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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DE LA PRÉSIDENTE DE LA SEPTIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

20 mars 2024 (*)

« Intervention – Intérêt à la solution du litige – Association professionnelle représentative – Demande de traitement confidentiel »

Dans l’affaire T‑367/23,

Amazon Services Europe Sàrl, établie à Luxembourg (Luxembourg), représentée par Mes A. Conrad, M. Frank, R. Spanó et I. Ioannidis, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme L. Armati et M. P.-J. Loewenthal, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Parlement européen, représenté par M. M. Menegatti, Mmes E. Ni Chaoimh et L. Taïeb, en qualité d’agents,

par

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. E. Sitbon, N. Brzezinski et M. Moore, en qualité d’agents,

et par

Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), établi à Bruxelles (Belgique), représenté par Me A. Fratini, avocate,

parties intervenantes,

LA PRÉSIDENTE DE LA SEPTIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Amazon Services Europe Sàrl, demande l’annulation de la décision C(2023) 2746 final de la Commission, du 25 avril 2023, désignant sa plateforme Amazon Store comme une très grande plateforme en ligne au titre de l’article 33, paragraphe 4, du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil, du 19 octobre 2022, relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques) (JO 2022, L 277, p. 1).

2        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 12 octobre 2023, Bundesverband E-Commerce und Versandhandel Deutschland eV (ci-après « BEVH ») a présenté une demande d’intervention au soutien des conclusions de la requérante.

3        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 7 novembre 2023, la Commission européenne a présenté ses observations sur la demande d’intervention de BEVH. Elle a indiqué qu’elle s’opposait à cette demande.

4        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 11 décembre 2023, BEVH a présenté des observations sur celles de la Commission. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 21 décembre 2023, la Commission a demandé le retrait du dossier desdites observations de BEVH.

5        En vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige autre qu’un litige entre États membres, entre institutions de l’Union européenne ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, est en droit d’intervenir à ce litige.

6        La notion d’intérêt à la solution du litige, au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens soulevés. En effet, par « solution » du litige, il faut entendre la décision finale demandée au juge saisi, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt. Il convient, notamment, de vérifier que la partie intervenante est touchée directement par l’acte attaqué et que son intérêt à la solution du litige est certain [ordonnance du 6 avril 2006, An Post/Deutsche Post et Commission, C‑130/06 P(I), non publiée, EU:C:2006:248, point 8].

7        Toutefois, selon une jurisprudence constante de la Cour, une association professionnelle représentative, ayant pour objet la protection des intérêts de ses membres, peut être admise à intervenir lorsque le litige soulève des questions de principe de nature à affecter lesdits intérêts. Dès lors, l’exigence tenant à ce qu’une telle association dispose d’un intérêt direct et actuel à la solution du litige, au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, doit être considérée comme remplie lorsque cette association établit qu’elle se trouve dans une telle situation, et ce indépendamment de la question de savoir si la solution du litige est de nature à modifier la position juridique de l’association en tant que telle (voir ordonnance du 10 mars 2023, Illumina/Commission, C‑611/22 P, EU:C:2023:205, point 8 et jurisprudence citée).

8        Ainsi une association peut être admise à intervenir dans une affaire si, premièrement, elle est représentative d’un nombre important d’entreprises actives dans le secteur concerné, si, deuxièmement, son objet comprend la protection des intérêts de ses membres, si, troisièmement, l’affaire peut soulever des questions de principe affectant le fonctionnement du secteur concerné et si, quatrièmement, les intérêts de ses membres peuvent être affectés dans une mesure importante par l’arrêt à intervenir (ordonnances du 10 mars 2023, Illumina/Commission, C‑611/22 P, EU:C:2023:205, point 10, et du 21 juillet 2023, WhatsApp Ireland/Comité européen de la protection des données, C‑97/23 P, EU:C:2023:608, point 15).

9        En l’espèce, BEVH soutient que chacune des quatre conditions mentionnées au point 8 ci-dessus est remplie en l’espèce.

10      En premier lieu, BEVH relève, dans la demande d’intervention, qu’elle comptait, au 1er octobre 2023, 433 entreprises parmi ses membres dans le secteur de la vente en ligne ou par correspondance en Allemagne et que 130 autres entreprises lui étaient affiliées. Elle précise, sans être contredite par la Commission, qu’elle représente ainsi des entreprises dont le chiffre d’affaires correspond à 90 % du chiffre d’affaires du commerce électronique entre professionnels et consommateurs en Allemagne.

11      Dans ces conditions, il convient de considérer, ainsi que le reconnaît d’ailleurs, en substance, la Commission, que BEVH remplit la première condition énoncée au point 8 ci-dessus, à savoir qu’elle est représentative d’un nombre important d’entreprises actives dans le secteur concerné.

12      En deuxième lieu, BEVH fait valoir, dans la demande d’intervention, qu’il ressort de ses statuts que son objet comprend la protection des intérêts de ses membres.

13      À cet égard, il convient de relever que, aux termes de l’article 2 des statuts de BEVH, cette dernière « a pour mission de protéger et de promouvoir, tant au niveau national qu’au niveau international, les intérêts qui unissent ses membres, sur les plans idéologique, juridique, économique, sociopolitique et de l’emploi ». Par voie de conséquence, il convient de considérer qu’elle remplit la deuxième condition énoncée au point 8 ci-dessus, ce que la Commission ne conteste d’ailleurs pas.

14      En troisième lieu, BEVH relève, dans la demande d’intervention, que le règlement 2022/2065 inclut un ensemble de dispositions ayant pour objet de créer un environnement en ligne plus sûr pour les consommateurs et les entreprises dans l’Union. Elle en déduit que, dans la mesure où la requérante excipe de l’illégalité de plusieurs dispositions de ce règlement, la présente affaire soulève des questions de principe affectant le fonctionnement du secteur concerné.

15      À cet égard, il convient de constater, à l’instar de BEVH, que, d’une part, les plateformes en ligne sont désignées comme de très grandes plateformes en ligne au sens de l’article 33 du règlement 2022/2065 lorsqu’elles atteignent un nombre mensuel moyen de destinataires actifs égal ou supérieur à 45 millions et que, d’autre part, les fournisseurs de ces très grandes plateformes en ligne sont soumis à des obligations supplémentaires auxquelles ne sont pas soumis les autres fournisseurs de plateformes en ligne, dont celles prévues aux articles 38 et 39 de ce règlement.

16      Ainsi, en excipant de l’illégalité des articles 33, 38 et 39 du règlement 2022/2065, la requérante soulève, dans la présente affaire, la question du champ d’application et du contenu des obligations imposées aux très grandes plateformes en ligne. Or, il convient de considérer qu’une telle question constitue une question de principe affectant le secteur concerné, ce que la Commission ne conteste d’ailleurs pas. Partant, il y a lieu de relever que la troisième condition énoncée au point 8 ci-dessus est remplie.

17      En quatrième lieu, BEVH fait valoir, dans la demande d’intervention, que l’arrêt à intervenir peut affecter dans une mesure importante les intérêts de ses membres. Elle précise qu’il s’agit tant du « groupe de membres » qui sont déjà soumis aux obligations relatives aux très grandes plateformes en ligne au sens de l’article 33 du règlement 2022/2065 que des autres membres qui doivent anticiper l’application desdites obligations dans la mesure où leurs plateformes en ligne pourraient atteindre, dans le futur, le nombre mensuel moyen de destinataires actifs pour être désignées comme de très grandes plateformes en ligne. Elle ajoute que, dans cet arrêt, le Tribunal pourrait être amené à clarifier la notion de « destinataire actif » qui est également visée à l’article 24, paragraphe 2, dudit règlement. Elle relève que cette dernière disposition s’applique aux fournisseurs de l’ensemble des plateformes en ligne et non seulement à ceux des très grandes plateformes en ligne.

18      La Commission rétorque que BEVH ne démontre pas que les intérêts de ses membres peuvent être affectés dans une mesure importante par l’arrêt à intervenir. Selon elle, la présente affaire ne concerne que les obligations imposées aux fournisseurs de très grandes plateformes en ligne au sens de l’article 33 du règlement 2022/2065. Or, elle constate, d’une part, que BEVH reconnaît que seuls deux de ses membres, dont la requérante, seraient de tels fournisseurs et, d’autre part, que ces deux membres ont chacun introduit un recours contre les décisions désignant leur plateforme en ligne respective comme une très grande plateforme en ligne. Elle considère ainsi que, par sa demande d’intervention, BEVH ne vise à représenter que l’intérêt desdits membres, lesquels représentent déjà leurs propres intérêts par le biais de leur recours respectif. Par ailleurs, elle fait valoir que la requérante ne soulève pas la question de l’interprétation de la notion de « destinataire actif ».

19      Premièrement, il est constant entre les parties que l’arrêt à intervenir est susceptible d’affecter dans une mesure importante les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne.

20      À cet égard, contrairement à ce que soutient la Commission, il convient de relever que BEVH n’a pas indiqué que seuls deux de ses membres étaient des fournisseurs de très grandes plateformes en ligne. En effet, si elle n’a, certes, nommément identifié qu’un seul de ces fournisseurs parmi ses membres, en plus de la requérante, elle a précisé qu’il ne s’agissait que d’un « exemple ». Par ailleurs, elle a qualifié de « groupe » ses membres qui étaient des fournisseurs de très grandes plateformes en ligne et elle a indiqué qu’elle représentait 90 % du chiffre d’affaires du commerce électronique entre professionnels et consommateurs en Allemagne. Ainsi, il ne ressort pas de la demande d’intervention que BEVH n’aurait, parmi ses membres, que deux fournisseurs de très grandes plateformes en ligne.

21      Deuxièmement, il ressort de l’article 24, paragraphe 2, et de l’article 33, paragraphe 4, du règlement 2022/2065 que les fournisseurs de plateformes en ligne publient au moins tous les six mois des informations relatives à la moyenne mensuelle des destinataires actifs de ces plateformes aux fins de l’éventuelle désignation de ces dernières comme de très grandes plateformes en ligne. Il s’ensuit que ledit règlement prévoit la désignation fréquente de nouvelles très grandes plateformes en ligne, de sorte que la liste de ces très grandes plateformes en ligne est susceptible d’évoluer régulièrement.

22      Par ailleurs, il convient de relever que, par son premier moyen, la requérante excipe de l’illégalité du critère de 45 millions de destinataires actifs mensuels moyens, visé à l’article 33 du règlement 2022/2065, de sorte qu’il ne peut être exclu que le Tribunal soit amené à clarifier la notion de « destinataire actif », ainsi que le fait valoir à juste titre BEVH. Or, ainsi qu’il résulte du point 21 ci-dessus, une telle clarification pourrait permettre aux fournisseurs de plateformes en ligne de déterminer si ces dernières doivent être désignées comme de très grandes plateformes en ligne.

23      Par conséquent, BEVH est fondée à soutenir que l’arrêt à intervenir est susceptible d’affecter dans une mesure importante ses membres dont les plateformes en ligne pourraient atteindre, dans le futur, le nombre mensuel moyen de destinataires actifs pour être désignées comme de très grandes plateformes en ligne. En outre, compte tenu du caractère évolutif du nombre de destinataires actifs, il ne saurait être reproché à BEVH de ne pas avoir précisément identifié parmi ses membres ceux dont elle pouvait penser que les plateformes en ligne allaient atteindre ledit nombre.

24      Dans ces conditions, il convient de considérer que les intérêts des membres de BEVH peuvent être affectés dans une mesure importante par l’arrêt à intervenir. Il s’ensuit que la quatrième condition énoncée au point 8 ci-dessus est remplie.

25      Il résulte de ce qui précède que la demande d’intervention présentée par BEVH dans l’affaire T‑367/23 doit être accueillie compte tenu des seuls éléments présentés dans cette demande, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la recevabilité, en substance contestée par la Commission, des observations déposées par BEVH au greffe du Tribunal le 11 décembre 2023.

26      Enfin, la requérante ayant demandé, conformément à l’article 144, paragraphes 5 et 7, du règlement de procédure du Tribunal, que certaines données du dossier présentant un caractère confidentiel ne soient pas communiquées à BEVH, la communication à cette dernière des actes signifiés aux parties principales doit être limitée à une version non confidentielle de ceux-ci. Une décision sur le bien-fondé de la demande de traitement confidentiel sera, le cas échéant, prise ultérieurement au vu des objections qui pourraient être présentées à ce sujet.

Par ces motifs,

LA PRÉSIDENTE DE LA SEPTIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Bundesverband E-Commerce und Versandhandel Deutschland eV est admise à intervenir dans l’affaire T367/23 au soutien des conclusions d’Amazon Services Europe Sàrl.

2)      Le greffier communiquera à Bundesverband E-Commerce und Versandhandel Deutschland les versions non confidentielles de chaque acte de procédure signifié aux parties principales.

3)      Un délai sera fixé à Bundesverband E-Commerce und Versandhandel Deutschland pour présenter ses objections éventuelles sur la demande de traitement confidentiel. La décision sur le bien-fondé de cette demande est réservée.

4)      Un délai sera fixé à Bundesverband E-Commerce und Versandhandel Deutschland pour présenter son mémoire en intervention, sans préjudice de la possibilité de le compléter le cas échéant ultérieurement, à la suite d’une décision sur le bien-fondé de la demande de traitement confidentiel.

5)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 20 mars 2024.

Le greffier

 

La présidente

V. Di Bucci

 

K. Kowalik-Bańczyk


*      Langue de procédure : l’anglais.