Language of document : ECLI:EU:C:2003:257

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

8 mai 2003(1)

«Convention de Bruxelles - Article 21 - Litispendance - Compensation»

Dans l'affaire C-111/01,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, par l'Oberster Gerichtshof (Autriche) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Gantner Electronic GmbH

et

Basch Exploitatie Maatschappij BV,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 21 de la convention du 27 septembre 1968, précitée (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p.77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1), par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1) et par la convention du 29 novembre 1996 relative à l'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1),

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. M. Wathelet (rapporteur), président de chambre, MM. C. W. A. Timmermans, A. La Pergola, P. Jann et S. von Bahr, juges,

avocat général: M. P. Léger,


greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

-    pour Gantner Electronic GmbH, par Mes A. Concin et H. Concin, Rechtsanwälte,

-    pour Basch Exploitatie Maatschappij BV, par Me T. Frad, Rechtsanwalt,

-    pour le gouvernement autrichien, par M. H. Dossi, en qualité d'agent,

-    pour le gouvernement italien, par M. U. Leanza, en qualité d'agent, assisté de M. O. Fiumara, avvocato dello Stato,

-    pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme G. Amodeo, en qualité d'agent, assistée de M. D. Lloyd Jones, QC,

-    pour la Commission des Communautés européennes, par Mme A.-M. Rouchaud et M. W. Bogensberger, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Gantner Electronic GmbH, de Basch Exploitatie Maatschappij BV, du gouvernement du Royaume-Uni et de la Commission à l'audience du 10 juillet 2002,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 5 décembre 2002,

rend le présent

Arrêt

1.
    Par ordonnance du 22 février 2001, parvenue à la Cour le 12 mars suivant, l'Oberster Gerichtshof a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après le «protocole»), trois questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 21 de la convention du 27 septembre 1968, précitée (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1), par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1) et par la convention du 29 novembre 1996 relative à l'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1, ci-après la «convention»).

2.
    Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige survenu entre la société de droit autrichien Gantner Electronic GmbH (ci-après «Gantner») et la société de droit néerlandais Basch Exploitatie Maatschappij BV (ci-après «Basch») à la suite de la rupture de leurs relations commerciales.

Le cadre juridique

La convention

3.
    Il ressort de son préambule que la convention a pour but de faciliter la reconnaissance réciproque et l'exécution des décisions judiciaires, conformément à l'article 293 CE, et de renforcer dans la Communauté la protection juridique des personnes qui y sont établies. Le préambule indique également qu'il importe à cette fin de déterminer la compétence des juridictions des États contractants dans l'ordre international.

4.
    Les règles concernant la compétence sont prévues au titre II de la convention. La section 8 de ce titre, intitulée «Litispendance et connexité», vise à prévenir les contrariétés de décisions et à assurer de la sorte une bonne administration de la justice dans la Communauté.

5.
    Aux termes de l'article 21 de la convention, relatif à la litispendance:

«Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d'États contractants différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d'office à statuer jusqu'à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.

Lorsque la compétence du tribunal premier saisi est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui-ci.»

6.
    En vertu de l'article 22 de la convention, qui a trait à la connexité:

«Lorsque des demandes connexes sont formées devant des juridictions d'États contractants différents et sont pendantes au premier degré, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer.

Cette juridiction peut également se dessaisir, à la demande de l'une des parties, à condition que sa loi permette la jonction d'affaires connexes et que le tribunal premier saisi soit compétent pour connaître des deux demandes.

Sont connexes, au sens du présent article, les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.»

Les droits nationaux

7.
    Dans les droits néerlandais et autrichien, la compensation nécessite toujours une déclaration unilatérale d'une partie envers l'autre. La compensation légale, caractérisée par l'extinction de plein droit des créances réciproques, qui est connue dans d'autres droits nationaux européens, n'existe pas dans les droits néerlandais et autrichien. La déclaration peut être indifféremment faite par voie extrajudiciaire ou dans le cadre d'un procès. Elle a un effet rétroactif: les deux créances sont considérées comme éteintes au jour où les conditions de la compensation se sont trouvées réunies, et non au jour de la déclaration de compensation, et le juge se limite à constater que la compensation a eu lieu.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8.
    Gantner fabrique et commercialise des horloges pour pigeons voyageurs. Dans le cadre de ses relations commerciales avec Basch, elle lui livrait sa marchandise en vue de sa revente aux Pays-Bas.

9.
    Estimant que Basch n'avait pas honoré le prix de vente des marchandises livrées et facturées jusqu'en juin 1999, Gantner a mis un terme à leurs relations commerciales.

10.
    Par acte du 7 septembre 1999, notifié à Gantner le 2 décembre 1999, Basch a introduit devant l'Arrondissementsrechtbank Dordrecht (Pays-Bas) une action visant à faire condamner Gantner à lui verser la somme de 5 555 143,60 NLG (2 520 814,26 euros) principalement à titre de dommages et intérêts. Elle a fait valoir que, Gantner ayant résilié une relation contractuelle longue de plus de 40 ans, le délai de dénonciation aurait dû être plus long.

11.
    Il ressort de l'ordonnance de renvoi que Basch s'estimait créancière de la somme de 5 950 962 NLG (2 700 428,82 euros). Elle a toutefois soustrait de cette somme un montant de 376 509 NLG (170 852,34 euros), correspondant aux créances de Gantner qu'elle estimait justifiées, et s'est en conséquence limitée à réclamer en justice la somme de 5 555 143,60 NLG (2 520 814,26 euros). Elle a ainsi procédé à une compensation par déclaration de volonté.

12.
    Dans la procédure devant l'Arrondissementsrechtbank Dordrecht, Gantner n'a pas opposé de créance aux prétentions de Basch.

13.
    Par acte du 22 septembre 1999, notifié à Basch le 21 décembre 1999, Gantner a introduit devant le Landesgericht Feldkirch (Autriche) une action visant à faire condamner Basch à lui payer la somme de 11 523 703,30 ATS (837 460,18 euros), correspondant au prix de vente de marchandises livrées à Basch jusqu'en 1999 et restées impayées.

14.
    Basch a conclu au rejet de la demande. Elle a soutenu que la partie de la créance de Gantner qu'elle estimait justifiée, soit 170 852,34 euros, était éteinte par la compensation qu'elle avait opérée par voie extrajudiciaire aux Pays-Bas. Quant au solde de la demande de Gantner (666 607,84 euros), Basch a fait valoir que, si par impossible, il était jugé fondé, il serait en toute hypothèse compensé par le solde de sa propre créance en dommages et intérêts, objet du litige pendant devant l'Arrondissementsrechtbank Dordrecht. En outre, Basch a demandé au Landesgericht de surseoir à statuer pour cause de litispendance, en vertu de l'article 21, ou de connexité, en vertu de l'article 22 de la convention.

15.
    Le Landesgericht a refusé de suspendre l'ensemble de la procédure pendante devant lui. Il a cependant décidé de surseoir à statuer sur le moyen de défense soulevé par Basch et tiré de la compensation avec la créance dont celle-ci poursuit le recouvrement devant l'Arrondissementsrechtbank Dordrecht.

16.
    Basch a formé appel devant l'Oberlandesgericht Innsbruck (Autriche) contre la décision du Landesgericht de ne pas suspendre l'ensemble de la procédure.

17.
    Estimant que le moyen de défense tiré de la compensation extrajudiciaire que Basch avait opérée aux Pays-Bas était susceptible de faire naître une relation de litispendance entre les deux litiges, l'Oberlandesgericht a annulé la décision de première instance en tant qu'elle rejetait la demande de sursis à statuer de Basch fondée sur l'article 21 de la convention. Il a en revanche confirmé le rejet de la demande de sursis à statuer de Basch fondée sur l'article 22 de la convention, ce rejet étant désormais définitif.

18.
    Gantner a formé un pourvoi contre cette décision devant l'Oberster Gerichtshof.

19.
    Celui-ci considère, en premier lieu, que les demandes respectives de Basch et de Gantner ne reposent pas sur des faits identiques ou de même nature. Devant la juridiction néerlandaise, Basch demande réparation de son préjudice consécutif à la résiliation illicite par Gantner d'un prétendu contrat de concession. Dans la procédure qu'elle a engagée ultérieurement devant les juridictions autrichiennes, Gantner demande le paiement du prix de vente des marchandises livrées pendant la période précédant la rupture des relations commerciales. Sur le plan conceptuel, ces demandes ne seraient pas fondées sur des appréciations contradictoires des mêmes faits et actes, mais chacune d'elles serait fondée sur des faits et actes différents donnant lieu à des droits distincts.

20.
    L'Oberster Gerichtshof se demande toutefois si, compte tenu de la jurisprudence de la Cour en la matière (voir arrêts du 8 décembre 1987, Gubisch Maschinenfabrik, 144/86, Rec. p. 4861, points 16 à 18, et du 6 décembre 1994, Tatry, C-406/92, Rec. p. I-5439, points 30 à 34), il n'y a pas lieu de considérer que les conditions de la litispendance sont réunies en l'occurrence.

21.
    En second lieu, l'Oberster Gerichtshof relève que Basch se prévaut d'un contrat à durée indéterminée tandis que Gantner fait état d'une succession de contrats de vente.

22.
    À cet égard, la demande introduite par Basch devant la juridiction néerlandaise ne soulèverait la question de l'existence d'un contrat à durée indéterminée qu'à titre préliminaire. Il importerait dès lors de savoir si la décision qui sera rendue par la juridiction néerlandaise sur ce que la doctrine encore majoritaire en Autriche qualifie de simple question préalable aura ou non force obligatoire pour le procès ultérieur en Autriche. L'Oberster Gerichtshof souligne que cette question est extrêmement controversée en droit autrichien.

23.
    Aussi l'Oberster Gerichtshof a-t-il décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes:

«1)    La notion de ‘même objet et [de] même cause' au sens de l'article 21 de la [convention] s'applique-t-elle aussi à l'exception soulevée par la défenderesse relative au remboursement par compensation extrajudiciaire d'une partie de la créance dont le recouvrement est poursuivi en justice, lorsque, d'après ce qui est allégué, la partie non encore remboursée de cette créance constitue l'objet d'un litige entre les mêmes parties du fait d'une action déjà introduite antérieurement dans un autre État contractant?

2)    Pour déterminer si des actions en justice ont ‘le même objet et la même cause', faut-il prendre en compte seulement les arguments présentés par la demanderesse dans le procès né d'une action en justice ultérieure et, par conséquent, ne pas tenir compte des exceptions et des demandes de la défenderesse, notamment du moyen de défense tiré de l'exception de compensation judiciaire relative à une créance qui fait l'objet d'un litige entre les mêmes parties du fait d'une action déjà introduite antérieurement dans un autre État membre?

3)    La décision relative à une demande de dommages et intérêts pour résiliation illicite d'un rapport d'obligation à durée indéterminée est-elle également obligatoire pour un procès ultérieur entre les mêmes parties concernant la question de l'existence de ce rapport d'obligation?»

Sur les deux premières questions préjudicielles

24.
    Par ses deux premières questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 21 de la convention doit être interprété en ce sens que, pour apprécier si deux demandes formées entre les mêmes parties devant des juridictions d'États contractants différents ont le même objet, il convient de tenir compte non seulement des prétentions des demandeurs respectifs, mais également des moyens de défense soulevés par un défendeur.

25.
    À cet égard, il convient de relever d'abord que, selon les termes de l'article 21 de la convention, cette disposition s'applique lorsque les parties aux deux litiges sont les mêmes et lorsque les deux demandes ont la même cause et le même objet (voir arrêt Gubisch Maschinenfabrik, précité, point 14). En outre, l'objet du litige au sens de cette disposition consiste dans le but de la demande (voir arrêt Tatry, précité, point 41).

26.
    Il ressort ainsi du libellé de l'article 21 de la convention que celui-ci mentionne uniquement les prétentions respectives des demandeurs dans chacun des litiges, et non les moyens de défense éventuellement soulevés par un défendeur.

27.
    Ensuite, il ressort de l'arrêt du 7 juin 1984, Zelger (129/83, Rec. p. 2397, points 10 à 15), que, pour autant que les conditions de fond énoncées au point 25 du présent arrêt sont réunies, une situation de litispendance existe à partir du moment où deux juridictions d'États contractants différents sont définitivement saisies de demandes en justice, c'est-à-dire avant que les défendeurs aient pu faire valoir leur position.

28.
    Bien qu'il ne soit pas applicable ratione temporis à l'affaire au principal, le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), est de nature à confirmer cette interprétation.

29.
    En effet, ce règlement précise, notamment aux fins de l'application des règles en matière de litispendance, quand une juridiction est réputée saisie. En vertu de son article 30, la saisine s'opère soit à la date à laquelle l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n'ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu'il était tenu de prendre pour que l'acte soit notifié ou signifié au défendeur, soit, si l'acte doit être notifié ou signifié avant d'être déposé auprès de la juridiction, à la date à laquelle il est reçu par l'autorité chargée de la notification ou de la signification, à condition que le demandeur n'ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu'il était tenu de prendre pour que l'acte soit déposé auprès de la juridiction.

30.
    Enfin, il convient de souligner le caractère objectif et automatique du mécanisme de la litispendance. Ainsi que le gouvernement du Royaume-Uni l'a relevé à juste titre, l'article 21 de la convention organise un système simple pour déterminer, en début de procès, laquelle des juridictions saisies connaîtra finalement du litige. La juridiction saisie en second lieu est dans l'obligation de surseoir d'office à statuer jusqu'à ce que la compétence du tribunal saisi en premier soit établie. Une fois celle-ci établie, elle doit se dessaisir en faveur de ce tribunal. La finalité de l'article 21 de la convention serait méconnue si le contenu et la nature des demandes pouvaient être modifiés par des conclusions déposées nécessairement à un moment ultérieur par un défendeur. Outre des retards et des frais, une telle solution pourrait aboutir, en effet, à ce que la juridiction initialement désignée comme compétente, en vertu de cet article, doive se dessaisir par la suite.

31.
    Il découle des développements qui précèdent que, pour apprécier s'il y a litispendance entre deux litiges, il ne peut être tenu compte des moyens de défense, quelle qu'en soit la nature, et notamment de ceux tirés de la compensation, qu'un défendeur peut être amené à invoquer postérieurement à la saisine définitive de la juridiction selon les règles du droit national de cette dernière.

32.
    Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deux premières questions préjudicielles que l'article 21 de la convention doit être interprété en ce sens que, pour apprécier si deux demandes formées entre les mêmes parties devant des juridictions d'États contractants différents ont le même objet, il convient de tenir compte uniquement des prétentions des demandeurs respectifs, à l'exclusion des moyens de défense soulevés par un défendeur.

Sur la troisième question

33.
    Par sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la décision d'une juridiction d'un État contractant qui, aux fins de statuer sur une demande, a dû apprécier la nature juridique des relations entre les parties s'impose à la juridiction d'un autre État contractant saisie ultérieurement d'un litige opposant les mêmes parties dans le cadre duquel la nature juridique précise des mêmes relations contractuelles entre les parties est contestée.

34.
    Il convient de rappeler, à titre liminaire, que, en vertu d'une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée par l'article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l'interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman, C-415/93, Rec. p. I-4921, point 59; du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379/98, Rec. p. I-2099, point 38, et du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C-390/99, Rec. p. I-607, point 18).

35.
    Toutefois, la Cour a également jugé que, dans des circonstances exceptionnelles, il lui appartient d'examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (arrêts précités PreussenElektra, point 39, et Canal Satélite Digital, point 19). En effet, l'esprit de collaboration qui doit présider au fonctionnement du renvoi préjudiciel implique que, de son côté, le juge national ait égard à la fonction confiée à la Cour, qui est de contribuer à l'administration de la justice dans les États membres et non de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques (arrêts Bosman, précité, point 60, et du 21 mars 2002, Cura Anlagen, C-451/99, Rec. p. I-3193, point 26).

36.
    Ainsi, le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale est possible, entre autres, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, en ce sens, arrêts précités PreussenElektra, point 39, et Canal Satélite Digital, point 19).

37.
    Pour permettre à la Cour de donner une interprétation du droit communautaire qui soit utile, il est indiqué que, préalablement au renvoi, le juge national établisse les faits de l'affaire et tranche les problèmes de pur droit national (voir arrêt du 10 mars 1981, Irish Creamery Milk Suppliers Association e.a., 36/80 et 71/80, Rec. p. 735, point 6). De même, il est indispensable que la juridiction nationale explique les raisons pour lesquelles elle considère qu'une réponse à ses questions est nécessaire à la solution du litige (voir arrêts du 12 juin 1986, Bertini e.a., 98/85, 162/85 et 258/85, Rec. p. 1885, point 6, et du 16 juillet 1992, Lourenço Dias, C-343/90, Rec. p. I-4673, point 19).

38.
    Cette jurisprudence est transposable au renvoi préjudiciel organisé par le protocole (voir, en ce sens, arrêts du 27 février 1997, Van den Boogaard, C-220/95, Rec. p. I-1147, point 16; du 20 mars 1997, Farrell, C-295/95, Rec. p. I-1683, point 11, et du 16 mars 1999, Castelletti, C-159/97, Rec. p. I-1597, point 14).

39.
    À cet égard, il convient de relever que, dans l'affaire au principal, les juridictions autrichiennes sont saisies d'une demande en paiement du prix de fournitures. Il ne ressort pas de l'ordonnance de renvoi en quoi la nature juridique précise du contrat sur lequel Gantner se fonde serait pertinente pour statuer sur une telle prétention.

40.
    Dans ces conditions, force est de constater que la Cour ne dispose pas d'éléments suffisants pour faire apparaître en quoi une réponse à la troisième question est nécessaire.

41.
    Dès lors, cette question est irrecevable.

Sur les dépens

42.
    Les frais exposés par les gouvernements autrichien, italien et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par l'Oberster Gerichtshof, par ordonnance du 22 février 2001, dit pour droit:

L'article 21 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique, par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et par la convention du 29 novembre 1996 relative à l'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède, doit être interprété en ce sens que, pour apprécier si deux demandes formées entre les mêmes parties devant des juridictions d'États contractants différents ont le même objet, il convient de tenir compte uniquement des prétentions des demandeurs respectifs, à l'exclusion des moyens de défense soulevés par un défendeur.

Wathelet
Timmermans

La Pergola

Jann

von Bahr

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 mai 2003.

Le greffier

Le président de la cinquième chambre

R. Grass

M. Wathelet


1: Langue de procédure: l'allemand.