Language of document : ECLI:EU:C:2007:227

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

19 avril 2007 (*)

«Demande de décision préjudicielle – Recevabilité – Article 86, paragraphe 1, CE – Absence de portée autonome – Éléments permettant à la Cour de répondre de manière utile aux questions posées – Directives 92/50/CEE, 93/36/CEE et 93/37/CEE – Réglementation nationale permettant à une entreprise publique d’exécuter sur commande directe des autorités publiques des opérations sans application du régime général de passation des marchés publics – Structure de gestion interne – Conditions – L’autorité publique doit exercer sur une entité distincte un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services – L’entité distincte doit réaliser l’essentiel de son activité avec la ou les autorités publiques qui la détiennent»

Dans l’affaire C-295/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Tribunal Supremo (Espagne), par décision du 1er avril 2005, parvenue à la Cour le 21 juillet 2005, dans la procédure

Asociación Nacional de Empresas Forestales (Asemfo)

contre

Transformación Agraria SA (Tragsa),

Administración del Estado,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, M. R. Schintgen, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. G. Arestis (rapporteur) et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: M. L. A. Geelhoed,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 juin 2006,

considérant les observations présentées:

–        pour l’Asociación Nacional de Empresas Forestales (Asemfo), par Mme D. P. Thomas de Carranza y Méndez de Vigo, procuradora, et Me R. Vázquez del Rey Villanueva, abogado,

–        pour Transformación Agraria SA (Tragsa), par Me S. Ortiz Vaamonde et I. Pereña Pinedo, abogados,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. F. Díez Moreno, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement lituanien, par M. D. Kriaučiūnas, en qualité d’agent,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par MM. X. Lewis et F. Castillo de la Torre, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 septembre 2006,

rend le présent

Arrêt

1        La demande préjudicielle porte sur le point de savoir si, eu égard à l’article 86, paragraphe 1, CE, un État membre peut attribuer à une entreprise publique un régime juridique lui permettant de réaliser des opérations sans être soumise aux directives 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 199, p. 1), et 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54), et si ces directives s’opposent à un tel régime.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Asociación Nacional de Empresas Forestales (ci-après l’«Asemfo») à l’Administración del Estado au sujet d’une plainte dénonçant le régime juridique dont bénéficie Transformación Agraria SA (ci-après «Tragsa»).

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        L’article 1er de la directive 92/50 énonçait:

«Aux fins de la présente directive:

a)      les ‘marchés publics de services’ sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur […]

[…]

b)      sont considérés comme ‘pouvoirs adjudicateurs’, l’État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public, les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public.

[…]»

4        L’article 1er de la directive 93/36 prévoyait:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

a)      ‘marchés publics de fournitures’: des contrats conclus par écrit à titre onéreux ayant pour objet l’achat, le crédit-bail, la location ou la location-vente, avec ou sans option d’achat, de produits entre un fournisseur (personne physique ou morale), d’une part, et, d’autre part, un des pouvoirs adjudicateurs définis au point b). La livraison des produits peut comporter, à titre accessoire, des travaux de pose et d’installation;

b)      ‘pouvoirs adjudicateurs’: l’État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public et les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public.

[...]»

5        L’article 1er de la directive 93/37 était libellé comme suit:

«Aux fins de la présente directive:

a)      les ‘marchés publics de travaux’ sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre, d’une part, un entrepreneur et, d’autre part, un pouvoir adjudicateur défini au point b) et ayant pour objet soit l’exécution, soit conjointement l’exécution et la conception des travaux relatifs à une des activités visées à l’annexe II ou d’un ouvrage défini au point c), soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur;

b)      sont considérés comme ‘pouvoirs adjudicateurs’, l’État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public et les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public.

[…]»

 La réglementation nationale

 La législation sur les marchés publics

6        La loi 13/1995, du 18 mai 1995, relative aux marchés passés par les administrations publiques (BOE n° 119, du 19 mai 1995, p. 14601), dans sa version codifiée par le décret législatif royal 2/2000, du 16 juin 2000 (BOE n° 148, du 21 juin 2000, p. 21775, ci-après la «loi 13/1995»), énonce à son article 152:

«1.      L’administration peut effectuer des travaux par l’intermédiaire de ses propres services et de ses moyens personnels ou réels ou avec la coopération d’entrepreneurs privés, à condition, dans ce dernier cas, que le montant des travaux soit inférieur à […], dès lors que l’une des circonstances suivantes est présente:

a)      Lorsque l’administration dispose de fabriques, d’arsenaux, d’ateliers ou de services techniques ou industriels appropriés à la réalisation des travaux projetés, auquel cas ce système d’exécution doit normalement être utilisé.

[…]»

7        L’article 194 de la loi 13/1995 dispose:

«1.      L’administration peut fabriquer des biens meubles par l’intermédiaire de ses propres services et de ses moyens personnels ou réels ou avec la coopération d’entrepreneurs privés, à condition, dans ce dernier cas, que le montant des travaux soit inférieur aux limites fixées à l’article 177, paragraphe 2, dès lors que l’une des circonstances suivantes est présente:

a)      Lorsque l’administration dispose de fabriques, d’arsenaux, d’ateliers ou de services techniques ou industriels appropriés à la réalisation des travaux projetés, auquel cas ce système d’exécution doit normalement être utilisé.

[…]»

 Le régime juridique de Tragsa

8        La constitution de Tragsa a été autorisée par l’article 1er du décret royal 379/1977, du 21 janvier 1977 (BOE n° 65, du 17 mars 1977, p. 6202).

9        Le régime juridique de Tragsa institué par ledit décret royal a été successivement modifié jusqu’à l’adoption de la loi 66/1997, du 30 décembre 1997, portant mesures fiscales, administratives et d’ordre social (BOE n° 313, du 31 décembre 1997, p. 38589), telle que modifiée par les lois 53/2002, du 30 décembre 2002 (BOE n° 313, du 31 décembre 2002, p. 46086), et 62/2003, du 30 décembre 2003 (BOE n° 313, du 31 décembre 2003, p. 46874, ci-après la «loi 66/1997»).

10      Aux termes de l’article 88 de la loi 66/1997, intitulé «Régime juridique»:

«1.      [Tragsa] est une société d’État […] qui fournit des services essentiels en matière de développement rural et de conservation de l’environnement, conformément aux dispositions de la présente loi.

2.      Les communautés autonomes peuvent participer au capital social de Tragsa au moyen d’acquisitions d’actions, dont l’aliénation doit faire l’objet d’une autorisation du ministère des Finances, sur proposition du ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation et du ministère de l’Environnement.

3.      Tragsa a pour objet:

a)      la réalisation de tous types d’actions, de travaux et de prestation de services en matière d’agriculture, d’élevage, de forêts, de développement rural, de conservation et de protection du milieu naturel et de l’environnement, d’aquaculture et de pêche, ainsi que les actions nécessaires à l’amélioration de l’utilisation et de la gestion des ressources naturelles, notamment l’exécution de travaux de conservation et d’enrichissement du patrimoine historique espagnol en milieu rural […];

b)      l’élaboration d’études, de plans, de projets et de tout type de conseil et d’assistance technique et de formation en matière d’agriculture, de forêts, de développement rural, de protection et d’amélioration de l’environnement, d’aquaculture et de pêche, de conservation de la nature, ainsi qu’en matière d’utilisation et de gestion des ressources naturelles;

c)      l’activité agricole, d’élevage, forestière et d’aquaculture et la commercialisation de produits qui en sont issus, l’administration et la gestion de fermes, des montagnes, des centres agricoles, forestiers, environnementaux ou de protection de la nature, ainsi que la gestion des espaces et des ressources naturelles;

d)      la promotion, le développement et l’adaptation de nouvelles techniques, de nouveaux équipements et systèmes à caractère agricole, forestier, environnemental, aquacole ou de pêche, de protection de la nature et des systèmes visant à un usage raisonné de ressources naturelles;

e)      la fabrication et la commercialisation de biens meubles présentant ce même caractère;

f)      la prévention et la lutte contre les calamités et les maladies végétales et animales et contre les incendies de forêts ainsi que la réalisation de travaux et de tâches de soutien technique à caractère urgent;

g)      le financement de la construction ou de l’exploitation d’infrastructures agricoles, environnementales et des équipements des populations rurales ainsi que la constitution de sociétés et la participation dans des sociétés déjà constituées qui ont des fins en rapport avec l’objet social de l’entreprise;

h)      la réalisation, sur demande des tiers, d’actions, de travaux, d’assistance technique, de conseils et de prestations de services en matière rurale, agricole, forestière et environnementale, dans et hors du territoire national, directement ou à travers ses filiales.

4.      En tant que moyen instrumental propre et service technique de l’administration, Tragsa est tenue de réaliser, à titre exclusif, par elle-même ou par ses filiales, les travaux qui lui sont confiés par l’administration générale de l’État, les communautés autonomes et les organismes publics qui en dépendent, dans les matières qui constituent l’objet social de la société et, en particulier, ceux qui ont un caractère urgent ou qui sont ordonnés en raison des situations d’urgence qui sont constatées.

[…]

5.      Ni Tragsa ni ses filiales ne peuvent participer aux procédures d’adjudication de marchés mises en place par les autorités publiques dont elles sont le moyen. Cependant, en l’absence de tout soumissionnaire, Tragsa peut se voir confier l’exécution de l’activité objet de l’appel d’offres à caractère public.

6.      Le montant des gros œuvres, des travaux, des projets, des études et des fournitures réalisés au moyen de Tragsa est déterminé en appliquant aux tranches effectuées les tarifs correspondants, lesquels doivent être déterminés par l’autorité compétente. Lesdits tarifs sont calculés de sorte à refléter les coûts de réalisation réels et leur application aux tranches réalisées sert de justificatif de l’investissement ou des services réalisés.

7.      Les contrats de travaux, de fournitures, de conseils et d’assistance et de services que Tragsa et ses filiales passent avec des tiers restent soumis aux dispositions de la [loi 13/1995], en ce qui concerne la publicité, les procédures d’adjudication et les formes de celles-ci, à condition que le montant des marchés soit égal ou supérieur à ceux fixés aux articles 135, paragraphe 1, 177, paragraphe 2, et 203, paragraphe 2, de [ladite loi]».

11      Le décret royal 371/1999, du 5 mars 1999, déterminant le régime de Tragsa (BOE n° 64, du 16 mars 1999, p. 10605), précise le régime juridique, économique et administratif de cette société et de ses filiales dans leurs relations avec les administrations publiques en matière d’action administrative sur ou en dehors du territoire national, en leur qualité de moyen instrumental propre et de service technique de ces administrations.

12      Selon l’article 2 du décret royal 371/1999, le capital social de Tragsa est intégralement détenu par des personnes publiques.

13      L’article 3 dudit décret royal, intitulé «Régime juridique», dispose:

«1.      Tragsa et ses filiales sont un moyen instrumental propre et un service technique de l’administration générale de l’État et de celles de chacune des communautés autonomes concernées.

Les différents départements ou ministères des communautés autonomes des administrations publiques précitées, ainsi que les organismes qui en dépendent et les entités de toute nature qui leur sont liées en vue de la réalisation de leurs plans d’intervention, peuvent charger Tragsa ou ses filiales des travaux et des activités nécessaires à l’exercice de leurs compétences et missions, ainsi que les travaux et activités complémentaires ou accessoires conformément au régime établi par le présent décret royal.

2.      Tragsa et ses filiales sont tenues de réaliser les travaux et activités qui leur sont confiés par l’administration. Cette obligation vise, exclusivement, les commandes qui leur sont confiées en tant que moyen instrumental propre et service technique dans les matières qui relèvent de son objet social.

3.      Les interventions urgentes décidées dans le cadre de catastrophes ou de calamités de toute nature qui leur sont confiées par l’autorité compétente revêtent pour Tragsa et ses filiales, outre un caractère obligatoire, un caractère prioritaire.

Dans les situations d’urgence, dans lesquelles les autorités publiques doivent agir immédiatement, celles-ci pourront disposer directement de Tragsa et de ses filiales et leur ordonner les interventions nécessaires pour assurer la protection des personnes et des biens la plus efficace possible ainsi que l’entretien des services.

À cette fin, Tragsa et ses filiales seront intégrées aux dispositifs existants de prévention des risques ainsi qu’aux plans d’intervention et elles seront soumises aux protocoles d’application. Dans ce type de situations, elles mobiliseront, sur demande, tous les moyens dont elles disposent.

4.      Dans le cadre de leurs relations de collaboration ou de coopération avec d’autres administrations ou entités de droit public, les administrations publiques peuvent proposer les services de Tragsa et de ses filiales, considérées comme leur moyen instrumental propre, pour que lesdites autres administrations ou entités de droit public les utilisent en tant que leur moyen instrumental propre […]

5.      […] Les fonctions d’organisation, de tutelle et de contrôle concernant Tragsa et ses filiales, sont exercées par le ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation ainsi que par le ministre de l’Environnement.

6.      Les relations qu’entretiennent Tragsa et ses filiales avec les autorités publiques en tant que moyen propre et service technique sont de nature instrumentale et non contractuelle. Par conséquent, elles sont, à tous égards, de nature interne, dépendante et subordonnée.»

14      L’article 4 du décret royal 371/1999, intitulé «Régime économique», est libellé comme suit:

«1.      Conformément à l’article 3 du présent décret royal, en contrepartie des travaux, de l’assistance technique, des conseils, des livraisons et de la prestation de services qui lui sont confiés, Tragsa et ses filiales perçoivent un montant correspondant aux dépenses qu’elles ont engagées, par application du système de tarifs établi au présent article […]

2.      Les tarifs sont calculés et appliqués par tranches d’exécution et de façon à refléter les coûts réels et totaux de réalisation de celles-ci, qu’ils soient directs ou indirects.

[…]

7.      Les nouveaux tarifs, la modification de ceux qui existent ainsi que les procédures, mécanismes et formules de révision sont adoptés par chaque autorité publique dont Tragsa et ses filiales constituent le moyen propre et le service technique.

[…]»

15      Enfin, l’article 5 du décret royal 371/1999, intitulé «Régime administratif d’intervention», prévoit:

«1.      Les interventions obligatoires qui sont confiées à Tragsa ou à ses filiales font l’objet, selon le cas, de projets, mémoires ou autres documents techniques […]

2.      Avant de définir la commande, les organes compétents approuvent ces documents et suivent les procédures obligatoires, formalités techniques, juridiques, budgétaires et de contrôle et d’approbation de la dépense.

3.      La commande de chaque intervention obligatoire est communiquée formellement par l’administration à Tragsa ou à ses filiales, au moyen d’une demande contenant, outre les informations utiles, la dénomination de l’autorité, le délai de réalisation, son montant, le poste budgétaire correspondant et, le cas échéant, les annualités sur lesquels le financement a lieu et le montant respectif y afférent ainsi que le directeur désigné pour l’intervention à réaliser. […]

[…]»

  Le litige au principal et les questions préjudicielles

16      Les faits, tels qu’ils ressortent de la décision de renvoi, peuvent être résumés comme suit.

17      Le 23 février 1996, l’Asemfo a déposé une plainte contre Tragsa pour faire constater que cette dernière abuse de sa position dominante sur le marché espagnol des travaux, des services et des projets forestiers en raison du non-respect des procédures d’adjudication prévues par la loi 13/1995. Selon ladite association, le statut particulier de Tragsa permet à cette société d’exécuter un grand nombre d’opérations sur commande directe de l’administration, en violation des principes relatifs à la passation des marchés publics et à la libre concurrence, ce qui supprime toute concurrence sur le marché espagnol. Étant une entreprise publique au sens du droit communautaire, Tragsa ne pourrait pas bénéficier, sous le prétexte qu’il s’agit d’un service technique de l’administration, d’un traitement privilégié au regard des règles de passation des marchés publics.

18      Par décision de l’autorité compétente du 16 octobre 1997, ladite plainte a été rejetée au motif que Tragsa est un service propre de l’administration, qui ne dispose pas d’un pouvoir de décision autonome et est tenu d’exécuter les travaux qui lui sont commandés. Cette société œuvrant en dehors du marché, son activité ne relèverait donc pas du droit de la concurrence.

19      Ladite décision de rejet a fait l’objet d’un recours formé par l’Asemfo devant le Tribunal de Defensa de la Competencia. Par jugement du 30 mars 1998, cette juridiction a rejeté ce recours en considérant que les opérations effectuées par Tragsa sont réalisées par l’administration elle-même et que, dès lors, il ne pourrait y avoir violation du droit de la concurrence que si cette société agissait de manière autonome.

20      L’Asemfo a formé un recours contre ce jugement devant l’Audiencia Nacional qui, à son tour, a confirmé le jugement de première instance par un arrêt du 26 septembre 2001.

21      L’Asemfo s’est pourvue en cassation contre cet arrêt devant le Tribunal Supremo en soutenant que Tragsa, en tant qu’entreprise publique, ne saurait être qualifiée de service propre de l’administration, ce qui lui permettrait de déroger aux règles de passation des marchés publics, et que le régime juridique de cette société, tel que défini à l’article 88 de la loi 66/1997, ne saurait être compatible avec le droit communautaire.

22      Après avoir constaté que Tragsa constitue un moyen dont dispose l’administration et que cette société se borne à exécuter les ordres des pouvoirs publics, sans pouvoir les refuser ni fixer le prix de ses interventions, le Tribunal Supremo a éprouvé des doutes quant à la compatibilité du régime juridique de Tragsa avec le droit communautaire eu égard à la jurisprudence de la Cour sur l’applicabilité aux entreprises publiques des dispositions de celui-ci relatives à la passation des marchés publics et à la libre concurrence.

23      En outre, en rappelant que, dans son arrêt du 8 mai 2003, Espagne/Commission (C-349/97, Rec. p. I‑3851), la Cour a jugé, à propos de Tragsa, que cette société doit être considérée comme le moyen pour l’administration d’opérer directement, la juridiction de renvoi précise que, dans l’affaire dont elle est saisie, il y a des circonstances de fait qui n’ont pas été prises en compte par ledit arrêt, telles que la forte participation publique sur le marché des travaux agricoles, laquelle entraîne une distorsion importante de celui-ci, même si l’action de cette société est de jure étrangère au marché, dans la mesure où, d’un point de vue juridique, c’est l’administration qui opère.

24      C’est dans ces conditions que le Tribunal Supremo a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Eu égard à l’article 86, paragraphe 1, CE, un État membre de l’Union européenne peut-il attribuer ex lege à une entreprise publique un régime juridique lui permettant de réaliser des travaux publics sans être soumise au régime général de la passation des marchés publics par appels d’offres lorsqu’il n’y a pas une situation d’urgence ou un intérêt public particulier, tant au-dessous qu’au-dessus du seuil économique prévu par les directives européennes à cet égard [?]

2)      Un tel régime juridique est-il compatible avec les directives 93/36 […] et 93/37 […] et les directives 97/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1997 [JO L 328, p. 1], et 2001/78/CE de la Commission, [du 13 septembre 2001 (JO L 285, p. 1)], portant modification des directives antérieures, directive récemment modifiée par la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, [relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114)] [?]

3)      En tout état de cause, les solutions dégagées dans l’arrêt […] Espagne/Commission sont-elles applicables à Tragsa et à ses filiales, compte tenu de la jurisprudence de la Cour en matière de passation des marchés publics et du fait que l’administration charge Tragsa d’un grand nombre de travaux qui, dès lors, ne sont pas soumis au régime de la libre concurrence et que cette situation peut causer une distorsion significative du marché pertinent?».

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

25      Tragsa, le gouvernement espagnol et la Commission des Communautés européennes contestent la compétence de la Cour pour statuer sur la demande de décision préjudicielle et mettent en doute la recevabilité des questions posées par la juridiction de renvoi en invoquant plusieurs arguments.

26      Tout d’abord, ces questions porteraient seulement sur l’appréciation de mesures nationales et, partant, elles ne relèveraient pas de la compétence de la Cour.

27      Ensuite, lesdites questions seraient hypothétiques dans la mesure où elles viseraient à répondre à des problèmes non pertinents et étrangers à la solution du litige au principal. Si le seul moyen pertinent invoqué par l’Asemfo était la violation des règles concernant la passation des marchés publics, une telle violation ne saurait par elle-même permettre d’affirmer que Tragsa abuse d’une position dominante sur le marché. En outre, il ne semblerait pas que la Cour puisse être amenée à interpréter les directives relatives à la passation des marchés publics dans le cadre d’une procédure nationale visant à vérifier si cette société a abusé d’une prétendue position dominante.

28      Enfin, la décision de renvoi ne contiendrait aucune information relative au marché pertinent et à la prétendue position dominante de Tragsa sur celui-ci. Elle ne contiendrait pas non plus un raisonnement détaillé au sujet de la question de l’applicabilité de l’article 86 CE et ne mentionnerait rien sur l’application combinée de ce dernier avec l’article 82 CE.

29      Il convient de rappeler en premier lieu que, selon une jurisprudence constante, même s’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’une procédure introduite en vertu de l’article 234 CE, sur la compatibilité de normes de droit interne avec les dispositions du droit communautaire, l’interprétation de ces normes appartenant aux juridictions nationales, la Cour demeure compétente pour fournir à celles-ci tous les éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui leur permettent d’apprécier la compatibilité de telles normes avec la réglementation communautaire (arrêt du 19 septembre 2006, Wilson, C‑506/04, non encore publié au Recueil, points 34 et 35 ainsi que jurisprudence citée).

30      En deuxième lieu, en vertu d’une jurisprudence également constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales telle que prévue à l’article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire pendante devant lui, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l’interprétation d’une disposition de droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 1er avril 2004, Bellio F.lli, C‑286/02, Rec. p. I‑3465, point 27, et du 14 décembre 2006, Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, C‑217/05, non encore publié au Recueil, points 16 et 17 ainsi que jurisprudence citée).

31      En troisième lieu, selon une jurisprudence bien établie, le rejet d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit communautaire n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou encore lorsque le problème est de nature hypothétique ou que la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado, C‑238/05, non encore publié au Recueil, point 17 et jurisprudence citée).

32      En outre, la Cour a également jugé que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (arrêts du 9 novembre 2006, Nemec, C‑205/05, non encore publié au Recueil, point 25, et Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, précité, point 26 et jurisprudence citée).

33      À cet égard, selon la jurisprudence de la Cour, il est indispensable que le juge national donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions communautaires dont il demande l’interprétation et sur le lien qu’il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige (arrêts Nemec, précité, point 26, et du 5 décembre 2006, Cipolla e.a., C‑94/04 et C‑202/04, non encore publié au Recueil, point 38).

34      Dans l’affaire au principal, s’il est certes vrai que la Cour ne saurait se prononcer en tant que telle sur la compatibilité du régime juridique de Tragsa avec le droit communautaire, rien ne l’empêche de fournir les éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui permettront à la juridiction de renvoi de statuer elle-même sur la compatibilité du régime juridique de Tragsa avec le droit communautaire.

35      Dans ces conditions, il convient d’examiner si, à la lumière de la jurisprudence rappelée aux points 31 à 33 du présent arrêt, la Cour dispose des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de manière utile aux questions qui lui sont posées.

36      Pour ce qui concerne les deuxième et troisième questions, il importe de relever que la décision de renvoi expose, de manière brève mais précise, les faits à l’origine du litige au principal et les dispositions pertinentes du droit national applicable.

37      En effet, il ressort clairement de cette décision que ce litige est survenu à la suite d’une plainte déposée par l’Asemfo au sujet du statut juridique de Tragsa, cette dernière pouvant, selon la requérante au principal, exécuter un grand nombre d’opérations sur commande directe de l’administration, et ce sans que les règles en matière de publicité énoncées dans les directives relatives à la passation des marchés publics soient respectées. Dans le cadre de cette procédure, l’Asemfo soutient également que, étant une entreprise publique, Tragsa ne saurait bénéficier, sous le prétexte qu’il s’agit d’un service technique de l’administration, d’un traitement privilégié au regard des règles de passation des marchés publics.

38      En outre, dans le cadre des deuxième et troisième questions, la décision de renvoi explicite en se référant à la jurisprudence de la Cour, d’une part, les raisons pour lesquelles la juridiction de renvoi sollicite l’interprétation des directives relatives à la passation des marchés publics ainsi que, d’autre part, le lien entre la réglementation communautaire pertinente et la législation nationale applicable en la matière.

39      Pour ce qui est de la première question qui porte sur le point de savoir si l’article 86, paragraphe 1, CE s’oppose au régime juridique de Tragsa, il y a lieu de rappeler que, selon cet article, les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du traité CE, notamment celles prévues aux articles 12 CE et 81 CE à 89 CE inclus.

40      Il résulte des termes clairs de l’article 86, paragraphe 1, CE que celui-ci n’a pas de portée autonome en ce sens qu’il doit être lu en combinaison avec les règles pertinentes du traité.

41      Il découle de la décision de renvoi que la disposition pertinente visée par la juridiction de renvoi est l’article 86, paragraphe 1, CE en liaison avec l’article 82 CE.

42      À cet égard, il convient de constater qu’il n’existe pas d’indication précise dans la décision de renvoi concernant l’existence d’une position dominante, l’exploitation abusive de celle-ci par Tragsa et l’incidence d’une telle position sur le commerce entre les États membres.

43      En outre, il semble que, par la première question, la juridiction de renvoi vise, en substance, les opérations susceptibles d’être qualifiées de marchés publics, prémisse sur laquelle la Cour est, en tout état de cause, invitée à statuer dans le cadre de la deuxième question.

44      Il résulte donc de ce qui précède que, contrairement aux deuxième et troisième questions, la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de manière utile à la première question.

45      Il s’ensuit que, si la première question doit être déclarée irrecevable, la demande de décision préjudicielle est recevable s’agissant des deux autres questions.

 Sur le fond

 Sur la deuxième question

46      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si les directives 93/36 et 93/37, telles que modifiées par les directives 97/52, 2001/78 et 2004/18, s’opposent à un régime juridique tel que celui dont bénéficie Tragsa, qui lui permet de réaliser des opérations sans être soumise au régime prévu par lesdites directives.

47      À titre liminaire, il y a lieu de constater que, nonobstant les références faites par la juridiction de renvoi aux directives 97/52, 2001/78 et 2004/18, il convient, compte tenu tant du contexte et de la date des faits du litige au principal que de la nature des activités de Tragsa telle que précisée à l’article 88, paragraphe 3, de la loi 66/1997, d’examiner cette deuxième question au regard des règles énoncées dans les directives relatives à la passation des marchés publics, à savoir les directives 92/50, 93/36 et 93/37, qui sont pertinentes en l’occurrence.

48      À cet égard, il convient de rappeler que, selon les définitions données à l’article 1er, sous a), des directives mentionnées au point précédent, un marché public de services, de fournitures ou de travaux suppose l’existence d’un contrat à titre onéreux, conclu par écrit entre, d’une part, un prestataire de services, un fournisseur ou un entrepreneur et, d’autre part, un pouvoir adjudicateur au sens de ce même article 1er, sous b), desdites directives.

49      En l’espèce il convient de constater, tout d’abord, que, aux termes de l’article 88, paragraphes 1 et 2, de la loi 66/1997, Tragsa est une société d’État au capital social de laquelle peuvent également participer les communautés autonomes. Le paragraphe 4 du même article 88 et l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du décret royal 371/1999 précisent que Tragsa est un moyen instrumental propre et un service technique de l’administration générale de l’État et de celles de chacune des communautés autonomes concernées.

50      Ensuite, ainsi qu’il résulte des articles 3, paragraphes 2 à 5, et 4, paragraphes 1, 2 et 7, du décret royal 371/1999, Tragsa est tenue de réaliser les commandes qui lui sont confiées par l’administration générale de l’État, les communautés autonomes et les organismes publics qui dépendent de ces dernières, dans les domaines qui relèvent de son objet social, et elle ne dispose pas de la possibilité de fixer librement le tarif de ses interventions.

51      Enfin, selon l’article 3, paragraphe 6, dudit décret royal, les relations de Tragsa avec lesdites collectivités publiques, en tant que cette société constitue un moyen instrumental propre et un service technique de celles-ci, sont non pas de nature contractuelle, mais, à tous égards, de nature interne, dépendante et subordonnée.

52      Asemfo soutient que la relation juridique qui découle des commandes que reçoit Tragsa, bien qu’elle ait formellement un caractère unilatéral, traduit en réalité, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour, un lien contractuel incontestable avec le commanditaire. Elle se réfère, à cet égard, à l’arrêt du 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti e.a. (C‑399/98, Rec. p. I‑5409). Dans ces conditions, même si Tragsa semble agir sur commande des autorités publiques, elle serait en réalité un cocontractant de l’administration, de sorte que les règles de passation des marchés publics devraient être appliquées.

53      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, au point 205 de l’arrêt Espagne/Commission, précité, la Cour a considéré, dans un contexte différent de celui de l’affaire au principal, que, en tant que moyen instrumental et service technique de l’administration espagnole, Tragsa est tenue d’effectuer, à titre exclusif, par elle-même ou par l’intermédiaire de ses filiales, les travaux que lui confient l’administration générale de l’État, les communautés autonomes et les organismes publics dépendant de celles-ci.

54      Il convient d’observer que, si Tragsa ne dispose d’aucune liberté, ni quant à la suite à donner à une commande faite par les autorités compétentes en cause ni quant au tarif applicable à ses prestations, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, la condition d’applicabilité des directives concernées relative à l’existence d’un contrat ne serait pas remplie.

55      En tout état de cause, il importe de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, l’appel à la concurrence, conformément aux directives relatives à la passation des marchés publics, n’est pas obligatoire, même si le cocontractant est une entité juridiquement distincte du pouvoir adjudicateur, lorsque deux conditions sont remplies. D’une part, l’autorité publique, qui est un pouvoir adjudicateur, doit exercer sur l’entité distincte en question un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et, d’autre part, cette entité doit réaliser l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités publiques qui la détiennent (voir arrêts du 18 novembre 1999, Teckal, C‑107/98, Rec. p. I‑8121, point 50; du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau, C‑26/03, Rec. p. I‑1, point 49; du 13 janvier 2005, Commission/Espagne, C‑84/03, Rec. p. I‑139, point 38; du 10 novembre 2005, Commission/Autriche, C‑29/04, Rec. p. I‑9705, point 34, et du 11 mai 2006, Carbotermo et Consorzio Alisei, C‑340/04, Rec. p. I‑4137, point 33).

56      Dès lors, il convient d’examiner si les deux conditions exigées par la jurisprudence mentionnée au point précédent sont remplies à l’égard de Tragsa.

57      S’agissant de la première condition, relative au contrôle de l’autorité publique, il résulte de la jurisprudence de la Cour que la circonstance que le pouvoir adjudicateur détient seul ou ensemble avec d’autres pouvoirs publics, la totalité du capital d’une société adjudicataire tend à indiquer, en principe, que ce pouvoir adjudicateur exerce sur cette société un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services (arrêt Carbotermo et Consorzio Alisei, précité, point 37).

58      Dans l’affaire au principal, il résulte du dossier, et sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que 99 % du capital social de Tragsa est détenu par l’État espagnol lui-même ainsi que par l’intermédiaire d’une société holding et d’un fonds de garantie, et que quatre communautés autonomes, disposant chacune d’une action, détiennent 1 % dudit capital.

59      À cet égard, ne saurait être retenue la thèse selon laquelle ladite condition ne serait remplie que pour les marchés réalisés sur commande de l’État espagnol, à l’exclusion de ceux ayant fait l’objet d’une commande des communautés autonomes au regard desquelles Tragsa devrait être considérée comme un tiers.

60      En effet, il paraît découler des articles 88, paragraphe 4, de la loi 66/1997 ainsi que 3, paragraphes 2 à 6, et 4, paragraphes 1 et 7, du décret royal 371/1999 que Tragsa est tenue de réaliser les commandes qui lui sont confiées par les pouvoirs publics, y compris les communautés autonomes. Il semble également résulter de cette réglementation nationale que, comme en ce qui concerne l’État espagnol, dans le cadre de ses activités avec ces dernières en tant que moyen instrumental propre et service technique, Tragsa ne dispose pas de la possibilité de fixer librement le tarif de ses interventions et que ses rapports avec lesdites communautés ne sont pas de nature contractuelle.

61      Il semble donc que Tragsa ne saurait être considérée comme un tiers par rapport aux communautés autonomes qui détiennent une partie de son capital.

62      S’agissant de la seconde condition, relative au fait que l’essentiel de l’activité de Tragsa doit être réalisé avec la ou les collectivités publiques qui possèdent cette société, il résulte de la jurisprudence que, dans le cas où plusieurs collectivités détiennent une entreprise, ladite condition peut être satisfaite si cette entreprise effectue l’essentiel de son activité non pas nécessairement avec telle ou telle de ces collectivités, mais avec ces dernières prises dans leur ensemble (arrêt Carbotermo et Consorzio Alisei, précité, point 70).

63      Dans l’affaire au principal, ainsi qu’il résulte du dossier, Tragsa réalise plus de 55 % en moyenne de son activité avec les communautés autonomes et près de 35 % de celle-ci avec l’État. Il apparaît ainsi que l’essentiel de l’activité de cette société est réalisé avec les collectivités et les organismes publics qui la détiennent.

64      Dans ces conditions, et sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il y a lieu de considérer que les deux conditions requises par la jurisprudence citée au point 55 du présent arrêt sont remplies en l’espèce.

65      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre à la deuxième question que les directives 92/50, 93/36 et 93/37 ne s’opposent pas à un régime juridique tel que celui dont bénéficie Tragsa, qui lui permet, en tant qu’entreprise publique agissant en sa qualité de moyen instrumental propre et service technique de plusieurs autorités publiques, de réaliser des opérations sans être soumise au régime prévu par lesdites directives, dès lors que, d’une part, les autorités publiques concernées exercent sur cette entreprise un contrôle analogue à celui qu’elles exercent sur leurs propres services et que, d’autre part, une telle entreprise réalise l’essentiel de son activité avec ces mêmes autorités.

 Sur la troisième question

66      Eu égard à la réponse donnée à la deuxième question posée par la juridiction de renvoi, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

 Sur les dépens

67      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

Les directives 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures, et 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, ne s’opposent pas à un régime juridique tel que celui dont bénéficie Transformación Agraria SA, qui lui permet, en tant qu’entreprise publique agissant en sa qualité de moyen instrumental propre et service technique de plusieurs autorités publiques, de réaliser des opérations sans être soumise au régime prévu par lesdites directives, dès lors que, d’une part, les autorités publiques concernées exercent sur cette entreprise un contrôle analogue à celui qu’elles exercent sur leurs propres services et que, d’autre part, une telle entreprise réalise l’essentiel de son activité avec ces mêmes autorités.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.