Language of document : ECLI:EU:C:2023:525

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

29 juin 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique d’immigration – Statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée – Directive 2003/109/CE – Article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, article 14, paragraphe 1, article 15, paragraphe 4, deuxième alinéa, article 19, paragraphe 2, et article 22 – Droit des ressortissants de pays tiers au statut de résident de longue durée dans un État membre – Octroi par le premier État membre d’un “permis de séjour de résident de longue durée – UE” à durée illimitée – Ressortissant de pays tiers absent du territoire du premier État membre pendant une période de plus de six ans – Perte consécutive du droit au statut de résident de longue durée – Demande de renouvellement d’un permis de séjour délivré par le deuxième État membre au titre des dispositions du chapitre III de la directive 2003/109/CE – Rejet de la demande par le deuxième État membre du fait de la perte de ce droit – Conditions »

Dans les affaires jointes C‑829/21 et C‑129/22,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Hessischer Verwaltungsgerichtshof (tribunal administratif supérieur de la Hesse, Allemagne) (C‑829/21) et par le Verwaltungsgericht Darmstadt (tribunal administratif de Darmstadt, Allemagne) (C‑129/22), par décisions des 17 décembre 2021 et 21 février 2022, parvenues à la Cour respectivement les 24 décembre 2021 et 24 février 2022, dans les procédures

TE,

RU, représentée légalement par TE,

contre

Stadt Frankfurt am Main (C‑829/21),

et

EF

contre

Stadt Offenbach am Main (C‑129/22),

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal (rapporteure), présidente de chambre, Mme M. L. Arastey Sahún, MM. F. Biltgen, N. Wahl et J. Passer, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour la Commission européenne, par Mme A. Katsimerou et M. H. Leupold, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 mars 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de l’article 14, paragraphe 1, de l’article 15, paragraphe 4, deuxième alinéa, et de l’article 19, paragraphe 2, de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (JO 2004, L 16, p. 44), telle que modifiée par la directive 2011/51/UE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2011 (JO 2011, L 132, p. 1) (ci-après la « directive 2003/109 »).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, dans l’affaire C‑829/21, TE et RU, représentée légalement par TE, deux ressortissantes ghanéennes, à la Stadt Frankfurt am Main (ville de Francfort-sur-le-Main, Allemagne) au sujet du refus de celle-ci de renouveler le permis de séjour de TE et de délivrer un permis de séjour à RU, et, dans l’affaire C‑129/22, EF, un ressortissant pakistanais, à la Stadt Offenbach am Main (ville d’Offenbach-sur-le-Main, Allemagne) au sujet du refus de celle-ci de renouveler le permis de séjour de EF, au motif, dans chacun de ces deux litiges, que TE et EF ont perdu leur droit au statut de résident de longue durée accordé par la République italienne et attesté par un permis de séjour de résident de longue durée – UE à durée illimitée en raison de leur absence du territoire italien pendant une période de plus de six ans.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 4, 6, 10, 11, 17, 21 et 22 de la directive 2003/109 énoncent :

« (4)      L’intégration des ressortissants des pays tiers qui sont installés durablement dans les États membres est un élément clé pour promouvoir la cohésion économique et sociale, objectif fondamental de [l’Union européenne], énoncé dans le traité.

[...]

(6)      Le critère principal pour l’acquisition du statut de résident de longue durée devrait être la durée de résidence sur le territoire d’un État membre. Cette résidence devrait avoir été légale et ininterrompue pour témoigner de l’ancrage de la personne dans le pays. [...]

[...]

(10)      Il importe d’établir un système de règles de procédure régissant l’examen de la demande d’acquisition du statut de résident de longue durée. Ces procédures devraient être efficaces et gérables par rapport à la charge normale de travail des administrations des États membres, ainsi que transparentes et équitables afin d’offrir un niveau adéquat de sécurité juridique aux personnes concernées. Elles ne devraient pas constituer un moyen pour empêcher l’exercice du droit de résidence.

(11)      L’acquisition du statut de résident de longue durée devrait être attestée par un permis de séjour permettant à la personne concernée de prouver aisément et immédiatement son statut juridique. [...]

[...]

(17)      L’harmonisation des conditions d’acquisition du statut de résident de longue durée favorise la confiance mutuelle entre États membres. [...]

[...]

(21)      L’État membre dans lequel le résident de longue durée entend exercer son droit de séjour devrait pouvoir vérifier que la personne concernée remplit les conditions prévues pour séjourner sur son territoire. [...]

(22)      Afin que l’exercice du droit de séjour ne soit pas privé d’effet, le résident de longue durée devrait bénéficier dans le deuxième État membre du même traitement, dans les conditions définies par la présente directive, que celui dont il bénéficie dans l’État membre dans lequel il a acquis le statut. [...] »

4        L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet », dispose :

« La présente directive établit :

a)      les conditions d’octroi et de retrait du statut de résident de longue durée accordé par un État membre aux ressortissants de pays tiers qui séjournent légalement sur son territoire, ainsi que les droits y afférents, [...]

[...] »

5        L’article 2, sous b) à d) et g), de ladite directive, intitulé « Définitions », est libellé comme suit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

b)      “résident de longue durée”, tout ressortissant d’un pays tiers qui est titulaire du statut de résident de longue durée prévu aux articles 4 à 7 ;

c)      “premier État membre”, l’État membre qui a accordé pour la première fois le statut de résident de longue durée à un ressortissant d’un pays tiers ;

d)      “deuxième État membre”, tout État membre autre que celui qui a accordé pour la première fois le statut de résident de longue durée à un ressortissant d’un pays tiers et dans lequel ce résident de longue durée exerce son droit de séjour ;

[...]

g)      “permis de séjour de résident de longue durée – [UE]”, un titre de séjour qui est délivré par l’État membre concerné lors de l’acquisition du statut de résident de longue durée. »

6        Le chapitre II de ladite directive, comprenant les articles 4 à 13 de celle-ci, comporte un ensemble de règles afférentes au statut de résident de longue durée dans un État membre, en particulier en matière de l’octroi et de la perte de ce statut.

7        L’article 8 de ladite directive, intitulé « Permis de séjour de résident de longue durée – [UE] », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Le statut de résident de longue durée est permanent, sous réserve de l’article 9.

2.      Les États membres délivrent au résident de longue durée le permis de séjour de résident de longue durée – [UE]. Ce permis a une durée de validité d’au moins cinq ans ; à son échéance, il est renouvelable de plein droit, au besoin sur demande. »

8        L’article 9 de la même directive, intitulé « Retrait ou perte du statut », dispose :

« 1.      Le résident de longue durée perd le droit au statut de résident de longue durée dans les cas suivants :

[...]

c)      absence du territoire de [l’Union] pendant une période de douze mois consécutifs.

[...]

4.      Le résident de longue durée qui a séjourné dans un autre État membre conformément au chapitre III perd le droit au statut de résident de longue durée acquis dans le premier État membre, dès lors que ce statut est accordé dans un autre État membre au titre de l’article 23.

En tout état de cause, après six ans d’absence du territoire de l’État membre qui lui a accordé le statut de résident de longue durée, la personne concernée perd le droit au statut de résident de longue durée dans ledit État membre.

Par dérogation au deuxième alinéa, l’État membre concerné peut prévoir que, pour des raisons spécifiques, le résident de longue durée conserve son statut dans ledit État membre en cas d’absences pendant une période supérieure à six ans.

5.      Eu égard aux cas visés au paragraphe 1, point c), et au paragraphe 4, les États membres qui ont accordé le statut prévoient une procédure simplifiée pour le recouvrement du statut de résident de longue durée.

Ladite procédure s’applique notamment aux personnes ayant séjourné dans un deuxième État membre pour y suivre des études.

Les conditions et la procédure pour le recouvrement du statut de résident de longue durée sont fixées par le droit national.

6.      L’expiration du permis de séjour de résident de longue durée – [UE] n’entraîne en aucune façon le retrait ou la perte du statut de résident de longue durée.

[...] »

9        Le chapitre III de la directive 2003/109, intitulé « Séjour dans les autres États membres », comporte les articles 14 à 23 de celle-ci.

10      L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/109 dispose :

« Un résident de longue durée acquiert le droit de séjourner sur le territoire d’États membres autres que celui qui lui a accordé son statut de résident de longue durée, pour une période dépassant trois mois, pour autant que les conditions fixées dans le présent chapitre soient remplies. »

11      Aux termes de l’article 15 de cette directive, intitulé « Conditions de séjour dans un deuxième État membre » :

« 1.      Dans les plus brefs délais et au plus tard trois mois après son entrée sur le territoire du deuxième État membre, le résident de longue durée dépose une demande de permis de séjour auprès des autorités compétentes de cet État membre.

[...]

2.      Les États membres peuvent exiger de la personne concernée de fournir la preuve qu’elle dispose :

a)      de ressources stables et régulières, suffisantes pour son entretien et celui des membres de sa famille, sans recourir à l’aide sociale de l’État membre concerné. [...]

[...]

4.      La demande est accompagnée de pièces justificatives, à fixer par le droit national, montrant que la personne concernée remplit les conditions applicables, ainsi que de son titre de séjour de résident de longue durée et d’un document de voyage valide ou des copies certifiées conformes de ceux-ci.

Les pièces visées au premier alinéa peuvent aussi comprendre des documents relatifs à un logement approprié.

[...] »

12      L’article 19 de ladite directive, intitulé « Examen de la demande et délivrance du titre de séjour », dispose, à son paragraphe 2 :

« Si les conditions prévues aux articles 14, 15 et 16 sont remplies, et sous réserve des dispositions concernant l’ordre public, la sécurité publique et la santé publique visées aux articles 17 et 18, le deuxième État membre délivre au résident de longue durée un titre de séjour renouvelable. Ce permis de séjour est renouvelable, au besoin sur demande, à son expiration. Le deuxième État membre informe le premier État membre de sa décision. »

13      Aux termes de l’article 20 de la même directive, intitulé « Garanties procédurales » :

« 1.      Toute décision de rejet de la demande de titre de séjour doit être motivée. Elle est notifiée au ressortissant de pays tiers concerné conformément aux procédures de notification du droit national en la matière. La notification indique les voies de recours auxquelles l’intéressé a accès, ainsi que le délai dans lequel il peut agir.

[...]

2.      En cas de rejet de la demande de titre de séjour, de non-renouvellement ou de retrait de celui-ci, la personne concernée a le droit d’exercer un recours juridictionnel dans l’État membre concerné. »

14      L’article 22 de la directive 2003/109, intitulé « Retrait du titre de séjour et obligation de réadmission », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Tant que le ressortissant d’un pays tiers n’a pas obtenu le statut de résident de longue durée, le deuxième État membre peut décider de refuser de renouveler le titre de séjour ou de le retirer et d’obliger la personne concernée et les membres de sa famille, conformément aux procédures, y compris d’éloignement, prévues par le droit national, à quitter son territoire dans les cas suivants :

[...]

b)      lorsque les conditions prévues aux articles 14, 15 et 16 ne sont plus remplies ;

[...] »

 Le droit allemand

15      L’article 2 du Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet (loi relative au séjour, au travail et à l’intégration des étrangers sur le territoire fédéral), du 30 juillet 2004 (BGBl. 2004 I, p. 1950), dans sa version applicable aux litiges au principal (ci-après l’« AufenthG »), intitulé « Définitions », prévoit, à son paragraphe 4 :

« L’exigence d’un logement approprié ne dépasse pas ce qui est suffisant pour loger un demandeur de logement dans un logement social locatif subventionné par les pouvoirs publics. [...] »

16      L’article 5, paragraphe 1, point 1, de l’AufenthG dispose que, en règle générale, l’octroi d’un titre de séjour présuppose que les moyens de subsistance soient assurés.

17      Conformément à l’article 9a, paragraphe 2, point 6, de cette loi, un permis de séjour de résident de longue durée – UE n’est octroyé que si l’étranger concerné dispose d’un logement approprié pour lui-même et les membres de sa famille vivant en communauté familiale avec lui.

18      L’article 38a de ladite loi, intitulé « Titre de séjour pour les résidents de longue durée dans d’autres États membres de l’Union européenne », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Un permis de séjour est délivré à un étranger qui bénéficie du statut de résident de longue durée dans un autre État membre de l’Union européenne s’il souhaite séjourner plus de 90 jours sur le territoire allemand. [...] »

19      L’article 51, paragraphe 9, premier alinéa, point 4, de la même loi dispose que le permis de séjour de résident de longue durée – UE, accordé par les autorités allemandes, expire seulement si l’étranger séjourne en dehors du territoire allemand pendant une période de six ans.

20      L’article 52, paragraphe 6, de l’AufenthG prévoit que le permis de séjour délivré conformément à l’article 38a de celle-ci doit être révoqué si l’étranger perd son statut de résident de longue durée dans un autre État membre de l’Union.

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 L’affaire C829/21

21      TE, ressortissante ghanéenne, est entrée sur le territoire allemand le 3 septembre 2013, en provenance d’Italie.

22      Elle est en possession d’un permis de séjour de résident de longue durée – UE, délivré en Italie et portant les mentions « illimitata » ([durée] illimitée) et « Soggiornante di Lungo Periodo [UE» (résident de longue durée – [UE]).

23      Conformément à l’article 38a de l’AufenthG, l’Ausländerbehörde der Stadt Offenbach (service des étrangers de la ville d’Offenbach, Allemagne), compétent à cette date, lui a octroyé, le 5 décembre 2013, un permis de séjour valable pour une durée d’un an.

24      Le 5 août 2014, TE a donné naissance à RU. Cette dernière souffrant d’une très grave malformation cardiaque nécessitant des opérations et des examens de suivi, TE a été contrainte de mettre fin à son activité professionnelle. Face à cette situation, celle-ci a dû recourir à des prestations sociales pour subvenir aux besoins de sa famille.

25      Par décisions du service des étrangers de la ville d’Offenbach du 30 janvier 2015, les demandes de TE et de RU, introduites le 12 novembre 2014 et visant, respectivement, le renouvellement et la délivrance d’un permis de séjour, ont été rejetées, au motif que leurs moyens de subsistance n’étaient pas garantis, contrairement à l’exigence visée à l’article 5, paragraphe 1, point 1, de l’AufenthG. Celles-ci ont été invitées à quitter le territoire allemand et ont été menacées d’éloignement vers la République italienne en ce qui concerne TE et vers la République du Ghana en ce qui concerne RU.

26      Le recours introduit par TE et RU contre ces décisions a été rejeté par le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main (tribunal administratif de Francfort-sur-le-Main, Allemagne) par un jugement du 20 novembre 2015.

27      TE et RU ont demandé l’admission d’un appel de ce jugement à la juridiction de renvoi, le Hessischer Verwaltungsgerichtshof (tribunal administratif supérieur de la Hesse, Allemagne).

28      Par une décision du 11 mars 2016, cette juridiction a admis l’appel en raison de doutes sérieux qu’elle nourrissait quant au bien-fondé du jugement rendu en première instance, eu égard à l’importance des soins médicaux dont RU avait besoin, circonstance étant susceptible, selon ladite juridiction, de constituer une exception à la règle générale prévue à l’article 5, paragraphe 1, point 1, de l’AufenthG.

29      À partir du 1er novembre 2017, la procédure devant la juridiction de renvoi a été suspendue.

30      Le 7 septembre 2020, la ville de Francfort-sur-le-Main, entre-temps devenue partie défenderesse dans cette procédure, a relancé celle-ci, en faisant valoir que la délivrance à TE d’un permis de séjour sur le fondement de l’article 38a de l’AufenthG n’était désormais plus possible. En effet, celle-ci n’aurait plus séjourné en Italie depuis plus de six ans et ne bénéficierait donc plus du statut de résidente de longue durée. Un permis de séjour ne pourrait pas non plus être délivré à TE au titre de l’article 9a de l’AufenthG puisque TE et RU occuperaient un appartement financé par les services sociaux, ce qui ne constituerait pas un « logement approprié » au sens de cette disposition.

31      Dans ces circonstances, le Hessischer Verwaltungsgerichtshof (tribunal administratif supérieur de la Hesse) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes :

« 1)      L’article 38a, paragraphe 1, de l’AufenthG, qui, selon le droit national, doit être interprété en ce sens que le résident de longue durée qui poursuit sa migration doit bénéficier du statut de résident de longue durée dans le premier État membre également à la date du renouvellement de son titre de séjour, est-il compatible avec les articles 14 et suivants de la directive 2003/109 qui prévoient uniquement qu’un résident de longue durée a le droit de séjourner plus de trois mois sur le territoire d’autres États membres que celui qui lui a accordé le statut de résident de longue durée, pour autant que les conditions fixées par ailleurs au chapitre III de cette directive soient remplies ?

2)      Lorsqu’elle statue sur une demande de renouvellement au titre de l’article 38a, paragraphe 1, de l’AufenthG, l’autorité compétente en matière de séjour des étrangers est-elle en droit de constater, en vertu des articles 14 et suivants de la directive 2003/109, avec pour conséquence la perte d’un droit, que, lorsque les autres conditions d’un renouvellement temporaire sont réunies et que l’étranger dispose en particulier de revenus stables et réguliers, celui-ci a, conformément à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de cette directive, perdu entre-temps, c’est-à-dire après s’être installé dans le deuxième État membre, le statut dont il disposait dans le premier État membre ? La date pertinente pour statuer est-elle celle de la dernière décision administrative ou juridictionnelle ?

3)      Si les première et deuxième questions appellent une réponse négative :

Est-ce au résident de longue durée qu’il incombe la charge de l’exposé des faits s’agissant de la question de savoir si son droit de séjour en tant que résident de longue durée dans le premier État membre n’a pas expiré ?

En cas de réponse négative : une juridiction ou une autorité nationales sont‑elles en droit d’examiner si le titre de séjour délivré pour une durée illimitée au résident de longue durée a expiré ou cela serait-il contraire au principe de droit de l’Union de reconnaissance mutuelle des décisions administratives ?

4)      Peut-il être opposé à une ressortissante d’un pays tiers arrivée en Allemagne en provenance d’Italie avec un titre de séjour délivré pour une durée illimitée à des résidents de longue durée, qui dispose de revenus stables et réguliers, de ne pas avoir établi qu’elle disposait d’un logement approprié, alors que la République fédérale d’Allemagne n’a pas fait usage de l’habilitation prévue à l’article 15, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109 et que l’attribution d’un logement social n’a été nécessaire qu’en raison du fait que, tant que cette ressortissante n’est pas en possession d’un titre de séjour au titre de l’article 38a de l’AufenthG, aucune allocation familiale ne lui est versée ? »

 L’affaire C129/22

32      EF, ressortissant pakistanais, est entré sur le territoire allemand le 1er avril 2014, en provenance d’Italie.

33      Il est en possession d’un permis de séjour de résident de longue durée – UE délivré en Italie et portant les mentions « illimitata » ([durée] illimitée) et « Soggiornante di Lungo Periodo – [UE» (résident de longue durée – [UE]).

34      Conformément à l’article 38a de l’AufenthG, l’Ausländerbehörde des Landkreises Offenbach (service des étrangers du district d’Offenbach, Allemagne), compétent à cette date, lui a octroyé, le 10 juillet 2014, un permis de séjour valable pour une durée d’un an.

35      Ce permis de séjour a ensuite été renouvelé de manière continue, en dernier lieu le 28 mai 2019 par la ville d’Offenbach-sur-le-Main désormais compétente, et ce jusqu’au 13 juillet 2021.

36      La demande de renouvellement du permis de séjour en vertu de l’article 38a de l’AufenthG, déposée par EF le 17 mars 2021, a toutefois été rejetée par une décision de cette ville du 27 avril 2021, au motif, en substance, que celui-ci avait perdu le droit au statut de résident de longue durée en Italie puisqu’il n’avait plus séjourné sur le territoire italien depuis plus de six ans.

37      Le 6 mai 2021, EF a introduit un recours contre cette décision devant le Verwaltungsgericht Darmstadt (tribunal administratif de Darmstadt, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi, visant, notamment, à obliger la ville d’Offenbach-sur-le-Main à renouveler son permis de séjour conformément à l’article 38a de l’AufenthG.

38      Dans ces circonstances, le Verwaltungsgericht Darmstadt (tribunal administratif de Darmstadt) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes :

« 1)      Un ressortissant d’un pays tiers qui s’est vu reconnaître par un premier État membre (en l’occurrence la République italienne) le statut de résident de longue durée au sens de la directive 2003/109, peut-il demander au deuxième État membre (en l’occurrence à la République fédérale d’Allemagne) le renouvellement d’un titre de séjour qui lui a été délivré en application des articles 14 et suivants de la directive 2003/109, sans prouver qu’il continue à bénéficier du statut de résident de longue durée ?

Dans la négative :

2)      Le statut de résident de longue durée doit-il être considéré comme maintenu dans le deuxième État membre au seul motif que le ressortissant de pays tiers est titulaire d’un permis de séjour de résident de longue durée – UE délivré par le premier État membre pour une durée illimitée, alors que, pendant six ans, il n’a pas résidé sur le territoire de l’État membre qui lui a accordé ce statut ?

Dans la négative :

3)      Dans le cadre du renouvellement du titre de séjour, le deuxième État membre est-il compétent pour examiner la perte du statut de résident de longue durée conformément à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109 et, le cas échéant, pour refuser le renouvellement, ou le premier État membre est-il compétent pour constater la perte ultérieure de ce statut ?

Dans l’affirmative :

4)      Dans ce cas, l’examen du motif de perte du statut de résident de longue durée conformément à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109 requiert-il une transposition dans le droit national qui précise les conditions entraînant la perte du statut de résident de longue durée dans le premier État membre, ou suffit-il que le droit national prévoie, sans référence concrète à ladite directive, que le deuxième État membre peut refuser le titre de séjour “si le ressortissant de pays tiers perd son statut de résident de longue durée dans un autre État membre de l’Union” ? »

39      Par décision du président de la Cour du 8 novembre 2022, les affaires C‑829/21 et C‑129/22 ont été jointes aux fins de l’éventuelle phase orale de la procédure et de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les trois premières questions dans les affaires C829/21 et C129/22

40      Par leurs trois premières questions, qu’il convient d’examiner ensemble, les juridictions de renvoi dans les affaires C‑829/21 et C‑129/22 demandent, en substance, si la directive 2003/109 doit être interprétée en ce sens qu’un État membre peut refuser de renouveler un permis de séjour qu’il a octroyé au ressortissant d’un pays tiers au titre des dispositions du chapitre III de cette directive au motif, visé à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de celle-ci, que, ayant été absent du territoire de l’État membre lui ayant accordé le statut de résident de longue durée pendant une période de plus de six ans, ce ressortissant a perdu le droit à ce statut dans ce dernier État membre et, si tel est le cas, à quelles conditions est subordonnée une telle décision de refus.

41      À cet égard, il découle, en premier lieu, de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/109 que le bénéfice du droit au statut de résident de longue durée dans le « premier État membre », au sens de l’article 2, sous c), de cette directive, est une condition devant être préalablement remplie par un ressortissant de pays tiers souhaitant séjourner sur le territoire du « deuxième État membre », au sens de l’article 2, sous d), de cette même directive, au titre d’un permis de séjour octroyé en vertu des dispositions du chapitre III de celle-ci. L’article 19, paragraphe 2, de cette même directive confirme l’existence d’une telle condition.

42      L’article 22 de la directive 2003/109 corrobore que cette condition doit également être remplie afin que l’intéressé puisse obtenir le renouvellement d’un tel permis de séjour dans le deuxième État membre, étant donné que, conformément au paragraphe 1, sous b), de cet article 22, ce dernier peut décider de refuser de renouveler ledit permis lorsque les conditions prévues aux articles 14 à 16 de cette directive ne sont plus remplies.

43      Au demeurant, il ressort de l’article 15 de la directive 2003/109 que, contrairement aux autres conditions prévues par cette disposition, les États membres ne sauraient déroger à la condition visée au point 41 du présent arrêt.

44      Le caractère impératif de cette condition découle de ce que, comme l’a également relevé M. l’avocat général au point 41 de ses conclusions, le droit de séjour dans le deuxième État membre est un droit dérivé du droit au statut de résident de longue durée dans le premier État membre.

45      Il s’ensuit que, si le deuxième État membre, lors du traitement d’une demande de renouvellement d’un permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de la directive 2003/109, constate que le ressortissant de pays tiers concerné a perdu son droit au statut de résident de longue durée dans le premier État membre au motif, notamment, ainsi que le prévoit l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109, qu’il a été absent du territoire du premier État membre depuis plus de six ans, ce constat fait obstacle à un tel renouvellement.

46      En deuxième lieu, ainsi que le confirme le considérant 21 de la directive 2003/109, dans le système instauré par cette directive, il incombe au deuxième État membre, dans lequel le ressortissant de pays tiers souhaite séjourner au titre du droit au statut de résident de longue durée dont il bénéficie dans le premier État membre, de vérifier si ce ressortissant remplit les conditions pour se voir octroyer un permis de séjour ou le renouvellement de celui-ci, parmi lesquelles la condition, posée à l’article 14, paragraphe 1, de ladite directive, qu’il dispose effectivement de ce droit dans le premier État membre.

47      Ainsi, dans le cadre d’une telle vérification, le deuxième État membre peut être amené à examiner si le ressortissant de pays tiers concerné n’a pas perdu le droit audit statut en raison notamment du motif visé à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109.

48      Si une telle vérification peut, le cas échéant, conduire le deuxième État membre à constater la perte du droit au statut de résident de longue durée et, par conséquent, conformément à l’article 22, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/109, à refuser au ressortissant de pays tiers concerné le renouvellement de son permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de ladite directive, seul le premier État membre peut procéder au retrait dudit statut et du permis de séjour de résident de longue durée – UE ou peut, le cas échéant, faire application de la procédure simplifiée pour le recouvrement de ce statut, procédure qui doit être établie par les États membres conformément à l’article 9, paragraphe 5, de ladite directive.

49      En troisième lieu, quant à la date pertinente pour l’appréciation, par le deuxième État membre, de la question de savoir s’il est satisfait à la condition posée à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/109 pour le renouvellement d’un permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de cette directive, trois dates peuvent, de prime abord, entrer en ligne de compte.

50      Ainsi, comme l’a d’ailleurs relevé, en substance, M. l’avocat général au point 46 de ses conclusions, la date pertinente pourrait être soit la date de dépôt de la demande de renouvellement du permis de séjour, soit une date ultérieure précédant celle de la décision administrative relative à cette demande, soit une date plus postérieure encore, se situant entre la date de l’introduction d’un recours judiciaire contre la décision administrative rejetant ladite demande et celle de l’adoption de la décision judiciaire, par exemple, comme le suggère la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑829/21, la date de la dernière audience.

51      Cependant, la seule date pertinente pour l’appréciation de la condition posée à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/109 est celle du dépôt, par le ressortissant de pays tiers concerné, de sa demande de renouvellement du permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de cette directive.

52      En effet, admettre que les États membres disposeraient, aux fins d’une telle appréciation, de la faculté de retenir une date ultérieure, se situant au cours d’une procédure administrative ou judiciaire, serait contraire aux principes d’égalité de traitement et de sécurité juridique, dans la mesure où le succès d’une telle demande de renouvellement du permis de séjour pourrait dépendre de circonstances imputables non pas au demandeur lui-même, mais principalement à l’administration ou aux juridictions nationales, telles que la plus ou moins grande célérité avec laquelle la demande est traitée ou il est statué sur un recours dirigé contre une décision de rejet d’une telle demande [voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, État belge (Regroupement familial – Enfant mineur), C‑133/19, C‑136/19 et C‑137/19, EU:C:2020:577, point 42].

53      Dans ce contexte, il y a lieu de souligner que, ainsi qu’il ressort également du considérant 10 de la directive 2003/109, dans le cadre des règles de procédure régissant l’examen de la demande d’acquisition du statut de résident de longue durée, le législateur de l’Union a entendu garantir aux ressortissants de pays tiers concernés un niveau adéquat de sécurité juridique.

54      Cela étant, comme l’a indiqué, en substance, M. l’avocat général aux points 55 et 56 de ses conclusions, si le deuxième État membre estime que la perte du droit au statut de résident de longue durée dans le premier État membre en raison, par exemple, du fait de l’expiration de la période de six ans visée à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109 est intervenue au cours de la procédure administrative ou judiciaire concernant ladite demande de renouvellement, rien ne l’empêche d’adopter sur cette base une nouvelle décision refusant ce renouvellement ou retirant ce permis de séjour en application de l’article 22 de ladite directive.

55      En quatrième lieu, quant à la charge de la preuve que la condition visée au point 41 du présent arrêt est vérifiée aux fins de l’octroi ou du renouvellement d’un permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de la directive 2003/109, en ce que le ressortissant de pays tiers concerné dispose du droit au statut de résident de longue durée dans le premier État membre, cette preuve incombe, par principe, à ce ressortissant.

56      Toutefois, il découle de l’article 15, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive 2003/109, lu à la lumière du considérant 11 de celle-ci, que, pour établir qu’il est satisfait à cette condition, il suffit, en principe, que ledit ressortissant présente au deuxième État membre son permis de séjour de résident de longue durée – UE délivré par le premier État membre, conformément à l’article 8, paragraphe 2, de cette directive, dès lors qu’un tel permis, s’il est en cours de validité, permet au même ressortissant de prouver aisément et immédiatement son droit au statut de résident de longue durée et la pérennité de ce droit. Partant, un tel permis en cours de validité permet de présumer que ce ressortissant dispose toujours du droit audit statut.

57      Dans ce contexte, la Cour a déjà jugé qu’il ressort d’une lecture combinée de l’article 2, sous b), et de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/109 qu’un permis de séjour de résident de longue durée – UE donne, en principe, à son titulaire le droit de séjourner sur le territoire d’États membres autres que celui qui lui a accordé son statut de résident de longue durée pour une période dépassant trois mois (arrêt du 17 juillet 2014, Tahir, C‑469/13, EU:C:2014:2094, point 42).

58      Au demeurant, l’article 9, paragraphe 6, de la directive 2003/109 prévoit que, inversement, l’expiration du permis de séjour de résident de longue durée – UE n’entraîne en aucune façon le retrait ou la perte du statut de résident de longue durée, ce qui témoigne du caractère déclaratoire d’un tel permis de séjour.

59      En l’occurrence, il est constant que TE et EF disposent chacun, dans le premier État membre, à savoir en Italie, d’un permis de séjour de résident de longue durée – UE à durée illimitée et donc en cours de validité, de sorte qu’il doit être présumé, en leur faveur, qu’ils disposent toujours du droit au statut de résident de longue durée dans cet État membre.

60      Une telle présomption, en ce qu’elle s’impose au deuxième État membre lors du traitement d’une demande de permis de séjour ou de son renouvellement, s’inscrit dans l’esprit de confiance mutuelle entre États membres qui, comme l’énonce le considérant 17 de la directive 2003/109, est favorisée par l’harmonisation des conditions d’acquisition du statut de résident de longue durée que vise cette directive.

61      En cinquième lieu, il convient de préciser que cette présomption ne présente toutefois pas un caractère irréfragable.

62      En effet, compte tenu du caractère déclaratoire du permis de séjour de résident de longue duréeUE déjà relevé au point 58 du présent arrêt, même si le ressortissant de pays tiers concerné est en mesure de présenter au deuxième État membre un tel permis en cours de validité, cet État membre peut être amené, notamment lors du traitement d’une demande de renouvellement d’un permis de séjour octroyé au titre des dispositions du chapitre III de la directive 2003/109, à examiner si la pérennité du droit au statut de résident de longue durée ne doit pas être remise en cause au regard de l’un des motifs de perte dudit statut de résident de longue durée visés à l’article 9 de cette directive.

63      Une telle remise en cause est toutefois subordonnée au constat, par le deuxième État membre, de l’existence d’indices suffisamment concrets et concordants que l’un de ces motifs est susceptible de s’appliquer dans le cas qui lui est soumis.

64      S’agissant, en particulier, du motif visé à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109, constitue un indice d’une telle perte pouvant justifier une vérification par le deuxième État membre de la pérennité du droit audit statut le fait que, à la date du dépôt de sa demande, plus de six années se sont écoulées depuis l’arrivée de l’intéressé sur le territoire de cet État membre ou depuis l’obtention de son premier permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de cette directive dans ce même État membre.

65      En sixième lieu, en présence de tels indices, le deuxième État membre est tenu de procéder à deux types de vérifications supplémentaires s’agissant spécifiquement du motif de perte du droit au statut de résident de longue durée prévu à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109.

66      Premièrement, pour déterminer si cette disposition s’applique, le deuxième État membre doit tenir compte du fait que toute présence physique de l’intéressé sur le territoire du premier État membre au cours de la période de six ans, même si elle n’excède pas, pendant cette période, une durée totale de quelques jours seulement, suffit pour empêcher la perte de son droit au statut de résident de longue durée [voir par analogie, s’agissant de l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/109, arrêt du 20 janvier 2022, Landeshauptmann von Wien (Perte du statut de résident de longue durée), C‑432/20, EU:C:2022:39, point 47].

67      Une telle interprétation de l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109 se fonde, notamment, sur la nécessité, déjà mise en exergue au point 53 du présent arrêt, de garantir aux ressortissants de pays tiers concernés, dans le cadre des règles de procédure régissant l’examen de la demande d’acquisition du statut de résident de longue durée, un niveau adéquat de sécurité juridique [voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2022, Landeshauptmann von Wien (Perte du statut de résident de longue durée), C‑432/20, EU:C:2022:39, points 38 à 40].

68      Partant, une présence, même de très courte durée, du ressortissant de pays tiers concerné sur le territoire du premier État membre au cours de la période de six ans visée à cette disposition, a pour conséquence que la prescription établie par cette dernière est interrompue et qu’un nouveau délai de six ans commence à courir à compter de la date à laquelle prend fin chaque présence de ce ressortissant sur le territoire du premier État membre.

69      Il incombe donc au deuxième État membre, dans le cadre de l’examen d’une demande de renouvellement d’un permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de la directive 2003/109, d’examiner lui-même s’il existe des éléments lui permettant de déduire que la période de six ans visée à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de cette directive a expiré à la date du dépôt de la demande de l’intéressé et, dans l’affirmative, de lui faire part de cette circonstance, en l’informant du fait que ce délai peut avoir été interrompu et qu’un nouveau délai de six ans est susceptible d’avoir pris cours, dès lors qu’il aurait entre-temps de nouveau été présent sur le territoire du premier État membre.

70      Dans ce contexte, le deuxième État membre doit inviter le ressortissant de pays tiers concerné, s’il fait valoir une telle interruption, à fournir des éléments de preuve de nature à démontrer une présence sur le territoire du premier État membre au cours de ladite période de six ans, quand bien même celle-ci n’aurait été que de quelques jours.

71      Deuxièmement, s’il résulte des vérifications effectuées par le deuxième État membre que le ressortissant de pays tiers concerné s’est absenté du territoire du premier État membre pendant une période supérieure à six ans, le deuxième État membre doit également vérifier, conformément à l’article 9, paragraphe 4, troisième alinéa, de la directive 2003/109, si le premier État membre a fait usage, dans sa législation, de la faculté visée à cette disposition de prévoir, par dérogation à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de cette directive, que, « pour des raisons spécifiques », le résident de longue durée conserve son statut dans ledit État membre « en cas d’absences pendant une période supérieure à six ans » et, lorsque tel est le cas, si, en l’espèce, une telle raison spécifique est avérée.

72      S’agissant de ces deux types de vérifications, le deuxième État membre devra approcher le premier État membre afin de solliciter son assistance dès lors que ces vérifications nécessitent d’avoir recours à des éléments d’information dont seul ce dernier État membre est susceptible de disposer.

73      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans les rapports entre États membres, il convient de tenir compte du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, qui fait obligation aux États membres, de façon générale et donc, notamment, dans le cadre des situations régies par la directive 2003/109, de se respecter et de s’assister mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités.

74      Enfin, ce n’est qu’au terme de ces vérifications et au vu d’une appréciation de l’ensemble des éléments pertinents que, le cas échéant, le deuxième État membre peut, uniquement aux fins de la procédure d’examen de la demande de renouvellement d’un titre de séjour au titre des dispositions du chapitre III de la directive 2003/109, en tirer la conclusion que, à la date du dépôt de cette demande, conformément à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de cette directive, le ressortissant de pays tiers concerné ne disposait plus du droit au statut de résident de longue durée dans le premier État membre et peut, pour ce motif, refuser de renouveler ce titre de séjour, conformément à l’article 22, paragraphe 1, sous b), de cette même directive.

75      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux trois premières questions dans les affaires C‑829/21 et C‑129/22 que la directive 2003/109, et en particulier son article 22, paragraphe 1, sous b), doit être interprétée en ce sens qu’un État membre peut refuser de renouveler un permis de séjour qu’il a octroyé au ressortissant d’un pays tiers au titre des dispositions du chapitre III de cette directive au motif, visé à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de ladite directive, que, ayant été absent du territoire de l’État membre lui ayant accordé le statut de résident de longue durée pendant une période de plus de six ans et ce dernier État membre n’ayant pas fait usage de la faculté prévue à l’article 9, paragraphe 4, troisième alinéa, de la même directive, ce ressortissant a perdu le droit à ce statut dans ce même État membre, à condition que le délai de six ans ait été atteint au plus tard à la date du dépôt de la demande de renouvellement dudit permis et que ce ressortissant ait été préalablement invité à apporter la preuve d’éventuelles présences sur ledit territoire au cours de ce délai.

 Sur la quatrième question dans l’affaire C129/22

76      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑129/22 demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, et l’article 22, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/109 doivent être interprétés en ce sens que transpose dûment ces dispositions dans le droit national le deuxième État membre qui met en œuvre celles-ci au moyen de deux dispositions distinctes lorsque la première disposition reprend le motif entraînant la perte du droit au statut de résident de longue durée visé à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de cette directive et la seconde disposition prévoit qu’un permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de ladite directive doit être révoqué si le ressortissant de pays tiers concerné a perdu son droit au statut de résident de longue durée dans l’État membre qui l’a délivré, sans que cette disposition comporte de référence concrète à l’un des motifs de perte dudit droit visés à l’article 9 de cette même directive.

77      À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la transposition dans le droit national de dispositions du droit de l’Union telles que l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, et l’article 22, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/109 requiert que celles-ci soient mises en œuvre par des dispositions ayant la spécificité, la précision et la clarté nécessaires pour satisfaire à l’exigence de sécurité juridique [voir, par analogie, arrêts du 24 avril 2012, Kamberaj, C‑571/10, EU:C:2012:233, point 87, ainsi que du 3 septembre 2020, Subdelegación del Gobierno en Barcelona (Résidents de longue durée), C‑503/19 et C‑592/19, EU:C:2020:629, points 36 et 37].

78      S’agissant, en particulier, de l’article 22, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/109, il découle également de cette jurisprudence que, s’il s’avérait que tel n’est pas le cas, l’État membre concerné ne pourrait invoquer cette disposition pour rejeter une demande d’un ressortissant de pays tiers visant au renouvellement d’un permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de la directive 2003/109.

79      Or, transpose cet article 22, paragraphe 1, sous b), en conformité avec les exigences de spécificité, de précision et de clarté visées par la jurisprudence rappelée au point 77 du présent arrêt, une disposition nationale telle que l’article 52, paragraphe 6, de l’AufenthG prévoyant qu’un permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de cette directive doit être révoqué si le ressortissant de pays tiers concerné perd le droit au statut de résident de longue durée dans un autre État membre, même si cette disposition nationale ne se réfère pas expressément aux motifs de perte du droit audit statut que prévoit l’article 9 de la directive 2003/109.

80      En effet, d’une part, il ressort de manière univoque d’une telle disposition nationale qu’un tel permis de séjour est révoqué par le deuxième État membre si l’intéressé a perdu le droit au statut de résident de longue durée dans l’État membre lui ayant conféré ce droit.

81      D’autre part, la circonstance figurant dans cette disposition nationale qui permet au deuxième État membre de fonder une telle révocation, à savoir le fait que le ressortissant de pays tiers concerné a perdu le droit au statut de résident de longue durée dans le premier État membre, peut être comprise comme renvoyant aux différents motifs de perte du droit audit statut prévus à l’article 9 de la directive 2003/109, dès lors que l’État membre ayant octroyé ce droit ne peut retirer celui-ci que pour l’un desdits motifs.

82      En outre, transpose l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109, en conformité avec les exigences de spécificité, de précision et de clarté visées par la jurisprudence rappelée au point 77 du présent arrêt, une disposition du droit national d’un État membre telle que l’article 51, paragraphe 9, premier alinéa, point 4, de l’AufenthG, prévoyant qu’un ressortissant de pays tiers bénéficiant du droit au statut de résident de longue durée dans cet État membre perd le droit à ce statut lorsqu’il est absent du territoire dudit État membre au cours d’une période de six ans.

83      Partant, sur la base de ladite disposition de droit national transposant l’article 22, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/109, le deuxième État membre peut refuser d’octroyer au ressortissant de pays tiers un permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de ladite directive ou peut refuser le renouvellement d’un tel permis si cet État membre constate que ledit ressortissant a perdu le droit au statut de résident de longue durée dans le premier État membre au motif visé à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de cette directive.

84      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la quatrième question dans l’affaire C‑129/22 que l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, et l’article 22, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/109 doivent être interprétés en ce sens que transpose dûment ces dispositions dans le droit national le deuxième État membre qui met en œuvre celles-ci au moyen de deux dispositions distinctes lorsque la première disposition reprend le motif entraînant la perte du droit au statut de résident de longue durée visé à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de cette directive et la seconde disposition prévoit qu’un permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de ladite directive doit être révoqué si le ressortissant de pays tiers concerné a perdu son droit au statut de résident de longue durée dans l’État membre qui l’a délivré, sans que cette disposition comporte de référence concrète à l’un des motifs de perte dudit droit visés à l’article 9 de cette même directive.

 Sur la quatrième question dans l’affaire C829/21

85      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑829/21 demande, en substance, si l’article 15, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109 doit être interprété en ce sens que l’État membre dans lequel le ressortissant d’un pays tiers a demandé l’octroi d’un permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de cette directive ou le renouvellement d’un tel permis peut rejeter cette demande au motif que ce ressortissant n’a pas joint à sa demande des pièces justificatives établissant qu’il dispose d’un logement approprié, alors que cet État membre n’a pas mis en œuvre cette disposition.

86      À cet égard, ainsi qu’il découle de la jurisprudence de la Cour déjà rappelée aux points 77 et 78 du présent arrêt , il incombe à la juridiction de renvoi, qui est seule compétente pour l’interprétation du droit national dans le cadre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE, de vérifier que son droit national comporte une disposition qui met en œuvre l’article 15, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109 avec la spécificité, la précision et la clarté nécessaires pour satisfaire à l’exigence de sécurité juridique. S’il s’avérait que tel n’est pas le cas, le deuxième État membre ne pourrait invoquer cette disposition pour rejeter une demande d’un ressortissant de pays tiers de se voir octroyer un permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de cette directive ou le renouvellement d’un tel permis.

87      Or, en l’occurrence, selon les termes mêmes de sa quatrième question, la juridiction de renvoi dans l’affaire C-829/21 considère que « la République fédérale d’Allemagne n’a pas fait usage de l’habilitation prévue à l’article 15, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109 ».

88      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la quatrième question dans l’affaire C‑829/21 que l’article 15, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109 doit être interprété en ce sens que l’État membre dans lequel le ressortissant d’un pays tiers a demandé l’octroi d’un permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de cette directive ou le renouvellement d’un tel permis ne peut pas rejeter cette demande au motif que ce ressortissant n’a pas joint à sa demande des pièces justificatives établissant qu’il dispose d’un logement approprié, dès lors que cet État membre n’a pas mis en œuvre cette disposition.

 Sur les dépens

89      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

1)      La directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, telle que modifiée par la directive 2011/51/UE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2011, et en particulier son article 22, paragraphe 1, sous b),

doit être interprétée en ce sens que :

un État membre peut refuser de renouveler un permis de séjour qu’il a octroyé à un ressortissant d’un pays tiers au titre des dispositions du chapitre III de cette directive, telle que modifiée, au motif, visé à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de ladite directive, telle que modifiée, que, ayant été absent du territoire de l’État membre lui ayant accordé le statut de résident de longue durée pendant une période de plus de six ans et ce dernier État membre n’ayant pas fait usage de la faculté prévue à l’article 9, paragraphe 4, troisième alinéa, de la même directive, telle que modifiée, ce ressortissant a perdu le droit à ce statut dans ce même État membre, à condition que le délai de six ans ait été atteint au plus tard à la date du dépôt de la demande de renouvellement dudit permis et que ce ressortissant ait été préalablement invité à apporter la preuve d’éventuelles présences sur ledit territoire au cours de ce délai.

2)      L’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, et l’article 22, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/109, telle que modifiée par la directive 2011/51,

doivent être interprétés en ce sens que :

transpose dûment ces dispositions dans le droit national le deuxième État membre qui met en œuvre celles-ci au moyen de deux dispositions distinctes lorsque la première disposition reprend le motif entraînant la perte du droit au statut de résident de longue durée visé à l’article 9, paragraphe 4, deuxième alinéa, de cette directive, telle que modifiée, et la seconde disposition prévoit qu’un permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de ladite directive, telle que modifiée, doit être révoqué si le ressortissant de pays tiers concerné a perdu son droit au statut de résident de longue durée dans l’État membre qui l’a délivré, sans que cette disposition comporte de référence concrète à l’un des motifs de perte dudit droit visés à l’article 9 de cette même directive, telle que modifiée.

3)      L’article 15, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2003/109, telle que modifiée par la directive 2011/51,

doit être interprété en ce sens que :

l’État membre dans lequel le ressortissant d’un pays tiers a demandé l’octroi d’un permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de cette directive, telle que modifiée, ou le renouvellement d’un tel permis ne peut pas rejeter cette demande au motif que ce ressortissant n’a pas joint à sa demande des pièces justificatives établissant qu’il dispose d’un logement approprié, dès lors que cet État membre n’a pas mis en œuvre cette disposition.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.