Language of document : ECLI:EU:F:2010:88

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

13 juillet 2010 (*)

«Fonction publique – Personnel employé dans le cadre du projet JET – Recours en indemnité – Délai raisonnable – Tardiveté»

Dans l’affaire F‑103/09,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,

John Allen, demeurant à Horspath (Royaume-Uni), et les 113 autres requérants dont les noms figurent en annexe, ayant travaillé dans le cadre du projet Joint European Torus (JET), représentés par MM. P. Lasok, QC, I. Hutton et B. Lask, barristers,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. J. Currall et D. Martin, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre),

composé de M. S. Gervasoni (rapporteur), président, M. H. Kreppel et Mme M. I. Rofes i Pujol, juges,

greffier: Mme W. Hakenberg,

rend la présente

Ordonnance

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 22 décembre 2009 par télécopie (le dépôt de l’original étant intervenu le 24 décembre suivant), les requérants ont introduit le présent recours tendant principalement à la condamnation de la Commission européenne à réparer les préjudices matériels qu’ils ont subis du fait de ne pas avoir été recrutés dans le cadre de contrats d’agent temporaire pour l’exercice de leur activité au sein de l’entreprise commune Joint European Torus (JET).

 Faits à l’origine du litige

2        L’entreprise commune JET a été créée par la décision 78/471/Euratom du Conseil, du 30 mai 1978 (JO L 151, p. 10), pour la réalisation du programme «Fusion» de la Communauté européenne de l’énergie atomique, qui prévoyait la construction, le fonctionnement et l’exploitation d’une grande machine torique du type tokamak et de ses installations annexes. Initialement conçu pour une période de douze ans, le projet JET a été prorogé à trois reprises: jusqu’au 31 décembre 1992 par la décision 88/447/Euratom du Conseil du 25 juillet 1988 (JO L 222, p. 4), jusqu’au 31 décembre 1996 par la décision 91/677/Euratom du Conseil du 19 décembre 1991 (JO L 375, p. 9), et jusqu’au 31 décembre 1999 par la décision 96/305/Euratom du Conseil du 7 mai 1996 (JO L 117, p. 9). Le projet a formellement expiré le 31 décembre 1999.

3        Les requérants ont travaillé dans le cadre du projet JET. Ils étaient employés et rémunérés par des sociétés tierces avec lesquelles l’entreprise commune JET avait conclu des contrats et n’avaient aucun lien juridique avec la Commission.

4        Par arrêt du 5 octobre 2004, Sanders e.a./Commission (T‑45/01, Rec. p. II‑3315, ci-après l’«arrêt Sanders»), le Tribunal de première instance des Communautés européennes a jugé que la Commission, en s’étant abstenue de proposer un emploi d’agent temporaire à un certain nombre de personnes qui travaillaient dans des conditions similaires à celles des requérants avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

5        Par arrêt du 12 juillet 2007, Sanders e.a/Commission (T‑45/01, Rec. p. II‑2665), le Tribunal de première instance a condamné la Commission à réparer les préjudices subis par les personnes victimes des agissements fautifs susmentionnés.

6        Par lettre commune du 6 février 2009, les requérants ont présenté à la Commission une demande, sur le fondement des dispositions de l’article 90, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le «statut»), tendant à la réparation des préjudices matériels qu’ils auraient respectivement subis du fait de ne pas avoir été recrutés comme agents temporaires pour l’exercice de leur activité au sein de l’entreprise commune JET.

7        Par lettre du 30 avril 2009, la Commission a rejeté cette demande au motif que les requérants n’avaient pas présenté leur demande en indemnité dans un délai raisonnable.

8        Par lettre commune du 18 juin 2009, les requérants ont présenté une réclamation sur le fondement des dispositions de l’article 90, paragraphe 2, du statut.

9        Par décision du 25 septembre 2009, la Commission a rejeté cette réclamation (ci-après la «décision de rejet de la réclamation»).

 Conclusions des parties et procédure

10      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal:

–        annuler la décision de rejet de la réclamation;

–        constater que les requérants avaient un droit à être traités en tant qu’«autre personnel» et/ou recrutés en cette qualité, conformément à l’article 8 des statuts d’origine du JET et que ce droit aurait dû être respecté;

–        constater que la Commission a traité les requérants de manière discriminatoire, sans justification objective, au cours de leur période d’engagement au service du projet JET, en ce qui concerne leur rémunération, leur droit à pension et avantages afférents, ainsi qu’en ce qui concerne la garantie d’un emploi ultérieur;

–        ordonner à la Commission d’indemniser les requérants pour la perte de rémunération, de pension et d’indemnité et avantages afférents occasionnée par la violation du droit communautaire précitée, en incluant, le cas échéant, les intérêts portant sur ces sommes;

–        condamner la Commission aux dépens.

11      Par acte séparé adressé au greffe du Tribunal, la Commission a soulevé trois exceptions d’irrecevabilité. Dans cette demande de statuer sans engager le débat au fond, présentée conformément à l’article 78 du règlement de procédure, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

–        rejeter le recours comme irrecevable;

–        condamner les requérants aux dépens.

12      Les requérants ont fait part de leurs observations sur les exceptions d’irrecevabilité présentées par la Commission.

13      En outre, les requérants ont présenté une demande de mesures d’organisation de la procédure, sur le fondement des articles 54 et 55 du règlement de procédure, afin de pouvoir mieux chiffrer leur préjudice.

14      Par ordonnance du 7 mai 2010, le Tribunal, prenant acte du désistement de deux requérants, a ordonné la radiation de leurs noms de la liste des parties requérantes.

15      Par lettre du 21 mai 2010, les requérants ont demandé au Tribunal de tenir une audience au cas où il déciderait de statuer sur les exceptions d’irrecevabilité soulevées par la Commission sans engager le débat au fond.

16      Par lettre du 3 juin 2010, les requérants ont été informés que le Tribunal considérait qu’il n’y avait pas lieu d’organiser une audience.

17      Par lettre du 4 juin 2010, la Commission a fait valoir, d’une part, qu’il était approprié que le Tribunal statue sans engager le débat au fond sur les exceptions d’irrecevabilité qu’elle avait soulevées par acte séparé, et, d’autre part, qu’eu égard à la tardiveté manifeste du recours, l’affaire devrait être réglée par ordonnance, sans tenue préalable d’une audience. Néanmoins, compte tenu des intérêts en jeu, la Commission a déclaré comprendre la demande d’organisation d’une audience présentée par les requérants.

18      Par ordonnance du 5 juillet 2010, le Tribunal, prenant acte du désistement d’un troisième requérant, a ordonné la radiation de son nom de la liste des parties requérantes.

 En droit

19      Conformément à l’article 78, paragraphe 2, du règlement de procédure, si une partie demande que le Tribunal statue sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond, la suite de la procédure sur l’exception d’irrecevabilité est orale, sauf décision contraire de celui-ci. En l’espèce, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces produites par les parties, le Tribunal considère qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale et qu’il convient de statuer par voie d’ordonnance motivée, en application de l’article 78, paragraphe 3, du règlement de procédure.

 Sur l’étendue du litige

20      Le Tribunal estime que les conclusions formellement présentées par les requérants comme visant, d’une part, à «constater» une situation de droit, et, d’autre part, à «ordonner» à la Commission de verser une somme en réparation d’un préjudice doivent être interprétées dans leur ensemble comme constituant en réalité des conclusions en indemnité.

21      Il s’ensuit qu’en vertu des dispositions de l’article 91 du statut, l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission à l’encontre des deuxièmes, troisièmes et quatrièmes conclusions et tirée de l’incompétence du Tribunal pour connaître de telles conclusions doit être rejetée.

 Sur les conclusions aux fins d’annulation de la décision de rejet de la réclamation

22      Il est de jurisprudence constante que la décision d’une institution portant rejet d’une demande en indemnité et la décision rejetant la réclamation dirigée contre la décision de rejet de la demande en indemnité font partie intégrante de la procédure administrative préalable au recours en responsabilité formé devant le Tribunal. Par conséquent, les conclusions en annulation dirigées contre ces décisions ne peuvent être appréciées de manière autonome par rapport à des conclusions en indemnité. En effet, ces actes contenant la prise de position de l’institution pendant la phase précontentieuse ont uniquement pour effet de permettre à la partie qui aurait subi un préjudice de saisir le juge d’une demande en indemnité (voir, notamment, arrêt du Tribunal de première instance du 14 octobre 2004, Sandini/Cour de justice, T‑389/02, RecFP p. I‑A‑295 et II‑1339, point 56). Par conséquent, il n’y a pas lieu de statuer de façon autonome sur les conclusions en annulation présentées contre la décision de rejet de la réclamation.

 Sur les conclusions en indemnité

23      S’agissant de ces conclusions, la Commission a soulevé deux exceptions d’irrecevabilité:

–        la première, tirée du caractère tardif de la demande en indemnité;

–        la seconde, tirée de l’absence de toute précision concernant l’étendue du dommage prétendument subi par les requérants.

24      Il y a lieu d’examiner plus particulièrement la première exception d’irrecevabilité.

 Arguments des parties

25      La Commission soutient que les conclusions en indemnité présentées par les requérants sont irrecevables dès lors que la demande indemnitaire, présentée sur le fondement des dispositions de l’article 90, paragraphe 1, du statut, a été formée tardivement.

26      Au soutien de son argumentation, la Commission se prévaut notamment de l’arrêt Sanders selon lequel une demande indemnitaire devrait être présentée dans un délai raisonnable afin de respecter les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, délai en l’occurrence d’une durée de cinq ans et qui commencerait à courir à compter de chaque contrat de travail annuel, initial ou de renouvellement, conclu par les requérants (point 59 de l’arrêt).

27      Or, dans le présent litige, eu égard à la date d’introduction de la demande en indemnité et de la date de fin d’activité de JET, la demande indemnitaire des requérants n’aurait pas été présentée dans un délai raisonnable.

28      Les requérants soutiennent au contraire que leurs conclusions indemnitaires sont recevables, et ce pour différentes raisons.

29      En premier lieu, ils font valoir qu’une demande en indemnité, présentée au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut et fondée sur un agissement non décisionnel fautif d’une institution, n’est soumise à aucun délai, le statut ne comportant à cet égard aucune disposition. D’ailleurs, la Cour aurait eu l’occasion de statuer au fond sur un recours en indemnité portant sur des faits remontant à une quinzaine d’années (arrêt de la Cour du 19 novembre 1981, Fournier/Commission, 106/80, Rec. p. 2759).

30      En deuxième lieu, les requérants critiquent l’arrêt Sanders en tant qu’il aurait jugé qu’un recours en indemnité, pour être recevable, devait être précédé d’une demande indemnitaire présentée dans un délai raisonnable. D’abord, ils soutiennent que le législateur aurait décidé en connaissance de cause de ne pas fixer de délai pour ce type de contentieux, le statut comportant en revanche, dans les autres contentieux, des délais bien définis. De plus, selon les requérants, le souci de protection des finances publiques ne serait pas de nature à justifier l’établissement d’un délai raisonnable. Ensuite, la jurisprudence à laquelle le Tribunal de première instance s’est référé pour justifier l’existence d’un délai raisonnable en matière de recours en indemnité n’aurait pas été topique et transposable par analogie et n’était pas de nature à fonder une telle solution. Le Tribunal de première instance n’aurait d’ailleurs pas été compétent pour fixer un délai de manière prétorienne, au surplus sans que cette règle soit assortie d’une période de transition. Enfin, ils estiment, en se fondant notamment sur l’arrêt de la Cour du 28 janvier 2010, Uniplex (UK) (C‑406/08, non encore publié au Recueil, points 39 à 42), que l’exigence du respect d’un «délai raisonnable» pour former un recours, sans que ce délai soit clair, précis et prévisible, méconnaîtrait le principe de sécurité juridique.

31      En troisième lieu, les requérants estiment que la Commission ne pouvait leur opposer l’autorité de la chose jugée par l’arrêt Sanders e.a/Commission, précité, dès lors qu’ils n’étaient pas parties à l’instance dans cette affaire.

32      En quatrième lieu, et à titre subsidiaire, les requérants contestent le point de départ du délai raisonnable tel qu’il a été posé par le Tribunal de première instance dans l’arrêt Sanders. Ce délai raisonnable ne pourrait pas commencer à courir à compter de la conclusion de leur contrat de travail ou de la reconduction dudit contrat, dès lors qu’ils n’avaient alors pas connaissance de l’obligation de respecter un délai raisonnable. L’application de la règle du délai raisonnable dans les conditions fixées par l’arrêt Sanders aurait pour effet d’interdire à tout agent se trouvant dans une situation similaire à celles des requérants de l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, de pouvoir présenter dans les délais un recours en indemnité et serait donc contraire à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et à l’article 1er du protocole n° 1 de ladite convention. En réalité, le délai raisonnable à appliquer ne pourrait commencer à courir qu’à compter du prononcé d’un arrêt fixant une période transitoire d’au moins six mois à partir de laquelle les règles définies par l’arrêt Sanders pourraient s’appliquer, dès lors que ce n’est qu’à partir de cette date que les requérants auraient été régulièrement informés du changement de l’état du droit.

 Appréciation du Tribunal

33       Selon une jurisprudence constante, il incombe aux fonctionnaires ou autres agents de saisir, dans un délai raisonnable, l’institution de toute demande tendant à obtenir de l’Union une indemnisation en raison d’un dommage qui serait imputable à celle-ci, ce à compter du moment où ils ont eu connaissance de la situation dont ils se plaignent (arrêt du Tribunal de première instance du 5 octobre 2004, Eagle e.a./Commission, T‑144/02, Rec. p. II‑3381, points 60, 65 et 66).

34      Le respect d’un délai raisonnable est requis dans tous les cas où, dans le silence des textes, les principes de sécurité juridique ou de protection de la confiance légitime font obstacle à ce que les institutions de l’Union et les personnes physiques ou morales agissent sans aucune limite de temps, risquant ainsi, notamment, de mettre en péril la stabilité de situations juridiques acquises (voir notamment arrêt Eagle e.a./Commission, précité, point 57; ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 23 mars 2010, Marcuccio/Commission, T‑16/09 P, non encore publiée au Recueil, points 33 et 34).

35      Le caractère raisonnable du délai doit être apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire et du comportement des parties en présence (arrêt Eagle e.a./Commission, précité, point 66).

36      Il convient également, à cet égard, de tenir compte du point de comparaison offert par le délai de prescription de cinq ans prévu en matière d’action en responsabilité non contractuelle par l’article 46 du statut de la Cour de justice, bien que ce délai ne trouve pas à s’appliquer dans les litiges entre l’Union et ses agents. Le Tribunal de première instance en a conclu, au point 71 de l’arrêt Eagle e.a./Commission, précité, que les intéressés, dès lors qu’ils estimaient faire l’objet d’un traitement discriminatoire illégal, auraient dû adresser une demande à l’institution tendant à ce qu’elle prenne les mesures propres à réparer cette situation et à y mettre fin dans un délai raisonnable qui n’aurait pu excéder cinq ans à compter du moment où ils avaient eu connaissance de la situation dont ils se plaignaient (voir également en ce sens, ordonnance du Tribunal de première instance du 26 juin 2009, Marcuccio/Commission, T‑114/08 P, non encore publiée au Recueil, point 25; arrêt du Tribunal du 1er février 2007, Tsarnavas/Commission, F‑125/05, non encore publié au Recueil, point 71).

37      Certes, les requérants contestent les principes susmentionnés. Ils font valoir, en premier lieu, que les recours en indemnité fondés sur un agissement non décisionnel fautif ne sont soumis à aucun délai résultant d’un texte.

38      Toutefois, il convient de rappeler qu’il est jugé de manière constante, et ce, antérieurement à l’arrêt Sanders, qu’en l’absence de toute indication textuelle en matière de délai de recours pour une catégorie de litiges, il appartient au juge de l’Union de combler cette lacune dans le régime des voies de recours. Pour ce faire, le juge doit mettre en balance, d’une part, le droit du requérant à une protection juridictionnelle effective, qui compte parmi les principes généraux du droit de l’Union et qui implique que le justiciable puisse disposer d’un délai suffisant pour évaluer la légalité de l’acte qui lui fait grief ou du fait dont il se plaint et préparer, le cas échéant, son recours, et, d’autre part, l’exigence de la sécurité juridique, qui veut que, après l’écoulement d’un certain délai, les actes pris par les instances de l’Union deviennent définitifs. La conciliation de ces différents intérêts exige que, dans le silence des textes, les litiges soient portés devant le juge dans un délai raisonnable (voir en ce sens, notamment, ordonnance du Tribunal de première instance du 25 mars 1998, Koopman/Commission, T‑202/97, RecFP p. I‑A‑163 et II‑511, points 24 et 25; arrêts du Tribunal de première instance du 6 mars 2001, Dunnett e.a./BEI, T‑192/99, Rec. p. II‑813, points 51 à 53, et du 6 juillet 2004, Huygens/Commission, T‑281/01, RecFP p. I‑A‑203 et II‑903, points 46 et 47). Le respect d’un délai raisonnable pour présenter un recours, en l’absence de disposition textuelle, constitue d’ailleurs un principe général du droit (ordonnance Marcuccio/Commission, T‑114/08 P, précitée, point 27).

39      En conséquence, eu égard au principe du respect du délai raisonnable susmentionné, la circonstance que le statut ne prévoit pas expressément un délai pour présenter un recours en indemnité fondé sur un agissement non décisionnel fautif n’a pas pour effet de permettre à un requérant de saisir le juge sans limite temporelle. Ainsi, dans l’arrêt Sanders, le Tribunal de première instance n’a pas défini une règle de droit nouvelle en matière de recevabilité ni outrepassé ses attributions juridictionnelles mais s’est limité à appliquer au contentieux de l’indemnité le principe selon lequel un recours doit être formé dans un délai raisonnable en l’absence de toute disposition expresse en matière de délai.

40      En deuxième lieu, les requérants ne sont pas fondés à se prévaloir de l’arrêt Uniplex (UK), précité, pour soutenir que l’obligation de respecter un délai raisonnable pour former un recours, en l’absence de disposition textuelle en la matière, serait contraire au principe de sécurité juridique.

41      En effet, l’arrêt Uniplex (UK), précité, a été rendu dans un contexte juridique particulier et totalement différent de celui du présent litige. Dans cet arrêt, rendu sur demande de décision préjudicielle portant sur la transposition d’une directive, les mécanismes de recours mis en place par l’État membre concerné reposaient sur un délai très bref, de trois mois, lequel était susceptible d’être réduit par le juge. La Cour a dit pour droit que l’incertitude que comportait ce système, lequel n’était pas suffisamment précis, clair et prévisible, était contraire au principe d’effectivité.

42      Or, en l’espèce, le respect de l’exigence du délai raisonnable, tel que rappelé par la jurisprudence citée au point 38 de la présente ordonnance, et l’application par analogie du délai de prescription de cinq ans prévu par l’article 46 du statut de la Cour, visent précisément à combler un vide juridique et à éviter qu’un recours en indemnité puisse être formé indéfiniment, et par là même, mette en péril la stabilité de situations juridiques acquises. La longueur d’un tel délai est, en outre, de nature à garantir un juste équilibre entre ces exigences de sécurité juridique et le droit des requérants à une protection juridictionnelle effective, dans des conditions comparables à celles appliquées à tout créancier de l’Union.

43      En troisième lieu, les autres critiques formulées par les requérants à l’encontre de l’arrêt Sanders ne sont pas davantage fondées.

44      D’une part, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l’arrêt Sanders ne revient nullement sur l’état de la jurisprudence antérieure. En effet, dans l’arrêt Fournier/Commission, précité, auquel se réfèrent les requérants, la Cour ne s’est pas prononcée explicitement sur le point de savoir si un recours en indemnité, pour être recevable, pouvait être présenté sans condition de délai. En outre, l’arrêt Fournier/Commission, précité, est antérieur à l’ordonnance et aux arrêts cités au point 38 ci-dessus, décisions dans lesquelles le Tribunal de première instance a fait application pour la première fois du principe selon lequel un recours devait être présenté dans un délai raisonnable.

45      D’autre part, s’agissant de la contestation subsidiaire du point de départ fixé dans l’arrêt Sanders pour calculer le délai raisonnable à l’intérieur duquel une demande en indemnité doit être présentée, l’argumentation des requérants ne peut être accueillie. Selon les requérants, eu égard à la nouveauté de la règle jurisprudentielle posée par cet arrêt, cette règle ne pouvait être appliquée immédiatement, sans méconnaître la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 6 et article 1er du protocole n°1), le principe de confiance légitime, le principe de sécurité juridique et le principe de non-rétroactivité, mais seulement à l’issue d’une période de transition dûment fixée.

46      Certes, ce n’est qu’à partir de l’arrêt Sanders que le Tribunal de première instance a donné des précisions concernant la durée et la computation du délai raisonnable en matière de recours en indemnité mettant en jeu un agissement non décisionnel.

47      Toutefois, il y a lieu de relever que ces règles sont plus favorables et plus précises que celles existant auparavant. En effet, avant l’arrêt Sanders, il ressort de la jurisprudence citée au point 38 que le délai raisonnable dans lequel un recours devait être présenté était apprécié au cas par cas par le juge sans ligne directrice prédéfinie et était plus court que celui dégagé dans l’arrêt Sanders.

48      En outre, le délai raisonnable retenu par le Tribunal de première instance dans l’arrêt Sanders permet de rapprocher le contentieux de la responsabilité non contractuelle de la fonction publique pour agissement non décisionnel fautif de celui du contentieux général de la responsabilité non contractuelle, lequel est soumis à un délai de prescription de cinq ans en vertu de l’article 46 du statut de la Cour.

49      En tout état de cause, le Tribunal estime qu’une évolution jurisprudentielle s’applique, en principe, à l’affaire dans laquelle elle est adoptée, sans période de transition [voir à ce propos, Cour eur. D. H., arrêt Micallef c. Malte du 15 octobre 2009, n° 17056/06, § 81; voir également le point 129 des conclusions de l’avocat général Sharpston dans les affaires jointes ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour du 6 mai 2010, Club Hotel Loutraki e.a. (C‑145/08 et C‑149/08, non encore publié au Recueil)]. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs jugé que les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante (Cour eur. D. H., arrêt Unédic c. France du 18 décembre 2008, n° 20153/04, § 74).

50      Enfin, contrairement, à ce que soutiennent les requérants, aucun texte ni aucun principe n’imposait à la Commission de les informer de l’existence de l’arrêt Sanders afin de leur permettre de former une demande en indemnité.

51      S’agissant plus précisément des recours en indemnité présentés par les personnes ayant travaillé dans le cadre du projet JET, il a été jugé que c’est la conclusion de chaque contrat annuel, initial ou de renouvellement, qui marque le point de départ de la prise de connaissance de la situation critiquée et représente un fait nouveau substantiel à compter duquel les requérants prenaient connaissance de la situation potentiellement illégale dans laquelle ils auraient été placés faute de s’être vu proposer par la Commission un contrat d’agent temporaire (arrêt Sanders, point 83).

52      En l’espèce, les requérants ont présenté leur demande en indemnité le 6 février 2009. Or, les contrats de travail qu’ils avaient conclus avec les sociétés tierces participant au projet JET ont été proposés nécessairement avant le 31 décembre 1999, date d’expiration de ce projet. Les requérants ont donc eu connaissance au plus tard lors de la conclusion de leur dernier contrat de travail les associant au projet JET qu’un emploi d’agent temporaire ne leur serait pas proposé, situation à l’origine des préjudices matériels allégués. Il s’ensuit que la demande en indemnité, qui a été formée plus de cinq ans après la connaissance de cet agissement non décisionnel, n’a pas été présentée dans un délai raisonnable.

53      Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires sont irrecevables et doivent être rejetées, sans qu’il soit besoin de procéder aux mesures d’organisation de la procédure sollicitées.

54      Le recours doit, dès lors, être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

55      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre relatif aux dépens, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 du même article, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

Il résulte des motifs énoncés ci-dessus que les requérants succombent. En outre, la Commission a, dans ses conclusions, expressément conclu à ce qu’ils soient condamnés aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, il y a donc lieu de condamner les requérants à l’ensemble des dépens

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre)

ordonne:

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      M. Allen et les 110 autres requérants dont les noms ont été maintenus sur la liste des parties requérantes sont condamnés à l’ensemble des dépens.

Fait à Luxembourg, le 13 juillet 2010.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       S. Gervasoni

Les textes de la présente décision ainsi que des décisions des juridictions de l’Union européenne citées dans celle-ci sont disponibles sur le site internet www.curia.europa.eu

ANNEXE

Compte tenu du nombre élevé de requérants dans cette affaire, leurs noms ne sont pas repris dans la présente annexe.


* Langue de procédure: l’anglais.