Language of document : ECLI:EU:C:2004:702

Arrêt de la Cour

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
11 novembre 2004 (1)


«Pourvoi – Aides d'État – Mesures fiscales – Détournement de pouvoir – Motivation – Moyens nouveaux»

Dans les affaires jointes C-186/02 P et C-188/02 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, introduits respectivement les 15 et 16 mai 2002,

Ramondín SA, établie à Logroño (Espagne),

et

Ramondín Cápsulas SA, établie à Laguardia (Espagne),

représentées par Me J. Lazcano-Iturburu Ayestaran, abogado,

parties requérantes dans l'affaire C-186/02 P,

Territorio Histórico de Álava – Diputación Foral de Álava, représenté par Mes A. Creus Carreras, B. Uriarte Valiente et M. Bravo-Ferrer Delgado, abogados,

partie requérante dans l'affaire C-188/02 P,

les autres parties à la procédure étant:

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. F. Santaolalla Gadea et J. L. Buendía Sierra, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

soutenue par

Comunidad Autónoma de La Rioja, représentée par Me J. M. Criado Gámez, abogado,

partie intervenante aux pourvois,



LA COUR (deuxième chambre),



composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, M. C. Gulmann (rapporteur) et Mme N. Colneric, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: Mme M. Múgica Arzamendi, administrateur principal,

vu la procédure écrite et, dans l'affaire C-188/02 P, à la suite de l'audience du 11 mars 2004,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 6 mai 2004,

rend le présent



Arrêt



1
Par leurs pourvois, Ramondín SA et Ramondín Cápsulas SA ainsi que le Territorio Histórico de Álava – Diputación Foral de Álava (ci-après le «Territorio Histórico de Álava») demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission (T-92/00 et T‑103/00, Rec. p. II-1385, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leurs recours en annulation dirigés contre la décision 2000/795/CE de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l’aide d’État mise à exécution par l’Espagne en faveur de Ramondín SA et de Ramondín Cápsulas SA (JO 2000, L 318, p. 36, ci-après la «décision attaquée»).


Le cadre juridique

2
Selon la carte espagnole des aides à finalité régionale proposée par la Commission (JO 1996, C 25, p. 3), le plafond applicable à celles-ci au Pays basque espagnol (ci-après le «Pays basque») est de 25 % en équivalent subvention net (ESN).

3
Le cadre fiscal en vigueur au Pays basque relève du régime de la concertation économique mis en place par la loi espagnole n° 12/1981, du 13 mai 1981, ultérieurement modifiée par la loi n° 38/1997, du 4 août 1997.

4
En vertu de cette législation, la Diputación Foral de Álava peut, sous certaines conditions, organiser le régime fiscal applicable sur son territoire.

5
À ce titre, elle a pris diverses mesures d’aides fiscales, sous la forme, notamment, d’un crédit d’impôt de 45 % du montant de l’investissement (ci-après le «crédit d’impôt de 45 %») et d’une réduction de la base d’imposition de l’impôt sur les sociétés.

Le crédit d’impôt de 45 %

6
La sixième disposition additionnelle de la Norma Foral n° 22/1994, du 20 décembre 1994, portant exécution du budget du Territorio Histórico de Álava pour l’année 1995 (Boletín Oficial del Territorio Histórico de Álava n° 5, du 13 janvier 1995), dispose:

«Les investissements en immobilisations corporelles neuves, effectués entre le 1er janvier et le 31 décembre 1995, qui excèdent 2,5 milliards de ESP selon l’accord de la Diputación Foral de Álava, bénéficieront d’un crédit d’impôt de 45 % du montant de l’investissement déterminé par la Diputación Foral de Álava, applicable au montant final d’impôt à payer.

La déduction non appliquée pour insuffisance d’impôt pourra être appliquée dans les neuf ans qui suivent l’année durant laquelle l’accord de la Diputación Foral de Álava a été conclu.

Cet accord de la Diputación Foral de Álava fixera les délais et les restrictions applicables dans chaque cas.

Les avantages reconnus en vertu de la présente disposition seront incompatibles avec tout autre avantage fiscal existant en raison de ces mêmes investissements.

La Diputación Foral de Álava déterminera également la durée du processus d’investissement, lequel pourra englober des investissements réalisés durant la phase de préparation du projet à la base des investissements.»

7
La validité de cette disposition a été prorogée pour les années 1996 et 1997, puis le crédit d’impôt de 45 % a été maintenu, sous une forme modifiée, pour les années 1998 et 1999, par des Normas Forales ultérieures.

La réduction de la base d’imposition de l’impôt sur les sociétés

8
L’article 26 de la Norma Foral n° 24/1996, du 5 juillet 1996 (Boletín Oficial del Territorio Histórico de Álava n° 90, du 9 août 1996), dispose:

«1.    Les entreprises qui commencent leur activité bénéficieront d’une réduction de 99, 75, 50 et 25 %, respectivement, de la base d’imposition positive correspondant à leur résultat d’exploitation, avant compensation avec des bases d’imposition négatives des exercices d’imposition précédents, au cours des quatre périodes d’imposition consécutives, à partir du premier exercice durant lequel, dans les quatre ans qui suivent la mise en route de leur activité, elles enregistrent des bases d’imposition positives.

[...]

2.      Pour bénéficier de la présente réduction, les contribuables devront respecter les conditions suivantes:

a)
commencer leur activité avec un capital libéré d’au moins 20 millions de ESP;

[...]

d)
ne pas avoir exercé la nouvelle activité précédemment, de manière directe ou indirecte, sous une autre dénomination;

e)
exercer une nouvelle activité dans un local ou un établissement où aucune autre activité n’est exercée par d’autres personnes physiques ou morales;

f)
réaliser des investissements en immobilisations corporelles au cours des deux premières années d’activité pour un montant d’au moins 80 millions de ESP, étant entendu que tous les investissements doivent être destinés à des biens affectés à l’activité, à l’exclusion de ceux qui sont loués ou cédés à un tiers pour son utilisation. À cet effet seront également considérés comme investissements en immobilisations corporelles les biens acquis par location financière, pourvu que l’acquéreur s’engage à exercer l’option d’achat;

g)
créer au minimum dix emplois dans les six mois suivant le début de leur activité et maintenir à ce chiffre la moyenne annuelle du personnel à partir de ce moment et jusqu’à l’exercice où le droit d’appliquer la réduction de la base d’imposition arrive à son terme;

[...]

i)
disposer d’un plan d’entreprise pour une période d’au moins cinq ans.

[...]

4.      Le montant minimal d’investissements indiqué au paragraphe 2, point f), ci-dessus ainsi que le nombre d’emplois mentionné au paragraphe 2, point g), seront incompatibles avec tout autre avantage fiscal institué pour ces investissements ou cette création d’emplois.

5.      La réduction établie dans la présente disposition sera sollicitée auprès de l’administration fiscale, laquelle, après vérification du respect des conditions initialement requises, communiquera le cas échéant son autorisation provisoire à la société requérante, ladite autorisation devant être avalisée par la Diputación Foral de Álava.

[...]»


Les faits à l’origine du litige

9
Ramondín SA est une société de droit espagnol spécialisée dans la fabrication de capsules de surbouchage pour les bouteilles de vin, de champagne et d’autres boissons de qualité. Depuis 1971, elle était établie à Logroño, sur le territoire de la Comunidad Autónoma de La Rioja (communauté autonome de La Rioja).

10
En 1997, Ramondín SA a décidé de transférer ses installations industrielles de Logroño à Laguardia, ville située sur le territoire historique d’Álava, au Pays basque. À cette fin, Ramondín SA a constitué, le 15 décembre 1997, la nouvelle société Ramondín Cápsulas SA, dont elle détient 99,8 % du capital. Il était prévu que Ramondín Cápsulas SA reprenne toutes les activités de Ramondín SA.

11
En vertu de la décision n° 738/1997, du 21 octobre 1997, de la Diputación Foral de Álava, Ramondín SA a obtenu le crédit d’impôt de 45 % prévu par la sixième disposition additionnelle de la Norma Foral n° 22/1994. Ramondín Cápsulas SA, en tant que société nouvellement créée, a bénéficié de la réduction de la base d’imposition de l’impôt sur les sociétés prévue à l’article 26 de la Norma Foral n° 24/1996.

12
Par lettre du 2 octobre 1997, le président de la Comunidad Autónoma de La Rioja a adressé à la Commission des Communautés européennes une plainte dénonçant les aides d’État qui auraient été accordées à Ramondín SA à l’occasion du transfert de ses activités au Pays basque.

13
Par lettre du 30 avril 1999 (JO C 194, p. 18), la Commission a informé les autorités espagnoles de sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE) en ce qui concerne les aides fiscales octroyées par les autorités basques à Ramondín SA et à Ramondín Cápsulas SA.

14
Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision attaquée.

15
À l’article 2, sous a), de celle-ci, la réduction de la base d’imposition de l’impôt sur les sociétés accordée à Ramondín Cápsulas SA est qualifiée d’aide d’État incompatible avec le marché commun. À l’article 2, sous b), de la même décision, le crédit d’impôt de 45 % accordé à Ramondín SA est également qualifié d’aide d’État incompatible avec le marché commun pour la partie qui, en application des règles de cumul des aides, excède le plafond de 25 % ESN des aides à finalité régionale au Pays basque.

16
À l’article 3 de la décision attaquée, la Commission enjoint au royaume d’Espagne de prendre toutes les mesures nécessaires pour saisir les bénéfices résultant des aides en cause et, le cas échéant, pour récupérer ces aides auprès de leurs bénéficiaires.


Les recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

17
Par requêtes déposées au greffe du Tribunal respectivement les 19 et 26 avril 2000, le Territorio Histórico de Álava (affaire T-92/00) ainsi que Ramondín SA et Ramondín Capsulas SA (ci-après, ensemble, «Ramondín») (affaire T-103/00) ont introduit des recours dirigés contre la Commission.

18
Ces parties requérantes ont conclu à l’annulation de la décision attaquée dans la mesure où elle déclare incompatibles avec le marché commun les mesures fiscales litigieuses prévues par les Normas Forales nos 22/1994 et 24/1996 et enjoint au royaume d’Espagne de récupérer le montant des aides correspondant auxdites mesures.

19
Par ordonnance du 5 juin 2001, les deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

20
Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a:

rejeté les recours;

        condamné les parties requérantes aux dépens.


Les pourvois

21
Par ordonnances du 6 mars 2003 rendues dans chacune des deux affaires C-186/02 P et C-188/02 P, le président de la Cour a:

admis la Comunidad Autónoma de La Rioja à intervenir au soutien des conclusions de la Commission;

rejeté des demandes d’intervention du Gobierno Foral de Navarra (gouvernement de Navarre) au soutien des conclusions des parties requérantes.

22
Ramondín conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

annuler l’arrêt attaqué;

annuler la décision attaquée dans la mesure où elle déclare incompatibles avec le marché commun les aides fiscales prévues par les Normas Forales nos 22/1994 et 24/1996 et enjoint au royaume d’Espagne de les récupérer;

condamner la Commission aux dépens.

23
Le Territorio Histórico de Álava conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

annuler l’arrêt attaqué;

statuant elle-même sur le litige, annuler la décision attaquée en tant qu’elle concerne le crédit d’impôt de 45 % et la réduction de la base d’imposition de l’impôt sur les sociétés;

subsidiairement, renvoyer l’affaire devant le Tribunal;

condamner la Commission aux dépens de la procédure de première instance et à ceux de la procédure de pourvoi.

24
Ayant renoncé, lors de la procédure orale, à une exception d’irrecevabilité du pourvoi formé par le Territorio Histórico de Álava, la Commission conclut en définitive, dans les deux affaires C‑186/02 P et C-188/02 P, à ce qu’il plaise à la Cour:

rejeter les pourvois;

condamner les parties requérantes aux dépens.

25
La Comunidad Autónoma de La Rioja, au soutien de la Commission, conclut dans les deux affaires C-186/02 P et C-188/02 P à ce qu’il plaise à la Cour:

rejeter les pourvois;

condamner les parties requérantes aux dépens.


Les moyens d’annulation de l’arrêt attaqué

26
Dans sa requête, Ramondín soulevait quatre moyens d’annulation de l’arrêt attaqué tirés:

d’un défaut de qualité de la Comunidad Autónoma de La Rioja pour porter plainte devant la Commission;

d’une qualification erronée des mesures fiscales litigieuses en tant qu’aides d’État incompatibles avec le marché commun;

d’une erreur de droit commise par le Tribunal en tant qu’il n’a pas reconnu l’existence d’un détournement de pouvoir de la Commission;

d’une erreur de droit commise par le Tribunal en tant qu’il n’a pas reconnu l’existence d’une violation du principe d’égalité de traitement.

27
Par mémoire déposé le 18 février 2004, elle a informé la Cour qu’elle maintenait son moyen tiré de l’existence d’un détournement de pouvoir ainsi que celui tiré d’une absence de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point et qu’elle renonçait à ses autres moyens.

28
Dans sa requête, le Territorio Histórico de Álava soulevait six moyens d’annulation de l’arrêt attaqué tirés:

d’une qualification erronée des mesures fiscales litigieuses en tant qu’aides d’État incompatibles avec le marché commun;

d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point;

d’une erreur de droit commise par le Tribunal en tant qu’il a jugé que les mesures litigieuses n’étaient pas des aides existantes;

d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point;

d’une erreur de droit commise par le Tribunal en tant qu’il n’a pas reconnu l’existence d’un détournement de pouvoir de la Commission;

d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point.

29
Par mémoire déposé le 20 février 2004, il a informé la Cour qu’il:

maintenait partiellement les premier et deuxième moyens tirés, respectivement, d’une qualification erronée des mesures fiscales litigieuses en tant qu’aides d’État incompatibles avec le marché commun et d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point;

maintenait ses cinquième et sixième moyens tirés, respectivement, de l’existence d’un détournement de pouvoir et d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point;

renonçait à ses autres moyens.


Sur les pourvois

30
Les parties et Mme l’avocat général ayant été entendues sur ce point, il y a lieu, pour cause de connexité, de joindre les présentes affaires aux fins de l’arrêt, conformément à l’article 43 du règlement de procédure de la Cour.

Sur les moyens tirés, d’une part, d’une erreur de droit commise par le Tribunal en tant qu’il n’a pas reconnu l’existence d’un détournement de pouvoir et, d’autre part, d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point

Argumentation des parties

31
Ramondín fait grief au Tribunal d’avoir, aux points 82 à 88 de l’arrêt attaqué, rejeté son moyen tiré d’un détournement de pouvoir commis par la Commission. Celle-ci aurait utilisé les pouvoirs qu’elle détient dans le cadre des procédures en matière d’aides d’État, domaine dans lequel elle dispose d’une compétence exclusive et d’amples pouvoirs, pour réaliser une harmonisation fiscale. Or, une telle harmonisation relèverait, en réalité, de la procédure prévue aux articles 101 du traité CE (devenu, après modification, article 96 CE) et 102 du traité CE (devenu article 97 CE), laquelle donne compétence au Conseil de l’Union européenne.

32
La Commission aurait commencé par les petites communautés ou petits États membres, dont la capacité de décision et d’action est limitée. Elle aurait agi ainsi en raison des difficultés rencontrées en matière d’harmonisation fiscale, les États membres puissants refusant de perdre des compétences.

33
Selon Ramondín, le seul élément objectif tangible dans la présente affaire étant l’absence de plainte d’un concurrent, il aurait fallu supposer que les buts poursuivis étaient autres que ceux allégués. Dès lors, la procédure ouverte aurait été viciée dès l’origine.

34
Le Territorio Histórico de Álava considère que le Tribunal aurait dû retenir l’existence d’un détournement de pouvoir. Il s’interroge sur les motifs qui ont conduit la Commission à ouvrir de nombreuses procédures contre les Normas Forales du Pays basque. Il s’interroge également sur la raison pour laquelle une série de mesures fiscales ont été écartées de la liste établie par un groupe dit «Primarolo», chargé au sein du Conseil de déceler les mesures fiscales à éliminer aux fins d’une harmonisation fiscale, pour être ensuite attaquées au moyen de procédures en matière d’aides d’État.

35
Selon lui, les réticences de plusieurs États membres rendent impossible tout accord au sein du Conseil quant à une harmonisation fiscale. C’est pourquoi la Commission aurait choisi la voie plus rapide et plus simple de la procédure des aides d’État.

36
Le Territorio Histórico de Álava reproche également au Tribunal un défaut de motivation en ce qui concerne le moyen tiré d’un détournement de pouvoir. Le Tribunal aurait donné une réponse assez superficielle, en s’abstenant de discuter les motifs pour lesquels la Commission aurait ouvert de nombreuses procédures contre les Normas Forales du Pays basque et en omettant de rechercher la raison pour laquelle la série susvisée de mesures fiscales auraient été écartées de la liste élaborée par le groupe Primarolo pour être attaquées au moyen de procédures en matière d’aides d’État.

37
La Commission, en réponse à l’argumentation de Ramondín, considère que le Tribunal a relevé à juste titre, aux points 82 à 87 de l’arrêt attaqué, que les conditions exigées par la jurisprudence communautaire pour apprécier l’existence d’un détournement de pouvoir n’étaient pas réunies. En l’espèce, l’accusation de détournement de pouvoir se fonderait sur une appréciation subjective, par Ramondín, du comportement de la Commission. Cette appréciation ne serait étayée par aucun élément objectif. Elle reposerait donc non pas sur des indices pertinents, comme l’exigerait la jurisprudence, mais sur des affirmations purement subjectives au sujet des prétendues intentions de la Commission.

38
En réalité, dans le cadre de son moyen, Ramondín se contenterait de répéter son interprétation extrêmement restrictive de la notion d’aide et de l’élément de sélectivité. Le prétendu détournement de pouvoir ne consisterait qu’en une interprétation de la notion d’aide différente de celle préconisée par Ramondín.

39
En réponse à l’argumentation du Territorio Histórico de Álava, la Commission soutient que le moyen tiré d’un détournement de pouvoir n’a pas été invoqué par cette partie requérante devant le Tribunal. Ce moyen serait donc manifestement irrecevable. En tout état de cause, il ne serait pas fondé, pour les mêmes motifs que ceux opposés à Ramondín. Enfin, le Tribunal aurait suffisamment motivé l’arrêt attaqué pour rejeter le moyen invoqué.

40
La Comunidad Autónoma de La Rioja soutient que le Territorio Histórico de Álava est irrecevable à soulever le moyen tiré d’un détournement de pouvoir, celui-ci n’ayant pas été invoqué devant le Tribunal.

41
En tout état de cause, elle considère que Ramondín et le Territorio Histórico de Álava n’apportent aucun indice objectif, pertinent et concordant permettant de déduire que l’objectif poursuivi par la Commission à travers l’adoption de la décision attaquée aurait consisté à réaliser une harmonisation fiscale.

Appréciation de la Cour

42
Contrairement aux affirmations de la Commission et de la Comunidad Autónoma de La Rioja, le Territorio Histórico de Álava a soulevé devant le Tribunal, dès la requête introductive, aux points 71 et suivants de celle-ci, un moyen tiré d’un détournement de pouvoir commis par la Commission.

43
Ce moyen a été examiné à l’égard de Ramondín et du Territorio Histórico de Álava aux points 82 à 88 de l’arrêt attaqué.

44
Le Tribunal a exactement rappelé qu’un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées (voir, notamment, arrêt du 22 novembre 2001, Pays‑Bas/Conseil, C-110/97, Rec. p. I-8763, point 137 et la jurisprudence citée).

45
Aux points 85 à 87, il a analysé et apprécié les allégations ainsi que les arguments des parties requérantes. Il a jugé que celles-ci n’avançaient aucun indice objectif permettant de conclure que le véritable but poursuivi par la Commission en adoptant la décision attaquée était d’obtenir une harmonisation fiscale.

46
Ce faisant, il s’est livré à une appréciation des faits qui ne constitue pas, sous réserve d’une dénaturation des éléments de preuve produits devant lui, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (voir, notamment, arrêts du 21 juin 2001, Moccia Irme e.a./Commission, C-280/99 P à C-282/99 P, Rec. p. I-4717, point 78, et du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C-250/99 P à C‑252/99 P et C-254/99 P, Rec. p. I-8375, point 285).

47
Les parties requérantes se limitent, par voie d’affirmations, à contester cette appréciation des faits. Elles ne présentent aucun indice susceptible d’établir que le Tribunal aurait dénaturé les éléments de preuve produits devant lui. En tout état de cause, il ne saurait être soutenu que le Tribunal aurait dû déduire de l’absence de plainte d’une entreprise concurrente que les buts poursuivis par la Commission étaient autres que ceux allégués. Une simple absence de plainte ne saurait permettre une telle supposition.

48
Il s’ensuit que le moyen tiré d’un détournement de pouvoir doit être rejeté.

49
S’agissant du moyen tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point, il y a lieu de constater que Ramondín ne l’a pas soulevé dans son pourvoi.

50
En indiquant, dans son mémoire déposé le 18 février 2004, qu’elle maintient son moyen tiré d’une absence de motivation de l’arrêt attaqué sur le moyen tiré d’un détournement de pouvoir, Ramondín soulève donc, en réalité, un moyen nouveau. Ce moyen est irrecevable en application des articles 42, paragraphe 2, et 118 du règlement de procédure de la Cour.

51
En ce qui concerne le Territorio Histórico de Álava, qui a soulevé un moyen tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué et l’a maintenu dans son mémoire déposé le 20 février 2004, il convient de constater que cet arrêt énonce:

au point 85, que toute l’argumentation des parties requérantes est fondée sur des spéculations concernant d’éventuels motifs sous-jacents à la décision attaquée et que ces parties ne démontrent même pas l’existence d’une quelconque harmonisation de fait qui aurait été réalisée au niveau communautaire par la décision attaquée;

au point 86, que le Territorio Histórico de Álava invoque des affaires qui ont donné lieu à une ordonnance du président de la Cour du 16 février 2000, Juntas Generales de Guipúzcoa e.a. (C‑400/97 à C-402/97, Rec. p. I-1073), affaires dans le cadre desquelles la Commission aurait, selon la partie requérante, remis en cause la capacité normative des autorités basques en matière fiscale en considérant que les Normas Forales constituent des aides d’État lorsqu’elles sont exclusivement applicables dans une zone particulière d’un État membre;

au point 87, que ce dernier argument doit être rejeté, dès lors que la Commission ne s’est pas fondée, dans la décision attaquée, sur le critère de la sélectivité régionale pour démontrer que les avantages fiscaux dont Ramondín a bénéficié sont des aides d’État tombant dans le champ d’application de l’article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE).

52
Cette motivation apparaît suffisante au regard de l’argumentation présentée devant le Tribunal dans la requête et dans la réplique, argumentation qui ne comprenait aucune référence à un retrait d’une série de mesures fiscales d’une liste élaborée par un groupe formé au sein du Conseil.

53
Il s’ensuit que le moyen tiré par le Territorio Histórico de Álava d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué en ce qui concerne un prétendu détournement de pouvoir commis par la Commission doit être rejeté.

Sur les moyens tirés par le Territorio Histórico de Álava, d’une part, d’une qualification erronée des mesures fiscales litigieuses en tant qu’aides d’État incompatibles avec le marché commun et, d’autre part, d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur ce point

Argumentation des parties

54
Devant le Tribunal, le Territorio Histórico de Álava a soutenu que la Commission avait violé l’article 92 du traité en considérant comme aides d’État incompatibles avec le marché commun le crédit d’impôt de 45 % et la réduction de la base d’imposition de l’impôt sur les sociétés, au motif que les Normas Forales nos 22/1994 et 24/1996 constituaient des mesures spécifiques favorisant «certaines entreprises». Il a fait valoir que, en toute hypothèse, l’éventuel caractère sélectif de ces mesures était justifié par la nature et l’économie du système fiscal.

55
Le Territorio Histórico de Álava fait grief au Tribunal d’avoir, aux points 23 à 65 de l’arrêt attaqué, rejeté cette argumentation, commettant ainsi une erreur de droit dans l’application de l’article 92 du traité.

56
Dans son mémoire déposé le 20 février 2004, il indique qu’il maintient son moyen d’annulation, mais à un stade antérieur à celui de la qualification des mesures fiscales litigieuses comme aides d’État. Il fait valoir que, au cours de la procédure de première instance, il a soutenu que ces mesures étaient exclues du domaine d’application de l’article 92 du traité, dans la mesure où, en tant que mesures fiscales, elles étaient justifiées en vue d’atteindre un objectif de politique économique. Le Tribunal aurait considéré que cela n’excluait pas la qualification d’aides d’État incompatibles avec le traité. Cette conclusion serait erronée, parce que formulée à un mauvais endroit du processus interprétatif. En réalité, il aurait fallu considérer, en amont d’une éventuelle question de qualification d’aides d’État, que des mesures fiscales adoptées antérieurement aux conclusions du Conseil Ecofin du 1er décembre 1997 en matière de politique fiscale (JO 1998, C 2, p. 1) et à la communication de la Commission du 10 décembre 1998 sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (JO C 384, p. 3) étaient exclues du contrôle des aides d’État. En effet, dès lors que de telles mesures s’inscrivaient dans le cadre de la politique industrielle mise en œuvre par l’État membre concerné, elles auraient été exclues ab initio du domaine d’application de l’article 92 du traité.

57
Dans le même mémoire, le Territorio Histórico de Álava ajoute qu’il maintient également son moyen tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué en ce qui concerne le point de droit soulevé.

58
La Commission considère que, tel qu’il est maintenu, le moyen tiré d’une qualification erronée des mesures fiscales litigieuses en tant qu’aides d’État incompatibles avec le marché commun nécessite toujours, nonobstant la modification de sa présentation, l’examen par la Cour de la question du caractère d’aides de ces mesures. En effet, l’analyse de l’article 92 du traité ne comporterait aucun stade antérieur à celui du débat sur la qualification d’aide d’État, la nature fiscale d’une mesure n’étant pas pertinente pour établir s’il s’agit ou non d’une aide. En outre, les conclusions du Conseil Ecofin du 1er décembre 1997 en matière de politique fiscale et le code de conduite y annexé n’auraient pu modifier la répartition des compétences établie dans le traité. Dans ces conditions, en contestant la compétence de la Commission, le Territorio Histórico de Álava persisterait à mettre en cause la qualification d’aides d’État retenue en ce qui concerne les mesures fiscales litigieuses.

59
La Comunidad Autónoma de La Rioja considère que le Territorio Histórico de Álava maintient, en réalité, que les mesures fiscales litigieuses ne sont pas des aides d’État, bien qu’il invoque à présent de nouvelles raisons au soutien de sa thèse. La Cour ne devrait donc pas exclure l’examen et la qualification de ces mesures à la lumière de l’article 92 du traité.

Appréciation de la Cour

60
Il y a lieu de rappeler que permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est donc limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges (voir, notamment, arrêts du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C-136/92 P, Rec. p. I‑1981, point 59; du 28 mai 1998, Deere/Commission, C-7/95 P, Rec. p. I-3111, point 62, et du 10 avril 2003, Hendrickx/Cedefop, C‑217/01 P, Rec. p. I -3701, point 37).

61
En l’espèce, le Territorio Histórico de Álava n’a pas soutenu en première instance que:

les mesures fiscales litigieuses seraient soustraites en tant que telles au champ d’application du droit des aides d’État;

l’article 92 du traité ne s’appliquerait aux dispositions de droit fiscal que depuis les conclusions du Conseil Ecofin du 1er décembre 1997 en matière de politique fiscale et la communication de la Commission du 10 décembre 1998 sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises.

62
En réalité, il s’est référé aux objectifs de politique économique de la mesure de réduction de la base d’imposition dans le cadre du débat sur la sélectivité de celle-ci, c’est-à-dire au stade du débat relatif à la qualification de cette mesure en tant qu’aide d’État incompatible avec le marché commun au sens de l’article 92 du traité.

63
Le Tribunal a examiné l’argumentation correspondante au point 51 de l’arrêt attaqué.

64
L’argument soumis à la Cour dans le cadre du présent pourvoi, selon lequel, en substance, la mesure fiscale en cause aurait été exclue ab initio, à un stade antérieur du raisonnement juridique, du domaine d’application de l’article 92 du traité et, par suite, du contrôle même de la Commission, constitue donc un moyen présenté pour la première fois dans le cadre du pourvoi.

65
Ce moyen nouveau doit être déclaré irrecevable, de même que celui tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sur le point de droit soulevé, le second moyen étant indissociable du premier.

66
Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent que les pourvois doivent être rejetés.


Sur les dépens

67
Selon l’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

68
Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les parties requérantes ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission et la Comunidad Autónoma de La Rioja, conformément aux conclusions en ce sens de celles-ci.




Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)
Les affaires C-186/02 P et C-188/02 P sont jointes aux fins de l’arrêt.

2)
Les pourvois sont rejetés.

3)
Les parties requérantes supportent, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission des Communautés européennes et la Comunidad Autónoma de La Rioja.


Signatures.


1
Langue de procédure: l'espagnol.