Language of document : ECLI:EU:C:2023:442

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

5 juin 2023 (*)

Table des matières


Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le traité UE

La Charte

Le RGPD

Le droit polonais

La Constitution

La loi modifiée sur la Cour suprême

La loi modifiée relative aux juridictions de droit commun

La loi modifiée relative aux juridictions administratives

Les dispositions transitoires figurant dans la loi modificative

La procédure précontentieuse

La procédure devant la Cour

Sur le recours

Sur la compétence de la Cour, sur l’État de droit et l’indépendance de la justice et sur la primauté du droit de l’Union

Sur le maintien de l’objet du litige

Sur le quatrième grief

Argumentation des parties

Appréciation de la Cour

Sur le troisième grief

Argumentation des parties

Appréciation de la Cour

– Considérations liminaires

– Sur la première branche du troisième grief

– Sur la seconde branche du troisième grief

Sur le premier grief

Argumentation des parties

Appréciation de la Cour

– Sur la recevabilité

– Sur le fond

Sur le deuxième grief

Argumentation des parties

Appréciation de la Cour

– Sur la recevabilité

– Sur le fond

Sur le cinquième grief

Argumentation des parties

Appréciation de la Cour

– Considérations liminaires

– Sur l’applicabilité du RGPD

– Sur l’applicabilité de l’article 7 et de l’article 8, paragraphe 1, de la Charte

– Sur la violation alléguée des dispositions de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c) et e), et paragraphe 3, et de l’article 9, paragraphe 1, du RGPD ainsi que de l’article 7 et de l’article 8, paragraphe 1, de la Charte

Sur les dépens


« Manquement d’État – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ‐ État de droit – Protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union – Indépendance des juges – Article 267 TFUE – Faculté d’interroger la Cour à titre préjudiciel – Primauté du droit de l’Union – Compétences en matière de levée d’immunité pénale des juges et en matière de droit du travail, de sécurité sociale et de mise à la retraite des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) conférées à la chambre disciplinaire de cette juridiction – Interdiction pour les juridictions nationales de remettre en cause la légitimité des juridictions et des organes constitutionnels ou de constater ou d’apprécier la légalité de la nomination des juges ou des pouvoirs juridictionnels de ceux-ci – Vérification par un juge du respect de certaines exigences relatives à l’existence d’un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi érigée en “infraction disciplinaire” – Compétence exclusive pour examiner les questions afférentes à l’absence d’indépendance d’une juridiction ou d’un juge conférée à la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques du Sąd Najwyższy (Cour suprême) – Articles 7 et 8 de la charte des droits fondamentaux – Droits au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel – Règlement (UE) 2016/679 – Article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c) et e), et paragraphe 3, second alinéa – Article 9, paragraphe 1 – Données sensibles – Réglementation nationale imposant aux juges de procéder à une déclaration relative à leur appartenance à des associations, à des fondations ou à des partis politiques, ainsi qu’aux fonctions exercées au sein de ceux-ci, et prévoyant la mise en ligne des données figurant dans ces déclarations »

Dans l’affaire C‑204/21,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 1er avril 2021,

Commission européenne, représentée par Mme K. Herrmann et M. P. J. O. Van Nuffel, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenue par :

Royaume de Belgique, représenté par Mmes M. Jacobs, C. Pochet et L. Van den Broeck, en qualité d’agents,

Royaume de Danemark, représenté initialement par Mmes V. Pasternak Jørgensen, M. Søndahl Wolff et L. Teilgård, puis par Mmes J. F. Kronborg, V. Pasternak Jørgensen et M. Søndahl Wolff, en qualité d’agents,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme M. K. Bulterman, M. J. Langer, Mmes M. A. M. de Ree et C. S. Schillemans, en qualité d’agents,

République de Finlande, représentée par Mme H. Leppo, en qualité d’agent,

Royaume de Suède, représenté par Mmes H. Eklinder, C. Meyer-Seitz, A. Runeskjöld, M. Salborn Hodgson, R. Shahsavan Eriksson, H. Shev et M. O. Simonsson, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

contre

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, Mmes J. Sawicka, K. Straś et S. Żyrek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice-président, M. A. Arabadjiev, Mme A. Prechal (rapporteure), M. E. Regan et Mme L. S. Rossi, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, N. Piçarra, I. Jarukaitis, A. Kumin, N. Jääskinen, Mme I. Ziemele, MM. J. Passer, Z. Csehi et Mme O. Spineanu-Matei, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : Mme M. Siekierzyńska, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 juin 2022,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 décembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que :

–        en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 42a, paragraphes 1 et 2, et l’article 55, paragraphe 4, de l’ustawa – Prawo o ustroju sądów powszechnych (loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun), du 27 juillet 2001 (Dz. U. no 98, position 1070), telle que modifiée par l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych, ustawy o Sądzie Najwyższym oraz niektórych innych ustaw (loi modifiant la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun, la loi sur la Cour suprême et certaines autres lois), du 20 décembre 2019 (Dz. U. de 2020, position 190) (ci-après la « loi modificative ») (la loi ainsi modifiée étant ci-après dénommée la « loi modifiée relative aux juridictions de droit commun »), l’article 26, paragraphe 3, et l’article 29, paragraphes 2 et 3, de l’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 5), telle que modifiée par loi modificative (ci-après la « loi modifiée sur la Cour suprême »), l’article 5, paragraphes 1a et 1b, de l’ustawa – Prawo o ustroju sądów administracyjnych (loi relative à l’organisation des juridictions administratives), du 25 juillet 2002 (Dz. U. no 153, position 1269), telle que modifiée par la loi modificative (ci-après la « loi modifiée relative aux juridictions administratives »), ainsi que l’article 8 de la loi modificative, interdisant à toute juridiction nationale de vérifier le respect des exigences de l’Union européenne relatives à un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), lues à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), ainsi qu’en vertu de l’article 267 TFUE et du principe de primauté du droit de l’Union ;

–        en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 26, paragraphes 2 et 4 à 6, et l’article 82, paragraphes 2 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême, ainsi que l’article 10 de la loi modificative, établissant la compétence exclusive de l’Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques) du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) (ci-après la « chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques ») pour examiner les griefs et les questions de droit concernant l’absence d’indépendance d’une juridiction ou d’un juge, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, ainsi qu’en vertu de l’article 267 TFUE et du principe de primauté du droit de l’Union ;

–        en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et l’article 72, paragraphe 1, points 1 à 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, permettant de qualifier d’« infraction disciplinaire » l’examen du respect des exigences de l’Union relatives à un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte ainsi qu’en vertu de l’article 267 TFUE ;

–        en habilitant l’Izba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprême) (ci-après la « chambre disciplinaire »), dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas garanties, à statuer sur des affaires ayant une incidence directe sur le statut et l’exercice des fonctions de juge et de juge auxiliaire, telles que, d’une part, les demandes d’autorisation d’ouvrir une procédure pénale contre les juges et les juges auxiliaires ou de les arrêter, ainsi que, d’autre part, les affaires en matière de droit du travail et des assurances sociales concernant les juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et les affaires relatives à la mise à la retraite de ces juges, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ;

–        en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 88a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, l’article 45, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et l’article 8, paragraphe 2, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives, la République de Pologne a enfreint le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel garantis à l’article 7 et à l’article 8, paragraphe 1, de la Charte ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c) et e), à l’article 6, paragraphe 3, et à l’article 9, paragraphe 1, du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (JO 2016, L 119, p. 1) (ci-après le « RGPD »).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le traité UE

2        L’article 2 TUE se lit comme suit :

« L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. »

3        L’article 4 TUE énonce :

« 1.      Conformément à l’article 5, toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres.

2.      L’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre.

3.      En vertu du principe de coopération loyale, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités.

Les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union.

Les États membres facilitent l’accomplissement par l’Union de sa mission et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union. »

4        L’article 5, paragraphes 1 et 2, TUE prévoit :

« 1.      Le principe d’attribution régit la délimitation des compétences de l’Union. Les principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l’exercice de ces compétences.

2.      En vertu du principe d’attribution, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. Toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres. »

5        L’article 19, paragraphe 1, TUE dispose :

« La Cour de justice de l’Union européenne comprend la Cour de justice, le Tribunal et des tribunaux spécialisés. Elle assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités.

Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. »

 La Charte

6        L’article 7 de la Charte énonce :

« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. »

7        Aux termes de l’article 8 de la Charte :

« 1. Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant.

2. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d’un autre fondement légitime prévu par la loi. [...]

[...] »

8        L’article 47 de la Charte, intitulé « Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial », dispose :

« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. [...]

[...] »

9        L’article 52, paragraphe 1, de la Charte prévoit :

« Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. »

 Le RGPD

10      Les considérants 4, 10, 16, 20, 39 et 51 du RGPD énoncent :

« (4)      Le traitement des données à caractère personnel devrait être conçu pour servir l’humanité. Le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu ; il doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité. Le présent règlement respecte tous les droits fondamentaux et observe les libertés et les principes reconnus par la Charte, consacrés par les traités, en particulier le respect de la vie privée et familiale, du domicile et des communications, la protection des données à caractère personnel, la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression et d’information, la liberté d’entreprise, le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, et la diversité culturelle, religieuse et linguistique.

[...]

(10)      Afin d’assurer un niveau cohérent et élevé de protection des personnes physiques et de lever les obstacles aux flux de données à caractère personnel au sein de l’Union, le niveau de protection des droits et des libertés des personnes physiques à l’égard du traitement de ces données devrait être équivalent dans tous les États membres. Il convient dès lors d’assurer une application cohérente et homogène des règles de protection des libertés et droits fondamentaux des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel dans l’ensemble de l’Union. En ce qui concerne le traitement de données à caractère personnel nécessaire au respect d’une obligation légale, à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement, il y a lieu d’autoriser les États membres à maintenir ou à introduire des dispositions nationales destinées à préciser davantage l’application des règles du présent règlement. [...] Le présent règlement laisse aussi aux États membres une marge de manœuvre pour préciser ses règles, y compris en ce qui concerne le traitement de catégories particulières de données à caractère personnel (ci-après dénommées “données sensibles”). À cet égard, le présent règlement n’exclut pas que le droit des États membres précise les circonstances des situations particulières de traitement y compris en fixant de manière plus précise les conditions dans lesquelles le traitement de données à caractère personnel est licite.

[...]

(16)      Le présent règlement ne s’applique pas à des questions de protection des libertés et droits fondamentaux ou de libre flux des données à caractère personnel concernant des activités qui ne relèvent pas du champ d’application du droit de l’Union, telles que les activités relatives à la sécurité nationale. Le présent règlement ne s’applique pas au traitement des données à caractère personnel par les États membres dans le contexte de leurs activités ayant trait à la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union.

[...]

(20)      Bien que le présent règlement s’applique, entre autres, aux activités des juridictions et autres autorités judiciaires, le droit de l’Union ou le droit des États membres pourrait préciser les opérations et procédures de traitement en ce qui concerne le traitement des données à caractère personnel par les juridictions et autres autorités judiciaires. La compétence des autorités de contrôle ne devrait pas s’étendre au traitement de données à caractère personnel effectué par les juridictions dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle, afin de préserver l’indépendance du pouvoir judiciaire dans l’accomplissement de ses missions judiciaires, y compris lorsqu’il prend des décisions. Il devrait être possible de confier le contrôle de ces opérations de traitement de données à des organes spécifiques au sein de l’appareil judiciaire de l’État membre, qui devraient notamment garantir le respect des règles du présent règlement, sensibiliser davantage les membres du pouvoir judiciaire aux obligations qui leur incombent en vertu du présent règlement et traiter les réclamations concernant ces opérations de traitement de données.

[...]

(39)      [...] les finalités spécifiques du traitement des données à caractère personnel devraient être explicites et légitimes, et déterminées lors de la collecte des données à caractère personnel. Les données à caractère personnel devraient être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire pour les finalités pour lesquelles elles sont traitées. [...] Les données à caractère personnel ne devraient être traitées que si la finalité du traitement ne peut être raisonnablement atteinte par d’autres moyens. [...]

[...]

(51)      Les données à caractère personnel qui sont, par nature, particulièrement sensibles du point de vue des libertés et des droits fondamentaux méritent une protection spécifique, car le contexte dans lequel elles sont traitées pourrait engendrer des risques importants pour ces libertés et droits. [...] De telles données à caractère personnel ne devraient pas faire l’objet d’un traitement, à moins que celui-ci ne soit autorisé dans des cas spécifiques prévus par le présent règlement, compte tenu du fait que le droit d’un État membre peut prévoir des dispositions spécifiques relatives à la protection des données visant à adapter l’application des règles du présent règlement en vue de respecter une obligation légale ou pour l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement. Outre les exigences spécifiques applicables à ce traitement, les principes généraux et les autres règles du présent règlement devraient s’appliquer, en particulier en ce qui concerne les conditions de licéité du traitement. Des dérogations à l’interdiction générale de traiter ces catégories particulières de données à caractère personnel devraient être explicitement prévues, entre autres lorsque la personne concernée donne son consentement explicite ou pour répondre à des besoins spécifiques, en particulier lorsque le traitement est effectué dans le cadre d’activités légitimes de certaines associations ou fondations ayant pour objet de permettre l’exercice des libertés fondamentales. »

11      L’article 1er du RGPD, intitulé « Objet et objectifs », dispose, à son paragraphe 2 :

« Le présent règlement protège les libertés et droits fondamentaux des personnes physiques, et en particulier leur droit à la protection des données à caractère personnel. »

12      L’article 2 du RGPD, intitulé « Champ d’application matériel », énonce :

« 1.      Le présent règlement s’applique au traitement de données à caractère personnel, automatisé en tout ou en partie, ainsi qu’au traitement non automatisé de données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans un fichier.

2.      Le présent règlement ne s’applique pas au traitement de données à caractère personnel effectué :

a)      dans le cadre d’une activité qui ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union ;

b)      par les États membres dans le cadre d’activités qui relèvent du champ d’application du chapitre 2 du titre V du traité sur l’Union européenne ;

[...] »

13      L’article 4 du RGPD, intitulé « Définitions », est libellé comme suit :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

1)      “données à caractère personnel”, toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (ci-après dénommée “personne concernée”) ; est réputée être une “personne physique identifiable” une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale ;

2)      “traitement”, toute opération ou tout ensemble d’opérations effectuées ou non à l’aide de procédés automatisés et appliquées à des données ou des ensembles de données à caractère personnel, telles que la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la structuration, la conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l’interconnexion, la limitation, l’effacement ou la destruction ;

[...]

7)      “responsable du traitement”, la personne physique ou morale, l’autorité publique, le service ou un autre organisme qui, seul ou conjointement avec d’autres, détermine les finalités et les moyens du traitement ; lorsque les finalités et les moyens de ce traitement sont déterminés par le droit de l’Union ou le droit d’un État membre, le responsable du traitement peut être désigné ou les critères spécifiques applicables à sa désignation peuvent être prévus par le droit de l’Union ou par le droit d’un État membre ;

[...] »

14      L’article 6 du RGPD, intitulé « Licéité du traitement », prévoit, à ses paragraphes 1 et 3 :

« 1.      Le traitement n’est licite que si, et dans la mesure où, au moins une des conditions suivantes est remplie :

[...]

c)      le traitement est nécessaire au respect d’une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ;

[...]

e)      le traitement est nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement ;

[...]

3.      Le fondement du traitement visé au paragraphe 1, points c) et e), est défini par :

a)      le droit de l’Union ; ou

b)      le droit de l’État membre auquel le responsable du traitement est soumis.

Les finalités du traitement sont définies dans cette base juridique ou, en ce qui concerne le traitement visé au paragraphe 1, point e), sont nécessaires à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement. [...] Le droit de l’Union ou le droit des États membres répond à un objectif d’intérêt public et est proportionné à l’objectif légitime poursuivi. »

15      L’article 9 du RGPD, intitulé « Traitement portant sur des catégories particulières de données à caractère personnel », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Le traitement des données à caractère personnel qui révèle l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale, ainsi que le traitement des données génétiques, des données biométriques aux fins d’identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle d’une personne physique sont interdits.

2.      Le paragraphe 1 ne s’applique pas si l’une des conditions suivantes est remplie :

[...]

g)      le traitement est nécessaire pour des motifs d’intérêt public important, sur la base du droit de l’Union ou du droit d’un État membre qui doit être proportionné à l’objectif poursuivi, respecter l’essence du droit à la protection des données et prévoir des mesures appropriées et spécifiques pour la sauvegarde des droits fondamentaux et des intérêts de la personne concernée ;

[...] »

 Le droit polonais

 La Constitution

16      L’article 45, paragraphe 1, de la Konstytucja Rzeczypospolitej Polskiej (Constitution de la République de Pologne) (ci-après la « Constitution ») prévoit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement, sans retard excessif, par un tribunal compétent, indépendant et impartial. »

17      En vertu de l’article 179 de la Constitution, le président de la République nomme les juges, sur proposition de la Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature, Pologne) (ci-après la « KRS »), pour une durée indéterminée.

18      Aux termes de l’article 186, paragraphe 1, de la Constitution :

« La [KRS] est la gardienne de l’indépendance des juridictions et des juges. »

19      L’article 187 de la Constitution dispose :

« 1.      La [KRS] est composée :

1)      du premier président du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], du ministre de la Justice, du président du [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne)] et d’une personne désignée par le président de la République,

2)      de quinze membres élus parmi les juges du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], des juridictions de droit commun, des juridictions administratives et des juridictions militaires,

3)      de quatre membres élus par le [Sejm (Diète, Pologne)] parmi les députés et de deux membres élus par le Sénat parmi les sénateurs.

[...]

3.      Le mandat des membres élus [de la KRS] est de quatre ans.

4.      Le régime, le domaine d’activité, le mode de travail [de la KRS] ainsi que le mode d’élection de ses membres sont définis par la loi. »

 La loi modifiée sur la Cour suprême

20      La loi sur la Cour suprême a institué, au sein du Sąd Najwyższy (Cour suprême), deux nouvelles chambres, à savoir, d’une part, la chambre disciplinaire et, d’autre part, la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques.

21      La loi modificative, qui est entrée en vigueur le 14 février 2020, a modifié la loi sur la Cour suprême, notamment, en insérant de nouveaux paragraphes 2 à 6 à l’article 26 de cette dernière loi, un nouveau point 1a à l’article 27, paragraphe 1, de ladite loi, un nouveau paragraphe 3 à l’article 45 et de nouveaux paragraphes 2 à 5 à l’article 82 de cette même loi, ainsi qu’en modifiant l’article 29 et l’article 72, paragraphe 1, de celle-ci.

22      Aux termes de l’article 26, paragraphes 2 à 6, de la loi modifiée sur la Cour suprême :

« 2.      La chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques est compétente pour connaître des demandes ou déclarations concernant la récusation d’un juge ou la désignation de la juridiction devant laquelle une procédure doit être menée, comprenant des griefs tirés de l’absence d’indépendance de la juridiction ou du juge. La juridiction saisie de l’affaire envoie immédiatement une demande au président de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques afin que celle-ci soit traitée conformément aux règles fixées par des dispositions distinctes. La présentation d’une demande au président de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques ne suspend pas la procédure en cours.

3.      La demande visée au paragraphe 2 n’est pas examinée si elle concerne la constatation et l’appréciation de la légalité de la nomination d’un juge ou de sa légitimité pour exercer des fonctions juridictionnelles.

4.      La chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques est compétente pour connaître des recours tendant à faire constater l’illégalité de jugements ou arrêts définitifs du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], des juridictions de droit commun, des juridictions militaires et des juridictions administratives, y compris le [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative)], si l’illégalité consiste à remettre en cause le statut de la personne nommée à un poste de juge qui a statué dans l’affaire.

5.      Les dispositions relatives au constat d’illégalité d’un jugement définitif s’appliquent mutatis mutandis à la procédure dans les affaires visées au paragraphe 4 et les dispositions relatives à la réouverture d’une procédure juridictionnelle close par un jugement définitif s’appliquent aux affaires pénales. Il n’est pas nécessaire d’établir prima facie la vraisemblance ou la survenance d’un préjudice causé par le prononcé du jugement faisant l’objet du recours.

6.      Un recours tendant à faire constater l’illégalité d’un jugement définitif, visé au paragraphe 4, peut être introduit devant la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques sans passer par la juridiction qui a rendu le jugement attaqué, même lorsqu’une partie n’a pas épuisé les voies de recours à sa disposition, y compris le recours extraordinaire devant le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)]. »

23      L’article 27, paragraphe 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême prévoit :

« Relèvent de la compétence de la chambre disciplinaire :

1)      les affaires disciplinaires :

a)      concernant les juges du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)],

b)      examinées par le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] en rapport avec des procédures disciplinaires menées en vertu des lois suivantes :

[...]

–        loi [relative aux juridictions de droit commun] [...],

[...]

1a)      les affaires relatives à l’autorisation d’ouvrir une procédure pénale contre les juges, les juges auxiliaires, les procureurs et les substituts des procureurs, ou de les placer en détention provisoire ;

2)      les affaires en matière de droit du travail et des assurances sociales concernant les juges du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] ;

3)      les affaires relatives à la mise à la retraite d’un juge du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)]. »

24      L’article 29, paragraphes 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême énonce :

« 2.      Dans le cadre des activités du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] ou de ses organes, il n’est pas permis de remettre en cause la légitimité des [juridictions], des organes constitutionnels de l’État et des organes de contrôle et de protection du droit.

3.      Le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] ou un autre organe du pouvoir ne peut constater ni apprécier la légalité de la nomination d’un juge ou du pouvoir d’exercer des missions en matière d’administration de la justice qui découle de cette nomination. »

25      L’article 45, paragraphe 3, de cette loi prévoit :

« La déclaration visée à l’article 88a de la [loi modifiée relative aux juridictions de droit commun] est soumise par les juges du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] au premier président du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], et par le premier président du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] [à la KRS] ».

26      L’article 72, paragraphe 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême est libellé comme suit :

« Un juge du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] répond, sur le plan disciplinaire, des manquements professionnels (fautes disciplinaires), y compris en cas :

1)      de violation manifeste et flagrante des règles de droit ;

2)      d’actes ou d’omissions de nature à empêcher ou à compromettre sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire ;

3)      d’actes remettant en cause l’existence de la relation de travail d’un juge, l’effectivité de la nomination d’un juge ou la légitimité d’un organe constitutionnel de la République de Pologne. »

27      Conformément à l’article 73, paragraphe 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême, la chambre disciplinaire est la juridiction disciplinaire de première et de deuxième instance pour les juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême).

28      L’article 82 de cette loi prévoit :

« 1.      Si, lors de l’examen d’un pourvoi en cassation ou d’un autre recours, le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] nourrit des doutes sérieux quant à l’interprétation des dispositions juridiques sous-tendant la décision rendue, il peut surseoir à statuer et soumettre une question de droit à une formation constituée de sept de ses juges.

2.      Lorsqu’il examine une affaire dans laquelle se pose une question de droit relative à l’indépendance d’un juge ou d’une juridiction, le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] sursoit à statuer et défère cette question à une formation constituée de l’ensemble des membres de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques.

3.      Si, lors de l’examen d’une demande visée à l’article 26, paragraphe 2, le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] nourrit des doutes sérieux quant à l’interprétation des dispositions juridiques qui doivent fonder la décision, il peut surseoir à statuer et déférer une question de droit à une formation constituée de l’ensemble des membres de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques.

4.      Lorsqu’elle adopte une décision visée au paragraphe 2 ou 3, la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques n’est pas liée par la décision d’une autre formation de jugement du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], même si celle-ci a acquis force de principe juridique.

5.      Une décision adoptée par l’ensemble des membres de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques sur la base du paragraphe 2 ou 3 est contraignante pour l’ensemble des formations du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)]. Tout écart par rapport à une décision ayant acquis force de principe juridique requiert qu’il soit de nouveau statué par voie de décision de l’assemblée plénière du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], l’adoption de cette décision requérant la présence d’au moins deux tiers des juges de chacune des chambres. L’article 88 ne s’applique pas. »

 La loi modifiée relative aux juridictions de droit commun

29      La loi modificative a modifié la loi relative aux juridictions de droit commun, notamment, en insérant dans cette dernière loi de nouveaux articles 42a et 88a, ainsi qu’en ajoutant un nouveau paragraphe 4 à l’article 55 de ladite loi, de nouveaux points 2 et 3 à l’article 107 de la même loi et un nouveau paragraphe 2a à l’article 110 de celle-ci.

30      L’article 42a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun est libellé comme suit :

« 1.      Dans le cadre des activités des juridictions ou des organes des juridictions, il n’est pas permis de remettre en cause la légitimité des [juridictions], des organes constitutionnels de l’État et des organes de contrôle et de protection du droit.

2.      Une juridiction de droit commun ou un autre organe du pouvoir ne peut constater ou apprécier la légalité de la nomination d’un juge ou du pouvoir d’exercer des missions en matière d’administration de la justice qui découle de cette nomination. »

31      L’article 55 de cette loi prévoit :

« 1.      Un juge d’une juridiction de droit commun est une personne nommée à un tel poste par le président de la République et qui a prêté serment devant ce dernier.

2.      Les juges des juridictions de droit commun sont nommés aux postes de :

1)      juge d’un [sąd rejonowy (tribunal d’arrondissement)] ;

2)      juge d’un [sąd okręgowy (tribunal régional)] ;

3)      juge d’un [sąd apelacyjny (cour d’appel)] ;

3.      Lorsqu’il nomme une personne à un poste de juge, le président de la République désigne son lieu d’affectation (siège). Le changement de siège peut être effectué sans modification du lieu d’affectation dans les cas et selon les modalités prévus à l’article 75.

4.      Les juges peuvent statuer sur toutes les affaires dans leur lieu d’affectation ainsi que dans d’autres juridictions dans les cas définis par la loi (compétence du juge). Les dispositions relatives à l’attribution des affaires ainsi qu’à la désignation et à la modification des formations de jugement ne limitent pas la compétence d’un juge et ne peuvent être invoquées pour constater qu’une formation de jugement est contraire à la loi, qu’une juridiction est inadéquatement pourvue ou qu’une personne qui n’est pas habilitée ou compétente pour statuer en fait partie. »

32      L’article 80 de ladite loi dispose :

« 1.      Un juge ne peut être détenu ni poursuivi pénalement sans autorisation de la juridiction disciplinaire compétente. Cela ne concerne pas la détention en cas de flagrant délit du juge si cette détention est indispensable au déroulement régulier de la procédure. Jusqu’à l’adoption de la résolution autorisant de poursuivre pénalement un juge, seules des mesures d’urgence peuvent être prises.

[...]

2c.      La juridiction disciplinaire adopte une résolution autorisant de poursuivre pénalement un juge s’il existe des raisons suffisamment légitimes de croire qu’il a commis l’infraction. La résolution contient la décision ayant pour objet l’autorisation de poursuivre pénalement le juge ainsi que ses motifs.

2d.      La juridiction disciplinaire examine la demande d’autorisation de poursuivre pénalement un juge dans un délai de quatorze jours à compter de la date de réception de celle-ci.

[...] »

33      Aux termes de l’article 88a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun :

« 1.      Un juge est tenu de déposer une déclaration écrite indiquant :

1)      son appartenance à une association, avec mention du nom et du siège de l’association, des fonctions exercées et de la période d’affiliation ;

2)      la fonction exercée dans une instance d’une fondation sans but lucratif, avec mention du nom et du siège de la fondation et de la période pendant laquelle la fonction a été exercée ;

3)      son appartenance à un parti politique avant sa nomination à un poste de juge et pendant l’exercice de son mandat avant la date du 29 décembre 1989, avec mention du nom de ce parti, des fonctions exercées et de la période d’affiliation.

2.      Les déclarations visées au paragraphe 1 sont soumises par les juges au président du [sąd apelacyjny (cour d’appel)] compétent et par les présidents de [sąd apelacyjny (cours d’appel)] au ministre de la Justice.

3.      Les déclarations visées au paragraphe 1 sont soumises dans un délai de 30 jours à compter de la date d’entrée en fonctions du juge et dans un délai de 30 jours à compter de la date à laquelle se produisent les circonstances visées au paragraphe 1.

4.      Les informations contenues dans les déclarations visées au paragraphe 1 sont publiques et publiées dans le [Biuletyn Informacji Publicznej (Bulletin d’information publique) visé dans [l’ustawa o dostępie do informacji publicznej (loi sur l’accès à l’information publique) du 6 septembre 2001 (Dz. U. no 112, position 1198)], au plus tard 30 jours à compter de la date à laquelle la déclaration est soumise à l’instance habilitée. »

34      L’article 107, paragraphe 1, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun est libellé comme suit :

« Un juge répond, sur le plan disciplinaire, des manquements professionnels (infractions disciplinaires), y compris en cas :

1)      de violation manifeste et flagrante des règles de droit ;

2)      d’actes ou d’omissions de nature à empêcher ou à compromettre sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire ;

3)      d’actes remettant en cause l’existence de la relation de travail d’un juge, l’effectivité de la nomination d’un juge ou la légitimité d’un organe constitutionnel de la République de Pologne ;

[...] »

35      Aux termes de l’article 110, paragraphe 2a, de cette loi :

« [...] Les affaires visées à l’article 80 [...] sont tranchées, en première instance, par le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] statuant en formation de juge unique de la chambre disciplinaire et, en deuxième instance, par le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], statuant en formation de trois juges de la chambre disciplinaire. »

36      L’article 129, paragraphes 1 à 3, de ladite loi énonce :

« 1.      La juridiction disciplinaire peut suspendre de ses fonctions un juge à l’égard duquel une procédure disciplinaire ou une procédure en interdiction a été engagée, et ce également lorsqu’elle adopte une décision autorisant l’ouverture d’une procédure pénale contre le juge concerné.

2.      Si la juridiction disciplinaire adopte une décision autorisant l’ouverture d’une procédure pénale contre un juge pour une infraction intentionnelle passible de poursuites par le ministère public, elle suspend d’office l’intéressé de ses fonctions.

3.      En suspendant un juge de ses fonctions, la juridiction disciplinaire réduit, à hauteur de 25 à 50 %, le montant de sa rémunération, pour la durée de cette suspension ; cette disposition ne concerne pas les personnes visées dans le cadre d’une procédure en interdiction. »

 La loi modifiée relative aux juridictions administratives

37      La loi modificative a modifié la loi relative aux juridictions administratives, notamment, en insérant de nouveaux paragraphes 1a et 1b à l’article 5 de cette dernière loi et un nouveau paragraphe 2 à l’article 8 de ladite loi, ainsi qu’en modifiant l’article 29, paragraphe 1, et l’article 49, paragraphe 1, de celle-ci.

38      L’article 5, paragraphes 1a et 1b, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives énonce :

« 1a.      Dans le cadre des activités d’une juridiction administrative ou de ses organes, il n’est pas permis de remettre en cause la légitimité des [juridictions], des organes constitutionnels de l’État et des organes de contrôle et de protection du droit.

1b.      Une juridiction administrative ou un autre organe du pouvoir ne peut constater ni apprécier la légalité de la nomination d’un juge ou du pouvoir d’exercer des missions en matière d’administration de la justice qui découle de cette nomination. »

39      L’article 8, paragraphe 2, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives prévoit :

« La déclaration visée à l’article 88a de la [loi modifiée relative aux juridictions de droit commun] est soumise par les juges d’un [wojewódzki sąd administracyjny (tribunal administratif de voïvodie)] au président du tribunal administratif de voïvodie compétent, par le président d’un tribunal administratif de voïvodie et les juges du [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative)] au président du [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative)], et par le président du [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative)] [à la KRS]. »

40      En vertu de l’article 29, paragraphe 1, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives, les infractions disciplinaires prévues à l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun sont applicables également en ce qui concerne les juges des juridictions administratives.

41      Conformément à l’article 49, paragraphe 1, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives, les infractions disciplinaires prévues à l’article 72, paragraphe 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême sont applicables également aux juges du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative).

 Les dispositions transitoires figurant dans la loi modificative

42      Conformément à l’article 8 de la loi modificative, l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun s’applique également aux affaires ouvertes ou clôturées avant la date d’entrée en vigueur de la loi modificative.

43      Aux termes de l’article 10 de la loi modificative :

« 1.      Les dispositions de la [loi sur la Cour suprême], dans la version résultant de la présente loi, s’appliquent également aux affaires relevant de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques qui ont été introduites et n’ont pas été clôturées par un jugement définitif, y compris une décision, avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi.

2.      La juridiction saisie d’une affaire visée au paragraphe 1 renvoie celle-ci sans délai, et au plus tard sept jours après l’entrée en vigueur de la présente loi, à la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques qui peut révoquer les actes accomplis antérieurement dans la mesure où ils empêchent que l’examen de l’affaire se poursuive conformément à la loi.

3.      Les actes accomplis par les juridictions et par les parties ou les participants à la procédure dans les affaires visées au paragraphe 1 après la date d’entrée en vigueur de la présente loi en violation du paragraphe 2 ne produisent pas d’effets procéduraux. »

 La procédure précontentieuse

44      Le 29 avril 2020, estimant que, du fait de l’adoption de la loi modificative, la République de Pologne avait manqué, à divers titres, aux obligations lui incombant en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, du principe de primauté du droit de l’Union, de l’article 267 TFUE, ainsi que de l’article 7 et de l’article 8, paragraphe 1, de la Charte, de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c) et e), et paragraphe 3, et de l’article 9 du RGPD, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à cet État membre. Ce dernier a répondu par un courrier du 29 juin 2020 dans lequel il contestait toute violation du droit de l’Union.

45      Le 30 octobre 2020, la Commission a émis un avis motivé dans lequel elle maintenait que le régime introduit par la loi modificative méconnaissait les dispositions du droit de l’Union mentionnées au point précédent. En conséquence, cette institution invitait la République de Pologne à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.

46      Eu égard à l’augmentation du nombre d’affaires pendantes devant la chambre disciplinaire concernant des demandes d’autorisation d’engager des poursuites pénales contre des juges, la Commission a, par courrier du 1er novembre 2020, adressé diverses questions aux autorités polonaises, auxquelles ces dernières ont répondu le 13 novembre 2020.

47      Le 3 décembre 2020, la Commission a adressé à la République de Pologne une lettre de mise en demeure complémentaire, en faisant valoir que, en confiant, en vertu de l’article 27, paragraphe 1, points 1a, 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, à la chambre disciplinaire dont l’indépendance et l’impartialité ne seraient pas garanties, la compétence pour connaître d’affaires ayant une incidence directe sur le statut et l’exercice des fonctions de juge et de juge auxiliaire, cet État membre avait enfreint ses obligations au titre de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

48      Par une lettre du 30 décembre 2020, la République de Pologne a répondu à l’avis motivé de la Commission du 30 octobre 2020 en contestant l’existence des manquements reprochés.

49      Par un courrier du 4 janvier 2021, cet État membre a répondu à la lettre de mise en demeure complémentaire du 3 décembre 2020, en soutenant que les griefs soulevés par la Commission dans cette lettre n’étaient pas davantage fondés.

50      Le 27 janvier 2021, la Commission a adressé à la République de Pologne un avis motivé complémentaire, en maintenant les griefs qu’elle avait formulés dans sa lettre de mise en demeure complémentaire. En conséquence, cette institution invitait la République de Pologne à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis motivé complémentaire dans un délai d’un mois à compter de la réception de celui-ci.

51      Par une lettre du 26 février 2021, la République de Pologne a répondu audit avis motivé complémentaire, en contestant les griefs formulés dans celui-ci par la Commission.

52      C’est dans ces conditions que la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 La procédure devant la Cour

53      Par acte séparé, déposé au greffe de la Cour le 1er avril 2021, la Commission a introduit une demande de mesures provisoires au titre de l’article 279 TFUE.

54      Par l’ordonnance du 14 juillet 2021, Commission/Pologne (C‑204/21 R, EU:C:2021:593), la vice-présidente de la Cour a fait droit à cette demande jusqu’au prononcé du présent arrêt, en ordonnant, en substance, à la République de Pologne de suspendre tant l’application des dispositions nationales visées dans les premier à quatrième tirets du petitum de la requête de la Commission, tels que ceux-ci sont reproduits au point 1 du présent arrêt, que les effets des décisions de la chambre disciplinaire ayant autorisé l’ouverture d’une procédure pénale contre un juge ou son arrestation.

55      Par un acte déposé au greffe de la Cour le 16 août 2021, la République de Pologne a demandé à ce que cette ordonnance soit rapportée. Cette demande a été rejetée par l’ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 6 octobre 2021, Pologne/Commission (C‑204/21 R, EU:C:2021:834).

56      Par un acte déposé au greffe de la Cour le 7 septembre 2021, la Commission a introduit une nouvelle demande de mesures provisoires visant à entendre condamner la République de Pologne au paiement d’une astreinte journalière. Faisant droit à cette demande par l’ordonnance du 27 octobre 2021, Commission/Pologne (C‑204/21 R, EU:C:2021:878), le vice-président de la Cour a condamné la République de Pologne à payer à la Commission une astreinte de 1 000 000 euros par jour à compter de la notification de cette ordonnance jusqu’au jour où cet État membre se sera conformé aux obligations qui lui incombent en vertu de l’ordonnance de la vice-présidente de la Cour mentionnée au point 54 du présent arrêt ou, à défaut, jusqu’au jour du prononcé du présent arrêt. Par ordonnance du vice-président de la Cour du 21 avril 2023, Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges) (C‑204/21 R-RAP, EU:C:2023:334), le montant de cette astreinte a été réduit à 500 000 euros par jour à compter de la date de signature de ladite ordonnance.

57      Par des ordonnances du président de la Cour du 30 septembre 2021, le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande et le Royaume de Suède ont été admis à intervenir à la procédure au soutien des conclusions de la Commission.

 Sur le recours

58      Le recours de la Commission comporte cinq griefs. Les premier à troisième griefs sont tirés de violations des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte ainsi que de l’article 267 TFUE, les premier et deuxième griefs visant, en outre, à faire constater une violation du principe de primauté du droit de l’Union. Le quatrième grief est tiré d’une violation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. Le cinquième grief est tiré d’une violation des dispositions de l’article 7 et de l’article 8, paragraphe 1, de la Charte ainsi que de celles de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c) et e), et paragraphe 3, et de l’article 9, paragraphe 1, du RGPD.

59      La République de Pologne conteste l’ensemble des manquements ainsi allégués et conclut au rejet du recours de la Commission.

 Sur la compétence de la Cour, sur l’État de droit et l’indépendance de la justice et sur la primauté du droit de l’Union

60      Dans son mémoire en duplique, la République de Pologne se prévaut de l’arrêt du 14 juillet 2021 (affaire P 7/20), rendu par le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle, Pologne), dans lequel ce dernier a jugé, d’une part, en s’appuyant sur les dispositions de l’article 4, paragraphes 1 et 2, et de l’article 5, paragraphe 1, TUE et, en particulier, sur le principe d’attribution des compétences de l’Union et sur l’obligation de cette dernière de respecter l’identité nationale des États membres, que l’article 4, paragraphe 3, deuxième phrase, TUE, lu en combinaison avec l’article 279 TFUE, tel qu’interprété par la Cour dans l’ordonnance du 8 avril 2020, Commission/Pologne (C‑791/19 R, EU:C:2020:277), est incompatible avec plusieurs dispositions de la Constitution. D’autre part, selon le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), en adoptant, dans cette ordonnance, des mesures provisoires concernant l’organisation et la compétence des juridictions polonaises, ainsi que la procédure devant ces dernières, et en imposant, de la sorte, des obligations à la République de Pologne, la Cour a statué ultra vires. En conséquence, de telles mesures ne seraient pas couvertes par les principes de primauté et d’applicabilité directe du droit de l’Union énoncés à l’article 91, paragraphes 1 à 3, de la Constitution. Dans cet arrêt du 14 juillet 2021, le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) aurait également affirmé que, en cas de conflit entre ses décisions et celles de la Cour, le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) devait avoir le « dernier mot » dans les affaires de principe relevant de l’ordre constitutionnel polonais.

61      Ce faisant, la République de Pologne entend, en substance, ainsi qu’il ressort de son mémoire en duplique, contester tant l’existence des manquements allégués par la Commission dans son recours, en particulier ceux ayant trait à des violations des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, TUE et de l’article 47 de la Charte ainsi que du principe de primauté du droit de l’Union, que la compétence de la Cour pour se prononcer sur ce recours. Selon cet État membre, il ressort, en effet, de la jurisprudence issue de l’arrêt du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), du 14 juillet 2021, qu’un accueil des griefs formulés par la Commission reviendrait, pour la Cour, à excéder ses propres compétences et celles de l’Union. Un tel accueil porterait atteinte, d’une part, à la compétence exclusive de la République de Pologne en matière d’organisation de la justice, en méconnaissance du principe d’attribution des compétences de l’Union, et, d’autre part, à l’identité nationale inhérente aux structures fondamentales politiques et constitutionnelles de cet État membre, en violation des dispositions de l’article 4, paragraphe 2, TUE.

62      À cet égard, il importe toutefois de rappeler, d’emblée, que le contrôle du respect, par les États membres, des exigences découlant de l’article 2 et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE relève pleinement de la compétence de la Cour, notamment lorsqu’elle est, comme en l’espèce, saisie d’un recours en manquement introduit par la Commission au titre de l’article 258 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑156/21, EU:C:2022:97, point 161 ainsi que jurisprudence citée).

63      S’agissant de la portée de ces dispositions, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que, si l’organisation de la justice dans les États membres, notamment, l’institution, la composition, les compétences et le fonctionnement des juridictions nationales, ainsi que les règles gouvernant le processus de nomination des juges ou encore celles applicables au statut de ceux-ci et à l’exercice de leurs fonctions, relève de la compétence de ces États, ceux-ci n’en sont pas moins tenus, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union et, en particulier, des articles 2 et 19 TUE [voir, en ce sens, arrêts du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, points 56, 60 à 62 et 95 ainsi que jurisprudence citée, et du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 38 ainsi que jurisprudence citée].

64      Aux termes de l’article 2 TUE, l’Union est fondée sur des valeurs qui sont communes aux États membres et, conformément à l’article 49 TUE, le respect de ces valeurs constitue une condition préalable à l’adhésion à l’Union de tout État européen demandant à devenir membre de celle-ci (arrêt du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑156/21, EU:C:2022:97, point 124 ainsi que jurisprudence citée).

65      Il convient, d’ailleurs, de rappeler que, pour pouvoir adhérer à l’Union, la République de Pologne a dû satisfaire à des critères à remplir par les États candidats à l’adhésion, tels qu’établis par le Conseil européen de Copenhague des 21 et 22 juin 1993. Ces critères requièrent notamment de l’État candidat « qu’il ait des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection » (arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, point 104).

66      Ainsi que la Cour l’a itérativement souligné, l’Union regroupe ainsi des États qui ont librement et volontairement adhéré aux valeurs énoncées à l’article 2 TUE, les respectent et s’engagent à les promouvoir. Par ailleurs, la confiance mutuelle entre les États membres et, notamment, leurs juridictions est fondée sur la prémisse fondamentale selon laquelle les États membres partagent ces valeurs communes [voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 50 et jurisprudence citée].

67      L’article 2 TUE ne constitue, par conséquent, pas une simple énonciation d’orientations ou d’intentions de nature politique, mais contient des valeurs qui relèvent de l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun, valeurs qui sont concrétisées dans des principes contenant des obligations juridiquement contraignantes pour les États membres (arrêt du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑156/21, EU:C:2022:97, point 232).

68      Il découle, notamment, de ce qui précède que le respect par un État membre des valeurs que contient l’article 2 TUE constitue une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à cet État membre. En effet, le respect de ces valeurs ne saurait être réduit à une obligation à laquelle un État candidat est tenu en vue d’adhérer à l’Union et dont il pourrait s’affranchir après son adhésion (arrêt du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑156/21, EU:C:2022:97, point 126 ainsi que jurisprudence citée).

69      Pour sa part, l’article 19 TUE concrétise la valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE (arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 32). S’agissant, plus précisément, de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, il convient de rappeler que, comme cette disposition le prévoit, il appartient aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Le principe de protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, auquel se réfère ainsi ladite disposition, constitue un principe général du droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la CEDH et qui est à présent affirmé à l’article 47 de la Charte [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 52 et jurisprudence citée].

70      Or, pour garantir que des instances qui peuvent être appelées à statuer sur des questions liées à l’application et à l’interprétation du droit de l’Union soient à même d’assurer une telle protection juridictionnelle effective, la préservation de l’indépendance de celles-ci est primordiale, comme le confirme l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 57 et jurisprudence citée].

71      La Cour a, de même, souligné, dans sa jurisprudence, que les garanties d’accès à un tribunal indépendant, impartial et établi préalablement par la loi, et notamment celles qui déterminent la notion tout comme la composition de celui-ci, représentent la pierre angulaire du droit à un procès équitable [arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 126 ainsi que jurisprudence citée].

72      Dans ces conditions, il ne saurait être valablement soutenu que les exigences découlant, en tant que conditions tant d’adhésion que de participation à l’Union, du respect de valeurs et de principes tels que l’État de droit, la protection juridictionnelle effective et l’indépendance de la justice, consacrés à l’article 2 et à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, soient susceptibles d’affecter l’identité nationale d’un État membre, au sens de l’article 4, paragraphe 2, TUE. Dès lors, cette dernière disposition, qui doit être lue en tenant compte des dispositions, de même rang qu’elle, consacrées par ces articles 2 et 19, paragraphe 1, second alinéa, ne saurait dispenser les États membres du respect des exigences découlant de celles-ci.

73      Ainsi, la Cour a jugé que, même si, comme il ressort de l’article 4, paragraphe 2, TUE, l’Union respecte l’identité nationale des États membres, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, de telle sorte que ces États disposent d’une certaine marge d’appréciation pour assurer la mise en œuvre des principes de l’État de droit, il n’en découle nullement que cette obligation de résultat peut varier d’un État membre à l’autre. En effet, tout en disposant d’identités nationales distinctes, inhérentes à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, que l’Union respecte, les États membres adhèrent à une notion d’« État de droit » qu’ils partagent, en tant que valeur commune à leurs traditions constitutionnelles propres, et qu’ils se sont engagés à respecter de manière continue (arrêt du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑156/21, EU:C:2022:97, points 233 et 234).

74      Il en découle que, dans le choix de leur modèle constitutionnel respectif, les États membres sont tenus de se conformer, notamment, à l’exigence d’indépendance des juridictions qui découle de l’article 2 et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE [voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 43 et jurisprudence citée]. Ils sont ainsi notamment tenus de veiller à éviter toute régression, au regard de la valeur de l’État de droit, de leur législation en matière d’organisation de la justice, en s’abstenant d’adopter des règles qui viendraient porter atteinte à l’indépendance des juges (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 162).

75      Par ailleurs, dans l’arrêt du 15 juillet 1964, Costa (6/64, EU:C:1964:66, p. 1158 à 1160), la Cour a constaté que l’institution par le traité CEE d’un ordre juridique propre, accepté par les États membres sur une base de réciprocité, a pour corollaire qu’ils ne sauraient faire prévaloir contre cet ordre juridique une mesure unilatérale ultérieure ni opposer au droit né du traité CEE des règles de droit national quelles qu’elles soient, sans faire perdre à ce droit son caractère communautaire et sans mettre en cause la base juridique de la Communauté elle-même. En outre, la Cour a souligné que la force exécutive du droit communautaire ne saurait varier d’un État membre à l’autre à la faveur des législations internes ultérieures, sans mettre en péril la réalisation des buts du traité CEE ni provoquer une discrimination en raison de la nationalité interdite par ce traité [arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 48 et jurisprudence citée].

76      Ces caractéristiques essentielles de l’ordre juridique de l’Union et l’importance du respect qui lui est dû ont été, du reste, confirmées par la ratification, sans réserve, des traités modifiant le traité CEE et, notamment, du traité de Lisbonne, ainsi qu’en témoigne, en particulier, la déclaration no 17 relative à la primauté, annexée à l’acte final de la conférence intergouvernementale qui a adopté le traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007 (JO 2012, C 326, p. 346). Il en va de même de la jurisprudence de la Cour postérieure à l’entrée en vigueur de ce dernier traité [voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, points 49 et 50 ainsi que jurisprudence citée].

77      Il résulte de cette jurisprudence constante que, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, le fait pour un État membre d’invoquer des dispositions de droit national, fussent-elles d’ordre constitutionnel, ne saurait porter atteinte à l’unité et à l’efficacité du droit de l’Union. En effet, conformément à une jurisprudence bien établie, les effets s’attachant au principe de primauté du droit de l’Union s’imposent à l’ensemble des organes d’un État membre, sans, notamment, que les dispositions internes, y compris d’ordre constitutionnel, puissent y faire obstacle [arrêts du 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft, 11/70, EU:C:1970:114, point 3, ainsi que du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 51 et jurisprudence citée]. Le respect de cette obligation est notamment nécessaire pour assurer le respect de l’égalité des États membres devant les traités et constitue une expression du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE [voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 55 et jurisprudence citée].

78      Or, la Cour a dit pour droit que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, interprété à la lumière de l’article 47 de la Charte, qui met à la charge des États membres une obligation de résultat claire et précise et qui n’est assortie d’aucune condition, notamment en ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité des juridictions appelées à interpréter et à appliquer le droit de l’Union et l’exigence que celles-ci soient préalablement établies par la loi, bénéficie d’un effet direct qui implique de laisser inappliquée toute disposition, jurisprudence ou pratique nationale contraire à ces dispositions du droit de l’Union, telles qu’interprétées par la Cour [voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, points 158 et 159 ainsi que jurisprudence citée ; du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑156/21, EU:C:2022:97, point 162 et jurisprudence citée, ainsi que du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, points 58 et 59 ainsi que jurisprudence citée].

79      À cet égard, il importe, enfin, de rappeler que, étant donné que la Cour détient une compétence exclusive pour fournir l’interprétation définitive du droit de l’Union, il lui appartient, dans l’exercice de cette compétence, de préciser la portée du principe de primauté du droit de l’Union au regard des dispositions pertinentes de ce droit, de telle sorte que cette portée ne peut dépendre de l’interprétation de dispositions du droit national ni de l’interprétation de dispositions du droit de l’Union retenue par une juridiction nationale, qui ne correspond pas à celle de la Cour [arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 52 et jurisprudence citée]. Partant, il incombe, le cas échéant, à la juridiction nationale concernée de modifier sa propre jurisprudence qui serait incompatible avec le droit de l’Union, tel qu’interprété par la Cour (voir, en ce sens, arrêts du 19 avril 2016, DI, C‑441/14, EU:C:2016:278, points 33 et 34, ainsi que du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C‑684/16, EU:C:2018:874, point 60).

80      Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que la République de Pologne allègue, ni les principes énoncés à l’article 4, paragraphes 1 et 2, et à l’article 5, paragraphe 1, TUE ni la jurisprudence d’une juridiction constitutionnelle nationale telle que celle mentionnée au point 60 du présent arrêt ne sont de nature à pouvoir faire obstacle à ce que les dispositions nationales mises en cause par la Commission dans le cadre de son recours puissent faire l’objet d’un contrôle par la Cour, notamment au regard des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, ainsi que du principe de primauté du droit de l’Union.

 Sur le maintien de l’objet du litige 

81      Lors de l’audience, la République de Pologne a fait état de l’adoption récente de l’ustawa o zmianie ustawy o Sądzie Najwyższym oraz niektórych innych ustaw (loi modifiant la loi sur la Cour suprême et certaines autres lois), du 9 juin 2022 (Dz. U., position 1259), laquelle serait entrée en vigueur le 15 juillet suivant et aurait, notamment, pour objet de dissoudre la chambre disciplinaire visée par le quatrième grief de la Commission. Cette loi aurait, de même, modifié, en les précisant, les termes dans lesquels se trouvaient jusqu’alors libellées les dispositions nationales faisant l’objet des premier et troisième griefs. Dans ces conditions, la République de Pologne fait valoir que la poursuite de la procédure n’est pas justifiée en ce qui concerne les premier, troisième et quatrième griefs.

82      À cet égard, il suffit, toutefois, de rappeler que, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre en cause telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour [arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 30 et jurisprudence citée].

83      En l’espèce, il est constant que, aux dates auxquelles les délais fixés par la Commission dans l’avis motivé et dans l’avis motivé complémentaire ont expiré, toutes les dispositions nationales que cette institution conteste par son recours demeuraient en vigueur. En conséquence, il y a lieu pour la Cour de statuer sur l’ensemble des griefs soulevés dans le cadre de ce recours.

 Sur le quatrième grief

 Argumentation des parties

84      Par son quatrième grief, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la Commission conclut à la violation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, en ce que la République de Pologne aurait manqué à son obligation de garantir l’indépendance et l’impartialité de la chambre disciplinaire, alors que cette dernière relèverait, en tant que « juridiction », du système judiciaire polonais dans les « domaines couverts par le droit de l’Union », au sens de cette disposition, et qu’elle se serait vu conférer une compétence exclusive pour statuer dans certaines affaires relatives au statut et à l’exercice des fonctions des juges, ce qui serait susceptible d’affecter l’indépendance de ceux-ci.

85      Dans sa requête, la Commission invoque, à cet égard, l’arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, ci-après l’« arrêt A. K. e.a. », EU:C:2019:982), ainsi que l’arrêt du 5 décembre 2019 (III PO 7/18) et les ordonnances du 15 janvier 2020 (III PO 8/18 et III PO 9/18) du Sąd Najwyższy (Izba Pracy i Ubezpieczeń Społecznych) [Cour suprême (chambre du travail et des assurances sociales), Pologne], qui était la juridiction de renvoi dans les affaires au principal ayant donné lieu à l’arrêt A. K. e.a. Il découlerait de ces décisions juridictionnelles qu’une évaluation globale portant, notamment, sur le contexte et les conditions dans lesquelles la chambre disciplinaire a été créée, sur sa composition, sur le mode de nomination de ses membres et sur l’intervention, dans ce cadre, de la KRS dans sa nouvelle composition, ainsi que sur certaines des caractéristiques de cette chambre et les compétences spécifiques lui ayant été conférées, est de nature à faire naître des doutes légitimes, dans le chef des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité de ladite chambre.

86      En investissant la chambre disciplinaire de compétences, d’une part, pour autoriser l’ouverture de procédures pénales contre les juges et les juges auxiliaires, ainsi que leurs arrestation et mise en détention éventuelles, et pour décider, dans de telles hypothèses, de leur suspension et de la réduction de leur rémunération, ainsi que, d’autre part, pour connaître des affaires en matière de droit du travail et des assurances sociales ou en matière de mise à la retraite concernant les juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême), l’article 27, paragraphe 1, points 1a, 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême ne permettrait pas de garantir l’indépendance et l’impartialité de ces juges, notamment à l’égard de pressions extérieures injustifiées, ni, partant, le droit des justiciables à un recours effectif dans les domaines couverts par le droit de l’Union.

87      Dans son mémoire en réplique, la Commission ajoute que, entre-temps, le bien-fondé du quatrième grief a été confirmé par les enseignements découlant de l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596). En outre, la Cour européenne des droits de l’homme aurait jugé, dans son arrêt du 22 juillet 2021, Reczkowicz c. Pologne (CE:ECHR:2021:0722JUD004344719), que la chambre disciplinaire ne constituait pas un tribunal établi par la loi, au sens de l’article 6 de la CEDH.

88      En défense, la République de Pologne soutient que tant la procédure de nomination des membres de la chambre disciplinaire que les autres garanties dont bénéficient ceux-ci une fois nommés sont de nature à garantir l’indépendance de cette chambre.

89      En effet, d’une part, les conditions auxquelles doivent satisfaire des candidats aux fonctions de juge du Sąd Najwyższy (Cour suprême) seraient définies de manière exhaustive dans le droit national et la procédure de nomination de ceux-ci impliquerait, après publication d’un appel public à candidatures, une sélection effectuée par la KRS sur la base de laquelle cette dernière formulerait une proposition de nomination des candidats retenus. Cette procédure déboucherait sur l’adoption d’un acte de nomination, par le président de la République, lequel ne serait pas tenu de suivre la proposition de la KRS. Quant à la nouvelle composition de la KRS, dont la constitutionnalité aurait été confirmée par le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), elle ne serait guère différente de celle caractérisant les conseils nationaux de la magistrature mis en place dans d’autres États membres. L’intervention du pouvoir législatif dans la désignation des membres de la KRS contribuerait en outre à renforcer la légitimité démocratique de cette dernière, tandis que cette nouvelle composition aurait permis d’assurer une meilleure représentativité de la magistrature polonaise.

90      D’autre part, une fois nommés, les membres de la chambre disciplinaire bénéficieraient de garanties liées, notamment, à la durée indéterminée de leur mandat, à leur inamovibilité, à leur immunité, à leur obligation de demeurer apolitiques ainsi qu’à diverses incompatibilités professionnelles et à une rémunération particulièrement élevée.

 Appréciation de la Cour

91      Ainsi qu’il est rappelé aux points 69 à 71 du présent arrêt, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE impose aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union, notamment en assurant que les instances qui sont appelées, en tant que juridictions, à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation de ce droit, satisfont aux exigences permettant d’assurer un tel respect, parmi lesquelles celle liée à l’indépendance et à l’impartialité de ces instances.

92      Or, il est constant que tant le Sąd Najwyższy (Cour suprême) et, notamment, la chambre disciplinaire, qui en fait partie, que les juridictions de droit commun ou administratives polonaises peuvent être appelés à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union en tant que « juridictions » relevant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de telle sorte que ces juridictions doivent satisfaire aux exigences d’une protection juridictionnelle effective [voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:59, point 55 et jurisprudence citée].

93      Par ailleurs, aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour, les garanties d’indépendance et d’impartialité ainsi requises en vertu du droit de l’Union postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l’instance concernée, la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes d’abstention, de récusation et de révocation de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de cette instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:59, point 59 et jurisprudence citée].

94      À cet égard, il importe que les juges se trouvent à l’abri d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de mettre en péril leur indépendance. Les règles applicables au statut des juges et à l’exercice de leurs fonctions doivent, en particulier, permettre d’exclure non seulement toute influence directe, sous la forme d’instructions, mais également les formes d’influence plus indirecte susceptibles d’orienter les décisions des juges concernés, et d’écarter ainsi une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ceux-ci qui serait de nature à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:59, point 60 et jurisprudence citée].

95      S’agissant, plus particulièrement, des règles gouvernant le régime disciplinaire applicable aux juges, il ressort ainsi d’une jurisprudence constante de la Cour que l’exigence d’indépendance découlant du droit de l’Union et, notamment, de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE impose que ce régime présente les garanties nécessaires afin d’éviter tout risque d’utilisation d’un tel régime en tant que système de contrôle politique du contenu des décisions judiciaires. À cet égard, l’édiction de règles qui définissent, notamment, tant les comportements constitutifs d’infractions disciplinaires que les sanctions concrètement applicables, qui prévoient l’intervention d’une instance indépendante conformément à une procédure garantissant pleinement les droits consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte, notamment les droits de la défense, et qui consacrent la possibilité de contester en justice les décisions des organes disciplinaires constitue un ensemble de garanties essentielles aux fins de la préservation de l’indépendance du pouvoir judiciaire [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:59, point 61 et jurisprudence citée].

96      Or, il doit, en principe, en aller de même, mutatis mutandis, en ce qui concerne d’autres règles afférentes au statut des juges et à l’exercice de leurs fonctions, telles que celles gouvernant la levée de leur immunité pénale lorsqu’une telle immunité est, comme en l’espèce, prévue dans le droit national concerné (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 213).

97      En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 206 de ses conclusions, l’application de telles règles est susceptible d’avoir des conséquences majeures tant sur le déroulement de la carrière des juges que sur les conditions de vie de ces derniers. Il en va assurément ainsi de règles telles que celles dont l’article 27, paragraphe 1, points 1a, 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême confie l’application ou le contrôle à la chambre disciplinaire, dans la mesure où une telle application peut conduire à une autorisation d’engager des poursuites pénales contre les juges concernés, de les arrêter et de les mettre en détention provisoire, ainsi qu’à la suspension de ceux-ci et à la réduction de leur rémunération.

98      Il en va également de la sorte de décisions portant sur des aspects essentiels des régimes de droit du travail ou de sécurité sociale applicables à ces juges, tels que leurs droits en matière d’émoluments, de congés ou de protection sociale, ou sur leur éventuelle mise à la retraite anticipée notamment pour des raisons médicales.

99      Dans ces conditions, l’ordre juridique de l’État membre concerné doit comporter des garanties propres à éviter tout risque d’utilisation de telles règles ou décisions en tant que système de contrôle politique du contenu des décisions judiciaires ou comme instrument de pression et d’intimidation à l’égard des juges pouvant notamment générer une apparence d’absence d’indépendance ou d’impartialité dans le chef de ceux-ci susceptible de porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 216).

100    À ces fins, il importe, ainsi, que, à l’instar de ce qui est rappelé au point 95 du présent arrêt à propos des règles applicables au régime disciplinaire des juges, les décisions autorisant l’engagement de poursuites pénales contre les juges concernés, leur arrestation et leur mise en détention, ainsi que la suspension de ceux-ci ou la réduction de leur rémunération, ou les décisions afférentes à des aspects essentiels des régimes de droit du travail, de sécurité sociale ou de mise à la retraite applicables à ces juges soient adoptées ou contrôlées par une instance satisfaisant elle-même aux garanties inhérentes à une protection juridictionnelle effective, dont celle d’indépendance [voir, par analogie, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:59, point 80 ainsi que jurisprudence citée].

101    À cet égard, il convient notamment de souligner que la simple perspective, pour les juges, d’encourir le risque qu’une autorisation de les poursuivre pénalement puisse être demandée et obtenue auprès d’une instance dont l’indépendance ne serait pas garantie est susceptible d’affecter leur propre indépendance [voir, par analogie, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:59, point 82 ainsi que jurisprudence citée]. Il en va de même s’agissant des risques de voir une telle instance décider de la suspension éventuelle de ceux-ci de leurs fonctions et d’une réduction de leur rémunération ou de leur mise à la retraite anticipée ou encore statuer sur d’autres aspects essentiels de leur régime de droit du travail et des assurances sociales.

102    Or, en l’espèce, il convient de rappeler que, eu égard à l’ensemble des éléments relevés et des considérations énoncées aux points 89 à 110 de l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596), auxquels il y a lieu de se reporter, la Cour a jugé, au point 112 de cet arrêt, que, appréhendés conjointement, le contexte particulier et les conditions objectives dans lesquelles a été créée la chambre disciplinaire, les caractéristiques de celle-ci ainsi que la manière dont ses membres ont été nommés sont de nature à engendrer des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de cette instance à l’égard d’éléments extérieurs, en particulier, d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif polonais, et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent et, ainsi, sont susceptibles de conduire à une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ladite instance qui est propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer auxdits justiciables dans une société démocratique et un État de droit.

103    Dans ces conditions, il y a lieu d’accueillir le quatrième grief.

 Sur le troisième grief

 Argumentation des parties

104    Le troisième grief, qu’il convient d’examiner en deuxième lieu, comporte deux branches.

105    Par la première branche de ce grief, la Commission conteste la compatibilité avec le droit de l’Union des dispositions de l’article 72, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et celles de l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, lesquelles érigent en infractions disciplinaires, dans le chef des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et des juges des juridictions de droit commun, d’une part, les actes ou omissions de nature à empêcher ou à compromettre sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire et, d’autre part, les actes remettant en cause l’existence de la relation de travail d’un juge, l’effectivité de la nomination d’un juge ou la légitimité d’un organe constitutionnel de la République de Pologne. La Commission précise, à cet égard, que, ainsi qu’il ressort de l’article 29, paragraphe 1, et de l’article 49, paragraphe 1, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives, les dispositions de l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun sont également applicables aux juges des juridictions administratives.

106    Selon la Commission, ces dispositions nationales enfreignent, en premier lieu, les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, en ce qu’elles visent à empêcher l’ensemble des juges concernés, sous peine de sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’à la révocation, de porter des appréciations, ainsi qu’ils en ont pourtant l’obligation en vertu de la jurisprudence de la Cour, quant au point de savoir si, dans les affaires relatives à des droits individuels tirés du droit de l’Union, le droit des justiciables à ce que leur cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, peut être garanti ou n’a pas été enfreint.

107    Alors qu’une infraction disciplinaire devrait toujours être libellée en des termes clairs et précis, les termes « de nature à empêcher » ou « à compromettre sérieusement » le fonctionnement d’une autorité judiciaire figurant à l’article 72, paragraphe 1, point 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême et à l’article 107, paragraphe 1, point 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun ne satisferaient pas à une telle exigence.

108    Ces termes permettraient, ainsi, par exemple, de conclure à l’existence d’une infraction visée à ces dispositions nationales lorsque, au lieu de renvoyer l’examen d’une demande de récusation devant la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, ainsi que l’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême l’exige, une instance juridictionnelle procède elle-même à l’examen du point de savoir si le juge concerné est indépendant et conclut que tel n’est pas le cas, en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour.

109    Il en irait de même lorsque, se conformant aux obligations découlant pour elle de l’arrêt A. K. e.a., une juridiction nationale applique, à l’égard d’une autre juridiction appelée à statuer sur une affaire, les critères établis par la Cour aux points 132 à 154 de cet arrêt, et décide, en considération desdits critères, d’une part, d’écarter l’application de la disposition nationale conférant une compétence à cette dernière juridiction en raison de son défaut d’indépendance et, d’autre part, de renvoyer l’affaire concernée à une tierce juridiction offrant de telles garanties d’indépendance. En effet, une telle démarche juridictionnelle pourrait être tenue pour constitutive d’un acte ou d’une omission de nature à empêcher ou à compromettre sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire, au sens des dispositions nationales contestées.

110    Quant aux actes visés à l’article 72, paragraphe 1, point 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et à l’article 107, paragraphe 1, point 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, ils pourraient notamment inclure, non seulement la mise en cause de la validité même de l’acte de nomination d’un juge, mais, plus généralement, toute appréciation négative portée sur la régularité de la procédure de nomination de celui-ci aux fins de vérifier le respect de l’exigence du droit de l’Union relative à un tribunal établi préalablement par la loi. Ainsi, l’infraction concernée pourrait, par exemple, être considérée comme constituée lorsqu’une juridiction, statuant en degré d’appel, constate que la juridiction de premier degré ne constituait pas une juridiction établie préalablement par la loi en raison des modalités ayant présidé à la nomination des juges siégeant au sein de celle-ci et annule, pour ce motif, la décision de cette dernière juridiction.

111    À cet égard, il ressortirait notamment des points 133 et 134 de l’arrêt A. K. e.a. que, dans le contexte de l’examen incombant à toute juridiction nationale décrit au point 109 du présent arrêt, il est notamment nécessaire que celle-ci puisse s’assurer que les conditions de fond et les modalités procédurales présidant à l’adoption des nominations des juges composant la juridiction dont l’indépendance est mise en doute sont telles qu’elles ne puissent faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes quant à l’imperméabilité des juges concernés à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts en présence, une fois ceux-ci nommés. Or, le fait même de procéder à un tel contrôle serait, lui aussi, susceptible d’être sanctionné disciplinairement sur la base des dispositions nationales contestées.

112    Il ressortirait, par ailleurs, de l’exposé des motifs du projet de loi ayant conduit à l’adoption de la loi modificative que les nouvelles infractions disciplinaires ainsi instituées ont eu pour objectif premier de protéger le pouvoir judiciaire et les organes constitutionnels de l’État contre les remises en cause émanant de leurs propres instances.

113    De surcroît, ces nouvelles infractions concerneraient le contenu des décisions juridictionnelles, alors même que l’exigence d’indépendance des juges s’oppose à ce que le régime disciplinaire appliqué à ceux-ci risque d’être utilisé à des fins de contrôle politique d’un tel contenu.

114    En second lieu, la Commission fait valoir que les dispositions nationales visées au point 105 du présent arrêt enfreignent également l’article 267 TFUE. En effet, le fait même, pour une juridiction nationale, de suspendre une procédure en cours et de poser à la Cour des questions préjudicielles portant sur l’interprétation des exigences afférentes au droit à une protection juridictionnelle effective découlant du droit de l’Union, en raison, par exemple, de doutes que cette juridiction éprouve quant à la conformité, à ces exigences, de la compétence impartie à une juridiction nationale ou à un organe constitutionnel tel que la KRS, ou des conditions dans lesquelles la nomination d’un juge est intervenue, pourrait être qualifié d’infraction disciplinaire compte tenu de la formulation de ces dispositions nationales.

115    Par la seconde branche du troisième grief, la Commission fait valoir que l’introduction, à l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême, d’une infraction disciplinaire caractérisée par une violation « manifeste et flagrante » des règles de droit appelle les mêmes critiques que celles qu’elle a formulées, dans le contexte du recours en manquement qu’elle a introduit dans l’affaire Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596), à propos de la disposition, libellée en des termes identiques, figurant à l’article 107, paragraphe 1, point 1, de la loi relative aux juridictions de droit commun. En effet, une infraction formulée en des termes aussi vagues, qui plus est dans le contexte, décrit par la Commission dans ce recours en manquement, d’intensification des actions menées sur le plan disciplinaire à l’égard des juges et de multiplication des pressions du pouvoir exécutif sur l’activité des instances disciplinaires, engendrerait le risque de voir cet article 72, paragraphe 1, point 1, utilisé à des fins de contrôle politique et de paralysie de l’activité juridictionnelle des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême).

116    Dans son mémoire en réplique, la Commission soutient que les enseignements découlant de l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596), ont, entre-temps, pleinement confirmé le bien-fondé du troisième grief.

117    Enfin, lors de l’audience, la Commission a souligné que le contexte dans lequel la loi modificative avait été adoptée, dans l’urgence et un mois à peine après le prononcé de l’arrêt A. K. e.a. dans lequel était en cause l’appréciation de l’indépendance de la chambre disciplinaire et celle de la KRS, confirmait que la fonction effective des dispositions nationales contestées dans le cadre du troisième grief, tout comme celle des dispositions nationales que cette institution conteste dans le cadre du premier grief, était d’empêcher les juges polonais d’appliquer les enseignements de l’arrêt A. K. e.a., ainsi que ceux ressortant de l’arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798), rendu entre-temps.

118    En effet, il ressortirait notamment de ces arrêts que le contrôle de la procédure de nomination des juges ainsi que l’examen visant à s’assurer, dans ce cadre, que la KRS constitue un organe indépendant peuvent s’avérer nécessaires aux fins de s’assurer que les juges concernés ou la juridiction à laquelle ils appartiennent sont indépendants et établis préalablement par la loi. Or, de tels contrôle et examen seraient empêchés par les dispositions nationales contestées en ce que celles-ci permettent de sanctionner disciplinairement toute remise en cause de l’effectivité de la nomination d’un juge ou de la légitimité d’un organe constitutionnel.

119    En défense, la République de Pologne soutient que la Commission ne satisfait pas à la charge de la preuve et qu’elle énonce de simples présomptions à l’égard des dispositions nationales contestées en retenant de celles-ci des interprétations incompatibles avec leur libellé et leur finalité, tout en omettant de faire état d’une quelconque pratique de l’administration ou des juridictions polonaises susceptible d’étayer ces interprétations.

120    En effet, premièrement, l’application correcte du droit de l’Union par une juridiction nationale, notamment en ce qui concerne l’indépendance des juges ou la qualité de tribunal établi préalablement par la loi, ou le fait d’adresser un renvoi préjudiciel à la Cour ne sauraient constituer un acte ou une omission susceptible d’empêcher ou de compromettre sérieusement le fonctionnement de la justice, la finalité de l’infraction disciplinaire en cause consistant au contraire précisément à garantir que les juges ne méconnaissent pas leurs devoirs ni ne se comportent d’une manière incompatible avec la dignité de leurs fonctions.

121    Deuxièmement, s’agissant des infractions disciplinaires liées à la remise en cause du mandat ou de la relation de travail d’un juge, elles ne pourraient résulter ni du fait qu’un juge examine la question de savoir si un justiciable bénéficie du droit à une protection juridictionnelle effective ni, en cas de violation éventuelle d’un tel droit, de la circonstance qu’un tel juge en tire les conséquences prévues par la loi, telles que la récusation d’un juge, le renvoi d’une affaire devant une autre juridiction offrant toutes les garanties d’indépendance ou l’annulation d’une décision juridictionnelle. De telles infractions ne pourraient davantage résulter de la circonstance que des questions préjudicielles relatives à l’indépendance de la justice sont adressées à la Cour, ainsi qu’en attesteraient au demeurant divers renvois ayant un tel objet récemment opérés par des juridictions polonaises, sans que des poursuites disciplinaires aient été engagées de ce fait.

122    Les infractions disciplinaires visées par les dispositions nationales contestées consisteraient, en réalité, uniquement dans la remise en cause de l’acte de nomination d’un juge ou des effets de cette nomination dans le cadre de procédures non prévues par la Constitution, ce qui serait, d’ailleurs, conforme aux exigences d’inamovibilité des juges et de stabilité de leur relation de travail.

123    Troisièmement, l’infraction disciplinaire relative à une violation « manifeste et flagrante » des règles de droit aurait été introduite à l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême, dans la seule perspective d’aligner les cas d’engagement de la responsabilité disciplinaire des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) sur ceux applicables aux juges des juridictions de droit commun prévus à l’article 107, paragraphe 1, point 1, de la loi relative aux juridictions de droit commun, de telle sorte que ces deux dispositions devraient se voir reconnaître la même portée. Or, l’article 107, paragraphe 1, point 1, de la loi relative aux juridictions de droit commun ferait l’objet d’une interprétation bien établie et très restrictive par le Sąd Najwyższy (Cour suprême), excluant qu’une telle infraction puisse résulter du contenu des décisions judiciaires interprétant la loi. En particulier, le fait qu’une juridiction nationale s’acquitte des obligations que le droit de l’Union lui impose, y compris celle de garantir à une partie le droit à une protection juridictionnelle effective, au sens des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, ou la circonstance qu’une telle juridiction interroge la Cour à propos de l’interprétation de dispositions du droit de l’Union ne sauraient, par définition, constituer une violation manifeste et flagrante des règles de droit, au sens de cet article 72, paragraphe 1, point 1.

124    Enfin, la République de Pologne est d’avis que le troisième grief et le deuxième grief sont contradictoires, dans la mesure où il ne serait pas possible de soutenir que le droit national interdit aux juges des juridictions nationales de contrôler l’existence éventuelle de violations du droit à une protection juridictionnelle effective sous peine de sanction disciplinaire, tout en alléguant, dans le même temps, que la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques dispose d’une compétence exclusive pour statuer sur les moyens tirés de telles violations.

 Appréciation de la Cour

–       Considérations liminaires

125    À titre liminaire, il importe, d’une part, de rappeler que, bien que l’établissement du régime disciplinaire applicable aux juges relève de la compétence des États membres, il n’en demeure pas moins que, dans l’exercice de cette compétence, chaque État membre est tenu de respecter le droit de l’Union. La République de Pologne est ainsi tenue d’assurer que le régime disciplinaire qu’elle a mis en place à l’égard des juges nationaux soit propre à préserver l’indépendance de juridictions qui, à l’instar des juridictions de droit commun, des juridictions administratives et du Sąd Najwyższy (Cour suprême), sont appelées à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union, afin de garantir aux justiciables la protection juridictionnelle effective requise par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE [voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 136 et jurisprudence citée]. Conformément au principe de séparation des pouvoirs qui caractérise le fonctionnement d’un État de droit, une telle indépendance doit notamment être garantie à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif [arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 42 et jurisprudence citée].

126    S’agissant des comportements susceptibles d’être érigés en infractions disciplinaires dans le chef des juges, la Cour a, certes, précisé que la sauvegarde de cette indépendance ne saurait avoir pour conséquence d’exclure totalement que la responsabilité disciplinaire d’un juge puisse, dans certains cas tout à fait exceptionnels, se trouver engagée du fait de décisions judiciaires adoptées par celui-ci. En effet, une telle exigence d’indépendance ne vise, à l’évidence, pas à cautionner d’éventuelles conduites graves et totalement inexcusables dans le chef de juges, qui consisteraient, par exemple, à méconnaître délibérément et de mauvaise foi ou du fait de négligences particulièrement graves et grossières les règles de droit national et de droit de l’Union dont ils sont censés assurer le respect, ou à verser dans l’arbitraire ou le déni de justice, alors qu’ils sont appelés, en tant que dépositaires de la fonction de juger, à statuer sur les litiges qui leur sont soumis par des justiciables [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 137].

127    La Cour n’en a, toutefois, pas moins jugé qu’il demeurait essentiel, aux fins de préserver ladite indépendance et d’éviter de la sorte que le régime disciplinaire puisse être détourné de ses finalités légitimes et utilisé à des fins de contrôle politique des décisions judiciaires, que la mise en cause de la responsabilité disciplinaire d’un juge du fait d’une telle décision soit limitée à des cas tout à fait exceptionnels tels que ceux évoqués au point précédent et encadrée, à cet égard, par des critères objectifs et vérifiables, tenant à des impératifs tirés de la bonne administration de la justice, ainsi que par des garanties visant à éviter tout risque de pressions extérieures sur le contenu des décisions judiciaires. À cet effet, il importe notamment que soient prévues des règles qui définissent, de manière suffisamment claire et précise, les comportements susceptibles d’engager la responsabilité disciplinaire des juges concernés [voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, points 138 à 140 ainsi que jurisprudence citée].

128    D’autre part, il convient également de rappeler que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, pour garantir la préservation des caractéristiques spécifiques et de l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union, les traités ont institué un système juridictionnel destiné à assurer la cohérence et l’unité dans l’interprétation du droit de l’Union. Dans ce cadre, l’article 19 TUE, qui, ainsi qu’il est rappelé au point 69 du présent arrêt, concrétise la valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE, confie aux juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit [voir, en ce sens, arrêts du 24 octobre 2018, XC e.a., C‑234/17, EU:C:2018:853, points 39 et 40 ainsi que jurisprudence citée, et du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 108 et jurisprudence citée].

129    Comme le rappelle la Commission, la Cour a ainsi jugé que le droit fondamental à un procès équitable et, en particulier, les garanties d’accès à un tribunal indépendant, impartial et établi préalablement par la loi caractérisant ce droit fondamental impliquent notamment que toute juridiction a l’obligation de vérifier si, par sa composition, elle constitue un tel tribunal lorsque surgit sur ce point un doute sérieux, cette vérification étant nécessaire à la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer au justiciable (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission, C‑542/18 RX‑II et C‑543/18 RX‑II, EU:C:2020:232, point 57).

130    De manière plus générale, il ressort, à cet égard, de la jurisprudence de la Cour que la vérification du respect des exigences découlant du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, au sens des dispositions de l’article 19, paragraphe 1, TUE et de l’article 47 de la Charte, et, en particulier, de celles ayant trait à un accès à un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi, est susceptible de s’imposer aux juridictions nationales dans certaines circonstances [voir, à titre d’exemples, arrêts A. K. e.a., points 153, 154, 164 et 166 ; du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 139, 149, 165 et 166, ainsi que du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a., C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, points 74 et 87].

131    Ainsi est-il notamment acquis qu’une juridiction nationale doit pouvoir, dans certaines circonstances, vérifier si une irrégularité entachant la procédure de nomination d’un juge a pu entraîner une violation de ce droit fondamental [voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, points 130 et 131, 152 à 154 et 159].

132    Dans ces conditions, le fait, pour une juridiction nationale, d’exercer les missions qui lui sont ainsi confiées par les traités et de se plier, ce faisant, aux obligations qui pèsent sur elle en vertu de ceux-ci, en donnant effet à des dispositions telles que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et l’article 47 de la Charte, ne saurait, par définition, être érigé en infraction disciplinaire dans le chef des juges siégeant dans une telle juridiction sans que ces dispositions du droit de l’Union soient ipso facto enfreintes.

–       Sur la première branche du troisième grief

133    Par la première branche du troisième grief, la Commission demande à la Cour de constater que, en ayant adopté et maintenu les dispositions figurant à l’article 72, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et à l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, la République de Pologne a manqué à ses obligations au titre, d’une part, des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, et, d’autre part, de l’article 267 TFUE.

134    Ainsi qu’il ressort de leur libellé, ces dispositions nationales érigent en infractions disciplinaires, dans le chef des juges des juridictions de droit commun et du Sąd Najwyższy (Cour suprême), les « actes ou omissions de nature à empêcher ou à compromettre sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire » ainsi que les « actes remettant en cause l’existence de la relation de travail d’un juge, l’effectivité de la nomination d’un juge ou la légitimité d’un organe constitutionnel de la République de Pologne ». Par ailleurs, il ressort de l’article 29, paragraphe 1, et de l’article 49, paragraphe 1, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives que ces infractions disciplinaires s’appliquent également à l’égard des juges des juridictions administratives.

135    S’agissant, d’une part, de la violation alléguée des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, il convient de constater, en premier lieu, que, contrairement à ce que la République de Pologne soutient, les termes dans lesquels sont ainsi rédigées les dispositions nationales contestées ne permettent pas de considérer que lesdites infractions disciplinaires viseraient exclusivement des actes juridictionnels ayant pour objet de se prononcer sur la validité même de l’acte de nomination d’un juge.

136    En effet, les références que ces dispositions nationales comportent à des « actes ou omissions » propres à « empêcher ou à compromettre sérieusement » le « fonctionnement » d’une « autorité judiciaire » ou encore à des « actes » « remettant en cause » l’existence de la « relation de travail d’un juge », l’« effectivité » de la nomination d’un juge ou la « légitimité d’un organe constitutionnel » sont de nature à conduire à ce qu’un éventail assez large d’actes ou d’omissions, en particulier juridictionnels, puissent, eu égard à leur contenu ou à leurs effets, être qualifiés d’« infractions disciplinaires » dans le chef des juges concernés, sans que la lecture réductrice susmentionnée que la République de Pologne donne desdites dispositions nationales puisse dès lors trouver appui dans les termes auxquels a eu recours le législateur polonais.

137    Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 181 et 183 de ses conclusions, de telles références revêtent un caractère à ce point large et imprécis qu’elles sont, en particulier, susceptibles de conduire à l’application des dispositions nationales contestées et à l’engagement de poursuites disciplinaires à l’égard des juges concernés dans des hypothèses dans lesquelles ces derniers examinent et statuent sur le point de savoir si eux-mêmes ou la juridiction dans laquelle ils siègent ou d’autres juges ou les juridictions auxquelles appartiennent ceux-ci satisfont aux exigences découlant des dispositions de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte.

138    Par ailleurs, compte tenu de leurs termes insuffisamment clairs et précis, ces dispositions nationales ne permettent pas davantage de garantir que la responsabilité des juges concernés du fait des décisions juridictionnelles qu’ils sont appelés à rendre soit strictement limitée à des hypothèses tout à fait exceptionnelles, telles que celles visées au point 126 du présent arrêt.

139    En deuxième lieu, il importe également, ainsi que la Commission le fait valoir, de tenir compte des conditions et du contexte particuliers dans lesquels lesdites dispositions nationales ont été adoptées, lesquels sont, en effet, de nature à contribuer à éclairer la portée de celles-ci.

140    À cet égard, il ne saurait, notamment, être ignoré que les termes ainsi privilégiés par le législateur polonais lors de l’adoption, dans l’urgence et sur la base d’un projet de loi soumis à la Diète le 12 décembre 2019, de la loi modificative du 20 décembre 2019 ayant introduit les dispositions nationales contestées dans la loi sur la Cour suprême, dans la loi relative aux juridictions de droit commun et dans la loi relative aux juridictions administratives, font manifestement et spécifiquement écho à une série de questionnements soulevés par différentes juridictions polonaises en ce qui concerne la conformité au droit de l’Union et, plus particulièrement, aux exigences découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, de diverses modifications législatives récentes ayant affecté l’organisation de la justice en Pologne.

141    Ainsi, premièrement, il découlait clairement de l’arrêt A. K. e.a., prononcé peu avant que la loi modificative soit adoptée, en particulier des points 134, 139 et 149 ainsi que du dispositif de cet arrêt, que la juridiction de renvoi dans les affaires jointes ayant donné lieu à celui-ci et, eu égard à l’effet erga omnes s’attachant aux arrêts interprétatifs rendus par la Cour sur le fondement de l’article 267 TFUE [voir, en ce sens, arrêts du 11 juin 1987, X, 14/86, EU:C:1987:275, point 12 et jurisprudence citée ; du 24 novembre 2020, Openbaar Ministerie (Faux en écritures), C‑510/19, EU:C:2020:953, point 73 et jurisprudence citée, ainsi que du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 36 et jurisprudence citée], toutes autres juridictions nationales qui seraient par la suite appelées à statuer sur des affaires analogues pourraient être amenées à devoir, sur le fondement du droit de l’Union, d’une part, se prononcer sur l’aptitude d’une instance telle que la chambre disciplinaire à statuer ou non sur des affaires relevant du droit de l’Union, en prenant notamment en considération les conditions dans lesquelles est intervenue la nomination des membres de celle-ci, et, d’autre part, se prononcer sur l’indépendance de la KRS en tant qu’organe appelé à intervenir dans le processus de nomination des juges.

142    Or, ce faisant, les juridictions nationales chargées d’appliquer, dans le cadre de leur compétence, les dispositions du droit de l’Union peuvent être appelées à adopter des actes pouvant s’avérer « de nature à empêcher ou à compromettre sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire », telle que la chambre disciplinaire, et à « remettre en cause » « l’effectivité de la nomination » des juges siégeant dans cette dernière, ainsi que des actes susceptibles de « remettre en cause [...] la légitimité d’un organe constitutionnel », tel que la KRS, et qui sont dès lors susceptibles de tomber sous le coup des dispositions nationales que la Commission conteste dans la première branche du troisième grief.

143    Au demeurant, il y a lieu également de tenir compte, à cet égard, de ce que, dans son arrêt du 5 décembre 2019 (III PO 7/18), le Sąd Najwyższy (Izba Pracy i Ubezpieczeń Społecznych) [Cour suprême (chambre du travail et des assurances sociales)] avait, lui-même, jugé, sur la base des enseignements découlant de l’arrêt A. K. e.a., que la KRS ne constituait pas, dans sa nouvelle composition, une instance indépendante des pouvoirs législatif et exécutif polonais et que la chambre disciplinaire n’était pas un tribunal, au sens de l’article 47 de la Charte, de l’article 6 de la CEDH et de l’article 45, paragraphe 1, de la Constitution.

144    Deuxièmement, il convient de relever que, à la date d’adoption des dispositions nationales contestées, la Cour était par ailleurs saisie, à titre préjudiciel, de différentes questions afférentes à l’interprétation des dispositions de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE lui ayant été adressées par des juridictions polonaises et portant, notamment, sur les points de savoir si cette disposition doit être interprétée en ce sens que :

–        ne constitue pas un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi, une juridiction composée d’une personne nommée juge en violation manifeste des dispositions de l’État membre régissant la nomination des juges [affaire C‑487/19, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination)] ;

–        dans le cadre d’une procédure en constatation d’inexistence d’une relation de travail d’un juge, une juridiction nationale peut constater que n’a pas la qualité de juge la personne qui a été nommée d’une manière incompatible avec le principe de protection juridictionnelle effective [affaire C‑508/19, Prokurator Generalny e.a. (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination)] ;

–        les exigences de la protection juridictionnelle effective, dont l’indépendance de la justice, sont méconnues lorsqu’une procédure pénale est organisée de telle sorte qu’un juge appartenant à une juridiction de degré immédiatement inférieur peut être délégué par le ministre de la Justice aux fins de siéger dans la formation de jugement ayant à connaître d’une affaire donnée, sans que les critères appliqués aux fins d’une telle délégation soient connus ni que cette décision de délégation puisse faire l’objet d’un contrôle juridictionnel et alors que ce ministre est autorisé à révoquer à tout moment cette délégation (affaires jointes C‑748/19 à C‑754/19, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a.).

145    Or, force est de constater que, en fonction de leur contenu, les réponses alors attendues à ces différentes questions étaient manifestement de nature à pouvoir conduire les juridictions de renvoi ayant saisi la Cour dans les affaires concernées et, au demeurant, toutes autres juridictions nationales appelées, à l’avenir, à statuer sur des affaires analogues, à devoir, le cas échéant, adopter des actes susceptibles d’être tenus pour avoir « rem[is] en cause » tantôt « l’effectivité de la nomination d’un juge », tantôt « l’existence de la relation de travail d’un juge », ou pour avoir « comprom[is] sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire », au sens des dispositions nationales contestées, et qui sont dès lors susceptibles de tomber sous le coup de celles-ci.

146    Troisièmement, il importe de souligner que, dans l’un des arrêts qui étaient ainsi attendus à la date d’adoption de ces dispositions nationales, à savoir l’arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798), la Cour a jugé que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et le principe de primauté du droit de l’Union doivent être interprétés en ce sens qu’une juridiction nationale saisie d’une demande de récusation se greffant sur un recours par lequel un juge en fonction au sein d’une juridiction susceptible d’interpréter et d’appliquer ce droit conteste une décision l’ayant muté sans son consentement, doit, lorsqu’une telle conséquence est indispensable au regard de la situation procédurale en cause pour garantir la primauté dudit droit, tenir pour non avenue une ordonnance par laquelle une instance, statuant en dernier degré et en formation à juge unique, a rejeté ledit recours, s’il ressort de l’ensemble des conditions et des circonstances dans lesquelles s’est déroulé le processus de nomination de ce juge unique que cette nomination est intervenue en violation manifeste de règles fondamentales faisant partie intégrante de l’établissement et du fonctionnement du système judiciaire concerné et que l’intégrité du résultat auquel a conduit ledit processus est mise en péril en semant des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité du juge concerné, de telle sorte que ladite ordonnance ne peut être considérée comme émanant d’un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, au sens dudit article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

147    Or, il apparaît que, en procédant à l’examen ainsi requis et en écartant le cas échéant, pour les motifs susmentionnés, une ordonnance telle que celle qui était en cause au principal dans l’affaire C‑487/19, les juges composant la juridiction de renvoi dans cette affaire, comme tous les juges qui seraient, à l’avenir, amenés à devoir procéder à un tel examen et à adopter une telle décision, risquent de se voir reprocher d’avoir, ce faisant, « remis en cause » « l’effectivité de la nomination du juge » ayant rendu une telle ordonnance ou d’avoir adopté un acte « de nature à empêcher ou à compromettre sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire », au sens des dispositions nationales contestées.

148    Par ailleurs, dans un autre arrêt ainsi attendu à la date d’adoption de ces dispositions nationales, à savoir l’arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931), la Cour a jugé, ainsi qu’il ressort du dispositif de celui-ci, que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à la lumière de l’article 2 TUE, ainsi que l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 65, p. 1), doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des dispositions nationales selon lesquelles le ministre de la Justice d’un État membre peut, sur le fondement de critères qui ne sont pas rendus publics, d’une part, déléguer un juge auprès d’une juridiction pénale de degré supérieur pour une durée déterminée ou indéterminée et, d’autre part, à tout moment et par une décision qui n’est pas motivée, révoquer cette délégation, indépendamment de la durée déterminée ou indéterminée de ladite délégation.

149    Or, il apparaît, une nouvelle fois, que, en étant appelés à tirer les conséquences de l’arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931), les juges composant la juridiction de renvoi dans les affaires au principal ayant donné lieu à cet arrêt ou tous ceux qui seraient, à l’avenir, amenés à devoir se prononcer dans des situations analogues, risquent, eux aussi, de se voir reprocher d’avoir, ce faisant, adopté des actes « de nature à empêcher ou à compromettre sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire », au sens des dispositions nationales contestées, et, en conséquence, de devoir faire face à des poursuites disciplinaires sur ce fondement.

150    En troisième lieu, quant au fait que les infractions disciplinaires visées dans ces dispositions nationales ne feraient, selon la République de Pologne, que viser des comportements par ailleurs prohibés en vertu de dispositions constitutionnelles nationales telles qu’interprétées par le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), il suffit de relever que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 75 à 79 du présent arrêt, une telle circonstance, à la supposer avérée, est dépourvue de pertinence aux fins d’apprécier les exigences découlant, pour les États membres, de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

151    Par ailleurs, il convient de rappeler que, dans l’hypothèse où, à la suite d’arrêts rendus par la Cour, une juridiction nationale serait amenée à considérer que la jurisprudence d’une juridiction constitutionnelle est contraire au droit de l’Union, le fait, pour une telle juridiction nationale, de laisser inappliquée cette jurisprudence, conformément au principe de primauté de ce droit, ne saurait davantage être de nature à engager sa responsabilité disciplinaire (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 260).

152    Il découle de tout ce qui précède que le risque que les dispositions nationales mentionnées au point 133 du présent arrêt fassent l’objet d’une interprétation permettant que le régime disciplinaire applicable aux juges et, en particulier, les sanctions que ce régime comporte, soit utilisé aux fins d’empêcher les juridictions nationales concernées d’effectuer certaines constatations ou appréciations qu’exigent pourtant de leur part les dispositions de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, et d’influer, ce faisant, sur les décisions juridictionnelles attendues de ces juridictions en portant ainsi atteinte à l’indépendance des juges qui composent ces dernières, est établi en l’espèce et que ces dispositions du droit de l’Union sont en conséquence méconnues à ce double titre.

153    S’agissant, d’autre part, de la violation alléguée de l’article 267 TFUE, les considérations exposées aux points 135 à 149 du présent arrêt amènent également à constater que les juges des juridictions de droit commun, des juridictions administratives ou du Sąd Najwyższy (Cour suprême) qui saisiraient la Cour de questions préjudicielles portant sur l’interprétation des exigences afférentes à l’indépendance et à l’impartialité des juridictions ainsi qu’à la notion de « tribunal établi préalablement par la loi » découlant des dispositions de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, telles que celles ayant été adressées à la Cour dans le cadre des affaires préjudicielles mentionnées aux points 141 et 144 de cet arrêt, risquent, en raison du fait même d’avoir formulé de telles questions et d’avoir exprimé leurs doutes à l’origine de celles-ci, de se voir reprocher d’avoir, ce faisant, commis les infractions prévues par les dispositions nationales contestées.

154    En effet, ces dispositions nationales sont, ainsi qu’il est relevé aux points 135 à 138 du présent arrêt, libellées en des termes à ce point larges et imprécis qu’elles ne permettent pas d’exclure que de tels doutes et questions soient perçus comme « rem[ettant] en cause l’existence de la relation de travail d’un juge, l’effectivité de la nomination d’un juge ou la légitimité d’un organe constitutionnel de la République de Pologne » ou comme ayant contribué à « compromettre sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire », au sens desdites dispositions.

155    Or, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’article 267 TFUE confère aux juridictions nationales la faculté la plus étendue de saisir celle-ci si elles considèrent qu’une affaire pendante devant elles soulève des questions exigeant une interprétation de dispositions du droit de l’Union nécessaire au règlement du litige qui leur est soumis [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 223 et jurisprudence citée].

156    Par ailleurs, s’agissant de juridictions telles que le Sąd Najwyższy (Cour suprême) ou le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative), dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours de droit interne, au sens de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, cette faculté se transforme même, sous réserve des exceptions reconnues par la jurisprudence de la Cour, en une obligation de saisir la Cour à titre préjudiciel [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 224 et jurisprudence citée].

157    Il est également de jurisprudence constante qu’une règle de droit national ne saurait empêcher une juridiction nationale de faire usage de ladite faculté ou de se conformer à ladite obligation, lesquelles sont, en effet, inhérentes au système de coopération entre les juridictions nationales et la Cour, établi à l’article 267 TFUE, et aux fonctions de juge chargé de l’application du droit de l’Union confiées par cette disposition aux juridictions nationales [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 225 et jurisprudence citée].

158    En outre, une règle de droit national qui risque, notamment, d’avoir pour conséquence qu’un juge national préfère s’abstenir de poser des questions préjudicielles à la Cour porte atteinte aux prérogatives ainsi reconnues aux juridictions nationales par l’article 267 TFUE et, par conséquent, à l’efficacité de ce système de coopération [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 226 et jurisprudence citée].

159    Ainsi, des dispositions nationales dont il découle que les juges nationaux peuvent s’exposer à des procédures disciplinaires en raison du fait qu’ils ont saisi la Cour d’un renvoi à titre préjudiciel ne sauraient être admises. En effet, la seule perspective de pouvoir, le cas échéant, faire l’objet de poursuites disciplinaires du fait d’avoir procédé à un tel renvoi ou d’avoir décidé de maintenir celui-ci postérieurement à son introduction est de nature à porter atteinte à l’exercice effectif par les juges nationaux concernés de la faculté et des fonctions visées au point 157 du présent arrêt [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 227 et jurisprudence citée].

160    Dans ce contexte, il convient, en outre, de souligner que la Cour a été amenée à relever, dans plusieurs arrêts, que des enquêtes préalables au lancement d’éventuelles procédures disciplinaires relatives à des décisions par lesquelles des juridictions de droit commun polonaises avaient adressé à la Cour des demandes de décision préjudicielle portant, notamment, sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ont effectivement déjà été diligentées [voir arrêts du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 101 et jurisprudence citée, ainsi que du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 231].

161    Il découle, ainsi, de tout ce qui précède que le risque que les dispositions nationales que la Commission conteste dans la première branche du troisième grief puissent faire l’objet d’une interprétation permettant que le régime disciplinaire concerné soit utilisé aux fins de sanctionner des juges nationaux en raison du fait d’avoir adressé des renvois préjudiciels à la Cour ou maintenu de tels renvois est également établi et que ces dispositions nationales enfreignent, en conséquence, l’article 267 TFUE.

162    Enfin, l’argumentation de la République de Pologne reprise au point 124 du présent arrêt et tirée d’une prétendue contradiction entre le troisième grief et le deuxième grief doit être écartée. À cet égard, il suffit, en effet, de relever que, alors que ce deuxième grief vise à dénoncer la circonstance que l’examen de certaines questions juridiques relève de la compétence exclusive de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, le troisième grief porte, pour sa part, sur la conformité au droit de l’Union de dispositions érigeant certains types de comportements en infractions disciplinaires dans le chef des juges des juridictions de droit commun, des juridictions administratives et du Sąd Najwyższy (Cour suprême), y compris, au demeurant, les juges de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques.

163    Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de constater que les dispositions de l’article 72, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et de l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun enfreignent tant les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte que celles de l’article 267 TFUE, de telle sorte que la première branche du troisième grief de la Commission doit être accueillie.

–       Sur la seconde branche du troisième grief

164    Il convient de relever, d’emblée, que, ainsi que la Commission le souligne, la disposition de l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême qualifiant d’infraction disciplinaire, dans le chef des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême), la « violation manifeste et flagrante des règles de droit », reprend, à cet égard, une formule identique à celle que contenait déjà l’article 107, paragraphe 1, point 1, de la loi relative aux juridictions de droit commun avant sa modification par la loi modificative et qui érigeait également une telle violation en infraction disciplinaire dans le chef des juges de ces juridictions.

165    Or, ainsi qu’il ressort du point 157 et du deuxième tiret du point 1 du dispositif de l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596), prononcé au cours de la présente instance, la Cour a jugé, à propos de la règle énoncée à l’article 107, paragraphe 1, point 1, de la loi relative aux juridictions de droit commun, que, compte tenu de l’ensemble des considérations énoncées aux points 134 à 156 de cet arrêt, il était établi que, dans le contexte particulier issu des récentes réformes ayant affecté le pouvoir judiciaire et le régime disciplinaire applicable aux juges des juridictions de droit commun en Pologne, la définition de la notion d’« infraction disciplinaire » que comporte cette disposition ne permettait pas d’éviter que ce régime disciplinaire soit utilisé aux fins de générer, à l’égard de ces juges, qui sont appelés à devoir interpréter et appliquer le droit de l’Union, des pressions et un effet dissuasif susceptibles d’influencer le contenu de leurs décisions. À ce point 157, la Cour a ainsi conclu que cet article 107, paragraphe 1, point 1, portait, de ce fait, atteinte à l’indépendance des juges des juridictions de droit commun en violation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

166    Dans ces conditions, il y a lieu, pour des motifs en substance identiques à ceux exposés aux points 134 à 156 de l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596), auxquels il convient de se reporter, de constater que l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême enfreint, également, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. En effet, cette disposition nationale porte atteinte à l’indépendance des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) qui, ainsi qu’il est relevé au point 92 du présent arrêt, sont eux aussi appelés à devoir interpréter et appliquer le droit de l’Union, dès lors que ladite disposition nationale ne permet pas d’éviter que le régime disciplinaire applicable à l’égard de ces juges soit utilisé aux fins de générer des pressions et un effet dissuasif susceptibles d’influencer le contenu de leurs décisions, en particulier celles concernant les exigences découlant du droit à une protection juridictionnelle effective relatives à l’existence de tribunaux indépendants et impartiaux établis préalablement par la loi.

167    Par ailleurs, il convient de rappeler que, dans l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596), la Cour a également jugé, ainsi qu’il ressort du point 234 et du point 2 du dispositif de celui-ci, que, du fait de l’existence de l’infraction disciplinaire énoncée à l’article 107, paragraphe 1, point 1, de la loi relative aux juridictions de droit commun et pour les motifs exposés aux points 222 à 233 de cet arrêt, la République de Pologne avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 267, deuxième et troisième alinéas, TFUE, en permettant que le droit des juridictions nationales concernées de saisir la Cour de demandes de décision préjudicielle soit limité par la possibilité d’engager une procédure disciplinaire.

168    Dans ces conditions, il y a lieu, pour des motifs en substance identiques à ceux ainsi retenus aux points 222 à 233 de l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596), auxquels il convient de se reporter, de constater que, en adoptant et en maintenant la disposition de l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême et en permettant, de la sorte, que l’obligation du Sąd Najwyższy (Cour suprême) de saisir la Cour de demandes de décision préjudicielle soit limitée par la possibilité d’engager une procédure disciplinaire à l’égard des juges de cette juridiction nationale, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 267 TFUE.

169    Il s’ensuit que la seconde branche du troisième grief est également fondée et que ce grief doit, par conséquent, être accueilli dans son intégralité.

 Sur le premier grief

 Argumentation des parties

170    Par son premier grief, qu’il y a lieu d’examiner en troisième lieu, la Commission soutient que les dispositions de l’article 42a, paragraphes 1 et 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, de l’article 26, paragraphe 3, et de l’article 29, paragraphes 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et de l’article 5, paragraphes 1a et 1b, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives ainsi que les dispositions de l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et celles de l’article 8 de la loi modificative violent les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, le principe de primauté du droit de l’Union et l’article 267 TFUE.

171    Selon la Commission, ces dispositions nationales auraient pour objet d’interdire aux juridictions nationales auxquelles elles s’appliquent de vérifier, ainsi que ces dernières en auraient pourtant l’obligation, d’office ou à la demande d’une partie, si le droit des justiciables à ce que leur cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, dans les affaires relatives aux droits individuels que ceux-ci tirent du droit de l’Union, peut être garanti ou n’a pas été enfreint, en contrôlant si leur propre composition ou celle d’une autre juridiction, par exemple une formation de degré inférieur, satisfait aux exigences propres à offrir une telle garantie. Un tel contrôle devrait, en effet, notamment pouvoir porter sur la régularité du processus de nomination des membres qui composent les juridictions concernées ou permettre d’apprécier la légitimité de celles-ci et de leurs membres, ce que viseraient à empêcher les dispositions nationales contestées.

172    En invoquant le principe d’inamovibilité des juges et l’impossibilité constitutionnelle d’invalider l’acte de nomination de ceux-ci, la République de Pologne confondrait l’obligation de permettre un tel contrôle juridictionnel découlant du droit de l’Union avec les conséquences de la constatation, à l’issue de ce contrôle juridictionnel, du non-respect éventuel des exigences découlant du droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Or, de telles conséquences, qui devraient être déterminées par la juridiction nationale appelée à statuer, en se fondant sur le droit national applicable et en tenant dûment compte de la pleine efficacité du droit de l’Union et de la nécessité de mettre en balance les exigences tenant à l’application du principe de sécurité juridique et celles tenant au respect du droit applicable, ne devraient pas nécessairement consister dans une annulation de l’acte de nomination en cause ou dans une révocation du juge concerné. En général, ces conséquences seraient d’ailleurs déterminées dans le cadre d’un contrôle juridictionnel effectué en deuxième instance et dont l’objet est un jugement ou un acte autre qu’un acte de nomination à un poste de juge.

173    En cas d’établissement d’une violation du droit fondamental des justiciables à un recours juridictionnel effectif, le principe de primauté et l’effectivité du droit de l’Union exigeraient, par ailleurs, que, lorsque le résultat de la mise en balance susmentionnée l’impose, les règles nationales concernées soient laissées inappliquées.

174    En défense, la République de Pologne soutient que la Commission n’a pas satisfait à la charge de la preuve pesant sur elle, en s’abstenant d’étayer ses allégations relatives à d’éventuelles violations de l’article 267 TFUE et du principe de primauté du droit de l’Union. En tout état de cause, les dispositions nationales contestées ne traiteraient pas de la soumission de questions préjudicielles par les juridictions nationales ni ne porteraient sur des questions de conflits entre normes dans le cadre desquels ce principe pourrait devoir être appliqué. La Commission n’aurait, par ailleurs, pas davantage expliqué en quoi l’une des dispositions nationales contestées, à savoir l’article 26, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, pourrait enfreindre les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte.

175    Quant aux autres violations alléguées de ces deux dernières dispositions du droit de l’Union, la République de Pologne fait valoir que l’obligation, pour une juridiction nationale, d’examiner le respect des garanties exigées en vertu de celles-ci aux fins de s’assurer que des irrégularités dans la procédure de nomination d’un juge n’ont pas porté atteinte au droit d’une partie à un tribunal établi par la loi dans une affaire déterminée n’implique pas de reconnaître à tout justiciable le droit de demander à ce qu’un juge soit privé de son mandat et à toute juridiction nationale la compétence pour remettre en cause, dans n’importe quelle procédure, l’acte de nomination d’un juge et la pérennité de ses effets sans base légale. Selon cet État membre, toute autre interprétation conduirait d’ailleurs à une méconnaissance des principes d’inamovibilité et d’indépendance des juges.

176    Ainsi qu’il ressortirait de leur interprétation littérale, contextuelle, téléologique et systémique, et contrairement à la signification erronée que la Commission leur prêterait, l’article 42a, paragraphes 1 et 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, l’article 26, paragraphe 3, et l’article 29, paragraphes 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême ainsi que l’article 5, paragraphes 1a et 1b, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives n’empêcheraient pas que les garanties requises en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte soient respectées.

177    En premier lieu, ces dispositions nationales n’auraient été introduites qu’en raison de menaces graves pesant sur la sécurité des relations juridiques et la justice liées à une multiplication récente des tentatives de remise en cause de l’existence même des mandats des juges. Ce faisant, le législateur polonais n’aurait d’ailleurs visé qu’à assurer le respect du droit national préexistant. En effet, la Constitution et une jurisprudence constante des juridictions tant constitutionnelle qu’administratives auraient, de tout temps, exclu que la validité ou l’effectivité de l’acte de nomination d’un juge puisse faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.

178    En deuxième lieu, lesdites dispositions nationales devraient être interprétées à la lumière et conformément aux dispositions de rang supérieur dans la hiérarchie des normes, à savoir l’article 45 de la Constitution, l’article 6 de la CEDH et les dispositions correspondantes du droit de l’Union.

179    En troisième lieu, le contrôle effectif des garanties afférentes à l’accès à un tribunal indépendant, impartial et établi préalablement par la loi découlant du droit de l’Union serait pleinement assuré par l’application de différentes autres dispositions nationales. Il en irait ainsi, premièrement, des articles 48 à 54 de l’ustawa – Kodeks postępowania cywilnego (loi portant code de procédure civile) (ci‑après le « code de procédure civile »), des articles 40 à 44 de l’ustawa – Kodeks postępowania karnego (loi portant code de procédure pénale) et des articles 18 à 24 de l’ustawa – Prawo o postępowaniu przed sądami administracyjnymi (la loi sur la procédure devant les juridictions administratives), dispositions permettant de demander la récusation des juges en cas de doute quant à leur impartialité et à leur indépendance. Deuxièmement, la possibilité, pour un justiciable nourrissant des doutes quant à l’aptitude d’une juridiction à garantir son droit à un tel tribunal, de demander que l’affaire concernée soit renvoyée à une autre juridiction, conformément aux enseignements découlant de l’arrêt A. K. e.a., serait garantie à l’article 200, paragraphe 14, du code de procédure civile, en vertu duquel les juridictions nationales doivent examiner d’office si elles sont compétentes et, à défaut d’une telle compétence, renvoyer l’affaire à la juridiction compétente. Troisièmement, lorsque la composition de la juridiction ayant statué est contraire à la loi, la juridiction de degré supérieur devant laquelle un recours a été introduit serait tenue de procéder, d’office, à l’annulation de la procédure concernée et à la révocation du jugement en cause, conformément à l’article 379, point 4, du code de procédure civile, à l’article 439, paragraphe 1, point 1, de la loi portant code de procédure pénale et à l’article 183, paragraphe 2, point 4, de la loi portant code de procédure administrative.

180    Par ailleurs, la Commission se méprendrait sur la portée de l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et, partant, sur celle de l’article 8 de la loi modificative, prévoyant l’application de cet article 55, paragraphe 4, aux affaires pendantes. En effet, ledit article 55, paragraphe 4, n’interdirait aucunement l’appréciation du point de savoir si un tribunal est correctement composé, notamment au moyen d’une demande de récusation ou aux fins de contrôler si cette composition a eu une incidence négative sur l’issue du litige concerné. Le même article 55, paragraphe 4, procéderait en réalité à une simple codification d’une jurisprudence constante du Sąd Najwyższy (Cour suprême), selon laquelle la circonstance qu’une affaire a été examinée par une formation de jugement en violation des dispositions « réglementaires » relatives à l’attribution des affaires aux juges et à la désignation des formations de jugement ne constituerait pas un moyen d’ordre public de nature à invalider automatiquement la procédure concernée ni un cas d’ouverture d’un recours extraordinaire.

181    Enfin, la République de Pologne soutient, en des termes analogues à ceux mentionnés au point 124 du présent arrêt, que les premier et deuxième griefs sont contradictoires, dans la mesure où il ne serait pas possible de soutenir à la fois que le droit national interdit aux juridictions nationales de contrôler l’existence éventuelle de violations du droit à une protection juridictionnelle effective et, dans le même temps, que la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques est investie d’une compétence exclusive pour statuer sur les moyens tirés de telles violations.

182    Dans son mémoire en réplique, la Commission fait valoir notamment, en ce qui concerne la violation alléguée de l’article 267 TFUE, qu’elle a précisé, dans l’avis motivé, et qu’il serait, au demeurant, évident, que, en interdisant aux juridictions nationales d’apprécier si une juridiction ou un juge satisfait à certaines exigences afférentes à la protection juridictionnelle effective découlant du droit de l’Union, les dispositions nationales contestées empêchent, automatiquement, ces juridictions nationales d’engager un dialogue préjudiciel avec la Cour à cet égard. La violation alléguée de l’article 267 TFUE aurait, en outre, été étayée en détail dans la requête en ce qui concerne le deuxième grief. Quant à l’article 26, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, il aurait le même contenu normatif que l’article 29, paragraphe 3, de cette loi et que l’article 42a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, de telle sorte que le même raisonnement juridique s’appliquerait en ce qui concerne l’ensemble de ces dispositions sans qu’il soit besoin de le préciser dans les motifs de la requête.

183    S’agissant de la violation alléguée des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte ainsi que du principe de primauté du droit de l’Union, les dispositions nationales visées au point 176 du présent arrêt interdiraient non seulement de « constater », mais également d’« apprécier » la légalité de la nomination ainsi que le « pouvoir d’exercer des missions en matière d’administration de la justice qui découle de cette nomination », sans mentionner l’acte de nomination concerné, de telle sorte que, sur la base d’un tel libellé, l’appréciation du pouvoir d’un juge de statuer dans une affaire donnée serait interdite. Cette interprétation ressortirait également de l’article 26, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, selon lequel une demande visée au paragraphe 2 de ce même article ne peut porter sur l’appréciation de la légalité de la nomination d’un juge ou de sa légitimité pour exercer des fonctions juridictionnelles.

184    Pour ce qui est de l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, la Commission fait observer que cette disposition nationale ne vise pas les cas de violation des dispositions relatives à l’attribution des affaires ainsi qu’à la désignation et à la modification des formations de jugement, de telle sorte que les arguments invoqués par la République de Pologne et tirés d’une telle violation seraient dépourvus de pertinence.

185    Dans son mémoire en duplique, la République de Pologne fait valoir que, s’agissant des violations alléguées de l’article 267 TFUE et du principe de primauté du droit de l’Union, la Commission n’est fondée à se contenter ni d’une prétendue « évidence », toute présomption quelconque étant à cet égard exclue, ni du fait qu’une argumentation non invoquée dans la requête figurerait dans l’avis motivé. Quant à l’article 26, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, il aurait appartenu à la Commission d’étayer ses griefs sans qu’il puisse être attendu de la partie défenderesse qu’elle devine que des arguments invoqués dans la requête concernant d’autres dispositions nationales pouvaient également fonder ces griefs.

186    S’agissant de l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, il ne ressortirait pas de la seconde phrase de cette disposition et, notamment, de l’emploi des termes « ne peuvent être invoquées » figurant dans celle-ci, que la conformité aux dispositions réglementaires relatives à l’attribution des affaires ou à la désignation ou à la modification des formations de jugement serait de nature à régulariser tous les autres vices ayant, le cas échéant, entaché la procédure concernée et étant susceptibles d’aboutir à une décision violant le droit du justiciable à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi.

187    Lors de l’audience, hormis les considérations évoquées aux points 117 et 118 du présent arrêt, la Commission a fait valoir que, s’agissant de l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, cette disposition nationale était, par exemple, de nature à faire obstacle au respect, par les juridictions nationales, des enseignements découlant, d’une part, du point 176 de l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596), et, d’autre part, du dispositif de l’arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931).

 Appréciation de la Cour

–       Sur la recevabilité

188    S’agissant, en premier lieu, de la violation alléguée de l’article 267 TFUE, il convient de rappeler que, conformément à l’article 120, sous c), du règlement de procédure de la Cour et à la jurisprudence de celle-ci afférente à cette disposition, toute requête introductive d’instance doit indiquer l’objet du litige, les moyens et les arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire de ces moyens. Une telle indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et à la Cour d’exercer son contrôle. Il en découle que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours est fondé doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même et que les conclusions de cette dernière doivent être formulées de manière non équivoque afin d’éviter que la Cour ne statue ultra petita ou n’omette de statuer sur un grief [arrêt du 19 septembre 2017, Commission/Irlande (Taxe d’immatriculation), C‑552/15, EU:C:2017:698, point 38 et jurisprudence citée].

189    La Cour a également jugé que, dans le cadre d’un recours formé en application de l’article 258 TFUE, celui-ci doit présenter les griefs de façon cohérente et précise, afin de permettre à l’État membre et à la Cour d’appréhender exactement la portée de la violation du droit de l’Union reprochée, condition nécessaire pour que cet État puisse faire valoir utilement ses moyens de défense et pour que la Cour puisse vérifier l’existence du manquement allégué [arrêt du 8 mars 2022, Commission/Royaume-Uni (Lutte contre la fraude à la sous-évaluation), C‑213/19, EU:C:2022:167, point 133 et jurisprudence citée].

190    En particulier, le recours de la Commission doit contenir un exposé cohérent et détaillé des raisons l’ayant amenée à la conviction que l’État membre intéressé a manqué à l’une des obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union (arrêt du 31 octobre 2019, Commission/Pays-Bas, C‑395/17, EU:C:2019:918, point 54 et jurisprudence citée).

191    Or, en l’espèce, il y a lieu de relever que, si l’article 267 TFUE est notamment visé dans le petitum de la requête afférent au premier grief, les développements de cette dernière consacrés à l’exposé de ce grief et à l’argumentation de la Commission qui y est afférente ne comportent, en revanche, plus la moindre mention de cet article et de sa violation éventuelle, ni, a fortiori, la moindre précision en ce qui concerne les raisons pour lesquelles les dispositions nationales contestées dans le cadre dudit grief seraient de nature à enfreindre ledit article.

192    Dans ces conditions, force est de constater, à l’instar de M. l’avocat général au point 128 de ses conclusions, que, s’agissant de la violation alléguée de l’article 267 TFUE dans le cadre du premier grief, la requête ne satisfait pas aux exigences rappelées aux points 188 à 190 du présent arrêt. À cet égard, ni la circonstance que cette violation alléguée ait, s’agissant de ce premier grief, été étayée par la Commission, dans l’avis motivé, ni le fait qu’une violation analogue de l’article 267 TFUE ait fait l’objet d’une argumentation en ce qui concerne d’autres griefs articulés dans la requête à propos d’autres dispositions nationales que celles visées par ledit premier grief ne sont de nature à pouvoir remédier à l’irrégularité dont l’acte introductif d’instance est ainsi entaché. En effet, ce dernier ne permet pas, s’agissant du premier grief, de cristalliser, de manière cohérente, claire et précise, le différend afférent à l’article 267 TFUE qui a été en l’espèce soumis à la Cour à l’issue de la procédure précontentieuse.

193    En deuxième lieu, s’agissant de la violation alléguée du principe de primauté du droit de l’Union, il convient, en revanche, de relever que, dans les développements consacrés au premier grief qu’elle a exposés dans la requête, la Commission fait état de ce principe, soulignant, notamment, au point 75 de cette requête, que, en empêchant les juridictions polonaises de se prononcer sur le point de savoir s’il est satisfait aux exigences découlant des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, dans les hypothèses visées par les dispositions nationales contestées, ces dernières étaient, de ce fait même, également susceptibles d’empêcher ces juridictions d’adopter, conformément audit principe, les actes qui pourraient s’avérer nécessaires aux fins d’assurer le respect effectif de ces exigences dans de telles hypothèses.

194    En ce qui concerne, en troisième lieu, l’article 26, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, il est, certes, exact, ainsi que la République de Pologne le fait observer, que, alors que cette disposition nationale figure dans le petitum de la requête relatif au premier grief, l’argumentation énoncée à l’appui de ce grief dans cette requête ne comporte pas de développements spécifiquement afférents à ladite disposition.

195    Toutefois, ainsi que la Commission le fait valoir, en énonçant que la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques ne peut examiner une demande concernant la constatation et l’appréciation de la légalité de la nomination d’un juge ou de sa légitimité pour exercer des fonctions juridictionnelles, cet article 26, paragraphe 3, se limite, en substance, à réitérer ce qui ressort déjà de l’article 29, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, à savoir que le Sąd Najwyższy (Cour suprême), notamment la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, se voit interdire de constater ou d’apprécier la légalité de la nomination d’un juge ou du pouvoir d’exercer des missions en matière d’administration de la justice qui découle de cette nomination.

196    Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les critiques adressées par la Commission à l’égard de l’article 29, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême portent, ipso facto, également sur l’article 26, paragraphe 3, de celle-ci et englobent ainsi cette dernière disposition. Il s’ensuit qu’il n’était pas nécessaire que la Commission fournisse une explicitation particulière en ce qui concerne cette dernière disposition nationale et, partant, que l’absence d’une telle explicitation n’a pas été de nature à affecter les droits de la défense de la République de Pologne.

197    Il découle de tout ce qui précède que le premier grief de la Commission est irrecevable en ce qu’il porte sur la violation alléguée de l’article 267 TFUE et est recevable pour le surplus.

–       Sur le fond

198    S’agissant, tout d’abord, de l’article 42a, paragraphes 1 et 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, de l’article 29, paragraphes 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et de l’article 5, paragraphes 1a et 1b, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives, il ressort des termes des deux premières dispositions nationales mentionnées, d’une part, que, « dans le cadre des activités » des différentes juridictions concernées « ou de [leurs] organes », il n’est « pas permis de remettre en cause la légitimité des [juridictions], des organes constitutionnels de l’État et des organes de contrôle et de protection du droit » et, d’autre part, que ces juridictions « ne [peuvent] pas constater ni apprécier la légalité de la nomination d’un juge ou du pouvoir d’exercer des missions en matière d’administration de la justice qui découlent de cette nomination ». En ce qui concerne l’article 26, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, cette disposition exclut que la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques puisse, à la suite de la transmission à celle-ci, par une autre juridiction, d’une demande concernant la récusation d’un juge ou la désignation d’une juridiction devant laquelle une procédure doit être menée et comprenant, le cas échéant, des griefs tirés de l’absence d’indépendance du juge ou de la juridiction concernés, examiner cette demande lorsque cette dernière « concerne la constatation et l’appréciation de la légalité d’une nomination d’un juge ou de sa légitimité pour exercer des fonctions juridictionnelles ».

199    À cet égard, il convient d’observer, en premier lieu, que, à l’instar de ce qui est relevé, en substance, aux points 135 à 137 du présent arrêt à propos des dispositions nationales mises en cause par la Commission dans le cadre du troisième grief, les termes caractérisant les dispositions nationales visées par le premier grief ne permettent pas de considérer, contrairement à ce que la République de Pologne soutient, que les interdictions ainsi édictées viseraient exclusivement des actes juridictionnels ayant pour objet de se prononcer sur la validité de l’acte de nomination d’un juge.

200    En effet, d’une part, ces dernières dispositions nationales interdisent non seulement de « constater », mais également d’« apprécier », au regard de leur « légalité », tant la « nomination » elle-même que le « pouvoir d’exercer des missions en matière d’administration de la justice qui découle de cette nomination ». D’autre part, ces mêmes dispositions interdisent, en des termes plus généraux encore, toute « remise en cause » de la « légitimité » des « juridictions » et des « organes constitutionnels de l’État ou des organes de contrôle et de protection du droit ».

201    Eu égard à leur caractère relativement large et imprécis, de telles formulations apparaissent comme étant de nature à pouvoir conduire à ce qu’un large éventail d’actes ou de comportements des juridictions de droit commun, des juridictions administratives ou du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ou de leurs organes puissent, en raison de leur contenu ou de leurs effets, tomber sous le coup des interdictions ainsi édictées. Il peut, en particulier, en aller ainsi lorsque ces juridictions sont tenues, conformément aux obligations pesant sur elles et rappelées aux points 128 à 131 du présent arrêt, de vérifier, dans certaines circonstances, si elles-mêmes ou les juges qui les composent ou d’autres juges ou juridictions, étant appelés à statuer sur des affaires ayant trait au droit de l’Union ou ayant statué sur celles-ci, satisfont aux exigences découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte afférentes à l’indépendance, à l’impartialité et à l’établissement préalable par la loi des juridictions et juges concernés.

202    En deuxième lieu, il importe de relever que les termes auxquels a ainsi eu recours le législateur polonais sont, à l’instar de ce qui est relevé au point 140 du présent arrêt à propos des dispositions nationales mises en cause par la Commission dans le cadre du troisième grief, étroitement liés à une série de questionnements soulevés par différentes juridictions polonaises portant sur la conformité au droit de l’Union et, plus particulièrement, aux exigences découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, de diverses modifications législatives récentes ayant affecté l’organisation de la justice en Pologne.

203    En effet, la loi modificative et les dispositions nationales visées par le premier grief ont été adoptées, dans l’urgence, dans le contexte décrit aux points 141 à 145 du présent arrêt, lequel est notamment caractérisé par l’existence, d’une part, de développements jurisprudentiels récents afférents à la préservation de l’État de droit et, plus particulièrement, de l’indépendance du pouvoir judiciaire en Pologne, issus de l’arrêt A. K. e.a., ainsi que, d’autre part, de plusieurs renvois préjudiciels alors pendants devant la Cour et ayant trait à une telle problématique.

204    À cet égard, il ressort, en particulier, des points 134, 139 et 149 ainsi que du dispositif de l’arrêt A. K. e.a. que les enseignements de cet arrêt, comme ceux de la jurisprudence nationale, mentionnée au point 143 du présent arrêt, qui s’est développée à la lumière dudit arrêt A. K. e.a., ont trait à la conformité au droit de l’Union des compétences ayant été octroyées à la chambre disciplinaire, notamment eu égard aux modalités ayant présidé à la nomination des membres de cette chambre et aux défauts d’indépendance tant de ladite chambre que de la KRS étant intervenue dans ce processus de nomination.

205    En particulier, ainsi qu’il est relevé au point 141 du présent arrêt, il découlait clairement de l’arrêt A. K. e.a. que les juridictions nationales appelées à statuer sur des affaires de ce type pourraient être amenées, en vertu du droit de l’Union, à devoir, d’une part, se prononcer sur l’aptitude d’une instance telle que la chambre disciplinaire à statuer sur des affaires relevant du droit de l’Union, en prenant en considération notamment les conditions dans lesquelles est intervenue la nomination des membres de celle-ci, et, d’autre part, à examiner l’indépendance de la KRS et, à défaut d’une telle indépendance, à se prononcer sur les conséquences s’attachant à l’intervention de cet organe dans le processus de nomination des juges de la chambre disciplinaire.

206    Or, il était manifeste que, ce faisant, ces juridictions nationales, chargées d’appliquer, dans le cadre de leur compétence, des dispositions du droit de l’Union, pourraient être appelées à adopter des actes susceptibles d’être considérés comme étant de nature à « remettre en cause » la « légitimité des [juridictions] », telles que la chambre disciplinaire, ou celle d’« organes constitutionnels de l’État [...] [ou] de protection du droit », tels que la KRS, en portant, qui plus est, à cette occasion, des « appréciations » sur la « légalité » de la « nomination » des juges siégeant au sein de ladite chambre et « du pouvoir de [ceux]-ci d’exercer des fonctions juridictionnelles en matière d’administration de la justice », au sens des dispositions nationales que la Commission conteste dans le cadre du premier grief.

207    S’agissant des questions préjudicielles, visées au point 144 du présent arrêt, dont la Cour se trouvait saisie à la date d’adoption des dispositions nationales contestées, celles-ci portaient, d’une part, sur l’absence de conformité éventuelle au droit de l’Union de nouvelles règles nationales en vertu desquelles plusieurs personnes avaient récemment été nommées à des postes de juges au Sąd Najwyższy (Cour suprême) et sur les effets susceptibles de résulter d’une telle absence de conformité en ce qui concerne les actes juridictionnels adoptés par les juges concernés. Ces questions préjudicielles avaient trait, d’autre part, à l’absence de conformité éventuelle à ce droit de règles nationales autorisant l’adoption de décisions ministérielles consistant à déléguer des juges dans d’autres juridictions que leur juridiction d’origine.

208    En fonction de leur contenu, les réponses alors attendues de la Cour auxdites questions préjudicielles étaient de nature à pouvoir conduire les juridictions nationales à devoir, le cas échéant, porter des « appréciations » sur la « légalité » de la « nomination » de juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ou « du pouvoir de [ceux]-ci d’exercer des fonctions juridictionnelles en matière d’administration de la justice » ou adopter des actes susceptibles d’être considérés comme ayant « rem[is] en cause » la « légitimité des [juridictions] », notamment celles dans lesquelles des juges avaient été délégués.

209    En outre, ainsi qu’il ressort des arrêts mentionnés aux points 146 et 148 du présent arrêt, les réponses apportées par la Cour aux questions préjudicielles dont la teneur est rappelée au point 207 de cet arrêt ont confirmé le risque que des actes ou appréciations incombant, dans certaines circonstances, aux juridictions nationales en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, TUE et de l’article 47 de la Charte puissent effectivement tomber sous le coup des interdictions édictées aux dispositions nationales contestées dans le cadre du premier grief.

210    L’argument de la République de Pologne mentionné au point 175 du présent arrêt n’est pas de nature à remettre en cause l’analyse qui précède. En effet, il ne découle pas de celle-ci que toute juridiction nationale devrait se voir reconnaître la compétence pour remettre en cause, d’office ou à la demande d’un justiciable, dans le cadre de n’importe quelle procédure, l’acte de nomination d’un juge, sa relation de travail ou l’exercice de son pouvoir juridictionnel, après avoir, le cas échéant, sollicité une interprétation préjudicielle de la Cour.

211    Ainsi la Cour a-t-elle, dans l’arrêt du 22 mars 2022, Prokurator Generalny e.a. (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination) (C‑508/19, EU:C:2022:201, points 70, 71 et 81 à 83), jugé irrecevable une demande de décision préjudicielle formulée dans le cadre d’une contestation, devant la juridiction de renvoi, de la validité de la nomination d’un juge au Sąd Najwyższy (Cour suprême), après avoir notamment relevé, d’une part, que les questions posées dans cette demande avaient intrinsèquement trait à un litige autre que celui au principal et, d’autre part, que l’action au principal visait à obtenir une forme d’invalidation erga omnes de la nomination du juge concerné aux fonctions de juge de cette juridiction alors même que le droit national n’autorise pas et n’a jamais autorisé l’ensemble des justiciables à contester la nomination des juges au moyen d’une action directe en annulation ou en invalidation d’une telle nomination.

212    En troisième lieu, en ce qui concerne les allégations de la République de Pologne selon lesquelles d’autres règles nationales permettraient qu’il soit satisfait aux exigences découlant des dispositions de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, il convient de relever, premièrement, que, s’agissant des dispositions nationales en matière de récusation des juges visées au point 179 du présent arrêt, il découle, d’une part, de l’article 26, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême que l’appréciation de la légalité de la nomination d’un juge ou de sa légitimité pour exercer des fonctions juridictionnelles n’est pas autorisée dans le contexte d’une telle procédure de récusation.

213    D’autre part, ainsi qu’il ressort du libellé même des dispositions nationales en matière de récusation des juges auxquelles la République de Pologne s’est référée et dont elle a, à la demande de la Cour, produit le texte, le contrôle qu’autorisent ces dispositions nationales semble ne pouvoir porter que sur le respect d’une partie seulement des exigences découlant du principe d’indépendance des juges et, plus précisément, celles liées à l’aspect interne de ce principe recoupant la notion d’« impartialité » et visant l’égale distance que les juges doivent observer par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs. En revanche, au vu de ce libellé, lesdites dispositions nationales ne paraissent pas autoriser le contrôle d’autres aspects découlant de ces exigences, en particulier celles liées à l’aspect externe dudit principe et tenant, notamment, à la préservation de l’instance concernée d’interventions ou de pressions extérieures ou encore à la nécessité que cette instance ait été établie préalablement par la loi.

214    Lors de l’audience, la République de Pologne a, au demeurant, indiqué, à cet égard, qu’il découlait de récents arrêts du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) que les mêmes dispositions nationales n’autorisaient notamment pas les demandes ou déclarations fondées sur des griefs tirés de l’irrégularité de la nomination d’un juge ou de toute autre circonstance relative à la procédure de nomination d’un juge.

215    Deuxièmement, s’agissant des autres mécanismes nationaux invoqués par la République de Pologne, également visés au point 179 du présent arrêt, à savoir ceux afférents au renvoi d’une affaire à la juridiction compétente et au contrôle exercé par les juridictions de degré supérieur, il convient d’observer que, ainsi qu’il est relevé aux points 200 et 201 du présent arrêt, les dispositions nationales contestées dans le cadre du premier grief sont formulées dans des termes larges et imprécis qui ne permettent pas d’exclure qu’elles soient également de nature à paralyser de tels mécanismes.

216    En effet, les interdictions édictées par ces dispositions nationales ont également vocation à s’appliquer aux juridictions devant lesquelles se pose la question d’un éventuel renvoi de l’affaire à une autre juridiction en application de l’article 200, paragraphe 14, du code de procédure civile et paraissent, dès lors, être de nature à pouvoir empêcher que de telles juridictions procèdent à un tel renvoi, par exemple, lorsque celui-ci impliquerait, dans les conditions énoncées à l’arrêt A. K. e.a., de remettre en cause la conformité aux exigences d’indépendance découlant du droit de l’Union et, partant, la légitimité de la juridiction devant laquelle l’affaire concernée devrait normalement être examinée ou de remettre en cause, dans ce contexte, la légitimité d’un organe constitutionnel tel que la KRS.

217    Compte tenu de leur formulation large et imprécise, les dispositions nationales contestées sont, par ailleurs, également de nature à empêcher une juridiction de degré supérieur, saisie de l’examen d’une décision d’une juridiction de degré inférieur, d’apprécier la légalité de la nomination d’un juge ou de son pouvoir d’exercer les fonctions juridictionnelles qui découlent d’une telle nomination ou encore de mettre en doute la légitimité des tribunaux et des cours, et ce qu’il s’agisse de se prononcer sur sa propre composition ou légitimité en tant que juridiction de second degré ou sur celles de la juridiction de degré inférieur.

218    En quatrième lieu, l’argumentation de la République de Pologne mentionnée au point 181 du présent arrêt et tirée d’une prétendue contradiction entre le premier et le deuxième grief doit elle aussi être écartée. À cet égard, il suffit, en effet, de souligner que, alors que le deuxième grief vise à dénoncer la circonstance que l’examen de certaines questions relève de la compétence exclusive de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, le premier grief porte, pour sa part, sur la conformité au droit de l’Union de dispositions édictant certaines interdictions s’appliquant aux juridictions de droit commun, aux juridictions administratives et au Sąd Najwyższy (Cour suprême), y compris à la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques.

219    Il découle de ce qui précède que les dispositions nationales visées au point 198 du présent arrêt enfreignent les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte.

220    Ensuite, s’agissant de l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et de l’article 8 de la loi modificative prévoyant l’application de cet article 55, paragraphe 4, aux affaires ouvertes ou clôturées avant l’entrée en vigueur de cette dernière loi, il ressort notamment du libellé de la deuxième phrase dudit article 55, paragraphe 4, que « [l]es dispositions relatives à l’attribution des affaires ainsi qu’à la désignation et à la modification des formations de jugement [...] ne peuvent être invoquées pour constater [...] qu’une juridiction est inadéquatement pourvue ou qu’une personne qui n’est pas habilitée ou compétente pour statuer en fait partie ».

221    Or, il importe de souligner que, à l’instar des dispositions nationales visées aux points 133 et 198 du présent arrêt, l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun a, lui aussi, été très récemment introduit dans l’ordonnancement juridique polonais par la loi modificative, dans le contexte particulier rappelé aux points 140 à 145 de cet arrêt.

222    À cet égard, il convient, plus précisément, de souligner que, à la date d’adoption de cette disposition nationale, la Cour était notamment saisie des demandes de décision préjudicielle évoquées au troisième tiret du point 144 du présent arrêt dans les affaires jointes ayant donné lieu, entre-temps, à l’arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931).

223    Or, dans ce dernier arrêt, la Cour a jugé que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions nationales selon lesquelles le ministre de la Justice d’un État membre peut, sur le fondement de critères qui ne sont pas rendus publics, d’une part, déléguer un juge auprès d’une juridiction pénale de degré supérieur pour une durée déterminée ou indéterminée et, d’autre part, à tout moment et par une décision qui n’est pas motivée, révoquer cette délégation, indépendamment de la durée déterminée ou indéterminée d’une telle délégation.

224    Par ailleurs, lors de l’adoption de l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, la Cour se trouvait également saisie, dans l’affaire C‑791/19, d’un recours en constatation de manquement, introduit par la Commission et dirigé contre la République de Pologne, à l’effet, notamment, d’entendre constater que cet État membre avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, en conférant au président de la chambre disciplinaire le pouvoir discrétionnaire de désigner la juridiction disciplinaire compétente en première instance dans les affaires relatives aux juges des juridictions de droit commun.

225    Or, il importe de souligner, à cet égard, que, dans l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596), rendu entre-temps, la Cour a, aux points 164 à 177 de celui-ci, accueilli un tel grief et constaté, en conséquence, que, en conférant au président de la chambre disciplinaire un tel pouvoir discrétionnaire et, partant, en ne garantissant pas que les affaires disciplinaires soient examinées par un tribunal « établi par la loi », la République de Pologne avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

226    Il apparaît ainsi que, lorsqu’elles sont appelées à tirer les conséquences des arrêts de la Cour mentionnés aux points 222 et 225 du présent arrêt, les juridictions nationales peuvent être amenées à devoir examiner et, partant, à devoir « invoquer » des dispositions nationales, telles que celles qui étaient en cause dans ces arrêts, relatives à la « désignation » ou à la « modification des formations de jugement », et ce aux fins de constater, dans un cas concret, que, en conséquence de l’application desdites dispositions nationales et de leur contrariété au droit de l’Union, une juridiction nationale est « inadéquatement pourvue » ou qu’une personne « qui n’est pas habilitée ou compétente pour statuer en fait partie ». Or, ce faisant, les juridictions nationales concernées tomberaient sous le coup des interdictions ainsi énoncées à l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun. Ces interdictions ont, du reste, vocation à s’appliquer de manière plus générale, nonobstant d’éventuelles objections d’un justiciable tirées de ce que des dispositions nationales relatives soit à l’attribution des affaires, soit à la désignation ou à la modification des formations de jugement, ou l’application de telles dispositions seraient contraires aux exigences du droit de l’Union inhérentes au droit à un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi.

227    Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater que l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et, par voie de conséquence, l’article 8 de la loi modificative, enfreignent, eux aussi, les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte.

228    Enfin, s’agissant de la violation alléguée du principe de primauté du droit de l’Union, il convient de rappeler que ce principe impose au juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union, d’assurer le plein effet des exigences de ce droit dans le litige dont il est saisi. En particulier, il doit laisser inappliquée, de sa propre autorité, toute réglementation ou pratique nationale, même postérieure, qui est contraire à une disposition du droit de l’Union d’effet direct, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de cette réglementation ou pratique nationale par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel [voir, en ce sens, arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77, EU:C:1978:49, point 24, ainsi que du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 53 et jurisprudence citée].

229    Or, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante, l’article 47 de la Charte revêt un tel effet direct (voir, notamment, arrêt du 29 juillet 2019, Torubarov, C‑556/17, EU:C:2019:626, point 56 et jurisprudence citée) et il est, par ailleurs rappelé, au point 78 du présent arrêt, qu’il en va de même de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

230    Dès lors, en ce que les dispositions nationales visées aux points 198 et 220 du présent arrêt sont, du fait des interdictions mêmes qu’elles édictent, de nature à pouvoir faire obstacle à ce que les juridictions polonaises concernées laissent inappliquées certaines dispositions jugées contraires à des dispositions du droit de l’Union d’effet direct, elles sont également de nature à enfreindre le principe de primauté de ce droit.

231    Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le premier grief en ce qu’il dénonce des violations des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte ainsi que du principe de primauté du droit de l’Union.

 Sur le deuxième grief

 Argumentation des parties

232    Par son deuxième grief, qu’il convient d’examiner en quatrième lieu, la Commission soutient, en substance, que les questions relatives à l’indépendance d’une juridiction ou d’un juge constituent des « questions horizontales » que toute juridiction nationale saisie d’une affaire relevant du droit de l’Union a, y compris in limine litis et lorsqu’elle statue en première instance, l’obligation d’examiner à l’aune de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, et à propos desquelles elle doit pouvoir interroger la Cour à titre préjudiciel sur le fondement de l’article 267 TFUE, en laissant ultérieurement, au besoin inappliquées, conformément au principe de primauté du droit de l’Union, toutes les dispositions nationales contraires à ces dispositions du droit de l’Union, telles qu’interprétées par la Cour. De telles questions ne constitueraient pas des questions juridiques spécifiques dans un domaine de droit propre pouvant, à ce titre, relever de la compétence exclusive d’une juridiction prétendument spécialisée.

233    La République de Pologne aurait ainsi manqué à ses obligations découlant desdites dispositions du droit de l’Union et de ce principe de primauté, premièrement, en conférant, en vertu de l’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême, à la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, une compétence exclusive pour statuer sur les questions relatives à la récusation de juges et à la désignation de la juridiction compétente pour connaître d’une affaire dans laquelle un grief tiré de l’absence d’indépendance d’une juridiction ou d’un juge est soulevé et en contraignant la juridiction saisie d’une affaire devant laquelle se posent de telles questions à transmettre celles-ci à cette chambre, alors même que cette dernière ne serait pas compétente pour connaître du fond de l’affaire concernée.

234    Ce faisant, le législateur polonais aurait, en outre, voulu empêcher les juridictions nationales saisies d’un litige de vérifier, le cas échéant en interrogeant la Cour, si l’instance juridictionnelle appelée à trancher celui-ci satisfait aux exigences d’indépendance et d’impartialité découlant du droit de l’Union et, à défaut d’une telle indépendance et d’une telle impartialité, de se plier à leur obligation, mise en lumière par la Cour dans l’arrêt A. K. e.a., de laisser inappliquée la disposition nationale réservant la compétence pour connaître d’un tel litige à cette instance juridictionnelle. La disposition nationale ainsi contestée viserait, de même, à empêcher les juridictions nationales d’examiner, de leur propre initiative ou à la demande d’une partie à la procédure, la nécessité de récuser un juge ne satisfaisant pas à ces exigences ou d’interroger la Cour à cet égard.

235    Deuxièmement, les dispositions et principe du droit de l’Union mentionnés au point 232 du présent arrêt seraient également méconnus par les dispositions de l’article 82, paragraphes 2 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême. En effet, en prévoyant, d’une part, que la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques est seule compétente pour trancher les questions de droit relatives à l’indépendance d’un juge ou d’une juridiction qui se posent dans des affaires pendantes devant le Sąd Najwyższy (Cour suprême), d’autre part, que, lorsque cette chambre adopte une telle décision, elle n’est liée par aucune autre décision du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et, enfin, que les décisions de ladite chambre lient toutes les autres formations du Sąd Najwyższy (Cour suprême), ces dispositions nationales priveraient les formations de jugement relevant des autres chambres du Sąd Najwyższy (Cour suprême) de la possibilité de statuer sur de telles questions de droit et d’interroger la Cour à cet égard.

236    Troisièmement, ces dispositions et principe du droit de l’Union seraient enfreints par l’article 26, paragraphes 4 à 6, de la loi modifiée sur la Cour suprême conférant à la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques une compétence exclusive pour connaître des recours tendant à faire constater l’illégalité de jugements ou arrêts définitifs de toutes les juridictions polonaises tant judiciaires qu’administratives, y compris ceux des autres chambres du Sąd Najwyższy (Cour suprême), si l’illégalité consiste à remettre en cause le statut de la personne nommée à un poste de juge qui a statué dans l’affaire concernée, de tels recours pouvant être introduits indépendamment de la question de savoir si la partie concernée a épuisé les autres voies de recours qui étaient à sa disposition. En effet, de telles dispositions nationales empêcheraient ces autres chambres du Sąd Najwyższy (Cour suprême) de se prononcer sur ces questions et d’adresser d’éventuelles questions préjudicielles à la Cour à cet égard.

237    Quatrièmement, les dispositions et principe du droit de l’Union mentionnés au point 232 du présent arrêt seraient encore méconnus par les dispositions transitoires de l’article 10 de la loi modificative prévoyant, tout d’abord, que les juridictions polonaises, y compris les autres chambres du Sąd Najwyższy (Cour suprême), renvoient devant la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, avant le 21 février 2020, les affaires en cours à la date du 14 février de la même année, concernant les questions relevant désormais de la compétence exclusive de cette chambre, ensuite, que cette dernière peut, en ce cas, révoquer les actes accomplis antérieurement par la juridiction s’étant dessaisie à son profit, actes pouvant comprendre un éventuel renvoi préjudiciel à la Cour, et, enfin, que les actes accomplis dans de telles affaires après le 14 février 2020, tels qu’un éventuel renvoi préjudiciel, sont dépourvus d’effets.

238    En défense, la République de Pologne soutient, en premier lieu, que la Commission interprète de manière erronée l’arrêt A. K. e.a. En effet, il résulterait uniquement de cet arrêt que, si une partie soutient que l’examen de son affaire par la juridiction normalement compétente entraînerait une violation des droits qu’elle tire de l’article 47 de la Charte, la juridiction saisie peut se prononcer sur une telle objection et, si cette dernière est fondée, renvoyer l’affaire devant une autre juridiction qui offre les garanties d’indépendance requises et qui serait compétente en vertu de la loi en l’absence des dispositions réservant la compétence à la juridiction n’offrant pas de telles garanties.

239    Il ne découlerait, en revanche, pas dudit arrêt que toutes les juridictions nationales ont le droit de connaître de ce type d’affaires. La thèse ainsi soutenue par la Commission méconnaîtrait d’ailleurs l’exigence relative au droit à un tribunal établi par la loi, laquelle exclut que la détermination de la juridiction compétente soit laissée à la discrétion des autorités judiciaires. Dans l’arrêt A. K. e.a., la Cour aurait ainsi créé, au bénéfice des juridictions de renvoi concernées, non pas le pouvoir d’adopter des actes sans base légale, mais bien celui de renvoyer les affaires concernées devant une autre juridiction dont la compétence résulte d’un acte du Parlement, conformément à l’article 200, paragraphe 14, du code de procédure civile. La seule obligation incombant aux États membres serait, à cet égard, de veiller, ainsi que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE l’exige, à ce que des affaires présentant un élément de rattachement au droit de l’Union soient portées devant des juridictions offrant les garanties requises par cette disposition.

240    En outre, l’hypothèse ainsi visée par l’arrêt A. K. e.a. serait sans lien avec les dispositions nationales contestées en ce que celles-ci visent la position d’une juridiction saisie d’une demande de récusation, d’une question de droit relative à l’indépendance d’une juridiction ou d’un doute quant à la légalité d’une décision définitive.

241    En deuxième lieu, s’agissant, plus précisément, du contenu des dispositions nationales contestées, la République de Pologne souligne, premièrement, à propos de l’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême, que l’examen d’une demande de récusation n’a jamais relevé, dans le droit polonais, de la compétence du juge ou de la juridiction concernés, mais devait, auparavant, être effectué soit par une autre formation de la même juridiction, soit par une juridiction d’un degré supérieur. Ainsi, cette disposition nationale ne priverait pas les juges ou juridictions devant lesquels est soulevée une telle question incidente d’une compétence dont ils auraient auparavant disposé. Elle prévoirait simplement que, lorsque les griefs justifiant la récusation de certains juges portent sur leur indépendance, cette question doit désormais être renvoyée à la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques. Or, chaque État membre demeurerait libre de déterminer par quelle juridiction un tel type d’affaires doit être entendu, le droit de l’Union exigeant uniquement que la juridiction investie de la compétence pour connaître d’une affaire de ce type offre les garanties visées à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

242    Pour ce qui est, deuxièmement, de l’article 26, paragraphes 4 à 6, de la loi modifiée sur la Cour suprême, la constatation de l’illégalité d’une décision définitive ne constituerait pas une question « incidente » pouvant être examinée in limine litis dans le cadre d’une autre procédure, mais requerrait l’introduction d’un recours extraordinaire ne pouvant, par définition, être formé qu’en cas de prononcé d’une telle décision définitive, et ce devant une juridiction compétente en vertu de la loi, laquelle doit nécessairement être différente de la juridiction ayant rendu cette décision. Par ailleurs, en prévoyant ainsi qu’un type particulier de recours est examiné par le Sąd Najwyższy (Cour suprême), dans une chambre spécialisée dans l’examen des questions relatives à l’indépendance du pouvoir judiciaire, ces dispositions nationales renforceraient les garanties procédurales bénéficiant aux parties.

243    En ce qui concerne, troisièmement, l’article 82, paragraphes 2 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême, la République de Pologne souligne que, conformément à l’article 1er, point 1, sous a), de cette loi, relève de la compétence du Sąd Najwyższy (Cour suprême) l’adoption de résolutions concernant des questions de droit relatives à toutes les affaires relevant de la compétence de cette juridiction. À cet égard, le deuxième grief reposerait entièrement sur une prétendue exigence que, lorsque de telles questions de droit sont relatives à l’indépendance du pouvoir judiciaire, elles doivent être tranchées par les juridictions devant lesquelles ces questions sont soulevées, exigence dont la Commission n’aurait toutefois aucunement étayé l’existence. Au demeurant, l’objet même de la procédure relative à la résolution d’une question de droit consisterait précisément, en présence d’une question complexe susceptible de donner lieu à des divergences d’interprétation, à permettre à une juridiction devant laquelle une telle question a été soulevée de renvoyer l’examen de celle-ci à une formation spécialisée de degré supérieur aux fins de bénéficier des éclaircissements nécessaires et de prévenir, dans l’intérêt de la sécurité juridique, des divergences significatives et persistantes dans la jurisprudence. En outre, un tel mécanisme n’obligerait pas les juridictions concernées à demander une décision sur une question de droit, mais leur en conférerait la possibilité, et une telle décision concernerait uniquement l’interprétation du droit et non son application, laquelle continuerait de relever de la compétence de la juridiction saisie du fond du litige concerné.

244    Quatrièmement, les dispositions transitoires que comporte l’article 10 de la loi modificative auraient expiré et auraient, en tout état de cause, simplement permis d’assurer que, conformément au droit à un tribunal établi par la loi, des juridictions ayant cessé d’être compétentes transfèrent les affaires concernées à la juridiction désormais compétente.

245    En troisième lieu, la République de Pologne considère que les dispositions nationales contestées ne limitent pas le pouvoir des juridictions polonaises d’interroger la Cour à titre préjudiciel pour autant qu’elles agissent dans le cadre de leurs compétences territoriale et matérielle. En outre, la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques étant une juridiction de dernière instance, elle serait tenue d’adresser une demande de décision préjudicielle à la Cour chaque fois qu’elle éprouve un doute quant à l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ce qui augmenterait, ainsi, en pratique, le nombre de cas dans lesquels peut exister une obligation de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel et, par conséquent, renforcerait l’effectivité de l’exercice des droits tirés de l’article 47 de la Charte.

246    Par ailleurs, les dispositions transitoires que comporte l’article 10 de la loi modificative n’autoriseraient pas la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques à procéder au retrait d’un renvoi préjudiciel, cette chambre étant, au contraire, tenue, en cas de doute sur l’interprétation du droit de l’Union, de confirmer les questions antérieurement posées ou d’en poser à son tour. Ces dispositions transitoires ne permettraient d’ailleurs la révocation d’actes antérieurs que si ceux-ci empêchent que l’affaire concernée soit examinée « conformément à la loi », ce qui ne pourrait, par définition, être le cas d’un renvoi préjudiciel. Lesdites dispositions transitoires n’interdiraient pas davantage aux juridictions nationales soumises à l’obligation de transférer les affaires dont elles étaient jusqu’alors saisies de poser des questions préjudicielles, ainsi qu’en attesteraient, au demeurant, de nombreuses questions préjudicielles portant sur les exigences d’indépendance des juges récemment adressées à la Cour.

247    En quatrième lieu, la Commission n’aurait pas étayé le deuxième grief quant à une violation du principe de primauté du droit de l’Union et les dispositions nationales contestées ne porteraient pas sur des conflits entre normes dans lesquels ce principe devrait être appliqué.

248    Dans son mémoire en réplique, la Commission précise que le deuxième grief vise, en substance, à critiquer le fait que soit retirée aux différentes juridictions nationales ou aux chambres du Sąd Najwyższy (Cour suprême) jusqu’alors compétentes, et conférée, sans raisons légitimes particulières, à une nouvelle chambre juridictionnelle ne pouvant être considérée comme une juridiction spécialisée, la compétence exclusive pour examiner le respect des exigences du droit de l’Union en cause. En effet, d’une part, cette nouvelle chambre juridictionnelle ne compterait que 20 juges sur les 10 000 juges que compte la République de Pologne, de sorte que le droit des justiciables à une protection juridictionnelle et l’effectivité du droit de l’Union se trouveraient considérablement affaiblis, alors qu’il découlerait de la jurisprudence de la Cour que toutes les juridictions nationales doivent appliquer aussi largement que possible les dispositions du droit de l’Union relatives à l’indépendance des juges. D’autre part, tous les membres de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques ayant été nommés sur la proposition de la KRS, dans sa nouvelle composition, à savoir dans des circonstances qui, très souvent, sont précisément celles qui sont invoquées dans les demandes de récusation tirées de l’absence d’indépendance d’un juge, la question de l’appréciation impartiale de telles questions par cette chambre se poserait.

249    Quant à l’article 267 TFUE, la Commission fait valoir que, au vu, notamment, du contexte des réformes de la justice dans lequel les dispositions nationales contestées ont été adoptées et des mesures répétées arrêtées par les autorités polonaises en vue d’empêcher le bon fonctionnement du mécanisme préjudiciel institué par cet article, il apparaît clairement que ces dispositions nationales ont, de manière artificielle, soustrait à la compétence matérielle des juridictions nationales jusqu’alors compétentes l’examen de la « question horizontale » de l’indépendance des juges pouvant se poser dans toute affaire, et ce aux fins de priver ces juridictions nationales de la possibilité de poser des questions à la Cour en ce domaine, en violation de l’article 267 TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, troisième alinéa, TUE.

250    À cet égard, la Commission fait également valoir que des règles nationales risquant, comme en l’espèce, d’avoir pour conséquence qu’un juge national préfère s’abstenir de poser des questions préjudicielles à la Cour portent atteinte aux prérogatives reconnues aux juridictions nationales à l’article 267 TFUE. Quant à l’argument selon lequel le fait de transférer toute la compétence matérielle à une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours renforcerait l’effet utile de cet article, il méconnaîtrait l’économie de celui-ci qui prévoit, en effet, que les juridictions de degré inférieur ont la possibilité d’interroger la Cour.

251    En ce qui concerne le principe de primauté du droit de l’Union, la Commission indique avoir souligné, tant dans l’avis motivé que dans la requête, que la compétence exclusive de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques dans les trois catégories d’affaires concernées empêche les juridictions polonaises de laisser inappliquées les dispositions nationales en vertu desquelles la compétence pour connaître des affaires relevant du droit de l’Union est conférée à des juridictions et à des juges qui ne satisfont pas aux exigences du droit de l’Union en matière d’indépendance des juges.

252    Dans son mémoire en duplique, la République de Pologne fait valoir que la Commission fait état, dans son mémoire en réplique, de « griefs nouveaux », en se prévalant de ce que la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, qui existe pourtant depuis l’année 2018 et dont les conditions de nomination des membres sont bien connues, ne serait pas indépendante et impartiale. Or, dès lors que ces griefs n’auraient pas trait à des éléments révélés après l’ouverture de la procédure et que les allégations de la Commission en relation avec un prétendu défaut d’indépendance et d’impartialité n’auraient été formulés qu’à l’appui du quatrième grief visant la seule chambre disciplinaire, lesdits griefs seraient tardifs et devraient être écartés conformément à l’article 127, paragraphe 1, du règlement de procédure.

253    Selon cet État membre, ces « griefs nouveaux » seraient, en tout état de cause, non fondés. En effet, le seul fait que les juges de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques sont, à l’instar de tous les autres juges polonais, nommés moyennant l’intervention d’un organe tel que la KRS ne serait pas de nature à créer une dépendance de ces juges à l’égard du pouvoir politique. En outre, la jurisprudence développée par cette chambre témoignerait pleinement de l’indépendance et de l’impartialité de celle-ci.

254    Par ailleurs, en affirmant que l’article 26, paragraphes 4 à 6, de la loi modifiée sur la Cour suprême prive les autres chambres du Sąd Najwyższy (Cour suprême) de leur compétence pour connaître des recours en constatation de l’illégalité d’une décision définitive lorsque l’illégalité concernée consiste à remettre en cause le statut de la personne nommée aux fonctions de juge, la Commission se méprendrait sur la portée de cette disposition nationale. En effet, la compétence de ces différentes chambres du Sąd Najwyższy (Cour suprême) serait définie aux articles 23 à 25 de la loi modifiée sur la Cour suprême qui réservent la compétence pour statuer dans les affaires civiles à la chambre civile, celle pour statuer dans les affaires pénales à la chambre pénale et celle pour statuer notamment dans les affaires en matière de droit du travail et des assurances sociales à la chambre du travail et des assurances sociales. Or, de telles compétences matérielles seraient toutes étrangères aux affaires dans lesquelles l’existence du mandat d’un juge est remise en cause, problématique dont l’examen relèverait de la compétence exclusive de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques.

255    En tout état de cause, la Commission n’aurait pas démontré que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE impose une obligation d’assurer que les recours en constatation de l’illégalité d’une décision définitive soient examinés par toutes les chambres du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ni que le droit de l’Union était appliqué de manière effective sur le fondement des dispositions nationales antérieures et qu’il ne le serait plus en vertu des dispositions nationales contestées.

256    S’agissant de l’article 82, paragraphes 2 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême, l’allégation de la Commission selon laquelle la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques ne constituerait pas une juridiction spécialisée serait arbitraire, cette chambre étant, en effet, composée de juristes expérimentés et titulaires, au minimum, d’un diplôme de niveau postdoctoral en sciences juridiques.

257    Enfin, les dispositions nationales contestées n’empêcheraient ni les juridictions matériellement compétentes ni celles qui ne le sont pas de saisir la Cour de questions préjudicielles et la Commission n’expliquerait pas davantage de quelle manière ces dispositions nationales auraient pour conséquence de décourager les juges nationaux de poser de telles questions ou de les amener à retirer celles-ci.

 Appréciation de la Cour

–       Sur la recevabilité

258    En complément des principes évoqués aux points 188 à 190 du présent arrêt, il y a lieu de rappeler qu’il est également de jurisprudence constante que, dans le cadre d’un recours introduit au titre de l’article 258 TFUE, la lettre de mise en demeure adressée par la Commission à l’État membre concerné puis l’avis motivé émis par cette dernière délimitent l’objet du litige, lequel ne peut plus, dès lors, être étendu. En effet, la possibilité pour cet État membre de présenter des observations constitue, même s’il estime ne pas devoir en faire usage, une garantie essentielle voulue par le traité FUE et son observation est une forme substantielle de la régularité de la procédure constatant un manquement d’un État membre. Par conséquent, cet avis motivé et le recours de la Commission doivent reposer sur les mêmes griefs que ceux formulés dans la lettre de mise en demeure par laquelle la procédure précontentieuse est engagée (arrêt du 22 septembre 2016, Commission/République tchèque, C‑525/14, EU:C:2016:714, point 17 et jurisprudence citée).

259    En effet, la procédure précontentieuse a pour but de donner à l’État membre concerné l’occasion, d’une part, de se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union et, d’autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission. La régularité de cette procédure constitue une garantie essentielle voulue par le traité FUE non seulement pour la protection des droits de l’État membre en cause, mais également pour assurer que la procédure contentieuse éventuelle aura pour objet un litige clairement défini [arrêt du 8 mars 2022, Commission/Royaume-Uni (Lutte contre la fraude à la sous-évaluation), C‑213/19, EU:C:2022:167, point 131 et jurisprudence citée].

260    Or, en l’espèce, force est de constater que, ainsi que la République de Pologne le fait valoir à juste titre, ni durant la phase précontentieuse ni dans la requête introductive d’instance, la Commission n’a soutenu que les dispositions nationales qu’elle conteste dans le cadre du deuxième grief méconnaîtraient le droit de l’Union en raison de la composition de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques à laquelle ces dispositions nationales confèrent une compétence exclusive et, plus particulièrement, en raison d’un éventuel défaut d’impartialité susceptible d’affecter cette chambre dans l’exercice de cette compétence eu égard aux modalités ayant présidé à la nomination des membres de celle-ci, alors même que la Commission avait connaissance de cette composition et de ces modalités de nomination.

261    En faisant état de telles considérations seulement au stade du mémoire en réplique, la Commission invoque ainsi des arguments nouveaux de nature à modifier substantiellement la portée du deuxième grief, tel que ce dernier était articulé jusqu’alors.

262    Ayant ainsi été formulés tardivement et en méconnaissance des exigences rappelées aux points 258 et 259 du présent arrêt, ces arguments sont irrecevables et doivent dès lors être écartés.

–       Sur le fond

263    En premier lieu, il importe de relever qu’il découle des principes rappelés aux points 63 à 74 du présent arrêt que, si la répartition ou la réorganisation des compétences juridictionnelles au sein d’un État membre relève, en principe, de la liberté des États membres garantie à l’article 4, paragraphe 2, TUE (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2016, Remondis, C‑51/15, EU:C:2016:985, point 47), ce n’est que sous réserve, notamment, qu’une telle répartition ou réorganisation ne porte pas atteinte au respect de la valeur de l’État de droit, énoncée à l’article 2 TUE, et aux exigences découlant, à cet égard, de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, dont celles relatives à l’indépendance, à l’impartialité ainsi qu’à l’établissement préalable par la loi des juridictions appelées à interpréter et à appliquer le droit de l’Union.

264    En second lieu, il convient de rappeler que la Cour a, certes, itérativement admis que, dans l’exercice de sa compétence portant sur la répartition des compétences juridictionnelles en son sein, un État membre pouvait, dans certaines circonstances, être amené à confier à une instance unique ou à plusieurs instances décentralisées, la compétence exclusive pour connaître de certaines questions matérielles relevant du droit de l’Union.

265    À cet égard, la Cour a notamment souligné que le fait qu’un contentieux matériel spécifique relève de la compétence exclusive d’une seule et unique juridiction pouvait, le cas échéant, s’avérer de nature à permettre à cette dernière d’acquérir une expertise particulière qui soit propice à limiter la durée moyenne des procédures ou à assurer une pratique uniforme sur le territoire national en contribuant ainsi à la sécurité juridique (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2013, Agrokonsulting-04, C‑93/12, EU:C:2013:432, point 56). Elle a, de même, relevé que la désignation de juridictions décentralisées moins nombreuses, d’un degré plus élevé que les juridictions locales et dont les juges disposent d’une expérience professionnelle plus importante pouvait être de nature à favoriser une administration de la justice plus homogène et spécialisée dans le domaine du droit matériel de l’Union concerné ainsi qu’une protection plus efficace des droits que les justiciables tirent de ce droit (arrêt du 12 février 2015, Baczó et Vizsnyiczai, C‑567/13, EU:C:2015:88, points 46 et 58).

266    S’il appartient ainsi à chaque État membre de désigner dans son ordre juridique interne les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, il demeure toutefois que les États membres portent la responsabilité d’assurer, dans chaque cas, une protection effective de ces droits. À ce titre, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence bien établie, les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ne doivent notamment pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union et une telle exigence vaut également en ce qui concerne la désignation des juridictions compétentes pour connaître des actions fondées sur ce droit. En effet, un non-respect de cette exigence sur ce plan est, tout autant qu’un manquement à celle-ci sur le plan de la définition des modalités procédurales, de nature à porter atteinte au principe de protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêts du 15 avril 2008, Impact, C‑268/06, EU:C:2008:223, points 44 à 48 ; du 27 juin 2013, Agrokonsulting-04, C‑93/12, EU:C:2013:432, points 35 à 37 et jurisprudence citée, ainsi que du 24 octobre 2018, XC e.a., C‑234/17, EU:C:2018:853, points 22 et 23).

267    En l’espèce, il importe de constater que la Commission n’allègue cependant pas dans son recours, ni, a fortiori, n’établit, que la concentration de compétences opérée par les dispositions nationales contestées au profit de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques est de nature à générer des inconvénients procéduraux qui seraient, en tant que tels, propres à porter atteinte à l’effectivité de droits conférés par l’ordre juridique de l’Union en rendant pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice de ces droits par les justiciables.

268    Cela étant, il importe, en troisième lieu, d’observer que, à la différence des compétences afférentes à des dispositions de droit matériel de l’Union dont il était notamment question dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts mentionnés aux points 265 et 266 du présent arrêt, la réorganisation et la concentration de compétences juridictionnelles que conteste la Commission par son deuxième grief portent sur certaines exigences découlant des dispositions de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, à savoir des dispositions de nature à la fois constitutionnelle et procédurale, et dont le respect doit, en outre, être transversalement garanti dans tous les domaines matériels d’application du droit de l’Union et devant toutes les juridictions nationales saisies d’affaires relevant de ces domaines.

269    En effet, ainsi qu’il est rappelé au point 69 du présent arrêt, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE concrétise la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE et fait, à cet égard, obligation aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans tous les domaines couverts par le droit de l’Union, le principe de protection juridictionnelle effective auquel l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE fait référence constituant un principe général du droit de l’Union à présent consacré à l’article 47 de la Charte.

270    À cet égard, ces deux dernières dispositions du droit de l’Union et ce principe général entretiennent un lien étroit avec le principe de primauté de ce droit. En effet, la mise en œuvre de ce dernier principe par les juridictions nationales contribue à assurer la protection effective des droits que le droit de l’Union confère aux particuliers (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2010, Winner Wetten, C‑409/06, EU:C:2010:503, points 53 à 55 et jurisprudence citée).

271    Or, le principe de primauté du droit de l’Union, qui revêt également une nature constitutionnelle, exige, selon une jurisprudence constante rappelée au point 228 du présent arrêt, que les juridictions nationales chargées d’appliquer, dans le cadre de leurs compétences, les dispositions du droit de l’Union, assurent le plein effet de ces dispositions dans les litiges dont elles sont saisies, en laissant au besoin inappliquée, de leur propre autorité, toute disposition nationale contraire à une disposition du droit de l’Union d’effet direct, sans demander ni attendre l’élimination préalable de cette disposition nationale par la voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel.

272    La Cour a ainsi jugé qu’était incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même du droit de l’Union toute disposition d’un ordre juridique national ou toute pratique, législative, administrative ou judiciaire, qui aurait pour effet de diminuer l’efficacité du droit de l’Union par le fait de refuser au juge compétent pour appliquer ce droit le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions législatives nationales formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité des normes directement applicables du droit de l’Union (arrêt du 4 décembre 2018, Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Síochána, C‑378/17, EU:C:2018:979, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

273    La Cour a précisé que tel serait le cas si, dans l’hypothèse d’une contrariété entre une disposition du droit de l’Union et une loi nationale, la solution de ce conflit était réservée à une autorité autre que le juge appelé à assurer l’application du droit de l’Union, investie d’un pouvoir d’appréciation propre (arrêt du 4 décembre 2018, Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Síochána, C‑378/17, EU:C:2018:979, point 37 ainsi que jurisprudence citée), et ce même si l’obstacle en résultant ainsi pour la pleine efficacité du droit de l’Union n’était que temporaire (arrêt du 8 septembre 2010, Winner Wetten, C‑409/06, EU:C:2010:503, point 57 et jurisprudence citée).

274    Or, ainsi qu’il est rappelé au point 128 du présent arrêt, pour garantir la préservation des caractéristiques spécifiques et de l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union, les traités ont institué un système juridictionnel destiné à assurer la cohérence et l’unité dans l’interprétation du droit de l’Union et, dans ce cadre, il appartient aux juridictions nationales et à la Cour de garantir tant la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres que la protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent de ce droit.

275    Il résulte, par ailleurs, d’une jurisprudence constante de la Cour que la clef de voûte du système juridictionnel ainsi conçu est constituée par la procédure du renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE qui, en instaurant un dialogue de juge à juge entre la Cour et les juridictions des États membres, a pour but d’assurer l’unité d’interprétation du droit de l’Union, permettant ainsi d’assurer sa cohérence, son plein effet et son autonomie ainsi que, en dernière instance, le caractère propre du droit institué par les traités (arrêt du 24 octobre 2018, XC e.a., C‑234/17, EU:C:2018:853, point 41 et jurisprudence citée).

276    Dans ce contexte, la Cour a, notamment, jugé, ainsi qu’il est rappelé aux points 129 à 131 du présent arrêt, que le droit fondamental à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, implique que toute juridiction nationale appelée à appliquer le droit de l’Union a l’obligation de vérifier si, par sa composition, elle constitue un tel tribunal lorsqu’un doute sérieux apparaît sur ce point, une telle vérification étant nécessaire à la confiance que les juridictions se doivent d’inspirer au justiciable dans une société démocratique, ou encore qu’une telle juridiction nationale doit, dans certaines circonstances, pouvoir vérifier si une irrégularité entachant la procédure de nomination d’un juge a pu entraîner une violation de ce droit fondamental.

277    Cela étant, il peut se justifier qu’un juge ne s’étant pas lui-même récusé et qui fait l’objet d’une demande de récusation formulée par une partie à la cause en raison d’un potentiel conflit d’intérêts dans le chef de ce juge ne participe pas à la décision statuant sur une telle demande et que la compétence pour statuer sur celle-ci soit, comme c’était le cas en Pologne avant l’entrée en vigueur des dispositions nationales contestées, confiée, selon les hypothèses, soit à une autre formation de la juridiction concernée, soit à la juridiction de degré immédiatement supérieur à celle-ci. De même, il peut s’avérer conforme à une bonne administration de la justice que les conflits de compétences matérielle ou territoriale susceptibles de survenir entre plusieurs juridictions soient tranchés par une instance tierce.

278    En revanche, les obligations visées au point 276 du présent arrêt sont de nature à exclure que le contrôle du respect et l’application subséquente, par les juridictions nationales, des exigences découlant des dispositions de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa TUE et de l’article 47 de la Charte telles qu’interprétées par la Cour puissent, à l’occasion d’une réorganisation des compétences juridictionnelles telle que celle que conteste la Commission par son deuxième grief, relever, de manière générale et indifférenciée, d’une seule et unique instance nationale, à plus forte raison si cette instance ne peut pas, en vertu du droit national, examiner certains aspects inhérents à ces exigences.

279    À cet égard, il convient, d’ailleurs, de relever que les considérations auxquelles la Cour fait référence dans sa jurisprudence rappelée au point 265 du présent arrêt et tenant aux avantages potentiellement liés à une spécialisation en termes d’administration de la justice, d’expertise, de limitation de la durée moyenne des procédures ou encore d’uniformité d’application du droit ne sauraient prévaloir s’agissant des exigences découlant du principe de protection juridictionnelle effective, dont toute juridiction nationale doit, par définition, quel que soit son degré ou son domaine de compétence matérielle, pouvoir garantir le respect, pour les besoins du litige concret dont elle est saisie, si nécessaire en dialoguant avec la Cour sur le fondement de l’article 267 TFUE.

280    Or, en l’espèce, force est de constater, d’une part, que les dispositions nationales que la Commission conteste par le deuxième grief ont pour objet de réserver à une seule et unique instance, en l’occurrence une chambre spécifique du Sąd Najwyższy (Cour suprême), le contrôle généralisé des exigences découlant de ce principe relatives à l’indépendance de l’ensemble des juridictions et des juges tant de l’ordre judiciaire que de l’ordre administratif, en excluant qu’un tel contrôle puisse être exercé par l’une de ces autres juridictions, y compris, donc, par les autres chambres du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative), et en privant, ce faisant, de leurs compétences les juridictions nationales jusqu’alors compétentes pour exercer les différents types de contrôle portant sur de telles exigences et pour appliquer directement, dans ce cadre, les enseignements découlant de la jurisprudence de la Cour.

281    En effet, premièrement, ainsi qu’il ressort de l’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême, la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques s’est vu conférer une compétence exclusive pour se prononcer sur les « demandes ou déclarations » concernant la « récusation » d’un juge ou la « désignation de la juridiction » devant laquelle une procédure doit être menée, comprenant « les griefs tirés de l’absence d’indépendance de la juridiction ou du juge » concernés, lesquelles demandes ou déclarations doivent ainsi être immédiatement transmises à cette chambre par toute autre juridiction saisie d’une affaire, y compris lorsque le fond de cette affaire relève d’un domaine couvert par le droit de l’Union.

282    Deuxièmement, il ressort de l’article 82, paragraphes 2 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême que la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques statuant en formation plénière dispose d’une compétence, également exclusive, lorsque, à l’occasion de l’examen d’un pourvoi en cassation ou d’un autre recours pendant devant le Sąd Najwyższy (Cour suprême), y compris devant les autres chambres de cette juridiction, « se pose une question de droit relative à l’indépendance d’un juge ou d’une juridiction ». En effet, dans ce cas de figure, l’article 82, paragraphe 2, de cette loi dispose que la formation du Sąd Najwyższy (Cour suprême) saisie de l’affaire concernée « sursoit à statuer et défère cette question » à la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, étant précisé par ailleurs qu’une décision adoptée par cette chambre sur ce fondement est « contraignante pour l’ensemble des formations du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ».

283    Troisièmement, les dispositions de l’article 26, paragraphes 4 à 6, de la loi modifiée sur la Cour suprême prévoient notamment que la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques est seule compétente pour connaître des « recours tendant à faire constater l’illégalité de jugements ou arrêts définitifs du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], des juridictions de droit commun, des juridictions militaires et des juridictions administratives, y compris le [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative)] », si l’« illégalité consiste à remettre en cause le statut de la personne nommée à un poste de juge qui a statué dans l’affaire ».

284    Or, il y a lieu d’observer que les termes larges dans lesquels est ainsi libellé l’article 26, paragraphes 4 à 6, de la loi modifiée sur la Cour suprême paraissent de nature à permettre à la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de procéder au contrôle ex post de toutes les décisions définitives rendues par l’ensemble des autres juridictions judiciaires et administratives polonaises, y compris les décisions définitives d’autres chambres du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, chaque fois qu’est remis en cause le statut d’une personne nommée à un poste de juge et ayant été amenée à statuer à un stade quelconque du traitement de l’affaire concernée.

285    D’autre part, il importe de tenir compte de ce que les dispositions nationales contestées dans le cadre du deuxième grief ont été introduites dans la loi sur la Cour suprême par la loi modificative, dans l’urgence et dans le contexte particulier précédemment décrits aux points 140 à 145 du présent arrêt, concomitamment aux autres dispositions contestées par la Commission dans le cadre des premier et troisième griefs. Or, ainsi qu’il ressort des constats effectués par la Cour à l’occasion de l’examen de ces premier et troisième griefs, l’accueil de ces derniers est motivé, notamment, par la circonstance que les dispositions nationales contestées sont, en raison des interdictions et infractions disciplinaires qu’elles édictent à l’égard des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et de l’ensemble des juridictions de droit commun et administratives, de nature à empêcher ceux-ci d’effectuer certains constats et appréciations qui, dans certaines circonstances, leur incombent pourtant en vertu du droit de l’Union, au regard des exigences découlant des dispositions de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte.

286    Dans un tel contexte, le fait, pour le législateur national, de réorganiser les compétences juridictionnelles en vigueur et de conférer à une seule et unique instance nationale la compétence pour vérifier le respect de certaines exigences essentielles découlant du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective consacré à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la Charte, alors que la nécessité d’une telle vérification peut, en fonction des circonstances, se poser devant toute juridiction nationale, est, combiné avec l’instauration des interdictions et infractions disciplinaires susmentionnées, de nature à contribuer à affaiblir encore davantage l’effectivité du contrôle du respect de ce droit fondamental, que le droit de l’Union confie pourtant à l’ensemble des juridictions nationales. Il en va d’autant plus ainsi que, comme il est relevé au point 198 du présent arrêt, cette instance ne peut, en l’espèce, pas examiner une demande lui ayant été transmise par une juridiction nationale et concernant « la constatation et l’appréciation de la légalité d’une nomination d’un juge ou de sa légitimité pour exercer des fonctions juridictionnelles ».

287    Par ailleurs, en empêchant ainsi indistinctement toutes ces autres juridictions, quel que soit leur degré ou le stade procédural auquel elles statuent et alors même qu’elles sont saisies, le cas échéant, d’affaires ayant trait à l’application de dispositions matérielles du droit de l’Union, de faire, immédiatement, ce qui est nécessaire aux fins d’assurer le respect du droit des justiciables concernés à une protection juridictionnelle effective en écartant, s’il y a lieu, elles-mêmes l’application des règles nationales contraires aux exigences découlant de ce droit, les dispositions nationales que la Commission conteste dans le cadre du deuxième grief enfreignent également le principe de primauté du droit de l’Union.

288    S’agissant, enfin, de l’article 10 de la loi modificative, il suffit de relever que, dès lors que cet article a, en substance, pour objet de préciser dans quelle mesure et comment la compétence exclusive conférée à la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques par les dispositions nationales mentionnées aux points 281 à 283 du présent arrêt doit s’exercer en ce qui concerne les affaires qui étaient pendantes à la date d’entrée en vigueur de cette loi, ledit article est indissociablement lié à ces autres dispositions et méconnaît, en conséquence, pour les mêmes raisons que celles qui sont exposées aux points 268 à 287 de cet arrêt, tant les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte que le principe de primauté du droit de l’Union.

289    Il découle de tout ce qui précède que le deuxième grief doit être accueilli en ce qu’il est tiré de la violation des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte ainsi que du principe de primauté du droit de l’Union.

290    S’agissant de l’article 267 TFUE, force est de constater que le fait même de confier ainsi à une instance unique, à savoir, en l’occurrence, à la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, la compétence exclusive pour trancher certaines questions relatives à l’application de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte est de nature à empêcher ou, à tout le moins, à décourager les autres juridictions, qui se sont ainsi vu priver de toute compétence interne pour se prononcer elles-mêmes sur ces questions, d’interroger la Cour à titre préjudiciel à cet égard, ce qui, ainsi qu’il ressort des principes rappelés aux points 155 à 158 du présent arrêt, enfreint l’article 267 TFUE.

291    Au demeurant, s’agissant du contexte plus général dans lequel s’inscrit l’adoption de la loi modificative et des dispositions nationales contestées, il convient également de rappeler que, ainsi que la Commission le fait observer et qu’il ressort d’indications figurant dans plusieurs arrêts récents de la Cour, les tentatives des autorités polonaises visant ainsi à décourager ou à empêcher les juridictions nationales de saisir la Cour à titre préjudiciel de questions d’interprétation portant sur l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et l’article 47 de la Charte en relation avec les récentes réformes législatives ayant affecté le pouvoir judiciaire en Pologne se sont récemment multipliées [voir, notamment, arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 99 à 106 et jurisprudence citée].

292    Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le deuxième grief.

 Sur le cinquième grief

 Argumentation des parties

293    Par son cinquième grief, la Commission soutient que l’article 88a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, l’article 45, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et l’article 8, paragraphe 2, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives enfreignent l’article 7 et l’article 8, paragraphe 1, de la Charte ainsi que l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c) et e), et paragraphe 3, et l’article 9, paragraphe 1, du RGPD.

294    Selon la Commission, en ce que ces dispositions nationales obligent les juges des différentes juridictions concernées à soumettre une déclaration écrite concernant leur appartenance à une association, à une fondation sans but lucratif ou à un parti politique, ainsi que les fonctions exercées dans ceux-ci, et imposent de publier de telles informations dans le Biuletyn Informacji Publicznej, elles impliquent un traitement de données à caractère personnel, puisque de telles informations concernent des personnes physiques clairement identifiées agissant dans la sphère privée.

295    Par ailleurs, la collecte et la publication de ces données à caractère personnel ne relèveraient pas de l’organisation de la justice et, en tout état de cause, le lien fonctionnel éventuel entre lesdites données et l’exercice des fonctions de juge ne permettrait pas d’exclure de telles mesures du champ d’application du RGPD. En effet, ces mesures seraient destinées à influer sur la carrière des juges et l’exercice de leurs fonctions et seraient susceptibles d’affecter leur indépendance alors que la protection de celle-ci devrait être garantie en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE lorsque ces juges sont appelés à appliquer et à interpréter le droit de l’Union.

296    Les données personnelles en cause relèveraient, en outre, des catégories de données sensibles soumises au régime d’interdiction et de protection renforcée institué à l’article 9, paragraphe 1, du RGPD, en tant que données susceptibles de révéler les opinions politiques ou les convictions philosophiques des juges concernés.

297    Or, la Commission est d’avis que, à supposer que les objectifs, ressortant de l’exposé des motifs relatif au projet ayant mené à l’adoption de l’article 88a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, visant à préserver la neutralité politique et l’impartialité des juges, ainsi que la confiance quant à cette impartialité, et à protéger la dignité des fonctions de ceux-ci, puissent être considérés comme étant légitimes, les obligations de déclaration et de publication en cause ne seraient cependant pas nécessaires pour atteindre ces objectifs. De ce fait, les ingérences que ces obligations impliquent dans le droit des intéressés au respect de leur vie privée et à la protection de leurs données à caractère personnel ne seraient pas conformes au principe de proportionnalité et méconnaîtraient ainsi les exigences découlant des différentes dispositions du droit de l’Union mentionnées au point 293 du présent arrêt.

298    En effet, de telles mesures ne seraient pas strictement limitées à ce qui est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs, des moyens moins restrictifs existant à cet effet, tels que les procédures de récusation et la mise à la disposition des organes chargés de garantir le respect des normes professionnelles ou de désigner les membres des formations de jugement, d’informations relatives à certaines activités exercées par les juges en dehors de leurs fonctions et qui seraient susceptibles de donner lieu à des conflits d’intérêts dans leur chef dans une affaire donnée. Ces moyens moins intrusifs permettraient, en outre, d’éviter une utilisation des informations ainsi collectées à d’autres fins que celles ainsi prétendument poursuivies, telles que l’exercice de pressions extérieures sur les juges attentatoires à l’indépendance de ceux-ci ou une volonté de nuire, d’une part, à leur réputation professionnelle et à leur autorité en promouvant une défiance du public à leur égard et, d’autre part, au déroulement de leur carrière en les exposant à des discriminations.

299    En outre, l’appartenance passée d’une personne à un parti politique relèverait de la vie privée de celle-ci avant sa nomination en tant que juge et ne serait pas de nature à affecter directement son activité actuelle. Il en irait en particulier ainsi d’une appartenance à un parti politique avant la date du 29 décembre 1989, l’obtention de telles informations étant dépourvue de toute pertinence pour apprécier l’impartialité d’un juge dans les affaires dont il est saisi plus de 30 ans plus tard. Ainsi, la déclaration obligatoire et la publication de telles données à caractère personnel ne seraient pas non plus aptes à atteindre les objectifs en l’occurrence allégués.

300    Les mesures nationales en cause s’apparenteraient en réalité à un dispositif de surveillance des juges dont l’introduction soudaine ne répondrait à aucune justification ou nécessité concrète, dès lors que l’apolitisme et l’impartialité de ceux-ci se trouvaient déjà garantis de longue date, notamment, par l’article 178 de la Constitution prévoyant un tel apolitisme ainsi que par le serment aux termes duquel les juges jurent d’administrer la justice « en pleine impartialité » et par l’obligation de s’abstenir de tout acte qui pourrait « saper la confiance en leur impartialité » à laquelle ils sont tenus, en vertu des articles 66 et 82 de la loi relative aux juridictions de droit commun.

301    En défense, la République de Pologne soutient, tout d’abord, que le RGPD ne s’applique pas aux traitements de données à caractère personnel en cause, au motif que ceux-ci sont effectués dans le cadre d’une activité ne relevant pas du champ d’application du droit de l’Union, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de ce règlement, à savoir l’organisation et l’administration de la justice, avec lesquelles les informations concernées ont un « rapport direct », puisqu’elles ont trait à l’exercice des fonctions de juge.

302    Ensuite, la République de Pologne fait valoir que, à supposer même que le RGPD soit applicable en l’espèce, les dispositions nationales contestées ont pour objectif légitime de renforcer l’impartialité et la neutralité politique des juges en informant les justiciables de l’existence éventuelle de motifs de récusation susceptibles d’être invoqués par eux dans une affaire donnée et que ces dispositions nationales sont proportionnées à cette fin.

303    En effet, premièrement, une ancienne affiliation à un parti politique, y compris lorsqu’elle est antérieure à la date du 29 décembre 1989 et s’inscrit dans un contexte historique de politisation du pouvoir judiciaire, serait susceptible d’avoir un effet sur l’activité judiciaire actuelle et future du juge concerné.

304    Deuxièmement, la Commission n’étayerait aucunement ses affirmations selon lesquelles les dispositions nationales contestées sont susceptibles de porter atteinte à la réputation professionnelle des juges et à l’indépendance de ceux-ci ainsi que d’entraîner un risque de discrimination dans leur parcours professionnel ou d’être utilisées à de telles fins. En particulier, la fourniture des informations concernées n’aurait pas d’incidences sur la compétence du juge pour rendre la justice, ni sur l’attribution des affaires au sein de la juridiction dont celui-ci relève, ni sur le déroulement de la carrière de l’intéressé. La fourniture de ces informations n’aurait pas davantage pour conséquence d’affecter l’indépendance du juge concerné ou l’impartialité de celui-ci dans les affaires dont il est saisi ou de conduire à la récusation automatique de l’intéressé dans le cadre de celles-ci. La Commission ne ferait d’ailleurs état d’aucun cas concret dans lequel de telles informations auraient été utilisées de la manière ainsi suggérée.

305    Troisièmement, l’objectif poursuivi par les dispositions nationales contestées ne pourrait être atteint par des moyens moins restrictifs, car, en l’absence d’accès aux informations concernées, les justiciables ne pourraient avoir connaissance d’éventuels motifs de récusation dans le chef des juges appelés à statuer dans une affaire les concernant.

306    Par ailleurs, les données concernées ne relèveraient pas des catégories visées à l’article 9, paragraphe 1, du RGPD, les dispositions nationales contestées ne visant, en effet, pas à ce qu’un juge communique des informations relatives à ses opinions politiques ou à ses convictions philosophiques. Ces dispositions nationales ne comporteraient au demeurant aucune énumération des types d’affiliation à mentionner et il conviendrait dès lors d’apprécier, au cas par cas, si l’obligation de déclaration concernée s’applique, en tenant compte notamment des limites encadrant les ingérences dans la vie privée et, en particulier, de l’article 53, paragraphe 7, de la Constitution interdisant aux autorités publiques d’exiger la divulgation de la « vision du monde », des convictions ou de la religion d’une personne. En tout état de cause, pour les motifs précédemment exposés par la République de Pologne, lesdites dispositions nationales satisferaient également à l’exigence de proportionnalité énoncée à l’article 9, paragraphe 2, sous g), du RGPD.

307    Enfin, la Commission tenterait de renverser la charge de la preuve lui incombant en suggérant qu’il appartient à la République de Pologne de présenter les faits justifiant l’adoption et la proportionnalité de ces dispositions nationales du simple fait que ces dernières n’existaient pas auparavant.

 Appréciation de la Cour

–       Considérations liminaires

308    À titre liminaire, il convient d’observer, en premier lieu, que, par son cinquième grief, la Commission demande à la Cour de constater que, en adoptant l’article 88a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, l’article 45, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et l’article 8, paragraphe 2, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives, la République de Pologne a manqué tant à ses obligations découlant de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c) et e), et paragraphe 3, et de l’article 9, paragraphe 1, du RGPD qu’à celles résultant de l’article 7 et de l’article 8, paragraphe 1, de la Charte.

309    Dans ces conditions, il incombe à la Cour de se prononcer sur les manquements distincts ainsi allégués par la Commission [voir, par analogie, arrêts du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles), C‑235/17, EU:C:2019:432, point 131, ainsi que du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative), C‑78/18, EU:C:2020:476, point 143].

310    En second lieu, s’agissant de l’objet des dispositions nationales contestées par la Commission dans le cadre du cinquième grief, il convient de relever, d’une part, que celles-ci imposent aux juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême), des juridictions de droit commun et des juridictions administratives de procéder, selon la juridiction à laquelle ils appartiennent et la position qu’ils occupent au sein de celle-ci, à une déclaration devant, dans la plupart des cas, être adressée au président d’une juridiction judiciaire ou administrative, et de manière plus exceptionnelle, s’agissant des présidents d’un Sąd Apelacyjny(cour d’appel), du premier président du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et du président du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative), soit à la KRS, soit au ministre de la Justice. En vertu de ces dispositions nationales, ces différentes autorités nationales doivent, ensuite, procéder, dans un délai de 30 jours, à la mise en ligne, dans le Biuletyn Informacji Publicznej, des informations figurant dans ces déclarations.

311    La collecte de ces informations étant dénoncée par la Commission en tant qu’elle a lieu aux fins de cette mise en ligne, il convient d’appréhender ces deux opérations conjointement au regard des dispositions du droit de l’Union dont la violation est alléguée par Commission en l’espèce.

312    D’autre part, il importe de relever que, ainsi qu’il ressort des dispositions nationales contestées, et plus précisément du libellé de l’article 88a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, disposition à laquelle renvoient, pour leur part, l’article 45, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et l’article 8, paragraphe 2, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives, les informations ainsi soumises à déclaration en vue de leur mise en ligne sont de trois types. Ces informations portent, en effet, premièrement, sur l’appartenance du juge concerné à une association, avec mention du nom et du siège de cette association, des fonctions exercées et de la période d’affiliation à celle-ci, deuxièmement, sur les fonctions exercées par le juge dans une instance d’une fondation sans but lucratif, avec mention du nom et du siège de cette fondation et de la période pendant laquelle ces fonctions ont été exercées, et, troisièmement, sur l’appartenance de l’intéressé à un parti politique avant sa nomination à un poste de juge et pendant l’exercice de son mandat avant la date du 29 décembre 1989, avec mention du nom de ce parti politique, des fonctions exercées et de la période d’affiliation à celui-ci.

–       Sur l’applicabilité du RGPD

313    La République de Pologne soutenant que le RGPD n’est pas applicable aux dispositions nationales contestées, il convient de rappeler, d’emblée, que, aux termes de l’article 2, paragraphe 1, du RGPD, ce règlement s’applique au traitement de données à caractère personnel, automatisé en tout ou en partie, ainsi qu’au traitement non automatisé de données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans un fichier.

314    L’article 2, paragraphe 2, sous a), du RGPD précise, toutefois, que ce règlement ne s’applique pas au traitement de données à caractère personnel effectué « dans le cadre d’une activité qui ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union ».

315    À cet égard, il importe de relever, en premier lieu, que ni le fait que les informations faisant l’objet des dispositions nationales contestées ont trait à des juges ni la circonstance que ces informations seraient éventuellement susceptibles de présenter certains liens avec l’exercice des fonctions de ceux-ci ne sont, en tant que tels, de nature à soustraire ces dispositions nationales au champ d’application du RGPD.

316    En effet, il convient de rappeler que, en tant que l’exception prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous a), du RGPD rend inapplicable le régime de protection des données à caractère personnel prévu par ce règlement et s’écarte ainsi de l’objectif sous-jacent à celui-ci, consistant à assurer la protection des libertés et des droits fondamentaux des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel, tels que le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le droit à la protection des données à caractère personnel, garantis aux articles 7 et 8 de la Charte, cette exception doit, à l’instar des autres exceptions à une telle applicabilité prévues audit article 2, paragraphe 2, recevoir une interprétation stricte [voir, en ce sens, arrêts du 14 février 2019, Buivids, C‑345/17, EU:C:2019:122, point 41 et jurisprudence citée, ainsi que du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité), C‑439/19, EU:C:2021:504, point 62 et jurisprudence citée].

317    La Cour a ainsi jugé que l’article 2, paragraphe 2, sous a), du RGPD, lu à la lumière du considérant 16 et de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de ce règlement ainsi que de l’article 3, paragraphe 2, premier tiret, de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO 1995, L 281, p. 31) dans la continuité duquel l’article 2, paragraphe 2, sous a) et b), dudit règlement s’inscrit partiellement, doit être considéré comme ayant pour seul objet d’exclure du champ d’application du RGPD les traitements de données à caractère personnel effectués par les autorités étatiques dans le cadre d’une activité qui vise à préserver la sécurité nationale ou d’une activité pouvant être rangée dans la même catégorie, de telle sorte que le seul fait qu’une activité soit propre à l’État ou à une autorité publique ne suffit pas pour que cette exception soit automatiquement applicable à une telle activité [voir, en ce sens, arrêts du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité), C‑439/19, EU:C:2021:504, points 63 à 66 et jurisprudence citée, ainsi que du 20 octobre 2022, Koalitsia « Demokratichna Bulgaria – Obedinenie », C‑306/21, EU:C:2022:813, points 36 à 39].

318    Les activités qui ont pour but de préserver la sécurité nationale, visées à l’article 2, paragraphe 2, sous a), du RGPD, couvrent, en particulier, celles ayant pour objet de protéger les fonctions essentielles de l’État et les intérêts fondamentaux de la société [arrêts du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité), C‑439/19, EU:C:2021:504, point 67, et du 20 octobre 2022, Koalitsia « Demokratichna Bulgaria – Obedinenie », C‑306/21, EU:C:2022:813, point 40].

319    Or, si le fait d’assurer la bonne administration de la justice dans les États membres et, notamment, l’édiction de règles applicables au statut des juges et à l’exercice de leurs fonctions relèvent de la compétence de ces États, il n’en demeure pas moins que les opérations régies par les dispositions nationales contestées par la Commission dans le cadre du cinquième grief ne sauraient être considérées comme participant d’une activité qui ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), du RGPD, telle qu’une activité ayant pour but de préserver la sécurité nationale.

320    À cet égard, il ressort expressément du considérant 20 du RGPD que ce règlement s’applique, notamment, aux activités des juridictions et autres autorités judiciaires, sous réserve de certains aménagements prévus ou autorisés par ledit règlement lorsque de telles juridictions ou autres autorités judiciaires agissent dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles.

321    Or, il convient d’observer que, si, ainsi qu’il est relevé au point 312 du présent arrêt, les dispositions nationales contestées prévoient que les opérations de collecte et de mise en ligne des informations concernées incombent, certes, en règle générale, à des présidents de juridictions soit de l’ordre judiciaire, soit de l’ordre administratif et, de manière exceptionnelle, à la KRS ou au ministre de la Justice, de telles opérations ne participent pas de l’exercice des fonctions juridictionnelles des autorités concernées, de telle sorte que l’article 2, paragraphe 2, sous a), du RGPD n’est pas applicable à ces opérations.

322    En second lieu, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 4, point 1, du RGPD, il faut entendre par « données à caractère personnel » « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable ». Pour sa part, l’article 4, point 2, du RGPD définit le terme « traitement » comme visant « toute opération ou tout ensemble d’opérations effectuées ou non à l’aide de procédés automatisés et appliquées à des données ou des ensembles de données à caractère personnel », citant, à titre d’exemples de telles opérations, notamment, « la collecte, l’enregistrement, [...] la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition » de telles données.

323    Or, en l’espèce, il y a lieu de constater que, d’une part, les informations dont la déclaration et la mise en ligne sont rendues obligatoires se rapportent à des personnes physiques identifiées ou identifiables et relèvent dès lors de la notion de « données à caractère personnel », au sens de l’article 4, point 1, du RGPD. En effet, ces informations concernent des personnes nommément identifiées et portent sur leur appartenance à des associations, à des fondations sans but lucratif et à des partis politiques et sur les fonctions qu’y exercent ou y ont exercé ces personnes. Quant à la circonstance que lesdites informations s’inscriraient dans le contexte de l’activité professionnelle des déclarants, celle-ci n’est pas de nature à leur ôter une telle qualification (arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 65 et jurisprudence citée).

324    D’autre part, des dispositions nationales consistant, comme en l’espèce, à rendre obligatoires la déclaration et la mise en ligne des informations en cause impliquent des opérations consistant à collecter, à enregistrer et à diffuser ces informations, à savoir un ensemble d’opérations qui est constitutif d’un « traitement » de données à caractère personnel, au sens de l’article 4, point 2, du RGPD (voir, s’agissant de la mise en ligne de données à caractère personnel, arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 65 et jurisprudence citée).

325    Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater que les dispositions nationales contestées relèvent du champ d’application du RGPD et que celles-ci doivent, dès lors, être conformes aux dispositions de ce règlement, dont la violation est alléguée par la Commission en l’espèce.

–       Sur l’applicabilité de l’article 7 et de l’article 8, paragraphe 1, de la Charte

326    Ainsi que le prévoit l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.

327    En l’espèce, il ressort des considérations exposées aux points 313 à 325 du présent arrêt que les dispositions nationales contestées impliquent le traitement de données à caractère personnel et qu’elles relèvent du champ d’application du RGPD. Il s’ensuit que, lors de l’adoption de ces dispositions nationales, la République de Pologne était notamment appelée à mettre en œuvre le RGPD.

328    Par ailleurs, dès lors que ces données à caractère personnel comportent des informations sur des personnes physiques identifiées, l’accès de tout membre du grand public auxdites données affecte le droit fondamental des intéressés au respect de leur vie privée, garanti à l’article 7 de la Charte, sans que soit pertinent, dans ce contexte, le fait que celles-ci sont susceptibles d’avoir trait à des activités professionnelles. En outre, la mise à la disposition du grand public de telles données constitue un traitement de données à caractère personnel relevant de l’article 8 de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2022, Luxembourg Business Registers, C‑37/20 et C‑601/20, EU:C:2022:912, point 38 ainsi que jurisprudence citée).

329    Ainsi, la mise à la disposition de tiers des mêmes données à caractère personnel constitue une ingérence dans les droits fondamentaux consacrés aux articles 7 et 8 de la Charte, quelle que soit l’utilisation ultérieure des informations communiquées. À cet égard, il importe peu que les informations relatives à la vie privée concernées présentent ou non un caractère sensible ou que les intéressés aient ou non subi d’éventuels inconvénients en raison de cette ingérence (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2022, Luxembourg Business Registers, C‑37/20 et C‑601/20, EU:C:2022:912, point 39 ainsi que jurisprudence citée).

330    Il découle de ce qui précède que l’article 7 et l’article 8, paragraphe 1, de la Charte sont applicables en l’espèce et que les dispositions nationales contestées doivent donc être conformes à ces articles [voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative), C‑78/18, EU:C:2020:476, point 103].

–       Sur la violation alléguée des dispositions de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c) et e), et paragraphe 3, et de l’article 9, paragraphe 1, du RGPD ainsi que de l’article 7 et de l’article 8, paragraphe 1, de la Charte

331    Il convient de souligner d’emblée, d’une part, les liens étroits existant entre le RGPD et les dispositions de l’article 7 et de l’article 8, paragraphe 1, de la Charte, dispositions à la lumière desquelles ce règlement doit être interprété.

332    Il ressort d’ailleurs de l’article 1er, paragraphe 2, du RGPD, lu en combinaison avec les considérants 4 et 10 de celui-ci, que ce règlement a notamment pour objet de garantir un niveau élevé de protection des libertés et des droits fondamentaux des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel, ce droit étant également reconnu à l’article 8 de la Charte et étroitement lié au droit au respect de la vie privée, consacré à l’article 7 de celle-ci (arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 61). C’est ainsi, notamment, que, comme M. l’avocat général l’a fait observer au point 235 de ses conclusions, pour autant que les conditions d’un traitement licite de données à caractère personnel en vertu dudit règlement sont réunies, ce traitement est, en principe, réputé satisfaire également aux exigences fixées aux articles 7 et 8 de la Charte (voir, par analogie, arrêt du 27 septembre 2017, Puškár, C‑73/16, EU:C:2017:725, point 102).

333    D’autre part, ainsi qu’il ressort de l’argumentation qu’elle développe à l’appui du cinquième grief, la Commission met en doute le fait que les dispositions nationales contestées poursuivent véritablement les objectifs mis en avant par la République de Pologne et fait valoir que les ingérences dans les droits fondamentaux à la protection des données à caractère personnel et au respect de la vie privée résultant de ces dispositions nationales ne sont, en tout état de cause, pas conformes à l’exigence de proportionnalité découlant des différentes dispositions du droit de l’Union dont elle allègue la violation. La Commission n’ayant pas allégué que lesdites dispositions nationales ne satisferaient pas à d’autres exigences découlant de ces dispositions du droit de l’Union, il y a dès lors lieu pour la Cour de s’en tenir à l’examen du grief ainsi formulé par la Commission et, en conséquence, d’examiner les mêmes dispositions nationales sous le seul angle de leur proportionnalité au regard des objectifs allégués par la République de Pologne.

334    À cet égard, il convient de rappeler, premièrement, que, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante, les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, garantis aux articles 7 et 8 de la Charte, ne sont pas des prérogatives absolues, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux. Des limitations peuvent ainsi être apportées, pourvu que, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, elles soient prévues par la loi et qu’elles respectent le contenu essentiel des droits fondamentaux ainsi que le principe de proportionnalité. En vertu de ce dernier principe, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui. Elles doivent s’opérer dans les limites du strict nécessaire et la réglementation comportant l’ingérence doit prévoir des règles claires et précises régissant la portée et l’application de la mesure en cause (arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 70 et jurisprudence citée).

335    S’agissant, deuxièmement, de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, du RGPD, cette disposition prévoit une liste exhaustive et limitative des cas dans lesquels un traitement de données à caractère personnel peut être considéré comme licite. Ainsi, pour qu’il puisse être considéré comme tel, un traitement doit relever de l’un des cas prévus à ladite disposition (arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 67 et jurisprudence citée).

336    En vertu de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), du RGPD, est licite le traitement qui est nécessaire au respect d’une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis. Selon l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous e), de ce règlement, est également licite le traitement qui est nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement.

337    L’article 6, paragraphe 3, du RGPD précise, à l’égard de ces deux hypothèses de licéité, que le traitement doit être fondé sur le droit de l’Union ou sur le droit de l’État membre auquel le responsable du traitement est soumis et que cette base juridique doit répondre à un objectif d’intérêt public et être proportionnée à l’objectif légitime poursuivi. Ces exigences constituant une expression de celles découlant de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, elles doivent être interprétées à la lumière de cette dernière disposition (arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 69).

338    En l’espèce, l’objet des dispositions nationales contestées consiste, ainsi qu’il est souligné au point 310 du présent arrêt, à imposer aux juges concernés de procéder, selon la juridiction à laquelle ils appartiennent et la position qu’ils occupent au sein de celle-ci, à une déclaration devant, dans la plupart des cas, être adressée à des présidents de juridictions soit de l’ordre judiciaire, soit de l’ordre administratif et, de manière exceptionnelle, à la KRS ou au ministre de la Justice, aux fins de la publication, dans le Biuletyn Informacji Publicznej, par de telles autorités, des informations figurant dans cette déclaration.

339    Or, étant donné que l’obligation de collecte, d’enregistrement et de mise en ligne, à laquelle ces autorités sont ainsi soumises, résulte des dispositions visées au point 310 du présent arrêt, le traitement de données à caractère personnel en cause doit être considéré comme étant nécessaire au respect d’une obligation légale à laquelle chacune desdites autorités est tenue en tant que responsable de ce traitement. Partant, ce traitement relève de l’hypothèse visée à l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), du RGPD (voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 71).

340    S’agissant de l’hypothèse de licéité visée à l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous e), du RGPD, il convient de relever que la poursuite de l’objectif d’impartialité des juges, mis, notamment, en avant dans l’exposé des motifs de la loi modificative relatifs aux dispositions nationales contestées par la Commission dans le cadre de son cinquième grief, contribue à assurer le bon exercice de la fonction juridictionnelle qui constitue une mission d’intérêt public, au sens de cette disposition de ce règlement.

341    Pour ce qui est, troisièmement, de l’article 9, paragraphe 1, du RGPD, celui-ci interdit, notamment, les traitements des données à caractère personnel qui révèlent les opinions politiques ou les convictions religieuses ou philosophiques d’une personne physique. Il s’agit, selon l’intitulé de cet article 9, de « catégories particulières de données à caractère personnel », ces données étant également qualifiées de « données sensibles » au considérant 10 du RGPD.

342    Certaines exceptions à une telle interdiction sont prévues à l’article 9, paragraphe 2, du RGPD. Ainsi qu’il ressort de l’article 9, paragraphe 2, sous g), de ce règlement, cette interdiction ne s’applique pas, notamment, lorsque le traitement en cause est nécessaire pour des motifs d’intérêt public important, sur la base du droit de l’Union ou du droit d’un État membre qui doit être proportionné à l’objectif poursuivi, respecter l’essence du droit à la protection des données et prévoir des mesures appropriées et spécifiques pour la sauvegarde des droits fondamentaux et des intérêts de la personne concernée.

343    Il ressort ainsi du libellé de l’article 9 du RGPD que l’interdiction qu’établit cette disposition s’applique, sous réserve des exceptions prévues par ce règlement, à tout type de traitement des catégories particulières de données visées par ladite disposition et à l’ensemble des responsables effectuant de tels traitements [voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2019, GC e.a. (Déréférencement de données sensibles), C‑136/17, EU:C:2019:773, point 42].

344    Afin de déterminer si les dispositions nationales contestées relèvent du champ d’application de l’article 9 du RGPD, il convient de rappeler, d’emblée, que cette disposition s’applique à des traitements portant non seulement sur les données intrinsèquement sensibles auxquelles a trait celle-ci, mais également sur des données dévoilant indirectement, au terme d’une opération intellectuelle de déduction ou de recoupement, des informations de cette nature (voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 123).

345    Il importe également de rappeler que, ainsi que la Cour l’a jugé, une interprétation large de la notion de « données sensibles » est confortée par l’objectif du RGPD, rappelé au point 316 du présent arrêt, qui est de garantir un niveau élevé de protection des libertés et des droits fondamentaux des personnes physiques, notamment de leur vie privée, à l’égard du traitement des données à caractère personnel les concernant. Une telle interprétation est également conforme à la finalité de l’article 9, paragraphe 1, du RGPD, consistant à assurer une protection accrue à l’encontre de traitements qui, en raison de la sensibilité particulière des données qui en sont l’objet, sont susceptibles de constituer, comme il ressort du considérant 51 de ce règlement, une ingérence particulièrement grave dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, garantis aux articles 7 et 8 de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, points 125 et 126 ainsi que jurisprudence citée).

346    En l’espèce, force est de constater que la collecte et la mise en ligne des informations afférentes à l’« appartenance » passée d’un juge à un « parti politique » et aux « fonctions » exercées dans ce parti, visées à l’article 88a, paragraphe 1, point 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, constituent des traitements de nature à pouvoir révéler les opinions politiques de l’intéressé, au sens de l’article 9, paragraphe 1, du RGPD.

347    Quant aux informations afférentes à l’« appartenance » passée ou actuelle d’un juge à une « association » et aux « fonctions » exercées par ce juge dans le cadre de celle-ci ou aux « fonctions » passées ou actuelles exercées par celui-ci dans une instance d’une « fondation sans but lucratif », visées à l’article 88a, paragraphe 1, points 1 et 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, il y a lieu de constater, à l’instar de M. l’avocat général aux points 244 et 245 de ses conclusions, que, eu égard au caractère très large et imprécis des termes auxquels le législateur polonais a ainsi eu recours, la collecte et la mise en ligne de telles informations est, selon la nature précise des associations et fondations concernées, susceptible de révéler les convictions religieuses ou philosophiques des intéressés, au sens de l’article 9, paragraphe 1, du RGPD, ainsi que la Commission le fait valoir.

348    Il s’ensuit que, pour échapper à l’interdiction édictée à cet article 9, paragraphe 1, les dispositions nationales contestées doivent correspondre à l’une des hypothèses visées au paragraphe 2 dudit article 9 et satisfaire aux exigences qui y sont énoncées, à savoir, en l’espèce, les exigences prévues à l’article 9, paragraphe 2, sous g), du RGPD.

349    Il découle de tout ce qui précède que, les dispositions nationales contestées relevant du champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c) et e), et de l’article 9, paragraphe 1, du RGPD, ainsi que de l’article 7 et de l’article 8, paragraphe 1, de la Charte, il convient à présent d’apprécier leur justification éventuelle au regard de l’article 6, paragraphe 3, et de l’article 9, paragraphe 2, sous g), de ce règlement, ainsi que de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

350    À cet égard, il ressort des points 334, 337 et 342 du présent arrêt que, afin que les dispositions nationales contestées, en tant que bases légales pour les traitements de données à caractère personnel en cause, satisfassent aux exigences découlant, respectivement, de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, de l’article 6, paragraphe 3, du RGPD et de l’article 9, paragraphe 2, sous g), de celui-ci, ces traitements doivent, notamment, répondre à un objectif d’intérêt public et être proportionnés à l’objectif légitime ainsi poursuivi (voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 73).

351    En l’espèce, la Commission fait valoir dans sa requête qu’il ressort de l’exposé des motifs afférent au projet ayant mené à l’adoption de l’article 88a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun que ce projet était animé par une volonté de préserver la neutralité politique et l’impartialité des juges, la confiance du public dans cette impartialité et, enfin, la dignité des fonctions exercées par ceux-ci.

352    En défense, la République de Pologne a, afin de justifier l’adoption des dispositions nationales contestées, fait référence à l’objectif consistant à renforcer la neutralité politique et l’impartialité des juges et la confiance des justiciables dans cette impartialité, tout en précisant, s’agissant de cette neutralité politique, que, en l’espèce, ces dispositions nationales visent, plus spécifiquement, à permettre aux justiciables d’être informés des activités politiques antérieures des juges concernés lorsque ces activités sont de nature à pouvoir faire douter de l’objectivité du juge dans une affaire donnée et à conduire, de ce fait, à son éventuelle récusation.

353    À cet égard, il y a lieu de relever, d’emblée, que l’objectif ainsi allégué par la République de Pologne, en ce qu’il consisterait à garantir la neutralité politique et l’impartialité des juges et à réduire le risque que ces derniers puissent être influencés, dans l’exercice de leurs fonctions, par des considérations tenant à des intérêts privés ou politiques, est, ainsi qu’il est souligné au point 340 du présent arrêt, incontestablement d’intérêt public et, par suite, légitime (voir, par analogie, arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, points 75 et 76). Il en va de même de l’objectif consistant à renforcer la confiance des justiciables quant à l’existence d’une telle impartialité.

354    En effet, ainsi que la Cour l’a souligné à maintes reprises, l’exigence d’indépendance et d’impartialité des juridictions, qui est inhérente à la mission de juger, relève du contenu essentiel du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective et à un procès équitable, lequel revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit (voir, en ce sens, arrêts du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 51 et jurisprudence citée, ainsi que du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, point 94 et jurisprudence citée).

355    Aux termes d’une jurisprudence constante, les garanties d’indépendance et d’impartialité requises en vertu du droit de l’Union postulent ainsi l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition d’une instance juridictionnelle et les causes de récusation de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de cette instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, point 95 et jurisprudence citée). Ainsi qu’il est rappelé au point 95 du présent arrêt, ces règles doivent, en particulier, permettre d’exclure les formes d’influence plus indirecte susceptibles d’orienter les décisions de juges concernés et d’écarter ainsi une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ceux-ci qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit.

356    Il s’ensuit que l’objectif que la République de Pologne allègue avoir voulu poursuivre en l’espèce correspond, en tant que tel, à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte ou encore à un objectif d’intérêt public et, donc, légitime, au sens de l’article 6, paragraphe 3, du RGPD, un tel objectif d’intérêt public pouvant, en outre, être qualifié d’« important », au sens de l’article 9, paragraphe 2, sous g), de ce règlement.

357    Par conséquent, conformément à ces dispositions du droit de l’Union, un tel objectif autorise des limitations à l’exercice des droits garantis aux articles 7 et 8 de la Charte, pour autant, notamment, que ces limitations répondent effectivement à cet objectif et qu’elles soient proportionnées à celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 81).

358    Selon une jurisprudence constante, la proportionnalité de mesures dont résulte une ingérence dans les droits garantis aux articles 7 et 8 de la Charte requiert le respect des exigences d’aptitude et de nécessité ainsi que de celle ayant trait au caractère proportionné de ces mesures par rapport à l’objectif poursuivi (arrêt du 22 novembre 2022, Luxembourg Business Registers, C‑37/20 et C‑601/20, EU:C:2022:912, point 63 ainsi que jurisprudence citée).

359    Plus spécifiquement, les dérogations à la protection des données à caractère personnel et les limitations de celle-ci s’opèrent dans les limites du strict nécessaire, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées à la satisfaction des objectifs légitimes poursuivis, il convient de recourir à la moins contraignante. En outre, un objectif d’intérêt général ne saurait être poursuivi sans tenir compte du fait qu’il doit être concilié avec les droits fondamentaux concernés par la mesure en cause, et ce en effectuant une pondération équilibrée entre, d’une part, l’objectif d’intérêt général et, d’autre part, les droits en cause, afin d’assurer que les inconvénients causés par cette mesure ne soient pas démesurés par rapport aux buts visés. Ainsi, la possibilité de justifier une limitation aux droits garantis aux articles 7 et 8 de la Charte doit être appréciée en mesurant la gravité de l’ingérence que comporte une telle limitation et en vérifiant que l’importance de l’objectif d’intérêt général poursuivi par cette limitation est en relation avec cette gravité (arrêts du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 98 et jurisprudence citée, ainsi que du 22 novembre 2022, Luxembourg Business Registers, C‑37/20 et C‑601/20, EU:C:2022:912, point 64 ainsi que jurisprudence citée).

360    Dans la même ligne, le considérant 39 du RGPD souligne, en particulier, que la condition de nécessité est remplie lorsque l’objectif d’intérêt général visé ne peut raisonnablement être atteint de manière aussi efficace par d’autres moyens moins attentatoires aux droits fondamentaux des personnes concernées, en particulier aux droits au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel garantis aux articles 7 et 8 de la Charte, les dérogations et les restrictions au principe de la protection de telles données devant s’opérer dans les limites du strict nécessaire (voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 85 et jurisprudence citée).

361    Dans ces conditions, il convient de vérifier, premièrement, si, à les supposer effectivement guidées par la poursuite de l’objectif d’intérêt général allégué par la République de Pologne, les dispositions nationales contestées s’avèrent aptes à réaliser cet objectif. Le cas échéant, il y aura lieu d’examiner, deuxièmement, si l’ingérence dans les droits fondamentaux garantis aux articles 7 et 8 de la Charte qui résulte de ces dispositions nationales est limitée au strict nécessaire, en ce sens que ledit objectif ne pourrait raisonnablement être atteint de manière aussi efficace par d’autres moyens moins attentatoires à ces droits fondamentaux, et, troisièmement, si cette ingérence n’est pas disproportionnée par rapport au même objectif, ce qui implique notamment une pondération de l’importance de celui-ci et de la gravité de ladite ingérence (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2022, Luxembourg Business Registers, C‑37/20 et C‑601/20, EU:C:2022:912, point 66).

362    En ce qui concerne, en premier lieu, la question de savoir si la publication dans le Biuletyn Informacji Publicznej des informations collectées au moyen des déclarations en cause est apte à atteindre l’objectif d’intérêt général prétendument poursuivi en l’espèce, force est de constater que la République de Pologne n’a pas présenté d’explications claires et concrètes indiquant pour quelles raisons la mise en ligne obligatoire des informations portant sur l’appartenance d’une personne à un parti politique avant sa nomination à un poste de juge et pendant l’exercice de son mandat avant la date du 29 décembre 1989 serait de nature à pouvoir contribuer actuellement à renforcer le droit des justiciables à voir leur cause entendue par une juridiction répondant à l’exigence d’impartialité et la confiance de ceux-ci dans une telle impartialité.

363    À cet égard, il convient, d’ailleurs, de rappeler que la Cour a déjà jugé, de manière plus générale, que les circonstances entourant la première nomination d’un juge, intervenue au cours de la période durant laquelle le régime non démocratique de la République populaire de Pologne était en place, ne sauraient être en soi considérées comme étant de nature à susciter des doutes légitimes et sérieux, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité de ce juge, lors de l’exercice de ses fonctions juridictionnelles ultérieures (arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, points 82 à 84 et 107).

364    Au demeurant, l’adoption des dispositions nationales contestées par la Commission dans le cadre de son cinquième grief, lesquelles figurent, à l’instar de celles visées par les premier et troisième griefs, dans la loi modificative, adoptée dans l’urgence et dans le contexte décrit aux points 141 à 145 et 291 du présent arrêt, autorise, ainsi que la Commission le soutient, à considérer que ces dispositions, en tant qu’elles ont trait aux informations portant sur l’appartenance des juges à un parti politique avant leur nomination et pendant l’exercice de leur mandat avant la date du 29 décembre 1989, ont, en réalité, été adoptées aux fins de nuire à la réputation professionnelle des juges concernés et à la perception que les justiciables ont de ceux-ci ou encore de stigmatiser ces juges, et, partant, dans le dessein de freiner le développement de la carrière des intéressés.

365    Il découle de ce qui précède que, en ce que les dispositions nationales contestées portent sur de telles informations, avec l’obligation de mentionner le nom du parti politique concerné, les fonctions exercées et la période d’affiliation à celui-ci, à savoir des données à caractère personnel, qui plus est « sensibles », au sens de l’article 9 du RGPD, ces dispositions nationales sont, à supposer même qu’elles aient véritablement visé à poursuivre l’objectif légitime allégué en l’espèce, en tout état de cause inaptes à atteindre cet objectif.

366    Les constatations effectuées aux points 362 à 365 du présent arrêt suffisent à exclure que, en ce que les dispositions nationales contestées prévoient la collecte d’informations et la mise en ligne de celles-ci concernant l’appartenance d’une personne à un parti politique avant sa nomination à un poste de juge et pendant l’exercice de son mandat avant la date du 29 décembre 1989, ces dispositions nationales puissent satisfaire aux exigences découlant du principe de proportionnalité énoncé à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 3, et à l’article 9, paragraphe 2, sous g), du RGPD. Il s’ensuit que, en ce que lesdites dispositions nationales ont trait à de telles informations, elles enfreignent tant les dispositions de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c) et e), et paragraphe 3, et de l’article 9, paragraphe 1, du RGPD que celles de l’article 7 et de l’article 8, paragraphe 1, de la Charte.

367    En revanche, s’agissant des autres informations visées par les dispositions nationales contestées, à savoir celles afférentes à l’appartenance actuelle ou passée à une association et à l’exercice actuel ou passé de fonctions au sein de celle-ci ou dans une fondation sans but lucratif, il ne saurait être exclu, a priori, que le fait de mettre en ligne de telles informations contribue à révéler l’existence d’éventuels conflits d’intérêts susceptibles d’influer sur l’exercice des fonctions des juges concernés lors du traitement d’affaires particulières, en œuvrant à un exercice impartial de ces fonctions et, ainsi, à un renforcement de la confiance des justiciables dans l’action de la justice (voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 83).

368    Par conséquent, il convient, en second lieu, de vérifier si l’objectif allégué par la République de Pologne pourrait raisonnablement être atteint de manière aussi efficace par d’autres mesures moins attentatoires aux droits des juges concernés au respect de leur vie privée et à la protection de leurs données à caractère personnel et si l’ingérence en cause n’est pas disproportionnée par rapport à cet objectif, ce qui implique, notamment, une pondération de l’importance de celui-ci et de la gravité de cette ingérence.

369    De telles appréciations doivent notamment être effectuées en tenant compte de l’ensemble des éléments de droit et de fait propres à l’État membre concerné, tels que l’existence d’autres mesures destinées à garantir une telle impartialité et à prévenir les conflits d’intérêts (voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 86).

370    À cet égard, si, certes, ainsi que la Commission le fait valoir et qu’il ressort du point 300 du présent arrêt, différentes dispositions nationales existent déjà aux fins de consacrer et de contribuer à garantir l’impartialité des juges en Pologne, il n’en découle pas pour autant que des mesures qui viseraient à renforcer encore cette impartialité, y compris l’apparence d’impartialité, et la confiance des justiciables dans celle-ci soient à considérer comme excédant ce qui est nécessaire à de telles fins.

371    Par ailleurs, le fait de rendre les informations en cause disponibles pour les autorités appelées à trancher ou à prévenir d’éventuels conflits d’intérêts, ainsi que la Commission le suggère, ne serait pas nécessairement de nature à permettre aux justiciables d’avoir eux-mêmes connaissance de ces informations et de déceler l’existence éventuelle de tels conflits découlant de celles-ci, et, le cas échéant, de se prévaloir desdites informations aux fins de demander la récusation d’un juge appelé à juger une affaire déterminée. De même la mise en ligne des mêmes informations est-elle en principe de nature à permettre aux justiciables concernés de disposer de celles-ci en toute transparence et sans devoir entreprendre des démarches visant à se renseigner sur ceux qui sont appelés à trancher les différends auxquels ils sont parties. Une telle transparence peut, dans le même temps, contribuer à renforcer la confiance de ces justiciables dans la justice.

372    Toutefois, il importe, d’une part, de relever que, en l’occurrence, les données à caractère personnel concernées se rapportent notamment à des périodes antérieures à la date à partir de laquelle un juge est tenu de faire la déclaration requise en vertu des dispositions nationales contestées, et ce quel que soit le degré d’antériorité des périodes concernées. Or, en l’absence, à tout le moins, d’une limitation temporelle quant aux périodes antérieures ainsi concernées, il ne saurait être raisonnablement considéré que, en ce qu’elles se rapportent à de telles périodes antérieures, les mesures en cause sont limitées à ce qui est strictement nécessaire aux fins de contribuer à renforcer le droit des justiciables à voir, dans une affaire donnée, leur cause entendue par une juridiction répondant à l’exigence d’impartialité, ainsi que la confiance de ceux-ci dans cette impartialité.

373    D’autre part, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 359 du présent arrêt, il convient également, aux fins d’apprécier le caractère proportionné du traitement mis en cause par la Commission, d’évaluer la gravité de l’ingérence dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel que comporte ce traitement et de vérifier si l’importance de l’objectif d’intérêt général poursuivi par celui-ci est en relation avec cette gravité.

374    Afin d’évaluer la gravité de cette ingérence, il doit notamment être tenu compte de la nature des données à caractère personnel en cause, en particulier de la nature éventuellement sensible de ces données, ainsi que de la nature et des modalités concrètes du traitement desdites données, en particulier le nombre de personnes qui ont accès à celles-ci et les modalités d’accès à ces dernières (arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 99 et jurisprudence citée). Ainsi qu’il est souligné au point 369 du présent arrêt, il doit également être tenu compte à cette fin de l’ensemble des éléments de droit et de fait propres à l’État membre concerné.

375    En l’espèce, il importe de relever, premièrement, que la mise en ligne des informations nominatives en cause est, selon l’objet des associations ou des fondations sans but lucratif concernées, susceptible de révéler des informations sur certains aspects sensibles de la vie privée des juges concernés, notamment les convictions religieuses ou philosophiques de ces derniers, de telles informations tombant alors, ainsi qu’il a été précédemment établi, sous le coup de l’article 9, paragraphe 1, du RGPD.

376    Deuxièmement, il y a lieu de relever que le traitement des données à caractère personnel en cause aboutit à rendre ces données librement accessibles sur Internet au grand public et, par suite, à un nombre potentiellement illimité de personnes, de telle sorte que ce traitement est susceptible de permettre à des personnes qui, pour des raisons étrangères à l’objectif d’intérêt général allégué visant à assurer l’impartialité des juges et à prévenir des conflits d’intérêts à l’égard de ceux-ci, cherchent à s’informer sur la situation personnelle du déclarant, d’accéder librement auxdites données (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2022, Luxembourg Business Registers, C‑37/20 et C‑601/20, EU:C:2022:912, point 42 ainsi que jurisprudence citée).

377    Troisièmement, il importe également de tenir compte de ce que, ainsi que la Commission le fait valoir et qu’il est souligné au point 364 du présent arrêt, dans le contexte particulier, propre à l’État membre concerné, dans lequel les dispositions nationales contestées ont été adoptées, la mise en ligne des données à caractère personnel en cause est susceptible, par exemple, d’exposer les juges concernés à des risques de stigmatisation indue, en affectant de manière injustifiée la perception qu’ont de ceux-ci tant les justiciables que le public en général, ainsi qu’au risque de voir le déroulement de leur carrière indûment entravé.

378    Partant, un traitement des données à caractère personnel tel que celui institué par les dispositions nationales contestées doit être regardé comme constituant une ingérence particulièrement grave dans les droits fondamentaux des personnes concernées au respect de leur vie privée et à la protection de leurs données à caractère personnel consacrés à l’article 7 et à l’article 8, paragraphe 1, de la Charte.

379    La gravité de cette ingérence doit ainsi être mise en balance avec l’importance de l’objectif d’intérêt général allégué, visant à assurer l’impartialité des juges, y compris l’apparence d’impartialité, et à prévenir des conflits d’intérêts dans le chef de ceux-ci tout en accroissant la transparence et la confiance des justiciables dans cette impartialité.

380    À cette fin, il convient de prendre en considération, notamment, la réalité et l’ampleur du risque ainsi prétendument combattu et les finalités véritablement poursuivies par les dispositions nationales contestées, eu égard, notamment, au contexte dans lequel celles-ci sont adoptées, de telle sorte que le résultat de la mise en balance à effectuer entre ces finalités, d’une part, et le droit des personnes concernées au respect de leur vie privée et à la protection de leurs données à caractère personnel, d’autre part, n’est pas forcément le même pour tous les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 110 et jurisprudence citée).

381    En l’espèce, force est de constater que, compte tenu du contexte national général et spécifique déjà évoqué, dans lequel les dispositions nationales contestées s’inscrivent, et des conséquences particulièrement graves susceptibles de découler de ces dispositions nationales pour les juges concernés, le résultat de la mise en balance entre l’ingérence découlant de la mise en ligne des données à caractère personnel concernées et l’objectif d’intérêt général allégué n’est pas équilibré.

382    En effet, en comparaison avec le statu quo ante découlant du cadre juridique national préexistant, la mise en ligne des données à caractère personnel concernées représente une ingérence potentiellement considérable dans les droits fondamentaux garantis à l’article 7 et à l’article 8, paragraphe 1, de la Charte, sans que cette ingérence puisse, en l’espèce, être justifiée par les bénéfices éventuels qui pourraient en résulter en termes de prévention des conflits d’intérêts dans le chef des juges et d’accroissement de la confiance dans l’impartialité de ces derniers.

383    Dans ce contexte, il importe, par ailleurs, de souligner que chaque juge a l’obligation, en vertu des règles généralement applicables au statut des juges et à l’exercice de sa fonction, de s’abstenir dans toute affaire dans laquelle une circonstance, telle que son appartenance actuelle ou passée à une association ou l’exercice actuel ou passé de fonctions au sein de celle-ci ou dans une fondation sans but lucratif, pourrait légitimement induire un doute sur son impartialité.

384    Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de constater que les dispositions contestées enfreignent tant les dispositions de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c) et e), et paragraphe 3, et de l’article 9, paragraphe 1, du RGPD que celles de l’article 7 et de l’article 8, paragraphe 1, de la Charte, également en ce qu’elles ont trait à la collecte et à la mise en ligne des données à caractère personnel afférentes à l’appartenance actuelle ou passée à une association et à l’exercice actuel ou passé de fonctions au sein de celle-ci ou dans une fondation sans but lucratif.

385    Dans ces conditions, le cinquième grief doit être intégralement accueilli en ce qu’il est tiré de la violation de ces dispositions du droit de l’Union.

386    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que :

–        en habilitant la chambre disciplinaire dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas garanties, à statuer sur des affaires ayant une incidence directe sur le statut et l’exercice des fonctions de juge et de juge auxiliaire, telles que, d’une part, les demandes d’autorisation d’ouvrir une procédure pénale contre les juges et les juges auxiliaires ou d’arrêter ceux-ci, ainsi que, d’autre part, les affaires en matière de droit du travail et des assurances sociales concernant les juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et les affaires relatives à la mise à la retraite de ces derniers, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ;

–        en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et l’article 72, paragraphe 1, points 1 à 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, permettant de qualifier d’infraction disciplinaire l’examen du respect des exigences de l’Union relatives à un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte ainsi qu’en vertu de l’article 267 TFUE ;

–        en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 42a, paragraphes 1 et 2, et l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, l’article 26, paragraphe 3, et l’article 29, paragraphes 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, l’article 5, paragraphes 1a et 1b, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives, ainsi que l’article 8 de la loi modificative, interdisant à toute juridiction nationale de vérifier le respect des exigences découlant du droit de l’Union relatives à la garantie d’un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte ainsi qu’en vertu du principe de primauté du droit de l’Union ;

–        en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 26, paragraphes 2 et 4 à 6, et l’article 82, paragraphes 2 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême, ainsi que l’article 10 de la loi modificative, établissant la compétence exclusive de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques pour examiner les griefs et les questions de droit concernant l’absence d’indépendance d’une juridiction ou d’un juge, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, ainsi qu’en vertu de l’article 267 TFUE et du principe de primauté du droit de l’Union ;

–        en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 88a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, l’article 45, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et l’article 8, paragraphe 2, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives, la République de Pologne a enfreint le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel garantis à l’article 7 et à l’article 8, paragraphe 1, de la Charte ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c) et e), à l’article 6, paragraphe 3, et à l’article 9, paragraphe 1, du RGPD.

387    Le recours est rejeté pour le surplus, à savoir, en ce que la Commission vise, par son premier grief, à entendre constater une violation de l’article 267 TFUE.

 Sur les dépens

388    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Pologne et cette dernière ayant, pour l’essentiel, succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux afférents aux procédures de référé.

389    Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande et le Royaume de Suède supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1)      En habilitant la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas garanties, à statuer sur des affaires ayant une incidence directe sur le statut et l’exercice des fonctions de juge et de juge auxiliaire, telles que, d’une part, les demandes d’autorisation d’ouvrir une procédure pénale contre les juges et les juges auxiliaires ou d’arrêter ceux-ci, ainsi que, d’autre part, les affaires en matière de droit du travail et des assurances sociales concernant les juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et les affaires relatives à la mise à la retraite de ces derniers, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

2)      En adoptant et en maintenant en vigueur l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de l’ustawa – Prawo o ustroju sądów powszechnych (loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun), du 27 juillet 2001, telle que modifiée par l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych, ustawy o Sądzie Najwyższym oraz niektórych innych ustaw (loi modifiant la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun, la loi sur la Cour suprême et certaines autres lois), du 20 décembre 2019, et l’article 72, paragraphe 1, points 1 à 3, de l’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017, telle que modifiée par cette loi du 20 décembre 2019, permettant de qualifier d’infraction disciplinaire l’examen du respect des exigences de l’Union européenne relatives à un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi qu’en vertu de l’article 267 TFUE.

3)      En adoptant et en maintenant en vigueur l’article 42a, paragraphes 1 et 2, et l’article 55, paragraphe 4, de la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun, telle que modifiée par la loi précitée du 20 décembre 2019, l’article 26, paragraphe 3, et l’article 29, paragraphes 2 et 3, de la loi sur la Cour suprême, telle que modifiée par ladite loi du 20 décembre 2019, l’article 5, paragraphes 1a et 1b, de l’ustawa – Prawo o ustroju sądów administracyjnych (loi relative à l’organisation des juridictions administratives), du 25 juillet 2002, telle que modifiée par cette même loi du 20 décembre 2019, ainsi que l’article 8 de cette dernière loi, interdisant à toute juridiction nationale de vérifier le respect des exigences découlant du droit de l’Union relatives à la garantie d’un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux ainsi qu’en vertu du principe de primauté du droit de l’Union.

4)      En adoptant et en maintenant en vigueur l’article 26, paragraphes 2 et 4 à 6, et l’article 82, paragraphes 2 à 5, de la loi sur la Cour suprême, telle que modifiée par la loi précitée du 20 décembre 2019, ainsi que l’article 10 de cette dernière loi, établissant la compétence exclusive de l’Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques) du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) pour examiner les griefs et les questions de droit concernant l’absence d’indépendance d’une juridiction ou d’un juge, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, ainsi qu’en vertu de l’article 267 TFUE et du principe de primauté du droit de l’Union.

5)      En adoptant et en maintenant en vigueur l’article 88a de la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun, telle que modifiée par la loi précitée du 20 décembre 2019, l’article 45, paragraphe 3, de la loi sur la Cour suprême, telle que modifiée par ladite loi du 20 décembre 2019, et l’article 8, paragraphe 2, de la loi relative à l’organisation des juridictions administratives, telle que modifiée par cette même loi du 20 décembre 2019, la République de Pologne a enfreint le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel garantis à l’article 7 et à l’article 8, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c) et e), à l’article 6, paragraphe 3, et à l’article 9, paragraphe 1, du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).

6)      Le recours est rejeté pour le surplus.

7)      La République de Pologne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne, y compris ceux afférents aux procédures de référé.

8)      Le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.