Language of document : ECLI:EU:C:2021:175

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 4 mars 2021(1)

Affaires jointes C811/19 et C840/19

Ministerul Public – Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Direcţia Naţională Anticorupţie

contre

FQ,

GP,

HO,

IN,

autre partie à la procédure :

JM

et

Ministerul Public – Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casație și Justiție – Direcția Națională Anticorupție

contre

NC

[demandes de décision préjudicielle formées par l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie)]

« Renvoi préjudiciel – Protection des intérêts financiers de l’Union – Article 325, paragraphe 1, TFUE – Procédure pénale en matière de corruption – Projets partiellement financés par des fonds européens – Réglementation nationale instaurant une obligation de spécialisation des formations de jugement dans les affaires de corruption – Décision d’une cour constitutionnelle ordonnant le réexamen en première instance de décisions judiciaires prononcées par des chambres non spécialisées – Droit à un tribunal établi préalablement par la loi – Article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Indépendance des juges – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Primauté du droit de l’Union – Procédure disciplinaire à l’encontre des juges »






I.      Introduction

1.        Un arrêt d’une juridiction constitutionnelle nationale, qui constate le manquement de la juridiction suprême nationale à son obligation légale d’instaurer des formations spécialisées pour examiner en première instance des infractions de corruption, entraînant le réexamen d’affaires en matière de corruption liée à la gestion de fonds de l’Union qui ont déjà fait l’objet d’un jugement, est-il compatible avec le droit de l’Union ?

2.        Telle est, en substance, la problématique soulevée devant la Cour par les présentes affaires. Au regard de ces éléments factuels, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 325, paragraphe 1, TFUE, ainsi que le principe d’indépendance des juges consacré à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, et à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »), s’opposent à l’adoption d’une telle décision constitutionnelle. Ces affaires soulèvent également la question de savoir si l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte inclut une obligation quant à la spécialisation des juges.

3.        Parmi les questions soulevées dans les présentes affaires, plusieurs d’entre elles se recoupent avec celles déjà examinées dans les affaires jointes parallèles C‑357/19 et C‑547/19, Euro Box Promotion e.a., dans lesquelles je présente des conclusions distinctes aujourd’hui (2). Les présentes affaires ont également plusieurs caractéristiques en commun avec d’autres demandes de décision préjudicielle (multiples) adressées à la Cour par plusieurs juridictions roumaines au cours de l’année 2019, dans le cadre desquelles j’ai précédemment rendu les conclusions (principales) dans l’affaire Asociaţia « Forumul Judecătorilor Din România » e.a. (3). Dans la mesure où les questions soulevées dans la présente affaire ont déjà été traitées dans ces conclusions, je m’appuierai sur l’analyse que j’ai déjà effectuée.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      La convention PIF

4.        Les dispositions pertinentes de la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (ci‑après la « convention PIF ») (4), sont reproduites aux points 4 et 5 des conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion.

B.      Le droit roumain

1.      Le code de procédure pénale

5.        L’article 281 de la Legea nr. 135/2010 privind Codul de procedură penală (loi no 135/2010 portant code de procédure pénale, ci‑après le « code de procédure pénale »), intitulé « Nullités absolues », établit en son paragraphe 1, sous a), parmi les motifs « entraînant toujours la nullité » la violation des dispositions relatives à la composition des formations de jugement.

6.        L’article 421 du code de procédure pénal, intitulé « Solutions pouvant être prononcées lors du jugement en appel », dispose en son paragraphe 2), sous b) : « La juridiction, statuant sur l’appel, prononce l’une des solutions suivantes :

[...]

annule la décision rendue par la juridiction de première instance et renvoie l’affaire pour réexamen devant la juridiction dont la décision a été annulée au motif, invoqué par l’une des parties, que cette juridiction s’était prononcée sur l’affaire en question en l’absence d’une partie non légalement convoquée ou qui, légalement convoquée, était dans l’impossibilité de comparaître et d’informer la juridiction de cette impossibilité, invoquée par la partie concernée. Le renvoi devant la juridiction dont la décision a été annulée est également décidé en présence de l’un des cas de nullité absolue, à l’exception du cas de l’incompétence, dans lequel l’affaire est renvoyée devant la juridiction compétente. »

7.        L’article 426, paragraphe 1, l’article 428, paragraphe 1, et l’article 432, paragraphe 1, du code de procédure pénale sont reproduits aux points 12 à 14 des conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion.

2.      Le code pénal

8.        Les articles 154 et 155 de la Legea nr. 286/2009 privind Codul Criminal (loi no 286/2009 sur le code pénal), du 17 juillet 2009, tels que modifiés et complétés ultérieurement, qui sont les dispositions pertinentes en matière de régime des délais, sont reproduits aux points 15 et 16 des conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion.

3.      La loi no 78/2000

9.        Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de la Legea nr. 78/2000 pentru prevenirea, descoperirea și sancționarea faptelor de corupție (loi no 78/2000 sur la prévention, la détection et la répression des actes de corruption, ci‑après la « loi no 78/2000 »), « [a]u sens de la présente loi, sont des infractions de corruption les infractions prévues aux articles 289 à 292 du code pénal, y compris lorsqu’elles sont commises par les personnes prévues à l’article 308 du code pénal ».

10.      L’article 29 de la loi no 78/2000, tel que modifié par la loi no 161/2003, dispose que « [d]es formations de jugement spécialisées sont constituées pour statuer en première instance sur les infractions prévues par la présente loi ».

 4.      La loi no 304/2004

11.      L’article 19, paragraphe 3, de la Legea nr. 304/2004 privind organizarea judiciară (loi no 304/2004 relative à l’organisation judiciaire, ci‑après la « loi no 304/2004 ») (5) dispose que, « [a]u début de chaque année, le collège de la Înalta Curte de Casație și Justiție [Haute Cour de cassation et de justice, ci‑après la « HCCJ »] [...] peut approuver la constitution de formations de jugement spécialisées au sein des chambres de la [HCCJ] ».

 5.      La loi no 303/2004

12.      Selon l’article 99, sous ș), de la Legea nr. 303/2004 privind statutul judecătorilor şi procurorilor (loi no 303/2004 sur le statut des juges et procureurs, ci‑après la « loi no 303/2004 ») (6), « [constitue une faute disciplinaire] [...] le non‑respect des décisions de la Curtea Constituțională [Cour constitutionnelle, Roumanie] ».

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure nationale et les questions préjudicielles

A.      Affaire C811/19

13.      Par arrêt du 8 février 2018, prononcé par une formation de trois juges de la chambre pénale de la HCCJ, les accusés ont été condamnés en première instance à des peines d’emprisonnement de deux à huit ans pour des infractions, dont des actes de corruption (trafic d’influence), de blanchiment d’argent, de falsification de documents et des infractions apparentées à de la corruption.

14.      Les charges retenues à l’encontre des accusés étaient liées à une procédure de passation de trois marchés publics engagée en 2009 par SC Compania de Apă Olt SA en vue de la réalisation de travaux de réhabilitation et d’extension des réseaux de distribution d’eau et d’assainissement dans différents emplacements. Les marchés publics faisaient partie d’un projet qui était financé principalement (à 82 %) par des fonds européens au titre du programme opérationnel sectoriel « Environnement ». Il a été jugé notamment, s’agissant de l’infraction de corruption, que le premier accusé, qui avait précédemment occupé les fonctions de maire, de sénateur et de ministre, avait accepté la promesse de paiement par le directeur d’une société d’une somme égale à 20 % de la valeur totale des trois marchés publics en cause. Il a ainsi effectivement perçu un montant total de 6 200 000 lei roumains (RON) (1 500 000 EUR) en échange de l’exercice d’une influence auprès des membres des commissions d’appel d’offres au sein de SC Compania de Apă Olt SA, auprès des fonctionnaires du Consiliul Național pentru Soluționarea Contestațiilor (conseil roumain pour le traitement des réclamations, Roumanie), ainsi qu’auprès des juges d’une cour d’appel.

15.      Quatre des cinq accusés (ci‑après les « appelants » dans la procédure au principal), ainsi que le Ministerul Public – Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Direcţia Naţională Anticorupţie (Ministère public – Parquet auprès de la Haute Cour de cassation et de justice – Direction nationale anticorruption, Roumanie, ci‑après le « parquet ») ont interjeté appel contre l’arrêt du 8 février 2018 devant une formation de cinq juges de la chambre pénale de la HCCJ.

16.      Au cours de la procédure d’appel, la Curtea Constituțională a României (Cour constitutionnelle) a rendu l’arrêt no 417, du 3 juillet 2019 (ci‑après l’« arrêt no 417/2019 ») (7). Dans cet arrêt, prononcé dans le cadre d’un recours introduit par requête par le président de la chambre des députés, la Cour constitutionnelle a constaté l’existence d’un conflit juridique de nature constitutionnelle entre le Parlement, d’une part, et la HCCJ, d’autre part, généré par le fait que cette dernière n’avait pas constitué les formations de jugement spécialisées pour l’examen, en première instance, des infractions de corruption, en violation de l’article 29, paragraphe 1, de la loi no 78/2000.

17.      La Cour constitutionnelle a retenu que la décision prononcée dans une affaire par une formation non spécialisée entraîne sa nullité au titre de l’article 281, paragraphe 1, sous a), du code de procédure pénale. Cette disposition prévoit expressément que la violation des dispositions relatives à la composition de la formation de jugement est sanctionnée par la nullité de la décision. En tant que telles, les affaires pendantes devant la HCCJ, qui avaient été tranchées en première instance par des formations de trois juges de cette juridiction avant le 23 janvier 2019 (date à laquelle les formations spécialisées ont été constituées), dans la mesure où elles n’ont pas acquis la force de chose jugée, devraient être réexaminées en première instance par des formations spécialisées, conformément à l’article 421, paragraphe 2, sous b), du code de procédure pénale.

18.      À la suite de la publication de l’arrêt no 417/2019, les appelants ont demandé qu’il soit constaté que cet arrêt était obligatoire et qu’il produisait des effets à l’égard de l’arrêt attaqué au principal. Ils font valoir que, selon l’arrêt no 417/2019, l’arrêt attaqué est nul et sans effet. La formation de trois juges qui avait rendu l’arrêt en première instance dans l’affaire au principal n’était pas spécialisée dans les infractions de corruption.

19.      La juridiction de renvoi considère que l’arrêt no 417/2019 de la Cour constitutionnelle, qui a pour effet d’annuler les arrêts rendus en première instance au cours d’une période déterminée par des formations de trois juges de la chambre pénale de la HCCJ, viole le principe d’effectivité des sanctions pénales en cas d’activités illégales graves portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. La raison en est que, d’une part, une apparence d’impunité est créée et que, d’autre part, la survenance de la prescription des poursuites fait naître un risque systémique d’impunité, en raison de la complexité et de la durée de la procédure qui précède le prononcé d’un jugement définitif à la suite du réexamen.

20.      En outre, la juridiction de renvoi considère que le principe d’indépendance des juges propre à l’Union s’oppose à l’institution, par décision d’un organe juridictionnel extérieur au pouvoir judiciaire, de mesures procédurales imposant le réexamen en première instance de certaines affaires, qui remettent en cause les charges pénales, en l’absence de motifs sérieux. La composition des formations de la chambre pénale de la HCCJ par des juges spécialisés dans les affaires pénales ne saurait être considérée comme portant atteinte au droit à un procès équitable et au droit d’accès à la justice. La juridiction de renvoi considère ainsi que le droit de l’Union s’oppose à ce que des effets juridiques contraignants soient attribués à une décision d’un organe juridictionnel, tel que la Cour constitutionnelle, qui écarte la compétence d’une juridiction nationale pour apprécier l’applicabilité du principe de primauté.

21.      C’est dans ces conditions que l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 19, paragraphe 1, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE, l’article 58 de la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) no 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission [(JO 2015, L 141, p. 73)], [ainsi que] l’article 4 de la directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2017, relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal [(JO 2017, L 198, p. 29)] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une décision rendue par un organe extérieur au pouvoir judiciaire, la [Cour constitutionnelle], se prononçant sur une exception tirée d’une éventuelle composition illégale des formations de jugement, au regard du principe de spécialisation des juges de [la HCCJ] (non prévu dans la Constitution roumaine) et obligeant une juridiction à renvoyer des affaires se trouvant au stade de l’appel (voie de recours à effet dévolutif), en vue d’un nouveau jugement dans le cadre de la première phase de la procédure devant la même juridiction ?

2)      L’article 2 TUE et l’article 47, deuxième alinéa, de la [Charte] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la constatation par un organe extérieur au pouvoir judiciaire de la composition illégale des formations de jugement d’une chambre de la juridiction suprême (formations composées de juges en exercice, qui, au moment de leur promotion, remplissaient notamment la condition de la spécialisation requise pour être promus à la chambre pénale de la juridiction suprême) ?

3)      La primauté du droit de l’Union doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle permet à une juridiction nationale de laisser inappliquée une décision de la juridiction constitutionnelle, qui interprète une règle juridique de rang inférieur à la Constitution, relative à l’organisation de [la HCCJ], figurant dans la loi nationale sur la prévention, la détection et la répression des actes de corruption, règle qui a constamment été interprétée dans le même sens par une juridiction pendant seize ans ?

4)      Conformément à l’article 47 de la [Charte,] le principe de libre accès à la justice inclut-il la spécialisation des juges et la constitution de formations de jugement spécialisées au sein d’une juridiction suprême ? »

B.      Affaire C840/19

22.      Par arrêt du 26 mai 2017, un ancien ministre et membre du Parlement roumain a été condamné à une peine d’emprisonnement de quatre ans pour corruption impliquant des fonds de l’Union. Cet arrêt a été rendu par une formation composée de trois juges de la HCCJ.

23.      L’accusé avait promis d’intervenir auprès du maire de la ville d’Iași (Roumanie) pour le compte d’un tiers, qui est désormais témoin à charge dans l’affaire au principal. L’accusé devait convaincre le maire de consentir à la signature d’un contrat lié à un projet de gestion du trafic routier avec la société du tiers et assurer le bon déroulement du contrat moyennant une commission de 5 % de la valeur de ce contrat. Le contrat en cause avait une valeur estimée de 69 614 309 RON (hors taxe sur la valeur ajoutée). Il était financé par des fonds européens dans le cadre d’un programme de développement opérationnel régional. Une somme d’un montant d’environ 3 400 000 RON avait effectivement été versée à l’accusé. Cet arrêt a également ordonné la confiscation de la somme de 303 118 RON (environ 68 000 EUR) et de 30 000 EUR auprès de l’accusé.

24.      En première instance, l’accusé (l’« appelant » au principal) et le parquet ont interjeté appel contre ce jugement devant la formation de cinq juges de la chambre pénale de la HCCJ. Par arrêt du 28 juin 2018, cette formation a partiellement fait droit à l’appel interjeté par l’appelant et a annulé la mesure concernant la confiscation de la somme de 30 000 EUR, tout en confirmant la condamnation à une peine d’emprisonnement de quatre ans prononcée contre l’appelant.

25.      Après que cet arrêt est devenu définitif, l’arrêt no 685/2018 de la Cour constitutionnelle a été publié (8). Par cet arrêt, la Cour constitutionnelle a constaté l’existence d’un conflit de nature constitutionnelle entre le Parlement, d’une part, et la HCCJ, d’autre part, en raison du fait que seuls quatre membres de la formation de cinq juges avaient été désignés par tirage au sort. En ce qui concerne les effets de cette constatation, la Cour constitutionnelle a précisé que l’arrêt no 685/2018 s’applique également aux arrêts devenus définitifs, dans la mesure où les délais impartis aux parties pour former un recours extraordinaire n’ont pas encore expiré.

26.      À la suite de la publication de l’arrêt no 685/2018 de la Cour constitutionnelle, l’appelant et le parquet ont tous deux introduit un recours extraordinaire tendant à l’annulation de l’arrêt du 28 juin 2018.

27.      Par arrêts du 25 février 2019 et du 20 mai 2019, respectivement, la formation de cinq juges de la HCCJ a fait droit, à la suite de l’arrêt no 685/2018 de la Cour constitutionnelle, au recours en annulation. Elle a infirmé l’arrêt du 28 juin 2018 dans son intégralité et a ordonné le réexamen des appels interjetés par l’appelant et le parquet contre l’arrêt du 26 mai 2017.

28.      Alors que le réexamen de ces recours était pendant, la Cour constitutionnelle a rendu l’arrêt no 417/2019. À la suite de la publication de cet arrêt, l’appelant a demandé qu’il soit constaté que cet arrêt a force obligatoire et produit des effets à l’égard de l’arrêt du 26 mai 2017, la formation de trois juges l’ayant rendu n’étant pas spécialisée en matière d’infractions de corruption.

29.      C’est dans ces conditions que l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 19, paragraphe 1, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE et l’article 4 de la [directive 2017/1371], adoptée sur le fondement de l’article 83, paragraphe 2, TFUE, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une décision rendue par un organe extérieur au pouvoir judiciaire, la [Cour constitutionnelle], qui impose le renvoi pour réexamen des affaires de corruption sur lesquelles il a été statué au cours d’une période donnée et qui se trouvent au stade de l’appel, au motif que des formations de jugement spécialisées dans cette matière n’étaient pas constituées au niveau de la juridiction suprême, même si la spécialisation des juges ayant fait partie [des formations de jugement] est reconnue [par cette décision] ?

2)      L’article 2 TUE et l’article 47, [deuxième alinéa], de la [Charte] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la constatation par un organe extérieur au pouvoir judiciaire de l’illégalité de la composition des formations de jugement d’une chambre de la juridiction suprême (formations composées de juges en exercice, qui, au moment de leur promotion, remplissaient notamment la condition de la spécialisation requise pour être promus à la juridiction suprême) ?

3)      La primauté du droit de l’Union doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle permet à une juridiction nationale de laisser inappliquée une décision de la juridiction constitutionnelle, prononcée à la suite d’une saisine relative à un conflit constitutionnel, ayant force obligatoire en droit national ? »

C.      La procédure devant la Cour

30.      La juridiction de renvoi a demandé l’application de la procédure accélérée, au titre de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, tant dans l’affaire C‑811/19 que dans l’affaire C‑840/19. Par décisions du 28 novembre 2019 et du 16 décembre 2019, le président de la Cour a fait droit à la demande de procédure accélérée en ce qui concerne l’affaire C‑811/19 et l’affaire C‑840/19, respectivement. Par décision du président de la Cour du 26 février 2020, ces affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et du jugement.

31.      Dans l’affaire C‑811/19, les parties suivantes ont déposé des observations écrites : le premier appelant, le parquet, les gouvernements roumain et polonais, ainsi que la Commission européenne.

32.      Dans l’affaire C‑840/19, les parties suivantes ont déposé des observations écrites : l’appelant, le parquet, les gouvernements roumain et polonais, ainsi que la Commission.

33.      Le premier appelant dans l’affaire C‑811/19, l’appelant dans l’affaire C‑840/19, le parquet, le gouvernement roumain et la Commission ont répondu aux questions pour réponse écrite qui leur avaient été posées par la Cour.

IV.    Analyse

34.      Les présentes conclusions sont structurées de la manière suivante. En premier lieu, j’aborderai les exceptions soulevées par les parties intéressées à l’encontre de la recevabilité des questions préjudicielles (A). Deuxièmement, j’exposerai brièvement le cadre juridique de l’Union, en identifiant les dispositions pertinentes du droit de l’Union applicables aux présentes affaires (B). En troisième lieu, je procéderai à l’examen au fond des questions soumises à la Cour (C).

A.      Sur la recevabilité des questions préjudicielles

1.      Affaire C811/19

35.      Le gouvernement polonais fait valoir que les questions posées dans l’affaire C‑811/19 sont irrecevables. Selon lui, la juridiction de renvoi ne demande pas une interprétation du droit de l’Union, mais demande en réalité un examen au fond d’un arrêt d’une juridiction nationale. Dans le cadre de la procédure de demande préjudicielle, il n’appartient pas à la Cour de procéder à un examen au fond des décisions des juridictions nationales, statuant sur la question de savoir si celles‑ci sont tenues de suivre les décisions d’autres juridictions nationales. En outre, le gouvernement polonais soutient que la réponse de la Cour aux questions posées à titre préjudiciel n’est pas nécessaire à la solution du litige au principal. En effet, l’affaire au principal concerne une situation purement interne qui n’a aucune incidence sur un domaine relevant d’une compétence de l’Union. De plus, la Charte ne s’applique que lorsque les États membres mettent en œuvre le droit de l’Union, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

36.      À mon avis, les objections du gouvernement polonais ne sauraient être retenues.

37.      Premièrement, les arguments relatifs à l’absence de compétence de l’Union dans le domaine de l’organisation judiciaire concernent la compétence de la Cour et non pas la recevabilité d’une demande de décision préjudicielle. En tout état de cause, il est vrai que l’Union ne dispose d’aucune compétence législative directe dans le domaine de l’organisation judiciaire générale. Il est néanmoins également clair que les États membres sont tenus de se conformer, entre autres, aux exigences de l’article 2 et de l’article 19, paragraphe 1, TUE, de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, ainsi que de l’article 47 de la Charte, lorsqu’ils élaborent leurs règles et adoptent des pratiques qui ont une incidence sur l’application et la mise en œuvre nationales du droit de l’Union. Cette logique ne dépend pas du domaine concerné. Elle est, et elle a toujours été en ce qui concerne les limites de l’Union par rapport à l’autonomie procédurale nationale par défaut, dépendante des effets. Elle peut se rapporter à tout élément des structures ou des procédures nationales utilisées pour l’application du droit de l’Union.

38.      Il suffit donc de constater que la demande de décision préjudicielle porte spécifiquement sur l’interprétation de la portée du droit de l’Union, notamment de l’article 2 et de l’article 19, paragraphe 1, TUE, de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, des directives 2015/849 et 2017/1371 ainsi que de l’article 47 de la Charte, de sorte que la Cour est compétente pour statuer sur cette demande dans son intégralité (9).

39.      Deuxièmement, s’agissant de la question de savoir si la réponse de la Cour est nécessaire pour permettre à la juridiction de renvoi de statuer dans l’affaire au principal aux fins de l’article 267 TFUE (10), il convient de relever que l’ensemble des questions posées dans l’affaire C‑811/19 ont été soulevées dans le cadre de l’analyse des recours pendants devant la juridiction de renvoi. Il découle des explications fournies par cette juridiction que sa décision sur la question de savoir s’il convient d’annuler l’arrêt rendu en première instance et de renvoyer les affaires en vue d’un réexamen devant une formation (en première instance) de trois juges dépend des réponses apportées par la Cour aux questions posées. Ces questions ont précisément pour objet de déterminer si la décision de la Cour constitutionnelle qui impose le réexamen des affaires est conforme à d’autres dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est demandée (première, deuxième et troisième questions) et si une telle décision peut être laissée inappliquée en vertu du principe de primauté du droit de l’Union (quatrième question).

40.      Eu égard aux considérations qui précèdent, il apparaît que les questions préjudicielles satisfont à l’exigence de « nécessité » au sens de l’article 267 TFUE. Elles sont donc recevables.

2.      Affaire C840/19

41.      S’agissant de la recevabilité des questions préjudicielles posées dans l’affaire C‑840/19, le gouvernement polonais présente des observations qui sont, en substance, identiques à celles dans l’affaire C‑811/19.

42.      L’appelant soutient qu’il n’y a pas de « nécessité » de statuer sur le fondement de l’article 267 TFUE. La HCCJ est seulement amenée à trancher une question de procédure visant à constater la nullité absolue de l’arrêt attaqué. Cette question n’exige pas une décision préjudicielle de la Cour. En outre, l’appelant fait valoir, s’agissant de la deuxième question, qu’elle ne pose pas de problème lié à l’interprétation du droit de l’Union applicable au litige au principal. Des arguments similaires sont avancés en ce qui concerne la troisième question.

43.      Par ailleurs, l’appelant fait également valoir que les faits mentionnés dans l’ordonnance de renvoi ont été dénaturés en raison de l’ajout d’éléments extérieurs au dossier de l’affaire au principal afin qu’un lien de rattachement avec les intérêts financiers de l’Union puisse être créé aux fins d’assurer la recevabilité de la demande de décision préjudicielle. En effet, ni les accusations portées contre lui ni sa condamnation en première instance ne portent spécifiquement sur un délit de corruption dans le cadre de marchés publics financés par des fonds de l’Union. Les informations utilisées par la juridiction de renvoi proviennent d’une autre affaire pénale, à laquelle il n’est pas partie. Dans le même ordre d’idées, l’appelant soutient, s’agissant de la première question, que la juridiction de renvoi a fourni des informations incomplètes concernant le cadre juridique national. De même, les informations relatives à la Cour constitutionnelle et à son arrêt no 417/2019 sont incomplètes et partiellement erronées.

44.      À mon avis, aucun des arguments avancés pour contester la recevabilité ne saurait prospérer.

45.      Premièrement, les considérations exposées aux points 37 à 40 des présentes conclusions, qui portent tant sur la compétence de la Cour que sur la « nécessité » des réponses données par la Cour au sens de l’article 267 TFUE dans l’affaire C‑811/19, sont également applicables en ce qui concerne les arguments quasiment identiques présentés dans l’affaire C‑840/19.

46.      Deuxièmement, les arguments supplémentaires avancés par l’appelant quant à la recevabilité des questions ne sauraient non plus être accueillis.

47.      S’agissant du premier groupe d’arguments, il convient de rappeler que la procédure visée à l’article 267 TFUE est fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour. La juridiction de renvoi est seule compétente pour constater et apprécier les faits du litige dont elle est saisie ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude du cadre réglementaire et factuel que le juge de renvoi établit sous sa propre responsabilité (11). En outre, en ce qui concerne les arguments relatifs à l’absence d’un lien de rattachement dans la présente affaire avec les intérêts financiers de l’Union, il convient de relever que l’objet de la première question est précisément de savoir si l’article 325, paragraphe 1, TFUE, est applicable dans une situation telle que celle en cause dans l’affaire au principal.

48.      Par conséquent, les questions posées à titre préjudiciel dans l’affaire C‑840/19 sont recevables.

B.      Le droit de l’Union applicable

49.      Par les diverses questions préjudicielles posées dans les affaires jointes devant la Cour, la HCCJ s’interroge, en substance, sur l’interprétation de l’article 2 et de l’article 19, paragraphe 1, TUE, de l’article 47 de la Charte, de l’article 325, paragraphe 1, TFUE ainsi que des directives 2015/849 et 2017/1371. Je commencerai par analyser lesquelles de ces dispositions du droit de l’Union sont pertinentes aux fins de la présente procédure.

1.      L’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, TUE

50.      Comme exposé dans les conclusions dans l’affaire AFJR (12), ainsi que dans les conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion (13), en l’état actuel de la jurisprudence de la Cour, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE s’applique lorsqu’un organisme national est susceptible de se prononcer, en tant que juridiction, sur des questions concernant l’application ou l’interprétation du droit de l’Union (14). Il ne fait guère de doute que la HCCJ, qui est la juridiction dont l’indépendance est susceptible d’être affectée par la décision de la Cour constitutionnelle en cause en l’espèce, est un organisme judiciaire national appelé à statuer, en tant que juridiction, sur des questions concernant l’application ou l’interprétation du droit de l’Union.

51.      Par ailleurs, s’agissant de l’article 2 TUE, visé dans la deuxième question tant dans l’affaire C‑811/19 que dans l’affaire C‑840/19, il n’apparaît pas nécessaire de procéder à une analyse distincte de cette disposition aux fins des présentes affaires. L’État de droit, en tant que valeur parmi d’autres sur laquelle repose l’Union, est sauvegardé par la garantie du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit fondamental à un procès équitable, qui ont parmi leurs composantes intrinsèques le principe d’indépendance des juridictions (15). L’article 47 de la Charte, de même que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, expriment donc plus précisément cette dimension de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE (16).

2.      La décision MCV (et la Charte)

52.      Tout comme dans l’affaire Euro Box Promotion e.a. (C‑357/19 et C‑547/19), les deux ordonnances de renvoi dans les présentes affaires ne posent pas de questions spécifiques relatives à la décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption (ci‑après la « décision MCV ») (17). Cette décision a néanmoins constitué le fondement de toutes les précédentes affaires examinées dans le premier groupe d’affaires (l’affaire AFJR et l’affaire parallèle Statul Român – Ministerul Finanţelor Publice (18)). Cette décision est également invoquée dans une autre affaire faisant partie du second groupe d’affaires, à savoir l’affaire C‑379/19, DNA – Serviciul Teritorial Oradea, dans laquelle je présente des conclusions parallèles aujourd’hui.

53.      À l’exception du premier appelant dans l’affaire C‑811/19, toutes les parties intéressées ayant répondu aux questions pour réponse écrite posées par la Cour s’accordent sur le fait que la décision MCV, en tenant compte, en particulier, des objectifs de référence 1 et 3 qui figurent dans son annexe, est applicable en ce qui concerne les questions soulevées dans les présentes affaires liées à la lutte contre la corruption, à l’État de droit et à la garantie de l’indépendance des juges.

54.      Pour les raisons que j’expose en détail dans les conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion (19), qui sont également applicables dans leur intégralité aux présentes affaires, dont le fait que la disposition nationale en cause est une décision d’une juridiction constitutionnelle nationale, la décision MCV est également applicable aux présentes affaires. L’article 47 de la Charte devient également applicable, en raison du fait que son champ d’application est déclenché par la décision MCV en vertu de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.

3.      L’article 325, paragraphe 1, TFUE (et la Charte)

55.      Conformément à l’article 325, paragraphe 1, TFUE, les États membres combattent la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des mesures prises conformément au présent article qui sont dissuasives et offrent une protection effective dans les États membres. L’applicabilité de l’article 325, paragraphe 1, TFUE suppose donc l’existence d’une fraude ou de toute autre activité illégale susceptible d’affecter les intérêts financiers de l’Union. Cela pose la question de savoir si tel est le cas en ce qui concerne les circonstances à l’origine des présentes affaires.

56.      Selon moi, cette question appelle une réponse affirmative. Premièrement, l’article 325, paragraphe 1, TFUE est applicable aux infractions liées à la corruption dans le cadre de projets financés par des fonds de l’Union (a). Deuxièmement, le fait que les accusations dont font l’objet les appelants au principal ne concernent pas des infractions qui contiennent une référence explicite aux intérêts financiers de l’Union n’est pas pertinent à cet égard (b).

a)      L’article 325 TFUE (et la convention PIF) sont applicables en ce qui concerne la corruption liée aux fonds de l’Union

57.      Dans ses réponses aux questions qui lui ont été posées par la Cour, le premier appelant dans l’affaire C‑811/19 soutient que l’article 325, paragraphe 1, TFUE ne s’applique pas dans son cas. Toutes les infractions de corruption liées à des projets financés par des fonds de l’Union n’affectent pas les intérêts financiers de l’Union. L’article 325, paragraphe 1, TFUE établit l’obligation d’infliger des sanctions pénales uniquement dans les cas de fraude grave visés par la convention PIF. Par ailleurs, le premier appelant indique qu’il n’a pas été soutenu que l’attribution des marchés, à l’égard desquels il a été condamné pour avoir commis un trafic d’influence, a méconnu, directement ou indirectement, les règles en matière d’attribution de fonds ou de marchés publics. En outre, il souligne que la convention PIF et ses protocoles ne s’appliquent pas parce que son cas ne présente aucune dimension transfrontalière et qu’il n’a été accusé ni d’infractions de corruption passive visées par le premier protocole de la convention PIF ni d’un délit de blanchiment d’argent en lien avec une fraude grave au sens de la convention PIF.

58.      L’appelant dans l’affaire C‑840/19, le gouvernement roumain, le parquet et la Commission ont soutenu dans leurs réponses aux questions qui leur ont été posées par la Cour que l’article 325, paragraphe 1, TFUE et, en particulier, l’expression « toute autre activité illégale » visent des infractions de corruption liées à des projets ou à des contrats financés par des fonds de l’Union.

59.      Je suis entièrement d’accord. Pour les raisons que j’ai exposées en détail dans les conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion (20), l’expression « toute autre activité illégale » figurant à l’article 325, paragraphe 1, TFUE est susceptible de couvrir toute infraction de corruption commise en relation avec l’utilisation des fonds de l’Union.

60.      Les arguments supplémentaires avancés par le premier appelant dans l’affaire C‑811/19 apparaissent, à cet égard, dépourvus de pertinence. Premièrement, rien ne permet d’étayer son affirmation selon laquelle seuls les cas de fraude grave visés par la convention PIF relèvent du champ d’application de l’article 325, paragraphe 1, TFUE. Au contraire, l’expression « toute autre activité illégale » figurant à l’article 325, paragraphe 1, TFUE confirme la portée plus large de cette disposition (21).

61.      Deuxièmement, cette notion même de « toute autre activité illégale » n’exige pas, dans le domaine des actes de corruption liés à la gestion ou à la passation de projets financés par des fonds de l’Union, qu’il y ait eu une violation supplémentaire des règles de l’Union relatives à l’attribution de fonds de l’Union ou aux marchés publics. Ainsi que l’expose la juridiction de renvoi dans les deux ordonnances de renvoi, le premier appelant dans l’affaire C‑811/19 ainsi que l’appelant dans l’affaire C‑840/19 ont obtenu, du fait de leur conduite qui a engendré les infractions en cause, un pourcentage significatif de la valeur des projets publics ayant été financés (dans une large mesure) par des fonds de l’Union. Dans ce contexte, il s’ensuit que les infractions de corruption en cause portent atteinte aux intérêts financiers de l’Union, car elles comportent une ingérence sérieuse dans l’attribution légale des projets financés par les fonds de l’Union, et partant, à l’affectation et à l’utilisation correctes de tels fonds.

62.      Troisièmement, l’article 325, paragraphe 1, TFUE n’exigerait pas l’existence d’une dimension transfrontalière pour être applicable. Quatrièmement, il appartient au juge national de vérifier si les infractions en cause relèvent de l’une des dispositions spécifiques de la convention PIF et de son protocole (en ce qui concerne les infractions liées à la corruption). Nonobstant l’applicabilité de ces instruments, les infractions en cause, en particulier le trafic d’influence en ce qui concerne la passation d’un marché public financé par des fonds de l’Union, relèvent en tant que telles de l’expression « autre activité illégale » visée à l’article 325, paragraphe 1, TFUE, de sorte qu’elles relèvent déjà pour cette seule raison du champ d’application du droit de l’Union.

b)      Le lien entre les poursuites pénales et les intérêts financiers de l’Union

63.      Le premier appelant dans l’affaire C‑811/19 et l’appelant dans l’affaire C‑840/19 ont soutenu dans leurs réponses écrites aux questions posées par la Cour que l’article 325, paragraphe 1, TFUE exige que le lien entre les infractions et les intérêts financiers de l’Union découle expressément de la définition de l’infraction. Le premier appelant dans l’affaire C‑811/19 fait valoir que seule cette approche pourrait garantir les droits de la défense. L’appelant dans l’affaire C‑840/19 soutient que ni les chefs d’accusation ni les arrêts prononcés contre lui ne font spécifiquement état de fraudes relatives à des projets financés par l’Union européenne. Bien qu’il existe dans l’ordre juridique roumain des infractions spécifiques liées aux intérêts financiers de l’Union, l’appelant n’a pas été accusé d’avoir commis de telles infractions (22).

64.      Je n’adhère pas à ce point de vue.

65.      Premièrement, la portée de l’article 325, paragraphe 1, TFUE ne saurait être limitée à la mise en œuvre effective des infractions spécifiques introduites dans l’ordre juridique national qui font expressément référence aux intérêts financiers de l’Union ou même aux fonds de l’Union. Il en résulterait que la portée de cette disposition du droit primaire de l’Union dépendrait de la définition nationale d’infractions spécifiques.

66.      Ainsi que l’ont relevé à juste titre la Commission, le gouvernement roumain et le parquet, la question de savoir s’il a été porté atteinte ou non aux intérêts financiers de l’Union ne devrait pas dépendre de la définition expresse d’une infraction donnée en droit national. Cette question doit être appréciée en tenant compte du cadre factuel plus large. En effet, ainsi que le fait valoir le gouvernement roumain, les intérêts financiers nationaux et les intérêts financiers de l’Union sont souvent liés entre eux. En droit national, le lien entre des infractions générales et celles qui concernent spécifiquement les intérêts financiers de l’Union ne peut faire l’objet d’une division nette, dès lors que les fonds sont administrés par le même organisme et qu’ils sont inextricablement liés dans différents projets cofinancés.

67.      Deuxièmement, s’agissant de l’exigence du respect des droits de la défense, je ne vois pas en quoi l’applicabilité éventuelle de l’article 325, paragraphe 1, TFUE équivaudrait (automatiquement) à une (éventuelle) violation des droits de la défense.

68.      Enfin, troisièmement, je rappellerai que la constatation de l’applicabilité de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, et éventuellement également de l’article 2, paragraphe 1, de la convention PIF, ainsi que, en définitive, de l’article 2, paragraphe 1, du protocole annexé à la convention PIF entraîne, par voie de conséquence directe, l’applicabilité de la Charte. En effet, dès lors que les sanctions et les poursuites pénales auxquelles les accusés ont été ou sont soumis dans l’affaire au principal constituent une mise en œuvre de l’article 325, paragraphe 1, TFUE et, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, de la convention PIF et de son protocole, la Charte est applicable, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de celle‑ci (23).

4.      La directive 2015/849 et la directive 2017/1371

69.      Les premières questions posées tant dans l’affaire C‑811/19 que dans l’affaire C‑840/19 renvoient à l’article 4 de la directive 2017/1371 qui fait partie des dispositions du droit de l’Union potentiellement applicables. En outre, la première question dans l’affaire C‑811/19 vise également l’article 58 de la directive 2015/849.

70.      Dans leurs réponses aux questions posées par la Cour, les parties intéressées ont présenté des points de vue différents quant à l’applicabilité de la directive 2015/849 et de la directive 2017/1371. Toutefois, ainsi que le relève le gouvernement roumain, selon les informations fournies à la Cour, les faits à l’origine des poursuites au principal sont antérieurs à l’entrée en vigueur de ces deux directives. Il apparaît ainsi que, de ce fait, les deux directives sont inapplicables aux circonstances des litiges au principal dans les deux affaires.

5.      Conclusion intermédiaire

71.      En résumé, la décision MVC et l’article 325, paragraphe 1, TFUE ainsi que l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, de même que, sous réserve des vérifications par la juridiction de renvoi, la convention PIF et son protocole, constituent des dispositions pertinentes dans les deux affaires C‑811/19 et C‑840/19.

72.      L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, et l’article 2 TUE sont également applicables aux présentes affaires. Il est toutefois difficile de saisir quels seraient le contenu ou les précisions supplémentaires que ces dispositions apporteraient dans ces affaires, qui ne figureraient pas déjà dans les dispositions plus spécifiques citées ci‑dessus (24). Pour cette raison, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte sera considéré comme le cadre factuel applicable, puisque aussi bien la décision MCV que l’article 325, paragraphe 1, TFUE déclenchent l’applicabilité de la Charte.

C.      Appréciation

73.      Afin de répondre aux questions posées dans les présentes affaires, je commencerai par exposer brièvement le cadre juridique national (1). En deuxième lieu, j’examinerai les deuxièmes questions posées dans les affaires C‑811/19 et C‑840/19 ainsi que la quatrième question posée dans l’affaire C‑811/19, qui portent sur l’interprétation de l’article 47 de la Charte. En particulier, j’examinerai si cette disposition exige la spécialisation des juges (2). En troisième lieu, j’examinerai la première question posée dans les deux affaires, que j’aborderai principalement sous l’angle de l’article 325, paragraphe 1, TFUE (3), avant de me pencher brièvement sur le principe de l’indépendance des juges (4). Je conclurai par le principe de primauté du droit de l’Union, répondant ainsi à la troisième question posée dans les deux affaires (5).

1.      Le cadre juridique national

74.      L’article 29 de la loi no 78/2000, tel que modifié par la loi no 161/2003, dispose que des formations de jugement spécialisées sont constituées pour statuer en première instance sur les infractions de corruption prévues par cette loi. Il apparaîtrait que ces formations n’ont été instituées par la HCCJ qu’à compter de l’adoption de la décision no 14 du 23 janvier 2019 du collège de la HCCJ (ci‑après la « décision no 14/2019 »).

75.      Selon la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑840/19, il découle de la jurisprudence de la HCCJ relative à la composition des formations de jugement statuant en première instance sur les infractions prévues par la loi no 78/2000 que tous les juges de la chambre pénale de la HCCJ sont compétents pour examiner en première instance toutes les affaires qui relèvent de la compétence de cette juridiction (25). Par conséquent, et sur la base de son interprétation de l’article 19, paragraphe 3, de la loi no 304/2004 et de l’article 29 de la loi no 78/2000, de même qu’au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci‑après la « Cour EDH »), la HCCJ a jugé que les moyens relatifs à l’illégalité de la composition des formations de trois juges, fondés sur l’obligation de spécialisation, étaient dénués de fondement. Il n’y avait donc pas lieu d’appliquer la sanction de nullité absolue.

76.      Par sa décision no 14/2019, le collège de la HCCJ a déclaré que toutes les formations de la HCCJ en matière pénale étaient des chambres spécialisées pour les affaires de corruption, de sorte que toutes les chambres à trois juges de la HCCJ continueraient d’opérer comme des chambres spécialisées conformément à l’article 29, paragraphe 1, de la loi no 78/2000.

77.      À la suite d’un recours introduit par le président de la chambre des députés, la Cour constitutionnelle a, dans son arrêt no 417/2019, constaté l’existence d’un conflit de nature constitutionnelle entre le Parlement et la HCCJ. Ce conflit était dû au fait que la HCCJ n’avait pas mis en place de formations spécialisées de premier degré pour se prononcer sur les infractions de corruption, contrairement à ce qui était prévu par l’article 29, paragraphe 1, de la loi no 78/2000, telle que modifiée par la loi no 161/2003. Le refus de la HCCJ d’établir des formations spécialisées méconnaissait son obligation de respecter la loi, en violation des exigences de l’État de droit et de la loyauté constitutionnelle, et constituait une ingérence dans le rôle institutionnel du Parlement roumain en tant que législateur. La Cour constitutionnelle a également déclaré que ce refus violait les dispositions de la Constitution roumaine relatives au droit à un procès équitable en ce qui concerne le droit à un tribunal établi par la loi (26).

78.      Il a été jugé dans le dispositif de l’arrêt no 417/2019 que les affaires pendantes devant la HCCJ, qui avaient été jugées en première instance avant l’adoption de la décision no 14/2019 du collège de la HCCJ, et dans lesquelles aucun jugement définitif n’avait été rendu, devaient être réexaminées, conformément à l’article 421, paragraphe 2, sous b), du code de procédure pénale, par des formations spécialisées composées conformément à l’article 29, paragraphe 1, de la loi no 78/2000.

79.      La Cour constitutionnelle a indiqué que le jugement d’une affaire par une formation non spécialisée, là où la compétence appartenait à une formation spécialisée, entraînerait la nullité absolue de la décision. Selon l’article 281, paragraphe 1, sous a), du code de procédure pénale, la violation des règles relatives à la composition d’une formation de jugement entraîne la nullité absolue (27).

80.      La Cour constitutionnelle a en outre relevé que la spécialisation des juges de la HCCJ en ce qui concerne les infractions de corruption n’était prévue dans aucune disposition légale et qu’il existait une obligation de déterminer la spécialisation des juges ou du moins de certains d’entre eux. La possibilité de considérer tous les juges comme « spécialisés » compte tenu de leur formation et de leur expertise n’a pas été exclue, mais la Cour constitutionnelle a considéré que cet aspect devait néanmoins être établi. Dès lors, même si tous les juges de la HCCJ pouvaient être considérés comme spécialisés dans le domaine des infractions visées par la loi no 78/2000 et comme éligibles pour siéger dans des formations spécialisées du fait qu’ils possèdent l’expérience professionnelle requise, cela ne signifie pas que l’ensemble des formations de jugement composées par ces juges sont compétentes pour connaître de ces infractions. Le fait que tous les juges sont spécialisés signifie simplement que, lors de la nomination de telles formations, le choix des juges inclura l’ensemble de ces juges.

81.      Toutefois, s’agissant de la situation postérieure à l’adoption de la décision n o 14/2019 du collège de la HCCJ, la Cour constitutionnelle a relevé que, même en présence d’un manque de transparence dans l’établissement de la spécialisation des formations résultant de cette décision, à la suite de cette décision, il n’y avait plus de violation de la Constitution. Ainsi, pour la période postérieure à la décision no 14/2019, l’objectif de la loi avait été atteint et il n’existait plus de violation (28).

82.      S’agissant de ses conséquences sur le plan procédural, l’arrêt no 417/2019 de la Cour constitutionnelle a eu pour effet que toutes les affaires de corruption tranchées en première instance par des chambres à trois juges de la HCCJ, pendant la période antérieure à l’entrée en vigueur de la règle de spécialisation de la loi no 78/2000 (en 2003) et à l’adoption de la décision no 14/2019 (en 2019), qui n’étaient pas devenues définitives, devaient être réexaminées en première instance. Toutefois, après la décision no 14/2019, par laquelle il a été établi que toutes les formations pénales de la HCCJ étaient des formations spécialisées en matière de corruption, toutes les formations de trois juges de la HCCJ ont continué à fonctionner en tant que formations spécialisées, en application de l’article 29, paragraphe 1, de la loi no 78/2000, à la suite de l’arrêt no 417/2019 de la Cour constitutionnelle.

83.      En résumé, en supposant que j’ai compris correctement le contexte national, ce qui semble être au cœur du problème, c’est l’absence de désignation formelle. Toutefois, une fois que la HCCJ a formellement constaté que toutes ses formations pénales étaient des formations spécialisées en matière de corruption, la composition de ces mêmes formations, qui était exactement la même, est devenue légale.

2.      La spécialisation des juges et le droit d’accéder à un tribunal établi préalablement par la loi

84.      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑811/19 demande si l’article 47 de la Charte inclut une obligation quant à la spécialisation des juges et à la constitution de formations de jugement spécialisées au sein d’une juridiction suprême telle que la HCCJ. Les deuxièmes questions dans les affaires C‑811/19 et C‑840/19 portent, en substance, sur le point de savoir si l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’arrêt no 417/2019 de la Cour constitutionnelle.

85.      Ces questions sont constituées de deux parties distinctes. En premier lieu, l’élément relatif à la spécialisation des juges fait-il partie du standard (autonome) prévu à l’article 47 de la Charte, dont le non‑respect entraînerait une incompatibilité avec le droit de l’Union ? En second lieu, l’article 47 de la Charte s’opposerait-il à une constatation d’illégalité fondée sur le non‑respect d’une disposition de droit national exigeant la spécialisation des juges, donnant ainsi potentiellement lieu à des problèmes au regard du droit à une définition nationale de ce qu’est un « tribunal établi préalablement par la loi » ?

86.      À mon avis, il convient de répondre à ces questions par un double « non ». Afin d’expliquer pourquoi je considère que tel est le cas, il convient d’abord d’analyser quel est précisément le standard découlant de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte (a). J’examinerai ensuite si cette disposition doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à la décision de la Cour constitutionnelle en cause (b).

a)      Le standard du droit de l’Union

87.      Premièrement, il n’existe, à mon sens, aucune exigence en droit de l’Union relative à la spécialisation des juges ou des formations de jugement qui serait susceptible d’être incorporée à l’article 47 de la Charte, que ce soit en matière de corruption, en ce qui concerne la protection des intérêts financiers de l’Union ou dans d’autres domaines du droit de l’Union en la matière.

88.      Certes, on devrait insister pour que des compétences et qualifications juridiques reconnues fassent partie des exigences nécessaires à la nomination des juges. À défaut, il pourrait y avoir des problèmes en termes d’impartialité et d’indépendance des juges. Il est vrai que, à proprement parler, un juge incompétent peut quand même être indépendant, parfois même remarquablement indépendant. Toutefois, il est malgré tout raisonnable de supposer que les juges incompétents ne sont pas les personnes idéales pour la défense et la préservation de l’indépendance des juges à long terme.

89.      Il semble exister une diversité frappante au niveau national en ce qui concerne l’existence d’une éventuelle spécialisation des juges. Un certain nombre d’États membres ont effectivement adopté un niveau avancé de spécialisation des juges. D’autres n’ont aucune spécialisation. En outre, les règles peuvent varier au sein d’un même ordre juridique : souvent, plus une affaire progresse vers le haut dans la hiérarchie judiciaire, moins il est probable que les juges soient spécialisés. Néanmoins, certains systèmes maintiennent effectivement un niveau élevé de spécialisation des juges, même au niveau de la juridiction suprême.

90.      La même diversité se reflète également dans la jurisprudence, ou plutôt dans le silence de celle‑ci au sujet de la spécialisation des juges, que ce soit au titre de l’article 47 de la Charte ou de l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la « CEDH »). En réponse à la question qui lui a été posée de savoir s’il existe une quelconque jurisprudence pour étayer l’argument selon lequel il existe un principe juridique de spécialisation des juges, l’appelant dans l’affaire C‑840/19 a cité, dans ses réponses aux questions posées par la Cour, un arrêt de la Cour EDH portant sur un point différent (29) ainsi que plusieurs documents non contraignants adoptés par des organismes internationaux qui vantent les mérites de la spécialisation des juges et l’encouragent dans certaines circonstances comme étant utile et désirable (30). Néanmoins, ces documents sont bien loin de constituer des éléments qui étaieraient l’argument selon lequel la spécialisation des formations de jugement est une obligation dont l’absence équivaudrait à une violation des exigences figurant à l’article 47 de la Charte (ou à l’article 6 de la CEDH).

91.      Deuxièmement, cette question comporte un autre élément supplémentaire : le droit à un « tribunal [...] établi préalablement par la loi », conformément à l’article 47 de la Charte. En effet, malgré le fait que l’exigence de spécialisation des formations de jugement ne fait pas partie du standard de protection garanti par l’article 47 de la Charte, lorsqu’une telle exigence est prévue par des règles nationales, elle pourrait faire partie du droit à un « tribunal [...] établi préalablement par la loi ».

92.      Les principaux éléments du standard de protection du droit de l’Union qui découlent de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte ont été exposés aux points 136 à 143 des conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion. Je me bornerai ici à rappeler deux éléments essentiels.

93.      Premièrement, le droit à un « tribunal [...] établi préalablement par la loi » est nécessairement déterminé par référence au droit national. Ainsi, une réglementation nationale peut effectivement devenir pertinente par références croisées.

94.      Deuxièmement, du point de vue de l’Union, et en lien étroit avec l’approche adoptée par la Cour EDH en la matière, il n’apparaît pas que toute violation des règles nationales régissant la composition d’une formation de jugement entraînerait automatiquement une violation de l’article 47 de la Charte. En effet, ainsi qu’il ressort de l’arrêt Simpson, des irrégularités peuvent emporter une violation de l’article 47, deuxième alinéa, première phrase, de la Charte « notamment lorsque cette irrégularité est d’une nature et d’une gravité telles qu’elle crée un risque réel que d’autres branches du pouvoir, en particulier l’exécutif, puissent exercer un pouvoir discrétionnaire indu mettant en péril l’intégrité du résultat auquel conduit le processus de nomination et semant ainsi un doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité du ou des juges concernés ». La Cour a relevé que tel serait le cas « lorsque sont en cause des règles fondamentales faisant partie intégrante de l’établissement et du fonctionnement de ce système judiciaire » (31).

b)      Analyse

95.      Premièrement, ainsi qu’il a été relevé ci‑dessus, et à l’instar des observations du gouvernement roumain, du parquet et de la Commission, l’obligation de spécialisation ne relève pas, en tant que telle, du standard consacré à l’article 47 de la Charte. La suggestion selon laquelle il existerait un principe de spécialisation des juges qui fait partie du standard prévu à l’article 47 de la Charte peut ainsi être laissée de côté.

96.      Deuxièmement, toutefois, le premier appelant dans l’affaire C‑811/19 fait valoir dans ses réponses aux questions de la Cour que, dès lors que le droit à un « tribunal [...] établi préalablement par la loi » renvoie à la législation nationale, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui doit respecter le standard minimum imposé par l’article 6 de la CEDH, ne peut pas imposer un standard qui contiendrait des critères différents de ceux garantis au niveau national. En outre, il soutient que l’arrêt no 417/2019 a constaté que la HCCJ avait violé de manière flagrante les dispositions légales relatives à l’obligation de spécialisation.

97.      Selon moi, cet argument ne saurait être accueilli.

98.      Le caractère autonome et indépendant du contenu de l’article 47 de la Charte, qui doit effectivement, en vertu de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, accorder une protection identique ou plus étendue que celle accordée par les dispositions correspondantes de la CEDH, s’écarte précisément d’une appréciation purement automatique et formelle. Toute violation formelle d’une règle (nationale) qui pourrait porter sur un élément de l’organisation judiciaire ne constitue pas nécessairement une violation au titre de l’article 47 de la Charte.

99.      Ainsi que l’ont relevé le gouvernement roumain, le parquet et la Commission, la violation de la règle en cause dans la présente affaire ne constitue pas une infraction du point de vue de l’article 47 de la Charte.

100. Premièrement, l’obligation de spécialisation semble présenter un caractère éminemment formel. Ainsi que l’a relevé le parquet, toutes les formations de la HCCJ sont devenues spécialisées du jour au lendemain, à la suite de la décision no 14/2019 adoptée par son collège. L’arrêt no 417/2019 de la Cour constitutionnelle a validé ce résultat comme étant conforme aux règles constitutionnelles nationales. En conséquence de cela, ainsi que l’a relevé la Commission, une désignation purement formelle des formations comme étant spécialisées, sans aucune modification de fond quelle qu’elle soit, a été considérée comme suffisante en ce qui concerne le respect des règles constitutionnelles, y compris des exigences imposées par les droits fondamentaux consacrés par la Constitution.

101. Deuxièmement, cette règle apparaît comme une exception assez circonscrite appliquée seulement à des domaines juridiques spécifiques, et au stade de la première instance.

102. Troisièmement, ainsi que le relève la Commission, d’autres éléments supplémentaires, tels que les doutes relatifs à l’interprétation de la réglementation applicable et l’absence de méconnaissance intentionnelle, indiqueraient l’absence de caractère « flagrant » de l’infraction.

103. En outre, l’ensemble des considérations qui précèdent illustre de manière utile la véritable nature de l’obligation de spécialisation au sein d’une juridiction nationale : il s’agit en effet principalement d’une question de gestion interne et d’efficacité du travail d’une juridiction. Certes, la méconnaissance flagrante et intentionnelle d’une telle règle, si elle était précédemment et fermement ancrée dans le système juridique national, n’est pas dépourvue de conséquences juridiques (32). Néanmoins, l’obligation quant à la spécialisation des juges n’équivaut pas, à elle seule, à une règle fondamentale d’un système judiciaire, aux fins de l’application du standard découlant de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui devra toujours être présent pour que les exigences de l’article 47 de la Charte soient respectées.

104. Enfin, il existe une autre question fondamentale en ce qui concerne l’article 47 de la Charte. Ayant constaté que cette disposition n’exige pas la spécialisation des juges et que, partant, il n’y a pas eu de violation du standard autonome qui y est prévu pour déterminer ce qu’est un tribunal établi par la loi, la question de savoir si cette même disposition s’oppose à ce qu’une juridiction constitutionnelle nationale constate une telle violation sur le fondement de droits fondamentaux protégés par la Constitution ou d’autres valeurs demeure encore.

105. Pour les raisons déjà exposées en détail aux points 145 à 156 des conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion, la réponse est que non, l’article 47 de la Charte ne s’oppose pas à un tel constat.

106. En ce qui concerne les questions de droit et les situations relevant du champ d’application du droit de l’Union, mais qui ne sont pas entièrement déterminées par celui‑ci, si la Cour a constaté qu’il y a violation de l’article 47 de la Charte notamment lorsque les irrégularités sont d’une gravité telle qu’elles créent un risque réel d’un pouvoir discrétionnaire indu semant ainsi un doute légitime quant à l’impartialité et à l’indépendance des juges (33), cela ne s’oppose pas à ce qu’une cour constitutionnelle nationale constate que le droit constitutionnel à un procès équitable a été violé au titre d’un standard national différent et supérieur. Dans des cas et des situations qui ne sont pas entièrement déterminés par le droit de l’Union, conformément à l’article 53 de la Charte, la Charte constitue le plancher (minimum), mais pas le plafond (maximum). Ainsi, une juridiction nationale pourrait adopter et appliquer un standard national plus élevé.

107. La définition d’un tel standard constitutionnel national, pour autant bien évidemment qu’il en existe un, relève des autorités nationales compétentes. Le gouvernement roumain et le parquet ont fait valoir que l’obligation de spécialisation ne fait pas partie du standard national du droit à une protection juridictionnelle effective. Je prends acte de cette position, mais la Cour ne peut pas faire plus. Il y a lieu de relever de nouveau que la définition d’un standard constitutionnel national appartient aux juridictions et aux acteurs nationaux. Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que tout argument soulevé en rapport avec la question d’un standard national plus élevé sera en fin de compte admis en tant que justification suffisante en droit de l’Union, question sur laquelle je me pencherai dans la section suivante.

c)      Conclusion intermédiaire

108. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la deuxième question dans les affaires C‑811/19 et C‑840/19, ainsi qu’à la quatrième question dans l’affaire C‑811/19, en ce sens que l’article 47 de la Charte doit être interprété comme n’incluant pas l’obligation de spécialisation des formations de jugement. Toutefois, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte ne s’oppose pas à une décision d’une juridiction constitutionnelle nationale déclarant que, en application d’un standard national sérieux et raisonnable relatif au respect du droit à une protection juridictionnelle effective, et sur le fondement de l’interprétation qu’elle fait des dispositions nationales applicables, la composition d’une formation de jugement est illégale en raison de la violation d’une obligation légale nationale de spécialisation des formations de jugement.

3.      La protection des intérêts financiers de l’Union

109. Les présentes affaires soulèvent deux questions supplémentaires : l’interprétation de l’article 325, paragraphe 1, TFUE en ce qui concerne l’adoption et les effets de l’arrêt no 417/2019 de la Cour constitutionnelle et l’interprétation de l’article 2 et de l’article 19, paragraphe 1, TUE, ainsi que de l’article 47 de la Charte, par rapport à cette même décision constitutionnelle. Dans la présente section, j’aborderai les problèmes un peu plus spécifiques posés par l’éventuelle incidence de la décision constitutionnelle en cause sur la protection des intérêts financiers de l’Union.

110. Au moyen des questions spécifiques soulevées au titre de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, la juridiction de renvoi explique que, dans les deux affaires en cause, le réexamen exigé par la Cour constitutionnelle pourrait faire obstacle à l’application de sanctions effectives et dissuasives dans des affaires concernant des activités portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. En raison de la complexité et de la durée de la procédure jusqu’au prononcé d’un nouvel arrêt définitif à la suite de la reprise de la procédure de première instance, il existe un risque de prescription de la responsabilité pénale. L’application de l’arrêt no 417/2019 de la Cour constitutionnelle, qui a un effet obligatoire en vertu du droit national, implique une reprise de la procédure en première instance, donnant ainsi lieu à deux jugements en première instance et à trois jugements au stade de l’appel dans le cadre de la même procédure. En particulier, la juridiction de renvoi fait état de ses préoccupations en se référant aux circonstances de l’affaire au principal dans l’affaire C‑840/19, dans laquelle la procédure pénale a été engagée il y a environ quatre ans et où l’affaire se situe déjà au stade du réexamen du recours ordinaire après qu’il a été fait droit au recours extraordinaire en annulation (en raison de l’application de l’arrêt no 685/2018 de la Cour constitutionnelle).

111. Aux points 173 à 184 des conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion, j’expose en détail les considérations qui doivent orienter le critère relatif à la compatibilité normative des règles et pratiques nationales avec l’article 325, paragraphe 1, TFUE. En premier lieu, comme c’est le cas dans n’importe quel autre domaine du droit de l’Union, ce critère devrait rester un critère relatif à la compatibilité normative. Cette analyse ne devrait pas se transformer en une étude plutôt subjective et potentiellement arbitraire des statistiques qui ont été sélectionnées s’agissant du nombre de condamnations et d’acquittements obtenus, dont le juge national ne dispose habituellement pas. En deuxième lieu, au sein du critère lui‑même, le respect de la légalité et des droits fondamentaux est déjà intégré dans l’interprétation de la portée des obligations découlant de l’article 325, paragraphe 1, TFUE. En troisième lieu, des préoccupations constitutionnelles nationales raisonnables et sérieuses, y compris toute protection plus élevée des droits fondamentaux nationaux ainsi définis, pourraient éventuellement faire partie intégrante de l’équation.

112. En d’autres termes, les orientations dans ce domaine du droit devraient résulter de la logique et de l’approche globale découlant des arrêts M.A.S., Scialdone, et Dzivev (34), et non pas de celles des arrêts Taricco et Kolev (35).

113. Par conséquent, les éléments qu’il convient de prendre en compte lors de l’appréciation de la compatibilité des dispositions nationales avec les exigences de l’article 325, paragraphe 1, TFUE comprennent : premièrement, l’évaluation normative et systématique du contenu des règles en cause ; deuxièmement, leur objet ainsi que le contexte national ; troisièmement, leurs conséquences pratiques telles qu’elles peuvent être raisonnablement perçues ou attendues, résultant de leur interprétation ou de leur application en pratique (et donc indépendamment de toute estimation statistique du nombre de cas réellement ou potentiellement affectés) ; quatrièmement, les droits fondamentaux et la légalité qui font partie de l’équilibre interne dans l’interprétation des exigences matérielles imposées par l’article 325, paragraphe 1, TFUE. Toutefois, toute préoccupation nationale invoquée à cet égard doit refléter une préoccupation raisonnable et sérieuse pour une protection des droits supérieure. En outre, son incidence éventuelle sur les intérêts protégés par l’article 325, paragraphe 1, TFUE doit être proportionnée.

114. À mon avis, la décision nationale en cause dans les présentes affaires ne répond pas à ces exigences. En d’autres termes, une désignation plutôt accessoire et purement formelle, apparemment requise par le droit national, a une incidence complètement disproportionnée sur les intérêts protégés de l’Union.

115. En premier lieu, en ce qui concerne l’évaluation abstraite et systématique du contenu de l’arrêt en cause, l’arrêt no 417/2019 ne soulève pas, à première vue, de préoccupations particulières. En effet, cet arrêt ne crée pas de voie de recours nouvelle, ni ne semble contourner le cadre juridique existant. Ainsi que le relève l’appelant dans l’affaire C‑840/19, cet arrêt impose l’application des dispositions du code de procédure pénale selon lesquelles une juridiction d’appel doit être saisie d’une affaire pour réexamen, notamment en cas d’infraction relative à la composition d’une formation de jugement (36).

116. En deuxième lieu, s’agissant de l’objet et du contexte national dans lequel s’inscrit l’arrêt no 417/2019, je relève que la Cour ne dispose d’aucune donnée indiquant, au moyen d’éléments objectifs, du contexte ou des effets pratiques, que l’arrêt concerné avait pour objet de contourner ou de porter atteinte aux outils juridiques utilisés pour lutter contre la corruption ou d’affecter la protection des intérêts financiers de l’Union.

117. Je considère qu’il n’est pas possible de parvenir à une conclusion différente pour la seule raison que, comme il ressort des ordonnances de renvoi, la requête à l’origine de l’arrêt no 417/2019 a été introduite par le président de la chambre des députés qui, à l’époque, faisait l’objet d’une enquête pénale pour des infractions relevant du champ d’application de la loi no 78/2000, une procédure qui, au stade de l’appel, était pendante devant la chambre à cinq juges de la HCCJ. Ainsi qu’il a été souligné à maintes reprises dans le cadre des présentes affaires, aucune juridiction, et certainement pas la Cour, n’est en mesure de se fonder sur des insinuations et des conjectures (37).

118. En troisième lieu, conformément aux arguments soulevés par la Commission et le parquet, des doutes sérieux pourraient effectivement être soulevés en ce qui concerne le troisième élément relevé ci‑dessus, relatif aux conséquences pratiques généralement perceptibles ou attendues de l’arrêt concerné. Contrairement à ce qu’a jugé la Cour constitutionnelle dans l’affaire Euro Box Promotion e.a. (C‑357/19 et C‑547/19), et à l’instar des arguments avancés par la Commission, les effets de l’arrêt no 417/2019 apparaissent assez étendus lorsqu’ils sont appréciés sous plusieurs angles.

119. Ainsi que l’a relevé la Commission, les effets de l’arrêt no 417/2019 n’apparaissent pas comme étant circonscrits à une période de temps relativement limitée : l’arrêt no 417/2019 exige le réexamen en première instance de toutes les affaires dans lesquelles un appel est pendant et où le jugement rendu en première instance a été prononcé entre le 21 avril 2003 (la date à laquelle les modifications de la loi no 78/2000 ont introduit l’obligation de spécialisation) et le 22 janvier 2019 (la date à laquelle le collège de la HCCJ a déclaré que toutes les formations devaient être considérées comme des formations spécialisées). Il s’agit d’un total de seize ans. Ainsi que le relève à juste titre la Commission, compte tenu du niveau général de complexité des affaires en matière d’infractions de corruption commises par des personnes relevant de la compétence de la HCCJ (personnes exerçant une fonction publique ou fonctionnaires d’État de haut rang), ainsi que de la probabilité qu’un appel soit interjeté, les effets raisonnablement attendus de cet arrêt sont très étendus.

120. En outre, il convient incontestablement d’ajouter que les effets de l’arrêt no 417/2019 sont probablement destinés à se concentrer, tant ratione materiae que ratione personae, dans un champ d’application particulièrement préoccupant du point de vue de la protection des intérêts financiers de l’Union. En effet, ainsi que le fait valoir la Commission, cet arrêt affecte exclusivement les affaires de corruption dans lesquelles les personnes poursuivies relèvent de la compétence de la HCCJ en première instance, avec pour résultat que l’obligation de réexamen aura une incidence sur toutes les affaires concernant des infractions de corruption commises par des personnes exerçant de hautes fonctions publiques.

121. Même si l’application de l’arrêt no 417/2019 n’aboutit pas à la clôture de la procédure pénale, il est en effet exact que les risques de prescription de l’action publique, du fait de l’application dudit arrêt, deviennent plutôt préoccupants. Par ailleurs, ainsi que l’a également fait valoir la Commission, même en considérant que les articles 154 et 155 du code pénal ne contiennent pas de règles en matière de délais qui devraient être considérées comme problématiques en elles‑mêmes, l’application de l’arrêt no 417/2019 signifie que les affaires déjà pendantes au stade de l’appel, qui a un effet dévolutif, devraient non seulement être réexaminées à ce stade, mais également depuis le début. Il faudra donc reprendre toutes les étapes de la procédure, ce qui accroît considérablement la possibilité de dépasser les délais de prescription.

122. En quatrième lieu, c’est notamment la mise en balance des intérêts de l’Union avec ces intérêts nationaux, ainsi que le résultat (dis)proportionné en termes de conséquences au niveau procédural de cette mise en balance, qui sont décisifs dans les présentes affaires, du moins à mon avis.

123. Il convient de rappeler encore une fois que, d’après une jurisprudence constante, lorsque le droit de l’Union accorde aux États membres un pouvoir d’appréciation, il reste loisible aux autorités et aux juridictions nationales de protéger les droits fondamentaux au titre de la constitution nationale, pourvu que, ce faisant, le niveau de protection garanti par la Charte, de même que la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union, ne soient pas compromis (38). En outre, il a été indiqué dans les présentes conclusions qu’un standard constitutionnel national donné pouvait effectivement exiger une spécialisation des juges, que ce soit en tant que standard national indépendant ou en étant incorporé dans une règle nationale relative à ce que sera en définitive un tribunal préalablement établi par la loi (ou un procès équitable, un juge légal, ou tout autre intitulé sous lequel des règles constitutionnelles nationales pourraient placer une telle règle) (39).

124. Toutefois, comme je l’ai souligné dans les conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion (40), un tel standard national devra être raisonnable et sérieux afin de pouvoir être valablement invoqué en tant qu’intérêt national légitime dans le cadre de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, ainsi que, d’ailleurs, en tant que standard de protection national supérieur au titre de la Charte. La règle nationale doit refléter une préoccupation réelle qui contribuera raisonnablement à la protection des droits et valeurs fondamentaux nationaux et qui sera acceptable (en principe, pas nécessairement en termes de degré et de formulation spécifique) comme valeur au sein de l’Union, fondée sur l’État de droit, la démocratie et la dignité humaine.

125. Par ailleurs, et de manière plutôt décisive dans le cadre des présentes affaires, même si un tel standard national devait être valablement admis dans la mise en balance effectuée au titre de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, le résultat de cette mise en balance doit être proportionné. En d’autres termes, les intérêts légitimes de l’Union (protection effective des intérêts financiers de l’Union) doivent être mis en balance de manière raisonnable avec les valeurs et normes légitimes de l’ordre juridique national. Si ces derniers intérêts sont effectivement admis, ils ne devraient pas empiéter sur les intérêts de l’Union au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver ces intérêts nationaux.

126. Dans le contexte des présentes affaires, tant le premier appelant dans l’affaire C‑811/19 que l’appelant dans l’affaire C‑840/19 font valoir que l’article 325, paragraphe 1, TFUE ne devrait pas conduire à écarter les décisions d’une cour constitutionnelle qui reflètent des règles de droit national adoptées au niveau constitutionnel visant à garantir de manière effective le droit fondamental à un procès équitable.

127. Toutefois, le parquet, le gouvernement roumain et la Commission ont émis des doutes sur le caractère sérieux des motifs relatifs aux droits fondamentaux qui sous-tendent l’arrêt no 417/2019. L’approche purement formelle adoptée dans cet arrêt à l’égard de l’obligation de spécialisation conduit à la conclusion pratique que des affaires qui sont réexaminées par exactement les mêmes formations peuvent difficilement être considérées comme donnant lieu à une violation perceptible du droit national.

128. Je partage ces doutes.

129. En premier lieu, je n’arrive pas à comprendre pourquoi un standard national de spécialisation des juges, qui est entièrement formel et qui consiste en une simple désignation automatique des mêmes formations et juges, doit être considéré comme fondamental. Il est difficile de comprendre en quoi cette exigence contribue à un niveau plus élevé de protection juridictionnelle (effective).

130. En deuxième lieu, je suis également déconcerté par le degré apparent d’« hyperspécialisation » exigé en droit national. Je peux concevoir qu’il existe une spécialisation judiciaire pour certains domaines du droit (tels que le droit pénal, le droit fiscal, le droit de la famille, le droit de la propriété intellectuelle, et ainsi de suite) (41). Je peux également comprendre pourquoi une spécialisation peut être mise en place en tant que compétence spécifique de certaines juridictions, en fonction d’un type de délit particulier et/ou d’un type de défendeur particulier (42). Toutefois, il est en effet inhabituel de constater qu’il existe une obligation de spécialisation en matière d’actes de corruption (pénale) qui exigerait, par rapport à sa teneur et à sa complexité, une spécialisation (ou une expertise) allant au-delà des exigences requises pour devenir un juge pénal (spécialisé) au niveau d’une juridiction nationale suprême.

131. Toutefois, il pourrait éventuellement être argumenté que le standard national plus élevé garanti par l’arrêt no 417/2019 ne serait pas constitué de l’obligation de spécialisation en tant que telle, mais de l’application d’une notion stricte de « tribunal établi par la loi ». Ainsi, la question de savoir qui est « spécialisé » en matière de corruption pénale ne serait pas une question relative à la spécialisation en tant que telle, mais plutôt une question relative à la désignation du groupe de juges à partir duquel les formations de première instance pourraient effectivement être créées, devenant ainsi une question relative à la composition légale de la formation de jugement. Si tel était bien le cas, le débat reviendrait inévitablement sur la question de savoir si le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective serait violé par toute violation de n’importe quelle règle, même de nature purement formelle et dépourvue de toute conséquence et de toute incidence matérielle sur les droits de la défense ou sur le droit à un procès équitable (43).

132. Quoi qu’il en soit, au-delà de la question de la définition du standard national et de sa finalité, reste encore la question du résultat proportionné de la mise en balance des valeurs dans le cadre de l’interprétation de l’article 325, paragraphe 1, TFUE. À cet égard, la règle nationale en cause échoue de manière assez nette. Pour le dire sans ambages, devrait-on permettre qu’une exigence nationale assez douteuse, qui est appliquée de manière purement formelle (voire formaliste), et dont la contribution à la protection individuelle effective des droits individuels ne s’impose pas de manière tellement évidente, rouvre potentiellement des affaires dans lesquelles un arrêt a été rendu au cours des seize dernières années ?

133. Si les juridictions nationales devaient retenir une telle interprétation, cela reviendrait, selon moi, à rendre ces éléments du droit national incompatibles avec les exigences posées à l’article 325, paragraphe 1, TFUE.

a)      Conclusion intermédiaire

134. Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux premières questions posées dans les affaires C‑811/19 et C‑840/19, dans la mesure où elles concernent l’article 325, paragraphe 1, TFUE, en ce sens que cette disposition doit être interprétée comme s’opposant à une décision d’une juridiction constitutionnelle nationale déclarant illégale la composition de formations de jugement d’une juridiction nationale suprême statuant en première instance sur des infractions de corruption au motif que ces formations ne sont pas spécialisées en matière de corruption, alors même que les juges siégeant au sein de ces formations ont été reconnus comme ayant la spécialisation requise, lorsqu’une telle constatation est susceptible de donner lieu à un risque systémique d’impunité en ce qui concerne des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

4.      Le principe d’indépendance des juges

135. Les premières questions posées dans les affaires C‑811/19 et C‑840/19, en ce qu’elles se réfèrent à l’article 19, paragraphe 1, TUE, ainsi que la deuxième question posée dans les affaires C‑811/19 et C‑840/19, portent sur le point de savoir si l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, TUE et l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que la Cour constitutionnelle, qualifiée d’« organe extérieur au pouvoir judiciaire », adopte un arrêt tel que l’arrêt no 417/2019. Dans cette dimension (ou à ce niveau de discussion), les questions ainsi formulées ont principalement trait à la structure institutionnelle et aux fonctions de la Cour constitutionnelle ainsi qu’aux effets de son arrêt sur les affaires tranchées par la HCCJ.

136. Bien qu’elles désignent un autre arrêt de la Cour constitutionnelle, prises dans leur dimension institutionnelle plus générale, les présentes questions se recoupent avec celles qui ont déjà été examinées dans les conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion. Comme je l’ai expliqué dans ces conclusions, je ne pense pas qu’il appartienne à la Cour d’entamer des discussions, in abstracto, sur les choix institutionnels faits par un État membre quant à la composition ou aux compétences d’une juridiction constitutionnelle nationale, pour autant que rien n’indique qu’une telle institution ne satisfait plus, en termes structurels, aux exigences d’une juridiction indépendante au sens de la conception autonome de cette notion en droit de l’Union (44).

137. Par ailleurs, contrairement à la décision constitutionnelle nationale en cause dans l’affaire Euro Box Promotion e.a. (C‑357/19 et C‑547/19), dans la présente affaire, en tout cas de mon point de vue, les éléments de droit national mis en avant dans l’arrêt no 417/2019 de la Cour constitutionnelle ne satisfont pas aux exigences de l’article 325, paragraphe 1, TFUE.

138. Si elles sont examinées sous l’angle de ce contexte combiné, j’estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner de nouveau les questions posées par la juridiction de renvoi dans le cadre des présentes affaires.

5.      Le principe de primauté

139. Par ses troisièmes questions dans les affaires C‑811/19 et C‑840/19, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de primauté du droit de l’Union permet à une juridiction nationale de laisser inappliqué l’arrêt no 417/2019 de la Cour constitutionnelle. Ces questions semblent également être partiellement motivées par le fait que, en application de l’article 99, sous ș), de la loi no 303/2004, le non‑respect par un juge d’une décision de la Cour constitutionnelle constitue une faute disciplinaire.

140. J’ai déjà abordé ces questions en détail dans mes conclusions parallèles présentées dans l’affaire Euro Box Promotion e.a. (affaires jointes C‑357/19 et C‑547/19), en concluant que, effectivement, le droit de l’Union autorise un juge national à ne pas suivre un avis juridique (par ailleurs obligatoire) d’une juridiction supérieure, si celui‑ci estime que cette interprétation juridique est contraire au droit de l’Union. De plus, du point de vue du droit de l’Union, il doit en aller de même pour toute sanction nationale potentielle d’un tel comportement : si ce comportement est, du point de vue du droit de l’Union, correct, il ne peut pas faire l’objet d’une sanction (45).

141. Par conséquent, dans le contexte de la présente affaire, il convient de répondre à la troisième question posée dans les affaires C‑811/19 et C‑840/19 par l’affirmative : le principe de primauté doit être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction nationale de laisser inappliquée une décision d’une juridiction constitutionnelle nationale, obligatoire en vertu du droit national, si la juridiction de renvoi l’estime nécessaire pour se conformer aux obligations découlant de dispositions du droit de l’Union qui ont un effet direct.

142. Plutôt qu’une conclusion, deux points méritent d’être soulignés. Premièrement, l’article 325, paragraphe 1, TFUE est effectivement doté d’un effet direct (46). Deuxièmement, en laissant potentiellement inappliqués le droit national et des règles nationales en raison de leur incompatibilité avec des règles de l’Union ayant un effet direct, une juridiction nationale agit bien évidemment dans le champ d’application du droit de l’Union. Elle doit donc respecter les standards de l’Union en matière de droits fondamentaux garantis par la Charte, et ce également dans le contexte des conséquences liées au fait de laisser inappliquées des règles nationales incompatibles (47).

V.      Conclusion

143. Je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie) :

–        Il convient de répondre aux deuxièmes questions dans les affaires C‑811/19 et C‑840/19, ainsi qu’à la quatrième question dans l’affaire C‑811/19, en ce sens que l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété comme n’incluant pas l’obligation de spécialisation des formations de jugement. Toutefois, l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux ne s’oppose pas à une décision d’une juridiction constitutionnelle nationale déclarant que, en application d’un standard national sérieux et raisonnable relatif au respect du droit à une protection juridictionnelle effective et sur le fondement de l’interprétation qu’elle fait des dispositions nationales applicables, la composition d’une formation de jugement est illégale en raison de la violation d’une obligation légale nationale de spécialisation des formations de jugement.

–        Il convient de répondre aux premières questions posées dans les affaires C‑811/19 et C‑840/19 en ce sens que l’article 325, paragraphe 1, TFUE doit être interprété comme s’opposant à une décision d’une juridiction constitutionnelle nationale déclarant illégale la composition des formations de la juridiction nationale suprême statuant en première instance sur des infractions de corruption, au motif que ces formations ne sont pas spécialisées en matière de corruption, alors même que les juges siégeant dans ces formations ont été reconnus comme ayant la spécialisation requise, lorsqu’une telle constatation est susceptible de donner lieu à un risque systémique d’impunité en ce qui concerne des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

–        Il convient de répondre aux troisièmes questions posées dans les affaires C‑811/19 et C‑840/19 que le principe de primauté doit être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction nationale de laisser inappliquée une décision de la juridiction constitutionnelle nationale, obligatoire en vertu du droit national, si la juridiction de renvoi l’estime nécessaire pour se conformer aux obligations découlant de dispositions du droit de l’Union qui ont un effet direct.


1      Langue originale : l’anglais.


2      C‑357/19 et C‑547/19, ci‑après les « conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion ».


3      Voir mes conclusions dans les affaires Asociaţia « Forumul Judecătorilor Din România » e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19 et C‑355/19, EU:C:2020:746), ci‑après les « conclusions dans l’affaire AFJR ». Voir également mes conclusions présentées le même jour dans l’affaire Statul Român – Ministerul Finanţelor Publice (C‑397/19, EU:C:2020:747).


4      JO 1995, C 316, p. 49.


5      Monitorul Oficial al României, partie I, no 827 du 13 septembre 2005.


6      Monitorul Oficial al României, partie I, no 826 du 13 septembre 2005.


7      Monitorul Oficial al României, partie I,no 825 du 10 octobre 2019.


8      Voir points 127 à 129 des conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion.


9      Voir, en ce sens, arrêts du 7 mars 2017, X et X (C‑638/16 PPU, EU:C:2017:173, point 37) ; du 26 septembre 2018, Belastingdienst/Toeslagen (Effet suspensif de l’appel) (C‑175/17, EU:C:2018:776, point 24) ; du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 74), et du 9 juillet 2020, Land Hessen (C‑272/19, EU:C:2020:535, points 40 et 41).


10      Également au sens de l’arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, points 45 à 51).


11      Voir, par exemple, arrêt du 5 décembre 2013, TVI (C‑618/11, C‑637/11 et C‑659/11, EU:C:2013:789, point 21 et jurisprudence citée).


12      Points 204 à 211 des conclusions dans l’affaire AFJR.


13      Point 71 des conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion.


14      Arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, point 29) ; du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, point 50) ; du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 82), et du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 33).


15      Voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, point 58 et jurisprudence citée), et du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 120).


16      Voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, point 47 et jurisprudence citée), et du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 167).


17      JO 2006, L 354, p. 56. Voir points 214 à 224 des conclusions dans l’affaire AFJR.


18      Voir mes conclusions dans l’affaire Statul Român – Ministerul Finanţelor Publice (C‑397/19, EU:C:2020:747).


19      Points 75 à 85.


20      Points 91 à 100.


21      Voir, en ce qui concerne l’étendue du champ d’application de cette disposition, arrêt du 2 mai 2018, Scialdone (C‑574/15, EU:C:2018:295, point 45). Voir également mes conclusions dans cette affaire (C‑574/15, EU:C:2017:553, points 68 et 69).


22      Voir, dans le même ordre d’idées, les arguments relatifs à la recevabilité des questions préjudicielles avancés par cette partie, au point 43 des présentes conclusions.


23      Arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 27).


24      Voir, également, points 185 à 225 des conclusions dans l’affaire AFJR et point 117 des conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion.


25      Par référence aux arrêts du 12 décembre 2013, du 30 janvier 2014 et du 27 mai 2019, rendus dans des affaires pénales par des formations de cinq juges de la HCCJ.


26      Points 161, 162 et 167 de l’arrêt no 417/2019.


27      Points 138 et 139 de l’arrêt no 417/2019.


28      Points 146 de l’arrêt no 417/2019.


29      L’appelant a invoqué l’arrêt de la Cour EDH du 3 mai 2007, Bochan c. Ukraine, ECLI:CE:ECHR:2007:0503JUD000757702, point 71. Toutefois, dans cet arrêt, la Cour EDH a tenu compte de la qualification des juges en tant que critère d’attribution des affaires à un juge. Cet arrêt n’implique en aucun cas que la spécialisation doit être considérée comme une exigence dans le cadre de l’article 6 de la CEDH.


30      Cet appelant cite le rapport de la Commission de Venise sur l’indépendance du système judiciaire [CDL-AD (2010), 004, du 16 mars 2010, points 80 et 81] et a également mentionné l’avis no 1 (2001) du Conseil consultatif des juges européens du 23 novembre 2001 [CCJE (2001) OP no 1] ainsi que le rapport d’évaluation du groupement d’États contre la corruption (GRECO) sur la Roumanie du 14 octobre 2005, la recommandation (iii) (qui recommande de renforcer les capacités des parquets et des tribunaux pour traiter efficacement les dossiers de corruption au moyen de spécialisations et de formations) et le rapport de conformité du GRECO du 7 décembre 2007, point 23, dans lequel le GRECO salue les initiatives visant à renforcer les moyens et la spécialisation des juges et procureurs.


31      Arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission (C‑542/18 RX‑II et C‑543/18 RX‑II, EU:C:2020:232, point 75). Mise en italique par mes soins.


32      Je souhaite souligner ce point de manière assez claire : il ne s’agit pas d’affirmer que la question de la spécialisation des juges, si elle est en effet consacrée par le droit national, n’est pas pertinente d’un point de vue juridique. Elle l’est certainement, dans des situations allant de la répartition adéquate des affaires à un abus potentiel du pouvoir d’appréciation lors de cette répartition par un président de juridiction qui « récompense » certains juges en leur attribuant soudainement des affaires complètement étrangères à leur spécialisation et à leur compétence sans leur autorisation préalable.


33      Arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission (C‑542/18 RX‑II et C‑543/18 RX‑II, EU:C:2020:232, point 75). Mise en italique par mes soins.


34      Arrêts du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936) ; du 2 mai 2018, Scialdone (C‑574/15, EU:C:2018:295), et du 17 janvier 2019, Dzivev e.a. (C‑310/16, EU:C:2019:30).


35      Arrêts du 8 septembre 2015, Taricco e.a. (C‑105/14, EU:C:2015:555), et du 5 juin 2018, Kolev e.a. (C‑612/15, EU:C:2018:392).


36      Article 421, paragraphe 2, sous b), et article 281, paragraphe 1, sous a), du code de procédure pénale.


37      Voir, dans ce contexte, points 243 à 248 des conclusions dans l’affaire AFJR et points 227 à 229 des conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion. De plus, comme ce serait le cas pour n’importe quels autres faits, il appartiendrait aux autorités nationales d’établir tout élément lié à un abus de pouvoir potentiel.


38      Voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2013, Melloni (C‑399/11, EU:C:2013:107, point 60), et du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 29).


39      Voir points 103 à 107 des présentes conclusions.


40      Voir points 149, 194 et 195 des conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion.


41      Voir point 5 de l’Avis (2012) no 15 du conseil consultatif de juges européens [CCJE (2012) 4, 13 novembre 2012] sur la spécialisation des juges.


42      Voir, par exemple, Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), Systèmes judiciaires européens. Efficacité et qualité de la justice, Les Études de la CEPEJ no 26, 2018, p. 198 et suiv.


43      Cette question a déjà été examinée aux points 95 à 103 des présentes conclusions.


44      Voir points 198 à 229 des conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion.


45      Points 235 à 245 des conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion.


46      Arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936, point 39).


47      Voir points 111 à 113 des présentes conclusions, ainsi que points 174 à 176 des conclusions dans l’affaire Euro Box Promotion.