Language of document : ECLI:EU:C:2009:357

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

9 juin 2009 (*)

«Manquement d’État – Directive 92/50/CEE – Absence de procédure formelle de passation de marché européenne pour l’attribution de services de traitement des déchets – Coopération entre collectivités locales»

Dans l’affaire C‑480/06,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 24 novembre 2006,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. X. Lewis et B. Schima, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. M. Lumma et Mme C. Schulze-Bahr, en qualité d’agents, assistés de Me C. von Donat, Rechtsanwalt,

partie défenderesse,

soutenue par:

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme C. M. Wissels et M. Y. de Vries, en qualité d’agents,

République de Finlande, représentée par M. J. Heliskoski, en qualité d’agent,

parties intervenantes,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, K. Lenaerts et J.-C. Bonichot (rapporteur), présidents de chambre, MM. A. Borg Barthet, J. Malenovský, J. Klučka et U. Lõhmus, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 novembre 2008,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 19 février 2009,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, au motif que les Landkreise (circonscriptions administratives) de Rotenburg (Wümme), de Harburg, de Soltau-Fallingbostel et de Stade ont conclu directement un marché relatif à l’élimination des déchets avec les services de voirie de la ville de Hambourg sans que ce marché de services ait fait l’objet d’un appel d’offres dans le cadre d’une procédure formelle à l’échelle de la Communauté européenne, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 8 et des titres III à VI de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1).

 Le cadre juridique

 Le droit communautaire

2        L’article 1er de la directive 92/50 dispose:

«Aux fins de la présente directive:

a)      les ‘marchés publics de services’ sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur […]

b)      sont considérés comme ‘pouvoirs adjudicateurs’, l’État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public, les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public.»

Par ‘organisme de droit public’, on entend tout organisme:

–        créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial

et

–        ayant la personnalité juridique

et

–        dont, soit l’activité est financée majoritairement par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public.

[…]

c)      le ‘prestataire de services’ est toute personne physique ou morale, y inclus un organisme public, qui offre des services. Le prestataire de services qui a présenté une offre est désigné par le mot ‘soumissionnaire’; celui qui a sollicité une invitation à participer à une procédure restreinte ou négociée est désigné par le mot ‘candidat’ […]»

3        Aux termes de l’article 11, paragraphe 3, sous b), de la directive 92/50:

«Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés publics de services en recourant à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché dans les cas suivants:

[…]

b)      pour les services dont l’exécution, pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité, ne peut être confiée qu’à un prestataire déterminé».

 Les faits à l’origine du recours et la procédure précontentieuse

4        Quatre Landkreise de Basse-Saxe, à savoir ceux de Rotenburg (Wümme), de Harburg, de Soltau-Fallingbostel et de Stade, ont conclu le 18 décembre 1995 avec les services de voirie de la ville de Hambourg un contrat relatif à l’élimination de leurs déchets dans la nouvelle installation de valorisation thermique de Rugenberger Damm, d’une capacité de 320 000 tonnes, qui est destinée à produire à la fois de l’électricité et de la chaleur et dont la construction devait être achevée pour le 15 avril 1999.

5        Par ce contrat, les services de voirie de la ville de Hambourg réservent une capacité de 120 000 tonnes aux quatre Landkreise en cause, pour un prix calculé selon la même formule pour les parties pour chacune des parties concernées. Ce prix est payé à l’exploitant de l’installation, cocontractant des services de voirie de la ville de Hambourg, par l’intermédiaire de ces services de voirie. La durée du contrat est de vingt ans. Les parties sont convenues d’ouvrir des négociations cinq ans au plus tard avant la fin du même contrat pour décider de sa prolongation.

6        Le contrat en cause a été conclu directement entre les quatre Landkreise et les services de voirie de la ville de Hambourg sans que la procédure d’appel d’offres prévue par la directive 92/50 fût suivie.

7        Par une lettre de mise en demeure envoyée le 30 mars 2004, conformément à l’article 226, premier alinéa, CE, la Commission a signalé aux autorités allemandes que, en concluant directement un contrat relatif à l’élimination des déchets sans recourir à la procédure de marché non plus qu’à une adjudication au niveau européen, la République fédérale d’Allemagne avait méconnu les dispositions combinées de l’article 8 et des titres III à VI de la directive 92/50.

8        Par une lettre du 30 juin 2004 adressée à la Commission, la République fédérale d’Allemagne a fait valoir que le contrat en question finalisait un accord sur l’exécution en commun d’une mission de service public qui incombait aux Landkreise concernés et à la ville de Hambourg. Cet État membre a expliqué que l’opération de coopération communale en cause, ayant pour objet une activité se déroulant dans la sphère de l’État, n’affectait pas le marché et ne relevait donc pas du droit des marchés publics.

9        Considérant, malgré ces explications, que les Landkreise concernés constituaient des pouvoirs adjudicateurs publics, que le contrat relatif à l’élimination des déchets était un contrat de services à titre onéreux, conclu par écrit, qui dépassait le seuil fixé pour l’application de la directive 92/50 et que, par conséquent, il relevait du champ d’application de cette directive, la Commission a adressé, le 22 décembre 2004, un avis motivé à la République fédérale d’Allemagne, conformément à l’article 226, premier alinéa, CE.

10      Par une lettre du 25 avril 2005, la République fédérale d’Allemagne a maintenu l’argumentation invoquée précédemment.

11      Considérant que ladite argumentation ne permettait pas de réfuter les griefs formulés dans l’avis motivé, la Commission a décidé, en vertu de l’article 226, deuxième alinéa, CE, d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

12      La Commission fait valoir, en premier lieu, que les Landkreise concernés doivent être considérés comme des pouvoirs adjudicateurs au sens de la directive 92/50 et que le contrat en cause est un contrat conclu à titre onéreux, par écrit, dépassant le seuil fixé pour l’application de cette directive. En outre, l’élimination des déchets serait une activité qualifiée de «service» au sens de la catégorie 16 figurant à l’annexe I A de ladite directive.

13      La République fédérale d’Allemagne considère, quant à elle, que le contrat en cause est l’aboutissement d’une opération interne à l’administration et que, par conséquent, il ne se situe pas dans le champ d’application de la directive 92/50.

14      Selon cet État membre, les cocontractants concernés doivent être considérés comme se fournissant une assistance administrative dans l’accomplissement d’une mission de service public. En ce sens, les services de voirie de la ville de Hambourg pourraient être regardés non pas comme un prestataire de services agissant contre paiement d’une rémunération, mais comme un organisme de droit public responsable de l’élimination des déchets, offrant une assistance administrative à des collectivités publiques voisines contre remboursement de ses coûts de fonctionnement.

15      À cet égard, le Royaume des Pays-Bas, comme la République fédérale d’Allemagne, se fonde sur les points 16 et 17 de l’arrêt du 3 octobre 2000, University of Cambridge (C‑380/98, Rec. p. I‑8035) pour en déduire que la notion de «prestation de services» doit être entendue comme visant exclusivement les prestations de services pouvant être offertes sur le marché par des opérateurs sous certaines conditions déterminées.

16      Or, le contenu du contrat en cause irait, selon ces deux États membres, au-delà de ce que prévoit un «marché de services» au sens de la directive 92/50, puisqu’il impose aux Landkreise concernés, en contrepartie du traitement des déchets dans l’installation de Rugenberger Damm, de mettre, à un tarif convenu, à la disposition des services de voirie de la ville de Hambourg les capacités de mise en décharge qu’elles n’utilisent pas elles-mêmes afin de pallier le manque de capacités de mise en décharge auquel la ville de Hambourg doit faire face.

17      La République fédérale d’Allemagne souligne également que ce rapport juridique est qualifié dans le préambule dudit contrat d’«accord de coopération régionale en vue de l’élimination des déchets». Il permettrait la mise en place d’une coopération entre les parties contractantes qui, en cas de nécessité, se prêteraient assistance dans le cadre de l’exécution de leur obligation légale d’élimination des déchets et qui, de ce fait, accompliraient cette mission en commun dans la région concernée. Il serait ainsi prévu que dans certaines circonstances, les Landkreise concernés s’engagent à réduire, pendant un laps de temps déterminé, la quantité de déchets livrés en cas de dysfonctionnement de l’installation de traitement. Elles accepteraient ainsi de restreindre leur droit à l’exécution du contrat.

18      Selon la Commission, les services fournis en l’espèce ne peuvent être considérés comme constituant une assistance administrative dans la mesure où les services de voirie exercent leurs activités non pas en vertu d’une loi ou d’autres actes unilatéraux, mais sur la base d’un contrat.

19      La Commission ajoute que les seules exceptions permises à l’application des directives sur le droit des marchés publics sont celles qui sont limitativement et expressément mentionnées dans celles-ci [voir arrêt du 18 novembre 1999, Teckal, C‑107/98, Rec. p. I‑8121, point 43, à propos de la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 199, p. 1)]. Selon elle, dans l’arrêt du 13 janvier 2005, Commission/Espagne (C‑84/03, Rec. p. I‑139, points 38 à 40), la Cour a confirmé que les contrats de coopération horizontale conclus par des collectivités territoriales, tels que celui visé en l’espèce, sont soumis au droit des marchés publics.

20      La République fédérale d’Allemagne conteste cette interprétation de l’arrêt Commission/Espagne, précité, considérant que, dans l’affaire à l’origine de ce dernier, la Cour n’a pas expressément jugé que tous les accords conclus entre des organismes administratifs relevaient du droit des marchés publics, mais a uniquement reproché au Royaume d’Espagne une exclusion générale des accords conclus entre organismes de droit public du champ d’application de ce droit.

21      La Commission exclut, en deuxième lieu, que la République fédérale d’Allemagne puisse se prévaloir de l’exception «in house», selon laquelle ne relèvent pas du champ d’application des directives en matière de passation des marchés publics les contrats passés par un pouvoir adjudicateur lorsque, d’une part, l’entité publique exerce sur son cocontractant, personne juridiquement distincte de celle-ci, un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et dans la mesure, d’autre part, où cette personne réalise l’essentiel de son activité avec l’entité publique (voir, en ce sens, arrêt Teckal, précité, points 49 et 50). Selon la Commission, la condition relative à l’existence d’un tel contrôle fait défaut en l’espèce, car aucun des pouvoirs adjudicateurs concernés n’exerce de pouvoir sur la gestion des services de voirie de la ville de Hambourg.

22      La République fédérale d’Allemagne considère, au contraire, que, dans le cadre de la région métropolitaine de Hambourg, l’exigence relative à l’intensité du contrôle exercé, qui doit être mesurée à l’aune de l’intérêt public (voir, en ce sens, arrêt du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau, C‑26/03, Rec. p. I‑1, point 50), est satisfaite puisque les administrations concernées exercent l’une sur l’autre un contrôle réciproque. Une divergence par rapport aux objectifs définis en commun entraînerait une cessation de la coopération dans son ensemble. Or, le principe «un donné pour un rendu» impliquerait que les services de voirie de la ville de Hambourg comme les Landkreise concernés ont intérêt au maintien d’une telle coopération et, par conséquent, au respect des objectifs définis en commun.

23      Se fondant sur l’arrêt du 19 avril 2007, Asemfo (C‑295/05, Rec. p. I‑2999), le Royaume des Pays-Bas estime que la condition relative à l’intensité du contrôle exercé peut être remplie même si le contrôle que l’entité publique concernée exerce est plus limité que celui exercé sur ses propres services. Il ne considère pas que cette condition implique un contrôle identique. Seul un contrôle similaire serait exigé.

24      Selon la Commission, cet arrêt n’a pas pour effet d’assouplir la jurisprudence résultant de l’arrêt Teckal, précité. Il précise uniquement que le critère relatif à l’intensité du contrôle exercé peut également être rempli lorsqu’un cadre juridique spécifique établit une relation de dépendance et de subordination permettant l’exercice d’un contrôle analogue par plusieurs pouvoirs adjudicateurs, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

25      En troisième lieu, la Commission considère que la République fédérale d’Allemagne n’a pas apporté la preuve que, pour des raisons techniques, seuls les services de voirie de la ville de Hambourg étaient en mesure de conclure le contrat en cause et, par conséquent, qu’elle pouvait se prévaloir de la dérogation prévue à l’article 11, paragraphe 3, sous b), de la directive 92/50.

26      La République fédérale d’Allemagne fait valoir que, si un appel d’offres avait été réalisé, les services de voirie de la ville de Hambourg n’auraient pas nécessairement été en mesure de soumissionner, car, en 1994, cette ville n’avait pas une capacité de valorisation des déchets l’incitant à prendre part à un tel appel d’offres. Ce n’est qu’au regard du besoin des Landkreise concernés de valoriser leurs déchets, besoin connu ultérieurement, et de l’assurance que ceux-ci utiliseraient une future centrale que la construction de l’installation de Rugenberger Damm aurait été envisagée.

27      Cet État membre souligne également que lesdits Landkreise avaient l’assurance d’une mise en service, dans un délai prévisible, de l’installation projetée par les services de voirie de la ville de Hambourg, assurance qu’aucun autre soumissionnaire n’aurait pu offrir.

28      En quatrième lieu, la Commission rejette l’argumentation de la République fédérale d’Allemagne selon laquelle l’application de la directive 92/50 doit être écartée, en vertu de l’article 86, paragraphe 2, CE, lorsque, comme en l’espèce, elle conduit à faire échec à l’accomplissement par des organismes publics de la mission d’élimination des déchets qui leur a été impartie.

29      La République fédérale d’Allemagne considère en effet que l’interprétation de la directive 92/50 donnée par la Commission aboutirait, d’une part, à ce que les Landkreise concernés ne puissent charger les services de voirie de la ville de Hambourg de l’élimination des déchets, laquelle constitue une mission d’intérêt général au niveau communautaire, et soient contraints de confier cette mission à l’opérateur fournissant l’offre économiquement la plus avantageuse, sans aucune garantie que le service public soit exécuté d’une façon satisfaisante et pérenne, et, d’autre part, à ce que les capacités de la nouvelle centrale ne soient pas utilisées d’une manière rentable.

30      Cet État membre rappelle que, sans la conclusion du contrat litigieux, aucune des parties n’auraient été en mesure d’accomplir sa mission publique. La ville de Hambourg, notamment, n’aurait pu procéder à la construction d’une installation dotée de surcapacités pour ensuite tenter, sans aucune assurance de résultat, de vendre, pour des raisons économiques, les capacités non utilisées sur le marché.

 Appréciation de la Cour

31      Il convient de rappeler, à titre liminaire, que le recours de la Commission porte sur le seul contrat passé entre les services de voirie de la ville de Hambourg et quatre Landkreise voisins et destiné à assurer la mutualisation du traitement de leurs déchets, et non pas sur le contrat par lequel doivent être fixées les relations entre les services de voirie de la ville de Hambourg et l’exploitant de l’installation de traitement des déchets de Rugenberger Damm.

32      Selon l’article 1er, sous a), de la directive 92/50, les marchés publics de services sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et l’un des pouvoirs adjudicateurs énumérés à l’article 1er, sous b), de cette directive, au nombre desquels figurent les collectivités territoriales, tels les Landkreise en cause dans le présent recours en manquement.

33      Aux termes de l’article 1er, sous c), de cette même directive, le cocontractant prestataire de services peut être «toute personne physique ou morale, y inclus un organisme de droit public». Ainsi, la circonstance que le prestataire de services soit une entité publique distincte du bénéficiaire des services ne fait pas obstacle à l’application de la directive 92/50 (voir, en ce sens, arrêt Commission/Espagne, précité, point 40, au sujet d’un marché public de fournitures et de travaux).

34      Il ressort toutefois de la jurisprudence de la Cour que l’appel à la concurrence n’est pas obligatoire dans l’hypothèse où l’autorité publique, qui est un pouvoir adjudicateur, exerce sur l’entité distincte en question un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services, à condition que cette entité réalise avec elle ou avec d’autres collectivités territoriales qui la détiennent l’essentiel de son activité (voir, en ce sens, arrêts précités Teckal, point 50, et Stadt Halle et RPL Lochau, point 49).

35      De même, la Cour a jugé, s’agissant de l’attribution, par une commune, d’une délégation de service public à une société coopérative intercommunale dont l’objet est exclusivement de rendre des services aux communes affiliées, que celle-ci pouvait légalement avoir lieu sans appel à la concurrence, car elle a estimé que, malgré les aspects autonomes de la gestion de cette coopérative par son conseil d’administration, les communes affiliées devaient être regardées comme en exerçant ensemble le contrôle (voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 2008, Coditel Brabant, C-324/07, non encore publié au Recueil, point 41).

36      Toutefois, il est constant, en l’espèce, que les quatre Landkreise concernés n’exercent aucun contrôle qui pourrait être qualifié d’analogue à celui qu’ils exercent sur leurs propres services, que ce soit sur leur cocontractant, à savoir les services de voirie de la ville de Hambourg, ou encore sur l’exploitant de l’installation thermique de Rugenberger Damm, qui est une société dont le capital est constitué partiellement par des fonds privés.

37      Cependant, il y a lieu de relever que le contrat litigieux instaure une coopération entre collectivités locales ayant pour objet d’assurer la mise en œuvre d’une mission de service public qui est commune à ces dernières, à savoir l’élimination de déchets. Il y a lieu de rappeler que cette mission se rattache à la mise en œuvre de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39), qui oblige les États membres à établir des plans de gestion des déchets prévoyant, en particulier, «les mesures appropriées pour encourager la rationalisation de la collecte, du tri et du traitement des déchets», l’une des plus importantes de ces mesures étant, en vertu de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991, modifiant la directive 75/442 (JO L 78, p. 32), la recherche d’un traitement des déchets dans une installation la plus proche possible.

38      En outre, il est constant que le contrat passé entre les services de voirie de la ville de Hambourg et les Landkreise concernés doit être analysé comme l’aboutissement d’une démarche de coopération intercommunale entre les parties à celui-ci et qu’il comporte des exigences propres à assurer la mission d’élimination des déchets. Il a, en effet, pour objet de permettre à la ville de Hambourg de construire et de faire exploiter une installation de traitement de déchets dans les conditions économiques les plus favorables grâce aux apports en déchets des Landkreise voisins, ce qui permet d’atteindre une capacité de 320 000 tonnes. La construction de cette installation n’a, pour cette raison, été décidée et réalisée qu’après l’accord des quatre Landkreise concernés d’utiliser la centrale et leur engagement correspondant.

39      L’objet de ce contrat, tel qu’il est expressément indiqué dans ses premières stipulations, consiste principalement dans l’engagement des services de voirie de la ville de Hambourg de mettre à la disposition des quatre Landkreise concernés, chaque année, une capacité de traitement de 120 000 tonnes de déchets en vue de leur valorisation thermique dans l’installation de Rugenberger Damm. Ainsi qu’il est ensuite précisé dans le contrat, les services de voirie de la ville de Hambourg n’assument nullement la responsabilité de l’exploitation de cette installation et n’offrent aucune garantie à cet égard. En cas d’arrêt ou de disfonctionnement de l’installation, leurs obligations se limitent à offrir des capacités de remplacement, cette obligation étant toutefois conditionnée à deux égards. D’une part, l’élimination des déchets de la ville de Hambourg doit être assurée en priorité et, d’autre part, des capacités doivent être disponibles dans d’autres installations auxquelles les services de voirie de la ville de Hambourg ont accès.

40      En contrepartie du traitement de leurs déchets dans l’installation de Rugenberger Damm, tel qu’il est décrit au point précédent du présent arrêt, les quatre Landkreise concernés versent, aux services de voirie de la ville de Hambourg, une rémunération annuelle dont le mode de calcul et les modalités de paiement sont déterminés dans le contrat Les capacités de livraison et de prise en charge des déchets sont arrêtées, pour chaque semaine, entre les services de voirie de la ville de Hambourg et un interlocuteur désigné par ces Landkreise. Il ressort en outre du contrat que les services de voirie de la ville de Hambourg, qui disposent à l’encontre de l’exploitant de ladite installation d’un droit au versement de dommages et intérêts, s’engagent, dans l’hypothèse où lesdits Landkreise auraient subi un préjudice, à défendre les intérêts de ces derniers vis-à-vis de l’exploitant, y compris, le cas échéant, par la voie d’un recours en justice.

41      Le contrat en cause prévoit également certains engagements des collectivités locales contractantes directement en rapport avec l’objet du service public. En effet, si la ville de Hambourg prend en charge la plupart des services faisant l’objet du contrat conclu entre elle et les quatre Landkreise concernés, ces derniers mettent à la disposition des services de voirie de la ville de Hambourg les capacités de mise en décharge qu’elles n’utilisent pas elles-mêmes afin de pallier le manque de capacités de mise en décharge de la ville de Hambourg. Elles s’engagent également à accepter dans leurs décharges les quantités de scories d’incinération non valorisables en proportion des quantités de déchets qu’elles ont livrées.

42      En outre, aux termes du contrat, les parties contractantes doivent, en cas de nécessité, se prêter assistance dans le cadre de l’exécution de leur obligation légale d’élimination des déchets. Il est notamment prévu que dans certaines circonstances, comme la surcharge ponctuelle de l’installation concernée, les quatre Landkreise concernés s’engagent à réduire la quantité de déchets livrés et acceptent ainsi de restreindre leur droit d’accès à l’usine d’incinération.

43      Enfin, la fourniture de services d’élimination des déchets donne lieu au paiement d’un prix au seul exploitant de l’installation. Il ressort, en revanche, des stipulations du contrat en cause que la coopération que ce dernier instaure entre les services de voirie de la ville de Hambourg et les quatre Landkreise concernés ne donne lieu, entre ces entités, à d’autres mouvements financiers que ceux correspondant au remboursement de la part des charges incombant auxdits Landkreise, mais payée à l’exploitant par ces services de voirie.

44      Il apparaît ainsi que le contrat litigieux constitue tant le fondement que le cadre juridique pour la construction et l’exploitation futures d’une installation destinée à l’accomplissement d’un service public, à savoir la valorisation thermique des déchets. Ledit contrat n’a été conclu que par des autorités publiques, sans la participation d’une partie privée, et il ne prévoit ni ne préjuge la passation des marchés éventuellement nécessaires pour la construction et l’exploitation de l’installation de traitement des déchets.

45      Or, la Cour a notamment rappelé qu’une autorité publique peut accomplir les tâches d’intérêt public qui lui incombent par ses propres moyens, sans être obligée de faire appel à des entités externes n’appartenant pas à ses services, et qu’elle peut aussi le faire en collaboration avec d’autres autorités publiques (voir arrêt Coditel Brabant, précité, points 48 et 49).

46      La Commission a d’ailleurs précisé à l’audience que, si la coopération en cause s’était traduite par la création d’un organisme de droit public que les différentes collectivités concernées auraient chargé d’accomplir la mission d’intérêt général d’élimination des déchets, elle aurait admis que l’utilisation de la centrale par les Landkreise concernés ne relevait pas de la réglementation relative aux marchés publics. Elle estime cependant que, en l’absence d’un tel organisme de coopération intercommunale, le marché de services conclu entre les services de voirie de la ville de Hambourg et les Landkreise concernés aurait dû faire l’objet d’un appel d’offres.

47      Toutefois, il y a lieu, d’une part, de relever que le droit communautaire n’impose nullement aux autorités publiques, pour assurer en commun leurs missions de service public, de recourir à une forme juridique particulière. D’autre part, pareille collaboration entre autorités publiques ne saurait remettre en cause l’objectif principal des règles communautaires en matière de marchés publics, à savoir la libre circulation des services et l’ouverture à la concurrence non faussée dans tous les États membres dès lors que la mise en œuvre de cette coopération est uniquement régie par des considérations et des exigences propres à la poursuite d’objectifs d’intérêt public et que le principe d’égalité de traitement des intéressés visé par la directive 92/50 est garanti, de sorte qu’aucune entreprise privée n’est placée dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents (voir, en ce sens, arrêt Stadt Halle et RPL Lochau, précité, points 50 et 51).

48      Il convient, en outre, de constater qu’il ne ressort d’aucun des éléments du dossier soumis à la Cour que, dans la présente affaire, les collectivités en cause se seraient livrées à un montage destiné à contourner les règles en matière de marchés publics.

49      Au vu de l’ensemble de ces éléments, et sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres moyens de défense présentés par la République fédérale d’Allemagne, il y a lieu de rejeter le recours de la Commission.

 Sur les dépens

50      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République fédérale d’Allemagne ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      Le recours est rejeté.

2)      La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.