CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 20 février 2018 (1)

Affaire C441/17

Commission européenne

contre

République de Pologne

« Manquement d’État – Environnement – Directive 92/43/CEE – Article 6, paragraphes 1 et 3 – Article 12, paragraphe 1 – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Directive 2009/147/CE –Articles 4 et 5 – Conservation des oiseaux sauvages – Modification du plan de gestion forestière – Site Natura 2000 Puszcza Białowieska (Pologne) – Zones spéciales de conservation »






1.        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que :

–        en adoptant une annexe au plan de gestion forestière du district forestier de Białowieża (Pologne) sans s’assurer que cette annexe ne porterait pas atteinte à l’intégrité du site d’importance communautaire (ci-après le « SIC ») et de la zone de protection spéciale (ci-après la « ZPS ») PLC200004 Puszcza Białowieska, la République de Pologne a manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43/CEE (2) ;

–        en omettant d’établir les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II de la directive « habitats » ainsi que des oiseaux de l’annexe I de la directive 2009/147/CE (3) et des espèces migratrices non visées à cette annexe dont la venue est régulière, pour lesquels le SIC et la ZPS PLC200004 Puszcza Białowieska ont été désignés, la République de Pologne a manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » et en vertu de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux » ;

–        en omettant d’assurer une protection stricte des coléoptères saproxyliques [cucujus vermillon (Cucujus cinnaberinus), bupreste splendide (Buprestis splendens), phryganophile à cou roux (Phryganophilus ruficollis) et Pytho kolwensis (4)] mentionnés à l’annexe IV de la directive « habitats », c’est-à-dire en n’interdisant pas de les tuer intentionnellement ou de les perturber et de détériorer ou de détruire leurs sites de reproduction dans le district forestier de Białowieża, la République de Pologne a manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats », et

–        en omettant d’assurer la protection d’espèces d’oiseaux visées à l’article 1er de la directive « oiseaux », notamment le pic à dos blanc (Dendrocopos leucotos), le pic tridactyle (Picoides tridactylus), la chouette chevêchette (Glaucidium passerinum) et la chouette de Tengmalm (Aegolius funereus), c’est-à-dire en omettant de veiller à ce que ces espèces ne soient pas tuées ou perturbées durant la période de reproduction et de dépendance et à ce que leurs nids et leurs œufs ne soient pas intentionnellement détruits, endommagés ou enlevés dans le district forestier de Białowieża, la République de Pologne a manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux ».

2.        L’affaire ainsi soumise à la Cour lui donnera, d’une part, une nouvelle occasion de souligner ce qui distingue les plans concernant un site Natura 2000, qui relèvent de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », de ceux qui ne sont pas directement liés ou nécessaires à la gestion du site, mais susceptibles de l’affecter de manière significative, tels que visés au paragraphe 3 de cet article. D’autre part, elle conduira à rappeler le niveau de rigueur qui s’impose aux États membres lors de la conception et de la mise en œuvre de ces plans ou projets, en raison des exigences particulièrement strictes résultant des dispositions des directives invoquées par la Commission, telles qu’interprétées par la Cour.

3.        Dans les présentes conclusions, nous exposerons les motifs pour lesquels nous pensons que ce recours en manquement est recevable et doit être accueilli.

I.      Le cadre juridique

A.      La directive « habitats »

4.        Les premier, troisième, sixième, dixième et quinzième considérants de la directive « habitats » se lisent comme suit :

« considérant que la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement, y compris la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, constituent un objectif essentiel, d’intérêt général poursuivi par la Communauté comme prévu à l’article 130 R du traité [devenu l’article 174 CE, puis l’article 191 TFUE] ;

[...]

considérant que le but principal de la présente directive étant de favoriser le maintien de la biodiversité, tout en tenant compte des exigences économiques, sociales, culturelles et régionales, elle contribue à l’objectif général, d’un développement durable ; que le maintien de cette biodiversité peut, dans certains cas, requérir le maintien, voire l’encouragement, d’activités humaines ;

[...]

considérant que, en vue d’assurer le rétablissement ou le maintien des habitats naturels et des espèces d’intérêt communautaire dans un état de conservation favorable, il y a lieu de désigner des zones spéciales de conservation afin de réaliser un réseau écologique européen cohérent suivant un calendrier défini ;

[...]

considérant que tout plan ou programme susceptible d’affecter de manière significative les objectifs de conservation d’un site qui a été désigné ou qui le sera dans le futur doit être l’objet d’une évaluation appropriée ;

[...]

considérant que, en complément de la directive 79/409/CEE [ (5)], il convient de prévoir un système général de protection pour certaines espèces de faune et de flore ; que des mesures de gestion doivent être prévues pour certaines espèces, si leur état de conservation le justifie, y compris l’interdiction de certaines modalités de capture ou de mise à mort, tout en prévoyant la possibilité de dérogations sous certaines conditions ;

[...] »

5.        L’article 1er de cette directive se lit comme suit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      conservation : un ensemble de mesures requises pour maintenir ou rétablir les habitats naturels et les populations d’espèces de faune et de flore sauvages dans un état favorable au sens des points e) et i) ;

b)      habitats naturels : des zones terrestres ou aquatiques se distinguant par leurs caractéristiques géographiques, abiotiques et biotiques, qu’elles soient entièrement naturelles ou semi-naturelles ;

[...]

d)      types d’habitats naturels prioritaires : les types d’habitats naturels en danger de disparition présents sur le territoire visé à l’article 2 et pour la conservation desquels la Communauté porte une responsabilité particulière, compte tenu de l’importance de la part de leur aire de répartition naturelle comprise dans le territoire visé à l’article 2. Ces types d’habitats naturels prioritaires sont indiqués par un astérisque (*) à l’annexe I ;

e)      état de conservation d’un habitat naturel : l’effet de l’ensemble des influences agissant sur un habitat naturel ainsi que sur les espèces typiques qu’il abrite, qui peuvent affecter à long terme sa répartition naturelle, sa structure et ses fonctions ainsi que la survie à long terme de ses espèces typiques sur le territoire visé à l’article 2.

“L’état de conservation” d’un habitat naturel sera considéré comme “favorable” lorsque :

–        son aire de répartition naturelle ainsi que les superficies qu’il couvre au sein de cette aire sont stables ou en extension

et

–        la structure et les fonctions spécifiques nécessaires à son maintien à long terme existent et sont susceptibles de perdurer dans un avenir prévisible

et

–        l’état de conservation des espèces qui lui sont typiques est favorable au sens du point i) ;

[...]

g)      espèces d’intérêt communautaire : celles qui, sur le territoire visé à l’article 2, sont :

i)      en danger [...]

ou

ii)      vulnérables, c’est-à-dire dont le passage dans la catégorie des espèces en danger est jugé probable dans un avenir proche en cas de persistance des facteurs qui sont cause de la menace

ou

iii)      rares, c’est-à-dire dont les populations sont de petite taille et qui, bien qu’elles ne soient pas actuellement en danger ou vulnérables, risquent de le devenir. Ces espèces sont localisées dans des aires géographiques restreintes ou éparpillées sur une plus vaste superficie

ou

iv)      endémiques et requièrent une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat et/ou des incidences potentielles de leur exploitation sur leur état de conservation.

Ces espèces figurent ou sont susceptibles de figurer à l’annexe II et/ou IV ou V ;

h)      espèces prioritaires : les espèces visées au point g) [,] i) et pour la conservation desquelles la Communauté porte une responsabilité particulière compte tenu de l’importance de la part de leur aire de répartition naturelle dans le territoire visé à l’article 2. Ces espèces prioritaires sont indiquées par un astérisque (*) à l’annexe II ;

i)      état de conservation d’une espèce : l’effet de l’ensemble des influences qui, agissant sur l’espèce, peuvent affecter à long terme la répartition et l’importance de ses populations sur le territoire visé à l’article 2 ;

“L’état de conservation” sera considéré comme “favorable”, lorsque :

–        les données relatives à la dynamique de la population de l’espèce en question indiquent que cette espèce continue et est susceptible de continuer à long terme à constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle appartient

et

–        l’aire de répartition naturelle de l’espèce ne diminue ni ne risque de diminuer dans un avenir prévisible

et

–        il existe et il continuera probablement d’exister un habitat suffisamment étendu pour que ses populations se maintiennent à long terme ;

j)      site : une aire géographique définie, dont la surface est clairement délimitée ;

k)      site d’importance communautaire : un site qui, dans la ou les régions biogéographiques auxquelles il appartient, contribue de manière significative à maintenir ou à rétablir un type d’habitat naturel de l’annexe I ou une espèce de l’annexe II dans un état de conservation favorable et peut aussi contribuer de manière significative à la cohérence de “Natura 2000” visé à l’article 3, et/ou contribue de manière significative au maintien de la diversité biologique dans la ou les régions biogéographiques concernées.

Pour les espèces animales qui occupent de vastes territoires, les sites d’importance communautaire correspondent aux lieux, au sein de l’aire de répartition naturelle de ces espèces, qui présentent les éléments physiques ou biologiques essentiels à leur vie et reproduction ;

l)      zone spéciale de conservation : un site d’importance communautaire désigné par les États membres par un acte réglementaire, administratif et/ou contractuel où sont appliquées les mesures de conservation nécessaires au maintien ou au rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et/ou des populations des espèces pour lesquels le site est désigné ;

[...] »

6.        L’article 2 de ladite directive est libellé comme suit :

« 1.      La présente directive a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres où le traité s’applique.

2.      Les mesures prises en vertu de la présente directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire.

3.      Les mesures prises en vertu de la présente directive tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales. »

7.        L’article 3, paragraphe 1, de la directive « habitats » dispose :

« 1.      Un réseau écologique européen cohérent de zones spéciales de conservation, dénommé “Natura 2000”, est constitué. Ce réseau, formé par des sites abritant des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I et des habitats des espèces figurant à l’annexe II, doit assurer le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des types d’habitats naturels et des habitats d’espèces concernés dans leur aire de répartition naturelle.

Le réseau Natura 2000 comprend également les [ZPS] classées par les États membres en vertu des dispositions de la directive 79/409 [...]. »

8.        L’article 4 de cette directive énonce, à son paragraphe 2, troisième alinéa, et à ses paragraphes 4 et 5 :

« 2.      [...]

La liste des sites sélectionnés comme [SIC], faisant apparaître les sites abritant un ou plusieurs types d’habitats naturels prioritaires ou une ou plusieurs espèces prioritaires, est arrêtée par la Commission selon la procédure visée à l’article 21.

[...]

4.      Une fois qu’un [SIC] a été retenu en vertu de la procédure prévue au paragraphe 2, l’État membre concerné désigne ce site comme zone spéciale de conservation le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans en établissant les priorités en fonction de l’importance des sites pour le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, d’un type d’habitat naturel de l’annexe I ou d’une espèce de l’annexe II et pour la cohérence de Natura 2000, ainsi qu’en fonction des menaces de dégradation ou de destruction qui pèsent sur eux.

5.      Dès qu’un site est inscrit sur la liste visée au paragraphe 2, troisième alinéa, il est soumis aux dispositions de l’article 6, paragraphes 2, 3 et 4. »

9.        L’article 6 de ladite directive dispose :

« 1.      Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II présents sur les sites.

2.      Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive.

3.      Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site, mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l’évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public.

4.      Si, en dépit de conclusions négatives de l’évaluation des incidences sur le site et en l’absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l’État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Natur[a] 2000 est protégée. L’État membre informe la Commission des mesures compensatoires adoptées.

Lorsque le site concerné est un site abritant un type d’habitat naturel et/ou une espèce prioritaire, seules peuvent être évoquées des considérations liées à la santé de l’homme et à la sécurité publique ou à des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ou, après avis de la Commission, à d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur. »

10.      L’article 7 de la directive « habitats » indique :

« Les obligations découlant de l’article 6, paragraphes 2, 3 et 4 [,] de la présente directive se substituent aux obligations découlant de l’article 4, paragraphe 4, première phrase [,] de la directive 79/409 [...] en ce qui concerne les zones classées en vertu de l’article 4 [,] paragraphe 1 [,] ou reconnues d’une manière similaire en vertu de l’article 4 [,] paragraphe 2 [,] de ladite directive à partir de la date de mise en application de la présente directive ou de la date de la classification ou de la reconnaissance par un État membre en vertu de la directive 79/409 [...] si cette dernière date est postérieure. »

11.      Sous le titre « Protection des espèces », l’article 12 de cette directive prévoit, à son paragraphe 1 :

« 1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV [,] point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant :

a)      toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ;

b)      la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration ;

[...]

d)      la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos. »

12.      L’article 16, paragraphe 1, de ladite directive dispose :

« 1.      À condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les États membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l’article 15 [,] points a) et b) :

[...]

b)      pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ;

c)      dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ;

[...] »

13.      L’annexe I de la directive « habitats », intitulée « Types d’habitats naturels d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation », vise, sous le point 9, relatif aux « Forêts (sub)naturelles d’essences indigènes à l’état de futaies avec sous-bois typique, répondant à un des critères suivants : rares ou résiduelles, et/ou hébergeant des espèces d’intérêt communautaire », et, sous le titre 91, relatif aux « Forêts de l’Europe tempérée », les chênaies-charmaies subcontinentales (chênaies-charmaies du Galio-Carpinetum, code Natura 2000 9170) ainsi que les tourbières boisées (code Natura 2000 91D0) et les forêts alluviales à saules, peupliers, aulnes et frênes [forêts alluviales à Alnus glutinosa et Fraxinus excelsior (Alno-Padion, Alnion incanae, Salicion albae), code Natura 2000 91E0], ces deux dernières forêts étant spécialement désignées comme types d’habitats prioritaires.

14.      Les annexes II et IV de cette directive sont intitulées, respectivement « Espèces animales et végétales d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation » et « Espèces animales et végétales présentant un intérêt communautaire et nécessitant une protection stricte ». Sous le point a) de chacune de ces annexes, visant les « animaux » « invertébrés », figure une liste d’espèces d’« insectes », dont celles de coléoptères, parmi lesquelles figurent, notamment, le bupreste splendide, le cucujus vermillon, le Pytho kolwensis et le phryganophile à cou roux, avec la précision, portée dans l’annexe II, que cette dernière espèce est prioritaire. Dans cette même annexe figurent également le rhysode sillonné (Rhysodes sulcatus) et le Boros schneideri (6).

B.      La directive « oiseaux »

15.      Les considérants 6 et 8 de la directive « oiseaux » se lisent comme suit :

« (6)      Les mesures à prendre doivent s’appliquer aux différents facteurs qui peuvent agir sur le niveau de population des oiseaux, à savoir les répercussions des activités humaines et notamment la destruction et la pollution de leurs habitats, la capture et la destruction par l’homme ainsi que le commerce auquel ces pratiques donnent lieu et il y a lieu d’adapter le degré de ces mesures à la situation des différentes espèces dans le cadre d’une politique de conservation.

[...]

(8)      La préservation, le maintien ou le rétablissement d’une diversité et d’une superficie suffisantes d’habitats sont indispensables à la conservation de toutes les espèces d’oiseaux. Certaines espèces d’oiseaux doivent faire l’objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution. Ces mesures doivent également tenir compte des espèces migratrices et être coordonnées en vue de la constitution d’un réseau cohérent. »

16.      L’article 1er de cette directive dispose :

« 1.      La présente directive concerne la conservation de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité est applicable. Elle a pour objet la protection, la gestion et la régulation de ces espèces et en réglemente l’exploitation.

2.      La présente directive s’applique aux oiseaux ainsi qu’à leurs œufs, à leurs nids et à leurs habitats. »

17.      L’article 2 de ladite directive énonce :

« Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles. »

18.      L’article 3 de la directive « oiseaux » prévoit :

« 1.      Compte tenu des exigences mentionnées à l’article 2, les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour préserver, maintenir ou rétablir une diversité et une superficie suffisantes d’habitats pour toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er.

2.      La préservation, le maintien et le rétablissement des biotopes et des habitats comportent en premier lieu les mesures suivantes :

a)      création de zones de protection ;

b)      entretien et aménagement conformes aux impératifs écologiques des habitats se trouvant à l’intérieur et à l’extérieur des zones de protection ;

c)      rétablissement des biotopes détruits ;

[...]. »

19.      L’article 4, paragraphes 1, 2 et 4, de la directive « oiseaux » dispose :

« 1.      Les espèces mentionnées à l’annexe I font l’objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution.

À cet égard, il est tenu compte :

a)      des espèces menacées de disparition ;

b)      des espèces vulnérables à certaines modifications de leurs habitats ;

c)      des espèces considérées comme rares parce que leurs populations sont faibles ou que leur répartition locale est restreinte ;

d)      d’autres espèces nécessitant une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat.

Il sera tenu compte, pour procéder aux évaluations, des tendances et des variations des niveaux de population.

Les États membres classent notamment en [ZPS] les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation de ces espèces dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive.

2.      Les États membres prennent des mesures similaires à l’égard des espèces migratrices non visées à l’annexe I dont la venue est régulière, compte tenu des besoins de protection dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive en ce qui concerne leurs aires de reproduction, de mue et d’hivernage et les zones de relais dans leur aire de migration. [...]

[...]

4.      Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones de protection visées aux paragraphes 1 et 2, la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, pour autant qu’elles aient un effet significatif eu égard aux objectifs du présent article. En dehors de ces zones de protection, les États membres s’efforcent également d’éviter la pollution ou la détérioration des habitats. »

20.      L’article 5 de cette directive prévoit :

« Sans préjudice des articles 7 et 9, les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er et comportant notamment l’interdiction :

[...]

b)      de détruire ou d’endommager intentionnellement leurs nids et leurs œufs et d’enlever leurs nids ;

[...]

d)      de les perturber intentionnellement, notamment durant la période de reproduction et de dépendance, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive ;

[...] »

21.      L’article 9 de ladite directive dispose :

« 1.      Les États membres peuvent déroger aux articles 5 à 8 s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pour les motifs ci-après :

a)      –      dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques,

[...]

–        pour prévenir les dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries et aux eaux,

[...]

2.      Les dérogations visées au paragraphe 1 doivent mentionner :

a)      les espèces qui font l’objet des dérogations ;

[...]

c)      les conditions de risque et les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles ces dérogations peuvent être prises ;

d)      l’autorité habilitée à déclarer que ces conditions exigées sont réunies, à décider quels moyens, installations ou méthodes peuvent être mis en œuvre, dans quelles limites et par quelles personnes ;

e)      les contrôles qui seront opérés.

3.      Les États membres adressent à la Commission chaque année un rapport sur l’application des paragraphes 1 et 2.

4.      Au vu des informations dont elle dispose, et notamment de celles qui lui sont communiquées en vertu du paragraphe 3, la Commission veille constamment à ce que les conséquences des dérogations visées au paragraphe 1 ne soient pas incompatibles avec la présente directive. Elle prend les initiatives appropriées à cet égard. »

22.      Parmi les diverses espèces mentionnées à l’annexe I de la directive « oiseaux » figurent le pic à dos blanc, le pic tridactyle, la chouette chevêchette, la chouette de Tengmalm, la bondrée apivore (Pernis apivorus), le gobemouche nain (Ficedula parva) et le gobemouche à collier (Ficedula albicollis).

II.    Les antécédents du litige

A.      Les faits à l’origine du litige

23.      Par la décision 2008/25/CE, du 13 novembre 2007, arrêtant, en application de la directive [« habitats »], une première liste actualisée des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique continentale (7), à la suite des propositions des États membres, la Commission a approuvé la désignation du site Natura 2000 Puszcza Białowieska (Pologne), conformément à l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive « habitats », en tant que SIC, dont le code est PLC200004, en raison de la présence d’habitats naturels et d’habitats de certaines espèces d’animaux prioritaires. Ce site, qui a été créé pour protéger dix types d’habitats naturels et 55 espèces végétales et animales, constitue également une ZPS désignée conformément à la directive « oiseaux ».

24.      Le site Natura 2000 Puszcza Białowieska est l’une des forêts naturelles les mieux conservées d’Europe, se caractérisant par de grandes quantités de bois mort et de vieux arbres, notamment centenaires. Il compte, sur son territoire, des habitats naturels définis comme « prioritaires », au sens de l’annexe I de la directive « habitats », tels que des tourbières boisées (code Natura 2000 91D0) et des forêts alluviales à saules, peupliers, aulnes et frênes (code Natura 2000 91E0), ainsi que d’autres habitats d’« importance communautaire », dont notamment des chênaies-charmaies subcontinentales (code Natura 2000 9170). La Commission a précisé que, selon un rapport de Forest Europe, en 2015, les forêts non perturbées par l’homme ne représentaient en Europe que 3 % environ de la surface forestière totale et que, en Pologne, elles représentaient 0,63 % de la surface forestière totale (8).

25.      Se trouvent sur le territoire du site Natura 2000 Puszcza Białowieska de nombreuses espèces de coléoptères saproxyliques, figurant à l’annexe II de la directive « habitats », notamment, le Boros schneideri et le rhysode sillonné, ou encore celles inscrites également à l’annexe IV, sous a), de cette directive, en tant qu’espèces nécessitant une protection stricte, telles que le cucujus vermillon, le bupreste splendide, le phryganophile à cou roux et le Pytho kolwensis. Sont également présentes des espèces d’oiseaux visées, d’une part, à l’annexe I de la directive « oiseaux », dont l’habitat est constitué par les épicéas moribonds et morts, y compris ceux colonisés par le bostryche typographe (Ips typographus), telles que, notamment, la bondrée apivore, le gobemouche nain, le gobemouche à collier, le pic à dos blanc, le pic tridactyle, la chouette chevêchette, la chouette de Tengmalm et, d’autre part, à l’annexe II, partie B, de cette directive, telles que le pigeon colombin (Columba oenas), espèce migratrice relevant de l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive.

26.      Compte tenu de sa valeur naturelle, la Puszcza Białowieska (ci-après la « forêt de Białowieża ») est également inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).

27.      Le site Natura 2000 Puszcza Białowieska, qui s’étend sur 63 147,58 hectares, est administré par deux autorités différentes. L’une d’entre elles est chargée de la gestion du Białowieski Park Narodowy (parc national de Białowieża, Pologne), à savoir un territoire représentant environ 17 % de la superficie totale de ce site Natura 2000, soit environ 10 500 hectares. L’autre autorité, les Lasy Państwowe (Office des forêts domaniales, Pologne) (9), gère, sur 52 646,88 hectares, les trois districts forestiers de Białowieża (12 586,48 hectares), de Browsk (20 419,78 hectares) et de Hajnówka (19 640,62 hectares) (10). Le district forestier de Białowieża représente environ 20 % de la superficie totale dudit site, soit une superficie équivalente à celle du parc national, correspondant à environ 24 % de la superficie des trois districts forestiers réunis.

28.      Le 17 mai 2012, le Minister Środowiska (ministre de l’Environnement, Pologne) a émis une recommandation portant exclusion des mesures de gestion au sein des peuplements forestiers de plus de 100 ans. Selon la République de Pologne, cette recommandation aurait empêché, en pratique, l’exécution d’opérations de conservation efficaces dans ces peuplements, consistant à enlever en temps utile et à emporter le bois d’épicéa colonisé par le bostryche typographe hors de la zone menacée dans un volume suffisant de sorte que les possibilités de réaction rapide à la propagation croissante du bostryche typographe auraient été entravées.

29.      Le 9 octobre 2012, le ministre de l’Environnement a approuvé, sur demande de la Regionalna Dyrekcja Lasów Państwowych w Białymstoku (direction régionale de l’Office des forêts de Białystok, Pologne), et en réponse à une enquête pré infraction EU Pilot (11) initiée par la Commission au mois de juin 2011, le Plan Urządzenia Lasu (plan de gestion forestière), accompagné des prévisions quant aux incidences sur l’environnement (ci-après le « PGF de 2012 »).

30.      Ce plan comportait, pour le district forestier de Bialowieża, une description des forêts et des terrains destinés au boisement d’une superficie totale de 12 592,71 hectares, une analyse de l’économie forestière, un programme de protection de la nature et une définition des missions concernant :

–        le volume des produits forestiers (issus de coupes antérieures à l’abattage et de coupes d’abattage) à hauteur de 63 471 m3 de bois d’œuvre net ;

–        la superficie prévue de boisement et de reforestation (à savoir 12, 77 hectares) ;

–        la superficie prévue pour l’entretien forestier (à savoir 2 904,99 hectares) ;

–        la protection des forêts, dont les mesures de protection contre les incendies ;

–        l’économie de la chasse, et

–        les besoins en matière d’infrastructures techniques.

31.      Ce plan, qui réduisait le volume d’extraction de bois autorisé pour les trois districts forestiers à environ 470 000 m3 en dix ans, dans une proportion importante par rapport aux 1 500 000 m3 de bois extraits entre les années 2003 et 2012, a ainsi fixé la limite à 63 471 m3 pour le district forestier de Białowieża (12).

32.      Toutefois, il est constant que, du fait de l’extraction massive de bois entre les années 2012 et 2015, le volume maximal autorisé dans le PGF de 2012 pour une période de dix ans a été atteint dans le district forestier de Białowieża en quasiment trois ans. Parallèlement, l’Office des forêts a constaté durant cette période une propagation du bostryche typographe.

33.      Le 6 novembre 2015, le Regionalny Dyrektor Ochrony Środowiska w Białymstoku (directeur régional de la protection de l’environnement de Białystok, Pologne) a adopté un Plan Zadań Ochronnych (plan de gestion) (13) (ci-après le « PZO de 2015 ») (14), qui fixe les objectifs de conservation et établit les mesures de conservation relatives au site Natura 2000 Puszcza Białowieska pour le territoire des trois districts forestiers de Białowieża, de Browsk et de Hajnówka, conformément aux objectifs énoncés à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ». Ce PZO de 2015 est un acte de droit local et doit être considéré, selon la Commission, comme un plan « nécessaire à la gestion du site » au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».

34.      À l’annexe 3 du PZO de 2015, les autorités polonaises ont précisé, selon les habitats naturels et les habitats d’espèces d’animaux et d’oiseaux visés à l’annexe I de la directive « habitats » ainsi que des habitats des espèces d’animaux visés à l’annexe II de cette directive et d’oiseaux visés à l’annexe I de la directive « oiseaux », les pratiques de gestion forestière constituant des dangers potentiels pour le maintien d’un état de conservation favorable des habitats sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska. À ce titre, ont été retenus, notamment, l’abattage des arbres dans des peuplements plus que centenaires de deux types d’habitats (chênaies-charmaies et forêts alluviales), l’enlèvement des arbres morts ou moribonds, ou scolytés (pins ou épicéas colonisés par le bostryche typographe) de plus de 100 ans, ainsi que les coupes forestières, le rajeunissement des forêts et des forêts mixtes par des opérations de gestion forestière.

35.      L’annexe 5 du PZO de 2015 établit comme suit les mesures de conservation visant à prévenir les dangers potentiels recensés dans l’annexe 3 de ce PZO pour les habitats et espèces protégés présents dans les trois districts forestiers :

–        exclusion des opérations de gestion forestière (telles que l’abattage, le reboisement, l’entretien) dans tous les peuplements d’arbres dans les habitats 91D0 (tourbières boisées) et 91E0 (forêts alluviales à saules, peupliers, aulnes et frênes) ;

–        exclusion des opérations de gestion forestière dans tous les peuplements d’une espèce composés pour au moins 10 % de spécimens centenaires dans l’habitat 9170 (chênaies-charmaies subcontinentales), dans les habitats de la bondrée apivore, du pic à dos blanc, du pic tridactyle, du gobemouche nain et du gobemouche à collier, du bupreste splendide et du cucujus vermillon, du Boros Schneideri et du scarabée pique-prune (Osmoderma eremita) ;

–        exclusion des opérations de gestion forestière dans tous les peuplements d’une espèce composée pour au moins 10 % de spécimens centenaires (peuplements d’épicéas, de pins, ou combinant épicéas et pins) pour les habitats de la chouette chevêchette et de la chouette de Tengmalm ;

–        aux fins de la conservation des habitats du Pytho kolwensis, du phryganophile à cou roux et du rhysode sillonné, conservation des arbres morts dans les peuplements forestiers exploités, notamment par le maintien de tous les épicéas morts de plus de 100 ans jusqu’à minéralisation complète, sauf en cas de menace pour la sécurité publique.

36.      Le 25 mars 2016, le ministre de l’Environnement a approuvé, à la demande du directeur général de l’Office des forêts, une annexe au PGF de 2012 (ci-après l’« annexe de 2016 ») établi par la direction régionale de l’Office des forêts à Białystok, modifiant les parties du PGF de 2012 relatives, premièrement, à la surface totale de forêts et de terrains destinés à être boisés, en fonction de l’état au 1er janvier 2016, s’élevant (après modification) à 12 585,30 hectares, deuxièmement, au volume d’exploitation des principaux produits forestiers (résultant de coupes antérieures à l’abattage et de coupes d’abattage), s’élevant (après modification) à 188 000 m3 de bois d’œuvre nets et, troisièmement, à la surface prévue de boisement et de reforestation, s’élevant (après modification) à 28, 63 hectares.

37.      L’approbation de l’annexe de 2016 est justifiée par « la survenance de graves dommages au sein des peuplements forestiers, à la suite de la propagation constante du bostryche [typographe] de l’épicéa, entraînant (au cours de la période de mise en œuvre du PGF [de 2012]) la nécessité d’augmenter l’exploitation du bois (produits occasionnels) aux fins de maintenir les forêts dans un état sanitaire approprié, de garantir la durabilité des écosystèmes forestiers, d’interrompre la détérioration et d’entreprendre un processus de régénération des habitats naturels, en ce compris des habitats d’intérêt communautaire ».

38.      Il est indiqué dans cette annexe qu’elle « porte avant tout sur l’enlèvement d’épicéas colonisés, en vue de limiter la propagation du bostryche typographe (nécessité d’effectuer des coupes sanitaires) ».

39.      Il est également précisé qu’il sera procédé « à l’enlèvement d’arbres aux fins de garantir la sécurité des personnes présentes dans la forêt de Białowieża, car l’accumulation d’arbres moribonds constitue un danger public », sur « les chemins touristiques ainsi que les aires de repos et de récréation dans la forêt ».

40.      Il est relevé enfin dans ladite annexe que « la sécheresse au cours de ces dernières années a accru le dépérissement des arbres et des peuplements d’épicéas, entraînant ainsi une augmentation du risque d’incendie dans la forêt de Bialowieża ».

41.      L’annexe de 2016 permet ainsi de quasiment tripler l’exploitation du bois dans le district forestier de Białowieża, passant de 63 471 m3 à 188 000 m3 pour la période allant de l’année 2012 à l’année 2021, et d’effectuer des opérations de gestion forestière active, telles que des coupes sanitaires, du reboisement et des coupes de rajeunissement, dans des zones où toute intervention était jusque-là exclue.

42.      Comme lors de l’adoption du PGF de 2012, l’avis positif du directeur régional de la protection de l’environnement de Białystok a été recueilli. Par ailleurs, il est constant que, aux fins de l’adoption de l’annexe de 2016, la direction régionale de l’Office des forêts de Białystok a procédé, en 2015, à une évaluation des incidences sur l’environnement des mesures envisagées, dont il est résulté qu’elles n’ont « aucune incidence négative significative sur l’environnement ni, en particulier, sur les objectifs de conservation et l’intégrité du site Natura 2000 ».

43.      Par un document daté également du 25 mars 2016, le ministre de l’Environnement et le directeur général de l’Office des forêts, poursuivant l’objectif de résoudre les divergences d’opinion sur le mode de gestion de la forêt de Bialowieża « en s’appuyant sur des connaissances scientifiques », ont élaboré un programme de remédiation, intitulé « programme relatif à la forêt de Bialowieża en tant qu’héritage culturel et naturel de l’U[nesco] et en tant que site relevant du réseau Natura 2000 ». Ce programme vise à « documenter rigoureusement les différents points de vue, ainsi qu’à déterminer la responsabilité de personnes concrètes, s’agissant des décisions prises ». Il a été décidé à cette fin de :

–        « réaliser et mettre à la disposition de l’opinion publique » les documents scientifiques et juridiques relatifs à la forêt de Bialowieża ;

–        mettre en œuvre un programme d’étude et de suivi, comportant une identification et une description des parcelles ayant fait l’objet d’un peuplement humain et de mesures de gestion forestière, en tenant compte de certains habitats et espèces protégés. Au sein de chaque peuplement forestier, sera, d’une part, calculé le nombre et le volume d’arbres morts, et, d’autre part, mesurée la teneur en carbone organique de la litière forestière ainsi que du profil de sol, et

–        d’établir une documentation photographique.

44.      Il a également été prévu dans ce programme, afin de mettre un terme à la controverse scientifique sur l’opportunité d’une intervention humaine et de l’abattage des arbres, de mener une expérience à long terme, consistant à réserver un tiers de la surface des districts forestiers dans lequel seront évalués les effets de l’absence de mise en œuvre des mesures de gestion forestière aux fins de les comparer avec ceux des « opérations de coupe et d’exploitation des arbres (entre autres) » prévues dès 2016 qui auront lieu dans l’autre partie. Une analyse des incidences économiques est également envisagée.

45.      Le 31 mars 2016, le directeur général de l’Office des forêts a adopté, conformément à sa mission et « en tenant compte des impératifs liés à la diversification des risques d’altération considérable des habitats naturels et de disparition de la biodiversité, en raison de l’une des plus vastes propagations du bostryche typographe dans l’histoire, sur le territoire de la forêt de Białowieża », la décision n° 52 par laquelle ont été établies des « zones fonctionnelles de référence » sur le territoire des districts forestiers de Białowieża et de Browsk. Elles représentent environ 33 % de la superficie du district forestier de Białowieża, à savoir 4 137,28 hectares, et sont gérées conformément aux mesures définies dans le PGF de 2012. Cette décision n° 52 prévoit que, au sein de ces zones de référence, à compter du 1er avril 2016 et en tenant compte des plans de gestion forestière en vigueur dans ces districts, sera exercée « une gestion forestière visant à maximiser les effets de la formation de la biodiversité, (en pratique) exclusivement à la suite de processus naturels ». Il est précisé dans ladite décision que cette activité de gestion se limitera :

« 1)      à la coupe d’arbres constituant un danger pour la sécurité publique ainsi qu’un risque d’incendie, lié à l’abandon des arbres coupés sur place ;

2)      à laisser les zones susmentionnées se renouveler naturellement, au sens des règles relatives à la sylviculture ;

3)      à maintenir les ressources forestières dans un état limitant au maximum la pénétration des forêts par l’homme, afin d’empêcher une altération des processus naturels susmentionnés, sous réserve de l’accès à la forêt visé au point 4) ;

4)      à la réalisation des fonctions non productives de la forêt, comme terrain mis à disposition pour la réalisation d’études scientifiques et d’actions similaires ;

5)      à la création d’une ceinture de protection, le long des limites de ces zones, en installant des pièges à phéromones, à savoir des solutions visant à empêcher la transition depuis (et vers) ces zones d’organismes nuisibles à un degré menaçant la survie des forêts ».

La décision n° 52 prévoit que les zones ainsi visées n’incluent toutefois pas les réserves naturelles.

46.      Sous la section 2 de cette décision, il est prévu que, dans les forêts relevant des districts forestiers de Białowieża et de Browsk situées en dehors des zones de référence, l’activité de gestion fondée sur les plans de gestion forestière s’exercera conformément aux principes de gestion forestière durable. Il est précisé que, « cependant, cette gestion s’exercera de manière à assurer, dans les faits, la protection de la nature, en appliquant des méthodes de gestion forestière ».

47.      Aux termes de la section 3 de ladite décision, « les opérations dans le ressort territorial des districts forestiers de Białowieża et de Browsk portant sur l’inventaire de la richesse naturelle, sur le suivi de la biodiversité, de l’état des habitats naturels et du bilan carbone des écosystèmes forestiers, ainsi que sur la collecte de toute documentation factuelle, sont régies par une ordonnance distincte du directeur général de l’Office des forêts, relative à l’inventaire naturel de tous les terrains gérés par ledit Office ». Le directeur régional de l’Office des forêts de Białystok, selon le paragraphe 2 de cette section, soumettra tous les deux ans un rapport (dès le 31 janvier 2017) portant sur le suivi des opérations et sur l’état de conservation de la biodiversité au sein de la forêt de Białowieża.

48.      En vertu de la section 4, sous b), de la décision n° 52, il est possible de déroger à l’exclusion de ces surfaces des opérations de gestion forestière active en cas de « réalisation de travaux, lorsque l’obligation de réaliser lesdits travaux découle de dispositions légales d’application générale, en ce compris du PZO relatif au site Natura 2000 ».

49.      Le 17 février 2017 (15), le directeur général de l’Office des forêts a adopté, pour les trois districts forestiers, la décision n° 51 « relative à l’abattage des arbres colonisés par le bostryche typographe et à la récolte des arbres constituant une menace pour la sécurité publique et posant un risque d’incendie, dans toutes les classes d’âge des peuplements forestiers des districts forestiers de Białowieża, [de] Browsk et [de] Hajnówka » (16).

50.      L’article 1er de cette décision dispose que, « [a]u vu de la situation extraordinaire et catastrophique causée par la propagation du bostryche typographe sur le site de Puszcza Białowieska, le directeur de la direction régionale de l’Office des forêts de Białystok et les inspecteurs forestiers des districts forestiers [de] Białowieża, [de] Browsk et de Hajnówka sont tenus :

1.      de procéder sans délai, dans les forêts gérées par l’Office des forêts, à l’abattage des arbres menaçant la sécurité publique, en premier lieu le long des voies de communication et des itinéraires touristiques, en veillant de façon essentielle et prioritaire au respect de la sécurité publique ;

2.      de procéder à l’enlèvement continu des arbres secs, ainsi que des rémanents après récolte, conformément aux dispositions applicables en matière de prévention des incendies de forêts, y compris par voie de transport, ou de débitage et de transport ;

3.      de procéder à l’abattage continu et en temps utile des arbres colonisés par le bostryche typographe, dans toutes les classes d’âge de peuplements forestiers, ainsi qu’à la récolte du bois et à son transport en temps utile (ou à son écorçage et stockage) ;

4.      de procéder – en utilisant les résultats de l’inventaire naturel des forêts de Puszcza Białowieska effectué par l’Office des forêts en 2016 – à la mise en œuvre et à l’actualisation constante des stratégies de restauration des peuplements forestiers après la propagation du bostryche typographe dans le massif forestier de Puszcza Białowieska, en recourant à différentes méthodes de renouvellement (régénération naturelle, reforestation par semis ou plantation) et de protection, en vue de la reconstitution et de la restauration des phytocénoses, et en particulier de la protection des habitats naturels précieux relevant de la protection du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, et, en cas de nécessité d’une régénération artificielle, d’utiliser les arbres et arbustes originaires de Puszcza Białowieska ;

5.      de procéder au suivi des effets visés au point 4, en effectuant régulièrement l’inventaire de l’état des forêts et l’évaluation de la biodiversité, y compris en recourant à un réseau de surfaces d’inventorisation naturelle à grande échelle ;

6.      d’intégrer les bois récoltés à la suite des coupes visées aux points 1 à 3 dans la réalisation du projet Leśne Gospodarstwa Węglowe (fermes forestières à carbone), visé dans l’arrêté n° 2 du directeur général du 17 janvier 2017 [projet visant à augmenter le niveau d’absorption du CO2 et d’autres gaz à effet de serre grâce aux forêts]. Le bois sec non colonisé [par le bostryche typographe] (bois mort stérile) peut être stocké dans des installations transitoires établies sur les espaces devenus vides et les terrains ouverts. Le bois colonisé (bois scolyté) exige un écorçage et un stockage en conformité avec les règles prévues par les instructions sur la protection des forêts. Les zones de stockage de bois sont protégées contre l’incendie ;

7.      d’organiser un système de vente des bois récoltés grâce aux coupes visées aux points 1 à 3 aux fins de satisfaire les besoins des habitants des communes situées dans la zone territoriale de Puszcza Białowieska ».

51.      L’article 2 de cette décision prévoit qu’« il est dérogé, pour les coupes visées à l’article 1er, aux restrictions tenant à l’âge des arbres et à la fonction des peuplements forestiers pour les forêts placées sous la gestion de l’Office des forêts domaniales dans la zone de Puszcza Białowieska ».

52.      Il est constant que, à la suite de l’adoption de la décision n° 51, il a été procédé à l’enlèvement d’arbres secs et d’arbres colonisés par le bostryche typographe dans les trois districts forestiers de Białowieża, de Browsk et de Hajnówka, dans une « zone de restauration forestière » d’environ 34 000 hectares, qui représente près de 54 % de la superficie du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

53.      Par ailleurs, selon la Commission, qui s’appuie sur les données émanant de l’Office des forêts, les coupes dans la forêt de Białowieża, réalisées depuis le début de l’année 2017, représenteraient au total plus de 35 000 m3 de bois, dont 29 000 m3 d’épicéa (soit environ 29 000 arbres). Selon les informations fournies par des organisations non gouvernementales, qui ont exploité les données de l’Office des forêts, les coupes de peuplement de plus de 100 ans réalisées jusqu’au mois de mai 2017 auraient produit 2 385,13 m3 de bois dans le district forestier de Białowieża, 1 874 m3 dans celui de Browsk et 6 540 m3 dans celui de Hajnówka.

B.      La procédure précontentieuse

54.      Après avoir été informée de l’approbation de l’annexe de 2016, la Commission a envoyé aux autorités polonaises, le 7 avril 2016, par le système électronique de communication pré infraction EU Pilot (17), une demande d’éclaircissements sur une série de questions relatives à l’incidence de l’augmentation de l’extraction de bois dans le district forestier de Białowieża sur l’état de conservation d’habitats naturels et d’espèces de la faune sauvage d’intérêt communautaire dans le site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

55.      Dans leur réponse du 18 avril 2016, les autorités polonaises ont justifié l’augmentation du volume de bois extrait par une propagation sans précédent du bostryche typographe.

56.      Les 9 et 10 juin 2016, les services de la Commission se sont rendus dans la forêt de Białowieża pour enquêter sur une dizaine de secteurs différents du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

57.      Le 17 juin 2016, la Commission a adressé aux autorités polonaises, conformément à l’article 258 TFUE, une lettre de mise en demeure, aux motifs que les mesures approuvées dans l’annexe de 2016 n’étaient pas justifiées, que ces autorités avaient omis de s’assurer que ces mesures ne porteraient pas atteinte à l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, et que, en autorisant une augmentation de l’extraction de bois, elles avaient manqué aux obligations leur incombant en vertu des directives « habitats » et « oiseaux ».

58.      Par lettre du 27 juin 2016, adressée au commissaire européen chargé de l’Environnement, le ministre polonais de l’Environnement a fait savoir que des éléments d’information supplémentaires concernant les habitats et les espèces présents sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska étaient nécessaires et que leur inventaire était en cours de réalisation.

59.      Les autorités polonaises ont répondu à la lettre de mise en demeure, le 18 juillet 2016, en rejetant intégralement les griefs de la Commission.

60.      Entre le mois de février et le mois de mars 2017, un échange de correspondances a eu lieu entre le ministre polonais de l’Environnement et le commissaire européen chargé de l’Environnement. Le ministre de l’Environnement a indiqué que les premiers résultats de l’inventaire étaient déjà connus et qu’il avait décidé, sur cette base, de commencer les coupes prévues dans l’annexe de 2016.

61.      Par lettre du 28 avril 2017, la Commission a adressé un avis motivé à la République de Pologne, lui reprochant d’avoir manqué aux obligations découlant de l’article 6, paragraphes 1 et 3, et de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive « habitats » ainsi que de l’article 4, paragraphes 1 et 2, et de l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux ». La Commission invitait les autorités polonaises à se conformer à cet avis motivé dans un délai d’un mois à compter de sa réception. Elle justifiait ce délai, notamment, par l’information selon laquelle les coupes avaient commencé et par le risque direct que le site Natura 2000 Puszcza Białowieska subisse, de ce fait, un préjudice grave et irréparable.

62.      Le 26 mai 2017, la République de Pologne a répondu à l’avis motivé en alléguant que les manquements reprochés n’étaient pas fondés.

63.      N’étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a introduit le présent recours.

C.      La procédure devant la Cour

64.      Par acte séparé, déposé au greffe le 20 juillet 2017, la Commission a introduit une demande de mesures provisoires au titre de l’article 279 TFUE et de l’article 160, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour de justice, visant à ordonner à la République de Pologne que celle-ci, dans l’attente de l’arrêt de la Cour statuant sur le fond, d’une part, cesse, sauf en cas de menace pour la sécurité publique, les opérations de gestion forestière active dans des habitats 91D0 (tourbières boisées) et 91E0 (forêts alluviales à saules, peupliers, aulnes et frênes), et dans les peuplements forestiers centenaires de l’habitat 9170 (chênaies-charmaies subcontinentales), ainsi que dans les habitats du pic à dos blanc, du pic tridactyle, de la chouette chevêchette, de la chouette de Tengmalm, de la bondrée apivore, du gobemouche nain, du gobemouche à collier et du pigeon colombin, et dans les habitats des coléoptères saproxyliques, à savoir le cucujus vermillon, le Boros schneideri, le phryganophile à cou roux, le Pytho kolwensis, le rhysode sillonné ainsi que le bupreste splendide et, d’autre part, cesse l’enlèvement d’épicéas centenaires morts et l’abattage d’arbres dans le cadre de l’augmentation du volume de bois exploitable sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska, lesquelles opérations découlent de l’annexe de 2016 et de la décision n° 51.

65.      La Commission demandait aussi, en vertu de l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour, l’octroi des mesures provisoires susmentionnées avant même que la partie défenderesse ait présenté ses observations en raison du risque de préjudice grave et irréparable pour les habitats et l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

66.      Par ordonnance du 27 juillet 2017 (18), le vice-président de la Cour a provisoirement fait droit à cette dernière demande jusqu’au prononcé de l’ordonnance qui mettrait fin à la procédure de référé.

67.      Le 13 septembre 2017, la Commission a complété sa demande de mesures provisoires en sollicitant de la Cour qu’elle ordonne en outre à la République de Pologne de payer une astreinte pour le cas où celle-ci ne se conformerait pas aux injonctions prononcées dans le cadre de la procédure.

68.      Le 28 septembre 2017, la République de Pologne a demandé que l’affaire soit attribuée à la grande chambre de la Cour. En application de l’article 161, paragraphe 1, du règlement de procédure, le vice-président de la Cour a déféré l’affaire à la Cour qui, compte tenu de l’importance de cette affaire, l’a attribuée à la grande chambre, conformément à l’article 60, paragraphe 1, dudit règlement.

69.      Par ordonnance du 20 novembre 2017 (19), la Cour a fait droit à la demande de la Commission, jusqu’au prononcé de l’arrêt qui mettra fin à la présente affaire, tout en autorisant, à titre exceptionnel, la République de Pologne à mettre en œuvre les opérations prévues dans l’annexe de 2016 et la décision n° 51 lorsque celles-ci sont strictement nécessaires, et dans la mesure où elles sont proportionnées, pour assurer, de manière directe et immédiate, la sécurité publique des personnes, et cela à condition que d’autres mesures moins radicales ne soient pas possibles pour des raisons objectives. La Cour a également ordonné à la Pologne qu’elle communique à la Commission, au plus tard quinze jours après la notification de cette ordonnance, toutes les mesures qu’elle aura adoptées afin de la respecter pleinement, en précisant, de manière motivée, les opérations de gestion forestière active qu’elle prévoit de poursuivre en raison de leur nécessité pour assurer la sécurité publique. La Cour a réservé sa décision concernant la demande complémentaire de la Commission tendant à ce que soit ordonné le paiement d’une astreinte (20).

70.      Par ailleurs, par acte déposé au greffe le 7 août 2017, la Commission a demandé que la présente affaire soit traitée en priorité, conformément à l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour. Par une décision du 9 août 2017, le président de la Cour a fait droit à cette demande. Toutefois, par ordonnance du 11 octobre 2017 (21), le président de la Cour a décidé de soumettre d’office la présente affaire à la procédure accélérée prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 133 du règlement de procédure de la Cour.

III. Argumentation des parties

A.      Sur la recevabilité

71.      La République de Pologne fait valoir que les deuxième, troisième et quatrième griefs soulevés par la Commission sont irrecevables, dans la mesure où ils portent sur les opérations mises en œuvre sur les territoires des districts forestiers de Browsk et de Hajnówka, visées dans la décision n° 51. En effet, d’une part, ces griefs élargiraient de manière injustifiée la portée des griefs définis dans l’avis motivé, dès lors que ces derniers se réfèrent uniquement aux conséquences de l’adoption de l’annexe de 2016 relative au district forestier de Białowieża. Ainsi, l’objet du litige serait élargi rationae loci, mais aussi rationae materiae puisque les opérations visées dans la décision n° 51 seraient différentes de celles définies dans l’annexe de 2016. D’autre part, le libellé de ces griefs serait obscur, notamment sur le point de savoir si ces griefs sont exclusivement liés à l’adoption de l’annexe de 2016 ou s’ils portent également sur les opérations prévues par la décision n° 51.

72.      Au soutien de la recevabilité de l’ensemble de ses griefs, la Commission a exposé, lors de l’audience, qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que l’objet du litige peut être étendu entre la phase précontentieuse et la phase contentieuse, dès lors que les faits reprochés sont de même nature et sont constitutifs d’un même comportement. Il ressort des pièces du dossier, selon la Commission, que les faits reprochés à la République de Pologne dans l’avis motivé concernaient uniquement le district forestier de Białowieża dès lors que les mesures adoptées par les autorités polonaises, à cette date, ne concernaient que ce district. Cependant, la Commission souligne que les mêmes mesures ont également été adoptées par la République de Pologne pour les deux autres districts forestiers faisant partie du site Natura 2000 Puszcza Białowieska. Considérant qu’il s’agit de faits identiques, constitutifs d’un même comportement, elle estime qu’il est justifié que le recours en manquement porte sur l’ensemble du territoire couvert par les mesures litigieuses au jour de la saisine de la Cour. En outre, la Commission fait valoir que ne pas admettre la recevabilité de son recours, au motif que l’avis motivé ne visait pas des faits qui lui étaient postérieurs, rendrait l’exercice de son droit au recours extrêmement difficile, voire impossible. À cet égard, la Commission relève que l’extension géographique opérée entre l’avis motivé et le recours en manquement n’est que la conséquence du choix des autorités polonaises elles-mêmes de prendre des décisions de même nature, au cours de la procédure précontentieuse, et d’en organiser tardivement la publicité, ce qui exclurait que cette extension soit retenue comme un motif d’irrecevabilité de sa requête.

B.      Sur le fond

1.      La Commission

73.      Par son premier grief, la Commission fait valoir que la République de Pologne a manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », en approuvant l’annexe de 2016 et en mettant en œuvre les opérations de gestion forestière ainsi prévues, sans s’assurer que cela ne porterait pas atteinte à l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

74.      Selon la Commission, l’annexe de 2016, en ce qu’elle modifie le PGF de 2012, constitue un plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, mais susceptible d’affecter ce site de manière significative du fait du triplement du cubage de bois exploitable dans le district forestier de Białowieża qu’elle prévoit. À la différence des PZO, les PGF ne seraient pas, en effet, des plans de gestion, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », parce qu’ils ne fixent pas les objectifs et les mesures de conservation nécessaires pour les sites Natura 2000. Les PGF ont principalement pour objet de régir les pratiques de gestion forestière, en fixant notamment le volume maximal de bois pouvant être extrait et en établissant des mesures de protection des forêts. Il conviendrait, dès lors, avant de les adopter ou de les modifier, de procéder à une évaluation appropriée de leurs incidences sur le site Natura 2000 concerné eu égard aux objectifs de conservation de ce site, conformément à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », ce qui aurait d’ailleurs été le cas en l’espèce, car la République de Pologne aurait mené en 2015 une telle évaluation des incidences du projet d’annexe de 2016 sur la conservation du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

75.      La Commission estime, toutefois, que les autorités polonaises ont omis de s’assurer que l’annexe de 2016 ne porterait pas atteinte à l’intégrité de ce site Natura 2000, ce qui implique le maintien durable de ses caractéristiques constitutives, liées à la présence d’un habitat naturel dont l’objectif de préservation a justifié la désignation de ce site comme SIC et ZPS. En l’occurrence, les caractéristiques de l’intégrité dudit site Natura 2000 seraient les suivantes : les processus écologiques naturels qui s’y déroulent (régénération naturelle des arbres, sélection naturelle des espèces, succession écologique naturelle), la diversité de la composition en espèces et la structure d’âge de ses peuplements forestiers, qui comptent notamment une proportion importante d’arbres en phase optimale ou terminale, l’abondance de bois mort et la présence d’espèces typiques des forêts naturelles non perturbées par l’homme et vivant dans les habitats naturels susmentionnés.

76.      La Commission fait valoir, pour l’essentiel, que les autorités polonaises ne pouvaient pas exclure l’existence de doutes scientifiques concernant l’absence d’effets préjudiciables sur l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska en se fondant sur l’évaluation des incidences sur l’environnement préparée en 2015 en vue d’établir l’annexe de 2016, au motif que cette évaluation reposait sur celle menée en 2012, en vue de l’adoption du PGF de 2012, et se concentrait sur les peuplements colonisés par le bostryche typographe. Elle soutient également que l’établissement ultérieur de surfaces de référence et de travaux d’inventaire ne saurait, non plus, apporter les certitudes nécessaires à l’autorisation des travaux de gestion forestière.

77.      La Commission relève, plus particulièrement, que les mesures d’enlèvement des arbres morts et moribonds, de gestion forestière sous la forme de coupes sanitaires, d’abattage d’arbres dans le cas de peuplements plus que centenaires dans des chênaies-charmaies subcontinentales et dans des forêts alluviales, et d’enlèvement d’épicéas plus que centenaires moribonds ou morts colonisés par le bostryche typographe, prévues dans l’annexe de 2016, constitueraient des « danger[s] potentiel[s] » pour les habitats naturels et les habitats d’espèces en cause, identifiés dans le PZO de 2015. À l’inverse, l’action du bostryche typographe ne serait pas considérée comme un « danger potentiel » dès lors que ce serait, au contraire, l’enlèvement des épicéas colonisés par le bostryche typographe qui serait explicitement considéré, à l’annexe 3 du PZO de 2015, comme une menace pour les habitats de trois espèces d’oiseaux protégés.

78.      La Commission souligne, de plus, que, en l’état actuel des connaissances scientifiques, les phases de propagation du bostryche typographe feraient partie des cycles naturels régulièrement observés dans ce type de forêts. Ils ne feraient d’ailleurs l’objet d’aucun suivi dans l’enceinte du parc national de Białowieża, où l’état de conservation des habitats serait meilleur que dans les districts forestiers gérés par l’Office des forêts dans lesquels des coupes sanitaires auraient été effectuées. Des études scientifiques attesteraient également du meilleur état de conservation des habitats de la forêt de Białowieża qui sont exclus de toute intervention humaine. Les scientifiques craindraient, en outre, que l’enlèvement des arbres morts ou moribonds déséquilibre la structure d’âge des peuplements forestiers, appauvrisse la diversité des espèces et des habitats protégés et fasse disparaître d’importantes sources de nourriture pour de nombreuses espèces animales protégées. L’enlèvement du bois mort dans le cadre des coupes sanitaires serait donc incompatible avec les objectifs de conservation des zones protégées, le maintien du bois mort dans la forêt étant nécessaire pour préserver la biodiversité.

79.      Selon la Commission, il ressort, en outre, de la réponse des autorités polonaises à la demande EU Pilot que les mesures approuvées dans l’annexe de 2016 seront mises en œuvre sur une superficie de 5 100 hectares, ce qui représenterait 58 % du district forestier de Białowieża et 8 % de la superficie du site Natura 2000 Puszcza Białowieska. La Commission relève, à cet égard, que, dans leur réponse à l’avis motivé, les autorités polonaises ont indiqué que, à la suite de la prise en compte des surfaces de référence, la zone d’application de l’annexe de 2016 s’étendra sur 3 401 hectares, soit 5,4 % de la superficie du site Natura 2000 Puszcza Białowieska. La Commission souligne que les mesures ainsi mises en œuvre auront en réalité une incidence bien plus importante dès lors que les autorités polonaises auraient elles-mêmes reconnu que les opérations visant à empêcher la propagation du bostryche typographe s’étendront sur une superficie totale de 34 000 hectares, alors que les surfaces de référence sur lesquelles ces mesures ne seront pas mises en œuvre couvrent 17 000 hectares. Dans ces conditions, la Commission considère que les incidences de ces mesures sur la protection de l’environnement ne peuvent être présentées comme étant négligeables, d’autant que, en fixant, dans le PGF de 2012, un volume de bois exploitable de 63 471 m3 jusqu’en 2021, les autorités compétentes avaient trouvé, après avoir évalué les incidences sur l’environnement, un niveau équilibré d’exploitation au regard des objectifs de conservation dudit site Natura 2000.

80.      La Commission considère que, à aucun moment du processus décisionnel, les autorités polonaises n’auraient tenu compte des réserves et des avis émis par les organismes scientifiques. À cet égard, l’évaluation des incidences sur l’environnement de 2015 serait fondée, d’une part, sur une méthode erronée, dès lors qu’elle ne se réfère pas aux objectifs particuliers de la conservation des habitats et des espèces animales ayant fait l’objet du PZO de 2015, d’autre part, sur une évaluation datant de 2012, et se concentrerait sur les peuplements colonisés par le bostryche typographe. Cette évaluation ne définirait pas non plus ce que signifie l’intégrité du site Natura 2000 en question ni n’indiquerait en quoi les opérations prévues seraient susceptibles de lui porter atteinte. Il existerait un risque que les opérations de gestion forestière envisagées soient exécutées sans suffisamment tenir compte des nécessités et objectifs de conservation de ces habitats et de ces espèces. Par ailleurs, l’annexe de 2016 n’aurait pas été adoptée sur la base d’informations actualisées, puisque, afin de mieux connaître les lieux de répartition de ces espèces, les autorités polonaises ont procédé en 2016 à un inventaire du site dont les résultats n’étaient pas définitifs au moment de l’émission de l’avis motivé.

81.      À l’appui de ce dernier argument, la Commission rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, c’est à la date de l’adoption de la décision autorisant la réalisation du projet qu’il ne doit subsister aucun doute scientifique raisonnable concernant l’absence d’effets préjudiciables pour l’intégrité du site concerné (22). Partant, la République de Pologne aurait violé l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », ne fût-ce que pour la simple raison que le ministre de l’Environnement, en approuvant l’annexe de 2016, ne pouvait pas être certain que les opérations prévues dans cette annexe n’auraient pas d’effets préjudiciables sur l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska. Il en résulterait également qu’aucune mesure ne saurait remédier à la violation de cette disposition, pas même en cas d’établissement ultérieur de l’absence d’effets préjudiciables, puisque les conditions de l’adoption d’une décision positive n’étaient pas satisfaites lorsque l’annexe a été approuvée.

82.      La Commission soutient que, par conséquent, l’établissement de « surfaces de référence », sur 33 % du territoire de ce site Natura 2000, ne saurait être considéré comme une mesure atténuant les effets préjudiciables de la mise en œuvre de l’annexe de 2016. D’une part, ces surfaces n’auraient pas fait l’objet de l’évaluation des incidences sur l’environnement effectuée en 2015. D’autre part, l’établissement desdites surfaces ne permettrait pas d’éviter ou de réduire les effets préjudiciables causés par la mise en œuvre de cette annexe. Elles se borneraient, en effet, à préserver la situation antérieure dans une partie du district forestier de Białowieża, mais ne limiteraient pas les effets préjudiciables découlant des opérations prévues dans l’annexe de 2016 sur le reste du territoire de ce district, dont l’étendue est plus importante. Les « surfaces de référence » auraient, en outre, été désignées de façon arbitraire. En réalité, la désignation de telles surfaces n’ayant pas d’incidence sur le volume maximal total d’extraction de bois fixé dans l’annexe, la détermination de ces zones entraînerait une intensification de l’abattage sur le reste du territoire du district forestier de Białowieża.

83.      Par ailleurs, la Commission relève qu’il serait possible de déroger à l’exclusion de ces surfaces, dès lors que la décision n° 52 permettrait, à son paragraphe 4, sous b), de s’affranchir des limitations admises dans ces surfaces de référence, et que la décision n° 51 ordonnerait d’abattre et d’enlever les arbres secs ainsi que les arbres de toutes classes d’âge colonisés par le bostryche typographe sans tenir compte de ces surfaces.

84.      Par son deuxième grief, la Commission soutient que la République de Pologne a manqué aux obligations découlant de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » et de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux », en mettant en œuvre les opérations de gestion forestière active prévues à l’annexe de 2016 et dans la décision n° 51.

85.      Elle fait valoir que, conformément à l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive «oiseaux », pour les espèces d’oiseaux de l’annexe I de cette directive ayant donné lieu à la désignation d’une ZPS et pour les espèces migratrices non mentionnées à cette annexe, les États membres seraient tenus d’adopter des mesures de conservation spéciale concernant leur habitat naturel, afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution. Le maintien dans un état de conservation favorable des habitats du site Natura 2000 Puszcza Białowieska concernerait, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive « oiseaux », notamment, les espèces suivantes : la bondrée apivore,le pic à dos blanc, le pic tridactyle, la chouette chevêchette, la chouette de Tengmalm, le gobemouche nain et le gobemouche à collier. Le pigeon colombin se rattacherait aux espèces migratrices visées à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive.

86.      La Commission souligne que l’objectif des directives « oiseaux » et « habitats » est de permettre le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable des habitats de ces espèces et pas seulement d’en prévenir l’extinction. L’argument selon lequel l’intensification des coupes serait conforme aux dispositions relatives à la conservation des oiseaux, dès lors que le nombre minimal de couples de pics serait maintenu sur le site en cause, serait donc dénué de fondement.

87.      La Commission soutient, en outre, que la seule inscription des mesures de conservation du site Natura 2000 Puszcza Białowieska dans le PZO de 2015, sans réelle possibilité de les appliquer, ne suffit pas pour considérer qu’il a été satisfait à l’obligation d’établir les mesures de conservation nécessaires, prévue à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ». Cet « établissement » impliquerait, en effet, que ces mesures puissent être effectivement appliquées et revêtir ainsi un effet utile. Cette interprétation vaudrait aussi pour l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux ».

88.      Or, l’exécution d’opérations de gestion forestière active, telles que l’abattage, les coupes sanitaires et le reboisement, dans des habitats dont le maintien de l’état de conservation exclut formellement de telles activités, en les assimilant à des menaces, contreviendrait aux mesures de conservation prônant, en particulier, d’« exclure des opérations de gestion forestière tous les peuplements d’une espèce composés pour au moins 10 % de spécimens de 100 ans et plus », de « conserver les arbres morts » ainsi que de « maintenir tous les épicéas centenaires morts jusqu’à minéralisation complète ». À cet égard, les lieux où ces opérations sont planifiées coïncideraient avec les sites des peuplements forestiers centenaires et les habitats des coléoptères saproxyliques, essentiellement le cucujus vermillon et le Boros schneideri. En outre, la multiplication par trois de l’exploitation de la forêt d’ici 2021 et l’enlèvement des arbres qu’elle implique seraient contraires aux mesures de conservation et les empêcheraient de produire leur effet utile.Ces opérations constitueraient, par leur nature, des menaces pour les habitats naturels et les habitats d’espèces d’oiseaux et de coléoptères saproxyliques, telles que recensées à l’annexe 3 du PZO de 2015.

89.      Dès lors, lesdites opérations non seulement renforceraient ces menaces, mais en outre compliqueraient encore davantage la mise en œuvre des mesures de conservation établies dans le PZO de 2015. Elles seraient également susceptibles d’avoir une incidence préjudiciable sur l’état général de conservation de certaines espèces de coléoptères saproxyliques, notamment le phryganophile à cou roux et le bupreste splendide, en Pologne et en Europe, alors que le site Natura 2000 Puszcza Białowieska constitue l’une de leurs dernières ou l’une de leurs plus importantes aires de distribution dans l’Union.

90.      Par son troisième grief, la Commission soutient que la République de Pologne a manqué aux obligations lui incombant en application de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats », en mettant en œuvre les opérations de gestion forestière prévues dans l’annexe de 2016 et dans la décision n° 51 dès lors qu’elles ne permettraient pas d’éviter la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos de coléoptères saproxyliques figurant à l’annexe IV, sous a), de cette directive, à savoir le cucujus vermillon, le bupreste splendide, le phryganophile à cou roux et le Pytho kolwensis, et constitueraient, par voie de conséquence, une menace sérieuse pour leur survie.

91.      L’article 12 de la directive « habitats » imposerait aux États membres tant l’adoption d’un cadre législatif complet que la mise en œuvre de mesures concrètes pour enrayer le déclin des populations des espèces figurant à cette annexe. Un système de protection stricte supposerait l’adoption de mesures cohérentes et coordonnées, à caractère préventif, de nature à permettre d’éviter effectivement la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos de ces espèces (23).

92.      La Commission fait valoir que toutes les espèces de coléoptères saproxyliques couvertes par cette protection stricte auraient besoin, au cours de leur cycle de vie, d’arbres moribonds ou morts, sur pied ou au sol. Diverses études scientifiques confirmeraient que les épicéas morts forment l’habitat majeur du cucujus vermillon et sont un élément primordial de son cycle de vie. Deux ou trois ans après la mort de l’épicéa ou à une étape ultérieure de sa décomposition, l’arbre serait occupé par d’autres espèces de coléoptères saproxyliques, dont le Pytho kolwensis et le phryganophile à cou roux. Aussi, l’intensification des coupes de peuplements, notamment d’épicéas, et l’enlèvement du bois mort et des arbres moribonds colonisés par le bostryche typographe conduiraient à la mort de ces espèces strictement protégées et à la destruction de leurs sites de reproduction et de leurs aires de repos. Ces espèces séjournant dans les souches et sous l’écorce des arbres sont peu visibles, il serait impossible de choisir des mesures palliatives efficaces, comme un abattage sélectif, par exemple. La seule mesure pertinente, susceptible de prévenir la détérioration des sites de reproduction ou de repos de ces espèces serait de ne pas intervenir dans les habitats où l’on sait qu’elles se trouvent.

93.      Les interdictions figurant à l’article 12 de la directive « habitats » seraient absolues, indépendamment du nombre et de la présence de spécimens des espèces d’animaux devant faire l’objet de mesures de conservation stricte. La présence largement répandue du cucujus vermillon ne saurait donc justifier l’intensification des opérations de gestion forestière susceptibles de conduire à une violation de ces interdictions. Par ailleurs, le phryganophile à cou roux serait une espèce extraordinairement rare pour laquelle il n’existe que quatre habitats connus en Pologne, dont deux dans le district forestier de Białowieza, au point que la perte d’un seul habitat pourrait avoir une incidence préjudiciable considérable sur le maintien de son état de conservation en Europe. Quant au bupreste splendide, il ne serait présent en Pologne que sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska. Enfin, ce site serait le dernier et aussi le plus important habitat du Pytho kolwensis en Pologne, sachant que, par ailleurs, il n’est présent dans l’Union qu’en Suède et en Finlande.

94.      Par son quatrième grief, la Commission soutient que la République de Pologne a manqué aux obligations découlant de l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux » en n’établissant pas un régime général de conservation de nature à prévenir, notamment, la destruction intentionnelle des nids et la perturbation sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska du pic à dos blanc, du pic tridactyle, de la chouette chevêchette ainsi que de la chouette de Tengmalm, ces espèces figurant à l’annexe I de cette directive.

95.      La Commission fait valoir que, à l’instar de l’article 12 de la directive « habitats », l’article 5 de la directive « oiseaux » imposerait aux États membres non seulement d’établir un cadre législatif complet, mais aussi de prendre des mesures de conservation concrètes et détaillées, parmi lesquelles des mesures d’exécution efficaces. Ce régime résulterait de l’obligation d’enrayer efficacement le déclin de ces espèces d’oiseaux. Or, il serait évident que l’intensification importante de l’extraction de bois dans des habitats d’une importance capitale pour la reproduction et le repos d’espèces vivant naturellement à l’état sauvage sur le site Natura 2000 en cause augmenterait le risque de destruction de leurs nids et de perturbation intentionnelle, y compris pendant leur période de reproduction.

96.      En effet, le site Natura 2000 Puszcza Białowieska serait la zone la plus importante de présence du pic à dos blanc et du pic tridactyle en Pologne. Les arbres moribonds et morts, et notamment les épicéas centenaires, seraient les lieux d’alimentation et de reproduction les plus importants de ces deux espèces de pics. La suppression de milliers d’arbres colonisés par le bostryche typographe entraînerait une destruction intentionnelle des habitats de ces pics ainsi qu’une perturbation à grande échelle de ces espèces. À cet égard, les autorités polonaises n’auraient pas présenté de preuve démontrant que ces deux espèces de pics tirent profit de l’intensification de l’abattage des arbres dans leurs habitats, alors que, au contraire, celle-ci serait de nature à accélérer la diminution de ces espèces. De plus, il n’existerait pas de données indiquant si, après la fin de la propagation du bostryche typographe, la population de ces espèces de pics est susceptible de retrouver un niveau plus ou moins important. Il faudrait des décennies pour revenir, en plantant de jeunes épicéas, à un état d’habitat propice pour les pics tel que celui constitué par les vieux peuplements, notamment centenaires. Enfin, il conviendrait de prendre en considération que les épicéas se régénéreraient eux-mêmes dans les zones attaquées par le bostryche typographe, sans besoin d’une intervention humaine.

97.      La Commission fait également valoir que les arbres moribonds et morts seraient aussi d’importants sites de nidification de la chouette chevêchette et de la chouette de Tengmalm, qui dépendent de la présence de cavités formées par les pics. L’élimination à grande échelle des épicéas colonisés par le bostryche typographe serait un facteur de destruction majeure de leur aire de reproduction. Or, le site Natura 2000 Puszcza Białowieska serait l’une des aires de répartition les plus denses de la chouette chevêchette et de la chouette de Tengmalm. Le fait que la concentration de chouette chevêchette y est plus importante que sa concentration moyenne en Pologne ne justifierait pas que l’on procède à des opérations de gestion active susceptibles de perturber des spécimens et de détruire des nids de cette espèce.

98.      Il ressortirait aussi des informations obtenues que l’enlèvement et l’abattage ont eu lieu pendant la période de reproduction des quatre espèces de pics et de chouettes en cause. Or, l’annexe de 2016 et la décision n° 51 autoriseraient l’abattage sans limitation dans le temps. Une violation de l’interdiction de perturber ces espèces pendant la période de reproduction ne saurait donc être exclue.

2.      La République de Pologne

99.      Sur le premier grief tiré de la violation de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », la République de Pologne fait valoir, d’abord, s’agissant du statut de l’annexe de 2016, que le PGF de 2012, tout comme cette annexe, est un « plan de gestion », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ». En effet, selon la République de Pologne, le PGF serait un outil technique de mise en œuvre du PZO. Dès lors que le PZO ne se référerait pas à un volume d’extraction de bois sur le territoire des différents districts forestiers, mais indiquerait seulement les lieux de réalisation d’opérations nécessaires pour les besoins de la conservation d’espèces et d’habitats, son application ne serait pas possible en l’absence d’un PGF. La République de Pologne souligne, ensuite, que l’évaluation stratégique des incidences sur l’environnement réalisée en 2015 a démontré que la mise en œuvre des mesures de gestion forestière de l’annexe de 2016 n’aurait aucune incidence négative sur les espèces et les habitats protégés du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, ainsi que sur la cohérence et l’intégrité de ce site.

100. En l’occurrence, la nécessité d’augmenter le volume de bois exploitable mentionné dans le PGF de 2012 résulterait, notamment, de l’impossibilité de réaliser pleinement les mesures de conservation visées à l’époque dans le projet de PZO. L’annexe de 2016 permettrait ainsi d’accomplir les missions de conservation consistant à limiter la propagation du bostryche typographe. À cet égard, il devrait être souligné que le niveau d’exploitation du bois visé dans l’annexe de 2016, à savoir 188 000 m3, est nettement inférieur aux niveaux inscrits dans les PGF relatifs aux périodes 1992-2001 (308 000 m3) et 2002-2011 (302 000 m3). La Commission ne préciserait pas pour quel motif l’exploitation du bois à un niveau nettement plus élevé était admissible auparavant au regard des objectifs de conservation de ce site Natura 2000.

101. S’agissant de l’argument de la Commission selon lequel l’absence d’incidences préjudiciables de l’annexe de 2016 sur l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska n’aurait pas été évaluée, la République de Pologne indique que, conformément à l’ustawa o udostępnianiu informacji o środowisku i jego ochronie, udziale społeczeństwa w ochronie środowiska oraz o ocenach oddziaływania na środowisko (loi sur l’accès à l’information relative à l’environnement et à la protection de celui-ci, sur la participation de la société à la protection de l’environnement et sur les évaluations d’incidences sur l’environnement), du 3 octobre 2008 (24), une évaluation stratégique des incidences de cette annexe sur l’environnement s’est révélée nécessaire dès lors que le directeur régional de la protection de l’environnement de Białystok a jugé probable que la mise en œuvre de ladite annexe puisse avoir un impact potentiel sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska. Par conséquent, l’annexe de 2016 ne pouvait être autorisée qu’après s’être assuré que les opérations prévues n’auraient pas d’impact négatif sur ce site. Ainsi, à la suite de l’évaluation des incidences sur l’environnement, le premier projet d’annexe, portant sur le volume d’exploitation de bois à 317 894 m3, a été écarté en raison de l’avis négatif du directeur régional de la protection de l’environnement de Białystok. L’exploitation de bois a finalement été limitée à 129 000 m3 dans l’annexe de 2016, après une nouvelle évaluation qui aurait démontré l’absence d’incidence négative significative sur l’intégrité dudit site. Par conséquent, ainsi que la Commission l’a reconnu, il a été procédé à une évaluation. L’annexe de 2016 aurait même un impact positif significatif, au moins à moyen terme, sur une série d’éléments visés dans le PZO de 2015, dès lors que la modification du volume d’exploitation serait indispensable afin de mettre en œuvre les mesures de conservation prévues dans ce dernier. Par ailleurs, cette annexe ne prévoirait pas de tuer intentionnellement, ou de capturer ou encore de perturber les animaux. L’état actuel de conservation des sites de reproduction et des aires de repos serait préservé, conformément aux dispositions du PZO de 2015.

102. La République de Pologne soutient aussi que la Commission aurait, en réalité, présumé à tort que les mesures énumérées dans l’annexe de 2016 comportaient, en soi, un risque d’effets préjudiciables pour l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska. À cet égard, la Commission aurait omis de prendre en compte, avec l’évaluation stratégique des incidences de l’annexe de 2016, réalisée conformément à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », l’ensemble des données empiriques ainsi que les documents scientifiques et historiques relatifs à ce site Natura 2000 ainsi que l’aspect le plus important dudit site Natura 2000. Il s’agirait du constat que l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska a été façonnée pendant des siècles par la main de l’homme, par l’effet d’une exploitation durable des forêts. En particulier, l’état et le pourcentage de couverture des habitats et des espèces présentes lors de la désignation du site PLC200004 Puszcza Białowieska en tant qu’élément du réseau Natura 2000 seraient le résultat de l’exploitation antérieure de la forêt de Białowieża, à savoir de l’extraction du bois dans des peuplements forestiers plantés par le passé. En réalité, ce serait la diminution drastique, sous la pression de la Commission, de l’exploitation du bois au sein des peuplements forestiers vieillissants dans le PGF de 2012, qui aurait entraîné un dépérissement des peuplements forestiers, en particulier des épicéas. L’interruption d’une gestion durable des ressources de la forêt de Białowieża aurait favorisé la propagation du bostryche typographe. Par la suite, les habitats protégés auraient commencé à subir des modifications. Par exemple, la chênaie‑charmaie, soit l’habitat dominant, aurait commencé à se transformer en marécages ou en prairies. Les autorités polonaises auraient, dès lors, élaboré un programme de remédiation, afin de faire face à la propagation du bostryche typographe, ayant pour point de départ un inventaire global de l’état des habitats et des espèces du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, dont les résultats n’étaient pas encore disponibles à la date du dépôt du mémoire en défense de la République de Pologne. Dans ce contexte, l’adoption de l’annexe de 2016 constituerait une tentative de retour à l’ancienne méthode de gestion.

103. Dans ces conditions, ce serait l’interruption des mesures de conservation qui mettrait en péril l’intégrité de ce site Natura 2000 et la continuité des habitats qui s’y trouvent. La Commission aurait, dès lors, commis une erreur en se fondant sur le caractère primaire de la forêt de Białowieża et en affirmant que les espèces présentes dans cette forêt sont des espèces typiques des zones non perturbées par l’homme. Par exemple, une espèce telle que le damier de la succise (Euphydryas aurinia), qui était présente dans le passé en raison du pâturage régulier du bétail, ne serait plus présente depuis qu’il y a été mis un terme.

104. Le choix d’une gestion forestière active serait également retenu dans d’autres États membres. Ainsi, en République d’Autriche, aurait été mis en place un programme relatif à la limitation de la propagation du bostryche typographe dans les parcs nationaux et sur les terrains à haute valeur naturelle, dans le cadre duquel l’interdiction d’effectuer des travaux a été maintenue dans les « centres de biodiversité », en protégeant simultanément les forêts de production avoisinantes en utilisant des techniques de gestion forestière. Il serait généralement recommandé que les terrains sur lesquels les processus naturels sont protégés, comme les parcs nationaux, soient clairement divisés en une zone libre d’intervention et des zones périphériques, où seront entreprises des opérations visant à restreindre la propagation du bostryche typographe. En créant des zones de référence, la République de Pologne aurait mis en œuvre une approche identique. Par ailleurs, selon cet État membre, quand bien même des effets négatifs sur la taille des populations de pics causés par les opérations de gestion forestière existeraient, leur impact serait limité dès lors que le nombre de pics pourrait se maintenir à un niveau relativement élevé, conformément au PZO pour le site Natura 2000 Puszcza Białowieska. En outre, contrairement à ce que soutient la Commission, l’instauration de surfaces de référence ne pourrait en aucun cas être considérée comme un aveu de l’existence d’incidences négatives des opérations entreprises sur l’environnement ou comme une tentative d’atténuation des effets de telles incidences.

105. La République de Pologne fait valoir également que les opérations prévues dans l’annexe de 2016 sont conformes au PZO de 2015. En effet, conformément à ce plan, les opérations de gestion, telles que les abattages et les coupes antérieures à l’abattage, seraient exclues dans les peuplements d’une espèce composés pour au moins 10 % de spécimens de 100 ans et plus. Dans ces peuplements forestiers, seules des coupes sanitaires auraient lieu afin d’éliminer le bois d’épicéa colonisé par le bostryche typographe. Le bois sec n’y serait pas enlevé. De plus, aucune coupe sanitaire ne serait effectuée dans les réserves naturelles et dans les habitats marécageux et humides. Les aires non visées par les coupes sanitaires représenteraient 7 123 hectares, soit 58 % de la surface du district forestier de Białowieża. La République de Pologne souligne que le fait que les opérations prévues dans l’annexe de 2016 porteraient uniquement sur 5,4 % (soit 3 401 hectares) de la surface du site en cause a été pris en considération pour décider de mettre en œuvre ces opérations. Dans ces conditions, l’évaluation des incidences sur l’environnement menée en 2015, en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », aurait exclu que la menace potentielle, identifiée dans le PZO de 2015, liée à l’enlèvement des arbres morts et moribonds puisse se réaliser.

106. La République de Pologne souligne, en outre, s’agissant des coléoptères saproxyliques, qu’il ne sera pas procédé à l’enlèvement des pins morts qui constituent l’habitat du bupreste splendide. Quant aux populations de cucujus vermillon, elles se concentreraient sur le tremble et sur le frêne, selon les études menées entre les années 2016 et 2017 sur près de 12 000 arbres analysés.

107. À cet égard, la République de Pologne fait valoir que l’inventaire réalisé depuis le mois d’avril 2016 constituerait le premier projet de cette nature, dans le cadre duquel différents éléments constitutifs de la biodiversité ont été évalués de manière objective et statistiquement vérifiée, sur 1 400 aires réparties au sein d’un réseau régulier, s’étendant sur la totalité du site de la forêt de Białowieża. S’agissant du Boros schneideri, la menace la plus importante serait le déclin des pins sur la ZPS du parc national notamment. Quant au Pytho kolwensis, au phryganophile à cou roux et au rhysode sillonné, la menace la plus grave résulterait de l’interruption de l’afflux continu de bois mort de grande dimension qui serait causée par le prompt dépérissement des peuplements d’épicéas plus anciens du fait de la propagation du bostryche typographe.

108. Par ailleurs, la mise en œuvre de coupes liées à l’enlèvement d’épicéas morts aurait un impact positif sur l’habitat du scarabée pique-prune et du bupreste splendide en augmentant l’accès à la lumière dans la forêt. Quant aux autres espèces (le cucujus vermillon, le Boros schneideri et le rhysode sillonné), l’épicéa ne serait pas leur espèce d’habitat favorite. À l’heure actuelle, dans la forêt de Białowieża, on compterait en moyenne environ 64 m3 de bois mort par hectare. Eu égard à l’apparition continue de bois mort dans le paysage, cet élément garantirait pleinement la sécurité des habitats des espèces de coléoptères en cause. La République de Pologne précise que, au cours du processus d’évaluation stratégique des incidences sur l’environnement, l’impact des opérations prévues sur tous les éléments protégés au sein du site Natura 2000 Puszcza Białowieska aurait été apprécié.

109. Selon la République de Pologne, il convient également de tenir compte des surfaces de référence, qui ne viseraient nullement à compenser ou à atténuer l’incidence prétendument négative des opérations de gestion active en cause. Ces zones auraient été établies conformément au principe de coopération loyale, visé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, à des fins de comparaison par rapport aux autres zones de la forêt de Białowieża. Par ailleurs, lesdites zones de référence n’auraient en rien été délimitées au hasard. Leur localisation serait liée à l’état de conservation des habitats naturels et à l’absence de nécessité d’effectuer des missions de conservation qui résulteraient du PZO de 2015. La Commission ne saurait non plus reprocher aux autorités polonaises de ne pas avoir soumis les surfaces de référence à une évaluation des incidences sur l’environnement. En effet, à suivre un tel raisonnement, une critique identique devrait être adressée à l’interruption de l’exploitation dans toute la forêt de Białowieża demandée par la Commission.

110. À cet égard, la Commission se tromperait lorsqu’elle considère que l’inaction a un impact positif sur la biodiversité. Ainsi, il ressortirait des résultats de l’inventaire réalisé depuis le mois d’avril 2016 que, par exemple, dans la zone de protection stricte du parc national de Białowieża, l’on a constaté la présence d’une seule colonie de Boros schneideri alors que, sur le territoire des districts forestiers de Białowieża, une telle présence a été constatée 70 fois. Une situation analogue se produirait pour toute une série d’autres espèces.

111. S’agissant de la prise en compte des meilleures connaissances scientifiques disponibles, la République de Pologne relève que, selon l’interprétation qu’elle fait de cette notion, elle s’est référée aux circonstances concrètes de l’affaire, en prenant en considération toutes les prises de position et en tenant compte des contraintes propres au site concerné. Elle a également tenu compte des données résultant de l’évaluation stratégique des incidences sur l’environnement avant de mettre en œuvre les mesures de conservation. S’agissant d’un processus dynamique, des connaissances continueraient à être acquises.

112. La République de Pologne précise, à cet égard, que la forêt de Białowieża est un écosystème à ce point spécifique et unique que les résultats des études, portant sur l’interdépendance entre les différents organismes, réalisées dans d’autres écosystèmes ne pourraient pas être simplement transposés à la situation de cette forêt. En effet, si la République de Pologne admet qu’une partie des milieux scientifiques serait opposée au traitement de la propagation du bostryche typographe par l’abattage des arbres colonisés, elle rappelle qu’il existerait aussi une série de travaux scientifiques selon lesquels l’absence d’intervention contre le bostryche typographe, dans la forêt de Białowieża, entraînerait précisément une forte probabilité de voir survenir des effets graves et irréparables au préjudice des habitats naturels et des habitats des espèces animales pour la conservation desquels le site Natura 2000 Puszcza Białowieska a été désigné. Par ailleurs, elle cite une publication (25) selon laquelle « il ressort clairement des études pluriannuelles réalisées sur les aires d’étude permanentes du parc national de Białowieża que la protection stricte devrait constituer uniquement un complément et non l’élément principal de la stratégie de conservation et de maintien d’un haut niveau de biodiversité ».

113. S’agissant du deuxième grief tiré de la violation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » et de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux », la République de Pologne fait valoir que l’annexe de 2016 est conforme au PZO de 2015, lequel correspond à l’exécution de l’obligation d’établir les mesures de conservation nécessaires, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ». L’annexe de 2016 constituerait la mise en œuvre pratique de ces mesures de conservation. Elle assurerait le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels ou des espèces pour lesquels le site Natura 2000 Puszcza Białowieska a été désigné. L’absence de mise en œuvre de ces mesures entraînerait une dégradation de précieux habitats naturels protégés.

114. Ainsi, les mesures de conservation active énoncées dans le PZO de 2015 pour l’habitat « chênaies-charmaies subcontinentales » consisteraient, notamment, à adapter la composition du peuplement forestier d’une manière qui soit conforme à l’habitat naturel au sein des peuplements forestiers dominés par les trembles, les bouleaux, les pins et, plus rarement, les épicéas. Ces mesures consisteraient également à réaliser des soins sylvicoles et de conservation, visant à dévoiler et à soigner les pousses et les arbres excrus appartenant à des espèces feuillues. Ces mesures auraient été directement transposées dans le PGF de 2012. Or, l’exécution de ces mesures de conservation active serait corrélée à l’extraction d’une masse de bois.

115. Les affirmations de la Commission sur l’absence de fondement de l’argument relatif au maintien de la population de l’espèce concernée au niveau indiqué dans le formulaire standard des données de 2007 (ci-après le « FSD ») et dans le PZO de 2015 seraient contraires aux fondements du « savoir écologique » et du bon sens. En effet, si le niveau quantitatif de chaque espèce protégée sur un site Natura 2000 donné devait augmenter constamment au-delà du niveau indiqué dans le FSD, un dérèglement imprévisible du système écologique en résulterait sur le territoire concerné. La question du niveau acceptable se poserait alors.

116. Les changements quantitatifs observés au sein d’une partie des populations d’espèces protégées dans la forêt de Białowieża seraient le résultat d’un accès accru à la nourriture, lié à une perturbation de courte durée, à savoir une propagation à grande échelle du bostryche typographe. À plus long terme, la conséquence naturelle de cette situation serait un reflux brutal. La taille des populations de pics tridactyles et de pics à dos blanc se maintiendrait à un niveau relativement élevé. Il n’y aurait pas de changement quantitatif brutal aux frontières du parc national, car la propagation du bostryche typographe n’y revêtirait pas un caractère massif. Cette situation résulterait tant de la faible part que représentent les épicéas au sein de ces peuplements forestiers que de la nature différente des habitats forestiers. Il en ressortirait que, dans les habitats caractérisés par des paramètres différents, conditionnant leur propension à subir une propagation massive du bostryche typographe, l’équilibre dynamique pourrait être maintenu grâce à des mesures choisies de gestion forestière.

117. L’annexe de 2006 et la décision n° 51 ne seraient pas davantage susceptibles d’avoir une incidence préjudiciable sur l’état de conservation de certaines espèces de coléoptères saproxyliques. En effet, le danger pour les espèces telles que le phryganophile à cou roux et le bupreste splendide résulterait essentiellement de la limitation et de la suppression des effets des incendies. D’autres espèces telles que, par exemple, le cucujus vermillon et le Boros schneideri trouveraient dans la forêt de Białowieża de bonnes conditions de développement. S’agissant du Boros schneideri, la menace à long terme découlerait de l’absence de renouvellement du pin dans le parc national de Białowieża.

118. Sur le troisième grief tiré de la violation de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats », la République de Pologne fait valoir que toutes les espèces de coléoptères saproxyliques présentes sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska ont besoin, au cours de leur cycle de vie, d’arbres morts ou moribonds et qu’il est impossible de constater la présence de leurs stades larvaires sans porter atteinte à cet habitat. Pour assurer un état approprié de protection, les autorités polonaises auraient adopté un système de conservation à long terme de la continuité de l’habitat de ces espèces sous la forme d’un réseau d’îlots de plantations forestières dans les réserves et de zones de protection autour des espèces protégées, sur les habitats humides, dans la zone de référence et dans la partie permanente et naturelle d’arbres morts dans tous les peuplements de la forêt de Białowieża. L’efficacité de cette opération serait démontrée par les résultats de l’inventaire effectué en 2016 par l’Instytut Badawczy Leśnictwa (Institut d’études forestières, Pologne).

119. Il ressortirait de ces résultats que le cucujus vermillon est une espèce commune sur l’ensemble du site de la forêt de Białowieża, moins disposée à occuper l’épicéa que d’autres espèces d’arbres, et pour laquelle les arbres morts et moribonds ne constituent pas un habitat essentiel. S’agissant du Boros schneideri, ces mêmes résultats prouveraient qu’il s’agit d’une espèce préférant le pin, pour laquelle les épicéas morts ou moribonds ne sont pas un habitat essentiel, et qui se trouve, en outre, répandue sur l’ensemble de la forêt de Białowieża. La seule localisation contrôlée sur le site de la forêt de Białowieża du rhysode sillonné serait le parc national de Białowieża. Toutes les localisations du phryganophile à cou roux se trouveraient dans le site Natura 2000 Puszcza Białowieska, la zone essentielle se trouvant dans le parc national de Białowieża. Par ailleurs, les localisations dans les forêts exploitées, définies sur la base d’informations historiques, se trouveraient dans la zone de référence. En outre, la cause essentielle de la disparition du phryganophile à cou roux serait l’absence de bois brûlés. De même, la présence du Pytho kolwensis n’aurait pas été signalée en dehors de ce parc national. L’activité du bostryche typographe pourrait, en revanche, menacer la continuité des milieux occupés par cette espèce, à savoir les épicéas morts, anciens, abattus, dans les habitats humides. Enfin, quant au bupreste splendide, la cause principale de sa disparition en Europe serait l’absence de pins anciens morts à la suite d’incendies, qui constituent son habitat privilégié. En raison de l’absence de renouvellement du pin, dans ledit parc national, l’avenir de cette espèce ne pourrait être assuré que dans les forêts exploitées, dans lesquelles le pin a été renouvelé artificiellement.

120. Pour toutes ces raisons, les opérations prévues dans l’annexe de 2016 n’auraient pas d’incidence négative significative sur la population de ces espèces. Le maintien de celles-ci irait de pair avec la continuité de certains habitats découlant de perturbations, comme des incendies. À défaut, seules des interventions de protection active seraient en mesure de préserver l’habitat de ces espèces.

121. S’agissant du quatrième grief tiré de la violation de l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux », la République de Pologne fait valoir que l’évaluation stratégique des incidences sur l’environnement de l’annexe de 2016 a fait apparaître que les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage avaient été prises, comportant entre autres l’interdiction de détruire ou d’endommager intentionnellement leurs nids et leurs œufs, et d’enlever leurs nids et de les perturber intentionnellement, notamment durant la période de reproduction et de dépendance, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la directive « habitats ». Il résulterait des effectifs des quatre espèces d’oiseaux visées par la Commission, constatés sur le site de la forêt de Białowieża, dans le cadre des données figurant dans le FSD, que ni la présence ni le mode de vie d’aucune d’entre elles ne seraient menacés. Par ailleurs, les autorités polonaises se seraient engagées à maintenir au moins 60 couples de chacune de ces espèces. En outre, sur l’ensemble des sites Natura 2000 de Pologne, il est possible de constater des effectifs des deux espèces de pics plus importants que ceux figurant dans le FSD.

122. En particulier, la valeur de l’indice global d’abondance des populations d’oiseaux forestiers aurait progressé de 25 % au cours de la période 2000-2014. En effet, conformément aux principes sylvicoles et aux orientations pour la conservation des forêts en vigueur, les effets négatifs des activités commerciales sur la biodiversité seraient réduits. Ainsi, le choix de laisser des bouquets d’arbres anciens sur les espaces éclaircis, de conserver des arbres biocénotiques, d’appliquer des coupes complexes, de laisser des porte-graines sur les espaces éclaircis et d’utiliser autant que possible la régénération naturelle serait bénéfique pour les oiseaux. Ces principes seraient appliqués dans tous les districts forestiers de l’Office des forêts. Il résulterait de certaines études que les coupes sanitaires n’auraient en général aucune incidence négative sur les cavicoles et autres espèces forestières d’animaux vertébrés.

123. Selon la République de Pologne, l’incidence positive de la propagation à grande échelle du bostryche typographe sur la survie et la reproduction des pics ne pourrait être que temporaire car, à long terme, elle aboutirait à la disparition des couches de tourbières plus anciennes. Les données disponibles indiqueraient une perte de diversité et une diminution des effectifs des espèces peuplant les arbres creux dans les conditions de mortalité des arbres de 70 à 100 % dans les forêts de conifères. En revanche, dans les forêts mixtes, les effets négatifs sur la mortalité des conifères apparaîtraient à un degré moins élevé. La réduction constante de la propagation du bostryche typographe pourrait être un facteur de maintien d’une situation relativement stable s’agissant des populations de pics.

124. La République de Pologne soutient, en outre, que le phénomène d’effondrement des populations de carnivores en raison de la raréfaction de la nourriture serait un fait scientifique. Or, la Commission n’aurait pas présenté de données scientifiques remettant en cause le scénario présenté de transformation de l’environnement après la propagation du bostryche typographe. Seule serait impossible à prévoir la mesure de la transformation, c’est-à-dire celle permettant de savoir si la chute des effectifs des espèces bénéficiant de la prolifération d’une espèce précise d’insectes se limite au retour à la situation antérieure à la propagation ou bien si, eu égard à la disparition de la nourriture et à l’impossibilité pour le scolyte de coloniser d’autres arbres, l’effectif des pics à la suite de cette chute est plus faible que celui décrit dans les objectifs de conservation du site dans le plan des opérations de protection.

125. La Commission ignorerait que les processus naturels se déroulant dans les sites Natura 2000 sont des processus à long terme. Or, une limitation permanente de la propagation du bostryche typographe, c’est-à-dire une limitation de sa couverture territoriale ou le maintien d’une part élevée d’épicéas dans les peuplements, pourrait être une opération de protection active maintenant une situation relativement stable par rapport aux populations de pics, dans une perspective à long terme. Malgré des effets négatifs potentiels sur les populations de pics causés par les opérations de gestion forestière en cause, la taille de la population se maintiendrait à un niveau relativement élevé, conformément au PZO de 2015, et les éventuelles modifications des aires de répartition des espèces d’oiseaux, découlant des modèles prédictifs de changement climatique, s’échelonneraient dans le temps. Par conséquent, l’effet final des opérations temporaires mises en œuvre avec les méthodes appliquées dans la gestion forestière pourrait permettre de remédier à la diminution importante antérieure des effectifs de pics.

126. S’agissant de la chouette chevêchette, la perte de lieux de reproduction en raison de la suppression d’épicéas sur 5 % du site serait illusoire. En effet, cette espèce, nichant dans les cavités creusées par les pics, en général, le pic épeiche (Dendrocopos major), une espèce dont les effectifs sont nombreux, ne manifeste pas de préférence s’agissant de l’espèce d’arbre dans lequel elle se reproduit. De surcroît, la chouette chevêchette apparaîtrait souvent dans des environnements dégradés. Sa présence serait ainsi plus fréquente dans la partie aménagée de la forêt de Białowieża que dans la réserve hors de l’environnement forestier, ce qui permettrait d’atteindre l’objectif du PZO de 2015, quand bien même l’inventaire durant la saison 2016 aurait révélé une répartition inégale dans le district forestier de Browsk par rapport aux deux autres. De même, s’agissant de la chouette de Tengmalm, cette espèce occuperait souvent les cavités creusées par le pic noir (Dryocopus martius). L’impact éventuel découlant de la suppression des épicéas sur 5 % du site Natura 2000 Puszcza Białowieska pourrait donc être considéré comme inexistant pour les effectifs occupant la forêt de Białowieża.

127. Par ailleurs, conformément à des données finlandaises, la gestion forestière par l’éclaircissement d’espaces, à condition que la portion abattue n’excède pas 50 % de l’espace forestier dans une perspective à long terme, non seulement n’aurait pas d’incidence négative sur ces espèces, mais aboutirait, en augmentant l’accessibilité de la nourriture, à un accroissement de la reproduction. En outre, la taille des populations de ces espèces augmenterait et s’étendrait à de nouvelles zones. Les aspects positifs de la gestion forestière seraient mentionnés parmi les causes de ce phénomène. Les arbres dits « biocénotiques », dont les arbres creux, seraient laissés à leur mort biologique. Par conséquent, les lieux potentiels de nidification des chouettes chevêchette et de Tengmalm resteraient accessibles, d’autant plus que le PZO de 2015 prévoit des opérations consistant à « conserver, au cours des interventions de gestion, tous les pins et sapins comportant des cavités apparentes, sauf en cas de danger pour le public ».

IV.    Notre analyse

128. Après avoir examiné la recevabilité du présent recours en manquement, nous proposerons à la Cour d’analyser de manière conjointe les premier et deuxième griefs soulevés par la Commission, puis, également ensemble, les troisième et quatrième griefs qui en dépendent.

A.      Sur la recevabilité du recours

129. La République de Pologne a contesté, dans ses observations écrites, la recevabilité des deuxième, troisième et quatrième griefs du recours en manquement, au motif que la Commission aurait élargi l’objet du litige dans sa requête au regard de ce qui était invoqué au cours de la phase précontentieuse et, plus particulièrement, dans l’avis motivé.

130. Il est constant que la phase précontentieuse ne portait que sur la seule décision prise par les autorités polonaises lors de l’envoi de l’avis motivé, à savoir l’annexe de 2016 relative aux mesures de gestion forestière limitées au district forestier de Białowieża, alors que le recours en manquement vise l’ensemble du site Natura 2000 Puszcza Białowieska et concerne ainsi les trois districts forestiers de Białowieża, Browsk et de Hajnówka, dans lesquels les mesures de gestion forestière ont été étendues par la décision n° 51 du 17 février 2017.

131. Toutefois, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que l’objet du litige peut s’étendre à des faits à l’origine du manquement postérieurs à l’avis motivé pour autant qu’ils soient de même nature et constitutifs d’un même comportement que ceux visés dans cet avis, pour en déduire que le recours est recevable (26).

132. En l’occurrence, il résulte des pièces du dossier que les mesures prises par les autorités polonaises dans l’annexe de 2016 et dans la décision n° 51 sont de même nature, en ce qu’elles consistent à autoriser l’abattage et l’enlèvement d’arbres dans le but, notamment, de combattre la propagation du bostryche typographe sur l’ensemble du site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

133. En conséquence, quand bien même l’avis motivé du 28 avril 2017 ne vise que l’annexe de 2016, approuvée le 25 mars 2016, relative à des mesures de gestion forestière limitées au seul district forestier de Białowieża, il y a lieu d’admettre la recevabilité de la requête de la Commission qui porte également sur la décision n° 51 du 17 février 2017, dès lors qu’elle a étendu aux autres districts forestiers de Browsk et de Hajnówka la mise en œuvre de mesures de même nature et constitutives d’un même comportement (27).

B.      Sur le bien-fondé du recours

134. À titre liminaire, il y a lieu de relever que le débat ne peut porter sur le caractère primaire ou naturel des forêts du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, dès lors qu’il est constant que ce site a été classé, sur proposition de la République de Pologne, comme SIC, en application de la directive « habitats » (28), par la décision 2008/25, prise par la Commission le 13 novembre 2007, et constitue également une ZPS des oiseaux désignée conformément à la directive « oiseaux ». De plus, les données quantitatives officielles, qui servent de référence dans le débat concernant les habitats et les espèces existant dans ces zones, ont été fournies par la République de Pologne dans le FSD. Ainsi, les directives « habitats » et « oiseaux » sont applicables au litige, quelle que soit la qualification des forêts du site Natura 2000 Puszcza Białowieska et encadrent obligatoirement la gestion forestière de celui-ci.

135. Le présent recours donne à nouveau l’occasion à la Cour de préciser les obligations qui découlent de ces directives et, plus particulièrement, selon que les plans ou projets relèvent de l’article 6, paragraphe 1, ou de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».

1.      Sur les premier et deuxième griefs

136. Par ses premier et deuxième griefs, la Commission fait valoir que la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la directive « habitats » ainsi que de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux ».

137. Pour apprécier le bien-fondé de ces deux griefs, la Cour devra se prononcer sur la question de savoir si les opérations de gestion forestière en cause relèvent de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » ou de l’article 6, paragraphe 3, de cette directive, et si, en adoptant et en mettant en œuvre les mesures de gestion forestière contenues dans les décisions litigieuses, la défenderesse a effectivement établi les mesures de conservation prescrites par l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » et par l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux ».

138. En effet, la République de Pologne a, d’abord, fait valoir que les mesures contenues dans l’annexe de 2016 et dans la décision n° 51 constituent des mesures de conservation, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », avant d’envisager également, semble-t-il à titre subsidiaire, que ces mesures puissent relever du paragraphe 3 de cet article.

139. Or, le choix d’une qualification des décisions litigieuses exclut l’autre. En effet, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » prévoit que les États membres établissent des mesures de conservation nécessaires aux zones spéciales de conservation, le paragraphe 3 de cette disposition fixe des conditions relatives aux plans ou projets non directement liés ou nécessaires à la gestion des sites protégés, mais susceptibles d’affecter ces sites de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets. En outre, la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur le champ d’application respectif de ces dispositions.

140. Il convient donc de rappeler au préalable que, selon l’article 1er, sous e), de la directive « habitats », l’état de conservation d’un habitat naturel est considéré comme favorable lorsque, notamment, son aire de répartition naturelle ainsi que les superficies qu’il couvre au sein de cette aire sont stables ou en extension et que la structure et les fonctions spécifiques nécessaires à son maintien à long terme existent et sont susceptibles de perdurer dans un avenir prévisible. Ainsi, dans ce contexte, la Cour a jugé que les dispositions de la directive « habitats » visent à ce que les États membres prennent des mesures de protection appropriées afin de maintenir les caractéristiques écologiques des sites qui abritent ce type d’habitats naturels (29). S’agissant, plus particulièrement, de l’article 6 de cette directive, la Cour a retenu, en l’absence de prescriptions détaillées contenues dans cette disposition, que celle-ci impose aux États membres une série d’obligations et de procédures spécifiques visant à assurer le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable des habitats naturels et, en particulier, des zones spéciales de conservation (30).

141. La Cour a également précisé que les dispositions de l’article 6 de ladite directive devaient être interprétées comme un ensemble cohérent au regard des objectifs de conservation ainsi énoncés, les paragraphes 2 et 3 de cet article visant à assurer un même niveau de protection des habitats naturels et des habitats d’espèces, tandis que le paragraphe 4 dudit article ne constitue qu’une disposition dérogatoire de son paragraphe 3 (31).

142. C’est donc à la lumière de ces principes qu’il convient de qualifier les mesures prévues dans l’annexe de 2016 et dans la décision n° 51, qui consistent, notamment, à abattre et à enlever des arbres morts ou moribonds.

143. À cet égard, il doit être rappelé, premièrement, qu’il est constant que les districts forestiers concernés par lesdites mesures sont des zones spéciales de conservation et des SIC, désignés par la République de Pologne, où doivent être appliquées les mesures nécessaires au maintien ou au rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et/ou des populations des espèces pour lesquels le site a été désigné, au sens de la directive « habitats » (32).

144. Deuxièmement, il est tout aussi constant que les mesures en cause ont entraîné la perte d’une part de peuplements forestiers (33). Il s’ensuit que de telles mesures, par leur nature même, ne sauraient constituer des mesures assurant la conservation du site Natura 2000 concerné. Toutefois, la République de Pologne fait valoir des circonstances particulières, à savoir une propagation du bostryche typographe sans précédent, de nature à porter atteinte à l’intégrité de ce site Natura 2000, pour justifier les décisions prises à partir de l’année 2016.

145. Or, il résulte des termes du litige qu’une controverse scientifique persiste sur la question de savoir si les mesures ainsi entreprises, d’une part, auront un effet sur la propagation du bostryche typographe et, d’autre part, constitueraient un mode de conservation approprié des habitats protégés. À cet égard, il peut être relevé que le programme de remédiation du 25 mars 2016, intitulé « programme relatif à la forêt de Białowieża en tant qu’héritage culturel et naturel de l’U[nesco] et en tant que site relevant du réseau Natura 2000 », fait explicitement état des divergences d’opinions sur ce point.

146. De surcroît, si les autorités polonaises ont adopté un PZO en 2015, visant à prescrire les mesures nécessaires à la conservation du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient la République de Pologne, l’annexe de 2016 ne peut constituer la mise en œuvre concrète du PZO dès lors qu’elle prévoit des mesures qui sont considérées par ce PZO comme des dangers potentiels pour la conservation des habitats et des espèces protégés. En effet, il ressort des observations de la Commission, qui n’est pas démentie par la République de Pologne sur ce point, que, si la propagation du bostryche typographe n’a pas été identifiée comme un danger existant ou potentiel pour le maintien d’un état de conservation favorable des habitats naturels et des habitats d’espèces d’animaux et d’oiseaux mentionnés à l’annexe 3 du PZO, en revanche, l’enlèvement des épicéas colonisés par le bostryche typographe est explicitement considéré, à cette annexe, comme un danger potentiel pour le maintien d’un état de conservation favorable des habitats et notamment pour la protection de la chouette chevêchette, de la chouette de Tengmalm et du pic tridactyle.

147. Ainsi, les mesures découlant de l’annexe de 2016 et de la décision n° 51 ne sauraient être analysées comme procédant à la mise en œuvre du PZO de 2015. Paradoxalement, elles ont même pour conséquences potentielles de priver ce dernier d’effet utile, voire de permettre aux autorités polonaises d’en méconnaître les prescriptions (34).

148. Il s’ensuit que de telles mesures ne peuvent en aucun cas être considérées comme des mesures de conservation, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ». Il en résulte que la République de Pologne n’a pas mis en œuvre les mesures nécessaires à la conservation du site Natura 2000 Puszcza Białowieska à la suite de l’adoption du PZO de 2015. Dans ces conditions, il y a lieu de proposer à la Cour de constater que la République de Pologne a manqué aux obligations lui incombant tant en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » que de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux » et, par conséquent, de juger que le deuxième grief, soulevé par la Commission, est fondé.

149. S’agissant du premier grief soulevé par la Commission, celui-ci devra toutefois être examiné par la Cour dès lors que la République de Pologne a aussi soutenu que les mesures de gestion forestière envisagées dans l’annexe de 2016 représentaient des plans ou des projets, au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », pour l’adoption desquels elle avait procédé à une évaluation des incidences de ces mesures sur l’environnement en 2015.

150. Afin de déterminer si les mesures figurant dans l’annexe de 2016 et dans la décision n° 51 ont été adoptées et mises en œuvre conformément aux exigences énoncées à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », il paraît opportun de rappeler, premièrement, que cette disposition prévoit une procédure d’évaluation visant à garantir, à l’aide d’un contrôle préalable, qu’un plan ou un projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site concerné, mais susceptible d’affecter ce dernier de manière significative, ne soit autorisé que pour autant qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité de ce site (35).

151. Deuxièmement, ainsi que la Cour l’a souligné, ladite disposition organise deux phases. La première exige que les États membres effectuent une évaluation appropriée des incidences d’un plan ou d’un projet sur un site protégé lorsqu’il existe une probabilité que ce plan ou ce projet affecte de manière significative le site concerné (36). En particulier, lorsqu’un plan ou un projet non directement lié ou nécessaire à la gestion d’un site risque de compromettre les objectifs de conservation de celui-ci, il doit être considéré comme susceptible d’affecter ce site de manière significative. L’appréciation de ce risque doit être effectuée notamment au regard des caractéristiques et des conditions environnementales spécifiques dudit site (37).

152. La seconde phase, visée à l’article 6, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive « habitats », qui intervient à la suite de l’évaluation appropriée décrite au point précédent des présentes conclusions, limite l’autorisation du plan ou du projet envisagé à la condition que celui-ci ne porte pas atteinte à l’intégrité du site concerné, sous réserve des dispositions du paragraphe 4 de cet article (38).

153. La Cour a ainsi jugé que le fait de ne pas porter atteinte à l’intégrité d’un site en tant qu’habitat naturel, au sens de l’article 6, paragraphe 3, seconde phrase, de cette directive suppose de le préserver dans un état de conservation favorable, ce qui implique le maintien durable des caractéristiques constitutives du site concerné, liées à la présence d’un type d’habitat naturel dont l’objectif de préservation a justifié sa désignation dans la liste des SIC, au sens de cette directive (39).

154. Il importe de rappeler, en outre, que la Cour a jugé que l’évaluation effectuée au titre de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » ne saurait comporter de lacunes et doit contenir des constatations et des conclusions complètes, précises et définitives, de nature à dissiper tout doute scientifique raisonnable quant aux effets des travaux qui sont envisagés sur le site protégé concerné (40). Il a également été jugé que cette évaluation appropriée des incidences d’un plan ou d’un projet sur le site concerné implique que doivent être identifiés, compte tenu des meilleures connaissances scientifiques en la matière, tous les aspects du plan ou du projet en cause pouvant, par eux-mêmes ou en combinaison avec d’autres plans ou projets, affecter les objectifs de conservation de ce site (41).

155. La Cour a aussi relevé que, en règle générale, les éventuels effets positifs du développement futur d’un nouvel habitat, qui vise à compenser la perte de surface et de qualité de ce même type d’habitat sur un site protégé, ne sont que difficilement prévisibles et, en tout état de cause, ne seront visibles que dans quelques années (42).

156. Dès lors, il y a lieu d’examiner, à la lumière de cette jurisprudence, si les faits justifiant le recours sont suffisamment étayés. Selon nous, il résulte du simple examen de la chronologie des décisions litigieuses et de la cohérence des pièces justificatives produites qu’il n’a pas pu être procédé à l’évaluation requise par l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».

157. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, peu avant l’adoption de l’annexe de 2016 modifiant le PGF de 2012, les autorités polonaises avaient adopté le PZO de 2015, duquel il ressort que l’abattage et l’enlèvement d’arbres colonisés par le bostryche typographe représentaient un danger potentiel au regard de la conservation du site Natura 2000 concerné.

158. S’il ressort des débats lors de l’audience qu’un certain équilibre doit être trouvé entre les mesures de gestion active et les mesures de gestion passive visant à lutter contre la propagation du bostryche typographe afin de remplir les objectifs de conservation visés dans les directives « habitats » et « oiseaux », cette mise en balance ne se retrouve nullement dans les prescriptions de la décision n° 51, en ce qu’elle permet de mettre en œuvre des mesures d’abattage et d’enlèvement de peuplements forestiers sans restriction.

159. De surcroît, il résulte des éléments communiqués par la République de Pologne que, le jour même de l’adoption de l’annexe de 2016, les autorités polonaises ont également adopté un programme de remédiation, intitulé « programme relatif à la forêt de Białowieża en tant qu’héritage culturel et naturel de l’U[nesco] et en tant que site relevant du réseau Natura 2000 », qui avait essentiellement pour objet, ainsi qu’il a été confirmé lors de l’audience, d’évaluer, pour l’avenir, les incidences des mesures prises sur la conservation du site, en mettant notamment en place des zones de référence au sein desquelles aucune mesure de gestion forestière ne devrait être mise en œuvre.

160. En deuxième lieu, si la République de Pologne a fait valoir, dans ses observations écrites, ainsi que lors de l’audience, que la propagation du bostryche typographe entre les années 2012 et 2015 est due à la diminution des volumes d’exploitation décidée lors de l’adoption du PGF de 2012, il résulte toutefois des éléments du dossier que les volumes d’exploitation constatés entre les années 2012 et 2015 ont été identiques à ceux des années précédentes et que le cubage de bois extrait du district de Białowieża est, en réalité, resté stable durant cette période. Ainsi, il ne peut être valablement soutenu que la propagation du bostryche typographe serait due à la réduction des volumes de bois exploités entre les années 2012 et 2015.

161. En troisième lieu, si les autorités polonaises font valoir qu’elles ont effectué une évaluation appropriée des incidences de l’annexe de 2016 sur l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, conformément aux dispositions de l’article 6, paragraphe 3 de la directive « habitats », il ressort des pièces du dossier que cette évaluation a effectivement eu lieu durant l’année 2015, mais qu’elle n’a porté que sur les mesures envisagées dans l’annexe de 2016, concernant uniquement le district forestier de Białowieża et non, par conséquent, sur celles contenues dans la décision n° 51 prise le 17 février 2017 aux fins d’étendre, géographiquement et quantitativement, les mesures d’abattage et d’enlèvement des arbres dans l’ensemble des trois districts forestiers de la forêt de Białowieża. Il convient, dès lors, de constater que les incidences des mesures de gestion forestière, adoptées dans la décision n° 51, sur la conservation et l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska dans son ensemble n’ont fait l’objet d’aucune évaluation. De même, il ne ressort aucunement des pièces du dossier que les éventuels effets cumulatifs de l’annexe de 2016 et de la décision n° 51 aient été envisagés et évalués par les autorités polonaises (43).

162. En outre, il ressort des termes mêmes de cette évaluation des incidences de l’annexe de 2016 sur l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska qu’elle a été menée sur la base de données datant de 2012 et non sur la base de données actualisées et à jour en 2015, comme le requièrent pourtant les dispositions de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », telles qu’interprétées par la Cour (44). En effet, il est précisé au point 4.2 de ce document que « [l]es dispositions relatives aux incidences sur le site Natura 2000 figurant dans l’“évaluation des incidences sur l’environnement” pour les années 2012-2021 ne doivent pas, en principe, être actualisées. Cependant il y a lieu de relever que les opérations concerneront principalement les peuplements forestiers dégradés ».

163. Enfin, il résulte des observations écrites de la République de Pologne qu’un inventaire de la biodiversité présente sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska était encore en cours au moment où la dernière décision litigieuse a été prise et de la phase précontentieuse.

164. Au vu de l’ensemble de ces éléments, il ne peut être considéré que les autorités polonaises se sont assurées, ne serait-ce qu’au jour de l’approbation de l’annexe de 2016, que les mesures qu’elle contenait n’auraient pas d’incidences sur l’intégrité de ce site Natura 2000, ce qui suffit à considérer que le premier grief est bien fondé.

165. Toutefois, nous préciserons ce qui justifie, au surplus, selon nous, d’écarter également les autres arguments soutenus par la République de Pologne. En effet, il convient de rappeler, premièrement, que, selon la jurisprudence de la Cour, les évaluations des incidences des plans ou des projets sur l’intégrité des sites concernés doivent se faire au regard des meilleures connaissances scientifiques disponibles lors de la prise de décision (45). Or, il résulte des pièces du dossier ainsi que des débats tenus lors de l’audience que persistait à la date de l’adoption des décisions litigieuses une controverse scientifique sur les méthodes les plus appropriées pour enrayer la propagation du bostryche typographe. Il y a lieu de noter, en outre, que cette divergence des avis scientifiques portait même sur l’opportunité de lutter contre la propagation du bostryche typographe (46), et que, selon certains d’entre eux, il s’agirait d’un cycle naturel correspondant à des tendances périodiques propres aux caractéristiques du site dont l’objectif de préservation a justifié sa désignation dans la liste des SIC et comme ZPS.

166. Pour ces motifs, il ne peut, non plus, être valablement soutenu que l’évaluation des incidences sur l’environnement menée avant l’adoption des mesures litigieuses répondait aux exigences tirées de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », telles qu’interprétées par la Cour.

167. Deuxièmement, la Cour a retenu que l’article 6, paragraphe 3, de cette directive intègre également le principe de précaution et permet de prévenir de manière efficace les atteintes à l’intégrité des sites protégés dues aux plans ou aux projets envisagés par les autorités compétentes pour autoriser la réalisation des mesures qu’ils contiennent. À cet égard, la Cour a jugé qu’un critère d’autorisation moins strict que celui énoncé dans cette disposition ne saurait garantir de manière aussi efficace la réalisation de l’objectif de protection des sites à laquelle tend ladite disposition (47). L’application de ce principe dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 6, paragraphe 3, de ladite directive exige de l’autorité compétente qu’elle évalue les incidences du projet sur le site concerné, eu égard aux objectifs de conservation et en tenant compte des mesures de protection intégrées à ce projet, visant à éviter ou à réduire les éventuels effets préjudiciables directement causés par ce dernier, afin de s’assurer qu’il ne porte pas atteinte à l’intégrité de ce site (48).

168. En l’occurrence, cette évaluation ne pouvait être finalisée compte tenu de la controverse scientifique persistant, des mesures d’inventaire encore en cours au jour de la prise des décisions, ainsi que de l’objet de la décision n° 52, consistant à établir des surfaces de référence avec l’objectif, selon les observations orales de la République de Pologne lors de l’audience, d’évaluer l’évolution des caractéristiques du site Natura 2000 Puszcza Białowieska en dehors même de toute intervention humaine.

169. Dès lors que, au moment de l’adoption des décisions litigieuses, la réalité et la gravité des risques potentiels d’atteinte à la conservation et à l’intégrité de ce site Natura 2000 n’étaient pas totalement identifiées, évaluées et, le cas échéant, écartées, les autorités polonaises ne pouvaient adopter ni l’annexe de 2016 ni la décision n° 51, sans méconnaître, également, le principe de précaution.

170. Troisièmement, s’agissant de l’article 6, paragraphe 4, de la directive « habitats », invoqué par la République de Pologne au titre des enjeux de sécurité publique qui auraient nécessité d’adopter les décisions litigieuses, il y a lieu de rappeler que, en tant que dérogation, cette disposition doit être interprétée strictement et ne saurait s’appliquer qu’après que les incidences d’un plan ou d’un projet ont été analysées conformément aux dispositions du paragraphe 3, de cet article (49).

171. En effet, pour déterminer la nature d’éventuelles mesures compensatoires à prendre, les atteintes au site concerné doivent être identifiées avec précision. La connaissance des incidences d’un plan ou d’un projet, au regard des objectifs de conservation relatifs au site en question, constitue un préalable indispensable à l’application de l’article 6, paragraphe 4, de la directive « habitats », car, en l’absence de ces éléments, aucune condition d’application de cette disposition dérogatoire ne saurait être appréciée. L’examen d’éventuelles raisons impératives d’intérêt public majeur et celui de l’existence d’alternatives moins préjudiciables requièrent une mise en balance par rapport aux atteintes portées à ce site par le plan ou le projet considéré (50).

172. Ainsi, conformément à l’article 6, paragraphe 4, de la directive « habitats », dans l’hypothèse où, en dépit de conclusions négatives de l’évaluation effectuée conformément à l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de cette directive, un plan ou un projet doit néanmoins être réalisé, pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et lorsqu’il n’existe pas de solutions alternatives, l’État membre concerné prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Natura 2000 soit protégée. Dès lors, les autorités compétentes ne peuvent, dans ce contexte, octroyer une autorisation au titre de l’article 6, paragraphe 4, de ladite directive que pour autant que sont satisfaites les conditions qui y sont fixées (51).

173. En l’occurrence, il résulte tant des constatations précédentes sur le défaut de respect de la phase préalable d’évaluation, fondé sur les dispositions de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », que de l’absence d’autres pièces particulières du dossier, que les autorités polonaises n’ont pas évalué le recours à des mesures alternatives ou compensatoires (52) aux mesures de gestion forestière adoptées et mises en œuvre sur la base de l’annexe de 2016 ainsi que de la décision n° 51. Par conséquent, il peut aussi être constaté que, si les autorités polonaises ont invoqué des raisons de sécurité publique dans le but de justifier l’adoption et la mise en œuvre des mesures litigieuses, dont les incidences négatives sont dès lors implicitement admises, les prescriptions dérogatoires de l’article 6, paragraphe 4, de la directive « habitats » n’ont pas été respectées.

174. Pour l’ensemble des motifs exposés précédemment, il y a lieu de proposer à la Cour de considérer que le premier grief soulevé par la Commission est bien fondé, tout comme le deuxième, dès lors que, en ne respectant pas les prescriptions de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », et en mettant en œuvre les mesures ainsi décidées, qui ne peuvent constituer un plan de conservation au sens de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, les autorités polonaises ont manqué aux obligations qui découlent de ces dispositions ainsi que de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux ».

2.      Sur les troisième et quatrième griefs

175. Par ses troisième et quatrième griefs, la Commission fait valoir que la République de Pologne a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu, respectivement, de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats » et de l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux », ce qui amènera la Cour à s’interroger sur la question de savoir si les opérations de gestion forestière litigieuses sont susceptibles de détériorer ou de détruire les sites de reproduction des espèces de coléoptères saproxyliques et d’oiseaux sauvages protégées spécifiquement par ces directives.

176. Les constatations et les considérations qui précèdent concernant les premier et deuxième griefs nous conduisent à conclure que les opérations de gestion forestière en cause sont nécessairement susceptibles d’aboutir à une détérioration des sites de reproduction des espèces protégées vivant sur le site Natura 2000 Puszcza Białowieska.

177. Par suite, il est proposé à la Cour de considérer comme bien fondés les troisième et quatrième griefs soulevés par la Commission.

178. Par conséquent, il résulte de tout ce qui précède que nous proposons à la Cour de constater que, en adoptant et en mettant en œuvre les mesures de gestion forestière contenues dans l’annexe de 2016 et dans la décision n° 51 sans s’assurer que ces mesures ne porteraient pas atteinte à l’intégrité du site Natura 2000 Puszcza Białowieska, et en omettant d’assurer la conservation ainsi que la protection des habitats et des espèces protégés, visés dans la requête de la Commission, pour lesquels ce site a été désigné comme site d’intérêt communautaire et ZPS, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphes 1 et 3, et de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive « habitats », ainsi que de l’article 4, paragraphes 1 et 2, et de l’article 5, sous b) et d), de la directive « oiseaux ».

V.      Sur les dépens

179. En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour de justice, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Pologne et celle-ci ayant succombé, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens.

VI.    Conclusion

180. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de statuer comme suit :

1)      En adoptant et en mettant en œuvre les mesures de gestion forestière contenues dans l’annexe au plan de gestion forestière du district forestier de Białowieża du 9 octobre 2012, approuvée, le 25 mars 2016, par le Minister Środowiska (ministre de l’Environnement, Pologne), et la décision n° 51 du Dyrektor GeneralnyLasów Państwowych (directeur général de l’Office des forêts, Pologne), du 17 février 2017, relative à l’abattage des arbres colonisés par le bostryche typographe et à la récolte des arbres constituant une menace pour la sécurité publique et posant un risque d’incendie, dans toutes les classes d’âge des peuplements forestiers des districts forestiers de Białowieża, de Browsk et de Hajnówka, sans s’assurer que ces mesures ne porteraient pas atteinte à l’intégrité du site Natura 2000 PLC200004 Puszcza Białowieska (Pologne), et en omettant d’assurer la conservation ainsi que la protection des habitats et des espèces protégés, visés dans la requête de la Commission, pour lesquels ce site a été désigné comme site d’intérêt communautaire et zone de protection spéciale, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphes 1 et 3, et de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, ainsi que de l’article 4, paragraphes 1 et 2, et de l’article 5, sous b) et d), de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages.

2)      La République de Pologne est condamnée aux dépens.


1      Langue originale : le français.


2      Directive du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7), telle que modifiée, en dernier lieu, par la directive 2013/17/UE du Conseil du 13 mai 2013 (JO 2013, L 158, p. 193) (ci-après la « directive “habitats” »).


3      Directive du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 2010, L 20, p. 7), telle que modifiée par la directive 2013/17 (ci-après la « directive “oiseaux” »).


4      Traduction en langue française non disponible.


5      Directive du Conseil du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 1979, L 103, p. 1).


6      Traduction en langue française non disponible.


7      JO 2008, L 12, p. 383.


8      State of Europe’s forests 2015, Forest Europe, 2015, annexe 8, tableau n° 28, p. 274.


9      Ci-après l’« Office des forêts ».


10      Comme cela ressort de l’annexe 1 à la décision du Dyrektor GeneralnyLasów Państwowych (directeur général de l’Office des forêts, Pologne), du 31 mars 2016 (ci-après la « décision n° 52 »).


11      Dossier EU Pilot n° 2210/11/ENVI.


12      Les limites ont été fixées pour le district forestier de Browsk à 214 218 m3 et pour le district forestier de Hajnówka à 192 291 m3.


13      Ci-après un « PZO ».


14      Le parc national de Białowieża fait l’objet d’un PZO distinct, adopté le 7 novembre 2014 par le ministre de l’Environnement.


15      La procédure précontentieuse commence à partir du 7 avril 2016, voir points 54 et suiv. des présentes conclusions. Selon la Commission, cette décision n’a été publiée qu’au mois de juin 2017 au Biuletyn Informacyjny Lasów Państwowych (Bulletin de l’Office des forêts) n° 6 (294).


16      Ci-après la « décision n° 51 ».


17      Dossier EU Pilot n° 8460/16/ENVI.


18      Ordonnance du vice-président de la Cour du 27 juillet 2017, Commission / PologneCommission / PologneCommission / PologneCommission / PologneCommission / Pologne (C‑441/17 R, non publiée, EU:C:2017:622).


19      Ordonnance du 20 novembre 2017, Commission / PologneCommission / PologneCommission / PologneCommission / Pologne (C‑441/17 R, EU:C:2017:877).


20      Au point 118, la Cour a énoncé que, « [s]i la violation devait être constatée, [elle] [ordonnerait] à la République de Pologne de payer à la Commission une astreinte d’au moins 100 000 euros par jour, et cela à partir du jour de la notification de [cette] ordonnance à la République de Pologne et jusqu’à ce que cet État membre respecte celle-ci ou jusqu’au prononcé de l’arrêt qui mettra fin à l’affaire ».


21      Ordonnance du président de la Cour du 11 octobre 2017, Commission / PologneCommission / PologneCommission / PologneCommission / PologneCommission / Pologne (C‑441/17, non publiée, EU:C:2017:794).


22      Arrêt du 26 avril 2017, Commission/Allemagne (C‑142/16, EU:C:2017:301, point 42).


23      Arrêt du 9 juin 2011, Commission/France (C‑383/09, EU:C:2011:369, points 18 à 21).


24      Dz. U. de 2008, n° 199, position 1227.


25      B. Brzeziecki, « Dynamique pluriannuelle des peuplements forestiers de la forêt de Białowieża (dans des conditions de protection stricte) », Stan Ekosystemów leśnysh Puszczy Białowieskiej, Centrum Informacyjne Lasów Państwowych, Varsovie, 2016, p. 45 à 58.


26      Arrêts du 4 février 1988, Commission/Italie (113/86, EU:C:1988:59, point 11), et du 9 novembre 2006, Commission/Royaume-Uni (C‑236/05, EU:C:2006:707, point 12).


27      Voir, par analogie, arrêt du 5 avril 2017, Commission/Bulgarie (C‑488/15, EU:C:2017:267, point 46).


28      Voir, en particulier, considérants 1, 8 et 9 ainsi que annexe de cette décision (p. 645), attribuant à ce site le code SIC PLC200004 Puszcza Białowieska.


29      Arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a. (C‑258/11, EU:C:2013:220, points 37 et 38), et du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, points 35 et 36).


30      Arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a. (C‑258/11, EU:C:2013:220, point 36), et du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 31).


31      Arrêt du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 32 ainsi que jurisprudence citée).


32      Voir définitions figurant à l’article 1er, sous k) et l), de cette directive.


33      Voir point 52 des présentes conclusions.


34      Il peut même être relevé qu’admettre la conformité des mesures découlant de l’annexe de 2016 et de la décision n° 51 avec le PZO de 2015 reviendrait à accepter que les autorités polonaises puissent modifier ce PZO sans tenir compte des objectifs de conservation qu’un tel acte doit normalement satisfaire.


35      Arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a. (C‑258/11, EU:C:2013:220, point 28), et du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 43).


36      Arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a. (C‑258/11, EU:C:2013:220, point 29), et du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 44).


37      Arrêts du 15 mai 2014, Briels e.a. (C‑521/12, EU:C:2014:330, point 20), et du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 45).


38      Arrêt du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 46).


39      Arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a. (C‑258/11, EU:C:2013:220, point 39), et du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 47).


40      Arrêts du 24 novembre 2011, Commission/Espagne (C‑404/09, EU:C:2011:768, point 100), du 11 avril 2013, Sweetman e.a. (C‑258/11, EU:C:2013:220, point 44), ainsi que du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 50 et jurisprudence citée).


41      Arrêt du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 51 et jurisprudence citée).


42      Arrêt du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 52 et jurisprudence citée).


43      Voir, à titre d’illustration de cette exigence, arrêt du 26 avril 2017, Commission/Allemagne (C‑142/16, EU:C:2017:301, points 61 et 62).


44      Voir arrêt du 26 avril 2017, Commission/Allemagne (C‑142/16, EU:C:2017:301, point 42).


45      Arrêt du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 51 et jurisprudence citée).


46      Voir en ce sens, notamment, programme de remédiation, intitulé « programme relatif à la forêt de Białowieża en tant qu’héritage culturel et naturel de l’U[nesco] et en tant que site relevant du réseau Natura 2000 », établi par le ministre de l’Environnement et le directeur général de l’Office des forêts, le 25 mars 2016.


47      Arrêts du 11 avril 2013, Sweetman e.a. (C‑258/11, EU:C:2013:220, points 41 à 43 et jurisprudence citée), ainsi que du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 53 et jurisprudence citée).


48      Arrêts du 15 mai 2014, Briels e.a. (C‑521/12, EU:C:2014:330, point 28), du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 54), et du 26 avril 2017, Commission/Allemagne (C‑142/16, EU:C:2017:301, point 34).


49      Arrêts du 15 mai 2014, Briels e.a. (C‑521/12, EU:C:2014:330, point 35), ainsi que du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 60 et jurisprudence citée).


50      Arrêts du 11 septembre 2012, Nomarchiaki Aftodioikisi Aitoloakarnanias e.a. (C‑43/10, EU:C:2012:560, points 114 et 115), ainsi que du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 61 et jurisprudence citée).


51      Arrêts du 15 mai 2014, Briels e.a. (C‑521/12, EU:C:2014:330, point 37), et du 21 juillet 2016, Orleans e.a. (C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 63).


52      Autres que la pose de pièges à phéromones dont l’inefficacité a été relevée.