Language of document : ECLI:EU:C:2010:219

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

22 avril 2010 (*)

«Directive 2001/83/CE – Article 94 – Incitations financières en faveur des cabinets médicaux prescrivant certains médicaments à leurs patients – Autorités publiques en charge de la santé – Médecins – Liberté de prescription»

Dans l’affaire C‑62/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) (Royaume-Uni), par décision du 4 novembre 2008, parvenue à la Cour le 13 février 2009, dans la procédure

The Queen, à la demande de:

Association of the British Pharmaceutical Industry,

contre

Medicines and Healthcare Products Regulatory Agency,

en présence de:

NHS Confederation (Employers) Company Ltd,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, Mme C. Toader (rapporteur), MM. K. Schiemann, P. Kūris et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 décembre 2009,

considérant les observations présentées:

–        pour l’Association of the British Pharmaceutical Industry, par M. T. de la Mare, barrister, mandaté par Mme A. Brown ainsi que par MM. I. Dodds-Smith et S. Samaratunga, solicitors,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. L. Seeboruth, en qualité d’agent, assisté de M. J. Coppel, barrister,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement estonien, par M. L. Uibo, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. J. López-Medel Bascones, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement français, par M. B. Messmer et Mme R. Loosli-Surrans, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. Wissels et B. Koopman, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. P. Oliver et Mme M. Šimerdová, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 février 2010,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 94, paragraphe 1, de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67), telle que modifiée par la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004 (JO L 136, p. 34, ci-après la «directive 2001/83»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Association of the British Pharmaceutical Industry (ci-après l’«ABPI») à la Medicines and Healthcare Products Regulatory Agency (ci-après la «MHPR»), qui est une agence exécutive dépendant du Department of Health (ministère de la Santé), au sujet de la légalité de la position de cette dernière selon laquelle l’article 94, paragraphe 1, de la directive 2001/83 ne s’applique pas à un système d’incitations financières mis en place par les autorités publiques et tendant à la prescription de médicaments spécifiquement désignés.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les deuxième, quarante-septième, cinquantième et cinquante-deuxième considérants de la directive 2001/83 sont libellés comme suit:

«(2)      Toute réglementation en matière de production, de distribution ou d’utilisation des médicaments doit avoir comme objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique.

[…]

(47)      La publicité des médicaments auprès des personnes habilitées à les prescrire ou à les délivrer contribue à l’information de ces personnes. Il convient cependant de la soumettre à des conditions strictes et à un contrôle effectif, en s’inspirant notamment des travaux réalisés dans le cadre du Conseil de l’Europe.

[…]

(50)      Les personnes habilitées à prescrire des médicaments doivent être à même d’exercer ces tâches en toute objectivité, sans être influencées par des incitations financières directes ou indirectes.

[…]

(52)      S’il importe que les personnes habilitées à prescrire ou à délivrer des médicaments disposent de sources d’information neutres et objectives sur les médicaments disponibles sur le marché, c’est cependant aux États membres qu’il incombe de prendre les mesures appropriées à cette fin, en fonction de leur situation particulière.»

4        L’article 4, paragraphe 3, de cette directive prévoit:

«Les dispositions de la présente directive n’affectent pas les compétences des autorités des États membres, ni en matière de fixation des prix des médicaments ni en ce qui concerne leur inclusion dans le champ d’application des systèmes nationaux d’assurance maladie, sur la base de conditions sanitaires, économiques et sociales.»

5        Le titre VIII de ladite directive, intitulé «Publicité», comprend les articles 86 à 88 de celle-ci, tandis que le titre VIII bis de cette même directive, intitulé «Information et publicité», contient les articles 88 bis à 100.

6        L’article 86, paragraphe 1, de la directive 2001/83 est libellé comme suit:

«Aux fins du présent titre, on entend par ‘publicité pour des médicaments’ toute forme de démarchage d’information, de prospection ou d’incitation qui vise à promouvoir la prescription, la délivrance, la vente ou la consommation de médicaments; elle comprend en particulier:

–        la publicité pour les médicaments auprès du public,

–        la publicité pour les médicaments auprès des personnes habilitées à les prescrire ou à les délivrer,

[…]

–        les incitations à prescrire ou à délivrer des médicaments par l’octroi, l’offre ou la promesse d’avantages, pécuniaires ou en nature, sauf lorsque leur valeur intrinsèque est minime,

[…]»

7        Aux termes de l’article 88, paragraphes 1 et 4, de la même directive:

«1.      Les États membres interdisent la publicité auprès du public faite à l’égard des médicaments:

a)      qui ne peuvent être délivrés que sur prescription médicale, conformément au titre VI;

[…]

4.      L’interdiction visée au paragraphe 1 ne s’applique pas aux campagnes de vaccination faites par l’industrie et approuvées par les autorités compétentes des États membres.»

8        L’article 94, paragraphes 1 et 3, de ladite directive dispose:

«1.      Dans le cadre de la promotion des médicaments auprès des personnes habilitées à les prescrire ou à les délivrer, il est interdit d’octroyer, d’offrir ou de promettre à ces personnes une prime, un avantage pécuniaire ou un avantage en nature à moins que ceux-ci ne soient de valeur négligeable et n’aient trait à l’exercice de la médecine ou de la pharmacie.

[…]

3.      Les personnes habilitées à prescrire ou à délivrer des médicaments ne peuvent solliciter ou accepter aucune des incitations interdites en vertu du paragraphe 1 […]»

9        L’article 95 de cette même directive ajoute:

«Les dispositions de l’article 94, paragraphe 1, ne font pas obstacle à l’hospitalité offerte, de manière directe ou indirecte, lors de manifestations à caractère exclusivement professionnel et scientifique; cette hospitalité doit toujours être strictement limitée à l’objectif scientifique principal de la réunion; elle ne doit pas être étendue à des personnes autres que les professionnels de santé.»

10      L’article 99 de la directive 2001/83 dispose:

«Les États membres prennent les mesures appropriées pour assurer l’application des dispositions du présent titre et notamment déterminent les sanctions à appliquer en cas d’infraction aux dispositions adoptées en exécution du présent titre.»

 Le droit national

11      L’article 21, paragraphes 1 et 5, du règlement de 1994 sur les médicaments (publicité) [Medicines (Advertising) Regulations 1994], portant transposition des dispositions du droit de l’Union citées aux points 4 à 9 du présent arrêt, prévoit:

«1)      Sous réserve des dispositions des paragraphes 2 et 4, dans le cadre de la promotion des médicaments auprès des personnes habilitées à les prescrire ou à les délivrer, nul ne saurait octroyer, offrir ou promettre à ces personnes une prime, un avantage pécuniaire ou un avantage en nature, à moins que ceux-ci ne soient de valeur négligeable et n’aient trait à l’exercice de la médecine ou de la pharmacie.

[…]

5)      Nulle personne habilitée à prescrire ou à délivrer des médicaments ne saurait solliciter ou accepter de prime, d’avantage pécuniaire ou d’avantage en nature, d’hospitalité ou de parrainage interdits par le présent règlement.»

12      En vertu de l’article 23, paragraphe 1, dudit règlement de 1994, la violation de l’article 21, paragraphe 1, de celui-ci constitue un délit pénal passible d’une amende et/ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de deux ans.

13      Selon les indications de la juridiction de renvoi, conformément à la loi de 2006 relative au service national de santé (National Health Service Act 2006), le Secretary of State in England and Wales (secrétaire d’État d’Angleterre et du Pays de Galles) est responsable de la fourniture d’un service de santé complet, destiné à assurer l’amélioration de la santé physique et mentale des personnes ainsi qu’à prévenir, à diagnostiquer et à traiter les maladies. À cette fin, les services médicaux sont financés localement, en Angleterre, par les Primary Care Trusts (caisses de soins primaires, ci-après les «PCT») et, au pays de Galles, par les Local Health Boards (conseils locaux de santé, ci-après les «LHB»).

 Les faits au principal et la question préjudicielle

14      En Angleterre et au pays de Galles, les médecins généralistes et les autres professionnels de la santé sont spécifiquement habilités à rédiger des ordonnances et, lorsqu’ils font des prescriptions financées par le National Health Service (service national de santé), ils doivent satisfaire aux règles établies par ce dernier et au contrôle desdites prescriptions. Ils doivent également se conformer aux codes de conduite professionnels édictés par le General Medical Council.

15      Dans le cadre d’une politique globale visant à réduire les coûts de leurs branches «médicaments», les PCT et les LHB ont mis en place des systèmes d’incitations financières à l’intention des cabinets médicaux afin que ceux-ci prescrivent à leurs patients soit des médicaments spécifiquement désignés, soit des médicaments génériques.

16      Dans l’affaire au principal, seuls sont mis en cause les systèmes d’incitations financières tendant à la prescription de médicaments spécifiquement désignés.

17      S’agissant de ceux-ci, le système vise à encourager les médecins, dans l’élaboration de leurs stratégies thérapeutiques, à privilégier la prescription de certains médicaments, appartenant à la même classe thérapeutique que ceux prescrits antérieurement ou que ceux qui auraient pu être prescrits aux patients si le système d’incitation n’existait pas, mais qui ne contiennent pas la même substance active. Les médecins sont ainsi incités, d’une part, à changer le traitement de leurs patients s’agissant des prescriptions existantes et, d’autre part, à privilégier, lors de la première prescription d’un médicament contre une pathologie donnée, un traitement fondé sur une certaine substance active plutôt que sur une autre. La définition par les PCT et les LHB des équivalences thérapeutiques entre les médicaments d’une même classe thérapeutique est faite, notamment, selon les instructions du National Institute for Health and Clinical Excellence (Institut national pour la santé et l’excellence clinique). Dans la présente affaire, les systèmes d’incitation en cause concerneraient principalement la prescription de statines, substances qui servent à réduire le cholestérol.

18      Le calcul des incitations financières est effectué selon deux mécanismes distincts. Dans le premier, les cabinets médicaux accumulent des points en remplissant certains objectifs de prescription, lesquels peuvent comprendre l’augmentation de la proportion des ordonnances pour un médicament spécifiquement désigné (expressément ou implicitement prescrit à la place d’autres médicaments relevant de la même classe thérapeutique). Le montant du paiement reflétera alors le total de points obtenus. Le second mécanisme repose sur des objectifs individuels, en ce sens que les paiements sont fonction soit d’un objectif individuel, par exemple une augmentation de la proportion générale de prescriptions pour un médicament spécifiquement désigné, soit du nombre de patients dont le traitement établi a été modifié en vue de prescrire le ou les médicaments préconisés par les autorités nationales compétentes.

19      Les paiements reçus par les cabinets médicaux s’ajoutent aux revenus qu’ils tirent des consultations qu’ils effectuent et, finalement, profitent aux médecins généralistes qui partagent les bénéfices réalisés par ces cabinets.

20      Ce système d’incitations financières vise à réduire les dépenses des branches «médicaments» des PCT et des LHB, dans la mesure où ce sont les médicaments les moins chers des classes thérapeutiques appropriées dont la prescription est préconisée. Toutefois, dans certains cas, un autre médicament de la même classe thérapeutique pourrait davantage convenir au traitement d’un patient particulier. Ainsi, le fait de remplacer le médicament prescrit par un autre médicament dont la substance active est différente pourrait, dans certains cas, avoir en lui-même des conséquences négatives pour le patient.

21      Le 3 juillet 2006, l’ABPI, qui regroupe 70 sociétés pharmaceutiques nationales et internationales exerçant au Royaume-Uni, a écrit à la MHPR, dont les missions comprennent la vérification du respect de la réglementation de l’Union et de celle nationale relatives à la publicité ainsi qu’à la promotion des médicaments. Dans sa lettre, l’ABPI exprimait ses inquiétudes ainsi que ses objections juridiques à l’égard de certains systèmes d’incitation à la prescription de médicaments spécifiquement désignés mis en place par les PCT et les LHB.

22      Dans sa réponse datée du 16 octobre 2006, la MHPR, qui avait auparavant soutenu une position différente, a indiqué que, désormais, elle considérait que l’article 94 de la directive 2001/83 ne couvre que la promotion ou les systèmes d’incitation de nature commerciale. En effet, selon la MHPR, si cet article 94 a effectivement été adopté afin d’empêcher que des organisations commerciales n’influencent le jugement des médecins lors de la prescription de médicaments, cela serait toutefois sans incidence sur le fait que l’article 4, paragraphe 3, de cette directive reconnaît clairement que les États membres ont besoin et sont habilités à prendre des mesures qui garantissent le contrôle des coûts supportés par les fonds publics.

23      Contestant cette interprétation de l’article 94 de la directive 2001/83, l’ABPI a introduit devant la juridiction de renvoi un recours tendant au contrôle de la légalité de la position de la MHPR. Dans son recours, l’ABPI relève notamment que le financement des soins médicaux diffère d’un État membre à un autre, étant tantôt assuré par des caisses publiques, tantôt par des caisses privées. Or, exclure les autorités publiques dispensant des services de santé du champ d’application de cette directive reviendrait à appliquer des règles différentes selon que le prestataire poursuit un objectif commercial ou non et, finalement, affecterait le marché intérieur de ces services dans l’Union européenne.

24      Considérant qu’une interprétation dudit article 94 est nécessaire aux fins de trancher le litige dont elle est saisie, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 94, paragraphe 1, de la directive 2001/83/CE fait-il obstacle à ce qu’un organisme public faisant partie d’un service national de santé publique mette en place, afin de réduire ses dépenses globales en matière de médicaments, un système qui offre des incitations financières à des cabinets médicaux (lesquels peuvent à leur tour conférer un avantage pécuniaire au médecin prescripteur) afin qu’ils prescrivent un médicament spécifiquement désigné, soutenu par le système d’incitation, et qui sera:

a)      soit un médicament soumis à ordonnance différent du médicament antérieurement prescrit par le médecin au patient;

b)      soit un médicament différent de celui qui aurait pu être prescrit au patient si le système d’incitation n’existait pas,

lorsque le médicament différent fait partie de la même classe thérapeutique que ceux utilisés pour le traitement de la pathologie particulière du patient?»

 Sur la question préjudicielle

 Observations soumises à la Cour

25      L’ABPI et la Commission européenne sont d’avis que l’article 94, paragraphe 1, de la directive 2001/83 s’applique également aux autorités nationales. Par conséquent, cette disposition s’opposerait à ce qu’un organisme public faisant partie d’un service national de santé publique mette en place un système qui offre des incitations financières à des cabinets médicaux afin que les médecins exerçant dans ces cabinets prescrivent un médicament spécifiquement désigné, et ce même si l’objectif de ce système est de réduire les dépenses publiques globales en matière de médicaments.

26      En revanche, les gouvernements du Royaume-Uni, tchèque, estonien, espagnol, français et néerlandais considèrent que, ainsi que cela ressort de l’économie de la directive 2001/83 et dans la mesure où l’article 152, paragraphe 5, CE prévoit expressément que l’action de la Communauté européenne dans le domaine de la santé publique respecte pleinement les responsabilités des États membres en matière d’organisation ainsi que de fourniture de services de santé et de soins médicaux, l’article 94 de cette directive ne vise pas les autorités nationales compétentes en matière de santé publique. Par ailleurs, à supposer que l’interdiction prévue audit article 94 soit applicable à ces dernières, un système d’incitations financières mis en place par ces autorités relèverait de la dérogation prévue à l’article 4, paragraphe 3, de la même directive puisqu’un tel système tend à garantir l’accès pour tous à une quantité suffisante de médicaments à un prix raisonnable.

 Réponse de la Cour

27      L’article 94, paragraphe 1, de la directive 2001/83 interdit d’octroyer, d’offrir ou de promettre aux personnes habilitées à prescrire ou à délivrer des médicaments une prime, un avantage pécuniaire ou un avantage en nature à moins que ceux-ci ne soient de valeur négligeable et n’aient trait à l’exercice de la médecine ou de la pharmacie.

28      Ainsi qu’il est indiqué à cette disposition, cette interdiction trouve à s’appliquer «[d]ans le cadre de la promotion des médicaments» auprès des médecins ou des pharmaciens.

29      Par conséquent, ainsi que cela ressort de l’économie de la directive 2001/83, cette interdiction, qui concerne en premier lieu l’industrie pharmaceutique lorsqu’elle déploie des activités de promotion des médicaments qu’elle commercialise, vise à empêcher des pratiques promotionnelles susceptibles d’animer les professionnels de la santé d’un intérêt économique lors de la prescription ou de la délivrance de médicaments. Cette disposition tend ainsi à favoriser une pratique médicale et pharmacologique conforme aux règles déontologiques.

30      S’agissant de la publicité pour des médicaments, la Cour a déjà jugé que, même lorsqu’elle est réalisée par un tiers indépendant en dehors d’une activité commerciale ou industrielle, une telle publicité est susceptible de nuire à la santé publique, dont la sauvegarde est l’objectif essentiel de la directive 2001/83, et que, par conséquent, la diffusion par un tiers d’informations relatives à un médicament, notamment à ses propriétés curatives ou préventives, peut être considérée comme de la publicité au sens de l’article 86, paragraphe 1, de cette directive, même lorsque ce tiers agit de sa propre initiative et de manière totalement indépendante, en droit comme en fait, du fabricant ou du vendeur d’un tel médicament (arrêt du 2 avril 2009, Damgaard, C‑421/07, non encore publié au Recueil, points 22 et 29).

31      Cependant, un tel raisonnement ne saurait être transposé aux cas d’informations relatives à un médicament diffusées par les autorités publiques elles-mêmes, par exemple lors de la survenance d’une épidémie ou d’une pandémie. En effet, il ressort en particulier de l’article 88, paragraphe 4, de la directive 2001/83 que l’interdiction de la publicité faite auprès du public à l’égard des médicaments, telle que prévue au paragraphe 1 dudit article 88, n’est pas applicable aux campagnes de vaccination «faites par l’industrie» lorsque ces campagnes sont approuvées par les autorités compétentes des États membres.

32      De la même manière, s’agissant d’incitations financières à la prescription de médicaments, si l’interdiction contenue à l’article 94, paragraphe 1, de la directive 2001/83 peut certes s’appliquer à des tiers indépendants agissant en dehors d’une activité commerciale ou industrielle ou encore en dehors d’une activité lucrative, une telle interdiction ne saurait viser les autorités nationales en charge de la santé publique, lesquelles sont notamment chargées, d’une part, de veiller à l’application de la réglementation existante, laquelle comprend notamment cette directive, ainsi que, d’autre part, de définir les priorités d’action de la politique de santé publique, en particulier en ce qui concerne la rationalisation des dépenses publiques allouées à cette politique dont elles sont précisément responsables.

33      D’une manière générale, la politique de santé définie par un État membre et les dépenses publiques qu’il y consacre ne poursuivent aucun but lucratif ni commercial. Un système d’incitations financières tel que celui en cause au principal, relevant d’une telle politique, ne saurait donc être considéré comme s’inscrivant dans le cadre de la promotion commerciale de médicaments.

34      Par ailleurs, si, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Damgaard, précité, la diffusion, par un tiers indépendant, d’informations relatives à un médicament était susceptible de nuire à la santé publique, dont la sauvegarde est l’objectif essentiel de la directive 2001/83, il ne saurait être fait état d’un tel risque dans le cas d’incitations financières octroyées par les autorités publiques en charge de la santé publique. En effet, la nature même de la mission de ces autorités est de veiller à cette santé publique, pour laquelle elles assument la responsabilité politique et sont ainsi en charge d’évaluer la valeur thérapeutique des médicaments dont elles autorisent la mise sur le marché.

35      Dans ces conditions, il est loisible auxdites autorités, dans le cadre des responsabilités qu’elles assument, de déterminer, sur la base d’évaluations des vertus thérapeutiques des médicaments en fonction de leur coût pour le budget public, si, aux fins du traitement de certaines pathologies, certains médicaments contenant une substance active donnée sont, du point de vue des finances publiques, préférables à d’autres médicaments contenant une substance active différente, mais relevant de la même classe thérapeutique.

36      En effet, conformément à l’article 168, paragraphe 7, TFUE, le droit de l’Union ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale et pour prendre, en particulier, des dispositions destinées à régler la consommation de produits pharmaceutiques dans l’intérêt de l’équilibre financier de leurs régimes d’assurance de soins de santé (arrêt du 2 avril 2009, A. Menarini Industrie Farmaceutiche Riunite e.a., C‑352/07 à C‑356/07, C‑365/07 à C‑367/07 et C-400/07, non encore publié au Recueil, point 19 ainsi que jurisprudence citée).

37      Toutefois, il convient de relever à cet égard que, aux fins de garantir l’effet utile de la directive 89/105/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d’application des systèmes d’assurance maladie (JO 1989, L 40, p. 8), encore faut-il permettre aux professionnels de l’industrie pharmaceutique, dont les médicaments font ou non l’objet d’incitations financières à la prescription, de s’assurer que le système d’incitations financières mis en œuvre par les autorités publiques s’appuie sur des critères objectifs et qu’aucune discrimination n’est opérée entre les médicaments nationaux et ceux provenant d’autres États membres (voir, en ce sens, arrêts du 12 juin 2003, Commission/Finlande, C‑229/00, Rec. p. I‑5727, point 39, ainsi que A. Menarini Industrie Farmaceutiche Riunite e.a., précité, point 28).

38      Par conséquent, même si la directive 89/105 est sous-tendue par l’idée d’une ingérence minimale dans l’organisation par les États membres de leurs politiques internes de sécurité sociale (arrêt du 20 janvier 2005, Merck, Sharp & Dohme, C‑245/03, Rec. p. I‑637, point 27), les autorités nationales en charge de la santé publique adoptant un système d’incitations financières à la prescription de médicaments spécifiquement désignés sont notamment tenues de rendre public un tel système ainsi que de mettre à la disposition des professionnels de la santé et de l’industrie pharmaceutique les évaluations établissant l’équivalence thérapeutique entre les substances actives disponibles appartenant à la classe thérapeutique faisant l’objet dudit système.

39      Enfin, il convient de souligner que de telles pratiques d’incitations financières publiques à la prescription de médicaments contenant certaines substances actives ne sauraient porter atteinte à l’objectivité dont, ainsi qu’il est rappelé au cinquantième considérant de la directive 2001/83, doit faire preuve le médecin en effectuant une prescription à l’égard d’un patient déterminé.

40      En effet, d’une part, un médecin prescripteur est tenu, d’un point de vue déontologique, de ne pas prescrire un médicament donné si celui-ci ne convient pas au traitement thérapeutique de son patient, et ce nonobstant l’existence d’incitations financières publiques à la prescription de ce médicament.

41      D’autre part, il convient de relever que tout médecin n’est habilité à pratiquer son art que sous le contrôle des autorités publiques de la santé, lequel est effectué soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire d’organisations professionnelles mandatées à cet effet, telles que, au Royaume-Uni, le General Medical Council. Or, dans le cadre de cette mission de contrôle et de surveillance de l’activité des médecins, les autorités publiques ou les organisations professionnelles délégataires sont habilitées à dispenser aux médecins des recommandations en matière de prescription de médicaments, sans que de telles recommandations puissent affecter de manière préjudiciable l’objectivité des médecins prescripteurs au sens du cinquantième considérant de la directive 2001/83.

42      Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que l’article 94, paragraphe 1, de la directive 2001/83 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à des systèmes d’incitations financières, tels que celui en cause dans l’affaire au principal, mis en œuvre par les autorités nationales en charge de la santé publique afin de réduire leurs dépenses en la matière et tendant à favoriser, aux fins du traitement de certaines pathologies, la prescription par les médecins de médicaments spécifiquement désignés et contenant une substance active différente de celle du médicament qui était prescrit antérieurement ou qui aurait pu l’être si un tel système d’incitation n’existait pas.

 Sur les dépens

43      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

L’article 94, paragraphe 1, de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, telle que modifiée par la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à des systèmes d’incitations financières, tels que celui en cause dans l’affaire au principal, mis en œuvre par les autorités nationales en charge de la santé publique afin de réduire leurs dépenses en la matière et tendant à favoriser, aux fins du traitement de certaines pathologies, la prescription par les médecins de médicaments spécifiquement désignés et contenant une substance active différente de celle du médicament qui était prescrit antérieurement ou qui aurait pu l’être si un tel système d’incitation n’existait pas.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.