à l’article 96 de la directive 2001/83, il conviendrait, en premier lieu, de déterminer si cette dernière disposition régit de manière exhaustive la distribution d’échantillons gratuits de médicaments en excluant ainsi les pharmaciens de ladite distribution.

24      À cet égard, si le considérant 51 de la directive 2001/83 vise à la fois les pharmaciens et les médecins, le libellé de l’article 96 de cette directive ne serait pas univoque selon la version linguistique considérée et pourrait être interprété en ce sens qu’il se borne à réglementer la question de la distribution des échantillons gratuits de médicaments aux médecins sans prendre position sur celle de la distribution de ces échantillons gratuits aux pharmaciens. Par ailleurs, et dès lors que les médecins et les pharmaciens ont pareillement besoin d’être informés gratuitement sur les nouveaux médicaments et de faire la démonstration de leur utilisation à leurs patients ou clients, le fait de traiter différemment ces deux catégories professionnelles ne serait pas objectivement justifié et serait contraire à la liberté professionnelle et à la liberté d’entreprendre.

25      En second lieu, et à supposer que l’article 96, paragraphe 1, de la directive 2001/83 n’interdise pas, en tant que tel, la distribution d’échantillons gratuits de médicaments aux pharmaciens, la juridiction de renvoi se demande si l’article 96, paragraphe 2, de cette directive, qui autorise les États membres à restreindre davantage la distribution des échantillons de certains médicaments, habilite lesdits États membres à adopter, le cas échéant, une réglementation prévoyant une telle interdiction. À cet égard, ladite juridiction relève, toutefois, que le libellé de cette dernière disposition, en ce qu’elle vise « certains médicaments » et non certains destinataires de la distribution concernée, de même que le considérant 51 de ladite directive pourraient plaider en faveur d’une interprétation contraire.

26      Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 96, paragraphe 1, de la directive 2001/83 doit-il être interprété en ce sens que les entreprises pharmaceutiques sont en droit de distribuer gratuitement des médicaments produits finis aussi aux pharmaciens, lorsque les conditionnements desdits médicaments sont pourvus de la mention “à des fins de démonstration”, lorsque ces derniers sont destinés à ce que le pharmacien procède à un essai du médicament, qu’il n’existe pas de risque qu’ils soient redistribués (sans avoir été ouverts) à des consommateurs finaux et que les autres conditions de distribution énoncées à l’article 96, paragraphe 1, sous a) à d) et f) à g), de ladite directive sont réunies ?

2)      Dans l’hypothèse où la première question appelle une réponse affirmative, l’article 96, paragraphe 2, de la directive 2001/83 autorise-t-il une disposition nationale telle que celle prévue à l’article 47, paragraphe 3, de [l’AMG], si celle-ci est interprétée en ce sens que les entreprises pharmaceutiques ne sont pas en droit de distribuer gratuitement aux pharmaciens des médicaments produits finis, lorsque les conditionnements desdits médicaments sont pourvus de la mention “à des fins de démonstration”, lorsque ces derniers sont destinés à ce que le pharmacien procède à un essai du médicament, qu’il n’existe pas de risque qu’ils soient redistribués (sans avoir été ouverts) à des consommateurs finaux et que les autres conditions de distribution énoncées à l’article 96, paragraphe 1, sous a) à d) et f) à g), de ladite directive ainsi qu’à l’article 47, paragraphe 4, de l’AMG sont réunies ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

27      Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si l’article 96, paragraphe 1, de la directive 2001/83 doit être interprété en ce sens qu’il autorise, sous certaines conditions, les entreprises pharmaceutiques à distribuer gratuitement des échantillons de médicaments également aux pharmaciens.

28      Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 18 janvier 2017, NEW WAVE CZ, C‑427/15, EU:C:2017:18, point 19 et jurisprudence citée).

29      S’agissant du libellé de l’article 96, paragraphe 1, de la directive 2001/83, il convient de faire observer d’emblée que cette disposition, dans la quasi-totalité de ses versions linguistiques, réserve le droit de recevoir des échantillons gratuits de médicaments aux « personnes habilitées à prescrire ». En revanche, les termes de ladite disposition ne permettent pas, par eux-mêmes, de déterminer si cette restriction concerne l’ensemble des médicaments définis à l’article 1er, point 2, de ladite directive, ou uniquement ceux soumis à prescription médicale, au sens de l’article 1er, point 19, de la même directive.

30      Dans ces conditions, et dans la mesure, notamment, où, selon une jurisprudence constante, la formulation utilisée dans l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques (arrêt du 12 septembre 2019, A e.a., C‑347/17, EU:C:2019:720, point 38 ainsi que jurisprudence citée), il convient d’interpréter l’article 96, paragraphe 1, de la directive 2001/83 de manière uniforme, en ayant recours également aux autres critères rappelés au point 28 du présent arrêt.

31      S’agissant des objectifs poursuivis par la directive 2001/83, laquelle a trait, ainsi qu’il résulte de son intitulé, aux « médicaments à usage humain », il ressort de son considérant 2 que la sauvegarde de la santé publique constitue l’objectif essentiel de cette directive (arrêt du 5 mai 2011, Novo Nordisk, C‑249/09, EU:C:2011:272, point 37 et jurisprudence citée).

32      Cela étant, il convient de rappeler, d’une part, que la directive 2001/83 vise également, comme l’énoncent notamment ses considérants 4 et 14, la libre circulation des médicaments dans le marché intérieur par l’élimination des entraves aux échanges de ceux-ci au sein de l’Union européenne.

33      D’autre part, la Cour a déjà dit pour droit que cette directive a procédé à une harmonisation complète dans le domaine de la publicité pour les médicaments, les cas dans lesquels les États membres sont autorisés à adopter des dispositions s’écartant des règles fixées par ladite directive étant explicitement énumérés (arrêt du 8 novembre 2007, Gintec, C‑374/05, EU:C:2007:654, point 39).

34      S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 96, paragraphe 1, de la directive 2001/83, il importe notamment de souligner que l’article 70, paragraphe 1, de cette directive prévoit que, lorsqu’elles autorisent la mise sur le marché d’un médicament, les autorités compétentes doivent préciser si celui-ci relève de la catégorie des médicaments soumis à prescription médicale ou de celle des médicaments non soumis à prescription.

35      S’agissant des médicaments soumis à prescription médicale, les critères auxquels ceux-ci répondent, tels qu’ils sont énumérés à l’article 71, paragraphe 1, de la directive 2001/83, traduisent l’idée que ces médicaments ne peuvent être utilisés sans surveillance médicale compte tenu du danger que présente leur usage ou de l’incertitude qui entoure leurs effets.

36      De leur côté, ainsi que le précise l’article 72 de cette directive, les médicaments non soumis à prescription sont ceux qui ne répondent pas aux critères énumérés à l’article 71, paragraphe 1, de ladite directive, leur utilisation ne présentant pas, en principe, de risques analogues à ceux des médicaments soumis à prescription médicale.

37      Une telle distinction entre les médicaments soumis à prescription médicale et les médicaments non soumis à prescription implique que les premiers doivent nécessairement, ainsi que le souligne itérativement la directive 2001/83 dans ses considérants et ses dispositions, notamment son article 1er, point 19, être prescrits par des personnes dûment « habilitées à prescrire », à savoir des médecins formés afin d’être en mesure de maîtriser des risques inhérents à leur utilisation par un patient donné.

38      En revanche, dans la mesure où ils ne sont pas autorisés légalement à prescrire des médicaments, les pharmaciens relèvent non pas de la catégorie des « personnes habilitées à prescrire », au sens de la directive 2001/83, mais de celle des « personnes habilitées à délivrer » des médicaments, au sens de cette directive.

39      Or, la distinction ainsi opérée entre les médicaments soumis à prescription et les médicaments non soumis à prescription est également pertinente dans le contexte des dispositions des titres VIII et VIII bis de la directive 2001/83 relatives, notamment, aux activités publicitaires (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband, C‑322/01, EU:C:2003:664, point 109).

40      À cet égard, il ressort de l’article 88, paragraphes 1 et 2, ainsi que des articles 89 et 90 de la directive 2001/83, qui figurent sous le titre VIII bis de cette dernière, lus à la lumière de son considérant 45, que la publicité auprès du public à l’égard des médicaments non soumis à prescription médicale est non pas interdite mais autorisée, sous réserve des conditions et des restrictions prévues par ladite directive.

41      Ainsi, il ressort de l’économie de la directive 2001/83 que les dispositions pertinentes de ses titres VIII et VIII bis, en ce compris l’article 96, paragraphe 1, de cette directive, ne sauraient être regardées comme visant l’ensemble des médicaments, quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent.

42      En effet, cet article 96, paragraphe 1, fixe les conditions strictes auxquelles la remise d’échantillons gratuits est subordonnée, lesquelles conditions traduisent, dans leur ensemble, le caractère potentiellement dangereux des médicaments visés par cette disposition, caractère qui n’est pas commun à l’ensemble des médicaments.

43      Or, un tel danger potentiel est en particulier inhérent à l’utilisation des médicaments soumis à prescription médicale, ainsi qu’il a été rappelé au point 35 du présent arrêt. Partant, la distribution de tels médicaments sous forme d’échantillons gratuits doit respecter les conditions fixées à l’article 96, paragraphe 1, de la directive 2001/83, conditions qui rendent notamment possible un contrôle conséquent s’agissant tant de la nature des échantillons remis que de leurs destinataires.

44      Au regard d’un tel objectif, et afin d’écarter tout risque de contournement des règles relatives à la délivrance des médicaments soumis à prescription médicale, cette disposition doit donc être interprétée en ce sens que seules les personnes habilitées à prescrire ces médicaments, au sens de la directive 2001/83, ont le droit de se voir délivrer des échantillons gratuits de ces médicaments, ce qui a pour effet d’exclure les pharmaciens de ce droit.

45      En outre, cette interprétation de l’article 96, paragraphe 1, de la directive 2001/83 est corroborée par le fait que la seule catégorie de personnes à laquelle les points a) et b) de cette disposition font expressément référence est celle des « prescripteurs ».

46      Enfin, s’agissant de l’article 96, paragraphe 2, de cette directive, celui-ci dispose que les États membres peuvent restreindre « davantage » la distribution des échantillons de certains médicaments. Il découle de l’utilisation du terme « davantage » que cette disposition doit être lue en combinaison avec l’article 96, paragraphe 1, de ladite directive et a le même champ d’application que ce dernier. Par conséquent, elle ne saurait porter que sur les médicaments soumis à prescription.

47      L’interprétation de l’article 96 de la directive 2001/83 faite aux points précédents du présent arrêt ne signifie pas pour autant, comme en témoignent plusieurs considérants de celle-ci, que les pharmaciens seraient totalement privés de la possibilité de bénéficier de la fourniture d’échantillons gratuits en vertu de cette directive.

48      En effet, d’une part, si le considérant 46 de la directive 2001/83 énonce que la distribution gratuite d’échantillons au public à des fins promotionnelles est interdite, il ne prévoit pas une pareille interdiction à l’égard des professionnels de la santé, en particulier des personnes habilitées à délivrer des médicaments. Ainsi, dans le contexte de la promotion des médicaments, l’existence d’une interdiction de la distribution gratuite d’échantillons aux pharmaciens ne saurait, partant, être présumée.

49      D’autre part, il ressort explicitement du considérant 51 de cette directive que des échantillons gratuits de médicaments peuvent être délivrés, dans le respect de certaines conditions restrictives, notamment aux personnes habilitées à délivrer des médicaments, une telle possibilité étant justifiée, aux yeux du législateur de l’Union, dès lors que la fourniture de ces échantillons leur permet de se familiariser avec les nouveaux médicaments et d’acquérir une expérience s’agissant de leur utilisation.

50      Par ailleurs, dans le contexte de la promotion des médicaments, notamment auprès des personnes habilitées à les délivrer, l’article 94, paragraphe 1, de ladite directive, lu à la lumière des considérants 46 et 51 de celle-ci, est susceptible de couvrir, entre autres formes de publicité, même s’il ne la mentionne pas explicitement, la fourniture de tels échantillons, à condition que l’avantage qui en est tiré par ces personnes n’excède pas une valeur négligeable.

51      Il en résulte que la directive 2001/83 admet la possibilité d’une fourniture d’échantillons gratuits aux pharmaciens dans le cadre du droit national en l’assortissant de conditions restrictives, dans le respect des objectifs poursuivis par cette directive.

52      Cela étant, et en tout état de cause, cette possibilité ne saurait porter préjudice aux exigences découlant de l’article 96, paragraphe 1, de ladite directive et, partant, ne saurait impliquer la possibilité de distribuer aux pharmaciens des échantillons gratuits de médicaments relevant de cette disposition, à savoir de ceux soumis à prescription.

53      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 96, paragraphe 1, de la directive 2001/83 doit être interprété en ce sens qu’il n’autorise pas les entreprises pharmaceutiques à distribuer gratuitement des échantillons de médicaments soumis à prescription aux pharmaciens. En revanche, ladite disposition ne fait pas obstacle à la distribution gratuite d’échantillons de médicaments non soumis à prescription aux pharmaciens.

 Sur la seconde question

54      Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

 Sur les dépens

55      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

L’article 96, paragraphe 1, de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, telle que modifiée par la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, doit être interprété en ce sens qu’il n’autorise pas les entreprises pharmaceutiques à distribuer gratuitement des échantillons de médicaments soumis à prescription aux pharmaciens. En revanche, ladite disposition ne fait pas obstacle à la distribution gratuite d’échantillons de médicaments non soumis à prescription aux pharmaciens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.