Language of document : ECLI:EU:C:2010:647

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

28 octobre 2010(*)

«Directive 86/653/CEE – Agents commerciaux indépendants – Cessation du contrat d’agence par le commettant – Droit de l’agent à une indemnité»

Dans l’affaire C‑203/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bundesgerichtshof (Allemagne), par décision du 29 avril 2009, parvenue à la Cour le 8 juin 2009, dans la procédure

Volvo Car Germany GmbH

contre

Autohof Weidensdorf GmbH,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. J.-J. Kasel, A. Borg Barthet, E. Levits et M. Safjan (rapporteur), juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite à la suite de l’audience du 6 mai 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour Volvo Car Germany GmbH, par Mes J. Kummer et P. Wassermann, Rechtsanwälte,

–        pour Autohof Weidensdorf GmbH, par Me J. Breithaupt, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par M. J. Möller ainsi que Mmes J. Kemper et S. Unzeitig, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. H. Støvlbæk et B.-R. Killmann, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 juin 2010,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 18, sous a), de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants (JO L 382, p. 17, ci-après la «directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Autohof Weidensdorf GmbH (ci-après «AHW») à Volvo Car Germany GmbH (ci-après «Volvo Car») au sujet d’une réclamation, par AHW, d’une indemnité ainsi que d’une revendication de droits à paiement en raison de notes de crédit.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        En vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive:

«Aux fins de la présente directive, l’agent commercial est celui qui, en tant qu’intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l’achat de marchandises pour une autre personne, ci-après dénommée ‘commettant’, soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant.»

4        Il ressort de l’article 16 de la directive:

«La présente directive ne peut interférer avec l’application du droit des États membres lorsque celui-ci prévoit la fin du contrat sans délai:

a)      en raison d’un manquement d’une des parties à exécuter tout ou partie de ses obligations;

b)      lorsque surviennent des circonstances exceptionnelles.»

5        L’article 17 de ladite directive dispose:

«1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer à l’agent commercial, après cessation du contrat, une indemnité selon le paragraphe 2 ou la réparation du préjudice selon le paragraphe 3.

2.      a)     L’agent commercial a droit à une indemnité si et dans la mesure où:

–        il a apporté de nouveaux clients au commettant ou développé sensiblement les opérations avec les clients existants et le commettant a encore des avantages substantiels résultant des opérations avec ces clients

et

–        le paiement de cette indemnité est équitable, compte tenu de toutes les circonstances, notamment des commissions que l’agent commercial perd et qui résultent des opérations avec ces clients. […]»

6        L’article 18 de la directive prévoit:

«L’indemnité ou la réparation visée à l’article 17 n’est pas due:

a)      lorsque le commettant a mis fin au contrat pour un manquement imputable à l’agent commercial et qui justifierait, en vertu de la législation nationale, une cessation du contrat sans délai;

b)      lorsque l’agent commercial a mis fin au contrat, à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances attribuables au commettant ou par l’âge, l’infirmité ou la maladie de l’agent commercial en raison desquels la poursuite de ses activités ne peut raisonnablement plus être exigée de lui;

[…]»

7        En vertu de l’article 19 de cette directive:

«Les parties ne peuvent pas, avant l’échéance du contrat, déroger aux dispositions des articles 17 et 18 au détriment de l’agent commercial.»

 La réglementation nationale

8        Conformément à l’article 89a du code de commerce allemand (Handelsgesetzbuch, ci-après le «HGB»):

«(1)      Chaque partie peut résilier le contrat pour un motif sérieux sans observer de délai de préavis. Ce droit ne peut être ni exclu ni limité. […]»

9        L’article 89b du HGB transpose les articles 17 à 19 de la directive. Ladite disposition nationale, telle qu’en vigueur au moment des faits au principal, est libellée comme suit:

«(1)      Après la fin du contrat, l’agent commercial peut exiger du commettant une indemnité appropriée lorsque, et dans la mesure où,

1.      le commettant retire, même après la fin du contrat, des bénéfices considérables d’une relation d’affaires avec de nouveaux clients démarchés par l’agent commercial,

2.      du fait de la fin du contrat, l’agent commercial perd son droit à la commission qu’il aurait perçue, en cas de poursuite de celui-ci, pour des transactions conclues ou qui seront conclues avec des clients qu’il a démarchés, et

3.      le paiement d’une indemnité est équitable, compte tenu de l’ensemble des circonstances.

Est assimilé au démarchage d’un nouveau client le fait pour un agent commercial d’avoir approfondi la relation d’affaires avec un client existant de manière telle que cela équivaut, d’un point de vue économique, au démarchage d’un nouveau client.

[…]

(3)      Cette indemnité n’est pas due si,

1.      l’agent commercial a résilié le contrat, sauf si un comportement du commettant en était la raison justifiée ou si la continuation de son activité ne peut plus être exigée de l’agent commercial à cause de son âge ou d’une maladie, ou

2.      le commettant a résilié le contrat et s’il existait un motif sérieux de résiliation lié à un comportement fautif de l’agent commercial […]»

10      En vertu de la jurisprudence constante du Bundesgerichtshof évoquée dans la décision de renvoi, les dispositions relatives à l’indemnité de l’agent commercial visées à l’article 89b du HGB s’appliquent par analogie au contrat de concession tel que celui en cause au principal. Ainsi qu’il résulte de ladite jurisprudence, un motif sérieux qui aurait justifié une décision de mettre fin au contrat sans délai doit uniquement avoir existé de façon objective au moment de la décision de mettre fin au contrat. Dans l’hypothèse où l’agent commercial se rendrait coupable, avant la fin prévue du contrat, d’un manquement qui aurait justifié une résiliation sans préavis, la jurisprudence du Bundesgerichtshof autorise même le commettant qui avait pris la décision de mettre fin au contrat au terme d’un préavis à décider soit d’une nouvelle résiliation sans préavis au cas où il aurait pris connaissance dudit manquement avant le terme du préavis, soit de se prévaloir dudit manquement pour refuser toute indemnité au cas où le commettant n’en aurait pris connaissance qu’après la fin prévue du contrat.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11      Un contrat de concession a été conclu entre Volvo Car (le concédant) et AHW (le concessionnaire). En même temps, les gérants de AHW exploitaient avec un ancien gérant de AHW la société Autovermietung Weidensdorf GbR (ci-après «AVW»). Cette dernière a établi, par l’intermédiaire d’une autre société, des relations commerciales avec Volvo Car régies par un «accord-cadre pour grands clients» portant sur des réductions exceptionnelles de prix lors de la livraison de véhicules Volvo neufs. AVW achetait, suivant ledit accord-cadre, des véhicules à AHW en bénéficiant des réductions convenues. Pour ce faire, AHW percevait des contributions financières de Volvo Car.

12      Par lettre du 6 mars 1997, Volvo Car a annoncé sa décision de mettre fin au contrat de concession au 31 mars 1999.

13      Au cours de la période allant du mois d’avril 1998 au mois de juillet 1999, des reventes anticipées de 28 véhicules que AVW avait achetés à AHW ont été effectuées, en violation du contrat de concession. Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, il est présumé, dans le cadre de la procédure en «Revision», que Volvo Car a eu connaissance de ce fait seulement après la fin du contrat de concession.

14      Considérant que l’article 89b du HGB s’applique au contrat de concession, AHW a ensuite réclamé, dans son recours formé contre Volvo Car, une indemnité de clientèle et a revendiqué des droits à paiement en raison de notes de crédit. Volvo Car considère que l’article 89b, paragraphe 3, point 2, du HGB interdit à AHW de réclamer un droit à indemnité. Elle estime que AHW s’est procuré des contributions auxquelles elle n’avait pas droit dans la mesure où, agissant consciemment de concert avec AVW, elle n’a pas respecté la durée de détention convenue contractuellement. Il est établi, dans le cadre de la procédure en «Revision» qui a abouti au présent renvoi préjudiciel, que AHW a manqué, par ce comportement, à ses obligations résultant du contrat de concession conclu avec Volvo Car. Par conséquent, Volvo Car aurait été en droit de mettre fin à ce contrat sans délai si elle en avait eu connaissance avant la fin dudit contrat.

15      Le Landgericht a fait droit aux demandes de AHW à concurrence d’un montant de 180 159,46 euros en ce qui concerne l’indemnité de clientèle et en totalité en ce qui concerne les notes de crédit, augmenté des intérêts dans les deux cas.

16      L’Oberlandesgericht a réformé partiellement le jugement de première instance sur appel de Volvo Car en ce qui concerne le montant de l’indemnité et des notes de crédit. Cette juridiction d’appel a considéré que AHW disposait d’un droit à indemnité à l’encontre de Volvo Car en vertu d’une application par analogie de l’article 89b, paragraphe 1, du HGB. L’Oberlandesgericht a considéré que l’article 89b, paragraphe 3, point 2, du HGB devait être interprété en conformité avec l’article 18, sous a), de la directive. Par conséquent, selon cette juridiction, un motif sérieux doit avoir été la cause de la décision du commettant de mettre fin au contrat pour que l’agent commercial soit dépourvu de son droit à indemnité.

17      Volvo Car a introduit une demande en «Revision» de l’arrêt de l’Oberlandesgericht. La juridiction de renvoi a estimé que la solution du litige dépendait de l’interprétation de l’article 18, sous a), de la directive.

18      Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 18, sous a), de la directive […] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle l’agent commercial n’a pas droit à une indemnité, même en cas de résiliation ordinaire par le commettant, lorsqu’il existait certes à la date de la résiliation ordinaire un motif sérieux de résilier sans préavis le contrat en raison d’un comportement fautif de l’agent commercial mais que ce motif n’en était pas la cause?

2)      Si une réglementation nationale de ce type est compatible avec la directive:

L’article 18, sous a), de la directive s’oppose-t-il à une application par analogie de la réglementation nationale sur l’exclusion du droit à indemnité dans l’hypothèse où un motif sérieux de résiliation sans préavis pour comportement fautif de l’agent commercial n’est apparu qu’après le prononcé de la résiliation ordinaire et que le commettant n’en a eu connaissance qu’après la cessation du contrat, de sorte qu’il ne pouvait plus prononcer une autre résiliation sans préavis fondée sur un comportement fautif de l’agent commercial?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la compétence de la Cour et sur la recevabilité des questions préjudicielles

 Observations soumises à la Cour

19      Volvo Car estime que le renvoi préjudiciel est irrecevable. En effet, l’objet du litige au principal n’entrerait pas dans le champ d’application de la directive. Un concessionnaire tel que AHW ne serait pas un «agent commercial» au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive ni au sens de l’article 84, paragraphe 1, première phrase, du HGB. Or, le principe de l’interprétation conforme aux directives des dispositions du droit national ne s’appliquerait qu’au regard du champ d’application direct de ces directives.

20      Lors de l’audience de plaidoiries, AHW a fait valoir que, en raison de l’application par analogie, en droit allemand, des dispositions sur les agents commerciaux aux contrats de concession, les questions préjudicielles sont recevables. En outre, la première question ne revêtirait pas un caractère hypothétique.

21      Le gouvernement allemand soutient que, en droit allemand, les dispositions relatives aux agents commerciaux s’appliquent par analogie aux concessionnaires. Par conséquent, la décision sur le droit à indemnité de AHW dépend de l’interprétation à donner aux dispositions de la directive relatives à l’exclusion du droit à indemnité des agents commerciaux. S’agissant de la première question, le gouvernement allemand a précisé, lors de l’audience de plaidoiries, que cette question n’est pas hypothétique dès lors qu’elle concerne un problème dont la solution présente un caractère préalable pour la réponse à la seconde question.

22      De l’avis de la Commission, rien ne s’oppose à la compétence de la Cour pour répondre aux questions préjudicielles dans la mesure où la législation allemande transposant la directive doit être interprétée en conformité avec celle-ci. La Commission émet, néanmoins, des doutes sur la recevabilité de la première question, celle-ci visant une hypothèse ne correspondant pas aux faits dont la juridiction de renvoi a à connaître en l’espèce.

 Appréciation de la Cour

23      S’agissant, en premier lieu, de la compétence de la Cour pour répondre aux questions préjudicielles, il convient de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, instituée par l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. Le rejet par cette dernière d’une demande présentée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige principal ou que la question est générale ou hypothétique (voir, notamment, arrêt du 16 mars 2006, Poseidon Chartering, C‑3/04, Rec. p. I‑2505, point 14).

24      En conséquence, dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l’interprétation d’une disposition de droit de l’Union, la Cour reste, en principe, tenue de statuer. En effet, il ne ressort ni des termes de l’article 267 TFUE ni de l’objet de la procédure instituée par cet article que les auteurs du traité ont entendu exclure de la compétence de la Cour les renvois préjudiciels portant sur une disposition de droit de l’Union dans le cas particulier où le droit national d’un État membre renvoie au contenu de cette disposition pour déterminer les règles applicables à une situation purement interne à cet État (voir arrêt Poseidon Chartering, précité, point 15).

25      En effet, lorsqu’une législation nationale se conforme pour les solutions qu’elle apporte à des situations purement internes à celles retenues en droit de l’Union afin, notamment, d’éviter l’apparition de discriminations ou d’éventuelles distorsions de concurrence, il existe un intérêt de l’Union certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer (arrêt Poseidon Chartering, précité, point 16).

26      En l’espèce, bien que les questions visent un contrat de concession et non pas un contrat d’agence commerciale et que la directive ne saurait dès lors régir directement la situation en cause, il n’en demeure pas moins qu’un traitement identique à ces deux types de contrats est appliqué en droit allemand (voir, en ce sens, arrêt Poseidon Chartering, précité, point 17).

27      En outre, aucun élément du dossier ne laisse supposer que la juridiction de renvoi a la faculté de s’écarter de l’interprétation que la Cour donne des dispositions de la directive.

28      Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter l’exception d’incompétence.

29      En ce qui concerne, en second lieu, la recevabilité de la première question, il y a lieu de relever que cette question porte sur une situation dans laquelle, à la date de la résiliation ordinaire du contrat, il existait un motif justifiant une résiliation sans préavis du contrat qui n’a pas été invoqué par le commettant pour justifier cette résiliation. Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la violation des obligations contractuelles reprochée à AHW a eu lieu après la notification de la résiliation ordinaire du contrat de concession.

30      Dans ces conditions, force est de constater que la première question préjudicielle porte sur une situation purement hypothétique qui ne correspond manifestement pas aux faits en cause au principal et constitue, partant, une question dépourvue de pertinence pour la solution du litige au principal.

31      Il s’ensuit que la première question est irrecevable.

 Sur le fond

 Observations soumises à la Cour

32      Volvo Car propose de répondre par la négative à la seconde question posée en se fondant sur une interprétation plus large des critères énoncés à l’article 18, sous a), de la directive. En particulier, rien dans celle-ci ne permettrait de déduire que l’exclusion d’une indemnité devrait dépendre du critère purement fortuit de savoir si le comportement fautif justifiant une décision de mettre fin au contrat sans préavis a été ou non découvert avant la fin du contrat.

33      Comme l’a soulevé AHW lors de l’audience de plaidoiries, le fait pour le commettant de pouvoir se libérer de l’obligation de payer une indemnité à l’agent commercial, par une interprétation large de l’article 18, sous a), de la directive, aurait pour conséquence une distorsion de la concurrence. Par conséquent, une interprétation textuelle de ladite disposition, qui constitue une exception à l’obligation de paiement d’une indemnité, devrait être retenue, interprétation qui exigerait que le comportement fautif de l’agent soit une cause directe de la décision de mettre fin au contrat. Par ailleurs, il serait possible, sur le fondement de l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la directive qui prévoit l’examen en équité, de réduire le montant de l’indemnité ou même de priver l’agent de l’indemnité dans sa totalité.

34      Le gouvernement allemand propose de répondre par l’affirmative à la seconde question. En effet, la directive, dont les principes essentiels seraient la confiance et le devoir de loyauté réciproque, chercherait à établir un juste équilibre entre les intérêts des parties. En vertu de l’article 18, sous a), de la directive, le droit à indemnité serait exclu lorsque le manquement imputable à l’agent commercial n’était pas directement la cause de la décision de mettre fin au contrat mais qu’il existait toutefois objectivement avant ladite décision et qu’il aurait pu justifier en vertu du droit national une décision de mettre fin au contrat sans préavis. Il suffirait que le comportement fautif de l’agent commercial puisse être en théorie utilisé par le commettant comme motif de la décision de mettre fin au contrat (causalité hypothétique). En revanche, comme les deux conditions susvisées devraient être cumulativement réunies, l’article 18, sous a), de la directive ne s’appliquerait pas, de l’avis du gouvernement allemand, lorsque ces conditions ne sont pas réunies au même moment et que le manquement à une obligation est survenu seulement après la décision de mettre fin au contrat.

35      Selon la Commission, le régime institué par les articles 17 à 19 de la directive présente un caractère impératif. Cela dit, une interprétation plus large de l’article 18, sous a), de la directive serait conciliable avec un compromis équitable entre les intérêts du commettant et ceux de l’agent commercial. En effet, l’agent commercial serait également digne de protection lorsque le commettant n’a pas jugé son comportement suffisamment grave pour justifier une résiliation du contrat. En outre, rien n’interdirait au commettant de déclarer à l’agent commercial que son comportement l’aurait conduit à mettre fin au contrat s’il ne l’avait déjà fait.

36      Dans la situation où le commettant ne découvre le manquement de l’agent commercial qu’après la fin de la relation contractuelle, il lui serait impossible de mettre fin au contrat pour ce motif, puisqu’il n’existerait plus de relation contractuelle susceptible d’être résiliée. Le législateur de l’Union s’étant abstenu de prévoir dans la directive des dispositions pour cette variante, les États membres seraient libres, dans le respect des limites prescrites par le traité, d’exclure ou non un droit à indemnité. Dans le cas où le commettant a appris l’existence du comportement fautif de l’agent avant la fin du contrat et n’a pas invoqué ledit comportement comme motif de résiliation, le droit à indemnité serait certes maintenu, mais ledit comportement pourrait être pris en compte dans l’ajustement de l’indemnité pour des raisons d’équité.

 Réponse de la Cour

37      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 18, sous a), de la directive doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un agent commercial indépendant soit privé de son indemnité de clientèle lorsque le commettant établit l’existence d’un manquement de cet agent, ayant eu lieu après la notification de la résiliation du contrat moyennant préavis et avant l’échéance de celui-ci, qui était de nature à justifier une résiliation sans délai du contrat en cause.

38      Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 18, sous a), de la directive, l’indemnité qui y est visée n’est pas due lorsque le commettant a mis fin au contrat «pour» un manquement imputable à l’agent commercial et qui justifierait, en vertu de la législation nationale, une cessation du contrat sans délai.

39      Or, l’utilisation, par le législateur de l’Union, de la préposition «pour» est de nature à soutenir la thèse, avancée notamment par la Commission, selon laquelle ledit législateur entendait exiger l’existence d’une causalité directe entre le manquement imputable à l’agent commercial et la décision du commettant de mettre fin au contrat afin de pouvoir priver l’agent commercial de l’indemnité prévue à l’article 17 de la directive.

40      Cette interprétation est corroborée par la genèse de la directive. En effet, ainsi qu’il ressort de la proposition de directive (JO 1977, C 13, p. 2), la Commission avait initialement proposé que l’indemnité de clientèle n’était pas due lorsque le commettant a mis fin ou «aurait pu mettre fin au contrat» en cas d’une faute de la part de l’agent commercial telle qu’il ne pourrait être exigé du commettant de maintenir la liaison contractuelle. Or, force est de constater que le législateur de l’Union n’a pas retenu la seconde cause de déchéance proposée.

41      L’interprétation présentée ci-dessus est également confortée par le fait que la même préposition est employée dans les différentes versions linguistiques de l’article 18, sous a), de la directive, et notamment en langue espagnole («por un incumplimiento imputable al agente comercial»), en langue allemande («wegen eines schuldhaften Verhaltens des Handelsvertreters»), en langue anglaise («because of default attributable to the commercial agent»), en langue française («pour un manquement imputable à l’agent commercial»), en langue italienne («per un’inadempienza imputabile all’agente commerciale»), ainsi qu’en langue polonaise («z powodu uchybienia przypisywanego przedstawicielowi handlowemu»).

42      Il convient d’ajouter que, en tant qu’exception au droit à indemnité de l’agent, l’article 18, sous a), de la directive est d’interprétation stricte. Partant, cette disposition ne saurait être interprétée dans un sens qui reviendrait à ajouter une cause de déchéance de l’indemnité non expressément prévue par cette disposition.

43      Dans ces conditions, lorsque le commettant ne prend connaissance du manquement de l’agent commercial qu’après la fin du contrat, il n’est plus possible d’appliquer le mécanisme prévu à l’article 18, sous a), de la directive. Par conséquent, l’agent commercial ne peut pas être privé de son droit à indemnité en vertu de cette disposition lorsque le commettant établit, après lui avoir notifié la résiliation du contrat moyennant préavis, l’existence d’un manquement de cet agent qui était de nature à justifier une résiliation sans délai de ce contrat.

44      Il convient, néanmoins, d’ajouter que, conformément à l’article 17, paragraphe 2, sous a), deuxième tiret, de la directive, l’agent commercial a droit à une indemnité si et dans la mesure où le paiement de cette indemnité est équitable, compte tenu de toutes les circonstances. Il ne saurait, dès lors, être exclu que le comportement dudit agent puisse être pris en compte dans le cadre de l’analyse visant à déterminer le caractère équitable de son indemnité.

45      Eu égard à ces considérations, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 18, sous a), de la directive s’oppose à ce qu’un agent commercial indépendant soit privé de son indemnité de clientèle lorsque le commettant établit l’existence d’un manquement de l’agent commercial, ayant eu lieu après la notification de la résiliation du contrat moyennant préavis et avant l’échéance de celui-ci, qui était de nature à justifier une résiliation sans délai du contrat en cause.

 Sur les dépens

46      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

L’article 18, sous a), de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, s’oppose à ce qu’un agent commercial indépendant soit privé de son indemnité de clientèle lorsque le commettant établit l’existence d’un manquement de l’agent commercial, ayant eu lieu après la notification de la résiliation du contrat moyennant préavis et avant l’échéance de celui-ci, qui était de nature à justifier une résiliation sans délai du contrat en cause.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.