Language of document : ECLI:EU:C:2011:385

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

9 juin 2011 (*)

«Manquement d’État – Directive 98/83/CE – Eaux destinées à la consommation humaine – Transposition incomplète et incorrecte»

Dans l’affaire C‑458/10,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 17 septembre 2010,

Commission européenne, représentée par Mmes S. Pardo Quintillán et O. Beynet, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Grand-Duché de Luxembourg, représenté par M. C. Schiltz, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. K. Schiemann, président de chambre, Mme A. Prechal et M. E. Jarašiūnas (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas transposé de manière complète et correcte l’article 9, paragraphe 3, sous b), c) et e), de la directive 98/83/CE du Conseil, du 3 novembre 1998, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (JO L 330, p. 32), le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2        Le vingt-neuvième considérant de la directive 98/83 énonce «qu’il y a lieu d’autoriser les États membres à accorder, sous certaines conditions, des dérogations à la présente directive; que, en outre, il est nécessaire de donner un cadre réglementaire adéquat à de telles dérogations».

3        L’article 1er de la directive 98/83 dispose:

«1.      La présente directive concerne la qualité des eaux destinées à la consommation humaine.

2.      L’objectif de la directive est de protéger la santé des personnes des effets néfastes de la contamination des eaux destinées à la consommation humaine en garantissant la salubrité et la propreté de celles-ci.»

4        L’article 9 de cette directive énonce:

«1.      Les États membres peuvent prévoir des dérogations aux valeurs paramétriques fixées à l’annexe I, partie B, ou fixées conformément à l’article 5, paragraphe 3, jusqu’à concurrence d’une valeur maximale qu’ils fixent, dans la mesure où aucune dérogation ne constitue un danger potentiel pour la santé des personnes et où il n’existe pas d’autre moyen raisonnable de maintenir la distribution des eaux destinées à la consommation humaine dans le secteur concerné. Ces dérogations sont aussi limitées dans le temps que possible et ne dépassent pas trois ans, période à l’issue de laquelle un bilan est dressé afin de déterminer si des progrès suffisants ont été accomplis. Lorsqu’un État membre a l’intention d’accorder une seconde dérogation, il transmet à la Commission le bilan dressé ainsi que les motifs qui justifient sa décision d’accorder une seconde dérogation. Cette seconde dérogation ne dépasse pas trois ans.

2.      Dans des cas exceptionnels, un État membre peut demander à la Commission une troisième dérogation pour une période ne dépassant pas trois ans. La Commission statue sur cette demande dans un délai de trois mois.

3.      Toute dérogation octroyée conformément aux paragraphes 1 ou 2 doit comporter les renseignements suivants:

a)      les motifs de la dérogation;

b)      le paramètre concerné, les résultats pertinents de contrôles antérieurs, et la valeur maximale admissible prévue au titre de la dérogation;

c)      la zone géographique, la quantité d’eau distribuée chaque jour, la population concernée et l’existence de répercussions éventuelles sur des entreprises alimentaires concernées;

[…]

e)      un résumé du plan concernant les mesures correctives nécessaires, comprenant un calendrier des travaux, une estimation des coûts et les dispositions en matière de bilan;

[…]»

5        La directive 98/83 prévoit, à son article 17, que les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à cette directive dans un délai de deux ans à compter de la date de son entrée en vigueur et qu’ils en informent immédiatement la Commission.

6        L’article 18 de la directive 98/83 dispose qu’elle «entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel des Communautés européennes». Cette directive ayant été publiée le 5 décembre 1998, elle est donc entrée en vigueur le 25 décembre 1998 et le délai de transposition expirait le 25 décembre 2000.

 Le droit national

7        La directive 98/83 a été transposée en droit luxembourgeois par le règlement grand-ducal du 7 octobre 2002 relatif à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (Mémorial A 2002, p. 2816, ci-après le «règlement grand-ducal»).

8        L’article 11 du règlement grand-ducal est libellé comme suit:

«(1)      Les ministres peuvent accorder aux fournisseurs d’eau, sur leur demande, une dérogation aux valeurs paramétriques fixées à l’annexe I, partie B, ou fixées conformément à l’article 7, paragraphe 3, point c, dans la mesure où cette dérogation ne constitue pas de danger potentiel pour la santé humaine et lorsqu’il n’existe pas d’autre moyen raisonnable pour maintenir la fourniture d’eau dans le secteur concerné.

(2)      Le fournisseur introduit une demande afférente auprès des ministres renseignant sur:

a)      les motifs de la dérogation sollicitée;

b)      le paramètre concerné, les résultats pertinents de contrôles antérieurs et le dépassement sollicité pour la valeur paramétrique concernée;

c)      la zone géographique affectée, la quantité d’eau distribuée chaque jour, la population concernée et l’existence de répercussions éventuelles sur des entreprises alimentaires concernées;

d)      un plan des mesures envisagées pour se conformer à la valeur paramétrique comprenant un calendrier des travaux, une estimation des coûts et les dispositions en matière de bilan;

e)      la durée requise de la dérogation.

(3)      Les ministres, sur avis des organes techniques compétents, décident de la recevabilité de la demande aux termes des exigences du paragraphe 1 et accordent, le cas échéant, la permission de dérogation qui sera aussi limitée dans le temps que possible et ne pourra pas dépasser une durée de trois ans. Une copie de la permission de dérogation est communiquée aux autorités communales concernées.

La permission de dérogation fixera:

a)      la valeur maximale admissible du paramètre pour lequel la dérogation a été sollicitée;

b)      la zone géographique à laquelle se limite la dérogation;

c)      un programme de contrôle approprié prévoyant, le cas échéant, des contrôles plus fréquents;

d)      les mesures à entreprendre par le fournisseur pour se conformer aux valeurs paramétriques avec, au besoin, un calendrier des interventions;

e)      la durée maximale de la dérogation.

Avant l’échéance du délai fixé par la permission de dérogation le fournisseur concerné adressera, aux ministres, et, en copie, aux autorités communales concernées, un rapport-bilan qui permettra de vérifier si tout a été mis en œuvre pour garantir ou rétablir la conformité du paramètre pour lequel la permission de dérogation avait été accordée.

[…]»

 La procédure précontentieuse

9        La Commission a adressé, le 10 avril 2006, une lettre de mise en demeure au Grand-Duché de Luxembourg, dans laquelle elle indiquait que les dispositions de l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 98/83 n’avaient pas été complètement et correctement transposées en droit luxembourgeois.

10      Le Grand-Duché de Luxembourg a répondu par lettre du 24 octobre 2006 et a transmis à la Commission, le 30 mars 2007, le règlement grand-ducal du 13 mars 2007 modifiant le règlement grand-ducal (Mémorial A 2007, p. 832).

11      Par lettre du 29 juin 2007, la Commission a transmis au Grand-Duché de Luxembourg une lettre de mise en demeure complémentaire dans laquelle elle a relevé que l’article 11, paragraphe 3, du règlement grand-ducal ne prévoyait pas que, en particulier, une deuxième ou une troisième dérogation devait contenir tout ou partie des éléments d’information énoncés à l’article 9, paragraphe 3, sous a) à c) et e), de la directive 98/83.

12      En l’absence de réponse du Grand-Duché de Luxembourg à ladite lettre, la Commission a, le 6 juin 2008, adressé à cet État membre un avis motivé fondé sur les mêmes motifs.

13      Par lettre du 24 juillet 2008, le Grand-Duché de Luxembourg a répondu à l’avis motivé en reconnaissant avoir peut-être interprété de manière erronée l’article 9, paragraphe 3, de la directive 98/83. Il a demandé à la Commission des clarifications relatives à cette disposition en vue de procéder aux modifications réglementaires nécessaires.

14      Par lettre du 1er décembre 2008, la Commission a transmis une seconde lettre de mise en demeure complémentaire au Grand-Duché de Luxembourg contenant les clarifications demandées. La Commission a indiqué que chaque dérogation doit être spécifique à une situation donnée et doit donc prendre la forme d’une décision particulière contenant les informations énoncées à l’article 9, paragraphe 3, de la directive 98/83 et que la législation nationale doit imposer que l’ensemble de ces informations, et notamment celles indiquées à cet article 9, paragraphe 3, sous a) à c) et e), figurent dans toute décision d’accorder une dérogation, et ce qu’il s’agisse de la première, de la deuxième ou de la troisième décision. Or, selon la Commission, la législation luxembourgeoise ne satisfait pas à cette obligation en ce qui concerne tous les éléments d’information indiqués audit article 9, paragraphe 3, sous a) à c) et e).

15      En réponse à cette seconde lettre de mise en demeure complémentaire, le Grand-Duché de Luxembourg a, par lettre du 12 février 2009, fait valoir que, selon lui, il n’était pas nécessaire de transposer l’article 9, paragraphe 3, sous a) et e), de la directive 98/83. S’agissant de l’exigence mentionnée à cet article 9, paragraphe 3, sous a), il découlerait de l’essence de l’État de droit que toute décision doit être motivée. S’agissant de l’exigence mentionnée audit article 9, paragraphe 3, sous e), le Grand-Duché de Luxembourg soutenait, notamment, que c’est à l’auteur de la demande de dérogation qu’il incombe de définir et de mettre en œuvre les mesures correctives visées à ladite disposition.

16      Par lettre du 23 novembre 2009, la Commission a transmis au Grand-Duché de Luxembourg un avis motivé complémentaire, relevant que la transposition de l’article 9, paragraphe 3, sous b) et c), de la directive 98/83 demeurait incomplète, ainsi que l’aurait du reste admis cet État membre dans sa réponse du 12 février 2009, que l’article 9, paragraphe 3, sous a), de cette directive n’avait pas été transposé et que l’article 9, paragraphe 3, sous e), de ladite directive avait été transposé de manière incomplète et incorrecte.

17      La Commission, n’ayant pas reçu de réponse à cet avis motivé complémentaire et ne disposant d’aucune information permettant de conclure que la législation nationale litigieuse avait été modifiée, a introduit le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

18      La Commission soutient que le Grand-Duché de Luxembourg n’a pas transposé de manière complète et correcte dans sa législation nationale l’article 9, paragraphe 3, sous b), c) et e), de la directive 98/83.

19      En ce qui concerne la transposition de l’article 9, paragraphe 3, sous b) et c), de la directive 98/83, la Commission relève que le règlement grand-ducal ne prévoit pas que la décision de dérogation doit contenir les éléments d’information relatifs aux résultats pertinents de contrôles antérieurs requis par l’article 9, paragraphe 3, sous b), de cette directive ainsi que les renseignements relatifs à la quantité d’eau distribuée chaque jour, à la population concernée et à l’existence de répercussions éventuelles sur des entreprises alimentaires concernées requis par l’article 9, paragraphe 3, sous c), de ladite directive.

20      S’agissant de la transposition de l’article 9, paragraphe 3, sous e), de la directive 98/83, la Commission fait observer que l’article 11, paragraphe 3, du règlement grand-ducal ne prévoit pas que toute décision de dérogation doit contenir une estimation des coûts des mesures correctives nécessaires et les dispositions en matière de bilan. En outre, la Commission relève que ladite disposition du règlement grand-ducal prévoit que la décision de dérogation doit contenir un calendrier des interventions seulement «au besoin».

21      Or, selon la Commission, l’article 9, paragraphe 3, de la directive 98/83 dispose clairement et explicitement que la dérogation elle-même doit contenir toutes les informations visées à cet article 9, paragraphe 3, sous a) à f), y compris sous e), sauf dans le cas prévu au paragraphe 4 dudit article. Le fait que la législation nationale prévoie que le demandeur de la dérogation doit fournir certaines informations serait sans incidence sur cette exigence.

22      En outre, il ne découlerait pas de l’expression «au besoin» employée à l’article 11, paragraphe 3, sous d), du règlement grand-ducal que l’insertion dans toute décision de dérogation d’un calendrier des travaux soit obligatoire et systématique, alors qu’il s’agit d’une information fondamentale qui permet de faire le lien entre la durée de la dérogation, le renouvellement éventuel de celle-ci et la mise en œuvre des mesures requises pour garantir à terme la distribution d’eau conforme aux valeurs paramétriques concernées.

23      La Commission souligne qu’une transposition complète de l’article 9, paragraphe 3, sous e), de la directive 98/83, premièrement, permet d’assurer que, à la date à laquelle une dérogation est accordée, les autorités compétentes disposent des informations nécessaires propres à garantir que les mesures requises pour mettre fin à la dérogation seront mises en œuvre selon le calendrier fixé par avance. Deuxièmement, elle permet aux autorités compétentes d’accorder une dérogation pour une période appropriée en fonction de la nature des mesures correctives à entreprendre et de la durée requise pour les mettre en œuvre. Troisièmement, elle permet au public de disposer de toute information pertinente relative aux conditions selon lesquelles une dérogation a été accordée, et ce conformément à l’article 9, paragraphe 6, de cette directive et au principe de transparence.

24      Dans son mémoire en défense, le Grand-Duché de Luxembourg expose qu’il a mis en œuvre l’article 9, paragraphe 3, de la directive 98/83 au moyen de l’article 11 du règlement grand-ducal. Il indique que, ainsi que les autorités compétentes l’ont souligné au cours de la phase précontentieuse, celles-ci distinguent entre la demande de dérogation et la décision de dérogation. Les autorités luxembourgeoises compétentes estiment que certaines des indications énoncées audit article 9, paragraphe 3, sont à fournir dans la demande de dérogation, et ce dans un souci de simplifier la procédure.

 Appréciation de la Cour

25      L’article 9, paragraphe 3, sous b), c) et e), de la directive 98/83 dispose que toute dérogation doit comporter les renseignements relatifs aux résultats pertinents de contrôles antérieurs, à la quantité d’eau distribuée chaque jour, à la population concernée et à l’existence de répercussions éventuelles sur des entreprises alimentaires concernées ainsi qu’une estimation des coûts des mesures correctives nécessaires, un calendrier des travaux et les dispositions en matière de bilan.

26      Le libellé même de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 98/83 ne laisse ainsi place à aucun doute quant au fait que le législateur de l’Union a imposé aux États membres l’obligation d’assurer que la décision octroyant une dérogation comporte les renseignements énumérés de manière exhaustive à cette même disposition.

27      En outre, ainsi qu’il découle, notamment, des arguments de la Commission reproduits au point 23 du présent arrêt, les finalités poursuivies par ladite disposition, dont le vingt-neuvième considérant de ladite directive souligne qu’elle vise à assurer un cadre réglementaire adéquat aux dérogations envisagées, commandent elles aussi qu’il soit procédé à une transposition complète de cette même disposition.

28      Il découle donc tant du libellé de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 98/83 que de la finalité de celui-ci que seule une transposition fidèle de tous les éléments de cette disposition constitue une exécution complète et correcte de l’obligation ainsi mise à la charge des États membres pour atteindre l’objectif plus général de cette directive qui est, selon l’article 1er, paragraphe 2, de celle-ci, de protéger la santé des personnes des effets néfastes de la contamination des eaux destinées à la consommation humaine en garantissant la salubrité et la propreté de celles-ci.

29      Par conséquent, il s’ensuit que le règlement grand-ducal ne satisfait pas aux exigences de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 98/83 et, partant, le recours introduit par la Commission doit être considéré comme fondé.

30      Dès lors, il convient de constater que, en n’ayant pas transposé de manière complète et correcte l’article 9, paragraphe 3, sous b), c) et e), de la directive 98/83, le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.

 Sur les dépens

31      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Grand-Duché de Luxembourg et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête:

1)      En n’ayant pas transposé de manière complète et correcte l’article 9, paragraphe 3, sous b), c) et e), de la directive 98/83/CE du Conseil, du 3 novembre 1998, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.

2)      Le Grand-Duché de Luxembourg est condamné aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.