Language of document : ECLI:EU:C:2020:937

ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

18 novembre 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales – Directive 2000/35/CE – Notion de “transaction commerciale” – Notions de “fourniture de marchandises” et de “prestation de services” – Article 1er et article 2, point 1, premier alinéa – Marché public de travaux »

Dans l’affaire C‑299/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale ordinario di Torino (tribunal ordinaire de Turin, Italie), par décision du 9 mars 2019, parvenue à la Cour le 11 avril 2019, dans la procédure

Techbau SpA

contre

Azienda Sanitaria Locale AL,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. N. Piçarra (rapporteur), président de chambre, M. S. Rodin et Mme K. Jürimäe, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Azienda Sanitaria Locale AL, par Me C. Castellotti, avvocato,

–        pour la Commission européenne, par MM. R. Tricot, G. Gattinara et K. Mifsud-Bonnici, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, point 1, de la directive 2000/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 juin 2000, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (JO 2000, L 200, p. 35).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Techbau SpA à l’Azienda Sanitaria Locale AL (organisme public en charge du service de santé publique d’Alexandrie, Italie) (ci-après l’« ASL ») au sujet du paiement d’intérêts moratoires sur le montant dû pour l’exécution d’un marché ayant pour objet la réalisation d’un bloc opératoire pour un hôpital.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2000/35

3        La directive 2000/35 a été abrogée et remplacée par la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (JO 2011, L 48, p. 1), avec effet au 16 mars 2013.

4        Les considérants 7, 9, 10, 13, 16, 19, 20 et 22 de la directive 2000/35 énonçaient :

« (7)      De lourdes charges administratives et financières pèsent sur les entreprises, en particulier petites et moyennes, en raison des délais de paiement excessifs et des retards de paiement. En outre, ces problèmes constituent l’une des principales causes d’insolvabilité menaçant la survie des entreprises et ils entraînent de nombreuses pertes d’emplois.

[...]

(9)      Les différences existant entre les États membres en ce qui concerne les règles et les pratiques de paiement constituent un obstacle au bon fonctionnement du marché intérieur.

(10)      Cela a pour effet de limiter considérablement les transactions commerciales entre les États membres. C’est en contradiction avec l’article 14 [CE (devenu article 26 TFUE)], car il est souhaitable que les entrepreneurs soient en mesure de commercialiser leurs produits dans l’ensemble du marché intérieur dans des conditions qui garantissent que des transactions transfrontières ne présentent pas de risques plus élevés que des ventes à l’intérieur d’un État membre. Des distorsions de concurrence seraient à craindre si des dispositions substantiellement différentes régissaient les opérations internes d’une part et transfrontières d’autre part.

[...]

(13)      Il convient de limiter la portée de la présente directive aux paiements effectués en rémunération de transactions commerciales et de ne pas réglementer les transactions effectuées avec les consommateurs ni les intérêts en jeu dans d’autres types de paiements, par exemple les paiements effectués au titre de la législation sur les chèques et les lettres de change, ou les paiements effectués dans le cadre de l’indemnisation de dommages, y compris ceux effectués par les compagnies d’assurances.

[...]

(16)      Les retards de paiement constituent une violation du contrat qui est devenue financièrement intéressante pour les débiteurs dans la plupart des États membres, en raison du faible niveau des intérêts de retard et/ou de la lenteur des procédures de recours. Des aménagements décisifs, y compris l’indemnisation des créanciers pour les frais encourus, sont nécessaires pour inverser cette tendance et pour faire en sorte que les conséquences d’un dépassement des délais de paiement soient telles qu’elles découragent cette pratique.

[...]

(19)      Il y a lieu que la présente directive interdise l’abus de la liberté contractuelle au détriment du créancier. [...]

(20)      Les conséquences d’un retard de paiement ne seront dissuasives que si elles sont assorties de procédures de recours rapides et efficaces pour le créancier. Conformément au principe de non-discrimination figurant à l’article 12 [CE], de telles procédures devraient être accessibles à tous les créanciers qui sont établis dans l[’Union européenne].

[...]

(22)      La présente directive doit réglementer toutes les transactions commerciales, qu’elles soient effectuées entre des entreprises privées ou publiques ou entre des entreprises et des pouvoirs publics, eu égard au fait que ces derniers effectuent un nombre considérable de paiements aux entreprises. Elle doit donc également réglementer toutes les transactions commerciales entre les principales entreprises contractantes et leurs fournisseurs et sous-traitants. »

5        L’article 1er de cette directive prévoyait :

« Les dispositions de la présente directive s’appliquent à tous les paiements effectués en rémunération de transactions commerciales. »

6        Aux termes de l’article 2 de ladite directive, intitulé « Définitions » :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1)      “transaction commerciale” : toute transaction entre des entreprises ou entre des entreprises et les pouvoirs publics qui conduit à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services contre rémunération ;

“pouvoirs publics” : tout pouvoir ou toute entité contractante, tels que définis par les directives sur les marchés publics [...]

“entreprise” : toute organisation agissant dans l’exercice d’une activité économique ou professionnelle indépendante, même lorsque cette activité n’est exercée que par une seule personne ;

[...] »

7        L’article 6 de la directive 2000/35, intitulé « Transposition », disposait, à ses paragraphes 1 et 3 :

« 1.      Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive avant le 8 août 2002. Ils en informent immédiatement la Commission.

[...]

3.      Lors de la transposition de la présente directive, les États membres peuvent exclure :

a)      les créances qui sont soumises à une procédure d’insolvabilité à l’encontre du créancier,

b)      les contrats qui ont été conclus avant 8 août 2002 et

c)      les demandes d’intérêts d’un montant inférieur à cinq euros. »

 La directive 2004/18/CE

8        La directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114), qui a abrogé et remplacé, avec effet au 31 janvier 2006, la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO 1992, L 209, p. 1), à l’exception de l’article 41 de celle-ci, ainsi que les directives 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO 1993, L 199, p. 1), et 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO 1993, L 199, p. 54), a été elle-même abrogée et remplacée, avec effet au 18 avril 2016, par la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65).

9        L’article 1er de la directive 2004/18, intitulé « Définitions », prévoyait, à ses paragraphes 2, 8 et 9 :

« 2.      a)      Les “marchés publics” sont des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services au sens de la présente directive.

b)      Les “marchés publics de travaux” sont des marchés publics ayant pour objet soit l’exécution, soit conjointement la conception et l’exécution de travaux relatifs à une des activités mentionnées à l’annexe I ou d’un ouvrage, soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur. Un “ouvrage” est le résultat d’un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique.

c)      Les “marchés publics de fournitures” sont des marchés publics autres que ceux visés au point b) ayant pour objet l’achat, le crédit-bail, la location ou la location-vente, avec ou sans option d’achat, de produits.

[...]

d)      Les “marchés publics de services” sont des marchés publics autres que les marchés publics de travaux ou de fournitures portant sur la prestation de services visés à l’annexe II.

[...]

8.      [...]

Le terme “opérateur économique” couvre à la fois les notions d’entrepreneur, fournisseur et prestataire de services. Il est utilisé uniquement dans un souci de simplification du texte.

[...]

9.      Sont considérés comme “pouvoirs adjudicateurs” : l’État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public et les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou un ou plusieurs de ces organismes de droit public.

Par “organisme de droit public”, on entend tout organisme :

a)      créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ;

b)      doté de la personnalité juridique, et

c)      dont soit l’activité est financée majoritairement par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public.

[...] »

10      La liste des activités visées à l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18, figurant à l’annexe I de celle-ci, mentionnait, notamment, la construction d’ouvrages de bâtiment ou de génie civil.

 La directive 2011/7

11      L’article 12 de la directive 2011/7, à son paragraphe 1, exigeait que les États membres procèdent à sa transposition au plus tard le 16 mars 2013 et, à son paragraphe 4, accordait à ceux-ci la faculté d’exclure, lors de la transposition, les contrats conclus avant cette date.

12      Aux termes de l’article 13, premier alinéa, de cette directive :

« La directive [2000/35] est abrogée avec effet au 16 mars 2013, sans préjudice des obligations des États membres en ce qui concerne les délais de transposition en droit national et d’application. Cependant, elle reste applicable aux contrats conclus avant cette date auxquels la présente directive ne s’applique pas en vertu de l’article 12, paragraphe 4. »

 Le droit italien

 Le décret législatif no 231

13      Le decreto legislativo n. 231 – Attuazione della direttiva 2000/35/CE relativa alla lotta contro i ritardi di pagamento nelle transazioni commerciali (décret législatif no 231/2002, portant mise en œuvre de la directive 2000/35/CE concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales), du 9 octobre 2002 (GURI no 249, du 23 octobre 2002, ci-après le « décret législatif no 231 »), a transposé la directive 2000/35 dans l’ordre juridique italien.

14      L’article 1er de ce décret législatif prévoit :

« Les dispositions du présent décret s’appliquent à tous les paiements effectués en rémunération de transactions commerciales. »

15      L’article 2 dudit décret législatif, intitulé « Définitions », dispose, à son paragraphe 1 :

« Aux fins du présent décret, on entend par :

a)      “transaction commerciale”, toute transaction, sous quelque dénomination que ce soit, entre des entreprises ou entre des entreprises et les pouvoirs publics, qui conduit, exclusivement ou principalement, à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services contre rémunération ;

b)      “pouvoirs publics”, les administrations de l’État, les régions, les provinces autonomes de Trente et de Bolzano, les collectivités publiques territoriales et leurs regroupements, les organismes publics non économiques, tout autre organisme doté de la personnalité juridique, créé pour satisfaire des besoins spécifiques d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, dont l’activité est financée majoritairement par l’État, les régions, les collectivités locales, d’autres organismes publics ou organismes de droit public, ou dont la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers ou dont les organes d’administration, de direction ou de surveillance sont composés, au moins pour la moitié, de membres désignés par ces mêmes entités publiques. »

16      L’article 11, paragraphe 1, dudit décret législatif énonce que les dispositions de celui-ci ne s’appliquent pas aux contrats conclus avant le 8 août 2002.

 Le décret législatif no 163

17      Le decreto legislativo n. 163 – Codice dei contratti pubblici relativi a lavori, servizi e forniture in attuazione delle direttive 2004/17/CE e 2004/18/CE (décret législatif no 163, portant création d’un code des marchés publics de travaux, de services et de fournitures transposant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE), du 12 avril 2006 (supplément ordinaire à la GURI no 100, du 2 mai 2006, ci-après le « décret législatif no 163 »), définit, à son article 3, paragraphe 3, les notions de « contrats » ou de « marchés publics » comme visant les « marchés ou contrats de concession ayant pour objet l’acquisition de services ou de fournitures ou la réalisation d’ouvrages ou de travaux, mis en œuvre par les pouvoirs adjudicateurs, les organismes adjudicateurs ou les entités adjudicatrices ».

 Le décret législatif no 192

18      Le decreto legislativo n. 192 – Modifiche al decreto legislativo 9 ottobre 2002, n. 231, per l’integrale recepimento della direttiva 2011/7/UE relativa alla lotta contro i ritardi di pagamento nelle transazioni commerciali, a norma dell’articolo 10, comma 1, della legge 11 novembre 2011, n. 180 (décret législatif no 192, portant modification du décret législatif du 9 octobre 2002, no 231, aux fins de la transposition intégrale de la directive 2011/7/UE concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, conformément à l’article 10, paragraphe 1, de la loi du 11 novembre 2011, no 180), du 9 novembre 2012 (GURI no 267, du 15 novembre 2012, ci-après le « décret législatif no 192 »), a transposé la directive 2011/7 dans l’ordre juridique italien.

19      Le décret législatif no 192 a laissé, en substance, inchangée la définition de la notion de « transaction commerciale » telle qu’elle figurait à l’article 2, paragraphe 1, sous a), du décret législatif no 231, dans sa version initiale.

20      En revanche, l’article 2, paragraphe 1, sous b), du décret législatif no 231, dans sa version issue du décret législatif no 192 (ci-après le « décret législatif no 231 modifié »), définit désormais les « pouvoirs publics » comme étant « les administrations visées à l’article 3, paragraphe 25, du décret législatif [no 163], et toute autre entité, lorsqu’elle exerce une activité pour laquelle elle est tenue de respecter la réglementation prévue par le décret législatif [no 163] ».

21      Conformément à son article 3, les dispositions du décret législatif no 192 s’appliquent aux transactions conclues à compter du 1er janvier 2013.

 La loi no 161

22      À la suite de l’ouverture par la Commission européenne d’une procédure EU PILOT (5216/13/ENTR. 1) contre la République italienne, le législateur italien a adopté la legge n. 161 – Disposizioni per l’adempimento degli obblighi derivanti dall’appartenenza dell’Italia all’Unione europea – Legge europea 2013‑bis. (loi no 161, portant dispositions pour l’exécution des obligations résultant de l’appartenance de l’Italie à l’Union européenne – Loi européenne 2013 bis), du 30 octobre 2014 (supplément ordinaire à la GURI no 261, du 10 novembre 2014, ci-après la « loi no 161 »).

23      L’article 24 de cette loi dispose, à son paragraphe 1 :

« L’article 2, paragraphe 1, sous a), du décret législatif [no 231], tel que remplacé par l’article 1er, paragraphe 1, sous b), du décret législatif [no 192], doit être interprété en ce sens que les transactions commerciales visées comprennent également les contrats prévus par l’article 3, paragraphe 3, du décret législatif [no 163]. »

 Les faits au principal et la question préjudicielle

24      Le 29 avril 2010, l’ASL et Techbau ont conclu un marché public d’une valeur de 7 487 719,49 euros, ayant pour objet la fourniture et l’aménagement « clés en main », à l’aide d’un système modulaire préfabriqué, d’un bloc opératoire pour l’établissement hospitalier Ospedale Santo Spirito di Casale Monferrato (hôpital Saint-Esprit de Casale Monferrato, Italie). Le marché portait sur six salles d’opération dotées des espaces accessoires et des couloirs de communication, ainsi que sur l’exécution de tous les travaux de génie civil et relatifs aux installations nécessaires.

25      Alors que le cahier des charges joint au contrat prévoyait un délai de paiement de 90 jours après la réception de la facture, il ressort de la décision de renvoi que l’ASL a versé, avec des retards importants, le montant de la rémunération fixée dans le contrat, de sorte que Techbau a saisi la juridiction de renvoi d’un recours aux fins de voir l’ASL condamnée à lui verser des intérêts moratoires d’un montant de 197 008,65 euros, calculé au taux prévu par le décret législatif no 231.

26      L’ASL conteste la réalité de cette dette, en faisant valoir que le marché en cause au principal, en ce qu’il constitue un contrat de louage d’ouvrage ayant pour objet la réalisation d’un ouvrage public, ne relève pas de la notion de « transaction commerciale », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), du décret législatif no 231, et échappe donc au champ d’application de ce décret législatif.

27      À cet égard, la juridiction de renvoi considère, sur la base d’un examen du cahier des charges joint au contrat en cause au principal, que celui-ci est un contrat d’entreprise, et non un contrat de fourniture, l’intérêt du pouvoir adjudicateur à la construction de l’ouvrage étant prédominant par rapport à l’ameublement de celui-ci.

28      Elle indique que, en droit italien, un contrat d’entreprise portant sur la réalisation d’un ouvrage, dans la mesure où il doit être distingué d’un contrat ayant pour l’objet la fourniture de marchandises ou la prestation de services, doit être exclu de la notion de « transaction commerciale », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), du décret législatif no 231, tel qu’interprété par la jurisprudence nationale, et donc échapper au champ d’application de ce décret législatif. Par suite, les conséquences d’un retard de paiement en matière de marchés publics de travaux sont régies non pas par les dispositions du décret législatif no 231, mais par celles, moins favorables pour les créanciers, du décret législatif no 163 et de la réglementation adoptée en exécution de celui-ci.

29      La juridiction de renvoi émet, cependant, des doutes quant à cette approche, dans la mesure où elle revient à interpréter les termes « fourniture de marchandises » et « prestation de services », qui figurent dans la définition de la notion de « transaction commerciale » donnée à l’article 2, paragraphe 1, sous a), du décret législatif no 231, sans tenir compte de la signification que ces termes revêtent dans l’ordre juridique de l’Union.

30      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi fait observer que, certes, conformément à l’interprétation authentique donnée par la loi no 161 à l’article 2, paragraphe 1, sous a), du décret législatif no 231 modifié, la notion de « transactions commerciales » qui y est visée comprend désormais également les marchés ayant pour objet la réalisation d’ouvrages ou de travaux ainsi que la conception et l’exécution de travaux publics de construction et de génie civil. Toutefois, elle considère que, à défaut de mesures transitoires prévues par la loi no 161, il ne ressort pas clairement de celle-ci que cette interprétation authentique ait eu pour effet de faire rentrer un contrat d’entreprise portant sur la réalisation d’un ouvrage public, conclu avant l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2013, du décret législatif no 192, dans la notion de « transaction commerciale », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), du décret législatif no 231, et, partant, dans le champ d’application de celui-ci.

31      Dans ces conditions, la juridiction de renvoi estime que, aux fins de statuer sur le litige au principal, il importe de savoir si la notion de « transaction commerciale » visée à l’article 2, point 1, premier alinéa, de la directive 2000/35, que l’article 2, paragraphe 1, sous a), du décret législatif no 231 a transposée dans le droit italien, couvre un contrat tel que celui en cause au principal.

32      C’est dans ce contexte que le Tribunale ordinario di Torino (tribunal ordinaire de Turin, Italie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 2, point 1, de la directive [2000/35] s’oppose-t-il à une réglementation nationale, telle que l’article 2, paragraphe 1, sous a), du décret législatif [no 231], qui exclut de la notion de “transaction commerciale” – entendue comme un contrat “qui conduit, exclusivement ou principalement, à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services contre rémunération” – et donc de son propre champ d’application – le contrat d’entreprise ayant pour objet la réalisation d’un ouvrage (contratto d’appalto d’opera), qu’il soit public ou privé, et spécialement le marché public de travaux au sens de la directive [2004/18] ? »

 Sur la question préjudicielle

33      Il y a lieu de comprendre la question posée comme visant, en substance, à déterminer si l’article 2, point 1, premier alinéa, de la directive 2000/35 doit être interprété en ce sens qu’un marché public de travaux constitue une transaction commerciale, au sens de cette disposition, et relève donc du champ d’application matériel de ladite directive.

34      À cet égard, il convient de relever à titre liminaire que la République italienne a fait usage de la faculté, accordée aux États membres par l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2011/7, d’exclure, lors de la transposition de celle-ci, les contrats conclus avant le 16 mars 2013. En effet, ainsi qu’il ressort du point 21 du présent arrêt, conformément à son article 3, le décret législatif n° 192, qui a transposé ladite directive dans l’ordre juridique italien, a été déclaré applicable aux transactions conclues à compter du 1er janvier 2013.

35      En l’occurrence, le contrat en cause au principal ayant été conclu le 29 avril 2010, il relève du champ d’application ratione temporis de la directive 2000/35, celle-ci demeurant, en vertu de l’article 13 de la directive 2011/7, sous réserve de l’hypothèse visée à l’article 6, paragraphe 3, sous b), de la directive 2000/35, d’application pour les contrats conclus avant le 16 mars 2013.

36      Par ailleurs, il y a lieu de préciser que les faits au principal portent sur l’exécution tardive par l’ASL de l’obligation de paiement prévue dans le contrat d’entreprise conclu avec Techbau et qui avait pour objet la réalisation d’un ouvrage public. Il ressort de la décision de renvoi que ce contrat à titre onéreux, pour la conclusion duquel l’ASL a agi en qualité de pouvoir adjudicateur et Techbau en qualité d’adjudicataire et, donc, d’opérateur économique, relève de la notion de « marchés publics » et, plus particulièrement, de celle de « marchés publics de travaux », visées par la directive 2004/18. L’article 1er, paragraphe 2, sous a) et b), de celle-ci définit ces notions comme, respectivement, les « contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services au sens de [cette] directive » et les « marchés publics ayant pour objet soit l’exécution, soit conjointement la conception et l’exécution de travaux relatifs à une des activités mentionnées à l’annexe I ou d’un ouvrage, soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur ».

37      Concernant la notion de « transaction commerciale », au sens de la directive 2000/35, l’article 2, point 1, premier alinéa, de celle-ci la définit comme « toute transaction entre des entreprises ou entre des entreprises et les pouvoirs publics qui conduit à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services contre rémunération », sans mentionner expressément les marchés publics de travaux et, plus généralement, la réalisation d’ouvrages ou de travaux et sans définir les notions de « fourniture de marchandises » ou de « prestation de services » qui y sont visées [voir, par analogie, à propos de l’interprétation de l’article 2, point 1, de la directive 2011/7, arrêt du 9 juillet 2020, RL (Directive lutte contre le retard de paiement), C‑199/19, EU:C:2020:548, point 27].

38      Dès lors que l’article 2, point 1, premier alinéa, de la directive 2000/35 ne comporte, en outre, aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée, cette disposition doit normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme. Pareille interprétation doit être recherchée en tenant compte à la fois des termes de ladite disposition, du contexte dans lequel elle s’insère et des finalités qu’elle poursuit [voir, par analogie, arrêt du 9 juillet 2020, RL (Directive lutte contre le retard de paiement), C‑199/19, EU:C:2020:548, point 27], ainsi que, le cas échéant, de sa genèse (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 47).

39      S’agissant, en premier lieu, des termes de l’article 2, point 1, premier alinéa, de la directive 2000/35, cette disposition énonce deux conditions pour qu’une transaction relève de la notion de « transaction commerciale » qui y est visée. Elle doit, premièrement, être effectuée soit entre des entreprises, soit entre des entreprises et les pouvoirs publics et, deuxièmement, conduire à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services contre rémunération [voir, par analogie, arrêt du 9 juillet 2020, RL (Directive lutte contre le retard de paiement), C‑199/19, EU:C:2020:548, point 24].

40      En ce qui concerne la première condition, dont l’interprétation ne pose pas de doute à la juridiction de renvoi, il suffit de rappeler que la notion de « pouvoirs publics » est définie à l’article 2, point 1, deuxième alinéa, de la directive 2000/35 comme visant « tout pouvoir ou toute entité contractante, tels que définis par les directives sur les marchés publics », tandis que celle d’« entreprise » est définie à l’article 2, point 1, troisième alinéa, de cette directive comme visant « toute organisation agissant dans l’exercice d’une activité économique ou professionnelle indépendante, même lorsque cette activité n’est exercée que par une seule personne ».

41      S’agissant de la seconde condition visée au point 39 du présent arrêt, selon laquelle la transaction en cause doit « condui[re] à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services contre rémunération », il convient de relever que la directive 2000/35, conformément à son article 1er , lu à la lumière de ses considérants 13 et 22, est applicable à tous les paiements effectués en rémunération de transactions commerciales, y compris de celles entre des entreprises et des pouvoirs publics, à l’exclusion des transactions effectuées avec les consommateurs et d’autres types de paiements, au titre de l’article 6, paragraphe 3, de cette directive. Or, les transactions concernant les marchés publics de travaux ne figurant pas au nombre des matières comprises dans cette dernière disposition, elles ne sauraient échapper au champ d’application matériel de ladite directive.

42      Dans ce contexte, la Cour a déjà précisé que l’article 1er de la directive 2000/35, lu en combinaison avec l’article 2, point 1, premier alinéa, de celle-ci, définit le champ d’application de ladite directive de manière très large (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2019, KROL, C‑722/18, EU:C:2019:1028, points 31 et 32).

43      Dans ces conditions, un marché public de travaux, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18, ne saurait échapper au champ d’application de la directive 2000/35, tel que déterminé à l’article 2, point 1, premier alinéa, de celle-ci.

44      En outre, l’emploi, à cette dernière disposition, des termes « qui conduit à », afin de décrire le lien qui doit exister entre, d’une part, la « transaction » et, d’autre part, la « fourniture de marchandises » ou la « prestation de services » met en évidence qu’une transaction qui n’a pas pour objet la fourniture de marchandises ou la prestation de services peut néanmoins relever de la notion de « transaction commerciale », au sens de cette disposition, lorsque pareille transaction donne effectivement lieu à une telle fourniture ou à une telle prestation.

45      En particulier, si un marché public de travaux a pour objet la réalisation d’un ouvrage ou de travaux, il n’en reste pas moins que les engagements pris par l’opérateur économique à l’égard du pouvoir adjudicateur dans le cadre de ce contrat sont susceptibles de se concrétiser, comme en l’occurrence, par une prestation de services, telle que l’élaboration d’un projet défini par l’appel d’offre ou l’accomplissement de formalités administratives, ou bien par une fourniture de marchandises, telle que la fourniture de matériaux en vue de la réalisation de l’ouvrage en cause.

46      Partant, les termes mêmes de l’article 2, point 1, premier alinéa, de la directive 2000/35 militent en faveur d’une interprétation de cette disposition en ce sens qu’un marché public de travaux est susceptible de relever de la notion de « transaction commerciale », au sens de ladite disposition.

47      En deuxième lieu, le contexte dans lequel cette disposition s’insère corrobore une telle interprétation. Il importe de relever à cet égard que la notion de « pouvoirs publics » qui y figure est définie à l’article 2, point 1, deuxième alinéa, de la directive 2000/35 comme visant « tout pouvoir ou toute entité contractante, tels que définis par les directives sur les marchés publics ».

48      Or, le renvoi explicite à la notion correspondante de « pouvoirs adjudicateurs », qui figure notamment à l’article 1er, paragraphe 9, de la directive 2004/18, serait privé d’effet utile si les marchés publics de travaux conclus par de tels pouvoirs, soumis aux règles et aux procédures prévues par ces directives, ne relevaient pas de la notion de « transaction commerciale », au sens de l’article 2, point 1, premier alinéa, de la directive 2000/35, et, par suite, échappaient au champ d’application matériel de cette directive.

49      En outre, si la directive 2004/18 opère une distinction, en fonction de l’objet du marché, entre marchés publics de travaux, marchés de fournitures et marchés de services, il n’apparaît cependant pas que la directive 2000/35, à défaut de toute indication en ce sens, soit fondée sur une telle distinction, avec pour effet d’exclure les marchés publics de travaux des notions de « fourniture de marchandises » et de « prestations de services », visées à l’article 2, point 1, premier alinéa, de cette directive.

50      Par ailleurs, dès lors que la directive 2000/35, adoptée sur le fondement de l’article 95 CE (devenu article 114 TFUE), s’inscrit dans le cadre du rapprochement des législations des États membres dont l’objet est l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur, il peut être tenu compte, aux fins de son interprétation, des notions de « marchandises » et de « services », au sens des dispositions du traité FUE qui consacrent la libre circulation des marchandises et des services, ainsi que de la jurisprudence de la Cour interprétant ces libertés fondamentales [voir, par analogie, arrêt du 9 juillet 2020, RL (Directive lutte contre le retard de paiement), C‑199/19, EU:C:2020:548, point 30].

51      Il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il faut entendre par « marchandises », au sens de l’article 28, paragraphe 1, TFUE, les produits appréciables en argent qui sont susceptibles, comme tels, de former l’objet de transactions commerciales (arrêt du 23 janvier 2018, Buhagiar e.a., C‑267/16, EU:C:2018:26, point 67). Quant à la notion de « services », l’article 57 TFUE, à son premier alinéa, la définit comme désignant les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes, et, à son deuxième alinéa, énumère, à titre d’exemple, certaines activités qui relèvent de cette notion, parmi lesquelles figurent les activités à caractère commercial.

52      À la lumière des définitions du traité FUE en matière de libertés fondamentales, mentionnées au point précédent, et de la jurisprudence y afférente, il ne fait donc guère de doute qu’un contrat d’entreprise ayant pour objet la réalisation d’un ouvrage ou de travaux, en général, et un marché public de travaux, en particulier, implique la fourniture de « marchandises » ou la prestation de « services », au sens des articles 28 et 57 TFUE. Dans cette perspective, un marché public de travaux est susceptible de conduire à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services, au sens de l’article 2, point 1, premier alinéa, de la directive 2000/35.

53      S’agissant, en troisième lieu, de la finalité de la directive 2000/35, il y a lieu de rappeler que celle-ci, ainsi que l’indiquent ses considérants 9, 10 et 20, vise à harmoniser les conséquences d’un retard de paiement afin de leur donner un effet dissuasif, de sorte que les transactions commerciales dans l’ensemble du marché intérieur ne soient pas entravées (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2019, KROL, C‑722/18, EU:C:2019:1028, point 35).

54      Or, l’exclusion d’une partie non négligeable des transactions commerciales, à savoir celles afférentes aux marchés publics de travaux, du bénéfice des mécanismes de lutte contre les retards de paiement prévus par la directive 2000/35, d’une part, irait à l’encontre de l’objectif de cette directive, énoncé au considérant 22 de celle-ci, selon lequel ladite directive doit réglementer toutes les transactions commerciales, qu’elles soient effectuées entre des entreprises privées ou publiques ou entre des entreprises et des pouvoirs publics. D’autre part, une telle exclusion aurait nécessairement pour conséquence de réduire l’effet utile desdits mécanismes, y compris à l’égard des transactions susceptibles d’impliquer des opérateurs issus de différents États membres.

55      Il en va d’autant plus ainsi que, comme la Commission l’a souligné dans ses observations écrites, dans le domaine des marchés publics de travaux, les retards de paiement sont susceptibles de poser des problèmes bien plus importants qu’en d’autres domaines, en raison des coûts économiques et des risques que ces marchés entraînent pour les opérateurs économiques.

56      S’agissant, en quatrième lieu, de la genèse de la directive 2000/35, il y a lieu de relever que, dans l’exposé des motifs de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, du 25 mars 1998 (JO 1998, C 168, p. 13), à l’origine de cette directive, la Commission a mis en exergue, d’une part, le déséquilibre contractuel qui existe entre un grand nombre d’entreprises et des pouvoirs publics, en particulier dans certaines branches, comme la construction, en conséquence duquel les conditions de paiement sont susceptibles d’être imposées à ces entreprises sans qu’elles aient véritablement la possibilité de les négocier et, d’autre part, la nécessité de régler les conséquences du retard de paiement dans le secteur public de la construction.

57      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 2, point 1, premier alinéa, de la directive 2000/35 doit être interprété en ce sens qu’un marché public de travaux constitue une transaction commerciale qui conduit à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services, au sens de cette disposition, et relève donc du champ d’application matériel de cette directive.

 Sur les dépens

58      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

L’article 2, point 1, premier alinéa, de la directive 2000/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 juin 2000, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, doit être interprété en ce sens qu’un marché public de travaux constitue une transaction commerciale qui conduit à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services, au sens de cette disposition, et relève donc du champ d’application matériel de cette directive.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.