Language of document : ECLI:EU:C:2021:107

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

11 février 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 45 TFUE – Libre circulation des travailleurs – Article 49 TFUE – Liberté d’établissement – Article 56 TFUE – Libre prestation des services – Exercice d’activités portuaires – Ouvriers portuaires – Accès à la profession et recrutement – Modalités de reconnaissance des ouvriers portuaires – Ouvriers portuaires ne faisant pas partie du contingent de travailleurs prévu par la législation nationale – Limitation à la durée du contrat de travail – Mobilité des ouvriers portuaires entre différentes zones portuaires – Travailleurs effectuant un travail logistique – Certificat de sécurité – Raisons impérieuses d’intérêt général – Sécurité dans les zones portuaires – Protection des travailleurs – Proportionnalité »

Dans les affaires jointes C‑407/19 et C‑471/19,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Raad van State (Conseil d’État, Belgique) (C‑407/19) et le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle, Belgique) (C‑471/19), par décisions du 16 mai et du 6 juin 2019, parvenues à la Cour respectivement le 24 mai et le 20 juin 2019, dans les procédures

Katoen Natie Bulk Terminals NV,

General Services Antwerp NV

contre

Belgische Staat (C‑407/19),

et

Middlegate Europe NV

contre

Ministerraad (C‑471/19),

en présence de :

Katoen Natie Bulk Terminals NV,

General Services Antwerp NV,

Koninklijk Verbond der Beheerders van Goederenstromen (KVBG) CVBA,

MVH Logistics en Stuwadoring BV,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras (rapporteur), président de chambre, MM. N. Piçarra, D. Šváby, S. Rodin et Mme K. Jürimäe, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour General Services Antwerp NV, Katoen Natie Bulk Terminals NV et Middlegate Europe NV, par Mes M. Lebbe et E. Simons, advocaten,

–        pour le gouvernement belge, par Mmes L. Van den Broeck, M. Jacobs et C. Pochet, en qualité d’agents, assistées de Mes P. Wytinck, D. D’Hooghe et T. Ruys, advocaten,

–        pour la Commission européenne, par MM. A. Nijenhuis, S. L. Kalėda et B.-R. Killmann, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation, dans l’affaire C‑407/19, des articles 34, 35, 45, 49, 56, 101, 102 et 106, paragraphe 1, TFUE et, dans l’affaire C‑471/19, des articles 49 et 56 TFUE, des articles 15 et 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que du principe d’égalité.

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, dans l’affaire C‑407/19, Katoen Natie Bulk Terminals NV et General Services Antwerp NV au Belgische Staat (État belge) et, dans l’affaire C‑471/19, Middlegate Europe NV au Ministerraad (Conseil des ministres, Belgique) au sujet de la validité de certaines dispositions de droit belge relatives à l’organisation du travail portuaire et, notamment, de leur conformité au droit de l’Union.

 Le droit belge

 La loi relative aux contrats de travail

3        En droit belge, le régime commun applicable aux contrats de travail, notamment des ouvriers, est établi par la wet betreffende de arbeidsovereenkomsten (loi relative aux contrats de travail), du 3 juillet 1978 (Belgisch Staatsblad, 22 août 1978, p. 9277). 

 La loi organisant le travail portuaire

4        L’article 1er de la wet betreffende de havenarbeid (loi organisant le travail portuaire), du 8 juin 1972 (Belgisch Staatsblad, 10 août 1972, p. 8826), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « loi organisant le travail portuaire »), prévoit :

« Nul ne peut faire effectuer un travail portuaire dans les zones portuaires par des travailleurs autres que les ouvriers portuaires reconnus. »

5        L’article 2 de cette loi dispose :

« La délimitation des zones portuaires et du travail portuaire telle qu’elle est établie par le Roi [...] régit l’application de la présente loi. »

6        L’article 3 de ladite loi est libellé comme suit :

« Le Roi fixe les conditions et les modalités de reconnaissance des ouvriers portuaires, sur avis de la commission paritaire compétente pour la zone portuaire concernée.

[...] »

7        Aux termes de l’article 3 bis de la même loi :

« Sur avis de la commission paritaire compétente pour la zone portuaire concernée, le Roi peut obliger les employeurs, occupant des ouvriers portuaires dans cette zone, à s’affilier à une organisation d’employeurs agréée par lui et qui, en qualité de mandataire, remplit toutes les obligations qui, en vertu de la législation sur le travail individuel et collectif et de la législation sociale découlent de l’occupation d’ouvriers portuaires pour les employeurs.

Pour pouvoir être agréée, l’organisation d’employeurs, visée à l’alinéa précédent, doit déjà compter la majorité des employeurs intéressés comme membres. »

 L’arrêté royal de 1973

8        L’article 1er du koninklijk besluit tot oprichting en tot vaststelling van de benaming en van de bevoegdheid van het Paritair Comité van het havenbedrijf (arrêté royal instituant la Commission paritaire des ports et fixant sa dénomination et sa compétence), du 12 janvier 1973 (Belgisch Staatsblad, 23 janvier 1973, p. 877), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après l’« arrêté royal de 1973 »), dispose :

« Il est institué une commission paritaire, dénommée “Commission paritaire des ports”, (compétente pour les travailleurs en général et leurs employeurs), et ce pour :

tous les travailleurs et leurs employeurs qui, dans les zones portuaires :

A.      effectuent, en ordre principal ou accessoirement du travail portuaire, à savoir toutes les manipulations de marchandises qui sont transportées par des navires de mer ou des bâtiments de navigation intérieure, par des wagons de chemin de fer ou des camions, et les services accessoires qui concernent ces marchandises, que ces activités aient lieu dans les docks, sur les voies navigables, sur les quais ou dans les établissements s’occupant de l’importation, de l’exportation et du transit de marchandises, ainsi que toutes les manipulations de marchandises transportées par des navires de mer ou des bâtiments de navigation intérieure à destination ou en provenance des quais d’établissements industriels.

Il faut entendre par :

1.      Toutes les manipulations de marchandises :

a)      marchandises : toutes les marchandises, les containers et les moyens de transport y compris, à l’exclusion uniquement :

–        du transport de pétrole en vrac, de produits pétroliers (liquides) et de matières premières liquides pour les raffineries, l’industrie chimique et les activités d’entreposage et de transformation dans les installations pétrolières ;

–        du poisson amené par des bateaux de pêche ;

–        des gaz liquides sous pression et en vrac.

b)      manipulations : charger, décharger, arrimer, désarrimer, déplacer l’arrimage, décharger en vrac, appareiller, classer, trier, calibrer, empiler, désempiler, ainsi que composer et décomposer les chargements unitaires.

2.      Les services accessoires qui concernent ces marchandises : marquer, peser, mesurer, cuber, contrôler, réceptionner, garder, (à l’exception des services de gardiennage assurés par des entreprises relevant de la compétence de la Commission paritaire pour les services de gardiennage et/ou de surveillance pour le compte d’entreprises relevant de la Commission paritaire des ports), livrer, échantillonner et sceller, accorer et désaccorer.

[...] »

 L’arrêté royal de 2004

9        Avant sa modification par le koninklijk besluit tot wijziging van het koninklijk besluit van 5 juli 2004 betreffende de erkenning van havenarbeiders in de havengebieden die onder het toepassingsgebied vallen van de wet van 8 juni 1972 betreffende de havenarbeid (arrêté royal modifiant l’arrêté royal du 5 juillet 2004 relatif à la reconnaissance des ouvriers portuaires dans les zones portuaires tombant dans le champ d’application de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire), du 10 juillet 2016 (Belgisch Staatsblad, 13 juillet 2016, p. 43879, ci-après l’« arrêté royal de 2016 »), l’article 2 du koninklijk besluit betreffende de erkenning van havenarbeiders in de havengebieden die onder het toepassingsgebied vallen van de wet van 8 juni 1972 betreffende de havenarbeid (arrêté royal relatif à la reconnaissance des ouvriers portuaires dans les zones portuaires tombant dans le champ d’application de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire), du 5 juillet 2004 (Belgisch Staatsblad, 4 août 2004, p. 58908) prévoyait :

« Après leur reconnaissance, les ouvriers portuaires sont répartis, soit dans le “contingent général”, soit dans le “contingent logistique”.

Les ouvriers portuaires du contingent général sont reconnus pour effectuer tout travail portuaire au sens de l’article 1er de l’[arrêté royal de 1973].

Les ouvriers portuaires du contingent logistique sont reconnus pour effectuer le travail portuaire au sens de l’article 1er de l’[arrêté royal de 1973], sur des lieux où des marchandises subissent, en préparation de leur distribution ou expédition ultérieure, une transformation qui mène indirectement à une valeur ajoutée démontrable. » 

10      L’arrêté royal relatif à la reconnaissance des ouvriers portuaires dans les zones portuaires tombant dans le champ d’application de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire, tel que modifié par l’arrêté royal de 2016 (ci-après l’« arrêté royal de 2004 »), a notamment substitué à la notion de « contingent » celle de « pool ». L’article 1er de l’arrêté royal de 2004 prévoit :

« § 1er.      Dans chaque zone portuaire, les ouvriers portuaires sont reconnus par la commission paritairement constituée, dénommée ci-après la “commission administrative”, instituée au sein de la sous-commission paritaire compétente pour la zone portuaire concernée.

Cette commission administrative est composée de :

1o      un président et un vice-président ;

2o      quatre membres effectifs et quatre membres suppléants désignés par les organisations d’employeurs représentées au sein de la sous-commission paritaire ;

3o      quatre membres effectifs et quatre membres suppléants désignés par les organisations de travailleurs représentées au sein de la sous-commission paritaire ;

4o      un ou plusieurs secrétaires.

Les dispositions de l’arrêté royal du 6 novembre 1969 déterminant les modalités générales de fonctionnement des commissions et des sous-commissions paritaires, ainsi que les règles particulières, prévues à l’article 10 du présent arrêté, s’appliquent au fonctionnement de la commission administrative.

§ 2.      La demande de reconnaissance est introduite par écrit auprès de la sous-commission paritaire compétente par un modèle mis à disposition à cet effet.

La demande indique si elle est introduite en vue d’un emploi dans ou en dehors du pool.

§ 3.      Par dérogation au § 1er, [premier] alinéa, pour les travailleurs qui effectuent un travail au sens de l’article 1er de l’[arrêté royal de 1973] sur des lieux où des marchandises subissent, en préparation de leur distribution ou expédition ultérieure, une transformation qui mène indirectement à une valeur ajoutée démontrable, et qui disposent d’un certificat de sécurité, nommés “travailleurs logistiques”, ce certificat de sécurité vaut reconnaissance au sens de la [loi organisant le travail portuaire].

Le certificat de sécurité est sollicité par l’employeur qui a signé un contrat de travail avec un travailleur pour effectuer des activités telles que visées à l’alinéa précédent et l’expédition se fait sur présentation de la carte d’identité et du contrat de travail. Les modalités de cette procédure sont fixées par convention collective de travail.

11      Aux termes de l’article 2 de cet arrêté royal :

« § 1er.      Les travailleurs portuaires visés à l’article 1er, § 1er, [premier] alinéa, sont, lors de leur reconnaissance, repris ou non dans le pool des travailleurs portuaires.

Il est tenu compte du besoin en main-d’œuvre pour la reconnaissance en vue de la prise en compte dans le pool.

§ 2.      Les travailleurs portuaires repris dans le pool sont reconnus pour une durée déterminée ou indéterminée.

Les modalités concernant la durée de la reconnaissance sont fixées par convention collective de travail.

§ 3.      Les travailleurs portuaires qui ne sont pas repris dans le pool sont engagés dans le cadre d’un contrat de travail conformément à la loi [...] relative aux contrats de travail.

La durée de la reconnaissance est limitée à la durée de ce contrat de travail. »

12      L’article 4 dudit arrêté royal est rédigé comme suit :

« § 1er.      Pour une reconnaissance comme ouvrier portuaire telle que visée à l’article 1er, § 1er, premier alinéa, les conditions de reconnaissance s’appliquent :

[...]

2o      être déclaré médicalement apte au travail portuaire par le service externe pour la prévention et la protection au travail, auquel est affiliée l’organisation d’employeurs qui a été désignée comme mandataire conformément à l’article 3 bis de la [loi organisant le travail portuaire] ;

3o      avoir réussi les tests psychotechniques réalisés par l’organe désigné à cet effet par l’organisation d’employeurs qui a été désignée comme mandataire conformément à l’article 3 bis de la [loi organisant le travail portuaire] ; le but de ces tests est d’examiner si le candidat ouvrier portuaire dispose de l’intelligence suffisante et de la personnalité et motivation adéquates pour pouvoir, après une formation, remplir la fonction d’ouvrier portuaire ;

[...]

6o      avoir suivi, durant trois semaines, des cours de préparation en vue de travailler de manière sûre ainsi qu’en vue d’obtenir une qualification professionnelle et avoir réussi l’épreuve finale. L’autorité compétente peut définir les conditions de qualité auxquelles la formation, qui peut être librement délivrée, doit répondre ;

7o      n’avoir pas fait l’objet, au cours des cinq dernières années, d’une mesure de retrait de reconnaissance comme ouvrier portuaire sur la base de l’article 7, [premier] alinéa, 1° ou 3°, du présent arrêté ;

8o      dans le cas d’une reconnaissance d’un travailleur portuaire visé à l’article 2, § 3, disposer en plus d’un contrat de travail.

§ 2.      La reconnaissance d’un travailleur portuaire est valable dans chaque zone portuaire comme définie par le Roi en exécution des articles 35 et 37 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires.

Les conditions et modalités [auxquelles] un travailleur portuaire peut être employé, dans une autre zone portuaire que celle dans laquelle il est reconnu, sont fixées par convention collective de travail.

L’organisation d’employeurs désignée comme mandataire conformément à l’article 3 bis de la [loi organisant le travail portuaire], reste mandataire dans le cas où le travailleur portuaire est employé en dehors de la zone portuaire dans laquelle il a été reconnu.

§ 3.      Les ouvriers portuaires qui peuvent démontrer qu’ils satisfont, dans un autre État membre de l’Union européenne, à des conditions équivalentes en matière de travail portuaire, ne sont plus soumis, en ce qui concerne l’application du présent arrêté, à ces conditions.

§ 4.      Les demandes de reconnaissance et de renouvellement sont introduites auprès de la commission administrative et traitées par celle-ci. »

13      L’article 13/1 du même arrêté royal dispose :

« 1e      [Pour la période antérieure au 30 juin 2017,] le contrat de travail visé à l’article 2, § 3, [second] alinéa, doit être conclu pour une durée indéterminée ;

2e      [Pour la période allant du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018,] le contrat de travail visé à l’article 2, § 3, [second] alinéa, doit être conclu pour une durée d’au moins 2 ans ;

3e      [Pour la période allant du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019,] le contrat de travail visé à l’article 2, § 3, [second] alinéa, doit être conclu pour une durée d’au moins un an ;

4e      [Pour la période allant du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020,] le contrat de travail visé à l’article 2, § 3, [second] alinéa, doit être conclu pour une durée d’au moins 6 mois. »

14      Aux termes de l’article 15/1 de l’arrêté royal de 2004 :

« Pour l’application de cet arrêté :

1°      les ouvriers portuaires reconnus sur la base de l’ancien article 2, [deuxième] alinéa, sont reconnus de plein droit comme travailleurs portuaires repris dans le pool conformément à l’article 2, § 1er, sans préjudice de l’application des articles 5 à 9 du présent arrêté ;

2°      les ouvriers portuaires reconnus sur la base de l’ancien article 2, [troisième] alinéa, sont assimilés de plein droit aux travailleurs logistiques visés à l’article 1er, § 3, sans préjudice de l’application des articles 5 à 9 du présent arrêté. »

 Les litiges au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour 

 L’affaire C407/19

15      Katoen Natie Bulk Terminals et General Services Antwerp sont deux sociétés établies en Belgique, dont l’objet social comprend des opérations portuaires en Belgique et à l’étranger.

16      Le 5 septembre 2016, ces deux sociétés ont introduit, devant la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑407/19, le Raad van State (Conseil d’État, Belgique), un recours tendant à l’annulation de l’arrêté royal de 2016.

17      Cet arrêté royal a été adopté à la suite de la lettre de mise en demeure adressée au Royaume de Belgique par la Commission européenne, le 28 mars 2014, selon laquelle sa réglementation relative au travail portuaire enfreignait l’article 49 TFUE. La Commission a indiqué en substance que la réglementation belge relative à l’emploi d’ouvriers portuaires dissuadait les entreprises étrangères d’installer des établissements en Belgique dès lors qu’elles n’avaient pas le libre choix des membres de leur personnel, mais étaient tenues de recourir aux ouvriers portuaires reconnus, même pour des tâches logistiques, lesquels ne pouvaient en plus être déployés que dans une zone géographique limitée. À la suite de l’adoption de l’arrêté royal de 2016, la Commission a décidé, le 17 mai 2017, de clore la procédure d’infraction.

18      Le Raad van State (Conseil d’État) précise, à titre liminaire, que l’arrêté royal de 2016, qui est une loi matérielle dont l’annulation erga omnes est sollicitée dans le cadre du contentieux objectif pendant devant elle, s’applique sans distinction aux entreprises, employeurs et travailleurs, sans considération de leur nationalité, qui accomplissent ou font accomplir un travail portuaire dans les zones portuaires belges, ou qui sont établies dans les zones portuaires ou souhaitent s’y établir.

19      Cette juridiction attire également l’attention sur le fait que l’arrêté royal de 2004 régit le travail portuaire dans les zones portuaires (maritimes) situées en Belgique, dont les ports d’Anvers (Belgique) et de Zeebruges (Belgique) qui sont des ports de mer ayant vocation au transport international, à savoir un environnement extrêmement concurrentiel. Il conviendrait donc de ne pas perdre de vue l’intérêt nettement transfrontalier des zones portuaires maritimes, compte tenu en particulier des activités d’importation et d’exportation qui y sont développées, des nombreux opérateurs internationaux, venant notamment des autres États membres qui y sont actifs, des activités commerciales qui y sont déployées dans le secteur des échanges commerciaux internationaux et du pouvoir d’attraction du lieu d’exécution à un endroit qui pourrait être intéressant pour les opérateurs étrangers et pour les travailleurs étrangers, le cas échéant d’États membres proches, auxquels voudraient recourir ces opérateurs pour réaliser leurs activités d’entreprise. Au vu de ces éléments, ladite juridiction considère que le litige dont elle est saisie ne concerne pas une situation purement interne, au sens de la jurisprudence de la Cour.

20      S’agissant de la libre circulation des travailleurs, garantie par l’article 45 TFUE, le Raad van State (Conseil d’État) observe que Katoen Natie Bulk Terminals et General Services Antwerp sont des sociétés logistiques belges exerçant leurs activités dans des zones portuaires belges qui, pour réaliser leur objet social, entendent pouvoir employer d’autres ouvriers portuaires que des ouvriers portuaires reconnus, indépendamment de leur nationalité. En leur qualité d’employeurs voulant engager, dans l’État membre où elles sont établies, des travailleurs qui sont ressortissants d’un autre État membre, ces sociétés pourraient dès lors invoquer la libre circulation des travailleurs, consacrée à l’article 45 TFUE. Dans la mesure où il apparaîtrait que les conditions contenues dans l’arrêté royal de 2004 compliqueraient, pour les ressortissants d’autres États membres, l’accomplissement du travail portuaire sur le territoire belge et comporteraient une entrave à la libre circulation des travailleurs, des employeurs tels que lesdites sociétés devraient pouvoir aussi s’opposer à pareille réglementation. Cela montrerait également que le litige pendant devant cette juridiction ne peut pas être réduit à une situation purement interne.

21      Quant au fond du litige, le Raad van State (Conseil d’État) précise que Katoen Natie Bulk Terminals et General Services Antwerp contestent, en substance, sept mesures contenues dans l’arrêté royal de 2004 qui ont été instaurées ou modifiées par l’arrêté royal de 2016.

22      Cette juridiction part de la prémisse selon laquelle l’ensemble de ces mesures constitue une entrave aux libertés fondamentales garanties par le traité FUE, dès lors qu’elles sont susceptibles de compliquer ou de rendre moins attrayant pour les travailleurs, dont ceux provenant d’un autre État membre, l’accomplissement d’un travail portuaire dans une zone portuaire belge, ainsi que l’engagement de tels travailleurs par les employeurs.

23      S’agissant d’une éventuelle justification de ces entraves au regard de raisons impérieuses d’intérêt général, ladite juridiction fait observer que Katoen Natie Bulk Terminals et General Services Antwerp contestent que lesdites mesures soient « aptes » dans leur généralité à atteindre l’objectif poursuivi, qui serait de garantir la sécurité dans les zones portuaires et, de ce fait, la sécurité ainsi que la protection en droit du travail des ouvriers portuaires. Elles contesteraient également que ces mêmes mesures soient proportionnées et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif tout en étant non discriminatoires.

24      En ce qui concerne, en premier lieu, la reconnaissance obligatoire de tous les ouvriers portuaires qui ne sont pas chargés d’effectuer des tâches logistiques par la commission administrative visée à l’article 1er, paragraphe 1, de l’arrêté royal de 2004 et composée d’organisations d’employeurs et d’organisations de travailleurs (ci-après la « commission administrative »), l’absence de garanties procédurales suffisantes à cet égard et la nécessité de tenir compte du besoin en main-d’œuvre en vue de la prise en compte dans le pool, le Raad van State (Conseil d’État) constate que, en droit belge, une décision positive ou négative de la commission administrative sur l’octroi d’une reconnaissance comme ouvrier portuaire peut être contestée directement par la voie d’un recours juridictionnel.

25      En deuxième lieu, s’agissant de la vérification des conditions de reconnaissance relatives à l’aptitude médicale et à la réussite des tests psychotechniques, le Raad van State (Conseil d’État) s’interroge, en particulier, sur le point de savoir si la condition supplémentaire, fixée à l’article 4, paragraphe 1, 8°, de l’arrêté royal de 2004, exigeant que le travailleur dispose, en outre, d’un contrat de travail, est adéquate afin d’atteindre l’objectif poursuivi, qui est de garantir la sécurité dans les zones portuaires.

26      En ce qui concerne, en troisième lieu, la durée de la reconnaissance des travailleurs non repris dans le pool, ainsi que du régime transitoire mis en place par l’arrêté royal de 2004, le Raad van State (Conseil d’État) observe que, chaque fois que le travailleur obtient un contrat de travail, il doit accomplir la procédure de reconnaissance, quelle que soit la raison pour laquelle son contrat de travail précédent a pris fin.

27      Le Raad van State (Conseil d’État) observe, en quatrième lieu, que, par l’effet du régime transitoire prévu par l’arrêté royal de 2004, un contrat de travail conclu avant la date du 30 juin 2017 a dû l’être pour une durée indéterminée. Puis, successivement, un contrat conclu à partir du 1er juillet 2017 a dû l’être pour une durée d’au moins deux ans, à partir du 1er juillet 2018, pour une durée d’au moins un an et à partir du 1er juillet 2019, pour une durée d’au moins six mois. Ce ne serait qu’à partir du 1er juillet 2020 que la durée du contrat de travail aurait pu être déterminée librement. Ainsi, le statut de l’ouvrier portuaire soumis, conformément à l’article 2, paragraphe 3, de l’arrêté royal de 2004, au régime commun prévu par la loi relative aux contrats de travail, serait nettement moins attractif que celui de l’ouvrier portuaire repris dans le pool, ce qui pourrait constituer une restriction injustifiée à la libre circulation.

28      En ce qui concerne, en cinquième lieu, la reconnaissance de plein droit de tous les ouvriers portuaires occupés comme ouvriers portuaires « repris dans le pool », le Raad van State (Conseil d’État) observe que, selon Katoen Natie Bulk Terminals et General Services Antwerp, cette mesure priverait les employeurs du droit de s’attacher une main-d’œuvre de qualité en concluant directement avec les ouvriers portuaires un contrat ferme leur assurant une sécurité d’emploi selon les règles du droit commun du travail, puisque ces ouvriers resteraient repris « de plein droit » dans le pool. La question se poserait de savoir si pareille mesure doit être jugée adéquate et proportionnée au vu de l’objectif poursuivi, et dès lors conforme à la liberté d’établissement ainsi qu’à la libre circulation des travailleurs.

29      En sixième lieu, s’agissant de l’obligation de fixer par convention collective de travail (ci-après une « CCT ») les conditions et modalités de l’emploi des travailleurs, en vue d’effectuer un travail dans une autre zone portuaire que celle dans laquelle ceux-ci ont obtenu la reconnaissance, le Raad van State (Conseil d’État) se demande si une telle mesure est raisonnable et proportionnée ou si, comme le soutiennent Katoen Natie Bulk Terminals et General Services Antwerp, il ne saurait être raisonnablement soutenu que la mobilité des travailleurs entre différentes zones portuaires devrait être restreinte ou soumise à des conditions supplémentaires au nom de la sécurité dans les zones portuaires.

30      Enfin, en septième lieu, en ce qui concerne l’obligation, pour les travailleurs effectuant un travail logistique, tel que défini à l’article 1er, paragraphe 3, de l’arrêté royal de 2004 (ci-après les « travailleurs logistiques »), de disposer d’un « certificat de sécurité », le Raad van State (Conseil d’État) estime qu’une telle mesure vise à assurer la sécurité en général et, de ce fait, aussi celle des travailleurs concernés. La question se poserait néanmoins de savoir si une telle mesure, interprétée en ce sens que ledit certificat de sécurité doit être sollicité à chaque fois qu’un nouveau contrat de travail est conclu, ne représenterait pas une charge administrative importante et disproportionnée, au regard de la liberté d’établissement et de la libre circulation des travailleurs.

31      C’est dans ces conditions que le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Faut-il interpréter l[es] article[s] 49, 56, 45, 34, 35, 101 ou 102 TFUE, lu[s] conjointement ou non avec l’article 106, paragraphe 1, TFUE, en ce sens qu’il[s] s’oppose[nt] à la disposition de l’article 1er de [l’arrêté royal de 2004], lue conjointement avec l’article 2 [de cet arrêté royal], à savoir la réglementation selon laquelle les ouvriers portuaires visés à l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, dudit [arrêté royal] sont, lors de leur reconnaissance par la commission administrative paritairement constituée, d’une part, de membres désignés par les organisations d’employeurs représentées au sein de la sous-commission paritaire concernée et, d’autre part, de membres désignés par les organisations de travailleurs représentées au sein de la sous-commission paritaire, repris ou non dans le pool des travailleurs portuaires, sachant que la reconnaissance en vue de la prise en compte dans le pool tient compte du besoin en main-d’œuvre, compte tenu également de ce qu’aucun délai maximal n’est prévu dans lequel cette commission administrative statuera et que seul un recours juridictionnel est prévu contre ses décisions de reconnaissance ?

2)      Faut-il interpréter l[es] article[s] 49, 56, 45, 34, 35, 101 ou 102, TFUE, lu[s] conjointement ou non avec l’article 106, paragraphe 1, TFUE, en ce sens qu’il[s] s’oppose[nt] au régime instauré par l’article 4, paragraphe 1, 2°, 3°, 6° et 8° de [l’arrêté royal de 2004], à savoir la réglementation qui impose comme condition à la reconnaissance comme ouvrier portuaire que le travailleur, [a)] soit déclaré médicalement apte au travail portuaire par le service externe pour la prévention et la protection au travail, auquel est affiliée l’organisation d’employeurs qui a été désignée comme mandataire conformément à l’article 3bis de la loi [organisant le travail portuaire], [b)] ait réussi les tests psychotechniques réalisés par l’organe désigné à cet effet par l’organisation d’employeurs qui a été désignée comme mandataire conformément à ce même article 3bis de la loi [organisant le travail portuaire], [c)] ait suivi, durant trois semaines, les cours préparatoires portant sur la sécurité au travail et tendant à l’obtention d’une qualification professionnelle et ait réussi l’épreuve finale et, [d)] dispose en plus d’un contrat de travail quand il s’agit d’un travailleur portuaire qui n’est pas repris dans le pool, étant entendu, dans une lecture conjointe avec l’article 4, paragraphe 3, de [l’arrêté royal de 2004], que les ouvriers portuaires étrangers doivent pouvoir démontrer qu’ils satisfont, dans un autre État membre, à des conditions équivalentes, pour ne plus être soumis, en ce qui concerne l’application du présent arrêté, à ces conditions ?

3)      Faut-il interpréter l[es] article[s] 49, 56, 45, 34, 35, 101 ou 102, TFUE, lu[s] conjointement ou non avec l’article 106, paragraphe 1, TFUE, en ce sens qu’il[s] s’oppose[nt] au régime instauré par l’article 2, paragraphe 3, de [l’arrêté royal de 2004], selon lequel les travailleurs portuaires, qui ne sont pas repris dans le pool et qui sont, de ce fait, directement engagés par un employeur dans le cadre d’un contrat de travail conformément à la loi [...] relative aux contrats de travail, voient la durée de la reconnaissance limitée à la durée de ce contrat de travail, de telle sorte qu’une nouvelle procédure de reconnaissance doit à chaque fois être entamée ?

4)      Faut-il interpréter l[es] article[s] 49, 56, 45, 34, 35, 101 ou 102, TFUE, lu[s] conjointement ou non avec l’article 106, paragraphe 1, TFUE, en ce sens qu’il[s] s’oppose[nt] au régime instauré par l’article 13/1 de [l’arrêté royal de 2004], à savoir la réglementation transitoire voulant que le contrat de travail évoqué à la troisième question préjudicielle doit être conclu, dans un premier temps, pour une durée indéterminée, [dans un deuxième temps,] à partir du 1er juillet 2017, pour une durée d’au moins deux ans, [dans un troisième temps,] à partir du 1er juillet 2018, pour une durée d’au moins un an, [dans un quatrième temps,] à partir du 1er juillet 2019, pour une durée d’au moins six mois, [et, enfin, dans un cinquième temps,] à partir du 1er juillet 2020, pour une durée à déterminer librement ?

5)      Faut-il interpréter l[es] article[s] 49, 56, 45, 34, 35, 101 ou 102, TFUE, lu[s] conjointement ou non avec l’article 106, paragraphe 1, TFUE, en ce sens qu’il[s] s’oppose[nt] au régime instauré par l’article 15/1 de [l’arrêté royal de 2004], voulant que les ouvriers portuaires reconnus sous l’empire de l’ancienne réglementation soient reconnus de plein droit comme ouvriers portuaires dans le pool, ce qui entrave la possibilité pour un employeur d’employer directement ces ouvriers portuaires (avec un contrat ferme) et empêche les employeurs de s’attacher une main-d’œuvre de qualité en concluant directement avec eux un contrat ferme et d’offrir à ces derniers une sécurité d’emploi selon les règles du droit commun du travail ?

6)      Faut-il interpréter l[es] article[s] 49, 56, 45, 34, 35, 101 ou 102, TFUE, lu[s] conjointement ou non avec l’article 106, paragraphe 1, TFUE, en ce sens qu’il[s] s’oppose[nt] au régime instauré par l’article 4, paragraphe 2, de [l’arrêté royal de 2004], selon lequel une [CCT] détermine les conditions et modalités auxquelles un ouvrier portuaire peut être employé dans une zone portuaire autre que celle dans laquelle il a été reconnu, ce qui restreint la mobilité des travailleurs entre les zones portuaires, sans que le Roi donne lui-même d’indication claire sur ce que peuvent être ces conditions et modalités ?

7)      Faut-il interpréter l[es] article[s] 49, 56, 45, 34, 35, 101 ou 102, TFUE, lu[s] conjointement ou non avec l’article 106, paragraphe 1, TFUE, en ce sens qu’il[s] s’oppose[nt] au régime instauré par l’article 1er, paragraphe 3, de [l’arrêté royal de 2004], selon lequel les travailleurs (logistiques) qui effectuent un travail au sens de l’article 1er de [l’arrêté royal de 1973], sur des lieux où des marchandises subissent, en vue de leur distribution ou expédition ultérieure, une transformation qui crée indirectement une valeur ajoutée démontrable, doivent disposer d’un certificat de sécurité, ce certificat de sécurité valant reconnaissance, au sens de la [loi organisant le travail portuaire], compte tenu de ce que ledit certificat de sécurité est sollicité par l’employeur qui a signé un contrat de travail avec un travailleur pour effectuer des activités en ce sens et qu’il est émis sur présentation de la carte d’identité et du contrat de travail, étant entendu que les modalités de la procédure à suivre sont fixées par [CCT], sans que le Roi donne d’indication claire sur ce point ? »

 L’affaire C471/19

32      Middlegate Europe est une société de transport ayant son siège à Zeebruges, qui est active dans toute l’Europe. Dans le cadre de transports routiers internationaux, ses travailleurs préparent entre autres le chargement de semi-remorques sur le quai du port de Zeebruges à l’aide d’un « tugmaster » (tracteur de remorquage), en vue de leur expédition vers le Royaume-Uni et l’Irlande.

33      Le 12 janvier 2011, un travailleur qui, dans le cadre d’un transport routier international au départ de Virton (Belgique) et à destination de Bury (Royaume-Uni), préparait de tels chargements a été soumis à un contrôle de police. À la suite de ce contrôle, les services de police ont dressé un procès-verbal contre Middlegate Europe pour infraction à l’article 1er de la loi organisant le travail portuaire, c’est-à-dire du chef d’un travail portuaire effectué par un ouvrier portuaire non reconnu.

34      Par décision du 17 janvier 2013, Middlegate Europe s’est vu imposer une amende administrative de 100 euros. Cette société a introduit un recours contre cette décision devant l’arbeidsrechtbank Gent, afdeling Brugge (tribunal du travail de Gand, section de Bruges, Belgique). Par jugement du 17 décembre 2014, cette juridiction a rejeté le recours comme étant non fondé. Par arrêt du 3 novembre 2016, l’arbeidshof te Gent (cour du travail de Gand, Belgique) a rejeté comme étant non fondé l’appel introduit contre la décision prise en premier ressort.

35      Middlegate Europe a ensuite formé un pourvoi contre ledit arrêt devant le Hof van Cassatie (Cour de cassation, Belgique). Dans le cadre de cette procédure, elle a fait valoir que les articles 1er et 2 de la loi organisant le travail portuaire sont contraires aux articles 10, 11 et 23 de la Constitution belge, en ce qu’ils méconnaissent la liberté de commerce et d’industrie des entreprises. À la demande de Middlegate Europe, le Hof van Cassatie (Cour de cassation) a décidé de soumettre deux questions préjudicielles à la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑471/19, le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle, Belgique).

36      Cette juridiction relève que la liberté de commerce et d’industrie, telle que consacrée par la Constitution belge, est étroitement liée à la liberté professionnelle, au droit de travailler et à la liberté d’entreprise, qui sont garantis par les articles 15 et 16 de la Charte et à plusieurs libertés fondamentales garanties par le traité FUE, comme la libre prestation des services (article 56 TFUE) et la liberté d’établissement (article 49 TFUE).

37      En premier lieu, la Cour constitutionnelle estime que l’obligation imposée, en vertu de la loi organisant le travail portuaire, aux entreprises souhaitant effectuer, dans une zone portuaire, un travail portuaire, y compris des activités étrangères au chargement et au déchargement de navires, de ne recourir qu’à des ouvriers portuaires reconnus et de s’affilier obligatoirement à cette fin à une organisation représentative des employeurs reconnue, semble restreindre, à l’égard de ces entreprises, le libre choix du personnel et la liberté de négocier les conditions de travail.

38      Dès lors, cette juridiction considère que les articles 1er et 2 de la loi organisant le travail portuaire impliquent une restriction à la liberté d’établissement, au sens de l’article 49 TFUE. Au vu de la jurisprudence de la Cour, en particulier l’arrêt du 11 décembre 2014, Commission/Espagne (C‑576/13, non publié, EU:C:2014:2430), elle se demande si cette restriction est ou non justifiée, compte tenu des caractéristiques et des circonstances spécifiques de la réglementation nationale en matière de travail portuaire.

39      Elle observe, à cet égard, que l’objectif du législateur belge, lors de l’adoption de la loi organisant le travail portuaire, était de protéger la profession d’ouvrier portuaire en interdisant aux travailleurs non-reconnus d’exécuter un travail portuaire. En effet, en conférant un ancrage légal au statut d’« ouvrier portuaire reconnu » – qui serait étroitement lié au caractère spécifique, difficile et dangereux du travail portuaire – ce législateur aurait cherché à réserver les activités de manutention des marchandises dans les ports, dont la technicité évoluerait rapidement, exclusivement à des ouvriers ayant suivi une solide formation professionnelle, destinée à évaluer autant leurs qualifications professionnelles que leurs capacités physiques et intellectuelles. En instaurant ce statut et le monopole de travail qui s’y attache, ledit législateur aurait également voulu répondre au souci de garantir la sécurité dans les zones portuaires et d’éviter des accidents du travail, d’une part, et à la nécessité d’avoir chaque jour des ouvriers spécialisés se tenant à la disposition d’un port alliant productivité, service et compétitivité, d’autre part. En imposant l’affiliation de l’employeur auprès d’une unique organisation d’employeurs agréée par zone portuaire, intervenant en qualité de secrétariat social d’encadrement, le législateur belge aurait cherché, en outre, à garantir l’égalité de traitement en matière de droits sociaux entre tous les ouvriers portuaires par rapport à toutes les obligations de droit social découlant du statut d’ouvrier portuaire reconnu.

40      En second lieu, le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) attire l’attention sur le fait que, dans l’attente de l’intervention du législateur belge, le constat pur et simple de l’inconstitutionnalité des articles 1er et 2 de la loi organisant le travail portuaire pourrait avoir pour effet que des milliers d’ouvriers portuaires se trouveraient inopinément, pendant un certain laps de temps, dans une situation de grande incertitude en ce qui concerne leur statut juridique sur le marché du travail, ce qui pourrait avoir des conséquences sociales et financières néfastes pour les ouvriers portuaires. Les pouvoirs publics pourraient, dans les mêmes circonstances, être eux aussi confrontés à des conséquences graves.

41      Afin d’éviter, le cas échéant, l’insécurité juridique et le malaise social, et afin de permettre au législateur belge de mettre l’organisation du travail portuaire dans les zones portuaires en conformité avec les obligations découlant de la Constitution belge, lue en combinaison avec la liberté de commerce et d’industrie garanties par les articles 15 et 16 de la Charte et avec l’article 49 TFUE, le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) relève qu’il pourrait, en vertu du droit belge, maintenir temporairement les effets des articles 1er et 2 de la loi organisant le travail portuaire.

42      Dans ces conditions, le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 49 [TFUE], lu ou non en combinaison avec l’article 56 du même traité, les articles 15 et 16 de la [Charte] et le principe d’égalité, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui oblige des personnes ou entreprises qui souhaitent exercer dans une zone portuaire belge des activités portuaires au sens de la [loi organisant le travail portuaire] – dont des activités qui seraient étrangères au chargement et au déchargement de navires au sens strict – à ne recourir qu’à des ouvriers portuaires reconnus ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, la Cour constitutionnelle peut-elle maintenir provisoirement les effets des articles 1er et 2, en cause, de la [loi organisant le travail portuaire] afin d’éviter une insécurité juridique et un malaise social, et afin de permettre au législateur de les mettre en conformité avec les obligations découlant du droit de l’Union ? »

43      Par décision du président de la Cour du 19 juillet 2020, les affaires C‑407/19 et C‑471/19 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur la demande de réouverture de la procédure orale

44      Par acte déposé au greffe de la Cour le 27 octobre 2020, Katoen Natie Bulk Terminals, General Services Antwerp et Middlegate Europe ont demandé à ce que soit ordonnée la réouverture de la phase orale de la procédure, en application de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour.

45      À l’appui de leur demande, elles ont fait valoir, en substance, d’une part, qu’il ressort de certains documents devenus accessibles après la lecture des conclusions de M. l’avocat général que le gouvernement belge ainsi que les organisations d’employeurs et de travailleurs du secteur portuaire se seraient concertés et auraient décidé de s’en tenir à la réglementation en cause dans les affaires au principal, quand bien même la Cour suivrait les propositions de M. l’avocat général. D’autre part, elles souhaiteraient attirer l’attention de la Cour sur des décisions récentes en matière de travail portuaire émanant de juridictions d’États membres.

46      En vertu de l’article 83 de son règlement de procédure, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée, ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour, ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties ou les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

47      En l’occurrence, tel n’est pas le cas. La position que le gouvernement belge ainsi que les organisations d’employeurs et de travailleurs dans le secteur portuaire entendraient adopter dans l’hypothèse où la Cour suivrait les propositions formulées par M. l’avocat général dans ses conclusions est sans pertinence pour la réponse à donner aux questions des juridictions de renvoi dans les présentes affaires. De même, les décisions juridictionnelles récentes, dont Katoen Natie Bulk Terminals, General Services Antwerp et Middlegate Europe font état dans leur demande de réouverture de la procédure orale, ne présentent pas non plus une telle pertinence. Il s’agit, d’une part, d’une décision de l’autorité de la concurrence espagnole adoptée à la suite du prononcé de l’arrêt du 11 décembre 2014, Commission/Espagne (C‑576/13, non publié, EU:C:2014:2430) et, d’autre part, d’un arrêt d’une juridiction néerlandaise, sans lien avec la réglementation en cause au principal.

48      Par ailleurs, dans la mesure où, dans leur demande de réouverture de la procédure orale, Katoen Natie Bulk Terminals, General Services Antwerp et Middlegate Europe expriment leur désaccord avec certaines appréciations figurant dans les conclusions de M. l’avocat général, il convient de rappeler, d’une part, que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure de cette dernière ne prévoient pas la possibilité pour les parties intéressées de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (arrêt du 4 septembre 2014, Vnuk, C‑162/13, EU:C:2014:2146, point 30 et jurisprudence citée).

49      D’autre part, en vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général a pour rôle de présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention. À cet égard, la Cour n’est liée ni par les conclusions de l’avocat général ni par la motivation au terme de laquelle il parvient à celles-ci. Par conséquent, le désaccord d’une partie intéressée avec les conclusions de l’avocat général, quelles que soient les questions qu’il examine dans celles-ci, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la procédure orale (arrêt du 4 septembre 2014, Vnuk, C‑162/13, EU:C:2014:2146, point 31 et jurisprudence citée).

50      Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la compétence de la Cour

51      Il convient de constater que, tant dans l’affaire C‑407/19 que dans l’affaire C‑471/19, les éléments du litige se cantonnent dans un seul État membre.

52      À cet égard, d’une part, il appartient à la juridiction de renvoi d’indiquer à la Cour en quoi, en dépit de son caractère purement interne, le litige pendant devant elle présente avec les dispositions du droit de l’Union relatives aux libertés fondamentales un élément de rattachement qui rend l’interprétation préjudicielle sollicitée nécessaire à la solution du litige au principal (arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 55). Or, ainsi qu’il ressort des points 18 à 20 du présent arrêt, dans l’affaire C‑407/19, le Raad van State (Conseil d’État) a pris soin d’expliquer en quoi la vocation internationale des zones portuaires situées en Belgique permet de considérer que les situations concernées par la réglementation nationale applicable présentent un tel élément de rattachement au droit de l’Union. Ces considérations apparaissent pleinement transposables au litige dont le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) est saisi dans l’affaire C‑471/19.

53      D’autre part, lorsque la juridiction de renvoi saisit la Cour dans le cadre d’une procédure en annulation de dispositions applicables non seulement aux ressortissants nationaux, mais également aux ressortissants des autres États membres, la décision que cette juridiction adoptera à la suite de l’arrêt rendu à titre préjudiciel produira des effets également à l’égard de ces derniers ressortissants, ce qui justifie que la Cour réponde aux questions qui lui ont été posées en rapport avec les dispositions du traité relatives aux libertés fondamentales en dépit du fait que tous les éléments du litige au principal se cantonnent dans un seul État membre (arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 51 et jurisprudence citée). Cette considération vaut également dans l’hypothèse où la Cour est saisie dans le cadre d’une procédure portant sur la conformité de telles dispositions nationales au droit de l’Union. Or, les dispositions nationales en cause dans les affaires au principal sont indistinctement applicables à la fois aux ressortissants belges et aux ressortissants des autres États membres.

54      Il s’ensuit que la Cour est compétente pour statuer sur l’ensemble des questions préjudicielles.

 Sur les questions préjudicielles dans l’affaire C471/19

 Sur la première question

55      Par sa première question dans l’affaire C‑471/19, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 56 TFUE, les articles 15 et 16 de la Charte, ainsi que le principe d’égalité de traitement, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui oblige des personnes ou entreprises souhaitant exercer des activités portuaires dans une zone portuaire, y compris des activités étrangères au chargement et au déchargement de navires au sens strict, à ne recourir qu’à des ouvriers portuaires reconnus comme tels conformément aux conditions et modalités fixées en application de cette réglementation.

56      Il convient d’emblée d’indiquer que, en ce qui concerne la compatibilité, avec les articles 15 et 16 de la Charte, d’une réglementation nationale en vertu de laquelle les entreprises souhaitant fournir des services portuaires doivent obligatoirement avoir recours à des ouvriers portuaires reconnus, un examen de la restriction induite par une réglementation nationale au titre des articles 49 et 56 TFUE couvre également les éventuelles restrictions à l’exercice des droits et des libertés prévus aux articles 15 à 17 de la Charte, de sorte qu’un examen séparé au titre d’une éventuelle incompatibilité avec la liberté d’entreprise n’est pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Global Starnet, C‑322/16, EU:C:2017:985, point 50 et jurisprudence citée).

57      Dans la mesure où la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑471/19 a évoqué, dans sa première question, le principe d’égalité de traitement, il convient de relever qu’une réglementation nationale, telle que celle envisagée par cette question, s’applique de manière identique aux opérateurs tant résidents que non-résidents qui, partant, sont traités sur un pied d’égalité.

58      Cependant, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que les articles 49 et 56 TFUE s’opposent à toute mesure nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union européenne, de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services garanties par lesdites dispositions du traité (arrêt du 10 juillet 2014, Consorzio Stabile Libor Lavori Pubblici, C‑358/12, EU:C:2014:2063, point 28 et jurisprudence citée).

59      Or, il convient de constater, à l’instar de la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑471/19 ainsi que de M. l’avocat général aux points 52 et 53 de ses conclusions, qu’une réglementation d’un État membre obligeant les entreprises provenant d’autres États membres qui souhaitent s’établir dans cet État membre pour y exercer des activités portuaires ou qui, sans s’y établir, souhaitent y fournir des services portuaires, à ne recourir qu’à des ouvriers portuaires reconnus comme tels conformément à cette réglementation, empêche une telle entreprise d’avoir recours à son propre personnel ou de recruter d’autres ouvriers non reconnus et, partant, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’établissement de cette entreprise dans l’État membre concerné ou la prestation, par celle–ci, de services dans ledit État membre.

60      Elle constitue, dès lors, une restriction aux libertés garanties par les articles 49 et 56 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 11 décembre 2014, Commission/Espagne, C‑576/13, non publié, EU:C:2014:2430, points 37 et 38).

61      De telles restrictions peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, à condition qu’elles soient propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, à savoir s’il n’existe pas des mesures moins restrictives qui permettraient de l’atteindre de manière aussi efficace (voir, en ce sens, arrêts du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union, C‑438/05, EU:C:2007:772, point 75, du 10 juillet 2014, Consorzio Stabile Libor Lavori Pubblici, C‑358/12, EU:C:2014:2063, point 31, et du 11 décembre 2014, Commission/Espagne, C‑576/13, non publié, EU:C:2014:2430, points 47 et 53).

62      Il ressort des indications de la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑471/19, résumées au point 39 du présent arrêt, lesquelles se recoupent avec les explications avancées par le gouvernement belge dans ses observations écrites, que les dispositions de la loi organisant le travail portuaire en cause au principal visent, en substance, à garantir la sécurité dans les zones portuaires et à prévenir les accidents du travail, à assurer la disponibilité de main-d’œuvre spécialisée eu égard à la demande de travail fluctuante dans ces zones, ainsi qu’à garantir l’égalité de traitement en matière de droits sociaux entre tous les ouvriers portuaires.

63      Premièrement, s’agissant de l’objectif visant à garantir l’égalité de traitement en matière de droits sociaux entre tous les ouvriers portuaires, il convient de rappeler que la protection des travailleurs constitue une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction aux libertés de circulation (voir, notamment, arrêts du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union, C‑438/05, EU:C:2007:772, point 77, et du 11 décembre 2014, Commission/Espagne, C‑576/13, non publié, EU:C:2014:2430, point 50).

64      Cependant, un tel objectif ne saurait être atteint par une réglementation nationale qui oblige des personnes ou des entreprises souhaitant exercer des activités portuaires dans une zone portuaire à ne recourir qu’à des ouvriers portuaires reconnus, dans la mesure où le seul fait, pour un ouvrier portuaire, d’être reconnu en tant que tel n’implique pas qu’il jouira nécessairement des mêmes droits sociaux que tous les autres ouvriers portuaires reconnus. En effet, il ressort de la demande de décision préjudicielle que cet objectif pourrait être atteint par l’obligation des employeurs d’ouvriers portuaires de s’affilier auprès d’une organisation unique. Or, une telle obligation peut être imposée en application de l’article 3 bis de la loi organisant le travail portuaire, lequel n’est pas visé par la présente question.

65      Deuxièmement, s’agissant de l’objectif tendant à assurer la disponibilité de main-d’œuvre spécialisée, à supposer qu’il puisse être considéré comme constituant une raison impérieuse d’intérêt général, au sens de la jurisprudence citée au point 61 du présent arrêt, comme l’a, en substance, relevé M. l’avocat général au point 68 de ses conclusions, un système rigide, prévoyant la constitution d’un contingent limité d’ouvriers portuaires reconnus auquel toute entreprise souhaitant exercer des activités portuaires doit obligatoirement avoir recours, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif tendant à assurer la disponibilité de main-d’œuvre spécialisée.

66      Troisièmement, pour ce qui concerne l’objectif plus spécifique visant à assurer la sécurité dans les zones portuaires et à prévenir les accidents du travail, ainsi qu’il ressort du point 63 du présent arrêt, la protection des travailleurs figure parmi les raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction aux libertés de circulation.

67      Il en va de même de l’objectif plus spécifique visant à assurer la sécurité dans les zones portuaires (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2014, Commission/Espagne, C‑576/13, non publié, EU:C:2014:2430, points 49 à 52).

68      À cet égard, comme M. l’avocat général l’a relevé aux points 70 et 71 de ses conclusions, dans la mesure où les articles 1er et 2 de la loi organisant le travail portuaire se limitent à instaurer un régime de reconnaissance des ouvriers portuaires, dont les conditions et les modalités concrètes de mise en œuvre doivent être fixées par des actes adoptés en vertu de l’article 3 de cette loi, il ne saurait être considéré que, prises isolément, ces dispositions sont, en elles-mêmes, inaptes ou disproportionnées pour atteindre l’objectif tendant à garantir la sécurité dans les zones portuaires et à prévenir les accidents du travail.

69      En effet, le caractère nécessaire et proportionné d’un tel régime, et, par voie de conséquence, sa compatibilité avec les articles 49 et 56 TFUE, doit être apprécié de manière globale, en tenant compte de l’ensemble des conditions prévues pour la reconnaissance des ouvriers portuaires ainsi que les modalités de mise en œuvre d’un tel régime.

70      Une réglementation nationale selon laquelle les entreprises souhaitant fournir des services portuaires doivent obligatoirement avoir recours à des ouvriers portuaires reconnus ne saurait être considérée comme étant proportionnée par rapport à l’objectif poursuivi que si la reconnaissance des ouvriers portuaires était fondée sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation de l’autorité responsable de leur reconnaissance et à assurer que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire (voir, par analogie, arrêt du 17 juillet 2008, Commission/France, C‑389/05, EU:C:2008:411, point 94 et jurisprudence citée).

71      En outre, dès lors que l’objectif d’une telle réglementation est de garantir la sécurité dans les zones portuaires et de prévenir les accidents du travail, les conditions de reconnaissance des ouvriers portuaires doivent logiquement porter uniquement sur le point de savoir si ceux-ci disposent des qualités et des aptitudes nécessaires pour assurer l’exécution des tâches qui leur incombent en toute sécurité.

72      À cette fin, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 76 de ses conclusions, il peut, le cas échéant, être prévu que, pour être reconnus, les ouvriers portuaires doivent disposer d’une formation professionnelle suffisante.

73      Toutefois, une exigence selon laquelle une telle formation doit être dispensée ou attestée par un seul organisme déterminé dans l’État membre concerné, sans tenir compte de l’éventuelle reconnaissance des intéressés comme ouvriers portuaires dans un autre État membre de l’Union, ou de la formation que ceux-ci auraient suivie dans un autre État membre de l’Union et des aptitudes professionnelles qu’ils y auraient acquises, serait disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi (voir, en ce sens, arrêt du 5 février 2015, Commission/Belgique, C‑317/14, EU:C:2015:63, points 27 à 29).

74      Par ailleurs, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé au point 88 de ses conclusions, la limitation du nombre des ouvriers portuaires pouvant faire l’objet d’une reconnaissance et, partant, la constitution d’un contingent restreint de tels ouvriers, auxquels toute entreprise souhaitant exercer des activités portuaires doit obligatoirement avoir recours, à supposer qu’elle soit apte à garantir la sécurité dans les zones portuaires, est certainement disproportionnée, par rapport à la réalisation d’un tel objectif.

75      En effet, cet objectif peut aussi être atteint en prévoyant que tout ouvrier en mesure de démontrer qu’il dispose des aptitudes professionnelles requises et, le cas échéant, a suivi une formation appropriée peut être reconnu comme ouvrier portuaire.

76      Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question dans l’affaire C‑471/19 que les articles 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui oblige des personnes ou entreprises souhaitant exercer des activités portuaires dans une zone portuaire, y compris des activités étrangères au chargement et au déchargement de navires au sens strict, à ne recourir qu’à des ouvriers portuaires reconnus comme tels conformément aux conditions et modalités fixées en application de cette réglementation, pour autant que lesdites conditions et modalités, d’une part, soient fondées sur des critères objectifs, non discriminatoires, connus à l’avance et permettant aux ouvriers portuaires d’autres États membres de démontrer qu’ils répondent, dans leur État d’origine, à des exigences équivalentes à celles appliquées aux ouvriers portuaires nationaux et, d’autre part, n’établissent pas un contingent limité d’ouvriers pouvant faire l’objet d’une telle reconnaissance.

 Sur la seconde question dans l’affaire C471/19

77      La seconde question dans l’affaire C‑471/19 vise l’hypothèse selon laquelle il découlerait de la réponse à la première question que les articles 49 et 56 TFUE s’opposent à une réglementation nationale telle que les articles 1er et 2 de la loi organisant le travail portuaire. La juridiction de renvoi dans cette affaire demande, en substance, si, dans une telle hypothèse, elle peut maintenir provisoirement les effets de ces articles, afin d’éviter une insécurité juridique et un malaise social au sein de l’État membre concerné.

78      Or, il ressort de la réponse à la première question que des dispositions nationales telles que les articles 1er et 2 de la loi organisant le travail portuaire ne sont pas, en tant que telles, incompatibles avec les libertés consacrées aux articles 49 et 56 TFUE, mais que l’appréciation de la compatibilité, avec ces libertés, du régime institué en application de telles dispositions nécessite une approche globale, en prenant en considération l’ensemble des conditions et des modalités de mise en œuvre d’un tel régime.

79      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question dans l’affaire C‑471/19.

 Sur les questions préjudicielles dans l’affaire C407/19

 Observations liminaires

80      Les questions préjudicielles dans l’affaire C‑407/19 visent à permettre à la juridiction de renvoi dans cette affaire d’apprécier la compatibilité avec le droit de l’Union de différentes dispositions de l’arrêté royal de 2004, lequel établit les modalités de la mise en œuvre des dispositions de la loi organisant le travail portuaire. Cette juridiction se réfère, dans ce cadre, aux différentes libertés de circulation garanties par le traité.

81      À cet égard, il ressort, en premier lieu, de la réponse apportée à la première question dans l’affaire C‑471/19 qu’une telle réglementation relève de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services garanties, respectivement, aux articles 49 et 56 TFUE.

82      En deuxième lieu, il importe de préciser qu’une telle réglementation relève également du champ d’application de l’article 45 TFUE. En effet, le bénéfice de cette disposition peut être invoqué non seulement par les travailleurs eux-mêmes, mais également par leurs employeurs. Pour être efficace et utile, le droit des travailleurs d’être engagés et occupés sans discrimination doit nécessairement avoir comme complément le droit des employeurs de les engager dans le respect des règles en matière de libre circulation des travailleurs (arrêt du 16 avril 2013, Las, C‑202/11, EU:C:2013:239, point 18). L’ensemble des dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des personnes visent ainsi à faciliter, pour les ressortissants des États membres, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l’Union et s’opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre. Ces dispositions et, en particulier, l’article 45 TFUE s’opposent ainsi à toute mesure qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, des libertés fondamentales garanties par le traité (arrêt du 16 avril 2013, Las, C‑202/11, EU:C:2013:239, points 19 et 20 ainsi que jurisprudence citée).

83      En troisième lieu, si la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑407/19 a également évoqué, dans le libellé de ses questions, les articles 34 et 35 TFUE, relatifs à la libre circulation des marchandises, il convient toutefois de constater qu’elle n’a fourni aucune indication quant à l’effet concret sur cette liberté d’une réglementation nationale telle que celle visée par ces questions.

84      En tout état de cause, il convient de rappeler que, lorsqu’une mesure nationale affecte tant la libre prestation des services que la libre circulation des marchandises, la Cour l’examine, en principe, au regard de l’une seulement de ces deux libertés fondamentales s’il s’avère que, dans les circonstances de l’espèce, l’une de celles-ci est tout à fait secondaire par rapport à l’autre et peut lui être rattachée (arrêt du 14 octobre 2004, Omega, C‑36/02, EU:C:2004:614, point 26 et jurisprudence citée).

85      Il doit en aller de même d’une mesure qui affecte tant la liberté d’établissement, ou la libre circulation des travailleurs, que la libre circulation des marchandises.

86      Or, à supposer qu’une réglementation nationale telle que celle visée au point 80 du présent arrêt soit susceptible de restreindre également la libre circulation des marchandises, dans la mesure où les ouvriers portuaires effectuent également des prestations relatives au transport des marchandises transitant par les ports, il est évident qu’une telle restriction serait tout à fait secondaire par rapport aux restrictions à la libre circulation des travailleurs et des services, ainsi qu’à la liberté d’établissement.

87      En quatrième lieu, si la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑407/19 évoque, dans le libellé des questions qu’elle a posées à la Cour, les articles 101, 102 et 106 TFUE, elle n’a pas non plus fourni d’explications suffisantes afin de permettre à cette dernière d’apprécier si ces dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal.

88      Au demeurant, comme l’a rappelé M. l’avocat général au point 38 de ses conclusions, la Cour a déjà jugé qu’une réglementation, telle que celle en cause au principal, qui oblige les particuliers à recourir, pour l’exécution de travaux portuaires, exclusivement à des ouvriers portuaires reconnus, ne tombe pas sous le coup des articles 101 et 102 ainsi que de l’article 106, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où, même pris collectivement, les ouvriers portuaires ne peuvent pas être considérés comme des « entreprises », au sens de ces dispositions (voir, en ce sens, arrêt du 16 septembre 1999, Becu e.a., C‑22/98, EU:C:1999:419, points 27, 30 et 31).

89      Au regard des considérations qui précèdent, il n’y a lieu d’examiner les questions préjudicielles dans l’affaire C‑407/19 qu’à l’aune des articles 45, 49 et 56 TFUE.

90      À cet égard, il ressort des points 59 et 60 du présent arrêt qu’une réglementation d’un État membre qui, à l’instar de des articles 1er et 2 de la loi organisant le travail portuaire, oblige les entreprises non résidentes qui souhaitent s’établir dans cet État membre pour y exercer des activités portuaires ou qui, sans s’y établir, souhaitent y fournir des services portuaires à ne recourir qu’à des ouvriers portuaires reconnus conformément à cette réglementation, constitue une restriction aux libertés garanties par les articles 49 et 56 TFUE.

91      De même, une telle réglementation nationale est susceptible d’avoir un effet dissuasif envers les travailleurs et employeurs en provenance d’autres États membres et constitue, par voie de conséquence, une restriction à la libre circulation des travailleurs, consacrée à l’article 45 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 16 avril 2013, Las, C‑202/11, EU:C:2013:239, point 22).

92      En outre, il ressort respectivement des points 61 et 63 du présent arrêt que de telles restrictions peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général et que l’objectif visant à garantir la sécurité dans les zones portuaires et à prévenir les accidents du travail, invoqué par le gouvernement belge dans ses observations écrites, est susceptible de constituer une telle raison, de nature à justifier ces restrictions, pour autant que celles-ci soient nécessaires et proportionnées par rapport à l’objectif poursuivi.

93      Il y a lieu, dès lors, de procéder, à l’égard de chacune des mesures visées dans les questions préjudicielles dans l’affaire C‑407/19, à l’examen de leur caractère nécessaire et proportionné par rapport à l’objectif mentionné au point précédent.

 Sur la première question, sur la deuxième question, sous d), ainsi que sur les troisième et quatrième questions

94      Par sa première question, par sa deuxième question, sous d), ainsi que par ses troisième et quatrième questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑407/19 demande, en substance, si les articles 45, 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle :

–        la reconnaissance des ouvriers portuaires échoit à une commission administrative, paritairement constituée de membres désignés par les organisations d’employeurs et par les organisations de travailleurs ;

–        cette commission décide également, en fonction du besoin en main-d’œuvre, si les ouvriers reconnus doivent ou non être repris dans un contingent de travailleurs portuaires ;

–        pour les ouvriers portuaires non repris dans ce contingent, la durée de leur reconnaissance est limitée à la durée de leur contrat de travail, pour autant que ce dernier soit d’une durée indéterminée, étant entendu que, en application d’une disposition de droit transitoire, ce bénéfice est, dans un premier temps, progressivement étendu aux ouvriers portuaires disposant d’un contrat de travail d’une durée de plus en plus courte et, dans un second temps, à ceux disposant d’un contrat de travail, quelle qu’en soit la durée ; 

–        aucun délai maximal dans lequel ladite commission doit statuer n’est prévu, et

–        seul un recours juridictionnel est prévu contre les décisions de la même commission relatives à la reconnaissance d’un ouvrier portuaire.

95      S’agissant, premièrement, de la composition de la commission administrative, il convient de relever que, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du point 92 du présent arrêt, l’exigence de reconnaissance des ouvriers portuaires vise à garantir la sécurité dans les zones portuaires et à prévenir les accidents du travail, une réglementation en vertu de laquelle cette reconnaissance est accordée par un organe administratif paritairement composé de membres désignés par les organisations d’employeurs et de travailleurs n’apparaît pas comme étant nécessaire et appropriée pour atteindre cet objectif.

96      En effet, il n’est pas assuré que les membres de cet organe, désignés par ces organisations, disposeront des connaissances nécessaires pour déterminer si un ouvrier portuaire remplit les critères de reconnaissance, relatifs à son aptitude à exécuter les tâches qui lui incombent en toute sécurité.

97      En outre, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 126 à 128 de ses conclusions, si les membres de l’organe compétent pour la reconnaissance des ouvriers portuaires sont désignés par des opérateurs déjà présents sur le marché, notamment par une organisation représentant les ouvriers portuaires déjà reconnus qui risquent d’entrer en concurrence pour les postes de travail disponibles avec les ouvriers qui demandent leur reconnaissance, il est permis de douter de l’impartialité de ces membres et qu’ils pourront, partant, se prononcer sur les demandes de reconnaissance d’une manière objective, transparente et non-discriminatoire (voir, par analogie, arrêts du 15 janvier 2002, Commission/Italie, C‑439/99, EU:C:2002:14, point 39 ; du 1er juillet 2008, MOTOE, C‑49/07, EU:C:2008:376, point 51, ainsi que du 26 septembre 2013, Ottica New Line, C‑539/11, EU:C:2013:591, points 53 et 54).

98      Deuxièmement, l’absence de fixation d’un délai raisonnable dans lequel l’organe chargé de la reconnaissance des ouvriers portuaires doit rendre sa décision n’apparaît pas non plus comme étant nécessaire et approprié pour atteindre l’objectif visant à garantir la sécurité dans les zones portuaires et à prévenir les accidents du travail.

99      Au contraire, l’absence d’un tel délai est de nature à accroître le risque de refus arbitraire de reconnaissance d’un ouvrier portuaire disposant des qualités requises, aux seules fins de restreindre la concurrence sur le marché du travail concerné.

100    Troisièmement, pour ce qui est du fait que, selon les indications de la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑407/19, seul un recours juridictionnel est prévu contre les décisions de la commission chargée de la reconnaissance des ouvriers portuaires, il y a lieu de relever que, pour être jugée proportionnée par rapport à l’objectif poursuivi, une mesure impliquant la restriction d’une liberté fondamentale doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif, garanti par l’article 47 de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, PI, C‑230/18, EU:C:2019:383, points 78 à 81).

101    Il appartient à la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑407/19 de vérifier, le cas échéant, que le recours juridictionnel prévu contre les décisions de la commission administrative satisfait aux exigences d’un tel contrôle.

102    En revanche, le fait qu’aucun recours devant une instance administrative n’est prévu contre les décisions relatives à la reconnaissance des ouvriers portuaires n’est pas de nature à jeter un doute sur le caractère nécessaire et proportionné d’une mesure nationale rendant obligatoire une telle reconnaissance.

103    Quatrièmement, s’agissant de la reprise, ou non, des ouvriers portuaires reconnus dans un contingent de travailleurs, sur décision de la commission administrative, il y a lieu de relever qu’il ressort des indications de la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑407/19 que le pool prévu par l’arrêté royal de 2004 ne constitue pas un contingent rigide, tel que celui visé au point 74 du présent arrêt, dans la mesure où, comme il ressort de l’article 2, paragraphe 3, de cet arrêté royal, les ouvriers non repris dans ce pool peuvent être engagés en qualité d’ouvriers portuaires, sur la base d’un contrat de travail.

104    Il ressort, néanmoins, de cette dernière disposition, ainsi que des indications de la juridiction de renvoi, que la reconnaissance des ouvriers non repris dans le pool est limitée à la durée de leur contrat de travail, alors que, conformément à l’article 2, paragraphe 2, de l’arrêté royal de 2004, les ouvriers portuaires repris dans le pool peuvent être reconnus pour une durée indéterminée.

105    Par ailleurs, en vertu de la disposition transitoire de l’article 13/1 de l’arrêté royal de 2004, la possibilité de bénéficier d’une reconnaissance sans être repris dans le pool a été initialement limitée aux seuls ouvriers portuaires disposant d’un contrat à durée indéterminée et a progressivement été étendue aux ouvriers portuaires disposant d’un contrat de travail d’une durée déterminée de plus en plus courte. Ce n’est que depuis la date du 1er juillet 2020 que tous les ouvriers portuaires disposant d’un contrat de travail peuvent être reconnus comme tels, indépendamment de la durée de leur contrat de travail.

106    À cet égard, il y a lieu de relever que, certes, une réglementation nationale en vertu de laquelle la reconnaissance des ouvriers portuaires doit faire l’objet d’un renouvellement à des intervalles raisonnables n’est pas incompatible avec l’objectif tendant à garantir la sécurité dans les zones portuaires et à prévenir les accidents du travail, dans la mesure où l’exigence de renouvellement périodique de la reconnaissance permet d’assurer que les ouvriers portuaires continuent à disposer des aptitudes nécessaires pour exercer en toute sécurité les tâches qui leur incombent.

107    Toutefois, une réglementation conformément à laquelle seule une partie des ouvriers portuaires peut bénéficier d’une reconnaissance à durée indéterminée, alors que la reconnaissance de certains autres ouvriers portuaires expire automatiquement à la fin de leur contrat de travail, même si celui-ci n’a été que d’une très courte durée, de sorte que ces derniers ouvriers doivent se soumettre à une nouvelle procédure de reconnaissance à chaque fois qu’ils concluent un nouveau contrat de travail, n’apparaît pas comme étant appropriée et nécessaire pour atteindre l’objectif mentionné au point précédent.

108    En effet, il n’y a pas de motifs susceptibles de justifier ce traitement différent des deux catégories d’ouvriers portuaires qui se trouvent dans des situations tout à fait similaires, du point de vue de la sécurité sur leur lieu de travail.

109    Cela est d’autant plus le cas que, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 157 de ses conclusions, les missions de courte durée sont prédominantes dans le travail portuaire.

110    En effet, pendant la période transitoire évoquée au point 105 du présent arrêt, seuls les ouvriers portuaires repris dans le pool auront la possibilité de conclure des contrats de travail de courte durée, ce qui conduit, en pratique, à une situation où ce pool est constitué d’un nombre restreint d’ouvriers portuaires auquel il doit obligatoirement être fait appel. Or, il a déjà été relevé au point 74 du présent arrêt que la constitution d’un tel contingent constitue une mesure disproportionnée, par rapport à l’objectif consistant à garantir la sécurité dans les zones portuaires, et ne saurait être justifiée au regard de cet objectif.

111    Par ailleurs, même après la fin de la période transitoire, le fait que les ouvriers portuaires non repris dans le pool doivent faire l’objet d’une nouvelle reconnaissance à chaque fois qu’ils concluent un nouveau contrat de travail, quand bien même ils auraient récemment, à l’occasion de la conclusion d’un contrat de travail antérieur de courte durée, déjà fait l’objet d’une reconnaissance, constitue une restriction aux libertés consacrées aux articles 45, 49  et 56 TFUE, laquelle ne saurait être justifiée au regard de l’objectif mentionné au point précédent.

112    En effet, il ne saurait être raisonnablement considéré que de tels ouvriers sont susceptibles d’avoir perdu, peu de temps après leur reconnaissance en tant qu’ouvriers portuaires, les aptitudes et qualités ayant peu avant justifié celle-ci.

113    Au regard de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de répondre à la première question, à la deuxième question, sous d), ainsi qu’aux troisième et quatrième questions dans l’affaire C‑407/19 que les articles 45, 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle :

–        la reconnaissance des ouvriers portuaires échoit à une commission administrative paritairement constituée de membres désignés par les organisations d’employeurs et par les organisations de travailleurs ;

–        cette commission décide également, en fonction du besoin en main-d’œuvre, si les ouvriers reconnus doivent ou non être repris dans un contingent de travailleurs portuaires, étant entendu que, pour les ouvriers portuaires non repris dans ce contingent, la durée de leur reconnaissance est limitée à la durée de leur contrat de travail, de sorte qu’une nouvelle procédure de reconnaissance doit être entamée pour chaque nouveau contrat qu’ils concluent ;

–        aucun délai maximal dans lequel ladite commission doit statuer n’est prévu.

 Sur la deuxième question, sous a) à c)

114    Par sa deuxième question, sous a) à c), la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑407/19 demande, en substance, si les articles 45, 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale aux termes de laquelle, à moins qu’il ne puisse démontrer qu’il satisfait dans un autre État membre à des conditions équivalentes, un travailleur doit, pour être reconnu comme ouvrier portuaire :

–        être déclaré médicalement apte au travail portuaire par un service externe pour la prévention et la protection au travail, auquel est affiliée une organisation à laquelle tous les employeurs actifs dans la zone portuaire concernée doivent obligatoirement s’affilier ;

–        réussir les tests psychotechniques réalisés par l’organe désigné à cet effet par cette organisation d’employeurs ;

–        suivre durant trois semaines des cours préparatoires relatifs à la sécurité au travail et tendant à l’acquisition d’une qualification professionnelle, et

–        réussir l’épreuve finale portant sur cette formation.

115    Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 140 de ses conclusions, les exigences d’aptitude médicale, de réussite d’un test psychologique et de formation professionnelle préalable sont, en principe, autant de conditions propres à assurer la sécurité dans les zones portuaires et proportionnelles par rapport à un tel objectif.

116    En effet, comme l’a fait valoir le gouvernement belge dans ses observations écrites, de telles exigences offrent des garanties raisonnables que le travail portuaire se fera d’une façon qui soit la plus sûre possible, par des ouvriers présentant le discernement suffisant et disposant d’une formation ainsi que d’une motivation adéquates afin de réduire le nombre d’accidents du travail et d’autres risques pour la sécurité publique liés à la manipulation de marchandises.

117    Le fait que l’aptitude médicale des candidats à la reconnaissance en tant qu’ouvriers portuaires soit contrôlée par le service pour la prévention et la protection au travail auquel est affilié l’organisation des employeurs de la zone portuaire concernée et que ce soit cette même organisation qui désigne l’organe chargé d’effectuer les tests psychotechniques que ces candidats doivent réussir pour être reconnus n’est pas, à lui seul, de nature à jeter un doute sur le caractère apte et proportionné desdites exigences.

118    Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 141 de ses conclusions, de tels examens médicaux, tests ou épreuves doivent, pour être jugés nécessaires et proportionnels par rapport à l’objectif poursuivi, être effectués dans des conditions de transparence, d’objectivité et d’impartialité.

119    Il appartient, dès lors, à la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑407/19 de vérifier si le rôle joué par l’organisation d’employeurs et, le cas échéant, par les syndicats des ouvriers portuaires reconnus dans la désignation des organes chargés d’effectuer de tels examens, tests ou épreuves est de nature, dans les circonstances particulières du litige au principal, à remettre en cause le caractère transparent, objectif et impartial de ces examens, tests ou épreuves.

120    Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question, sous a) à c), que les articles 45, 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale aux termes de laquelle, à moins qu’il ne puisse démontrer qu’il satisfait dans un autre État membre à des conditions équivalentes, un travailleur doit, pour être reconnu comme ouvrier portuaire :

–        être déclaré médicalement apte au travail portuaire par un service externe pour la prévention et la protection au travail, auquel est affiliée une organisation à laquelle tous les employeurs actifs dans la zone portuaire concernée doivent obligatoirement s’affilier ;

–        réussir les tests psychotechniques réalisés par l’organe désigné à cet effet par cette organisation d’employeurs ;

–        suivre durant trois semaines des cours préparatoires relatifs à la sécurité au travail et tendant à l’acquisition d’une qualification professionnelle, et

–        réussir l’épreuve finale,

pour autant que la mission confiée à l’organisation d’employeurs et, le cas échéant, aux syndicats des ouvriers portuaires reconnus dans la désignation des organes chargés d’effectuer de tels examens, tests ou épreuves ne soit pas de nature à remettre en cause le caractère transparent, objectif et impartial de ces derniers.

 Sur la cinquième question

121    Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 45, 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle les ouvriers portuaires, reconnus comme tels conformément au régime légal qui leur était applicable avant l’entrée en vigueur de cette réglementation, conservent, en application de cette dernière, la qualité d’ouvriers portuaires reconnus et sont repris dans le contingent d’ouvriers portuaires que prévoit ladite réglementation.

122    Dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du point 62 du présent arrêt, l’objectif d’un régime de reconnaissance des ouvriers portuaires, tel que décrit par la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑407/19, est de garantir la sécurité dans les zones portuaires et de prévenir les accidents du travail, une réglementation nationale en vertu de laquelle les ouvriers portuaires reconnus comme tels sous l’empire d’un régime analogue antérieur conservent leur reconnaissance sous l’empire du nouveau régime n’apparaît pas comme étant impropre à atteindre l’objectif poursuivi ni comme étant disproportionnée à l’égard de cet objectif.

123    En effet, il peut raisonnablement être présumé que des ouvriers portuaires déjà reconnus sous le régime antérieur disposent déjà des aptitudes et des qualités nécessaires pour garantir la sécurité dans les zones portuaires.

124    Il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑407/19 que sa cinquième question est motivée par l’argumentation avancée devant elle par les requérantes au principal dans cette affaire, selon laquelle une mesure telle que celle visée au point 121 du présent arrêt est de nature à priver un employeur de la possibilité de recruter de manière directe, c’est-à-dire en dehors du pool, des ouvriers portuaires déjà reconnus, dans la mesure où ces derniers seraient réticents à quitter ce pool en vue de conclure un tel contrat de travail, dès lors que, ce faisant, ils perdraient leur reconnaissance.

125    Or, une telle argumentation critique non pas le maintien, sous le nouveau régime légal, de la reconnaissance obtenue par un ouvrier portuaire au titre du régime légal antérieur, mais le fait que ce maintien n’est pas acquis si l’ouvrier concerné quitte le pool en vue de conclure un contrat de travail directement avec un employeur.

126    À cet égard, et ainsi qu’il ressort du point 113 du présent arrêt, les articles 45, 49 et 56 TFUE s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle un ouvrier portuaire reconnu mais non repris dans le contingent de travailleurs qu’elle prévoit doit faire l’objet d’une nouvelle procédure de reconnaissance pour chaque nouveau contrat de travail qu’il conclut.

127    Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la cinquième question dans l’affaire C‑407/19 que les articles 45, 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle les ouvriers portuaires, reconnus comme tels conformément au régime légal qui leur était applicable avant l’entrée en vigueur de cette réglementation, conservent, en application de cette dernière, la qualité d’ouvriers portuaires reconnus et sont repris dans le contingent d’ouvriers portuaires que prévoit ladite réglementation.

 Sur la sixième question

128    Par sa sixième question, la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑407/19 demande, en substance, si les articles 45, 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit que le transfert d’un ouvrier portuaire dans le contingent de travailleurs d’une zone portuaire autre que celle dans laquelle il a obtenu sa reconnaissance est soumis à des conditions et des modalités fixées par une CCT.

129    Il importe de relever d’emblée que le fait que de telles conditions et modalités sont fixées par une CCT n’a pas pour effet de les soustraire au champ d’application desdits articles (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union, C‑438/05, EU:C:2007:772, points 33 et 34).

130    À cet égard, il y a lieu de relever qu’une réglementation nationale qui soumet à des conditions, que celles-ci soient fixées par la loi ou par une CCT, la possibilité pour un ouvrier portuaire reconnu de travailler dans une zone portuaire différente de celle dans laquelle il a obtenu sa reconnaissance constitue une restriction tant à la libre circulation des travailleurs qu’à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.

131    En effet, une telle réglementation restreint tant la liberté d’un ouvrier portuaire d’exercer des emplois dans plusieurs zones portuaires différentes que la possibilité, pour une entreprise qui s’établit dans une zone portuaire déterminée ou qui souhaite y fournir des services, d’avoir recours aux services d’un ouvrier portuaire de son choix, qui a obtenu sa reconnaissance dans une zone portuaire différente.

132    Toutefois, le gouvernement belge a fait valoir, dans ses observations écrites, que, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de l’arrêté royal de 2004, la reconnaissance d’un ouvrier portuaire est valable dans chaque zone portuaire, sauf lorsque celui-ci fait partie du pool d’une zone portuaire déterminée. Dans ce dernier cas, le passage d’une zone portuaire à une autre dépendra de la question de savoir s’il existe un besoin en main-d’œuvre et si la réserve de recrutement est ouverte. Cette disposition exclurait donc uniquement la possibilité qu’un ouvrier portuaire faisant partie du pool soit simultanément actif en dehors de ce dernier, que ce soit dans la même zone portuaire ou dans une autre. La possibilité de travailler dans une autre zone portuaire resterait néanmoins ouverte à tout travailleur portuaire reconnu ne faisant pas partie du pool.

133    À cet égard, il convient, d’une part, de préciser qu’une telle réglementation est susceptible de constituer une restriction aux libertés garanties par les articles 45, 49 et 56 TFUE quand bien même elle ne concernerait qu’un nombre limité de travailleurs.

134    D’autre part, à la lumière des indications figurant au point 132 du présent arrêt, il y a lieu de relever que, dans la mesure où un pool d’ouvriers portuaires, au sens de la réglementation nationale en cause au principal, vise à subvenir de manière ponctuelle aux besoins en main-d’œuvre spécialisée dans chaque zone portuaire de l’État membre concerné, le fait que le transfert d’un ouvrier portuaire entre les pools de deux zones différentes est, dans ces conditions, subordonné à des conditions et des modalités destinées à assurer que chaque pool dispose d’une main-d’œuvre en nombre suffisant, est susceptible de se justifier au regard de l’objectif légitime d’assurer la sécurité dans chaque zone portuaire. En effet, une mesure prévoyant de telles conditions pourrait, notamment, permettre d’assurer qu’il existe en permanence un nombre minimum de travailleurs qualifiés capables de garantir le fonctionnement du port en toute sécurité. Il revient néanmoins à la juridiction de renvoi de vérifier si une telle mesure est nécessaire et proportionnée par rapport à cet objectif.

135    Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de répondre à la sixième question dans l’affaire C‑407/19 que les articles 45, 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit que le transfert d’un ouvrier portuaire dans le contingent de travailleurs d’une zone portuaire autre que celle dans laquelle il a obtenu sa reconnaissance est soumis à des conditions et des modalités fixées par une CCT, pour autant que ces dernières s’avèrent nécessaires et proportionnées au regard de l’objectif d’assurer la sécurité dans chaque zone portuaire, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 Sur la septième question

136    Par sa septième question, la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑407/19 demande, en substance, si les articles 45, 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit que les travailleurs logistiques doivent disposer d’un « certificat de sécurité », émis sur présentation de leur carte d’identité et de leur contrat de travail et dont les modalités d’émission ainsi que la procédure à suivre pour son obtention sont fixées par une CCT.

137    Par cette question, la juridiction de renvoi cherche à déterminer la conformité, aux articles 45, 49 et 56 TFUE, d’une réglementation nationale qui se borne à prévoir que le « certificat de sécurité » dont les travailleurs logistiques occupés dans une zone portuaire doivent être détenteurs leur est délivré sur présentation de leur carte d’identité et de leur contrat de travail, les autres modalités d’émission de ce certificat ainsi que la procédure à suivre en vue de l’obtention de ce document devant être fixées par une CCT.

138    Il convient de relever, à cet égard, que, ainsi qu’il ressort du point 129 du présent arrêt, si les articles 45, 49 et 56 TFUE ne s’opposent pas, en principe, à ce que les conditions de travail dans un État membre soient fixées par des CCT, il n’en demeure pas moins que des conditions ainsi fixées ne sont pas soustraites au champ d’application de ces articles.

139    Or, l’appréciation du caractère proportionné et nécessaire des restrictions aux libertés consacrées auxdits articles, qui résultent de l’exigence selon laquelle tout travailleur logistique actif dans une zone portuaire doit disposer d’un « certificat de sécurité », doit nécessairement prendre en considération les modalités concrètes de délivrance de ce certificat, ainsi que la procédure à suivre à cette fin, fixées par une CCT.

140    Dans le cadre de cette appréciation, il y a lieu de vérifier que les conditions de délivrance d’un tel certificat portent exclusivement sur la question de savoir si le travailleur logistique concerné présente les qualités et aptitudes nécessaires pour garantir la sécurité dans les zones portuaires et que la procédure prévue pour l’obtention de ce certificat n’impose pas de charges administratives déraisonnables et disproportionnées.

141    En particulier, l’exigence selon laquelle l’émission du « certificat de sécurité » nécessite la présentation du contrat de travail de l’intéressé pourrait avoir comme conséquence d’obliger l’employeur ou le travailleur concerné à demander l’émission d’un nouveau certificat à chaque fois qu’un nouveau contrat de travail est conclu. Dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du point 109 du présent arrêt, les missions de courte durée sont prédominantes dans le domaine du travail portuaire, une telle exigence pourrait s’avérer excessive et disproportionnée. Comme l’a fait valoir la Commission dans ses observations écrites, il serait suffisant de prévoir le renouvellement périodique d’un tel certificat, tout en prévoyant que celui-ci reste valide après la résiliation d’un contrat de travail de courte durée.

142    Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la septième question dans l’affaire C‑407/19 que les articles 45, 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit que les travailleurs logistiques doivent disposer d’un « certificat de sécurité », émis sur présentation de leur carte d’identité et de leur contrat de travail et dont les modalités d’émission ainsi que la procédure à suivre pour son obtention sont fixées par une CCT, pour autant que les conditions de délivrance d’un tel certificat soient nécessaires et proportionnées par rapport à l’objectif de garantir la sécurité dans les zones portuaires et que la procédure prévue pour son obtention n’impose pas de charges administratives déraisonnables et disproportionnées.

 Sur les dépens

143    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1)      Les articles 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui oblige des personnes ou entreprises souhaitant exercer des activités portuaires dans une zone portuaire, y compris des activités étrangères au chargement et au déchargement de navires au sens strict, à ne recourir qu’à des ouvriers portuaires reconnus comme tels conformément aux conditions et modalités fixées en application de cette réglementation, pour autant que lesdites conditions et modalités, d’une part, soient fondées sur des critères objectifs, non discriminatoires, connus à l’avance et permettant aux ouvriers portuaires d’autres États membres de démontrer qu’ils répondent, dans leur État d’origine, à des exigences équivalentes à celles appliquées aux ouvriers portuaires nationaux et, d’autre part, n’établissent pas un contingent limité d’ouvriers pouvant faire l’objet d’une telle reconnaissance.

2)      Les articles 45, 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle :

–        la reconnaissance des ouvriers portuaires échoit à une commission administrative paritairement constituée de membres désignés par les organisations d’employeurs et par les organisations de travailleurs ;

–        cette commission décide également, en fonction du besoin en main-d’œuvre, si les ouvriers reconnus doivent ou non être repris dans un contingent de travailleurs portuaires, étant entendu que, pour les ouvriers portuaires non repris dans ce contingent, la durée de leur reconnaissance est limitée à la durée de leur contrat de travail, de sorte qu’une nouvelle procédure de reconnaissance doit être entamée pour chaque nouveau contrat qu’ils concluent, et

–        aucun délai maximal dans lequel ladite commission doit statuer n’est prévu.

3)      Les articles 45, 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale aux termes de laquelle, à moins qu’il ne puisse démontrer qu’il satisfait dans un autre État membre à des conditions équivalentes, un travailleur doit, pour être reconnu comme ouvrier portuaire :

–        être déclaré médicalement apte au travail portuaire par un service externe pour la prévention et la protection au travail, auquel est affiliée une organisation à laquelle tous les employeurs actifs dans la zone portuaire concernée doivent obligatoirement s’affilier ;

–        réussir les tests psychotechniques réalisés par l’organe désigné à cet effet par cette organisation d’employeurs ;

–        suivre durant trois semaines des cours préparatoires relatifs à la sécurité au travail et tendant à l’acquisition d’une qualification professionnelle, et

–        réussir l’épreuve finale,

pour autant que la mission confiée à l’organisation d’employeurs et, le cas échéant, aux syndicats des ouvriers portuaires reconnus dans la désignation des organes chargés d’effectuer de tels examens, tests ou épreuves ne soit pas de nature à remettre en cause le caractère transparent, objectif et impartial de ces derniers.

4)      Les articles 45, 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle les ouvriers portuaires, reconnus comme tels conformément au régime légal qui leur était applicable avant l’entrée en vigueur de cette réglementation, conservent, en application de cette dernière, la qualité d’ouvriers portuaires reconnus et sont repris dans le contingent d’ouvriers portuaires que prévoit ladite réglementation.

5)      Les articles 45, 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit que le transfert d’un ouvrier portuaire dans le contingent de travailleurs d’une zone portuaire autre que celle dans laquelle il a obtenu sa reconnaissance est soumis à des conditions et des modalités fixées par une convention collective de travail, pour autant que ces dernières s’avèrent nécessaires et proportionnées au regard de l’objectif d’assurer la sécurité dans chaque zone portuaire, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

6)      Les articles 45, 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit que les travailleurs logistiques doivent disposer d’un « certificat de sécurité », émis sur présentation de leur carte d’identité et de leur contrat de travail et dont les modalités d’émission ainsi que la procédure à suivre pour son obtention sont fixées par une convention collective de travail, pour autant que les conditions de délivrance d’un tel certificat soient nécessaires et proportionnées par rapport à l’objectif de garantir la sécurité dans les zones portuaires et que la procédure prévue pour son obtention n’impose pas de charges administratives déraisonnables et disproportionnées.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.