Language of document : ECLI:EU:C:2021:473

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

10 juin 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Régime général d’accise – Directive 2008/118/CE – Article 33, paragraphe 3 – Produits “mis à la consommation” dans un État membre et détenus à des fins commerciales dans un autre État membre – Personne redevable des droits d’accise devenus exigibles pour ces produits – Personne qui détient les produits destinés à être livrés dans un autre État membre – Transporteur des produits »

Dans l’affaire C‑279/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile), Royaume-Uni], par décision du 19 mars 2019, parvenue à la Cour le 3 avril 2019, dans la procédure

The Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs

contre

WR,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de chambre, MM. N. Piçarra (rapporteur), D. Šváby, S. Rodin et Mme K. Jürimäe, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour WR, par M. S. Panesar, solicitor, et M. D. Bedenham, barrister,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. S. Brandon, en qualité d’agent, ainsi que par Mmes J. Simor, QC, et E. Mitrophanous, barrister,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme A. Collabolletta, avvocato dello Stato,

–         pour le gouvernement néerlandais, par Mme M. K. Bulterman et MM. J. Langer et J. Hoogveld, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, initialement par M. R. Lyal et Mme C. Perrin, puis par Mme C. Perrin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 janvier 2021,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 33, paragraphe 3, de la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (JO 2009, L 9, p. 12).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant les Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs (administration fiscale et douanière, Royaume-Uni) à WR au sujet de la légalité d’un avis de recouvrement, adressé à ce dernier, des droits d’accise devenus exigibles pour les produits qu’il a transportés vers le Royaume-Uni sans être couverts par un document administratif valide prouvant que ce mouvement a eu lieu sous un régime de suspension de droits.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 2 et 8 de la directive 2008/118 énoncent :

« (2)      Les conditions relatives à la perception de l’accise sur les produits relevant de la directive 92/12/CEE [du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO 1992, L 76, p. 1)], ci-après dénommés “produits soumis à accise”, doivent rester harmonisées afin de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur.

[...]

(8)      Étant donné qu’il reste nécessaire, pour le bon fonctionnement du marché intérieur, que la notion d’exigibilité de l’accise et les conditions y afférentes soient identiques dans tous les États membres, il importe de préciser au niveau [de l’Union] à quel moment les produits soumis à accise sont mis à la consommation et qui est le redevable de la taxe. »

4        Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de cette directive :

« La présente directive établit le régime général des droits d’accise frappant directement ou indirectement la consommation des produits suivants [...] :

[...]

b)      l’alcool et les boissons alcoolisées relevant des directives 92/83/CEE [du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques (JO 1992, L 316, p. 21)] et 92/84/CEE [du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taux d’accises sur l’alcool et les boissons alcoolisées (JO 1992, L 316, p. 29)] ».

5        L’article 4 de ladite directive dispose :

« Aux fins de la présente directive et de ses modalités d’application, on entend par :

[...]

7)      “régime de suspension de droits”, un régime fiscal applicable à la production, à la transformation, à la détention ou à la circulation de produits soumis à accise non couverts par une procédure douanière suspensive ou par un régime douanier suspensif, les droits d’accise étant suspendus ;

[...]

11)      “entrepôt fiscal”, un lieu où les produits soumis à accise sont produits, transformés, détenus, reçus ou expédiés, sous un régime de suspension de droits par un entrepositaire agréé dans l’exercice de sa profession dans certaines conditions fixées par les autorités compétentes de l’État membre dans lequel se situe l’entrepôt fiscal. »

6        Le chapitre II de la même directive, intitulé « Exigibilité, remboursement, exonération de l’accise », comporte une section 1, intitulée « Lieu et moment de survenance de l’exigibilité », dont l’article 7 dispose :

« 1.      Les droits d’accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation et dans l’État membre où celle-ci s’effectue.

2.      Aux fins de la présente directive, on entend par “mise à la consommation” :

a)      la sortie, y compris la sortie irrégulière, de produits soumis à accise, d’un régime de suspension de droits ;

b)      la détention de produits soumis à accise en dehors d’un régime de suspension de droits pour lesquels le droit d’accise n’a pas été prélevé conformément aux dispositions [de l’Union] et à la législation nationale applicables ;

[...] »

7        Aux termes de l’article 8 de la directive 2008/118 :

« 1.      La personne redevable des droits d’accise devenus exigibles est :

a)      en ce qui concerne la sortie de produits soumis à accise d’un régime de suspension de droits visée à l’article 7, paragraphe 2, point a) :

[...]

ii)      en cas d’irrégularité lors d’un mouvement de produits soumis à accise sous un régime de suspension de droits, telle que définie à l’article 10, paragraphes 1, 2 et 4 : l’entrepositaire agréé, l’expéditeur enregistré ou toute autre personne ayant garanti le paiement des droits conformément à l’article 18, paragraphes 1 et 2, ou toute personne ayant participé à la sortie irrégulière et qui était consciente ou dont on peut raisonnablement penser qu’elle aurait dû être consciente du caractère irrégulier de la sortie ;

b)      en ce qui concerne la détention de produits soumis à accise visée à l’article 7, paragraphe 2, point b) : la personne détenant les produits soumis à accise ou toute autre personne ayant participé à leur détention ;

[...]

2.      Lorsque plusieurs débiteurs sont redevables d’une même dette liée à un droit d’accise, ils sont tenus au paiement de cette dette à titre solidaire. »

8        Le chapitre IV de cette directive, intitulé « Mouvements en suspension de droits des produits soumis à accise », comporte une section 1, intitulée « Dispositions générales », dont l’article 17 dispose, à son paragraphe 1 :

« Les produits soumis à accise peuvent circuler sous un régime de suspension de droits sur le territoire de [l’Union], y compris en transitant par un pays tiers ou un territoire tiers :

a)      d’un entrepôt fiscal vers :

i)      un autre entrepôt fiscal ;

[...] »

9        Ce chapitre comporte une section 2, intitulée « Procédure à suivre lors des mouvements en suspension de droits de produits soumis à accise », dont l’article 21 prévoit :

« 1.      Un mouvement de produits soumis à accise est considéré comme ayant lieu sous un régime de suspension de droits uniquement s’il est effectué sous le couvert d’un document administratif électronique établi conformément aux paragraphes 2 et 3.

2.      Aux fins du paragraphe 1 du présent article, l’expéditeur soumet un projet de document administratif électronique aux autorités compétentes de l’État membre d’expédition au moyen du système informatisé visé à l’article 1er de la décision no 1152/2003/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 16 juin 2003, relative à l’informatisation des mouvements et des contrôles des produits soumis à accises (JO 2003, L 162, p. 5)] [...].

3.      Les autorités compétentes de l’État membre d’expédition vérifient par voie électronique les données figurant dans le projet de document administratif électronique.

Lorsque ces données ne sont pas valides, l’expéditeur en est informé sans délai.

Lorsque ces données sont valides, les autorités compétentes de l’État membre d’expédition attribuent au document un code de référence administratif unique et le communiquent à l’expéditeur.

[...] »

10      Sous l’intitulé « Mouvements et imposition des produits soumis à accise après la mise à la consommation », le chapitre V de ladite directive comporte une section 2, intitulée « Détention dans un autre État membre », dont l’article 33 dispose :

« 1.      Sans préjudice de l’article 36, paragraphe 1, dans les cas où des produits soumis à accise ayant déjà été mis à la consommation dans un État membre sont détenus à des fins commerciales dans un autre État membre pour y être livrés ou y être utilisés, ils sont soumis aux droits d’accise, et les droits d’accise deviennent exigibles dans cet autre État membre.

Aux fins du présent article, on entend par “détention à des fins commerciales” la détention de produits soumis à accise par une personne autre qu’un particulier ou par un particulier autrement que pour ses besoins propres et transportés par lui-même, conformément à l’article 32.

[...]

3.      La personne redevable des droits d’accise, devenus exigibles, est, selon les cas visés au paragraphe 1, la personne qui effectue la livraison, ou qui détient les produits destinés à être livrés, ou à qui sont livrés les produits dans l’autre État membre.

4.      Sans préjudice de l’article 38, lorsque des produits soumis à accise qui ont déjà été mis à la consommation dans un État membre circulent dans [l’Union] à des fins commerciales, ils ne sont pas considérés comme étant détenus à ces fins avant d’avoir atteint l’État membre de destination, à condition qu’ils circulent sous couvert des formalités prévues à l’article 34.

[...] »

 Le droit du Royaume-Uni

11      L’article 13 des Excise Goods (Holding, Movement and Duty Point) Regulations 2010 [règlement de 2010 sur les produits soumis à accise (détention, circulation et moment de l’exigibilité)] (ci-après le « règlement de 2010 ») prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Lorsque des produits soumis à accise déjà mis à la consommation dans un autre État membre sont détenus à des fins commerciales au Royaume-Uni pour y être livrés ou y être utilisés, les droits d’accise deviennent exigibles au moment où ces produits y sont ainsi détenus pour la première fois.

2.      Selon les cas visés au paragraphe 1, la personne redevable des droits d’accise est la personne :

a)      qui effectue la livraison des produits ;

b)      qui détient les produits destinés à être livrés ; ou

c)      à qui sont livrés les produits. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

12      Le 6 septembre 2013, le poids lourd conduit par WR, travailleur indépendant, a été arrêté à son arrivée au port de Douvres (Royaume-Uni) par des agents de la United Kingdom Border Agency (agence des frontières du Royaume-Uni, ci-après l’« UKBA »). Le poids lourd contenait des produits soumis à accise, à savoir 26 palettes de bière (ci–après les « produits en cause »).

13      WR a présenté aux agents de l’UKBA une lettre de voiture « Cargo Movement Requirement », établie sur la base de la convention relative au contrat de transport international de marchandises par route, signée à Genève le 19 mai 1956, telle que modifiée par le protocole du 5 juillet 1978 (ci-après la « lettre de voiture CMR »). Il y était indiqué que les produits en cause étaient couverts par un document administratif électronique comportant un code de référence administrative (ci‑après le « CRA »), visé à l’article 21 de la directive 2008/118. Cette lettre précisait aussi que l’expéditeur était un entrepôt fiscal situé en Allemagne et que le destinataire était Seabrook Warehousing Ltd., un entrepôt fiscal situé au Royaume-Uni.

14      Toutefois, après consultation de l’Excise Movement and Control System – EMCS (système d’informatisation des mouvements et des contrôles des produits soumis à accise), les agents de l’UKBA ont pu établir que le CRA figurant sur la lettre de voiture CMR avait déjà été utilisé lors d’une autre livraison de bière pour le même entrepôt fiscal situé au Royaume-Uni. Ces agents ont, dès lors, considéré que les produits en cause ne circulaient pas sous un régime de suspension de droits et, par conséquent, que les droits d’accise y afférents étaient devenus exigibles à l’arrivée de ces produits au Royaume-Uni. Dans ces conditions, les agents de l’UKBA ont saisi les produits en cause, ainsi que le poids lourd qui les transportait.

15      Par la suite, l’administration fiscale et douanière a, d’une part, adressé à WR un avis de recouvrement de droits d’accise d’un montant de 22 779 livres sterling (GBP) (environ 26 400 euros), en application de l’article 13, paragraphes 1 et 2, du règlement de 2010 (ci-après l’« avis de recouvrement litigieux »), et, d’autre part, infligé à WR une amende de 4 897,48 GBP (environ 5 700 euros), en application des dispositions de l’annexe 41 du Finance Act 2008 (loi de finances de 2008).

16      Le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité), Royaume-Uni] a fait droit au recours formé par WR contre l’avis de recouvrement litigieux et l’amende. Cette juridiction a jugé que WR, même en sachant que les produits en cause étaient soumis à accise, n’était pas complice de la tentative de contrebande de ces produits. N’ayant pas accès au système d’informatisation des mouvements et des contrôles des produits soumis à accise, il ne disposait d’aucun moyen de vérifier si le CRA figurant dans la lettre de voiture CMR avait déjà été utilisé. Par ailleurs, rien dans la documentation dont il disposait n’était de nature à éveiller des doutes à cet égard. En outre, WR n’était pas propriétaire du poids lourd et n’avait aucun droit ou intérêt propre à l’égard des produits en cause, son seul but étant de collecter et de livrer ces produits conformément aux instructions reçues, en contrepartie d’une rémunération. Seules les personnes ayant organisé la tentative de contrebande disposeraient en fait et en droit du contrôle des produits en cause au moment de leur saisie. Ladite juridiction a encore constaté que WR avait informé de cette saisie la personne qui l’avait chargé de transporter les produits en cause, que l’identité des personnes à l’origine de la tentative de contrebande n’avait pas été établie et que l’administration fiscale et douanière n’avait pas tenté de déterminer l’identité de ces personnes ni celle du propriétaire du poids lourd.

17      Dans ces conditions, cette juridiction a, en application de la jurisprudence de la Court of Appeal (England & Wales) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles), Royaume-Uni], jugé que WR était un « agent innocent » et que, par conséquent, il ne pouvait pas être considéré comme ayant « détenu » ou « effectué la livraison » des produits en cause, au sens de l’article 13 du règlement de 2010. Selon la même juridiction, à défaut d’une connaissance réelle ou implicite de la possession matérielle de produits de contrebande par WR, retenir la responsabilité de celui-ci soulèverait de graves questions de compatibilité avec les objectifs de la législation applicable. Ainsi, le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité)] a annulé à la fois l’avis de recouvrement litigieux et l’amende infligée à WR.

18      L’Upper Tribunal (Tax and Chancery Chamber) [tribunal supérieur (chambre de la fiscalité et de la Chancery), Royaume-Uni] a rejeté l’appel interjeté par l’administration fiscale et douanière contre cette décision d’annulation. Cette juridiction a jugé, en substance, que la qualité d’« agent innocent » a pour effet d’exonérer de toute responsabilité les personnes qui n’ont pas une connaissance réelle ou implicite de ce que les produits qu’elles transportent sont des produits pour lesquels des droits d’accise auraient dû être acquittés mais ne l’ont pas été. Ainsi, il serait contraire tant à la directive 2008/118 qu’à la législation nationale de rendre « l’agent totalement innocent » responsable du paiement des droits d’accise éludés.

19      La juridiction de renvoi a rejeté le pourvoi formé par l’administration fiscale et douanière contre le jugement de l’Upper Tribunal (Tax and Chancery Chamber) [tribunal supérieur (chambre de la fiscalité et de la Chancery)], en ce qui concerne l’amende infligée à WR, mais éprouve des doutes sur le bien-fondé, au regard de la directive 2008/118, de la confirmation par cette dernière juridiction de l’annulation de l’avis de recouvrement litigieux.

20      Dans ces conditions, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile), Royaume-Uni] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une personne [...] qui est en possession matérielle de produits soumis à accise à un moment où les droits d’accise deviennent exigibles sur ces produits dans un État membre B, est-elle redevable de ces droits d’accise conformément à l’article 33, paragraphe 3, de la directive [2008/118] lorsque cette personne :

a)      n’avait aucun droit, ou intérêt juridique ou économique à l’égard des produits soumis à accise ;

b)      transportait les produits soumis à accise pour le compte d’autrui, en contrepartie d’une rémunération, entre l’État membre A et l’État membre B ; et

c)      savait que les marchandises en sa possession étaient des produits soumis à accise, mais ignorait et n’avait pas de raison de suspecter que les droits d’accise étaient devenus exigibles sur ces produits dans l’État membre B à la date où les droits d’accise étaient devenus exigibles ou avant cette date ?

2)      La réponse à la première question diffère-t-elle si la personne en cause [...] ne savait pas que les marchandises en sa possession étaient des produits soumis à accise ? »

 Sur les questions préjudicielles

21      Par ses questions, auxquelles il convient de répondre conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 33, paragraphe 3, de la directive 2008/118 doit être interprété en ce sens qu’une personne qui transporte, pour le compte d’autrui, des produits soumis à accise vers un autre État membre et qui est en possession matérielle de ces produits au moment où les droits d’accise y afférents sont devenus exigibles, est redevable de ces droits, au titre de cette disposition, même si elle n’a aucun droit ou intérêt à l’égard desdits produits et n’est pas consciente que ceux-ci sont soumis à accise ou, l’étant, n’est pas consciente que les droits d’accise y afférents sont devenus exigibles.

22      Aux termes de l’article 33, paragraphe 1, de la directive 2008/118, dans les cas où des produits soumis à accise ayant déjà été mis à la consommation dans un État membre sont détenus, à des fins commerciales – c’est-à-dire par une personne autre qu’un particulier ou par un particulier autrement que pour ses besoins propres et transportés par lui-même –, dans un autre État membre pour y être livrés ou utilisés, les droits d’accise deviennent exigibles dans cet autre État membre. En vertu du paragraphe 3 de cet article, est redevable des droits d’accise « la personne qui effectue la livraison, ou qui détient les produits destinés à être livrés, ou à qui sont livrés les produits dans l’autre État membre ».

23      La directive 2008/118 ne définit pas la notion de personne qui « détient » les produits soumis à accise, au sens de l’article 33, paragraphe 3, de cette directive ni ne procède à un renvoi au droit des États membres pour définir cette notion. Conformément à une jurisprudence constante, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être établie conformément au sens habituel de ceux-ci dans le langage courant, en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2020, Santen, C‑673/18, EU:C:2020:531, point 41, et du 16 juillet 2020, AFMB e.a., C‑610/18, EU:C:2020:565, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

24      Or, la notion de personne qui « détient » des produits vise, dans le langage courant, une personne qui est en possession matérielle de ces produits. À cet égard, la question de savoir si la personne concernée a un droit ou un quelconque intérêt à l’égard des produits qu’elle détient est dépourvue de pertinence.

25      Par ailleurs, rien dans le libellé de l’article 33, paragraphe 3, de la directive 2008/118 n’indique que la qualité de redevable des droits d’accise, au titre de « personne qui détient les produits destinés à être livrés », dépend de la vérification d’une condition tenant à ce que cette personne soit consciente ou aurait dû raisonnablement être consciente de l’exigibilité des droits d’accise en vertu de cette disposition.

26      Cette interprétation littérale est corroborée par l’économie de la directive 2008/118.

27      Ainsi, en vertu de l’article 7, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous b), de cette directive, les droits d’accise deviennent exigibles au moment de la « mise à la consommation » dans l’État membre où celle-ci s’effectue. La notion de « mise à la consommation » est définie comme la détention de produits soumis à accise en dehors d’un régime de suspension de droits, sans que l’accise ait été prélevée. En pareil cas, la personne redevable des droits d’accise est, conformément à l’article 8, paragraphe 1, sous b), de ladite directive, « la personne détenant [c]es produits [...] ou toute autre personne ayant participé à leur détention ».

28      Or, à l’instar de l’article 33, paragraphe 3, de la directive 2008/118, l’article 8, paragraphe 1, sous b), de cette directive ne comporte aucune définition expresse de la notion de « détention » et n’exige pas que la personne concernée soit titulaire d’un droit ou ait un quelconque intérêt à l’égard des produits qu’elle détient, ni que celle-ci soit consciente ou aurait dû raisonnablement être consciente de l’exigibilité des droits d’accise en vertu de cette disposition.

29      En revanche, dans un cas de figure différent de celui visé à l’article 33, paragraphe 3, de la directive 2008/118, à savoir dans le cas d’une irrégularité lors d’un mouvement de produits soumis à accise sous un régime de suspension de droits, au sens de l’article 4, point 7, de cette directive, l’article 8, paragraphe 1, sous a), ii), de ladite directive prévoit qu’est redevable des droits d’accise toute personne ayant participé à la sortie irrégulière de ces produits du régime de suspension de droits et qui, en outre, « était consciente ou dont on peut raisonnablement penser qu’elle aurait dû être consciente du caractère irrégulier de la sortie ». Cette seconde condition, assimilable à l’exigence d’un élément intentionnel, n’a été reprise par le législateur de l’Union ni à l’article 33, paragraphe 3, ni, par ailleurs, à l’article 8, paragraphe 1, sous b), de la même directive (voir, par analogie, arrêt du 17 octobre 2019, Comida paralela 12, C‑579/18, EU:C:2019:875, point 39).

30      Il s’ensuit que, lorsque, dans la directive 2008/118, le législateur de l’Union a voulu qu’un élément intentionnel soit pris en compte afin de déterminer la personne redevable des droits d’accise, il y a prévu une disposition expresse en ce sens.

31      En outre, une interprétation limitant la qualité de redevable des droits d’accise au titre de « personne qui détient les produits destinés à être livrés », au sens de l’article 33, paragraphe 3, de la directive 2008/118, aux seules personnes qui sont conscientes ou auraient dû raisonnablement être conscientes de l’exigibilité des droits d’accise, ne serait pas conforme aux objectifs poursuivis par la directive 2008/118, parmi lesquels figure la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2017, Commission/Portugal, C‑126/15, EU:C:2017:504, point 59).

32      En effet, cette directive établit, ainsi que l’énonce son article 1er, paragraphe 1, le régime général des droits d’accise frappant directement ou indirectement la consommation des produits qui y sont énumérés et ce, notamment, afin que, ainsi qu’il ressort de ses considérants 2 et 8, l’exigibilité de l’accise soit identique dans tous les États membres et que la dette fiscale y afférente soit effectivement recouvrée (voir, par analogie, arrêt du 5 avril 2001, Van de Water, C‑325/99, EU:C:2001:201, points 39 et 41).

33      À cet égard, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 29 de ses conclusions, le législateur de l’Union a entendu définir largement, à l’article 33, paragraphe 3, de la directive 2008/118, la catégorie des personnes redevables des droits d’accise en cas de mouvement de produits soumis à accise déjà « mis à la consommation » dans un État membre et détenus, à des fins commerciales, dans un autre État membre pour y être livrés ou y être utilisés, et ce de façon à assurer autant que possible le recouvrement de ces droits.

34      Or, retenir une condition supplémentaire tenant à ce que la « personne qui détient les produits destinés à être livrés », au sens de l’article 33, paragraphe 3, de la directive 2008/118, soit consciente ou aurait dû raisonnablement être consciente de l’exigibilité des droits d’accise, rendrait difficile, en pratique, le recouvrement de ces droits auprès de la personne avec laquelle les autorités nationales compétentes sont directement en contact et qui, dans plusieurs situations, est la seule de laquelle ces autorités peuvent, dans la pratique, exiger le paiement desdits droits.

35      Cette interprétation de l’article 33, paragraphe 3, de la directive 2008/118 est sans préjudice de la possibilité, éventuellement prévue par le droit national, pour la personne qui a, au titre de cette disposition, acquitté les droits d’accise devenus exigibles de former une action récursoire à l’encontre d’une autre personne redevable de ces droits (voir, par analogie, arrêt du 17 octobre 2019, Comida paralela 12, C‑579/18, EU:C:2019:875, point 44).

36      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 33, paragraphe 3, de la directive 2008/118 doit être interprété en ce sens qu’une personne qui transporte, pour le compte d’autrui, des produits soumis à accise vers un autre État membre et qui est en possession matérielle de ces produits au moment où les droits d’accise y afférents sont devenus exigibles, est redevable de ces droits, au titre de cette disposition, même si elle n’a aucun droit ou intérêt à l’égard desdits produits et n’est pas consciente que ceux-ci sont soumis à accise ou, l’étant, n’est pas consciente que les droits d’accise y afférents sont devenus exigibles.

 Sur les dépens

37      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

L’article 33, paragraphe 3, de la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE, doit être interprété en ce sens qu’une personne qui transporte, pour le compte d’autrui, des produits soumis à accise vers un autre État membre et qui est en possession matérielle de ces produits au moment où les droits d’accise y afférents sont devenus exigibles, est redevable de ces droits, au titre de cette disposition, même si elle n’a aucun droit ou intérêt à l’égard desdits produits et n’est pas consciente que ceux-ci sont soumis à accise ou, l’étant, n’est pas consciente que les droits d’accise y afférents sont devenus exigibles.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.