Language of document : ECLI:EU:C:2011:801

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

1er décembre 2011 (*)

«Manquement d’État – Directive 1999/31/CE – Décision 2003/33/CE – Réglementation nationale – Décharge pour déchets inertes – Admission de déchets d’amiante-ciment»

Dans l’affaire C‑515/10,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 29 octobre 2010,

Commission européenne, représentée par MM. G. Rozet et A. Marghelis, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République française, représentée par MM. G. de Bergues et S. Menez, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (huitième chambre),

composée de Mme A. Prechal (rapporteur), président de chambre, MM. K. Schiemann et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas pris les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour assurer que les déchets d’amiante-ciment soient traités dans des décharges appropriées, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions des articles 2, sous e), 3, paragraphe 1, et 6, sous d), de la directive 1999/31/CE du Conseil, du 26 avril 1999, concernant la mise en décharge des déchets (JO L 182, p. 1), ainsi que de l’annexe de la décision 2003/33/CE du Conseil, du 19 décembre 2002, établissant des critères et des procédures d’admission des déchets dans les décharges, conformément à l’article 16 et à l’annexe II de la directive 1999/31/CE (JO 2003, L 11, p. 27).

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

2        L’article 2 de la directive 1999/31, intitulé «Définitions», prévoit:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

[...]

c)      déchets dangereux: tout déchet couvert par l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 91/689/CEE du Conseil du 12 décembre 1991 relative aux déchets dangereux [JO L 377, p. 20];

d)      déchets non dangereux: tout déchet qui n’est pas couvert par le point c);

e)      déchets inertes: les déchets qui ne subissent aucune modification physique, chimique ou biologique importante. Les déchets inertes ne se décomposent pas, ne brûlent pas et ne produisent aucune autre réaction physique ou chimique, ne sont pas biodégradables et ne détériorent pas d’autres matières avec lesquelles ils entrent en contact, d’une manière susceptible d’entraîner une pollution de l’environnement ou de nuire à la santé humaine. La production totale de lixiviats et la teneur des déchets en polluants ainsi que l’écotoxicité des lixiviats doivent être négligeables et, en particulier, ne doivent pas porter atteinte à la qualité des eaux de surface et/ou des eaux souterraines;

[...]

g)      décharge: un site d’élimination des déchets par dépôt des déchets sur ou dans la terre (c’est-à-dire en sous-sol) [...]

[...]»

3        L’article 3 de la directive 1999/31, intitulé «Champ d’application», dispose à son paragraphe 1:

«Les États membres appliquent la présente directive à toute décharge au sens de l’article 2, point g).»

4        L’article 6 de la directive 1999/31, intitulé «Déchets admis dans les différentes catégories de décharges», prévoit:

«Les États membres prennent des mesures pour que:

[...]

d)      les décharges pour déchets inertes ne soient utilisées que pour les déchets inertes.»

5        La décision 2000/532/CE de la Commission, du 3 mai 2000, remplaçant la décision 94/3/CE établissant une liste de déchets en application de l’article 1er, point a), de la directive 75/442 du Conseil relative aux déchets et la décision 94/904/CE du Conseil établissant une liste de déchets dangereux en application de l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 91/689 (JO L 226, p. 3), prévoit au point 4 de son annexe intitulée «Liste de déchets établie en application de l’article 1er, point a), de la directive 75/442/CEE relative aux déchets et de l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 91/689/CEE relative aux déchets dangereux»:

«Les déchets figurant sur la liste et marqués d’un astérisque (*) sont des déchets dangereux au sens de l’article 1er, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive 91/689 [...]»

6        Sur la liste de déchets, annexée à la décision 2000/532, telle que modifiée par la décision 2001/573/CE du Conseil, du 23 juillet 2001 (JO L 203, p. 18), sont notamment inscrits sous le code «17 06 05*» les «matériaux de construction contenant de l’amiante».

7        La décision 2003/33 prévoit à son article 3:

«Les États membres veillent à ce que les déchets ne soient admis en décharge que s’ils remplissent les critères d’admission de la catégorie de décharge qui leur correspond, conformément au point 2 de l’annexe de la présente décision.»

8        L’annexe de la décision 2003/33, intitulée «Critères et procédures d’admission des déchets en décharge», énonce à son point 2, intitulé «Critères d’admission des déchets»:

«[...]

2.1.      Critères d’admission dans des décharges pour déchets inertes

2.1.1. Liste des déchets admissibles sans essai dans des décharges pour déchets inertes

Les déchets figurant sur la liste succincte suivante sont censés remplir les critères énoncés dans la définition des déchets inertes, à l’article 2 de la directive ‘décharge’, ainsi que les critères visés au point 2.1.2. Ces déchets peuvent être admis sans essai dans une décharge pour déchets inertes.

[...]

En cas de présomption de contamination (résultant de l’inspection visuelle ou de la connaissance de l’origine des déchets), il convient de réaliser des essais ou de refuser les déchets concernés. Si un déchet appartenant à une catégorie figurant sur la liste est contaminé ou contient d’autres matières ou substances telles que des métaux, de l’amiante, des matières plastiques, des substances chimiques, etc., dans une proportion qui augmente le risque lié à ce déchet au point de justifier son élimination dans une autre catégorie de décharge, il ne peut être admis dans une décharge pour déchets inertes.

[...]

Code CED

 

Code CED

Description

 

Description

Restrictions

 

Restrictions

1011 03

 

1011 03

Déchets de matériaux à base de fibre de verre

 

Déchets de matériaux à base de fibre de verre

[...]

 

[...]

1501 07

 

1501 07

Emballage en verre

 

Emballage en verre

 

1701 01

 

1701 01

Béton

 

Béton

[...]

 

[...]

1701 02

 

1701 02

Briques

 

Briques

[...]

 

[...]

1701 03

 

1701 03

Tuiles et céramiques

 

Tuiles et céramiques

[...]

 

[...]

1701 07

 

1701 07

Mélanges de béton, briques, tuiles et céramique

 

Mélanges de béton, briques, tuiles et céramique

[...]

 

[...]

1702 02

 

1702 02

Verre

 

Verre

 

1705 04

 

1705 04

Terre et pierres

 

Terre et pierres

[...]

 

[...]

1912 05

 

1912 05

Verre

 

Verre

 

2001 02

 

2001 02

Verre

 

Verre

[...]

 

[...]

2002 02

 

2002 02

Terre et pierres

 

Terre et pierres

[...]

 

[...]

[...]

2.3.      Critères d’admission de déchets dangereux dans des décharges pour déchets non dangereux, conformément à l’article 6, point c) iii)

[...]

2.3.3.      Déchets d’amiante

Les matériaux de construction contenant de l’amiante et les autres déchets d’amiante appropriés peuvent être admis sans essai dans les décharges pour déchets non dangereux, conformément à l’article 6, point c) iii, de la directive ‘décharge’.

Les décharges qui reçoivent des matériaux de construction contenant de l’amiante et d’autres déchets d’amiante appropriés doivent satisfaire aux exigences suivantes:

–        les déchets ne contiennent pas de substances dangereuses autres que de l’amiante lié, incluant des fibres liées par un liant ou emballées dans du plastique,

–        la décharge accepte uniquement des matériaux de construction contenant de l’amiante et d’autres déchets d’amiante appropriés. Ces déchets peuvent également être entreposés dans une unité distincte dans une décharge pour déchets non dangereux, si l’unité est suffisamment confinée,

–        afin d’éviter la dispersion des fibres, la zone de stockage est recouverte chaque jour et avant chaque opération de compactage par des matériaux appropriés et, si les déchets ne sont pas emballés, elle est régulièrement arrosée,

–        la décharge ou l’unité sont recouvertes d’une couche finale afin d’éviter la dispersion des fibres,

–        la décharge ou l’unité ne doivent faire l’objet d’aucune opération susceptible d’entraîner une libération des fibres (par exemple par le perçage de trous),

–        après la fermeture de la décharge ou de l’unité, un plan indiquant l’emplacement des déchets d’amiante est conservé,

–        des mesures appropriées sont prises après la fermeture de la décharge pour limiter les éventuelles utilisations du sol, afin d’éviter tout contact humain avec les déchets.

[...]»

 La réglementation nationale

9        L’arrêté du 15 mars 2006 fixant la liste des types de déchets inertes admissibles dans des installations de stockage de déchets inertes et les conditions d’exploitation de ces installations (JORF du 22 mars 2006, p. 4309) prévoit à son article 8, premier alinéa:

«Les déchets admissibles dans une installation de stockage de déchets inertes sont énumérés dans l’annexe I du présent arrêté.»

10      Dans ladite annexe, intitulée «Liste des déchets admissibles dans les installations de stockage de déchets inertes», figurent notamment sous le code «17 06 05 (*)» les «matériaux de construction contenant de l’amiante» avec une restriction qui limite ces matériaux «[u]niquement [aux] déchets d’amiante lié aux matériaux inertes (amiante-ciment,…) ayant conservé leur intégrité».

 La procédure précontentieuse

11      Estimant que les mesures prises par la République française ne répondaient pas aux exigences de la directive 1999/31, la Commission a transmis à cet État membre, par courrier du 15 décembre 2006, une mise en demeure, à laquelle celui-ci a répondu par une note du 8 février 2007.

12      À la suite de cette réponse, la Commission a adressé à la République française une mise en demeure complémentaire par courrier du 1er février 2008, auquel cet État membre a répondu par une note du 5 avril 2008.

13      Par courrier du 15 mai 2009, la Commission a émis un avis motivé, auquel la République française a répondu par une note du 16 juillet 2009.

14      Le 1er décembre 2009, une réunion s’est tenue entre les autorités françaises et les services de la Commission, à la suite de laquelle la République française a adressé à la Commission une note en date du 17 mars 2010.

15      N’étant pas satisfaite des explications fournies par la République française, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

16      La Commission fait valoir que le droit français n’est pas en conformité avec le droit de l’Union dès lors qu’il qualifie de «déchets inertes» les déchets d’amiante-ciment. Selon elle, la qualification de «déchet inerte» n’est envisageable que s’il est établi que le déchet en cause n’est pas dangereux. Or, les déchets d’amiante-ciment sont qualifiés de «dangereux» en vertu de la liste établie par la décision 2000/532. Ces déchets doivent donc être éliminés soit dans une décharge pour déchets dangereux, soit dans une décharge pour déchets non dangereux dans les conditions précisées au point 2.3.3 de l’annexe de la décision 2003/33.

17      La République française fait valoir que ni la directive 1999/31 ni la décision 2003/33 et, en particulier, le point 2.1.1 de l’annexe de ladite décision ne s’opposent à ce que des déchets dangereux et inertes, tels que les déchets d’amiante-ciment ayant conservé leur intégrité, soient admis dans des décharges pour déchets inertes dans des conditions excluant les risques pour l’environnement et la santé humaine.

18      En se référant, notamment, à l’article 2, sous c) à e), de la directive 1999/31, ledit État membre soutient que le législateur de l’Union n’a pas entendu établir une catégorie distincte de déchets inertes, qui serait exclusive de la catégorie des déchets dangereux et de celle des déchets non dangereux, mais qu’il a entendu prévoir que la qualification d’«inerte» puisse s’appliquer, le cas échéant, à un déchet dangereux ou à un déchet non dangereux.

19      Selon la République française, la qualification d’un «déchet inerte» au sens de l’article 2, sous e), de la directive 1999/31 se réfère au comportement du déchet. Ainsi, il résulterait de cette disposition que le déchet doit présenter une stabilité physico-chimique telle que, en l’absence d’interaction avec l’environnement, il ne présente pas de risques, ni pour celui-ci ni pour la santé humaine. Or, les déchets d’amiante-ciment lié à un matériau qui n’a pas perdu son intégrité présenteraient la stabilité requise pour être qualifiés d’«inertes» au sens de ladite disposition, bien que leurs propriétés intrinsèques en fassent des «déchets dangereux» au sens de la directive 91/689.

 Appréciation de la Cour

20      Il n’est pas contesté, entre les parties, que les déchets d’amiante-ciment en cause dans la présente affaire (ci-après les «déchets litigieux»), admis par la réglementation française dans les décharges pour déchets inertes, sont les déchets visés à l’annexe de l’arrêté du 15 mars 2006 sous le code «17 06 05 (*)». Ces déchets y sont définis comme étant les «matériaux de construction contenant de l’amiante» avec une restriction qui limite ces matériaux «[u]niquement [aux] déchets d’amiante lié aux matériaux inertes (amiante-ciment,…) ayant conservé leur intégrité».

21      Il ressort de cette définition que, nonobstant ladite restriction, les déchets litigieux sont toujours des «matériaux de construction contenant de l’amiante».

22      Or, l’admission en décharge des matériaux de construction contenant de l’amiante est spécifiquement réglementée par le point 2.3.3 de l’annexe de la décision 2003/33, ainsi que le confirme le libellé dudit point. En vertu de cette disposition, ces matériaux, tout en étant qualifiés de «déchets dangereux» par la décision 2000/532, peuvent, à condition qu’il soit satisfait aux exigences prévues par ladite disposition, être admis sans essai dans les décharges pour déchets non dangereux.

23      Eu égard à cette disposition réglementant spécifiquement l’admission dans les décharges pour déchets non dangereux des matériaux de construction contenant de l’amiante ainsi qu’à l’obligation incombant aux États membres, prévue à l’article 3 de la décision 2003/33, de veiller à n’admettre en décharge les déchets que s’ils remplissent les critères d’admission de la catégorie de décharge qui leur correspond, il ne saurait être considéré, en l’absence d’une disposition le permettant expressément, analogue audit point 2.3.3, que lesdits matériaux peuvent également être admis dans une décharge pour déchets inertes. En particulier, une telle possibilité ne saurait être déduite du point 2.1.1 de l’annexe de la décision 2003/33, auquel se réfère la République française, ces mêmes matériaux ne figurant pas parmi les déchets énumérés audit point.

24      De même, il ne saurait être considéré que les déchets litigieux peuvent être admis dans des décharges pour déchets inertes dès lors que, comme le soutient cet État membre, ces déchets sont liés aux matériaux inertes ayant conservé leur intégrité et qu’ils répondent, de ce fait, à la définition de déchets inertes, prévue à l’article 2, sous e), de la directive 1999/31.

25      En effet, ainsi qu’il ressort des points 21 à 23 du présent arrêt, les déchets litigieux doivent, en tout état de cause, être qualifiés de «matériaux de construction contenant de l’amiante», qui eux, s’ils ne sont pas dirigés vers une décharge pour déchets dangereux, ne sont admis, conformément au point 2.3.3 de l’annexe de la décision 2003/33 et à supposer que les conditions fixées par ladite disposition soient remplies, que dans des décharges pour déchets non dangereux.

26      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les déchets litigieux ne sauraient être traités dans une décharge pour déchets inertes au sens des articles 2, sous e), et 6, sous d), de la directive 1999/31.

27      Il s’ensuit que le recours introduit par la Commission est fondé.

28      Par conséquent, il convient de constater que, en n’ayant pas pris les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour assurer que les déchets d’amiante-ciment soient traités dans des décharges appropriées, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions des articles 2, sous e), 3, paragraphe 1, et 6, sous d), de la directive 1999/31 ainsi que des dispositions de l’annexe de la décision 2003/33.

 Sur les dépens

29      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et celle‑ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête:

1)      En n’ayant pas pris les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour assurer que les déchets d’amiante-ciment soient traités dans des décharges appropriées, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions des articles 2, sous e), 3, paragraphe 1, et 6, sous d), de la directive 1999/31/CE du Conseil, du 26 avril 1999, concernant la mise en décharge des déchets, ainsi que des dispositions de l’annexe de la décision 2003/33/CE du Conseil, du 19 décembre 2002, établissant des critères et des procédures d’admission des déchets dans les décharges, conformément à l’article 16 et à l’annexe II de la directive 1999/31.

2)      La République française est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.