Language of document : ECLI:EU:C:2004:239

Arrêt de la Cour

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
29 avril 2004 (1)


Aides d'État – Règlements de dettes de coopératives agricoles par les pouvoirs publics

Dans l'affaire C-278/00,

République hellénique, représentée par M. I. Chalkias et Mme C. Tsiavou, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. J. Flett et D. Triantafyllou, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet l'annulation de la décision 2002/458/CE de la Commission, du 1er mars 2000, relative aux régimes d'aides mis en oeuvre par la Grèce en faveur du règlement des dettes des coopératives agricoles en 1992 et 1994, y compris les aides pour la réorganisation de la coopérative laitière AGNO (JO 2002, L 159, p. 1), ou, à titre subsidiaire, de l'article 2 de cette même décision,



LA COUR (cinquième chambre)



composée de P. Jann, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. C. W. A. Timmermans et S. von Bahr (rapporteur), juges,

avocat général: M. L. A. Geelhoed,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 17 octobre 2002,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 25 septembre 2003,

rend le présent



Arrêt



1
Par requête déposée au greffe de la Cour le 13 juillet 2000, la République hellénique a, en vertu de l’article 230, premier alinéa, CE, demandé l’annulation de la décision 2002/458/CE de la Commission, du 1er mars 2000, relative aux régimes d’aides mis en œuvre par la Grèce en faveur du règlement des dettes des coopératives agricoles en 1992 et 1994, y compris les aides pour la réorganisation de la coopérative laitière AGNO (JO 2002, L 159, p. 1, ci-après la «décision attaquée»), ou, à titre subsidiaire, de l’article 2 de cette même décision.


Le cadre juridique national

2
En vertu de l’article 32 de la loi n° 2008/92, du 11 février 1992 (FEK A’ 16):

«1.
L’État grec s’engage, dans le cadre de l’assainissement des coopératives, à prendre en charge les dettes existant à la date du 31 décembre 1990.

2.
De même, il peut assumer et régler des dettes contractées auprès de la Banque agricole de Grèce par des organismes coopératifs, des coopératives et des entreprises des premier, second et troisième niveaux visés par la loi n° 1541/85 pendant la période comprise entre 1982 et 1989, à condition qu’elles découlent d’une politique sociale ou de toute autre politique interventionniste mise en œuvre à l’initiative ou au nom de l’État. Le montant de ces dettes sera fixé pour chaque coopérative par arrêté conjoint des ministres des Finances et de l’Agriculture sur recommandation des commissions mises en place par le ministre de l’Agriculture.

3.
Les dettes ne seront prises en charge et réglées par l’État que si et seulement si la coopérative, l’association ou la société est considérée comme viable.»

3
L’article 5 de la loi n° 2237/94, du 14 septembre 1994 (FEK A’ 149), vise à préciser le cadre général de la décision n° 1620 du gouverneur de la Banque de Grèce, du 5 octobre 1989 (FEK A’ 236/18.10.1989, ci‑après la «décision n° 1620/89»), qui autorise les établissements de crédit en Grèce à régulariser les dettes de tout type.

4
Aux termes de la décision n° 1620/89:

«1.
Les établissements de crédit sont autorisés à régler leurs créances, échues ou non, nées de prêts de toute nature, en drachmes ou en devises, et celles nées des appels en garantie.

2.
Les établissements de crédit sont autorisés à transformer leurs créances visées au paragraphe précédent en actions.

3.
Les règlements de dettes sont subordonnés à la condition que les établissements de crédit définissent les conditions requises afin que soient limités les risques du crédit qu’ils assument et que soit assuré le service régulier des dettes qui ont bénéficié d’un règlement.

[…]»

5
L’article 5 de la loi n° 2237/94 prévoit:

«La Banque agricole de Grèce SA peut, par décision de ses services compétents, régler les dettes contractées auprès d’elle, au 31 décembre 1993, par des organismes coopératifs du premier niveau qui transforment et commercialisent des produits agricoles et à condition que lesdites dettes proviennent du financement de ces activités, et par des organismes coopératifs des deuxième et troisième niveaux, si lesdites dettes ne sont pas couvertes par des biens et avoirs réalisables […], à condition que, de l’avis de la Banque agricole de Grèce SA, elles ne soient pas dues à une mauvaise gestion mais à des facteurs objectifs (crise sur le marché de certains produits agricoles ou perte de marchés du fait d’événements extérieurs, etc.) […]

Le remboursement du montant final se fera par versements annuels, à concurrence de dix au total, avec possibilité pour la Banque agricole de Grèce SA, dans des cas exceptionnels de dettes particulièrement élevées, de prolonger la période de remboursement à quinze ans au total, avec une période de grâce de trois ans maximum. Pendant la première moitié de la période de remboursement, il ne sera pas calculé, à la charge des organismes, d’intérêts sur les montants réglés, tandis que pour la seconde moitié, ils s’élèveront à 50 % des taux d’intérêts conventionnels en vigueur. Dans des cas exceptionnels, ce pourcentage pourra être réduit à la discrétion de la Banque agricole de Grèce SA […]. Ledit règlement est soumis à une étude sur la viabilité, la modernisation et le développement de la coopérative bénéficiaire, et sur sa capacité à satisfaire aux conditions dudit règlement […].»


Les faits à l’origine du litige

Première ouverture de la procédure

6
Le 7 juin 1993, la Commission a été informée par une lettre du ministre grec de l’Agriculture de l’intention du gouvernement grec d’appliquer les dispositions de l’article 32, paragraphe 2, de la loi n° 2008/92 pour annuler les dettes contractées par plusieurs types de coopératives auprès de la Banque agricole de Grèce SA (ci‑après la «BAG»), concernant la période allant de 1982 à 1989.

7
Tout d’abord, la Commission a considéré cette lettre comme une notification au sens de l’article 93, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 3, CE). Elle a été ensuite informée du fait que l’aide prévue à l’article 32, paragraphe 2, de la loi n° 2008/92 avait, sans son consentement préalable, déjà été octroyée, tout au moins à la coopérative laitière AGNO. De ce fait, la Commission a décidé d’inscrire ces dispositions juridiques au registre des aides non notifiées.

8
Par lettre du 19 décembre 1997, la Commission a enfin informé la République hellénique de sa décision d’engager la procédure prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité, à propos des mesures d’aide accordées aux coopératives agricoles pour le remboursement de leurs dettes conformément à l’article 32, paragraphe 2, de la loi n° 2008/92.

Deuxième ouverture de la procédure

9
Dans une lettre du 20 novembre 1995, la Commission a reçu une plainte portant sur l’aide accordée à la coopérative laitière AGNO, établie dans le nord de la Grèce. Selon le plaignant, les autorités grecques avaient décidé d’aider la coopérative AGNO, par l’intermédiaire de la BAG, à payer une partie ou l’intégralité de ses dettes, qui pouvaient se chiffrer à 13 milliards de GRD. La coopérative AGNO aurait également bénéficié d’exonérations fiscales accordées aux coopératives du secteur agricole en Grèce.

10
À la suite des demandes d’informations complémentaires, deux réunions bilatérales, à la demande des autorités grecques, ont eu lieu respectivement les 16 mai 1997 et 23 juillet 1997 entre ces autorités et les services compétents de la Commission. À l’issue desdites réunions, les autorités grecques ont fourni des informations complémentaires par lettres datées respectivement des 9 juin 1997 et 29 août 1997.

11
Cet échange d’informations avec les autorités grecques a permis d’établir que la coopérative laitière AGNO a bénéficié des mesures d’aide suivantes par l’intermédiaire de la BAG:

851 millions de GRD dans le cadre de l’article 32, paragraphe 2, de la loi n° 2008/92 et 529,89 millions de GRD dans le cadre de l’article 19, paragraphe 1, de la loi n° 2198/94 (non notifiés) en dédommagement des pertes causées par la catastrophe nucléaire de Tchernobyl;

10,145 milliards de GRD dans le cadre de l’article 5 de la loi n° 2237/94 (non notifiés) dans un emprunt de consolidation lié à une dette due à des retards considérables intervenus dans la mise en œuvre d’un projet d’investissement;

1,899 milliard de GRD dans le cadre de la décision n° 1620/89 autorisant les banques à consolider les emprunts des clients (non notifiés).

12
Par lettre du 19 décembre 1997, la Commission a informé la République hellénique de sa décision d’engager la procédure prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité, à propos des dispositions générales sur la consolidation des emprunts des coopératives agricoles, ainsi que sur les aides pour la réorganisation de la coopérative AGNO.

Troisième ouverture de la procédure

13
La Commission a également engagé la procédure prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité, en ce qui concerne la loi n° 2538/97 du 1er décembre 1997 (FEK A’ 242) autorisant l’État grec à effacer les dettes de plus de 200 coopératives (ou unions de producteurs, entreprises et agriculteurs) par l’intermédiaire de la BAG.

14
Ultérieurement, la République hellénique a déposé une demande auprès du Conseil en vue d’obtenir l’approbation de ces mesures conformément aux dispositions de l’article 93, paragraphe 2, troisième alinéa, du traité. Par sa décision nº 14015, du 15 décembre 1998, le Conseil a répondu favorablement à ladite demande.


La décision attaquée

15
Dans la décision attaquée, la Commission a estimé, entre autres, que l’article 32, paragraphe 2, de la loi n° 2008/92 concernait un régime d’aides qui ne remplissait pas les exigences des règles relatives aux aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires [article 87, paragraphe 2, sous b), CE]. Elle a considéré que l’article 5 de la loi n° 2237/94 concernait un régime d’aides qui ne remplissait pas les exigences des règles relatives aux aides à la restructuration des entreprises. Les deux régimes d’aides ont été déclarés incompatibles avec le marché commun. Incidemment, et pour répondre aux arguments des autorités grecques, la Commission s’est penchée sur le cas individuel du règlement des dettes de la coopérative AGNO. Cet examen a confirmé le jugement de la Commission concernant les deux régimes susmentionnés. Des aides octroyées à AGNO, conformément à l’article 19 de la loi nº 2198/94 et de la décision n° 1620/89, ont également été déclarées incompatibles avec le marché commun (article 1er de la décision attaquée).

16
En outre, la décision attaquée a invité les autorités grecques à prendre toutes les mesures nécessaires pour que, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, les aides illégales, mentionnées à l’article 1er de cette décision, soient remboursées par les bénéficiaires, selon les procédures prévues par le droit national. Les sommes à rembourser ont été majorées d’un intérêt calculé à partir de la date où ces aides ont été versées aux bénéficiaires et jusqu’à la date de leur remboursement effectif (article 2 de la décision attaquée).

17
Enfin, la décision attaquée a invité la République hellénique à informer la Commission, dans un délai de deux mois à compter de sa notification, des mesures prises pour s’y conformer et de lui communiquer la liste complète des bénéficiaires de tous les programmes d’aides, des sommes à rembourser et des intérêts dus. La Commission a également demandé des informations quant au contrôle exercé par la BAG sur la coopérative AGNO, sur les relations entre la BAG et l’État grec, ainsi que sur le règlement des dettes des coopératives par la BAG sur la base de la décision n° 1620/89 (article 3 de la décision attaquée).


Les conclusions des parties

18
La République hellénique conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

déclarer son recours fondé;

annuler intégralement la décision attaquée et, à titre subsidiaire, l’article 2 de cette décision, qui impose la récupération avec intérêts des aides jugées illégales.

19
La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

rejeter le recours comme dénué de fondement;

condamner la République hellénique aux dépens de l’instance.


Sur le recours

20
La République hellénique avance un grand nombre d’arguments ayant trait aux articles 32, paragraphe 2, de la loi n° 2008/92 et 5 de la loi n° 2237/94, ainsi qu’à la situation particulière de l’AGNO. Ces arguments peuvent être regroupés en sept moyens qui seront successivement examinés.

Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 88 CE

Sur la première branche du premier moyen, tirée de l’objet erroné de la procédure

21
La République hellénique fait valoir que le contrôle de la Commission aurait dû porter sur les aides qui ont été effectivement versées et non pas sur l’article 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92. Selon elle, l’application de cette disposition à des cas individuels avait déjà pris fin lorsque la Commission a cessé d’examiner le dossier. La République hellénique soutient que celle-ci connaissait le nombre et l’identité des coopératives agricoles bénéficiaires de l’aide et a par ailleurs fondé la décision attaquée sur des informations relatives à ces coopératives communiquées par le gouvernement grec. Dans ces conditions, les décisions prises en vertu de l’article 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92 auraient dû être considérées comme des aides individuelles.

22
De même, la République hellénique fait valoir que chaque cas de réaménagement de dettes effectuées en vertu de l’article 5 de la loi n° 2237/94 aurait dû faire l’objet d’un examen individuel.

23
À cet égard, il y a lieu de constater que la Commission a conclu à bon droit que l’article 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92, qui prévoit l’octroi des aides individuelles à des entreprises, définies d’une manière générale et abstraite, est un régime d’aides.

24
Il convient de rappeler, d’une part, que, dans le cas d’un régime d’aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques générales du régime en cause, sans être tenue d’examiner chaque cas d’application particulier, et, d’autre part, que cette faculté ne saurait être affectée par la circonstance que le régime d’aides concerné a cessé d’être en vigueur (voir, notamment, arrêt du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission, C-15/98 et C-105/99, Rec. p. I-8855, point 51).

25
Dans ces conditions, la Commission n’a commis aucune erreur en n’examinant pas chaque aide individuelle octroyée en vertu de l’article 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92.

26
Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter la première branche du premier moyen.

Sur la deuxième branche du premier moyen, tirée de la violation de la jurisprudence Lorenz

27
La République hellénique fait valoir que la Commission n’a pas effectué l’examen préalable du régime d’aides prévu à l’article 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92, dans le délai de deux mois suivant sa notification fixé par l’arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz (120/73, Rec. p. 1471). Dès lors, la Commission aurait qualifié à tort ce régime d’aides comme un régime d’aide nouvelle non notifié.

28
La République hellénique indique qu’elle avait informé la Commission le 7 juin 1993 de son intention d’appliquer les dispositions de l’article 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92. Elle souligne que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la notification des aides projetées met la Commission en mesure d’effectuer un examen préalable de ces aides dans un délai de deux mois.

29
Or, selon la République hellénique, la Commission ne l’a informée de sa décision d’engager la procédure, prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité, à l’égard de l’article 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92 que par lettre du 19 décembre 1997, soit quatre années et demie après la notification.

30
À cet égard, il y a lieu de préciser que, en vertu de l’article 88, paragraphe 3, première phrase, CE, les projets tendant à instituer ou à modifier des aides doivent être notifiés à la Commission préalablement à leur mise en œuvre. Celle-ci procède alors à un premier examen des aides projetées. Si, au terme de cet examen, il lui apparaît qu’un projet n’est pas compatible avec le marché commun, la Commission ouvre sans délai la procédure d’examen contradictoire prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE.

31
Il ressort de l’article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE, que, tout au long de la phase préliminaire, l’État membre concerné ne peut mettre à exécution le projet d’aide. En cas d’ouverture de la procédure d’examen contradictoire, cette interdiction subsiste jusqu’à l’adoption de la décision de la Commission sur la compatibilité du projet d’aide avec le marché commun (arrêt 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39/94, Rec. p. I‑3547, point 38). En revanche, si la Commission n’a pas réagi dans les deux mois de la notification, l’État membre concerné peut alors mettre à exécution le projet d’aide, après en avoir averti la Commission (arrêt Lorenz, précité, point 4).

32
Sans qu’il soit nécessaire de déterminer si le projet d’aide a été notifié conformément aux dispositions de l’article 88, paragraphe 3, CE et si le délai de deux mois avait expiré, il y a lieu de constater que la République hellénique a, par la suite, mis le projet d’aide à exécution sans avertir au préalable la Commission.

33
Dans ces conditions, c’est à bon droit que la Commission a qualifié l’article 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92 comme un régime d’aide nouvelle non notifié.

34
Il s’ensuit que la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée.

Sur la troisième branche du premier moyen, tirée de la violation de la décision nº 14015 du Conseil

35
La République hellénique indique que le Conseil a, par sa décision nº 14015, autorisé, en vertu de l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE, des aides d’État visées par la loi nº 2538/97 qui renvoie à plusieurs reprises aux dispositions de la loi nº 2237/94. Elle soutient qu’il en résulte que le Conseil a implicitement validé toutes les aides antérieures accordées en vertu de cette dernière loi. Selon elle, aucun agriculteur ni aucune coopérative agricole ne pouvaient, dans ces circonstances, s’attendre à devoir rembourser, en 2000, des aides qui ont été octroyées antérieurement à la décision nº 14015.

36
À cet égard, il y a lieu d’indiquer que le Conseil peut, conformément à l’article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE, à titre exceptionnel et statuant à l’unanimité, décider qu’une aide d’État doit être considérée comme compatible avec le marché commun en dérogation aux dispositions de l’article 87 CE.

37
Aux termes de la décision nº 14015, certaines dispositions de la loi nº 2538/97 sont, par dérogation à l’article 87 CE, compatibles avec le marché commun à concurrence d’un montant de 158,672 milliards de GRD.

38
Il convient de constater que ladite décision ne concerne pas les régimes d’aides qui font l’objet de la décision attaquée.

39
Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la décision nº 14015 n’affecte pas la validité de la décision attaquée.

40
Il convient dès lors de rejeter la troisième branche du premier moyen et, partant, celui-ci dans son ensemble.

Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE

Sur la première branche du deuxième moyen, tirée d’une application erronée du critère de l’investisseur ou du créancier privé

41
En premier lieu, la République hellénique fait grief à la Commission d’avoir conclu à tort que le règlement de dettes par la BAG sur la base de l’article 5 de la loi nº 2237/94 ne satisfait pas au principe de l’investisseur ou du créancier privé.

42
Elle indique que, en 1994, en raison de certaines circonstances, notamment l’effondrement de l’Union soviétique à laquelle était destinée la majeure partie de la production agricole grecque, de nombreuses coopératives agricoles ont été dans l’impossibilité de payer leurs dettes.

43
La République hellénique précise que la BAG a cherché à faciliter la survie de coopératives, de manière à pouvoir, d’une part, récupérer les sommes prêtées et, d’autre part, continuer à assurer à ces coopératives des services bancaires en percevant les commissions et rémunérations y afférentes.

44
Elle soutient que le rôle très important de la BAG dans le secteur agricole en Grèce oblige cette banque à tenir compte de paramètres sectoriels plus larges dans ses décisions et à sauvegarder sa réputation de principal prêteur dans ce secteur. Selon la République hellénique, il est très douteux qu’une banque privée puisse opérer le réaménagement des dettes des coopératives agricoles dans la même mesure que la BAG.

45
S’agissant de la coopérative AGNO, la République hellénique considère que, contrairement à l’opinion de la Commission, la BAG pouvait accepter comme garantie contre le risque de faillite de la coopérative AGNO les biens personnels de ses membres.

46
À cet égard, il convient de constater que l’article 5 de la loi nº 2237/94 fixe des conditions de réaménagement de dettes très favorables pour l’emprunteur. Ainsi que le relève M. l’avocat général, au point 126 de ses conclusions, il est très difficile d’imaginer qu’un bailleur de fonds privé, opérant dans des conditions normales de marché, aurait accepté une période de grâce de trois ans et un taux d’intérêt égal à 50 % du taux du marché ainsi qu’il est prévu dans cet article.

47
Il résulte par ailleurs des arguments invoqués par la République hellénique que la BAG ne peut pas se contenter d’agir dans son intérêt commercial propre, ainsi que le ferait un bailleur de fonds privé, mais doit tenir compte des intérêts plus larges dans ses décisions.

48
Dans ces conditions, la République hellénique n’établit pas que la Commission a fait une application erronée du critère de l’investisseur privé en ce qui concerne le réaménagement de dettes par la BAG en vertu de l’article 5 de la loi nº 2237/94.

49
En ce qui concerne le cas concret de la coopérative AGNO, il suffit de remarquer que la Commission pouvait à bon droit constater que la BAG n’a pas agi comme un investisseur privé lorsqu’elle a réaménagé les dettes de ladite coopérative en vertu de l’article 5 de la loi nº 2237/94, à la lumière des circonstances de l’espèce, à savoir que la coopérative AGNO se trouvait dans une situation financière difficile, qu’elle avait déjà bénéficié des mesures en vertu des lois nos 2008/92, 2198/94 et 2237/94 et qu’elle ne pouvait offrir de sûretés suffisantes en contrepartie du règlement de ses dettes.

50
Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la première branche du deuxième moyen.

Sur la deuxième branche du deuxième moyen, relative à l’existence d’une aide accordée par l’État ou au moyen de ressources d’État

51
La République hellénique fait valoir que le règlement de dettes effectué par la BAG, conformément à l’article 5 de la loi nº 2237/94, ne peut être considéré comme une aide au moyen de ressources de l’État dans la mesure où l’État grec n’a pas versé de compensation à la BAG.

52
À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 87, paragraphe 1, CE, englobe tous les moyens pécuniaires que l’État peut effectivement utiliser pour soutenir des entreprises. Le fait que ces moyens restent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes, suffit pour qu’elles soient qualifiées de ressources d’État et pour que ladite mesure entre dans le champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE (voir arrêt du 16 mai 2000, France/Ladbroke Racing et Commission, C-83/98 P, Rec. p. I‑3271, point 50).

53
Or, il est constant que l’État grec est l’actionnaire unique de la BAG et qu’il nomme les membres du conseil d’administration de celle-ci. Il en résulte que l’État grec peut exercer, directement ou indirectement, une influence dominante sur l’utilisation des moyens pécuniaires de la BAG.

54
Dès lors, la Commission pouvait à bon droit conclure, au point 105 des motifs de la décision attaquée, que le réaménagement de dettes en vertu de l’article 5 de la loi nº 2237/94 a impliqué l’utilisation des ressources d’État.

55
Il s’ensuit que la deuxième branche du deuxième moyen doit être rejetée.

Sur la troisième branche du deuxième moyen, relative à l’absence d’obligation de réaménager des dettes

56
La République hellénique fait valoir que l’article 5 de la loi nº 2237/94 ne doit pas être considéré comme un régime d’aides d’État dans la mesure où cet article n’oblige pas la BAG à réaménager les dettes des coopératives agricoles.

57
À cet égard, il suffit de constater que la circonstance que la BAG n’est pas tenue de réaménager les dettes des coopératives agricoles qui en font la demande n’enlève pas le caractère de régime d’aides d’État des mesures prises en vertu de l’article 5 de la loi nº 2237/94.

58
En effet, dès lors que la Commission pouvait à bon droit constater que la BAG était soumise au contrôle de l’État et qu’elle avait réaménagé des dettes des coopératives agricoles dans des conditions non conformes au critère de l’investisseur privé, elle pouvait considérer l’article 5 de la loi nº 2237/94 comme un régime d’aides d’État.

59
Il convient dès lors de rejeter également la troisième branche du deuxième moyen.

Sur la quatrième branche du deuxième moyen, tirée de l’application erronée du taux de référence

60
La République hellénique soutient que la Commission a conclu à tort, aux points 128 à 132 des motifs de la décision attaquée, que la différence entre le taux d’intérêt de 21,5 % appliqué par la BAG lors du réaménagement de la dette de la coopérative AGNO, en vertu de la décision nº 1620/89, et du taux de référence de 26,47 % en vigueur à cette date en Grèce constituait une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. La République hellénique estime que l’opinion de la Commission selon laquelle il y avait lieu de comparer le taux d’intérêt appliqué au réaménagement de la dette de la coopérative AGNO avec le taux de référence est dénuée de fondement. Elle fait valoir que la Commission applique le taux de référence pour déterminer le montant des aides lorsqu’il s’agit d’aides régionales. En revanche, selon la République hellénique, les banques n’utilisent pas ce taux lorsqu’il s’agit d’accorder un crédit à leurs clients.

61
À cet égard, il y a lieu d’indiquer que le taux de référence est utilisé pour calculer les éléments d’aide résultant des régimes de prêts bonifiés. Le taux de référence est censé refléter le niveau moyen du taux d’intérêt en vigueur, dans un État membre, pour les prêts à moyen et long termes assortis de sûretés normales.

62
Pour des raisons de sécurité juridique et d’égalité de traitement, la Commission peut considérer, en règle générale, qu’il est légitime d’appliquer le taux de référence en vigueur pendant une période déterminée à tous les prêts accordés pendant cette période (voir arrêt du 3 juillet 2003, Belgique/Commission, C457/00, Rec. p. I-6931, point 72).

63
Dans ces conditions, la Commission a considéré à juste titre, aux points 128 à 132 des motifs de la décision attaquée, que la différence entre le taux d’intérêt appliqué et le taux de référence supérieur en vigueur à cette date en Grèce constituait une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

64
Il convient dès lors de rejeter la quatrième branche du deuxième moyen.

Sur la cinquième branche du deuxième moyen, tirée de l’absence d’affectation de la concurrence et des échanges entre les États membres

65
La République hellénique estime que, même si tous les règlements de dettes en vertu des lois nos 2237/94 et 2198/94 ainsi que de la décision n° 1620/89 sont considérés comme des aides d’État au sens de l’article 87 CE, ils n’ont ni faussé la concurrence ni altéré les conditions des échanges entre les États membres.

66
Selon la République hellénique, l’octroi sélectif d’un avantage concurrentiel relatif au moyen d’une aide ou de ressources d’État à certaines entreprises ou certaines productions ne peut altérer la concurrence que si les conséquences négatives de cet avantage sont évidentes et déterminantes. En l’occurrence, elle considère que l’absence d’effet sensible sur le commerce intracommunautaire empêcherait qu’une aide soit qualifiée de contraire au droit communautaire.

67
Au demeurant, elle fait valoir qu’un grand nombre d’effacements de dettes au titre de l’article 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92 ainsi que des règlements de dettes au titre de l’article 5 de la loi nº 2237/94 étaient d’un montant trop faible pour avoir un effet sensible sur le commerce intracommunautaire, conformément à la communication 94/C 368/05 de la Commission, relative aux lignes directrices communautaires pour les aides d’État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté, publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 23 décembre 1994 (JO C 368, p. 12, ci-après les «lignes directrices»).

68
Selon la République hellénique, la Commission n’a pas indiqué sur la base de quels éléments elle a abouti à la conclusion que les règlements en cause ont effectivement affecté les échanges entre les États membres.

69
En ce qui concerne l’argument tiré du faible montant global des aides en cause et de leur répartition entre de nombreux agriculteurs qui recevraient, chacun, une part d’aide qui serait négligeable sur le plan national ou communautaire, il convient de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle l’importance relativement faible d’une aide ou la taille relativement modeste de l’entreprise bénéficiaire n’excluent pas a priori l’éventualité que les échanges entre États membres soient affectés ou la concurrence soit faussée (voir, notamment, arrêts du 17 septembre 1980, Philip Morris/Commission, 730/79, Rec. p. 2671, points 11 et 12; du 21 mars 1990, Belgique/Commission, dit «Tubemeuse», C‑142/87, Rec. p. I-959, point 43; du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C-278/92 à C‑280/92, Rec. p. I-4103, point 42; du 7 mars 2002, Italie/Commission, C‑310/99, Rec. p. I-2289, point 86, et du 19 septembre 2002, Espagne/Commission, C‑113/00, Rec. p. I-7601, point 30).

70
D’autres éléments peuvent en effet jouer un rôle déterminant dans l’appréciation de l’effet d’une aide, notamment le caractère cumulatif de l’aide ainsi que la circonstance que les entreprises bénéficiaires opèrent dans un secteur particulièrement exposé à la concurrence (voir arrêt du 19 septembre 2002, Espagne/Commission, précité, point 30).

71
Il apparaît que le secteur en cause est exposé à une concurrence intense entre les producteurs des États membres dont les produits font l’objet d’échanges intracommunautaires. Il résulte en outre du point 106 de la décision attaquée que les producteurs grecs exportent des volumes substantiels de produits agricoles vers d’autres États membres.

72
Dans de telles circonstances, l’octroi d’aides est de nature à fausser la concurrence et à affecter les échanges commerciaux entre États membres, ainsi qu’il résulte des points 107 et 108 des motifs de la décision attaquée.

73
Certes, conformément aux lignes directrices et à la communication 96/C 68/06 de la Commission, relative aux aides de minimis, publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 6 mars 1996 (JO C 68, p. 9, ci-après la «communication relative aux aides de minimis»), certaines aides, dont le montant est très peu élevé, peuvent ne pas avoir d’impact sensible sur les échanges et la concurrence entre les États membres, de sorte qu’elles doivent être dispensées de notification préalable à la Commission.

74
Toutefois, il résulte tant du point 2.3 des lignes directrices que du quatrième alinéa de la communication relative aux aides de minimis que la règle de minimis n’est pas applicable aux secteurs de l’agriculture et de la pêche (arrêt du 19 septembre 2002, Espagne/Commission, précité, point 35).

75
La République hellénique n’est donc pas fondée à s’en prévaloir dans le cas d’espèce.

76
Au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a donc lieu de rejeter comme non fondée la cinquième branche du deuxième moyen et, partant, ce moyen dans son ensemble.

Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 2, sous b), CE

77
La République hellénique fait valoir que la Commission aurait dû considérer les aides octroyées en vertu des articles 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92 et 5 de la loi nº 2237/94 comme étant des aides compatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles sont destinées à remédier aux dommages causés par des calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires.

78
En tout état de cause, elle affirme que les aides octroyées à la coopérative AGNO et à certaines autres coopératives à la suite de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl auraient dû être considérées comme étant de telles aides. La coopérative AGNO aurait acheté du lait produit par ses membres après l’effondrement du marché du lait résultant de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl au prix du marché en vigueur avant ladite catastrophe. Les aides accordées à ladite coopérative, sur le fondement des articles 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92 et 19 de la loi nº 2198/94, auraient eu pour objectif de rembourser les sommes versées par cette même coopérative en raison de la catastrophe de Tchernobyl.

79
La Commission conteste les affirmations de la République hellénique. En ce qui concerne les pertes prétendument subies par la coopérative AGNO et certaines autres coopératives agricoles, elle fait valoir que le lien de causalité entre lesdites pertes et le dommage causé aux agriculteurs par la catastrophe de Tchernobyl n’a pas été établi par cet État membre. Selon la Commission, on ne trouve aucune référence au préjudice réellement subi par les producteurs lors de l’application de l’article 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92. L’absence du lien nécessaire entre l’accident nucléaire de Tchernobyl et les aides serait également confirmée par le délai qui s’est écoulé entre le fait générateur du «dommage» et l’instauration du régime en 1992.

80
À cet égard, il y a lieu de rappeler que les dispositions de l’article 87, paragraphe 2, sous b), CE précisent que sont compatibles avec le marché commun «les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires».

81
S’agissant d’une dérogation au principe général d’incompatibilité des aides d’État avec le marché commun, énoncé à l’article 87, paragraphe 1, CE, l’article 87, paragraphe 2, sous b), CE doit faire l’objet d’une interprétation stricte (voir arrêts du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, Rec. p. I‑6857, point 49, et du 30 septembre 2003, Allemagne/Commission, C-301/96, non encore publié au Recueil, point 66).

82
Dès lors, seuls peuvent être compensés, au sens de cette disposition, les désavantages économiques causés directement par des calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires (voir, en ce sens, arrêts précités du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, point 54, et du 30 septembre 2003, Allemagne/Commission, point 72).

83
Il convient de constater que, conformément à l’article 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92, l’État grec pouvait assumer et régler des dettes contractées auprès de la BAG par des coopératives agricoles à condition qu’elles découlent d’une politique sociale ou de toute autre politique interventionniste mise en œuvre à l’initiative ou au nom de cet État.

84
Il résulte du libellé même de cette disposition qu’elle permet l’intervention de l’État grec pour régler toutes sortes de dettes contractées par des coopératives agricoles auprès de la BAG, à condition qu’elles répondent à des objectifs sociaux. Il apparaît par ailleurs que l’article 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92 a été appliqué, conformément à son libellé, à des situations très diverses.

85
Une telle disposition d’une portée très large ne saurait être considérée comme étant un régime d’aides destiné à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires.

86
Il y a lieu d’indiquer que les mêmes considérations sont valables et la même conclusion s’impose en ce qui concerne le régime d’aides prévu à l’article 5 de la loi nº 2237/94.

87
Dans ces conditions, il convient de constater que la Commission n’a commis aucune erreur en considérant que les articles 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92 et 5 de la loi nº 2237/94 ne pouvaient bénéficier de la dérogation visée à l’article 87, paragraphe 2, sous b), CE.

88
Concernant les aides qui ont été accordées à la coopérative AGNO, en vertu des articles 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92 et 19 de la loi nº 2198/94, il y a lieu de constater que la République hellénique n’a pas pu établir un lien direct entre celles-ci et la catastrophe nucléaire de Tchernobyl.

89
Elle n’a pas établi non plus que les montants d’aides octroyés à la coopérative AGNO, conformément à ces dispositions, correspondent effectivement aux dommages causés aux membres de la coopérative par la catastrophe nucléaire de Tchernobyl.

90
Dès lors, il convient de rejeter également le troisième moyen.

Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 3, sous a), CE

91
La République hellénique fait valoir que la Commission a constaté à tort que l’article 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92 ne constituait pas une aide d’État favorisant le développement économique des régions concernées de Grèce et, partant, une aide compatible avec le marché commun au sens de l’article 87, paragraphe 3, sous a), CE.

92
À cet égard, il suffit de constater qu’un régime d’aides tel que celui prévu à l’article 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92, qui vise l’octroi d’aides aux coopératives agricoles indépendamment de la région où celles-ci sont établies, ne satisfait pas au critère de la spécificité régionale pour bénéficier de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous a), CE.

93
Dans ces conditions, la Commission a pu considérer à bon droit que l’article 32, paragraphe 2, de la loi nº 2008/92 ne pouvait bénéficier de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous a), CE.

94
Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE

95
La République hellénique fait valoir que, même si la Cour considère que l’article 5 de la loi nº 2237/94 doit être considéré comme une aide d’État, cet article est compatible avec le marché commun en ce qu’il relève de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, relatif aux aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques.

96
Selon la République hellénique, la Commission a conclu à tort que les réaménagements des dettes effectués par la BAG en vertu de l’article 5 de la loi nº 2237/94 ne respecte pas les cinq conditions prévues dans les lignes directrices, à savoir le retour à la viabilité des bénéficiaires de l’aide, la prévention de distorsions de concurrence indues, la proportionnalité de la mesure d’aide, la mise en œuvre complète du plan de restructuration et l’établissement des rapports annuels pour contrôler cette mise en œuvre. Ainsi, la République hellénique considère que l’article 5 de la loi nº 2237/94 permet effectivement le retour à la viabilité des entreprises, prévient des distorsions de concurrence indues, prévoit une aide proportionnée aux avantages de la restructuration, impose la mise en œuvre complète du plan de restructuration et prévoit un suivi approprié ainsi que des rapports annuels.

97
À cet égard, il y a lieu de rappeler, d’une part, que la Commission jouit, pour l’application de l’article 87, paragraphe 3, CE, d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations d’ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire et, d’autre part, que la Cour, en contrôlant la légalité de l’exercice d’une telle liberté, ne saurait substituer son appréciation en la matière à celle de l’autorité compétente, mais doit se limiter à examiner si cette dernière appréciation est entachée d’erreur manifeste ou de détournement de pouvoir (voir arrêt du 12 décembre 2002, France/Commission, C-456/00, Rec. p. I-11949, point 41).

98
Il convient toutefois de préciser que la Commission peut s’imposer des orientations pour l’exercice de ses pouvoirs d’appréciation par des actes tels que les lignes directrices, dans la mesure où ces actes contiennent des règles indicatives sur l’orientation à suivre par cette institution et qu’ils ne s’écartent pas des normes du traité (voir, notamment, arrêts du 5 octobre 2000, Allemagne/Commission, C-288/96, Rec. p. I-8237, point 62, et Italie/Commission, précité, point 52).

99
En l’occurrence, il y a lieu de relever que la Commission a notamment constaté au point 176 des motifs de la décision attaquée, en ce qui concerne le respect de la deuxième condition, relative à la prévention de distorsions de concurrence, que les mesures devraient éviter, autant que possible, les effets défavorables sur la concurrence et que lorsqu’il y a une surcapacité de production, le plan de restructuration doit contribuer, proportionnellement au montant de l’aide reçue, à la restructuration du marché correspondant dans la Communauté, en réduisant ou cessant de façon irréversible la capacité en question. La Commission a relevé, au point 181 des motifs de la décision attaquée, que l’article 5 de la loi nº 2237/94 ne présente aucune disposition concernant les mesures prises par l’État grec pour compenser autant que possible les effets défavorables sur la concurrence et que, de surcroît, le régime d’aides s’applique aux coopératives couvrant tout le secteur agricole, y compris des sous-secteurs où il existe une surcapacité de production. S’agissant du cas concret de la coopérative AGNO, la Commission a précisé, au point 198 des motifs de la décision attaquée, que cette entreprise exerce son activité dans un tel secteur et que, malgré la taille de cette entreprise, les mesures de restructuration imposées ne mentionnaient aucune forme de réduction de sa capacité.

100
Or, tout en affirmant que l’article 5 de la loi nº 2237/94 respecte la deuxième condition mentionnée dans les lignes directrices, la République hellénique ne remet pas en cause le bien-fondé des appréciations de la Commission dans la décision attaquée.

101
Sans qu’il soit nécessaire d’examiner si l’article 5 de la loi nº 2237/94 respecte les autres conditions mentionnées dans les lignes directrices, il convient dès lors de rejeter le cinquième moyen.

Sur le sixième moyen, tiré de la violation des principes de proportionnalité et de confiance légitime

102
La République hellénique fait valoir que la décision attaquée est disproportionnée en ce qu’elle prévoit la récupération des aides. Il serait inconcevable de récupérer après plus de sept ans des aides qui ont été octroyées dans le respect de la procédure de l’article 88 CE. En se référant à l’arrêt du 24 novembre 1987, RSV/Commission (223/85, Rec. p. 4617), elle estime par ailleurs qu’un tel retard pourrait fonder chez le bénéficiaire de l’aide une confiance légitime de nature à empêcher la Commission d’enjoindre aux autorités nationales d’ordonner la restitution de l’aide.

103
Il y a lieu de relever, à cet égard, que la suppression d’une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité. Par conséquent, la récupération d’une aide étatique illégalement accordée, en vue du rétablissement de la situation antérieure, ne saurait, en principe, être considérée comme une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs des dispositions du traité en matière d’aides d’État (arrêt Tubemeuse, précité, point 66).

104
S’agissant du principe de la confiance légitime, il convient de constater que, compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides étatiques opéré par la Commission au titre de l’article 88 CE, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue par ledit article (arrêts du 14 janvier 1997, Espagne/Commission, C-169/95, Rec. p. I-135, point 51, et du 20 mars 1997, Alcan Deutschland, C-24/95, Rec. p. I‑1591, point 25).

105
Or, les aides litigieuses n’ont pas été accordées dans le respect de la procédure prévue par l’article 88 CE.

106
En ce qui concerne l’arrêt RSV/Commission, précité, invoqué par la République hellénique, il y a lieu de relever que les circonstances dans la présente affaire ne sont pas comparables aux circonstances qui ont justifié l’annulation de la décision de la Commission dans ledit arrêt. Ainsi qu’il résulte des points 14 à 16 de l’arrêt RSV/Commission, précité, cette dernière affaire concernait une aide destinée à faire face à des coûts supplémentaires d’une opération qui avait bénéficié d’une aide autorisée par la Commission dans un secteur qui, depuis des années, était bénéficiaire d’aides accordées par le gouvernement néerlandais et autorisées par la Commission.

107
Or, en l’occurrence, la procédure ouverte en vertu de l’article 88, paragraphe 2, CE concernait de nouveaux régimes d’aides qui justifiaient un examen approfondi de la Commission.

108
Dans ces conditions, la décision attaquée ne peut, ni en tant qu’elle prescrit le remboursement des aides litigieuses ni en tant qu’elle prescrit également le versement d’intérêts, être regardée comme disproportionnée ou comme portant atteinte à la confiance légitime des entreprises bénéficiaires desdites aides.

109
Il convient dès lors de rejeter le sixième moyen.

Sur le septième moyen, tiré de l’impossibilité absolue de récupérer l’aide

110
Selon la République hellénique, il existe une impossibilité absolue d’exécuter la décision attaquée. Elle souligne notamment que les membres des coopératives agricoles se portent garants des obligations de celles-ci lorsque ces coopératives et leurs associations ne sont pas en mesure de payer leurs dettes échues. Elle indique que les problèmes sociaux, économiques et politiques qui résulteraient des procédures de ventes forcées dirigées contre des milliers d’agriculteurs isolés sont évidents.

111
Elle observe en outre que les réaménagements par la BAG de dettes des coopératives agricoles, en vertu de l’article 5 de la loi nº 2237/94 et de la décision n° 1620/89, sont fondés sur des contrats de prêt qui sont régis par le droit privé. Selon la République hellénique, il en résulte que la Commission ne peut pas décider de la récupération de l’aide comportant un cas individuel de réaménagement de dettes par la BAG.

112
À cet égard, il convient de souligner que, si des difficultés insurmontables peuvent empêcher un État membre de respecter les obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 1985, Commission/Italie, 101/84, Rec. p. 2629, point 16), la simple crainte de telles difficultés ne saurait justifier l’abstention par cet État d’appliquer correctement ce droit (voir arrêts du 7 décembre 1995, Commission/France, C-52/95, Rec. p. I‑4443, point 38, et du 9 décembre 1997, Commission/France, C‑265/95, Rec. p. I-6959, point 55).

113
Les circonstances invoquées par la République hellénique, relatives à la situation financière des coopératives agricoles, n’ont pas révélé une impossibilité de récupérer l’aide visée par la décision attaquée. Il en va de même de l’argument de la République hellénique selon lequel l’aide ne pourrait être récupérée lorsqu’elle a été accordée en vertu d’un contrat de droit privé. Ainsi que le souligne M. l’avocat général à juste titre, au point 196 de ses conclusions, la forme sous laquelle une aide a été accordée ne peut pas être déterminante. Dans le cas contraire, les États membres pourraient contourner les règles applicables en matière d’aides d’État en les accordant sous une forme déterminée.

114
Il convient par ailleurs de rappeler qu’un État membre qui, lors de l’exécution d’une décision de la Commission en matière d’aides d’État, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience de conséquences non envisagées par la Commission, doit soumettre ces problèmes à l’appréciation de cette dernière, en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, la Commission et l’État membre doivent, en vertu de la règle imposant aux États membres et aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale, qu’exprime, notamment, l’article 10 CE, collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité et notamment de celles relatives aux aides (voir, notamment, arrêts du 26 juin 2003, Commission/Espagne, C-404/00, Rec. p. I‑6695, point 46, et du 3 juillet 2003, Belgique/Commission, précité, point 99).

115
Il s’ensuit que le septième moyen tiré de l’impossibilité absolue de récupérer l’aide doit être rejeté.

116
Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.


Sur les dépens

117
Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République hellénique et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.


Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)
Le recours est rejeté.

2)
La République hellénique est condamnée aux dépens.

Jann

Timmermans

von Bahr

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 avril 2004.

Le greffier

Le président

R. Grass

V. Skouris


1
Langue de procédure: le grec.