Language of document : ECLI:EU:C:2006:451

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

6 juillet 2006 (*)

«Sixième directive TVA – Article 28 – Exonération avec remboursement de la taxe payée – Vente de biens imposés au taux zéro équipés de biens imposés au taux standard – Caravanes résidentielles – Livraison unique»

Dans l’affaire C-251/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni), par décision du 21 juillet 2004, parvenue à la Cour le 14 juin 2005, dans la procédure

Talacre Beach Caravan Sales Ltd

contre

Commissioners of Customs & Excise,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, M. K. Schiemann, Mme N. Colneric, MM. M. Ilešič (rapporteur) et E. Levits, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 avril 2006,

considérant les observations présentées:

–        pour Talacre Beach Caravan Sales Ltd, par MM. R. Cordara, QC, A. Hitchmough, barrister, et B. Goren, solicitor,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mmes C. White et T. Harris, en qualité d’agents, assistées de M. R. Anderson, QC,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. R. Lyal, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 mai 2006,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 92/77/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, complétant le système commun de taxe sur la valeur ajoutée et modifiant la directive 77/388/CEE (rapprochement des taux de TVA) (JO L 316, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la société Talacre Beach Caravan Sales Ltd (ci-après «Talacre») aux Commissioners of Customs and Excise (ci-après les «Commissioners»), compétents en matière de perception de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») au Royaume-Uni, au sujet de l’application d’une exonération avec remboursement de la taxe payée.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

3        Talacre exploite des parcs de loisirs pour caravanes résidentielles au Royaume-Uni. Ses revenus proviennent notamment de la vente de caravanes équipées, de la location d’emplacements et de la mise à disposition d’installations au profit des propriétaires de caravanes résidentielles.

4        Les caravanes équipées vendues par Talacre comprennent généralement des salles de bains, des revêtements de sol, des tringles à rideau, des rideaux, des placards, des cuisines équipées, des banquettes, des tables à manger, des chaises, des tabourets, des tables basses, des miroirs, des armoires, des lits et des matelas.

5        Les factures adressées par le fabricant desdites caravanes à Talacre indiquent séparément le prix des caravanes hors TVA, ainsi que le prix de l’équipement intérieur majoré de la TVA au taux normal.

6        Talacre estime toutefois que la vente d’une caravane et de son équipement intérieur est une fourniture unique et indivisible, qui doit donc faire l’objet d’un seul taux de taxation, à savoir celui qui est applicable à l’élément principal, la caravane elle-même. Le taux de taxation unique à appliquer en l’espèce serait le taux zéro, les caravanes du type fourni par Talacre bénéficiant de ce taux en vertu de la législation applicable au Royaume-Uni.

7        En effet, l’article 30 de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée (Value Added Tax Act, ci-après le «VAT Act») dispose que «[…] une fourniture de biens ou une prestation de services est taxée au taux zéro […] lorsqu’elle porte sur les biens ou services actuellement visés à l’annexe 8 […]». À ladite annexe 8, groupe 9, figurent «les caravanes excédant les limites de gabarit actuellement autorisées pour la circulation sur les routes d’une remorque tractée par un véhicule à moteur qui a un poids à vide inférieur à 2 030 kilogrammes».

8        Il n’est pas contesté que ce taux zéro est assimilable à une exonération avec remboursement de la taxe payée au sens de l’article 28, paragraphe 2, de la sixième directive, qui dispose:

«Nonobstant l’article 12 paragraphe 3, les dispositions ci-après sont d’application au cours de la période transitoire visée à l’article 28 terdecies.

a)      Les exonérations avec remboursement de la taxe payée au stade antérieur et les taux réduits inférieurs au taux minimal fixé à l’article 12 paragraphe 3 en matière de taux réduits, qui étaient applicables au 1er janvier 1991 et qui sont en conformité avec la législation communautaire et qui répondent aux critères visés à l’article 17 dernier tiret de la deuxième directive du 11 avril 1967, peuvent être maintenues.

[…]»

9        Contrairement à la thèse soutenue par Talacre en ce qui concerne la taxation de la livraison d’une caravane équipée, les Commissioners ont appliqué le taux zéro uniquement aux caravanes elles-mêmes et le taux normal de TVA à l’équipement intérieur de celles-ci.

10      À cet égard, ils se sont fondés sur le fait que le VAT Act exclut expressément du taux zéro ledit équipement.

11      En effet, selon une note figurant à l’annexe 8 du VAT Act, le groupe 9 de ladite annexe ne vise ni «les biens mobiliers autres que ceux mentionnés au groupe 5, point 3» ni «les équipements liés au logement dans une caravane ou dans une péniche». En vertu de l’article 96 du VAT Act, l’annexe 8 doit être interprétée conformément à cette note.

12      Le recours formé par Talacre contre la décision des Commissioners a été rejeté par le VAT and Duties Tribunal et par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division. Selon ces juridictions, le fait que la caravane et son équipement intérieur fassent l’objet d’une livraison unique n’implique pas que le prix global de ceux-ci doit être soumis au taux zéro. Talacre a saisi en appel la juridiction de renvoi.

13      C’est dans ces circonstances que la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Lorsque, sur le fondement de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la [sixième directive] et en application de sa législation nationale, un État membre a exercé son droit de dérogation afin d’appliquer un taux zéro à la livraison de certains biens mais qu’il a, dans la même loi, exclu certains biens du champ d’application du taux zéro (‘biens exclus’), le fait qu’il y ait une seule livraison de biens (y compris les biens exclus) empêche-t-il l’État membre de percevoir la TVA au taux normal sur la fourniture des biens exclus?»

 Sur la question préjudicielle

14      Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si le fait que certains biens fassent l’objet d’une seule livraison, comprenant, d’une part, un bien principal soumis par la législation d’un État membre à une exonération avec remboursement de la taxe payée au sens de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive et, d’autre part, des biens exclus par ladite législation du champ d’application de cette exonération, empêche l’État membre concerné de percevoir la TVA au taux normal sur la fourniture de ces biens exclus.

15      Selon Talacre, il convient d’apporter une réponse affirmative à cette question. Elle fait valoir qu’un État membre ne saurait en aucun cas soumettre une livraison unique à différents taux d’imposition. Elle invoque, à cet égard, les arrêts du 13 juillet 1989, Henriksen, 173/88, Rec. p. 2763; du 25 février 1999, CPP, C‑349/96, Rec. p. I-973, et du 15 mai 2001, Primback, C-34/99, Rec. p. I-3833.

16      Le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission des Communautés européennes contestent cette argumentation. Ils font observer que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, le taux de TVA appliqué est lié à l’instauration d’une dérogation nationale que l’État membre est autorisé à adopter, sous certaines conditions, en vertu de l’article 28 de la sixième directive. Étant donné que selon l’une de ces conditions ladite dérogation devait être en vigueur au 1er janvier 1991, l’exonération avec remboursement de la taxe payée ne saurait être étendue au-delà de ce qui est expressément prévu par la législation nationale.

17      À cet égard, il convient de constater d’emblée qu’en autorisant les États membres à appliquer des exonérations avec remboursement de la taxe payée, l’article 28, paragraphe 2, de la sixième directive prévoit une dérogation à l’article 12, paragraphe 3, de la même directive, qui régit le taux normal de la TVA.

18      Il ressort, ensuite, du libellé de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive que l’application d’exonérations avec remboursement de la taxe payée est soumise à plusieurs conditions. Ces exonérations doivent avoir été en vigueur le 1er janvier 1991. Elles doivent, en outre, être en conformité avec la législation communautaire et répondre aux critères visés à l’article 17, dernier tiret, de la deuxième directive 67/228/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Structure et modalités d’application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 1967, 71, p. 1303), abrogée, selon lesquels les exonérations avec remboursement de la taxe payée pouvaient seulement être instaurées pour des raisons d’intérêt social bien définies et en faveur des consommateurs finals.

19      En l’espèce, il n’est pas contesté que, pour autant que le VAT Act exonère, avec remboursement de la taxe payée, les caravanes du type fourni par Talacre, lesdites conditions sont remplies. Il est en particulier admis que le taux zéro était en vigueur le 1er janvier 1991 et qu’il a été instauré pour des raisons d’intérêt social.

20      Il est également constant que certains biens fournis avec les caravanes sont expressément exclus, par le VAT Act, de l’exonération avec remboursement de la taxe payée. Il s’ensuit que, en ce qui concerne ces biens, les conditions énoncées à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, et notamment celle selon laquelle seules les exonérations applicables au 1er janvier 1991 peuvent être maintenues, ne sont pas remplies.

21      Dès lors, une exonération avec remboursement de la taxe payée pour ces biens élargirait le champ d’application de l’exonération prévue pour la fourniture des caravanes elles-mêmes. Cela aurait pour conséquence que des biens expressément exclus d’exonération par la législation nationale seraient néanmoins exonérés en vertu de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive.

22      Force est de constater qu’une telle interprétation de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive se heurterait au libellé et à l’objectif de cette disposition, selon lesquels la portée de la dérogation prévue par cette dernière est limitée à ce qui était expressément visé par la législation nationale au 1er janvier 1991. Ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé aux points 15 et 16 de ses conclusions, l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive est assimilable à une clause de «stand still», visant à éviter des situations sociales difficiles pouvant découler de la suppression d’avantages prévus par le législateur national mais non repris dans la sixième directive. À la lumière de cette finalité, c’est le contenu des réglementations nationales en vigueur au 1er janvier 1991 qui est décisif pour la détermination de l’étendue des prestations pour lesquelles la sixième directive permet le maintien, pendant la période transitoire, d’une exonération.

23      Par ailleurs, ainsi que la Cour l’a souligné à plusieurs reprises, les dispositions de la sixième directive désignant des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque livraison de biens ou prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti sont d’interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêts du 22 octobre 1998, Madgett et Baldwin, C-308/96 et C-94/97, Rec. p. I-6229, point 34; du 8 mai 2003, Commission/France, C-384/01, Rec. p. I-4395, point 28; du 1er décembre 2005, Ygeia, C-394/04 et C-395/04, non encore publié au Recueil, points 15 et 16, ainsi que du 8 décembre 2005, Jyske Finans, C-280/04, non encore publié au Recueil, point 21). Pour cette raison également, les exonérations avec remboursement de la taxe payée visées à l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive ne sauraient s’étendre à des biens qui étaient, à la date du 1er janvier 1991, exclus d’une telle exonération par le législateur national.

24      Le fait que la livraison de la caravane et de son équipement intérieur puisse être qualifiée de livraison unique ne saurait infirmer cette conclusion. La jurisprudence concernant la taxation de livraisons uniques, invoquée par Talacre et mentionnée au point 15 du présent arrêt, ne porte pas sur les exonérations avec remboursement de la taxe payée visées à l’article 28 de la sixième directive. S’il découle, certes, de ladite jurisprudence qu’une livraison unique est en principe soumise à un seul taux de TVA, elle ne s’oppose pas à la taxation séparée de certaines composantes de cette livraison lorsque seule une telle taxation respecte les conditions auxquelles l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive soumet l’application d’exonérations avec remboursement de la taxe payée.

25      À cet égard, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé à juste titre aux points 38 à 40 de ses conclusions, en se référant au point 27 de l’arrêt CPP, précité, il n’existe pas de règle absolue quant à la détermination de l’étendue d’une prestation du point de vue de la TVA et il convient dès lors, pour déterminer l’étendue d’une prestation, de prendre en considération l’ensemble des circonstances, y compris le contexte juridique particulier. Or, au regard du libellé et de l’objectif de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, rappelés ci-dessus, une exonération nationale autorisée en vertu de cet article ne peut être appliquée qu’à condition d’avoir été en vigueur le 1er janvier 1991 et d’être nécessaire, selon l’État membre concerné, pour des raisons d’intérêt social et en faveur des consommateurs finals. En l’espèce, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a constaté qu’il convenait de soumettre au taux zéro uniquement la livraison des caravanes elles-mêmes. Il n’a pas considéré qu’il était justifié d’appliquer également ce taux à la livraison de l’équipement intérieur desdites caravanes.

26      Enfin, rien ne permet de conclure que la taxation séparée de certaines composantes de la livraison de caravanes équipées entraînerait des difficultés insurmontables susceptibles d’affecter le bon fonctionnement du régime de la TVA (voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2005, Centralan Property, C-63/04, non encore publié au Recueil, points 79 et 80).

27      Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que le fait que certains biens fassent l’objet d’une seule livraison, comprenant, d’une part, un bien principal soumis par la législation d’un État membre à une exonération avec remboursement de la taxe payée au sens de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive et, d’autre part, des biens exclus par ladite législation du champ d’application de cette exonération, n’empêche pas l’État membre concerné de percevoir la TVA au taux normal sur la fourniture de ces biens exclus.

 Sur les dépens

28      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

Le fait que certains biens fassent l’objet d’une seule livraison, comprenant, d’une part, un bien principal soumis par la législation d’un État membre à une exonération avec remboursement de la taxe payée au sens de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 92/77/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, complétant le système commun de taxe sur la valeur ajoutée et modifiant la directive 77/388/CEE (rapprochement des taux de TVA), et, d’autre part, des biens exclus par ladite législation du champ d’application de cette exonération, n’empêche pas l’État membre concerné de percevoir la TVA au taux normal sur la fourniture de ces biens exclus.

Signatures


* Langue de procédure: l'anglais.