Language of document : ECLI:EU:C:2023:408

ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

10 mai 2023 (*)

« Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Aides d’État – Prétendue aide d’État accordée par un État membre en faveur d’un fonds de fonds – Examen préliminaire de la Commission européenne – Décision de la Commission constatant l’absence d’aide d’État – Recours en annulation – Recevabilité – Règlement (UE) 2015/1589 – Article 1er, sous h) – Notion de “partie intéressée” »

Dans l’affaire C‑665/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 5 novembre 2021,

MKB Multifunds BV, établie à Zierikzee (Pays-Bas), représentée initialement par Mes R. Rampersad et J. M. M. van de Hel, advocaten, puis par Mes P. Breithaupt et J. M. M. van de Hel, advocaten,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par M. V. Bottka, Mme C.‑M. Carrega et M. S. Noë, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. K. Bulterman et C. S. Schillemans, en qualité d’agents,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. M. Safjan, président de chambre, MM. N. Piçarra (rapporteur) et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, MKB Multifunds BV  demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 6 septembre 2021, MKB Multifunds/Commission (T‑277/20, non publiée, ci-après l’« ordonnance attaquée »), par laquelle celui-ci a rejeté comme étant irrecevable son recours tendant, d’une part, à l’annulation de la décision C(2020) 1109 final de la Commission, du 27 février 2020, concernant l’aide SA.55704. (2019/FC) – Pays‑Bas, relative à une prétendue aide d’État octroyée à la Dutch Venture Initiative (ci-après la « décision litigieuse »), et, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint à la Commission européenne d’ouvrir une procédure formelle d’examen en vertu de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

 Le cadre juridique

2        Aux termes de l’article 1er, sous h), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9) :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

h)      “partie intéressée” : tout État membre et toute personne, entreprise ou association d’entreprises dont les intérêts pourraient être affectés par l’octroi d’une aide, en particulier le bénéficiaire de celle-ci, les entreprises concurrentes et les associations professionnelles. »

3        L’article 24, paragraphe 2, deuxième alinéa, de ce règlement prévoit :

« Lorsque la Commission estime que la partie intéressée ne respecte pas l’obligation de recourir au formulaire de plainte ou que les éléments de fait et de droit invoqués par la partie intéressée ne suffisent pas à démontrer, sur la base d’un examen à première vue, l’existence d’une aide d’État illégale ou l’application abusive d’une aide, elle en informe la partie intéressée et l’invite à présenter ses observations dans un délai déterminé qui ne dépasse normalement pas un mois. [...] »

 Les antécédents du litige

4        Les antécédents du litige, tels qu’ils ressortent des points 1 à 16 de l’ordonnance attaquée, peuvent être résumés comme suit.

5        Dutch Venture Initiative (ci-après « DVI ») est un fonds d’investissement qui investit dans d’autres fonds. Il a été créé conjointement par le Ministerie van Economische Zaken en Klimaat (ministère des Affaires économiques et du Climat, Pays-Bas), par la société de développement publique PPM Oost et par le Fonds européen d’investissement (FEI). L’activité de DVI se concentre sur les fonds de capital-investissement dont les destinataires sont des petites et moyennes entreprises (PME).

6        Le 24 septembre 2018, MKB Multifunds a déposé une plainte auprès de la Commission, estimant que le Royaume des Pays-Bas avait octroyé des aides d’État illégales à DVI, à PPM Oost, au FEI, aux fonds de capital-investissement dans lesquels DVI investit, ainsi qu’aux PME dans lesquelles les fonds de capital‑investissement concernés investissent. MKB Multifunds a fait valoir que, en raison des aides alléguées, elle a éprouvé des difficultés à attirer des investisseurs privés et qu’elle a eu moins de possibilités d’investissement, compte tenu du nombre trop élevé de soumissions pour les fonds de capital-investissement dans lesquels elle souhaitait investir.

7        Le 8 octobre 2018, la Commission a transmis une version non confidentielle de la plainte de la requérante aux autorités néerlandaises. Celles-ci ont déposé leurs observations le 17 décembre 2018.

8        Le 21 décembre 2018, la Commission a, conformément à l’article 24, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement 2015/1589, adressé à la requérante une lettre contenant une première évaluation préliminaire. La Commission y concluait que les mesures contestées ne constituaient pas, a priori, une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

9        Le 28 mai 2019, la Commission a, conformément à cet article 24, paragraphe 2, deuxième alinéa, adressé à la requérante une seconde évaluation préliminaire, par laquelle elle lui a indiqué qu’elle maintenait sa position.

10      La requérante a fait part de son désaccord à la Commission et a exposé, avec davantage de précisions, les raisons pour lesquelles elle contestait cette position. Elle a également transmis à la Commission des informations complémentaires.

11      Le 27 février 2020, la Commission, après avoir obtenu des autorités néerlandaises les éclaircissements demandés, a adopté la décision litigieuse. Au point 75 de celle-ci, elle a conclu que l’accord financier entre le Royaume des Pays-Bas et PPM Oost, l’investissement de cet État membre dans DVI, par l’intermédiaire de PPM Oost, les frais de gestion que verse DVI au FEI, les investissements de DVI dans des fonds de capital-investissement et les investissements dans des PME, réalisés par des fonds de capital-investissement financés par DVI, ne constituent pas des aides d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dès lors qu’ils ne confèrent pas d’avantage économique à une entreprise.

 Le recours devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 mai 2020, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse et à ce qu’il soit enjoint à la Commission d’ouvrir une procédure formelle d’examen, en vertu de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

13      La Commission, soutenue par le Royaume des Pays-Bas, a fait valoir que le recours était irrecevable, dans la mesure où aucune des conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, n’était satisfaite en l’espèce. Selon elle, premièrement, la requérante n’était pas la destinataire de la décision litigieuse, deuxièmement, cette décision ne constituait pas un acte réglementaire, puisqu’elle serait dépourvue de toute portée générale, et, troisièmement, ladite décision ne concernait pas directement et individuellement la requérante. De plus, la requérante n’aurait pas démontré qu’elle était une « partie intéressée », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, et de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, et n’aurait pas établi que les aides alléguées affectaient substantiellement sa position sur le marché en cause.

14      S’agissant, dans un premier temps, de la demande en annulation, le Tribunal a, en premier lieu, aux points 29 à 52 de l’ordonnance attaquée, examiné la recevabilité du recours contre la décision litigieuse, en ce que, par celui-ci, la requérante contestait la décision de la Commission de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108 TFUE.

15      En se fondant sur l’arrêt du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex (C‑83/09 P, EU:C:2011:341, points 63 à 65), le Tribunal a rappelé, au point 30 de cette ordonnance, que l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589 n’exclut pas qu’une entreprise, qui n’est pas une concurrente directe du bénéficiaire de l’aide, puisse être qualifiée de « partie intéressée », lorsqu’elle fait valoir que ses intérêts pourraient être affectés par l’octroi de cette aide, en démontrant que celle-ci risque d’avoir une incidence concrète sur sa situation.

16      Après avoir analysé, aux points 31 à 42 de l’ordonnance attaquée, les différents éléments de preuve fournis par la requérante, le Tribunal en a déduit, au point 43 de cette ordonnance, que la requérante n’avait pas démontré à suffisance de droit qu’elle exerçait ou avait exercé une activité économique dans le secteur des fonds de fonds et que, partant, elle était en concurrence, effective ou potentielle, avec DVI. Aux points 44 à 50 de ladite ordonnance, le Tribunal a considéré que la requérante n’avait pas démontré avoir eu des possibilités réelles et concrètes d’intégrer le secteur des fonds de fonds, ni que sa renonciation à intégrer le marché concerné trouvait son origine dans l’octroi des aides alléguées ou que ses prétendues pertes étaient la conséquence de cet octroi. Il en a déduit, au point 51 de l’ordonnance attaquée, que la requérante n’avait pas démontré à suffisance de droit que l’octroi des aides alléguées était susceptible d’avoir une incidence concrète sur sa situation.

17      En conséquence, le Tribunal a estimé, au point 52 de l’ordonnance attaquée, que, à défaut de constituer un « intéressé », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, la requérante ne saurait bénéficier de la garantie procédurale prévue par cette disposition et mise en œuvre, en particulier, par l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589. Le Tribunal a ainsi jugé que la requérante n’était pas recevable à contester la décision de la Commission de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen.

18      En second lieu, aux points 53 à 55 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a examiné la recevabilité du recours en ce que, par celui-ci, la requérante contestait l’appréciation de la Commission sur les mesures en cause au regard de l’article 107 TFUE.

19      Il a rappelé que la requérante devait démontrer avoir la qualité pour agir au titre l’article 263, quatrième alinéa, premier et deuxième membres de phrase, TFUE, notamment avoir un statut particulier au sens de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17). Il a ensuite constaté que la requérante ne s’était prévalue d’aucun argument concret établissant que la décision litigieuse l’atteignait en raison de certaines qualités qui lui seraient particulières, ou d’une situation de fait qui la caractériserait par rapport à toute autre personne, en démontrant, notamment, que l’octroi des aides alléguées avait substantiellement affecté sa position sur le marché.

20      Après avoir constaté que la requérante n’avait pas établi être individuellement concernée par la décision litigieuse, le Tribunal a, conformément à l’article 126 de son règlement de procédure, rejeté le recours comme étant manifestement irrecevable.

21      Dans un second temps, le Tribunal a rejeté, au point 57 de l’ordonnance attaquée, la demande d’injonction, en rappelant que, dans le cadre d’un recours en annulation fondé sur l’article 263 TFUE, la compétence du juge de l’Union européenne est limitée au contrôle de la légalité de l’acte attaqué et que, dans ces conditions, le Tribunal ne peut pas, dans l’exercice de ses compétences, adresser d’injonctions aux institutions de l’Union.

 Les conclusions des parties

22      La requérante demande à la Cour :

–        de dire que son pourvoi est fondé et la déclarer recevable à agir ;

–        d’annuler l’ordonnance attaquée ;

–        de lui substituer l’arrêt de la Cour et d’annuler la décision litigieuse, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

23      La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de la requérante aux dépens.

24      Le Royaume des Pays-Bas, partie intervenante en première instance au soutien de la Commission, conclut également au rejet du pourvoi et à la condamnation de la requérante aux dépens.

 Sur le pourvoi

25      En vertu de l’article 181 du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de le rejeter totalement ou partiellement, par voie d’ordonnance motivée.

26      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

27      À l’appui de son pourvoi, la requérante invoque trois moyens. Par décision du président de la Cour, du 4 mars 2022, elle a été autorisée à répliquer.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 36 du protocole (no 3) sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 51 TUE

 Argumentation des parties

28      La requérante soutient que le Tribunal, en ayant estimé, aux points 36 à 38 de l’ordonnance attaquée, qu’aucune valeur probante ne pouvait être attachée à ses déclarations, selon lesquelles elle exerce une activité effective dans le secteur des holdings financières et dans celui de la consultance en investissement ou est sur le point de l’exercer, sans exposer les raisons pour lesquelles ces déclarations ne seraient pas fiables, a violé son obligation de motivation découlant des dispositions combinées de l’article 36 du protocole (no 3) sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 51 TUE.

29      Le Tribunal, en se bornant à constater que la description de l’activité économique de la requérante repose sur ses propres déclarations, ce qui ne saurait démontrer l’existence d’une activité économique effective ou une possibilité réelle et concrète d’intégration du marché en cause, aurait méconnu les règles en matière de charge et d’administration de la preuve.

30      La requérante reproche, en outre, au Tribunal de ne pas avoir vérifié la fiabilité de ces déclarations « en déférant le serment au directeur général de MKB Multifunds ».

31      La Commission et le Royaume des Pays-Bas concluent au rejet de ce moyen.

 Appréciation de la Cour

32      Par le premier moyen, tiré d’un défaut de motivation, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en ayant jugé, aux points 36 à 38 de l’ordonnance attaquée, sans en exposer les raisons, que ses déclarations étaient dépourvues de valeur probante.

33      Ainsi qu’il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est donc seul compétent, d’une part, pour constater les faits et les éléments de preuve, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits ainsi que ces éléments de preuve (voir, notamment, arrêts du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma de Galicia et Retegal/Commission, C‑70/16 P, EU:C:2017:1002, point 47, ainsi que du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne, C‑933/19 P, EU:C:2021:905, point 92 ainsi que jurisprudence citée).

34      Ainsi, dès lors que les éléments de preuve ont été obtenus régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue pas une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal (arrêt du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne, C‑933/19 P, EU:C:2021:905, point 93). Une telle dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation de ces éléments (arrêt du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma de Galicia et Retegal/Commission, C‑70/16 P, EU:C:2017:1002, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

35      En l’espèce, il convient de relever que, par le premier moyen, la requérante, sous couvert d’un défaut de motivation, critique l’appréciation des éléments de preuve faite par le Tribunal, à l’issue de laquelle il a jugé que ses déclarations ne permettaient pas de constater qu’elle exerçait une activité économique réelle et effective dans le secteur des fonds de fonds. Or, cette appréciation ne constitue pas une question de droit et, contrairement à ce que la requérante a soutenu dans sa réplique, aucune dénaturation, par le Tribunal, des éléments de preuve indiqués aux points 36 à 38 de l’ordonnance attaquée n’a été soulevée dans la requête de pourvoi.

36      Une dénaturation des éléments de preuve invoquée pour la première fois au stade de la réplique constitue un moyen nouveau invoqué en cours d’instance. Or, il ressort de l’article 127, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, rendu applicable à la procédure de pourvoi par l’article 190, paragraphe 1, de ce règlement, que la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins qu’ils ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure (voir, notamment, arrêt du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C‑413/08 P, EU:C:2010:346, point 43 et jurisprudence citée). Dès lors que la requérante n’a soulevé ce moyen qu’au stade de la réplique et que celui-ci ne se fonde pas sur des éléments qui se seraient révélés après l’introduction de son pourvoi, il y a lieu d’écarter ledit moyen comme tardif.

37      En conséquence, le premier moyen doit être rejeté comme étant manifestement irrecevable.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit dans l’interprétation de la notion de « partie intéressée »

 Argumentation des parties

38      Selon MKB Multifunds, l’interprétation de la notion de « partie intéressée », visée à l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, retenue par le Tribunal au point 30 de l’ordonnance attaquée, est erronée en ce qu’elle revient à exiger de la requérante qu’elle démontre, d’une part, être en concurrence directe avec DVI et, d’autre part, que l’octroi des aides alléguées a eu des conséquences concrètes sur sa situation. Or, il résulterait de l’arrêt du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex (C‑83/09 P, EU:C:2011:341, point 64), qu’une entreprise qui n’est pas en concurrence directe avec le bénéficiaire de l’aide, mais nécessite pour son processus de production la même matière première que celui-ci, a la qualité de « partie intéressée », lorsque les intérêts de cette entreprise pourraient être affectés par l’octroi de l’aide illégale.

39      À cet égard, la requérante critique, en premier lieu, les points 33 à 46 de l’ordonnance attaquée en ce que le Tribunal aurait estimé qu’elle n’avait aucune intention d’intégrer le secteur des fonds de fonds. Or, la requérante affirme avoir démontré davantage qu’une intention, dans la mesure où elle aurait indiqué être déjà prête à attirer des investisseurs en 2013, ainsi qu’en attesteraient plusieurs articles de presse.

40      Elle fait également valoir que l’appréciation du Tribunal, figurant au point 40 de cette ordonnance, selon laquelle, « en tout état de cause, la production de ces comptes annuels pour l’année 2014 est sans pertinence en l’espèce », est incompréhensible. Elle expose que son activité a généré des revenus en 2014, de telle sorte qu’elle a non seulement exercé des activités économiques sur le marché, mais qu’elle disposait également de ressources suffisantes pour intégrer le secteur des fonds de fonds. Elle soutient ainsi avoir exercé une activité sur ce marché avant même que DVI ne soit établie.

41      Elle affirme, par ailleurs, en se fondant sur des articles de presse, que l’ingérence du gouvernement néerlandais, lequel aurait incité des fonds privés à investir dans DVI, l’a privée d’investisseurs dont le capital constituerait « la matière première », au sens du point 64 de l’arrêt du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex (C‑83/09 P, EU:C:2011:341), nécessaire à la création d’un fonds.

42      En deuxième lieu, la requérante reproche au Tribunal d’avoir exigé, au point 44 de l’ordonnance attaquée, qu’elle rapporte la preuve de ses possibilités réelles et concrètes d’intégrer le secteur des fonds de fonds et de concurrencer les entreprises présentes sur ce secteur. Il ne ressortirait pas de la « jurisprudence dominante » qu’elle doive prouver avoir effectivement exercé une activité dans le secteur des fonds de fonds, afin de pouvoir être considérée comme une « partie intéressée ».

43      La requérante estime devoir être qualifiée, à tout le moins, de concurrente potentielle de DVI, dès lors qu’elle a développé une activité dite de « pré‑commercialisation », laquelle constituerait un préalable à l’offre finale de nouveaux produits d’investissement. La reconnaissance et la réglementation de cette activité par la directive 2019/1160/UE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, modifiant les directive 2009/65/CE et 2011/61/UE en ce qui concerne la distribution transfrontalière des organismes de placement collectif (JO 2019, L 188, p. 106), indiquerait qu’il s’agit d’une activité de marché exercée par les fonds d’investissement alternatifs. Le Tribunal aurait méconnu cet élément en affirmant, au point 35 de l’ordonnance attaquée, qu’« aucun élément ne démontre la réalité et l’effectivité de l’activité économique [de MKB] dans le secteur des fonds de fonds ». Cette activité économique serait pourtant également attestée par une brochure et un article de presse présentés devant le Tribunal.

44      En troisième lieu, la requérante estime que l’appréciation du Tribunal, figurant aux points 41, 47 à 49 et 51 de l’ordonnance attaquée, revient à exiger qu’elle démontre avoir subi un préjudice à la suite de l’octroi de l’aide illégale. Cette analyse serait ainsi contraire à l’arrêt du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex (C‑83/09 P, EU:C:2011:341, points 63 à 65), dont il résulterait que, pour être considérée comme une « partie intéressée », l’entreprise en cause doit uniquement démontrer que ses intérêts pourraient être affectés par l’octroi de l’aide.

45      Dans sa réplique, la requérante a produit une décision de l’Autoriteit Consument en Markt (ACM) (Autorité des consommateurs et du marché, Pays-Bas) la qualifiant de « partie intéressée » à la suite d’une plainte qu’elle a déposée contre le Minister van Economische Zaken en Klimaat (ministre des Affaires économiques et du Climat, Pays-Bas) concernant les fonds de DVI. Elle relève que l’ACM, après avoir déclaré sa plainte recevable, a estimé « qu’il était suffisamment établi que MKB Multifunds avait des plans concrets pour investir dans des fonds de capital-risque » et que cette société était, de ce fait, un concurrent potentiel des fonds de DVI. La requérante considère que cette décision constitue un « fait nouveau » qui suffit à démontrer sa qualité de « partie intéressée » en l’espèce.

46      La Commission et le Royaume des Pays-Bas concluent au rejet de ce moyen. Le Royaume des Pays-Bas, dans sa duplique, estime que l’appréciation du Tribunal figurant au point 33 de l’ordonnance attaquée n’est pas remise en cause par la circonstance que, dans le cadre d’une procédure nationale, la requérante ait été qualifiée de « partie intéressée », au sens de la loi nationale. Ainsi, d’une part, l’ACM n’aurait pas apprécié la qualité de partie intéressée de la requérante, au sens du règlement 2015/1589. D’autre part, la notion de « partie intéressée », au sens, respectivement, du droit néerlandais et du droit de l’Union, aurait une portée différente.

 Appréciation de la Cour

47      Par le deuxième moyen, la requérante soutient que le Tribunal, en ayant, aux points 30 à 51 de l’ordonnance attaquée, jugé qu’elle n’avait pas démontré que l’octroi des aides alléguées était susceptible d’avoir une incidence concrète sur sa situation, a interprété de manière erronée la notion de « partie intéressée », au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589. Cette interprétation reviendrait à exiger, en méconnaissance de l’arrêt du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex (C‑83/09 P, EU:C:2011:341, point 64), que la requérante démontre qu’elle exerce une activité économique sur le même marché que le bénéficiaire de l’aide, qu’elle est en situation de concurrence directe, ou au moins de concurrence potentielle, avec DVI et que l’octroi des aides alléguées lui a causé un préjudice.

48      À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 30 de l’ordonnance attaquée, il résulte des points 63 à 65 de l’arrêt du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex (C‑83/09 P, EU:C:2011:341), que l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589 n’exclut pas qu’une entreprise qui n’est pas une concurrente directe du bénéficiaire de l’aide soit qualifiée de « partie intéressée », pour autant qu’elle fasse valoir que ses intérêts pourraient être affectés par l’octroi de l’aide, en démontrant, à suffisance de droit, que l’aide risque d’avoir une incidence concrète sur sa situation. La Cour en a, par ailleurs, déduit que, si l’atteinte portée aux intérêts de cette entreprise peut n’être que potentielle, un risque d’incidence concrète sur ces mêmes intérêts doit pouvoir être démontré à suffisance de droit (arrêt du 7 avril 2022, Solar Ileias Bompaina/Commission, C‑429/20 P, EU:C:2022:282, point 35).

49      Or, le Tribunal a d’abord précisé, au point 32 de l’ordonnance attaquée, que la circonstance que la requérante ait déposé une plainte peut constituer un indice que l’octroi des aides alléguées affecte les intérêts de celle-ci et qu’elle ait, de ce fait, la qualité de « partie intéressée ». Ensuite, aux points 33 à 44 de cette ordonnance, le Tribunal a examiné si, au regard des éléments produits par la requérante, celle‑ci exerçait une activité réelle et effective dans le secteur concerné ou était en relation de concurrence effective ou au moins potentielle avec DVI et a considéré que tel n’était pas le cas. Enfin, le Tribunal a examiné l’incidence des aides en cause sur la situation de la requérante au regard des éléments de preuve produits par celle-ci.

50      Au point 44 de ladite ordonnance, le Tribunal a ainsi jugé que la requérante n’avait pas démontré que « la renonciation à développer son propre fonds de fonds et donc à intégrer le marché concerné trouvait son origine dans l’octroi des aides alléguées ». Aux points 45 à 49 de l’ordonnance attaquée, il a relevé que la requérante, premièrement, n’avait évoqué que « des considérations générales » selon lesquelles elle aurait cherché à conclure un partenariat avec les autorités néerlandaises en vue de la création d’un fonds de fonds, deuxièmement, qu’elle avait produit des courriers électroniques qui n’illustraient que ses « intentions » et non le commencement d’une activité économique dans le secteur concerné, troisièmement, qu’elle n’avait pas fourni de preuve des difficultés qu’elle aurait éprouvées pour attirer des investisseurs privés et pour accéder à certains fonds de capital-investissement, « ni même, à la supposer existante, que cette impossibilité d’accès découlerait de l’octroi des aides alléguées », et, quatrièmement, qu’elle n’avait pas « démontré en quoi ses prétendues pertes depuis l’année 2016 étaient la conséquence de l’octroi des aides alléguées à DVI ».

51      C’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal en a déduit, au point 51 de cette ordonnance, que la requérante, contrairement à ce que lui imposait la jurisprudence issue de l’arrêt du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex (C‑83/09 P, EU:C:2011:341), n’avait pas démontré à suffisance de droit que l’octroi desdites aides était susceptible d’avoir une incidence concrète sur sa situation.

52      Par ailleurs, en ce qui concerne le fait nouveau, survenu en cours d’instance, invoqué par la requérante dans sa réplique afin d’établir sa qualité de « partie intéressée », au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, il suffit de relever que la Cour, statuant sur pourvoi, n’est pas compétente pour contrôler, sur le fondement d’éléments de preuve qui sont apparus après la signification de l’ordonnance attaquée et dont le Tribunal ne disposait pas, la manière dont ce dernier a exercé son contrôle juridictionnel dans le cadre d’un recours en annulation fondé sur l’article 263 TFUE (voir, en ce sens, ordonnance du 21 juillet 2020, Abaco Energy e.a./Commission, C‑436/19 P, non publiée, EU:C:2020:606, point 38). Partant, la requérante n’est pas recevable à faire valoir, dans le cadre du présent pourvoi, la décision de l’ACM en tant qu’élément de preuve.

53      En conséquence, le deuxième moyen doit être rejeté comme étant en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit dans l’application de la notion d’acte qui « la concerne individuellement », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE

 Argumentation des parties

54      La requérante reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en ce qu’il ne l’a pas considérée, aux points 53 à 55 de l’ordonnance attaquée, comme étant « individuellement concernée », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, par la décision litigieuse, alors que, en tant que concurrente de DVI, ses intérêts sont affectés par cette décision. Elle se serait même renseignée auprès du ministère des Affaires économiques et du Climat, en 2012 et en 2014, sur les possibilités d’octroi de subventions, analogues à celles versées à DVI.

55      Dans sa réplique, la requérante affirme également avoir été entravée dans l’exercice de sa liberté d’entreprendre, garantie à l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), dans la mesure où ce ministère, en raison de l’octroi d’aides illégales, l’aurait empêchée de continuer à développer ses activités économiques. Elle ajoute que l’application d’un critère plus strict que celui prévu par la jurisprudence concernant l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, aurait pour conséquence pratique de la priver de son droit à un recours effectif, garanti à l’article 47 de la Charte.

56      La Commission et le Royaume des Pays-Bas concluent au rejet de ce moyen.

 Appréciation de la Cour

57      Par le troisième moyen, la requérante soutient, en substance, que le Tribunal a, aux points 53 à 55 de l’ordonnance attaquée, commis une erreur de droit dans l’interprétation et l’application de la notion de « personne individuellement concernée », visée à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

58      En ce que la requérante soutient être « individuellement concernée » par la décision litigieuse « en tant que concurrente de DVI », il importe de rappeler que l’existence d’une relation de concurrence entre une partie requérante et le bénéficiaire d’une aide ne suffit pas pour considérer que la décision par laquelle la prétendue aide est octroyée affecte substantiellement la partie requérante sur le marché et l’individualise d’une manière analogue à celle d’un destinataire (voir, notamment, arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, points 99 et 100). Partant, cet argument est manifestement non fondé.

59      En ce que la requérante, dans sa réplique, se prévaut d’une violation des articles 16 et 47 de la Charte, il suffit de relever qu’il s’agit d’un moyen nouveau, qui doit être déclaré irrecevable sur le fondement de l’article 127, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, rendu applicable à la procédure de pourvoi par l’article 190, paragraphe 1, de ce règlement.

60      En conséquence, le troisième moyen doit être rejeté comme étant en partie manifestement non fondé et en partie manifestement irrecevable.

61      Eu égard aux motifs qui précèdent, le pourvoi doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

62      Aux termes de l’article 137 du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance.

63      Conformément à l’article 138, paragraphe 1, dudit règlement, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu de cet article 184, paragraphe 1, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à sa condamnation aux dépens, il y a lieu de condamner la requérante à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

64      En vertu de l’article 184, paragraphe 4, du règlement de procédure, lorsqu’une partie intervenante en première instance n’a pas, elle-même, formé le pourvoi, cette partie ne peut être condamnée aux dépens dans la procédure de pourvoi que si elle a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour. Lorsque ladite partie participe à la procédure, la Cour peut décider qu’elle supportera ses propres dépens. Le Royaume des Pays-Bas, ayant participé à la procédure devant la Cour, il y a lieu de décider, dans les circonstances de l’espèce, qu’il supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) ordonne :

1)      Le pourvoi est rejeté comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondé.

2)      MKB Multifunds BV est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

3)      Le Royaume des Pays-Bas supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.