Language of document : ECLI:EU:C:1997:628

ARRÊT DE LA COUR

18 décembre 1997 (1)

«Directive 91/156/CEE — Délai de transposition — Effets — Notion de déchet»

Dans l'affaire C-129/96,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le Conseil d'État de Belgique et tendant à obtenir, dans les litiges pendant devant cette juridiction entre

Inter-Environnement Wallonie ASBL

et

Région wallonne,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 5 et 189 du traité CEE et de l'article 1er, sous a), de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39), telle que modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991 (JO L 78, p. 32),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann, H. Ragnemalm et R. Schintgen, présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho

de Almeida, P. J. G. Kapteyn, J. L. Murray, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann et L. Sevón (rapporteur), juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,


greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

—    pour Inter-Environnement Wallonie ASBL, par Me Jacques Sambon, avocat au barreau de Bruxelles,

—    pour le gouvernement belge, par M. Jan Devadder, conseiller général au ministère des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération au développement, en qualité d'agent,

—    pour le gouvernement allemand, par MM. Ernst Röder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, et Bernd Kloke, Oberregierungsrat au même ministère, en qualité d'agents,

—    pour le gouvernement français, par MM. Jean-François Dobelle, directeur adjoint à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et Romain Nadal, secrétaire adjoint des affaires étrangères au même ministère, en qualité d'agents,

—    pour le gouvernement néerlandais, par M. Adriaan Bos, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

—    pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. John E. Collins, Assistant Treasury Solicitor, en qualité d'agent, assisté de M. Derrick Wyatt, QC,

—    pour la Commission des Communautés européennes, par Mme Maria Condou Durande, membre du service juridique, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales d'Inter-Environnement Wallonie ASBL, représentée par Me Jacques Sambon, du gouvernement français, représenté par MM. Jean-François Dobelle et Romain Nadal, du gouvernement néerlandais, représenté par M. Johannes Steven van den Oosterkamp, conseiller juridique adjoint au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. Derrick Wyatt, QC, et de la Commission, représentée par Mme Maria Condou Durande, à l'audience du 5 février 1997,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 24 avril 1997,

rend le présent

Arrêt

1.
    Par arrêt du 29 mars 1996, parvenu à la Cour le 23 avril suivant, le Conseil d'État de Belgique a posé, en application de l'article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 5 et 189 du traité CEE et de l'article 1er, sous a), de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39), telle que modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991 (JO L 78, p. 32).

2.
    Ces questions ont été posées dans le cadre d'un recours en annulation intenté par l'association sans but lucratif Inter-Environnement Wallonie (ci-après «Inter-Environnement Wallonie») à l'encontre de l'arrêté de l'éxécutif régional wallon, du 9 avril 1992, relatif aux déchets toxiques ou dangereux (ci-après l'«arrêté»).

La réglementation communautaire

3.
    La directive 75/442 vise à harmoniser les législations nationales en ce qui concerne l'élimination des déchets. Elle a été modifiée par la directive 91/156.

4.
    La directive 75/442, telle que modifiée par la directive 91/156, définit la notion de déchet en son article 1er, sous a), comme suit:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

a)    déchet: toute substance ou tout objet qui relève des catégories figurant à l'annexe I, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire.

    La Commission, agissant selon la procédure prévue à l'article 18, établira, au plus tard le 1er avril 1993, une liste des déchets appartenant aux catégories énumérées à l'annexe I. Cette liste fera l'objet d'un réexamen périodique et, au besoin, sera révisée selon la même procédure.»

5.
    La liste mentionnée par cette dernière disposition a été adoptée par la décision 94/3/CE de la Commission, du 20 décembre 1993, établissant une liste des déchets en application de l'article 1er, point a), de la directive 75/442 (JO 1994, L 5, p. 15). Au point 3 de la note préliminaire afférente à cette liste, il est indiqué, d'une part, que celle-ci n'est pas exhaustive et, d'autre part, que le fait qu'une matière y figure n'a d'effet que si cette matière répond à la définition des déchets.

6.
    Les articles 9, paragraphe 1, et 10 de la directive 75/442, modifiée, prévoient que tout établissement ou toute entreprise qui effectue les opérations visées à l'annexe II A ou à l'annexe II B doit obtenir une autorisation de l'autorité compétente. L'annexe II A concerne les opérations d'élimination tandis que l'annexe II B énumère les opérations débouchant sur une possibilité de valorisation.

7.
    L'article 11 de la directive 75/442, modifiée, prévoit une exception à cette obligation d'autorisation:

«1.    Sans préjudice de la directive 78/319/CEE du Conseil, du 20 mars 1978, relative aux déchets toxiques et dangereux [JO L 84, p. 43], modifiée en dernier lieu par l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal, peuvent être dispensés de l'autorisation visée à l'article 9 ou 10:

    a)    les établissements ou entreprises assurant eux-mêmes l'élimination de leurs propres déchets sur les lieux de production

        et

    b)    les établissements ou entreprises qui valorisent des déchets.

    Cette exemption ne peut s'appliquer que:

    —    si les autorités compétentes ont adopté des règles générales pour chaque type d'activité, fixant les types et quantités de déchets et les conditions requises pour que l'activité soit dispensée de l'autorisation

        et

    —    si les types ou les quantités de déchets et les modes d'élimination ou de valorisation sont tels que les conditions de l'article 4 sont respectées.

2.    Les établissements ou entreprises visés au paragraphe 1 sont soumis à un enregistrement auprès des autorités compétentes.

...»

8.
    L'article 4 de la directive 75/442, modifiée, énonce:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que les déchets seront valorisés ou éliminés sans mettre en danger la santé de l'homme et sans que soient utilisés des procédés ou méthodes susceptibles de porter préjudice à l'environnement, et notamment:

—     sans créer de risque pour l'eau, l'air ou le sol, ni pour la faune et la flore,

—     sans provoquer d'incommodités par le bruit ou les odeurs,    

—     sans porter atteinte aux paysages et aux sites présentant un intérêt particulier.

...»

9.
    Selon l'article 2, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 91/156, les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à cette directive au plus tard le 1er avril 1993 et en informer immédiatement la Commission. Au deuxième alinéa de ce paragraphe, il est précisé que, «Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d'une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres».

10.
    La directive 91/689/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, relative aux déchets dangereux (JO L 377, p. 20), renvoie en son article 1er, paragraphe 3, à la définition des déchets donnée par la directive 75/442 et précise, à son article 1er, paragraphe 4, celle de déchets dangereux.

11.
    L'article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 91/689 dispose:

«1.    La dérogation à l'obligation d'autorisation pour les établissements assurant l'élimination de leurs propres déchets, visée à l'article 11, paragraphe 1, point a), de la directive 75/442/CEE, ne s'applique pas aux déchets dangereux couverts par la présente directive.

2.     Conformément à l'article 11, paragraphe 1, point b), de la directive 75/442/CEE, un État membre peut déroger à l'article 10 de ladite directive pour des établissements ou entreprises qui assurent la valorisation de déchets auxquels s'applique la présente directive:

—    si cet État membre adopte des règles générales énumérant les types et quantités de déchets concernés et précisant les conditions spécifiques (valeurs limites de substances dangereuses contenues dans les déchets, valeurs limites d'émission et type d'activité) et les autres conditions à respecter pour effectuer divers types de valorisation,

—    si les types ou quantités de déchets et les modes de valorisation sont tels que les conditions prévues à l'article 4 de la directive 75/442/CEE sont respectées.»

12.
    L'article 11 de la directive 91/689 a abrogé la directive 78/319/CEE du Conseil, du 20 mars 1978, relative aux déchets toxiques et dangereux (JO L 84, p. 43), avec effet au 12 décembre 1993. L'article 1er de la directive 94/31/CE du Conseil, du 27

juin 1994, modifiant la directive 91/689 (JO L 168, p. 28), a toutefois reporté au 27 juin 1995 l'abrogation de la directive 78/319.

La réglementation nationale

13.
    Le décret du conseil régional wallon, du 5 juillet 1985, relatif aux déchets, tel que modifié par le décret du 25 juillet 1991 (ci-après le «décret»), définit, en son article 3, point 1, les déchets comme suit:

«1° déchets: toutes substances ou tous objets qui relèvent des catégories figurant à l'annexe I dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire».

14.
    L'arrêté dispose en son article 5, paragraphe 1:

«Sont soumises à autorisation, l'implantation et l'exploitation d'une installation spécifique de regroupement, de prétraitement, d'élimination ou de valorisation de déchets toxiques ou dangereux, non intégrée dans un processus de production industrielle...»

15.
    Dans son préambule, l'arrêté fait notamment référence au décret, à la directive 75/442, modifiée, et aux directives 78/319 et 91/689. L'article 86 de l'arrêté précisequ'il entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge. Cette publication a eu lieu le 23 juin 1992.

Les faits du litige au principal

16.
    Par requête introduite le 21 août 1992, Inter-Environnement Wallonie a demandé au Conseil d'État de Belgique d'annuler, à titre principal, l'ensemble des dispositions de l'arrêté et, à titre subsidiaire, certaines de ses dispositions.

17.
    Dans son arrêt de renvoi, le Conseil d'État a déjà statué sur cinq des six moyens présentés par Inter-Environnement Wallonie et a annulé certaines dispositions de l'arrêté.

18.
    Dans son moyen restant, Inter-Environnement Wallonie soutient que l'article 5, paragraphe 1, de l'arrêté viole notamment l'article 11 de la directive 75/442, modifiée, et l'article 3 de la directive 91/689, en ce qu'il exclut du régime d'autorisation les opérations d'implantation et d'exploitation d'une installation spécifique de regroupement, de prétraitement, d'élimination ou de valorisation des déchets toxiques ou dangereux, lorsque cette installation est «intégrée dans un processus de production industrielle».

19.
    Dans la première branche de ce moyen, Inter-Environnement Wallonie fait valoir que l'article 11 de la directive 75/442, modifiée, combiné avec l'article 3 de la directive 91/689, ne permet de déroger à l'obligation d'autorisation pour les

entreprises qui assurent la valorisation des déchets qu'aux conditions que ces dispositions déterminent et si ces entreprises sont enregistrées auprès des autorités compétentes.

20.
    A cet égard, le Conseil d'État considère que l'article 5, paragraphe 1, de l'arrêté est effectivement contraire à l'article 11 de la directive 75/442, modifiée, combiné avec l'article 3 de la directive 91/689.

21.
    Constatant que l'arrêté a été adopté à un moment où le délai imparti par la directive pour sa transposition n'était pas encore expiré, il se demande dans quelle mesure un État membre peut, durant cette période, prendre un acte contraire à la directive. Il ajoute que la réponse négative apportée à cette question par Inter-Environnement Wallonie se heurte à la règle selon laquelle la légalité d'un acte s'apprécie au moment de son adoption.

22.
    Dans la seconde branche de son moyen, Inter-Environnement Wallonie fait valoir que l'exclusion prévue par l'article 5, paragraphe 1, de l'arrêté est contraire au décret qui, selon elle, ne prévoit pas de dérogation pour les opérations s'intégrant dans un processus industriel.

23.
    A cet égard, le Conseil d'État constate que l'article 3, point 1, du décret et l'annexe à laquelle ce dernier renvoie se veulent une transposition fidèle de la directive 75/442, modifiée. Or, s'il ressort de la jurisprudence de la Cour que constituent des déchets les substances et objets dont le détenteur se défait ou a l'obligation de se défaire sans avoir pour autant l'intention d'en exclure toute réutilisation économique par d'autres personnes, elle ne permet pas de déterminer si une substance ou un objet visé à l'article 1er de la directive 75/442, modifiée, qui est intégré, directement ou indirectement, dans un processus de production industrielle, est un déchet au sens de l'article 1er, sous a), de cette directive.

24.
    Dans ces conditions, le Conseil d'État a posé à la Cour les questions suivantes à titre préjudiciel:

«1)    Les articles 5 et 189 du traité CEE s'opposent-ils à ce que les États membres prennent une disposition contraire à la directive 75/442/CEE, du 15 juillet 1975, relative aux déchets, telle que modifiée par la directive 91/156/CEE, du 18 mars 1991, pendant le délai de transposition de celle-ci?

    Les mêmes dispositions du traité s'opposent-elles à ce que les États membres adoptent et mettent en vigueur une norme qui se présente comme une transposition de ladite directive mais dont les dispositions apparaissent contraires aux prescriptions de cette directive?

2)    Une substance visée à l'annexe I de la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991, modifiant la directive 75/442/CEE relative aux déchets, qui

est intégrée, directement ou indirectement, dans un processus de production industrielle, est-elle un déchet au sens de l'article 1er, sous a), de cette directive?»

Sur la seconde question

25.
    Par sa seconde question, qu'il convient d'examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande en substance si le simple fait qu'une substance est intégrée, directement ou indirectement, dans un processus de production industrielle l'exclut de la notion de déchet au sens de l'article 1er, sous a), de la directive 75/442, modifiée.

26.
    Il découle tout d'abord du libellé de l'article 1er, sous a), de la directive 75/442, modifiée, que le champ d'application de la notion de déchet dépend de la signification du terme «se défaire».

27.
    Il ressort ensuite des dispositions de la directive 75/442, modifiée, notamment de ses articles 4 et 8 à 12 ainsi que de ses annexes II A et II B que ce terme englobe à la fois l'élimination et la valorisation d'une substance ou d'un objet.

28.
    Comme l'a relevé M. l'avocat général aux points 58 à 61 de ses conclusions, la liste des catégories de déchets figurant à l'annexe I de la directive 75/442, modifiée, et les opérations d'élimination et de valorisation énumérées aux annexes II A et II B de la même directive montrent que la notion de déchet n'exclut en principe aucun type de résidus, de sous-produits industriels ou d'autres substances résultant de processus de production. Cette constatation est d'ailleurs confortée par la liste des déchets établie par la Commission dans la décision 94/3.

29.
    A cet égard, il convient de préciser en premier lieu que, comme il apparaît en particulier des articles 9 à 11 de la directive 75/442, modifiée, la directive s'applique non seulement à l'élimination et à la valorisation des déchets par des entreprises spécialisées en cette matière, mais également à l'élimination et à la valorisation de déchets par l'entreprise qui les a produits, sur le lieu de leur production.

30.
    En second lieu, si, conformément à l'article 4 de la directive 75/442, modifiée, les déchets doivent être valorisés ou éliminés sans mettre en danger la santé de l'homme et sans que soient utilisés des procédés ou méthodes susceptibles de porter préjudice à l'environnement, rien dans la directive n'indique qu'elle ne concerne pas les opérations d'élimination ou de valorisation faisant partie d'un processus de production industrielle lorsque celles-ci n'apparaissent pas comme constituant un danger pour la santé de l'homme ou pour l'environnement.

31.
    Enfin, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que la notion de déchet, au sens de l'article 1er de la directive 75/442, modifiée, ne doit pas s'entendre comme excluant les substances et objets susceptibles de réutilisation économique (arrêts du 28 mars 1990, Zanetti e.a., C-359/88, Rec. p. I-1509, points 12 et 13; du 10 mai

1995, Commission/Allemagne, C-422/92, Rec. p. I-1097, points 22 et 23, et du 25 juin 1997, Tombesi e.a., C-304/94, C-330/94, C-342/94 et C-224/95, Rec. p. I-3561, points 47 et 48).

32.
    Il résulte de l'ensemble de ces considérations que peuvent constituer des déchets au sens de l'article 1er, sous a), de la directive 75/442, modifiée, des substances qui entrent dans un processus de production.

33.
    Cette conclusion ne porte pas atteinte à la distinction qu'il convient d'opérer, ainsi que l'ont fait valoir à juste titre les gouvernements belge, allemand, néerlandais et du Royaume-Uni, entre la valorisation de déchets au sens de la directive 75/442, modifiée, et le traitement industriel normal de produits qui ne sont pas des déchets, quelle que soit par ailleurs la difficulté de cette distinction.

34.
    Il y a donc lieu de répondre à la seconde question posée que le simple fait qu'une substance est intégrée, directement ou indirectement, dans un processus de production industrielle ne l'exclut pas de la notion de déchet au sens de l'article 1er, sous a), de la directive 75/442, modifiée.

Sur la première question

35.
    Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 5 et 189 du traité CEE s'opposent à ce que les États membres prennent des mesures contraires à la directive 91/156 pendant son délai de transposition.

36.
    Selon Inter-Environnement Wallonie, il découle de la primauté du droit communautaire et de l'article 5 du traité que, même lorsqu'un État membre décide de transposer une directive communautaire avant l'expiration du délai qu'elle fixe, cette transposition doit être conforme à la directive. En choisissant de transposer la directive 91/156 le 9 avril 1992, la Région wallonne aurait dû, par conséquent, se conformer à cette directive.

37.
    La Commission se rallie à cette position et soutient que les articles 5 et 189 du traité s'opposent à ce que les États membres adoptent une disposition contraire à la directive 91/156 pendant son délai de transposition. Elle précise que la question de savoir si une mesure déterminée vise spécifiquement à la transposition de cette directive est, à cet égard, dénuée de pertinence.

38.
    Les gouvernements belge, français et du Royaume-Uni estiment, en revanche, que, jusqu'à l'expiration du délai de transposition d'une directive, les États membres demeurent libres d'adopter des règles qui n'y sont pas conformes. Le gouvernement du Royaume-Uni ajoute toutefois que les articles 5 et 189 du traité s'opposent à ce qu'un État membre adopte des mesures qui auraient pour effet de lui rendre impossible ou extrêmement difficile la transposition correcte de la directive.

39.
    Le gouvernement néerlandais est d'avis que l'adoption d'une directive implique que les États membres ne peuvent plus rien entreprendre qui puisse rendre plus difficile la réalisation du résultat qu'elle prescrit. Toutefois, il estime qu'un État membre ne peut pas être considéré comme ayant violé les articles 5 et 189 du traité lorsque, comme en l'espèce, il n'est pas certain que les dispositions nationales contreviennent à la directive concernée.

40.
    A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l'obligation pour un État membre de prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre le résultat prescrit par une directive est une obligation contraignante imposée par l'article 189, troisième alinéa, du traité et par la directive elle-même (arrêts du 1er février 1977, Verbond van Nederlandse Ondernemingen, 51/76, Rec. p. 113, point 22; du 26 février 1986, Marshall, 152/84, Rec. p. 723, point 48, et du 24 octobre 1996, Kraaijeveld e.a., C-72/95, Rec. p. I-5403, point 55). Cette obligation de prendre toutes mesures générales ou particulières s'impose à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles (arrêts du 13 novembre 1990, Marleasing, C-106/89, Rec. p. I-4135, point 8, et Kraaijeveld e.a., précité, point 55).

41.
    Il convient ensuite de relever que, aux termes de l'article 191, deuxième alinéa, du traité CEE, applicable à l'époque des faits au principal, «Les directives et les décisions sont notifiées à leurs destinataires et prennent effet par cette notification». Il découle de cette disposition qu'une directive produit des effets juridiques à l'égard de l'État membre destinataire dès le moment de sa notification.

42.
    En l'espèce et conformément à une pratique courante, la directive 91/156 fixe elle-même un délai à l'expiration duquel les dispositions législatives, réglementaires etadministratives nécessaires pour s'y conformer doivent être entrées en vigueur dans les États membres.

43.
    Dès lors que ce délai vise notamment à donner aux États membres le temps nécessaire pour adopter les mesures de transposition, ces États ne sauraient se voir reprocher de ne pas avoir transposé la directive dans leur ordre juridique avant que ce délai soit arrivé à expiration.

44.
    Il n'en demeure pas moins que c'est pendant le délai de transposition qu'il incombe aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour assurer que le résultat prescrit par la directive sera atteint à l'expiration de ce délai.

45.
    A cet égard, si les États membres ne sont pas tenus d'adopter ces mesures avant l'expiration du délai de transposition, il résulte de l'application combinée des articles 5, deuxième alinéa, et 189, troisième alinéa, du traité et de la directive elle-même que, pendant ce délai, ils doivent s'abstenir de prendre des dispositions de nature à compromettre sérieusement le résultat prescrit par cette directive.

46.
    Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier si tel est le cas des dispositions nationales dont elle est chargée d'examiner la légalité.

47.
    Dans cette appréciation, la juridiction nationale devra en particulier examiner si les dispositions en cause se présentent comme une transposition complète de la directive ainsi que les effets concrets de l'application de ces dispositions non conformes à la directive et de leur durée dans le temps.

48.
    Par exemple, si les dispositions en cause se présentent comme une transposition définitive et complète de la directive, leur non-conformité avec la directive pourrait laisser présumer que le résultat prescrit par celle-ci ne sera pas atteint dans les délais impartis si leur modification en temps utile est impossible.

49.
    En sens inverse, la juridiction nationale pourrait tenir compte de la faculté qu'a un État membre d'adopter des dispositions provisoires ou de mettre en oeuvre la directive par étapes. Dans de telles hypothèses, la non-conformité de dispositions transitoires du droit national avec la directive ou l'absence de transposition de certaines dispositions de la directive ne compromettrait pas nécessairement le résultat prescrit pas celle-ci.

50.
    Il convient donc de répondre à la première question que les articles 5, deuxième alinéa, et 189, troisième alinéa, du traité CEE ainsi que la directive 91/156 imposent que, pendant le délai de transposition fixé par la directive pour la mettre en oeuvre, l'État membre destinataire de celle-ci s'abstienne de prendre des dispositions de nature à compromettre sérieusement la réalisation du résultat prescrit par cette directive.

Sur les dépens

51.
    Les frais exposés par les gouvernements belge, allemand, français, néerlandais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par le Conseil d'État de Belgique, par arrêt du 29 mars 1996, dit pour droit:

1)    Le simple fait qu'une substance est intégrée, directement ou indirectement, dans un processus de production industrielle ne l'exclut pas de la notion de déchet au sens de l'article 1er, sous a), de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets, telle que modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991.

2)    Les articles 5, deuxième alinéa, et 189, troisième alinéa, du traité CEE ainsi que la directive 91/156 imposent que, pendant le délai de transposition fixé par la directive pour la mettre en oeuvre, l'État membre destinataire de celle-ci s'abstienne de prendre des dispositions de nature à compromettre sérieusement la réalisation du résultat prescrit par cette directive.

Rodríguez Iglesias
Gulmann
Ragnemalm

Schintgen

Mancini
Moitinho de Almeida

Kapteyn

Murray
Edward

Puissochet            Hirsch            Jann        Sevón

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 décembre 1997.

Le greffier

Le président

R. Grass

G. C. Rodríguez Iglesias


1: Langue de procédure: le français.