CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 5 mars 2020 (1)

Affaires jointes C698/18 et C699/18

SC Raiffeisen Bank SA

contre

JB (C698/18)

et

BRD Groupe Société Générale SA

contre

KC (C699/18)

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunalul Specializat Mureş (tribunal spécialisé de Mureș, Roumanie)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 93/13/CEE – Constatation du caractère abusif des clauses contractuelles – Contrat de crédit portant sur un prêt personnel – Modalités judiciaires – Action judiciaire de droit commun imprescriptible – Action judiciaire de droit commun personnelle, patrimoniale et prescriptible – Moment objectif de la connaissance par le consommateur de l’existence d’une clause abusive »






1.        Les présentes demandes de renvoi préjudiciel portent sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE (2) dans le contexte spécifique de contrats de crédit intégralement exécutés. Plus précisément, ces demandes permettront à la Cour de déterminer clairement si cette directive continue de s’appliquer après l’exécution intégrale d’un contrat et, le cas échéant, si une action en restitution des montants perçus en vertu des clauses contractuelles considérées comme abusives peut être soumise à un délai de prescription de trois ans qui commence à courir à partir du moment où le contrat a pris fin. Il s’agit ainsi, en substance, de déterminer l’étendue temporelle de la protection que ladite directive confère aux consommateurs.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

2.        Selon l’article 2, sous b), de la directive 93/13, on entend par « consommateur » toute personne physique qui, dans les contrats relevant de cette directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle.

3.        Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

B.      Le droit roumain

4.        L’article 1er, paragraphe 3, de la Legea nr. 193/2000 privind clauzele abuzive din contractele încheiate între profesioniști și consumatori (loi no 193/2000 sur les clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs), du 6 novembre 2000 (Monitorul Oficial al României, no 560 du 10 novembre 2000), republiée en 2012 (Monitorul Oficial al României, no 543 du 3 août 2012), telle que modifiée en dernier lieu en 2014 (ci‑après la « loi no 193/2000 »), interdit aux professionnels d’insérer des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. Par ailleurs, l’article 6 de cette loi prévoit que les clauses abusives ne produiront pas d’effets à l’égard du consommateur.

5.        L’article 12, paragraphes 1 et 4, de ladite loi dispose :

« 1.      En cas de constatation de l’utilisation de contrats d’adhésion contenant des clauses abusives, les organes de contrôle visés à l’article 8 saisissent le tribunal du domicile ou, selon le cas, du siège du professionnel, et demandent qu’il soit tenu de modifier les contrats en cours d’exécution en éliminant les clauses abusives.

[...]

4.      Les dispositions des paragraphes 1 à 3 ne portent pas atteinte au droit du consommateur à qui un contrat d’adhésion contenant une clause abusive est opposé d’invoquer la nullité de la clause par voie d’action ou par voie d’exception, dans les conditions prévues par la loi. »

6.        L’article 993 du Codul civil (code civil) de 1864, applicable à la date de conclusion des contrats dans les affaires au principal, prévoit, notamment, que celui qui, par erreur, se croyant débiteur, paie une dette a droit à répétition contre le créancier.

7.        Aux termes de l’article 1er du Decretul nr. 167/1958 privitor la prescripția extinctivă (décret no 167 concernant la prescription extinctive), du 10 avril 1958 (Monitorul Oficial al României, no 19 du 21 avril 1958), republié :

« Le droit d’action, ayant un objet patrimonial, s’éteint par prescription s’il n’a pas été exercé dans le délai imparti par la loi.

L’extinction du droit d’action concernant un droit principal emporte l’extinction du droit d’action concernant les droits accessoires. »

8.        Selon l’article 2 de ce décret, « [l]a nullité d’un acte juridique peut être invoquée à tout moment, par voie d’action ou par voie d’exception ».

9.        L’article 7 dudit décret prévoit :

« La prescription commence à courir le jour où le droit d’action ou le droit de demander l’exécution forcée prend naissance.

Pour les obligations devant être remplies à la demande du créancier ainsi que pour celles dont le délai d’exécution n’est pas fixé, la prescription commence à courir le jour où le rapport juridique prend naissance. »

10.      L’article 8 du même décret dispose :

« La prescription du droit d’action en réparation des dommages subis à la suite d’un fait illicite commence à courir le jour où la personne lésée a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance tant du dommage que de la personne qui en est responsable.

Les dispositions de l’alinéa précédent s’appliquent de même en cas d’enrichissement sans cause. »

II.    Les litiges au principal et les questions préjudicielles

A.      L’affaire C698/18, Raiffeisen Bank

11.      Au mois de juin 2008, le demandeur dans l’affaire au principal a conclu avec SC Raiffeisen Bank SA (ci‑après « Raiffeisen Bank ») un contrat de crédit, pour une période de 84 mois venant à échéance en 2015, date à laquelle le crédit a été remboursé intégralement.

12.      Estimant que certaines clauses contractuelles étaient abusives, le demandeur a saisi, en décembre 2016, la Judecătoria Târgu Mureş (tribunal de première instance de Târgu Mureş, Roumanie) d’un recours visant la constatation du caractère abusif desdites clauses, la restitution des sommes acquittées sur leur fondement ainsi que le paiement des intérêts légaux.

13.      Raiffeisen Bank a invoqué, par voie d’exception, le défaut de qualité pour agir du demandeur, en faisant valoir que celui‑ci n’avait plus la qualité de consommateur au sens de la loi no 193/2000 du fait que, à la date du dépôt de la requête, les relations contractuelles entre les parties avaient cessé, le contrat de crédit étant arrivé à terme au cours de l’année précédente en vertu de son exécution intégrale.

14.      En première instance, la juridiction nationale a accueilli le recours du demandeur dans sa totalité.

15.      Estimant que cette décision lui faisait grief, Raiffeisen Bank a interjeté appel devant la juridiction de renvoi, en réitérant l’argument selon lequel le demandeur avait perdu la qualité de consommateur antérieurement à l’action en justice, à la suite de la fin du contrat de crédit du fait de son exécution intégrale.

16.      C’est dans ce contexte que le Tribunalul Specializat Mureş (tribunal spécialisé de Mureș, Roumanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes dans les deux affaires concernées :

« 1)      Les dispositions de la [directive 93/13], à savoir les considérants 12, 21 et 23, l’article 2, sous b), l’article 6, paragraphe 1, l’article 7, paragraphe 2, et l’article 8 de cette directive, autorisent-elles, en application du principe d’autonomie procédurale associé aux principes d’équivalence et d’effectivité, un ensemble de moyens judiciaires, constitué d’une action judiciaire de droit commun imprescriptible tendant à faire constater le caractère abusif de clauses d’un contrat conclu avec un consommateur et d’une action judiciaire de droit commun personnelle, patrimoniale et prescriptible mettant en œuvre l’objectif de [ladite] directive, visant à éliminer les effets de toute obligation née et exécutée en vertu d’une clause dont le caractère abusif à l’égard d’un tel consommateur a été constaté ?

2)       En cas de réponse affirmative à la première question, ces dispositions s’opposent-elles à une interprétation découlant de l’application du principe de sécurité des rapports juridiques civils selon laquelle le moment objectif à partir duquel le consommateur devrait ou aurait dû avoir connaissance de l’existence d’une clause abusive est le moment où le contrat de crédit, dans le cadre duquel il a la qualité de consommateur, prend fin ? »

B.      L’affaire C699/18, BRD Groupe Société Générale

17.      Au mois de mai 2003, le demandeur dans l’affaire au principal et une autre partie, en qualité de coemprunteur, ont conclu avec BRD Groupe Société Générale SA un contrat de crédit. Au mois de mars 2005, en raison d’un remboursement anticipé, le crédit a été considéré comme étant liquidé et le contrat de crédit a pris fin.

18.      Plus de dix ans plus tard, en juillet 2016, le demandeur a saisi la Judecătoria Târgu Mureş (tribunal de première instance de Târgu Mureş) d’un recours visant à la constatation du caractère abusif des clauses de ce contrat. De plus, le demandeur a sollicité l’annulation de ces clauses et la restitution de tout montant acquitté en vertu de celles‑ci, ainsi que le paiement d’un intérêt légal relatif aux montants mis à la restitution.

19.      BRD Groupe Société Générale a invoqué le fait que le demandeur n’avait plus la qualité de consommateur, en tenant compte du fait que, à la date du début de la procédure judiciaire, les relations entre les parties avaient pris fin et que le contrat était terminé depuis onze ans, par remboursement anticipé.

20.      En première instance, la juridiction nationale a accueilli partiellement la demande.

21.      Estimant que cette décision lui faisait grief, BRD Groupe Société Générale a introduit un appel devant la juridiction de renvoi, en réitérant l’argument selon lequel le demandeur avait perdu la qualité de consommateur antérieurement à l’action en justice depuis onze ans, à la suite de la fin du contrat de crédit par remboursement anticipé.

22.      C’est dans ces conditions que le Tribunalul Specializat Mureş (tribunal spécialisé de Mureș) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour deux questions préjudicielles, identiques à celles posées dans l’affaire C‑698/18. La juridiction de renvoi met toutefois en exergue que, dans l’affaire C‑699/18, le demandeur a introduit le recours en constatation du caractère abusif des clauses contractuelles onze ans après la fin du contrat de crédit, c’est‑à‑dire après l’expiration du délai de prescription de trois ans prévu par le législateur national pour pouvoir exercer un droit en matière patrimoniale.

III. La procédure devant la Cour

23.      Par décision du Président de la Cour du 12 décembre 2018, les affaires C‑698/18 et C‑699/18 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

24.      Des observations écrites ont été présentées par les parties au principal, à l’exception du demandeur dans l’affaire C‑698/18, par les gouvernements roumain, tchèque, polonais et portugais, ainsi que par la Commission européenne.

25.      Les mêmes intéressés ont été représentés lors de l’audience qui s’est tenue le 12 décembre 2019.

IV.    Analyse

26.      Par ses questions préjudicielles, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si la directive 93/13 s’oppose, en premier lieu, à ce que soit prescriptible une action en restitution des prestations effectuées en vertu d’une clause déclarée abusive, contenue dans un contrat intégralement exécuté. En second lieu, elle se demande si cette directive s’oppose à l’application d’un délai de prescription triennal, qui commence à courir à partir du moment où le contrat prend fin, à une telle action. La juridiction de renvoi pose ces questions sous l’angle des limites de l’autonomie procédurale des États membres. Étant donné que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition nationale respecte ces limites doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités (3), j’estime qu’il y a lieu d’analyser ces questions conjointement.

27.      En outre, la juridiction de renvoi considère qu’elle est confrontée à la problématique de la détermination – du point de vue temporel – de la qualité de « consommateur » au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13. Si elle ne pose pas cette question expressément, elle constate qu’il convient de déterminer si cette directive continue de s’appliquer après l’exécution intégrale d’un contrat conclu par une personne qui a indubitablement bénéficié de la qualité de consommateur au moment de la conclusion du contrat comportant des clauses abusives.

28.      Compte tenu de ce qui précède, après avoir examiné au préalable la recevabilité des questions préjudicielles (section A), afin de répondre de manière utile à celles‑ci, je présenterai, tout d’abord, les solutions retenues en droit roumain en ce qui concerne la sanction pour l’introduction des clauses abusives dans un contrat conclu par un professionnel avec un consommateur (section B). J’aborderai, ensuite, la problématique de l’applicabilité de la directive 93/13 aux contrats intégralement exécutés (section C). Enfin, pour ce qui concerne les limites de l’autonomie procédurale des États membres, je déterminerai si cette directive s’oppose à ce que soit prescriptible une action en restitution des prestations effectuées sur le fondement d’une clause déclarée abusive, contenue dans un contrat intégralement exécuté, et à ce que le moment à partir duquel le délai triennal de prescription commence à courir corresponde au moment où le contrat prend fin (section D).

A.      Sur la recevabilité

29.      Le demandeur dans l’affaire C‑699/18 fait valoir, à titre principal, que les questions préjudicielles sont irrecevables.

30.      En premier lieu, il soutient que, par ses questions préjudicielles, la juridiction de renvoi cherche à déterminer si le délai prévu par la loi nationale pour saisir cette juridiction a ou non été respecté. Or une question préjudicielle doit porter non pas sur des aspects liés au droit national mais sur l’interprétation du droit de l’Union. En second lieu, le demandeur indique que la limitation des effets de la restitution à la suite de la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle serait contraire à la logique sur laquelle repose la protection des consommateurs.

31.      Je ne partage pas les réserves formulées par le demandeur.

32.      Par ses questions préjudicielles, la juridiction de renvoi cherche à obtenir les éléments d’interprétation du droit de l’Union lui permettant de déterminer, en substance, si la réglementation nationale et l’interprétation qu’elle préconise d’en donner sont compatibles avec le système de protection des consommateurs établi par la directive 93/13. Dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (4). Par ailleurs, considérer que les questions préjudicielles sont irrecevables du fait que la limitation des effets de la restitution induite par la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle serait contraire à la logique sur laquelle repose la protection des consommateurs préjugerait la réponse à donner à ces questions.

33.      Cela étant posé, je propose à la Cour de considérer qu’elle n’est pas compétente pour répondre aux questions posées dans l’affaire C‑699/18. Le contrat en cause dans cette affaire a été conclu en 2003 et a pris fin en 2005, soit avant le 1er janvier 2007, date de l’adhésion de la Roumanie à l’Union. Or, la Cour est compétente pour interpréter le droit de l’Union uniquement pour ce qui concerne l’application de celui‑ci dans un État membre à partir de la date d’adhésion de ce dernier à l’Union (5). Cela étant, pour la même raison, la Cour est compétente pour répondre aux questions posées dans l’affaire C‑698/18, qui se rapportent à un contrat conclu en 2008.

B.      La sanction applicable en droit roumain en ce qui concerne la transposition de la directive 93/13

1.      L’inopposabilité, la nullité relative et la nullité absolue au regard du droit roumain

34.      La juridiction de renvoi explicite dans ses demandes de décision préjudicielle que, en droit roumain, il existe trois sanctions de droit civil différentes en ce qui concerne le non‑respect d’une règle du droit, à savoir l’inopposabilité, la nullité relative et la nullité absolue. Elle précise que, en l’absence de disposition expresse quant au droit matériel applicable à la date de la conclusion des contrats qui se trouvent à l’origine des litiges au principal, ce sont la jurisprudence et la doctrine nationales qui interprètent la loi roumaine afin de déterminer le régime juridique de la nullité des actes juridiques civils que le législateur a entendu introduire au niveau national (6).

35.      Le rôle de sanction de la nullité consiste à priver d’effet juridique l’acte conclu en violation des dispositions légales. En fonction de la nature de l’intérêt (individuel ou général) protégé par la disposition légale violée lors de la conclusion de l’acte juridique civil, la sanction est la nullité relative ou la nullité absolue.

36.      La juridiction de renvoi indique que la nullité relative sanctionne le non‑respect d’une norme juridique impérative sauvegardant un intérêt privé et que l’action en nullité relative est prescriptible. En ce qui concerne la nullité absolue, elle sanctionne le non‑respect, lors de la conclusion de l’acte relevant du droit civil, d’une norme juridique sauvegardant un intérêt général protégé par une norme juridique impérative d’ordre public. En raison de l’intérêt protégé, la nullité absolue ne saurait être couverte par la confirmation, de sorte que le consommateur qui peut se prévaloir de cette nullité ne peut pas y renoncer. Elle peut être invoquée par toute personne ayant un intérêt, par des organismes auxquels la loi confère cette faculté, ainsi que d’office par une juridiction (7). L’action en déclaration de nullité absolue est imprescriptible, de sorte qu’elle peut être invoquée à tout moment, par voie d’action ou d’exception.

37.      De façon générale, en droit roumain, la nullité absolue produit, conformément aux explications de la juridiction de renvoi, des effets rétroactifs, à savoir à partir du moment où l’acte juridique a été conclu (des effets ex tunc). Il existe toutefois un certain nombre d’exceptions à ce principe, dans le cadre desquelles la nullité absolue produit des effets ex nunc. Tel est le cas lorsque le détenteur de bonne foi d’un bien frugifère garde les fruits cueillis pendant la période où il était de bonne foi. En outre, la nullité absolue donne lieu au rétablissement de la situation antérieure (restitutio in integrum), ce qui se traduit par le fait que les prestations effectuées sur la base de l’acte juridique frappé par cette nullité sont restituées. En matière de contrats synallagmatiques, la restitution est effectuée en application de l’institution du paiement indu et des actions en restitution.

38.      Selon la juridiction de renvoi, au regard du droit roumain, une distinction s’impose entre l’action en déclaration de nullité absolue, qui est imprescriptible, et l’action en restitution des prestations, qui constitue une action patrimoniale et est toujours prescriptible. Or, l’action en restitution des prestations est subordonnée à une décision préalable sur la nullité, en ce sens que le droit de réclamer la restitution ne prend naissance qu’après la déclaration de la nullité. Il existe à cet égard des exceptions qui permettent de nuancer la façon dont sont appliquées les règles sur la prescription de l’action en restitution. L’une de ces exceptions s’applique lorsque, du point de vue procédural, deux chefs de conclusion n’ont pas été invoqués (nullité par voie principale et restitution des prestations par l’intermédiaire d’un chef accessoire). Une autre de ces exceptions s’applique en ce qui concerne des contrats à exécution successive, lorsqu’il est objectivement impossible d’imposer la restitution d’une des prestations (dans le cas d’un bien utilisé pour la location) et que, dès lors, l’autre prestation ne peut pas davantage être restituée, cela afin d’éviter un enrichissement sans cause de l’une des parties.

2.      L’application de la sanction de nullité absolue

39.      La juridiction de renvoi indique que la jurisprudence nationale roumaine s’est cristallisée en ce sens qu’elle a assimilé l’élimination des clauses abusives à l’institution de la nullité absolue.

40.      Par ailleurs, la juridiction de renvoi indique que, bien que la directive 93/13 énonce qu’une clause abusive ne lie pas le consommateur, de sorte que le consommateur ne peut pas être tenu par une telle clause et peut faire abstraction de celle‑ci, ce qui correspond à la notion d’« inopposabilité », eu égard aux caractéristiques de la nullité et de l’inopposabilité telles qu’elles sont régies en droit roumain, la sanction de la nullité apparaît comme étant fidèle au régime prévu par cette directive.

41.      En outre, la juridiction de renvoi fait référence à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 93/13 et indique que, en vertu de l’autonomie procédurale, les États membres définissent des moyens adéquats et efficaces afin de permettre aux personnes d’introduire un recours en justice pour obtenir une décision statuant sur le caractère abusif des clauses. Elle indique que la loi no 193/2000 ne mentionne pas expressément l’application de la sanction de la nullité, mais que les dispositions de l’article 12, paragraphe 4, de cette loi évoquent l’application de cette sanction.

42.      De plus, la juridiction de renvoi relève que, en vertu de la jurisprudence de la Cour, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être considéré comme une norme équivalant aux règles nationales qui occupent, au sein de l’ordre juridique interne, le rang de normes d’ordre public (8). Dans ce contexte, elle explique que, du fait que le juge national doit contrôler d’office des clauses potentiellement abusives, la jurisprudence nationale a suivi le régime juridique de la nullité absolue. De même, la doctrine nationale considère que les professionnels sont dans l’obligation de ne pas introduire des clauses abusives dans des contrats conclus avec des consommateurs, cette obligation étant imposée par une norme juridique impérative d’ordre public, dont la violation est sanctionnée par la nullité absolue de telles clauses (9).

43.      En conséquence, la personne qui prétend avoir la qualité de consommateur dans le cadre d’un contrat de crédit pourrait saisir à tout moment une juridiction d’une action en déclaration du caractère abusif d’une clause contractuelle. Dès lors que le caractère abusif des clauses a été constaté, au regard de la nullité absolue de ces dispositions contractuelles, les principes internes y afférents s’appliquent, en particulier le principe de la restitutio in integrum.

3.      Les implications de l’application de la sanction de nullité en ce qui concerne les contrats intégralement exécutés

44.      La juridiction de renvoi met en exergue le fait que les litiges au principal se caractérisent par le fait que les contrats à l’origine de ces litiges avaient été exécutés avant que les juridictions nationales ne soient saisies. Elle indique que la jurisprudence nationale a développé des solutions divergentes en ce qui concerne les implications de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat intégralement exécuté.

45.      Selon un courant jurisprudentiel, la constatation du caractère abusif donnerait lieu à la sanction de la nullité absolue. En conséquence, en raison du caractère imprescriptible de l’action visant la nullité absolue des clauses abusives, une action en restitution ne serait pas soumise à un délai de prescription.

46.      Un autre courant jurisprudentiel se fonderait sur l’interprétation selon laquelle la sanction intervenant en cas de constatation du caractère abusif des clauses contractuelles constitue une sanction sui generis qui produit des effets pour l’avenir, sans remettre en question les prestations déjà effectuées comme c’est le cas pour la sanction de la nullité.

47.      Or, selon la juridiction de renvoi, il est possible de retenir une interprétation selon laquelle le moment où le contrat prend fin, en raison de l’exécution intégrale à terme ou par remboursement anticipé, est le moment où l’emprunteur ne devrait plus être considéré comme étant dans une situation d’infériorité par rapport au professionnel et est libéré de toute obligation à l’égard de ce dernier. Conformément à l’interprétation avancée par la juridiction de renvoi, ce serait par conséquent le moment objectif où le consommateur devait ou aurait dû avoir connaissance du caractère abusif de la clause.

48.      Selon cette interprétation, une action en nullité absolue par laquelle un consommateur peut demander la constatation du caractère abusif des clauses pourrait être introduite sans aucune limitation temporelle, tandis que son action en restitution des prestations effectuées sur le fondement de telles clauses devrait être introduite au cours de la période de trois ans suivant le moment où le contrat prend fin.

49.      Il me faut encore observer que, selon la juridiction de renvoi, le fait de distinguer le moment auquel le délai de prescription commence à courir pour les prétentions patrimoniales se rapportant au caractère abusif des clauses contractuelles, en écartant l’application du droit national contraire, serait l’expression de l’application directe du droit de l’Union. Toutefois, cette juridiction indique également que son interprétation est inspirée par le souci de respecter le principe de sécurité juridique. À cet égard, elle se réfère non pas au principe de sécurité juridique du droit de l’Union mais au principe de sécurité des rapports juridiques civils ou au principe de sécurité des échanges. Par ailleurs, elle fait référence à plusieurs arrêts dans lesquels la Cour a considéré que la fixation de délais raisonnables de recours sous peine de forclusion dans l’intérêt de sécurité juridique était compatible avec le droit de l’Union (10). Dans ces arrêts, la Cour s’est référée au principe de sécurité juridique en tant que principe qui se trouve à la base du système juridictionnel national (11). Il convient ainsi de considérer que la juridiction de renvoi fonde son interprétation des dispositions nationales sur le principe de sécurité juridique, qui est appliqué en droit roumain et se trouve à la base du système du droit civil de cet État membre.

C.      L’applicabilité de la directive 93/13 en ce qui concerne les contrats exécutés

1.      La qualité de consommateur et l’applicabilité de la directive 93/13

50.      Ainsi que je l’ai indiqué au point 27 des présentes conclusions, la juridiction de renvoi considère qu’il convient d’examiner ses questions préjudicielles sous l’angle de la question du maintien de la qualité de « consommateur » au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13 des parties aux contrats terminés. Cette considération correspond à l’argument invoqué par les défenderesses selon lequel, après l’exécution intégrale d’un contrat de crédit, l’emprunteur perd la qualité de consommateur et, en conséquence, la protection offerte par la directive 93/13.

51.      Certes, il est vrai que l’article 2, sous b), de la directive 93/13 définit un consommateur comme « toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ». Les défenderesses semblent en substance déduire du fait que le législateur a utilisé le présent de l’indicatif dans cette définition que, après l’exécution d’un contrat, une personne ayant conclu ce contrat n’agit plus dans le cadre de celui‑ci et, par conséquent, n’a plus la qualité de « consommateur » au sens de cette directive.

52.      Il est également vrai que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 oblige les États membres à prévoir que « les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux ». Cette disposition énonce que les États membres sont également dans l’obligation d’assurer que le contrat comportant des clauses abusives « restera contraignant pour les parties ». La formulation utilisée par le législateur semble être interprétée par les défenderesses en ce sens que cette disposition porte uniquement sur les contrats non encore exécutés et que, si le contrat prend fin, a priori il n’est plus nécessaire d’assurer que les clauses abusives ne lient plus le consommateur ou que le contrat demeure contraignant pour ses parties.

53.      Cela étant, j’estime cependant qu’il est plus adéquat de s’interroger sur le point de savoir non pas si une personne qui a conclu un contrat en tant que consommateur au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13 maintient la qualité de consommateur au sens de cette disposition après l’exécution intégrale du contrat, mais si cette directive se désintéresse de la protection de cette personne une fois que le contrat conclu par celle‑ci a été intégralement exécuté.

54.      En effet, en premier lieu, en ce qui concerne la majorité des systèmes du droit privé, un contrat prend fin dès que toutes les obligations découlant de ce contrat sont exécutées (12), bien que l’on doive tenir compte du fait que celui‑ci constituait le fondement des transferts qui ont eu lieu dans le cadre de son exécution. En effet, le contrat intégralement exécuté demeure contraignant en ce sens qu’il constitue toujours le fondement des transferts antérieurement intervenus. Par ailleurs, l’exécution intégrale du contrat ne change pas le fait que, lors de l’exécution de ses obligations contractuelles, la personne ayant conclu ce contrat avait indubitablement la qualité de « partie au contrat ».

55.      Ainsi, si la clause déclarée abusive constituait le fondement d’un transfert qui a eu lieu lors de l’exécution du contrat, la circonstance que ce contrat a été déjà exécuté ne saurait atténuer le caractère abusif de cette clause. Il y a encore un intérêt à déclarer des clauses figurant dans ce contrat comme étant abusives et, le cas échéant, à maintenir le caractère contraignant dudit contrat pour le reste. C’est en suivant cette logique qu’il convient de lire les dispositions de la directive 93/13.

56.      En deuxième lieu, les défenderesses font également valoir, en substance, que l’asymétrie entre le consommateur et le professionnel n’existe qu’au moment de la conclusion d’un contrat et au cours de son exécution. En conséquence, la directive 93/13 cesserait de s’appliquer après l’exécution du contrat car son intervention ne serait pas nécessaire pour compenser cette asymétrie. Les défenderesses présentent, à cet égard, leur lecture de la jurisprudence de la Cour, selon laquelle le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 reposerait sur l’idée que la relation entre le consommateur et le professionnel est inégale (13) et que cette directive viserait les contrats dans le cadre desquels il existe un déséquilibre significatif (14).

57.      Il ressort cependant de la même jurisprudence de la Cour que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles‑ci (15). L’exécution du contrat ne change pas rétroactivement la circonstance que, au moment de la conclusion de celui‑ci, le consommateur se trouvait dans cette situation d’infériorité. Par ailleurs, c’est dans un tel contexte que les clauses abusives, qui créent un déséquilibre significatif et auxquelles le consommateur adhère, sont introduites dans le contrat (16). De telles clauses continuent de constituer, ainsi qu’il ressort des considérations présentées au point 54 des présentes conclusions, le fondement des transferts effectués par les parties au contrat lors de l’exécution de celui‑ci.

58.      Dans ces conditions, considérer que l’exécution du contrat exclut toute possibilité de déclarer ces clauses abusives conduirait à la situation dans laquelle tout transfert intervenu sur leur base demeurerait indiscutable et définitif. Dans ce cadre, ainsi que l’observe le gouvernement polonais, certains contrats sont exécutés immédiatement après ou même au moment de leur conclusion. C’est notamment le cas du contrat de vente. Suivre l’interprétation des défenderesses selon laquelle la directive 93/13 cesse de s’appliquer après l’exécution intégrale d’un tel contrat aurait pour conséquence qu’une partie à ce contrat n’aurait même pas la possibilité théorique de former une action en justice effective avant que celui‑ci prenne fin. Or, rien dans cette directive n’implique l’exclusion de ces contrats de son champ d’application.

59.      En troisième lieu, la directive 93/13 impose aux États membres, comme il ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec le considérant 24 de celle‑ci, de prévoir des moyens adéquats et efficaces « afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel ». De tels moyens doivent produire un effet dissuasif à l’égard des professionnels (17). L’interprétation selon laquelle cette directive cesse de s’appliquer après l’exécution d’un contrat serait susceptible de porter atteinte à la réalisation de son objectif à long terme. En effet, on ne saurait exclure le fait qu’un consommateur, n’ayant pas la pleine connaissance du caractère abusif des clauses et craignant une action éventuellement introduite contre lui par le professionnel, tendrait à exécuter ses obligations contractuelles.

2.      Sur le fait de renoncer à la protection et à l’applicabilité de la directive 93/13

60.      Il me faut encore observer que la juridiction de renvoi se demande si la manière dont le contrat prend fin peut avoir une incidence sur l’applicabilité de la directive 93/13. À cet égard, cette juridiction fait référence au remboursement anticipé et à l’exécution intégrale à terme.

61.      L’interprétation selon laquelle la directive 93/13 cesserait de s’appliquer après l’exécution volontaire d’un contrat devrait, à mon sens, reposer sur l’idée qu’un consommateur qui exécute un contrat comportant des clauses abusives renonce, de manière implicite, à la protection que lui confère cette directive.

62.      Or, la Cour a déjà établi clairement dans sa jurisprudence que, pour qu’un consommateur puisse renoncer à la protection conférée par la directive 93/13 de manière effective, il doit donner un consentement libre et éclairé à la non‑application de la sanction prévue par ladite directive (18). On ne saurait présumer qu’un consommateur prend connaissance du caractère abusif des clauses contenues dans un contrat lors de l’exécution de ses obligations contractuelles. De même, on ne saurait considérer que, par l’exécution du contrat, le consommateur donne un consentement qui dépasse la seule volonté d’exécuter l’obligation en cause. En effet, le consommateur peut exécuter ses obligations de bonne foi ou le faire pour ne pas risquer l’introduction d’une action contre lui par un professionnel.

63.      En conséquence, le fait qu’un contrat a été volontairement exécuté n’exclut pas en soi l’applicabilité de la directive 93/13 et n’écarte pas la protection que cette directive confère à une personne ayant conclu ce contrat comme consommateur au sens de l’article 2, sous b), de ladite directive.

3.      Conclusions liminaires sur l’applicabilité de la directive 93/13

64.      Il découle de ce qui précède que la directive 93/13 s’applique également aux contrats intégralement exécutés. C’est la conclusion d’un contrat par le consommateur qui déclenche l’applicabilité de cette directive. Par ailleurs, l’exécution intégrale du contrat n’exclut pas l’application de ladite directive. Cela étant, il convient de distinguer entre l’applicabilité de la directive au regard des contrats intégralement exécutés et la faculté des États membres d’introduire, au niveau national, des délais de prescription permettant de limiter temporellement les actions en restitution.

D.      Les limites de l’autonomie procédurale des États membres

65.      Le droit de l’Union n’harmonise pas les règles applicables à l’examen du caractère prétendument abusif d’une clause contractuelle. Il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre d’établir de telles règles, en vertu du principe d’autonomie procédurale, à condition toutefois qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (19).

66.      Je considère qu’il convient ainsi, tout en tenant compte du principe de sécurité juridique invoqué par la juridiction de renvoi, de déterminer si le fait qu’une action en restitution des prestations effectuées sur le fondement d’une clause déclarée abusive soit prescriptible est compatible avec ces deux principes, puis d’analyser, sous cet angle, si un État membre peut prévoir un délai de prescription de trois ans, calculé à partir du moment où le contrat prend fin.

1.      Le principe d’effectivité

a)      Sur les délais de prescription dans le contexte du principe d’effectivité

67.      Dans sa jurisprudence, la Cour a reconnu que, en ce qui concerne la directive 93/13, la protection du consommateur n’est pas absolue (20). Dans ce cadre, la Cour a considéré que le fait qu’une procédure particulière comporte certaines exigences procédurales que le consommateur doit respecter afin de faire valoir ses droits ne signifie pas pour autant que ces exigences ne sont pas conformes au principe d’effectivité (21) ou que ce consommateur ne bénéficie pas d’une protection juridictionnelle effective (22). Une certaine vigilance en ce qui concerne la sauvegarde de ses intérêts peut être ainsi exigée d’un consommateur sans que le principe d’effectivité ou le droit à un recours effectif soient enfreints. C’est le cas, par exemple, lorsqu’un effort supplémentaire est exigé d’un consommateur dans un intérêt général de bonne administration de la justice et de prévisibilité (23). En effet, en procédant à l’examen de la compatibilité des dispositions du droit national par lesquelles le législateur a transposé la directive 93/13 avec le principe d’effectivité, il y a lieu de prendre en considération, s’il échet, de tels principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (24).

68.      Par ailleurs, en ce qui concerne, plus spécifiquement, les limitations temporelles des recours fondés sur la directive 93/13, il importe de relever que, selon une jurisprudence constante, la fixation de délais raisonnables de recours sous peine de forclusion dans l’intérêt de la sécurité juridique n’est pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (25).

69.      J’en déduis que, dans l’optique du principe d’effectivité et dans la mesure où le principe de sécurité juridique constitue un principe qui se trouve à la base du système juridictionnel national et l’exige, il est en principe admissible de limiter temporellement des recours fondés sur le droit de l’Union. Les délais imposés à cet égard doivent être, en utilisant la formulation utilisée par la Cour dans sa jurisprudence, « raisonnables », ce qui se traduit par le fait qu’ils ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union. Il convient ainsi de déterminer si un délai de prescription de trois ans qui commence à courir, en ce qui concerne les contrats intégralement exécutés, à partir du moment où le contrat prend fin peut être considéré comme un délai « raisonnable » au sens de cette jurisprudence.

b)      Sur le caractère raisonnable du délai de prescription

70.      La Cour a déjà considéré, dans des contextes variés, qu’un délai national de forclusion ou de prescription de trois ans apparaît raisonnable (26). Toutefois, le caractère raisonnable d’un délai – et, partant, sa conformité avec le principe d’effectivité – ne peut pas être déterminé exclusivement sur la base de sa durée. Il importe de prendre en compte toutes les modalités relatives à ce délai, c’est‑à‑dire l’événement qui le déclenche, ceux ayant un effet interruptif ou suspensif à son égard ainsi que, le cas échéant, les conséquences de son non‑respect et la possibilité de le rouvrir (27). En effet, tous ces éléments sont susceptibles de rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par la directive 93/13.

71.      Dans ce cadre, la juridiction de renvoi ne s’interroge que sur l’événement déclencheur et sur la durée du délai de prescription. Pour cette raison, dans mon analyse, je pars de la prémisse selon laquelle aucun événement susceptible d’interrompre ou de suspendre ce délai n’est intervenu. Par souci d’exhaustivité, j’observe que la juridiction de renvoi n’indique pas que l’introduction d’une action en déclaration du caractère abusif des clauses contractuelles produit un effet suspensif en ce qui concerne le délai de prescription applicable à une action en restitution.

72.      Pour déterminer si un délai de prescription, pris ensemble avec toutes les modalités pertinentes, respecte le principe d’effectivité, il convient de tenir compte du fait que les délais de prescription et leurs modalités d’application doivent être adaptés à la spécificité du domaine concerné afin de ne pas réduire à néant la pleine effectivité des dispositions pertinentes du droit de l’Union (28).

73.      Le fait d’exiger d’un consommateur une certaine vigilance en ce qui concerne la sauvegarde de ses intérêts n’est pas contraire aux dispositions de la directive 93/13 (29). Dans cette veine, le délai de prescription de trois ans, qui commence à courir à partir du moment où le contrat prend fin, semble en principe laisser au consommateur, ignorant de ses droits et/ou du caractère abusif des clauses contractuelles, suffisamment de temps pour se renseigner sur la légalité de ces clauses et estimer s’il est opportun d’introduire une action juridique. Pour que cela soit possible pour le consommateur, le délai de prescription ainsi que l’ensemble de ses modalités d’application doivent, toutefois, être établis et connus à l’avance (30). Ils ne peuvent donc être établis que par une loi ou conformément à une interprétation de cette loi résultant d’une jurisprudence constante.

74.      Dans ce contexte, avant l’écoulement du délai de trois ans à partir du moment où le contrat a pris fin, le consommateur peut envisager de saisir une juridiction nationale d’une action en déclaration du caractère abusif des clauses contractuelles, afin de déterminer, de manière contraignante pour le professionnel, si celui‑ci a introduit des clauses contraires à la directive 93/13 dans le contrat. Or, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, il semble que le délai de prescription visé par les questions préjudicielles, qui s’applique à l’égard des actions en restitution, n’est pas suspendu lorsque le consommateur introduit une action en déclaration du caractère abusif des clauses contractuelles. Il peut ainsi arriver que, dans l’attente d’une telle détermination contraignante du caractère abusif des clauses contractuelles, le consommateur risque la prescription de son action en restitution du fait de la durée de la procédure en matière de déclaration du caractère abusif des clauses. Il existe donc un risque non négligeable que, pour des raisons qui échappent à son contrôle, ce consommateur ne forme pas en temps utile l’action requise pour se prévaloir des droits qu’il tire de la directive 93/13.

75.      Abstraction faite de cette réserve, le fait que, ainsi qu’il découle des considérations présentées au point 64 des présentes conclusions, la directive 93/13 continue à s’appliquer à l’égard des contrats intégralement exécutés ne s’oppose à ce qu’un État membre prévoie un délai de prescription en ce qui concerne une action en restitution par laquelle cette directive est mise en œuvre au niveau national. Les présentes affaires ne posent pas le problème de la limitation temporelle de l’action par laquelle un consommateur peut demander la constatation du caractère abusif des clauses contractuelles. En effet, la juridiction de renvoi indique qu’une telle action peut être introduite sans aucune limitation temporelle et que, après l’échéance du délai de prescription, la réparation due au consommateur serait de nature extrapatrimoniale, associée au caractère dissuasif à l’égard des professionnels. En outre, il découle de la loi no 193/2000 qu’un consommateur peut invoquer la nullité d’une clause également par voie d’exception. J’en déduis que l’écoulement du délai de prescription de trois ans qui s’applique à l’égard des actions en restitution n’empêche pas un consommateur de contester une demande introduite par un professionnel par laquelle celui‑ci demande à ce que ce consommateur exécute une obligation résultant d’une clause abusive. En outre, rien n’indique que l’écoulement de ce délai interdise au juge national de relever d’office le caractère abusif des clauses contractuelles, ce qui distingue les présentes affaires de celle ayant donné lieu à l’arrêt Cofidis (31).

76.      Certes, dans son arrêt Gutiérrez Naranjo e.a.  (32), relatif à une jurisprudence nationale qui limitait dans le temps les effets restitutoires, la Cour a indiqué que la constatation judiciaire du caractère abusif d’une clause contractuelle doit, en principe, avoir pour conséquence le rétablissement de la situation en droit et en fait du consommateur dans laquelle il se serait trouvé en l’absence de cette clause. En outre, l’obligation pour le juge national d’écarter une clause contractuelle abusive imposant le paiement de sommes qui se révèlent indues emporte, en principe, un effet restitutoire correspondant à l’égard de ces mêmes sommes.

77.      Toutefois, en premier lieu, il convient de tenir compte du fait que, dans l’arrêt Gutiérrez Naranjo e.a. (33), la Cour a insisté sur le fait qu’un effet restitutoire doit être en principe accordé à une action en déclaration du caractère abusif de clauses contractuelles. En deuxième lieu, la limitation dans le temps des effets restitutoires, visée dans cet arrêt, s’est produite dans un contexte spécifique. Il semble que cette limitation a résulté d’une interprétation du droit de l’Union donnée par une juridiction nationale suprême conformément aux critères exigés par la Cour lorsqu’elle est invitée à limiter les effets dans le temps de ses propres arrêts (34). Or, dans les présentes affaires, c’est une interprétation du droit national que la juridiction de renvoi souhaiterait appliquer dans les litiges au principal. En troisième lieu, dans ledit arrêt, la Cour a clairement distingué entre, d’une part, une telle limitation dans le temps des effets d’une interprétation d’une règle du droit de l’Union et, d’autre part, l’application d’une modalité procédurale, telle qu’un délai raisonnable de prescription (35).

78.      Compte tenu de ce qui précède, il convient de considérer que la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce qu’un État membre prévoie qu’une action en restitution qui se rapporte à la constatation du caractère abusif de clauses contractuelles soit prescriptible. Par ailleurs, aucun des éléments fournis dans les décisions de renvoi ne suggère que, en l’espèce, le principe d’effectivité ne serait pas respecté par une interprétation de la réglementation nationale selon laquelle une action en restitution qui se rapporte aux clauses abusives est soumise au délai de prescription de trois ans qui commence à courir à partir du moment où le contrat conclu par le consommateur avec le professionnel prend fin. Cette considération s’entend sous réserve de deux conditions : premièrement, que ce délai soit suspendu au cours de la procédure par laquelle le consommateur cherche à établir le caractère abusif de ces clauses et, deuxièmement, que ledit délai ainsi que l’ensemble de ses modalités d’application soient établis et connus à l’avance.

2.      Le principe d’équivalence

a)      Sur la similarité des recours

79.      Le principe d’équivalence requiert que l’ensemble des règles applicables aux recours s’applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l’Union et aux recours similaires fondés sur la méconnaissance du droit interne. Il appartient aux juridictions nationales d’identifier les recours de droit national similaires à ceux fondés sur le droit de l’Union. En vue de l’appréciation à laquelle la juridiction nationale devra procéder, la Cour peut lui fournir certains éléments tendant à l’interprétation du droit de l’Union.

80.      Afin de vérifier si le principe d’équivalence est respecté dans les affaires au principal, il y a lieu de déterminer si, eu égard à leur objet, à leur cause et à leurs éléments essentiels, les recours introduits par les demandeurs fondés sur la directive 93/13 et ceux que ces demandeurs auraient pu introduire en se fondant sur le droit national peuvent être considérés comme étant similaires (36).

81.      La juridiction de renvoi ne précise pas expressément quels sont les recours qui peuvent être considérés comme similaires à ceux fondés sur la directive 93/13. Elle se borne à constater que la sanction pour l’introduction de clauses abusives dans un contrat conclu avec un consommateur est assimilée, par les juridictions roumaines, à celle qui s’applique en ce qui concerne la nullité absolue. Sous cet angle, la similarité entre les recours portant sur la violation d’une règle occupant le rang de normes d’ordre public et ceux se rapportant à la directive 93/13 ne s’impose pas de manière évidente (37). Toutefois, la juridiction de renvoi compare les modalités d’application relatives à ces recours et celles relatives aux recours se rapportant à la nullité absolue. Dès lors, il semblerait que, pour la juridiction de renvoi, la cause (la violation d’une norme du rang d’ordre public), l’objet (le fait de remédier à une telle violation et de priver une clause contractuelle de ses effets juridiques) et les éléments essentiels de ces actions (en particulier, le fait qu’un ensemble de deux actions est prévu pour sanctionner cette violation et que celle‑ci doit être soulevée d’office par un juge national) peuvent être considérés comme étant similaires ou comparables. Je considère que les renvois préjudiciels ne contiennent aucune précision permettant de mettre en cause cette considération. En outre, il semble que les parties ayant soumis des observations dans les présentes affaires ne la remette pas non plus en cause. Néanmoins, il appartient à cette juridiction d’effectuer les ultimes vérifications à cet égard.

b)      Sur le respect du principe d’équivalence

82.      Il appartient, en principe, aux juridictions nationales de vérifier si les modalités procédurales destinées à assurer, en droit interne, la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union sont conformes au principe d’équivalence. Il en va de même en ce qui concerne l’identification des recours similaires du droit national. Toutefois, dans la mesure où les éléments du dossier au principal le permettent, la Cour peut formuler des observations sur la conformité des modalités procédurales avec ce principe (38).

83.      Dans ce cadre, le seul fait que le même délai de prescription est applicable aux recours fondés sur le droit de l’Union et à ceux fondés sur le droit national n’est pas suffisant pour déclarer la conformité avec le principe d’équivalence. Ce principe requiert que l’ensemble des règles applicables aux actions en restitution s’applique indifféremment à tous ces recours (39). Or, la juridiction de renvoi explique que son interprétation selon laquelle le délai de prescription de trois ans, qui correspond à un délai de prescription général, commence à courir à partir du moment où le contrat prend fin ne s’applique qu’en ce qui concerne les actions en restitution qui se rapportent aux clauses considérées comme abusives au sens de la directive 93/13. De plus, rien n’indique que cette interprétation correspond à l’une des exceptions mentionnées au point 38 des présentes conclusions, qui permettent de nuancer la détermination du moment à partir duquel le délai de prescription commence à courir en ce qui concerne les actions qui se rapportent au régime national de la nullité absolue.

84.      Par ailleurs, à la différence des exigences posées par le principe d’effectivité, celles découlant du principe d’équivalence ne sauraient être assouplies par une référence aux principes qui sont à la base du système national, comme le principe de sécurité juridique. En effet, le respect du principe d’équivalence exige l’application indifférenciée d’une règle nationale aux procédures fondées sur le droit de l’Union et à celles fondées sur le droit national. Considérer qu’un traitement non discriminatoire est assuré en ce qui concerne un recours fondé sur le droit de l’Union malgré le fait qu’un traitement différent est accordé à un recours fondé sur le droit national contreviendrait au sens même du principe d’équivalence. Si le principe de sécurité juridique exige qu’un délai de prescription commence à courir à partir d’un moment spécifique, cette modalité relative au délai de prescription doit s’appliquer indistinctement à l’égard des situations se rapportant aux droits découlant de l’ordre juridique de l’Union et des situations nationales similaires.

85.      Dans ces conditions, il apparaît que, en l’occurrence, le principe d’équivalence est méconnu, dès lors qu’il est constant que la détermination de l’événement déclencheur du délai de prescription dépend du fondement des actions en restitution.

86.      Compte tenu de ce qui précède, il convient de considérer que le principe d’équivalence s’oppose à une réglementation nationale ou à une interprétation de celle‑ci qui prévoit que le délai de prescription de trois ans, qui s’applique aux actions en restitution portant sur des clauses contractuelles considérées comme abusives au sens de la directive 93/13, commence à courir à partir du moment où le contrat contenant ces clauses prend fin, malgré le fait que le délai de prescription de trois ans qui s’applique aux actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ne commence à courir qu’à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.

V.      Conclusion

87.      À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’apporter les réponses suivantes aux questions préjudicielles posées par le Tribunalul Specializat Mureş (tribunal spécialisé de Mureş, Roumanie) :

Dans l’affaire C‑698/18 :

1)      La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce qu’un État membre prévoie qu’une action en restitution qui se rapporte à la constatation du caractère abusif des clauses contractuelles soit prescriptible.

2)      Le principe d’effectivité ne s’oppose pas à ce qu’un État membre prévoie qu’une telle action en restitution soit soumise à un délai de prescription de trois ans qui commence à courir à partir du moment où le contrat prend fin, à condition que, premièrement, ce délai soit suspendu au cours de la procédure par lequel le consommateur demande à une juridiction nationale de déclarer le caractère abusif de ces clauses et que, deuxièmement, ledit délai ainsi que l’ensemble de ses modalités d’application soient établis et connus à l’avance.

3)      Le principe d’équivalence s’oppose à une réglementation nationale ou à une interprétation de celle‑ci qui prévoit que le délai de prescription de trois ans applicable aux actions en restitution se rapportant aux clauses contractuelles considérées comme abusives au sens de la directive 93/13 commence à courir à partir du moment où le contrat contenant ces clauses prend fin, malgré le fait que le délai de prescription de trois ans applicable à des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ne commence à courir qu’à partir du moment de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.

Dans des circonstances telles que celles du litige au principal dans l’affaire C‑699/18, dont les faits pertinents sont antérieurs à l’adhésion d’un État à l’Union européenne, la Cour n’est pas compétente pour répondre aux questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi.


1      Langue originale : le français.


2      Directive du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).


3      Voir, en ce sens, arrêt du 5 décembre 2013, Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León (C‑413/12, EU:C:2013:800, point 34).


4      Voir arrêt du 1er juillet 2010, Sbarigia (C‑393/08, EU:C:2010:388, point 19 et jurisprudence citée).


5      Voir arrêt du 10 janvier 2006, Ynos (C‑302/04, EU:C:2006:9, point 36), et, en ce qui concerne la Roumanie, ordonnance du 3 juillet 2014, Tudoran (C‑92/14, EU:C:2014:2051, points 26 à 29).


6      Je relève que le nouveau code civil, entré en vigueur le 1er octobre 2011, opère une distinction entre la nullité relative et la nullité absolue. Voir Firică, M. C., « Considerations upon the Nullity of the Civil Legal Act in the Regulation of the New Romanian Civil Code », Journal of Law and Public Administration, 2015, vol. 1(1), p. 54, et Hinescu, A., « The Nullity of a Merger under Romanian Law », European Company Law, vol. 10(2), 2013, p. 53. Or, la juridiction de renvoi ne se réfère qu’au code civil de 1864 en ce qui concerne le cadre juridique applicable aux contrats qui se trouvent à l’origine des litiges au principal.


7      Certes, il ressort de la doctrine que, déjà sous l’empire du code civil de 1864, le pouvoir d’invoquer la nullité absolue d’office était discutable. Certains auteurs considéraient que, en l’absence d’une action en nullité absolue introduite par l’une des parties, le juge national ne pouvait pas se prononcer sur la nullité du contrat dans lequel le litige trouvait son origine. En conséquence, si le juge saisi d’une action en paiement des dettes contractuelles constatait que le contrat était nul, il devait rejeter cette action comme non fondée, sans donner une décision sur la validité de ce contrat. Voir Firică, M. C., « Considerations upon the Nullity of the Civil Legal Act in the Regulation of the New Romanian Civil Code », Journal of Law and Public Administration, vol. 1(1), 2015, p. 56 et doctrine citée.


8      Arrêts du 30 mai 2013, Asbeek Brusse et de Man Garabito (C‑488/11, EU:C:2013:341, point 44), ainsi que du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 54).


9      Voir Voiculescu, I. C., « Unfair terms in contracts concluded between traders and consumers », in Romanian and European Law, Journal of Advanced Research in Law and Economics, vol. 3(2), 2012, p. 57. Voir, également, en ce sens, Marcusohn, V., « The effects of unfair terms on the binding force principle of contracts », Union of Jurists of Romania. Law Review, vol. 9(1), 2019, p. 34. J’observe que, à la page 33 de son texte, ce dernier auteur mentionne le fait que la doctrine nationale a envisagé également l’application de la sanction selon laquelle les clauses abusives sont considérées comme non écrites.


10      Voir arrêts du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones (C‑40/08, EU:C:2009:615, point 41), ainsi que du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 69).


11      Voir arrêt du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones (C‑40/08, EU:C:2009:615, point 39). Voir, également, en ce sens de manière implicite, arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 67).


12      Voir article 2 :114 des règles types du droit privé européen (projet de cadre commun de référence pour le droit européen des contrats) qui ont été élaborées en ayant notamment recours à une approche de droit comparé, selon lequel l’exécution intégrale éteint une obligation si elle est conforme aux termes de l’obligation ou de nature à procurer légalement au débiteur une décharge valable. Voir Von Bar, Ch., Clive, E., et Schulte-Nölke, H., e.a. (éd.), Principles, Definitions and Model Rules of European Private Law. Draft Common Frame of Reference (DCFR), Outline Edition, Munich, Sellier European Law Publishers, 2009, p. 282. Ces dispositions ont donné lieu aux règles types du droit privé européen (projet de cadre commun de référence pour le droit européen des contrats) qui ont été élaborées en ayant notamment recours à une approche de droit comparé.


13      Voir arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C‑240/98 à C‑244/98, EU:C:2000:346, point 25), ainsi que du 26 octobre 2006, Mostaza Claro (C‑168/05, EU:C:2006:675, point 25).


14      Voir arrêt du 16 janvier 2014, Constructora Principado (C‑226/12, EU:C:2014:10, point 23).


15      Voir arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C‑240/98 à C‑244/98, EU:C:2000:346, point 25), ainsi que du 26 octobre 2006, Mostaza Claro (C‑168/05, EU:C:2006:675, point 25).


16      C’est également la raison pour laquelle le caractère abusif des clauses contractuelles est apprécié en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à l’ensemble des circonstances qui entourent sa conclusion. Voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703, points 53 et 54).


17      Voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C‑240/98 à C‑244/98, EU:C:2000:346, point 28).


18      Voir arrêts du 4 juin 2009, Pannon GSM (C‑243/08, EU:C:2009:350, point 33) ; du 21 février 2013, Banif Plus Bank (C‑472/11, EU:C:2013:88, point 35), ainsi que du 3 octobre 2019, Dziubak (C‑260/18, EU:C:2019:819, point 53). Voir, également, mes conclusions dans les affaires jointes Sales Sinués et Drame Ba (C‑381/14 et C‑385/14, EU:C:2016:15, point 69). Il ressort de cette jurisprudence qu’un consommateur peut toujours renoncer à la protection que lui confère la directive 93/13. Or, ainsi qu’il découle du point 36 des présentes conclusions, en ce qui concerne le régime de la nullité absolue en droit roumain, il semble ne pas être possible de renoncer à la sanction que prévoit ce régime.


19      Voir, en ce sens, arrêt du 5 décembre 2013, Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León (C‑413/12, EU:C:2013:800, point 30 et jurisprudence citée). Il est vrai que, en ce qui concerne la directive 93/13, dans sa jurisprudence récente, la Cour s’est référée plutôt au droit à un recours effectif (voir arrêts du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska, C‑176/17, EU:C:2018:711, point 57, et du 3 avril 2019, Aqua Med, C‑266/18, EU:C:2019:282, point 47) ou à une protection juridictionnelle effective (voir arrêt du 31 mai 2018, Sziber, C‑483/16, EU:C:2018:367, point 35), tels que prévus à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ces références ont été faites dans le contexte de questions préjudicielles portant sur les modalités procédurales relatives à la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle. Dans ce cadre, la Cour s’est focalisée sur le point de savoir si des modalités procédurales engendrent un risque non négligeable qu’un consommateur soit dissuadé d’intervenir, de manière utile, dans la défense de ses droits devant la juridiction saisie par le professionnel. Voir arrêts du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska (C‑176/17, EU:C:2018:711, point 61), et du 3 avril 2019, Aqua Med (C‑266/18, EU:C:2019:282, point 54). Néanmoins, il est difficile de déterminer la façon dont les exigences découlant de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux s’articulent avec celles découlant du principe d’effectivité dans le contexte de la directive 93/13. Voir, notamment, mes conclusions dans l’affaire Finanmadrid EFC (C‑49/14, EU:C:2015:746, point 85). Par ailleurs, j’estime, en ce qui concerne les délais de prescription des actions introduites par les consommateurs, qu’il suffit de se référer, ainsi que le suggère la juridiction de renvoi dans ses questions, au principe d’effectivité. L’approche fondée sur le droit à un recours effectif ou à une protection juridictionnelle effective conduirait à imposer des exigences identiques ou difficilement distinguables.


20      Voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2018, Sziber (C‑483/16, EU:C:2018:367, point 50).


21      Voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary (C‑32/14, EU:C:2015:637, point 62). Voir, également, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones (C‑40/08, EU:C:2009:615, point 47).


22      Voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2018, Sziber (C‑483/16, EU:C:2018:367, points 50 et 51).


23      Voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2015, Baczó et Vizsnyiczai (C‑567/13, EU:C:2015:88, point 51).


24      Voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 2013, Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León (C‑413/12, EU:C:2013:800, point 34) ; du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones (C‑40/08, EU:C:2009:615, point 39), ainsi que du 18 février 2016, Finanmadrid EFC (C‑49/14, EU:C:2016:98, point 44).


25      Voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones (C‑40/08, EU:C:2009:615, point 41), ainsi que du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 69).


26      Voir arrêt du 15 avril 2010, Barth (C‑542/08, EU:C:2010:193, point 28 et 29, ainsi que jurisprudence citée). En outre, dans le contexte du remboursement de droits à l’importation ou à l’exportation, la Cour a considéré qu’une période de prescription triennale pour une demande de remboursement de droits de douane indûment perçus n’est pas contraire au principe d’effectivité bien qu’il se soit agi d’une période accompagnée par l’exclusion de toute possibilité de prorogation pour cause de force majeure. Voir arrêt du 9 novembre 1989, Bessin et Salson (386/87, EU:C:1989:408, point 17).


27      Voir, en ce sens, en ce qui concerne les délais de prescription constituant des modalités d’exercice du droit de demander réparation du préjudice résultant d’une infraction au droit de la concurrence, arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, point 45). Voir, également, en ce sens, conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Cargill Deutschland (C‑360/18, EU:C:2019:648), qui a indiqué qu’il existe de solides raisons permettant de considérer que les dispositions relatives aux délais de prescription doivent comprendre un ensemble de règles précisant la durée du délai de prescription, la date à laquelle celui‑ci commence à courir et les événements ayant un effet interruptif ou suspensif.


28      Voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, points 47 et 53). Dans cet arrêt, la Cour a considéré, en matière de droit de la concurrence, qu’un délai de prescription de trois ans qui, d’une part, commence à courir à partir de la date à laquelle la personne lésée a eu connaissance de son droit à réparation, même si le responsable de l’infraction n’est pas connu, et, d’autre part, ne peut être suspendu ou interrompu au cours d’une procédure devant l’autorité nationale de concurrence rend l’exercice du droit à réparation intégrale pratiquement impossible ou excessivement difficile 


29      Voir point 67 des présentes conclusions.


30      Voir, en ce sens, mes conclusions dans l’affaire Nencini/Parlement (C‑447/13 P, EU:C:2014:2022, point 81).


31      Voir arrêt du 21 novembre 2002, Cofidis (C‑473/00, EU:C:2002:705).


32      Voir arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 54).


33      Voir arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 54).


34      Voir arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 70). Voir, également, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans les affaires jointes Gutiérrez Naranjo e.a. (C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:552, points 19 et 20).


35      Voir arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, points 69 et 70).


36      Voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko (C‑448/17, EU:C:2018:745, point 40).


37      À l’appui de ce constat, les juridictions roumaines invoquent le fait que – selon la formulation utilisée par la Cour – l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être considérée comme une norme équivalant aux règles nationales qui occupent, au sein de l’ordre juridique interne, le rang de normes d’ordre public. Voir arrêts du 30 mai 2013, Asbeek Brusse et de Man Garabito (C‑488/11, EU:C:2013:341, points 44 et 45) ; du 4 juin 2015, Faber (C‑497/13, EU:C:2015:357, point 56) ; du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60, points 42 et 43) ; du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen (C‑147/16, EU:C:2018:320, points 35 et 36), ainsi que du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750, points 87 et 89). De même, la nullité absolue constitue, en droit roumain, la sanction applicable pour la violation d’une norme juridique impérative d’ordre public. Cela étant, je dois avouer que j’ai des doutes sur le point de savoir s’il découle de cette jurisprudence qu’un État membre est obligé d’assimiler la sanction qui s’applique aux clauses abusives à  celle qui s’applique en cas de non‑respect des normes d’ordre public. Je suis d’avis que, dans sa jurisprudence, la Cour s’est référée à de telles normes à la seule fin d’expliquer pourquoi les juridictions nationales sont obligées de soulever d’office le caractère abusif des clauses contractuelles.


38      Voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 1997, Palmisani (C‑261/95, EU:C:1997:351, point 33).


39      Voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2010, Barth (C‑542/08, EU:C:2010:193, point 19).