ARRÊT DE LA COUR (cour plénière)

12 novembre 2002(1)

«Rapprochement des législations - Marques - Directive 89/104/CEE - Article 5, paragraphe 1, sous a) - Étendue du droit exclusif du titulaire de la marque »

Dans l'affaire C-206/01,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni), et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Arsenal Football Club plc

et

Matthew Reed,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1),

LA COUR

composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, MM. J.-P. Puissochet, M. Wathelet et C. W. A. Timmermans (rapporteur), présidents de chambre, MM. C. Gulmann, D. A. O. Edward, P. Jann et V. Skouris, Mmes F. Macken et N. Colneric, et M. S. von Bahr, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,


greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

-     pour Arsenal Football Club plc, par MM. S. Thorley, QC, et T. Mitcheson, barrister, mandatés par Lawrence Jones, solicitors,

-     pour M. Reed, par M. A. Roughton, barrister, mandaté par Stunt & Son, solicitors,

-     pour la Commission des Communautés européennes, par M. N. B. Rasmussen, en qualité d'agent,

-     pour l'Autorité de surveillance AELE, par M. P. Dyrberg, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales d'Arsenal Football Club plc, représentée par MM. S. Thorley et T. Mitcheson, de M. Reed, représenté par MM. A. Roughton et S. Malynicz, barrister, et de la Commission, représentée par MM. N. B. Rasmussen et M. Shotter, en qualité d'agent, à l'audience du 14 mai 2002,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 13 juin 2002

rend le présent

Arrêt

1.
    Par ordonnance du 4 mai 2001, parvenue à la Cour le 18 mai suivant, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, a posé, en vertu de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la «directive»).

2.
    Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Arsenal Football Club plc (ci-après «Arsenal FC») à M. Reed à propos de la vente et de l'offre de vente par ce dernier d'écharpes sur lesquelles figurait en grands caractères le mot «Arsenal», signe enregistré comme marque par Arsenal FC notamment pour de tels produits.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3.
    La directive constate, à son premier considérant, que les législations nationales sur les marques comportent des disparités qui peuvent entraver la libre circulation des produits ainsi que la libre prestation des services et fausser les conditions de concurrence dans le marché commun. Selon ce considérant, il en résulte qu'il est nécessaire, en vue de l'établissement et du fonctionnement du marché intérieur, de rapprocher les législations des États membres. Le troisième considérant de la directive précise qu'il n'est pas nécessaire actuellement de procéder à un rapprochement total des législations nationales en matière de marques.

4.
    Aux termes du dixième considérant de la directive:

«[...] la protection conférée par la marque enregistrée, dont le but est notamment de garantir la fonction d'origine de la marque, est absolue en cas d'identité entre la marque et le signe et entre les produits ou services [...]»

5.
    L'article 5, paragraphe 1, de la directive dispose:

«La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a))d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b))d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque.»

6.
    L'article 5, paragraphe 3, sous a) et b), de la directive prévoit:

«Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit:

a))d'apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;

b))d'offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins [...]»

7.
    Aux termes de l'article 5, paragraphe 5, de la directive:

«Les paragraphes 1 à 4 n'affectent pas les dispositions applicables dans un État membre et relatives à la protection contre l'usage qui est fait d'un signe à des fins autres que celle de distinguer les produits ou services, lorsque l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.»

8.
    L'article 6, paragraphe 1, de la directive est libellé comme suit:

«Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires,

a) de son nom et de son adresse;

b) d'indications relatives à l'espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l'époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d'autres caractéristiques de ceux-ci;

c))de la marque lorsqu'elle est nécessaire pour indiquer la destination d'un produit ou d'un service, notamment en tant qu'accessoires ou pièces détachées,

pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.»

La réglementation nationale

9.
    Au Royaume-Uni, le droit des marques est régi par la Trade Marks Act 1994 (loi sur les marques de 1994) qui, afin de mettre en oeuvre la directive, a remplacé la Trade Marks Act 1938 (loi sur les marques de 1938).

10.
    L'article 10, paragraphe 1, de la Trade Marks Act 1994 dispose:

«Une personne se rend coupable de contrefaçon de marque enregistrée si elle fait usage, dans la vie des affaires, d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels elle est enregistrée.»

11.
    Aux termes de l'article 10, paragraphe 2, sous b), de la Trade Marks Act 1994:

«Une personne se rend coupable de contrefaçon de marque enregistrée si elle fait usage, dans la vie des affaires, d'un signe pour lequel, en raison

[...]

b))de sa similitude avec la marque et de son usage pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée,

il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association avec la marque.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12.
    Arsenal FC est un club de football renommé qui évolue en première division anglaise. Également surnommé «the Gunners», il a pendant fort longtemps été associé à deux emblèmes, à savoir celui de l'écu («the crest device») et celui du canon («the canon device»).

13.
    En 1989, Arsenal FC a obtenu l'enregistrement comme marques, notamment, des mots «Arsenal» et «Arsenal Gunners» ainsi que des emblèmes du canon et de l'écu, pour une catégorie de produits comprenant des articles de confection, des vêtements de sport et des chaussures. Arsenal FC conçoit et fournit ses propres produits ou les fait fabriquer et fournir par l'intermédiaire de son réseau de revendeurs agréés.

14.
    Ses activités commerciales et promotionnelles dans le domaine de la vente, sous lesdites marques, de souvenirs et de produits dérivés prenant ces dernières années un très grand essor et lui procurant d'importants revenus, Arsenal FC a cherché à faire en sorte que les produits «officiels» - c'est-à-dire les produits fabriqués pour Arsenal FC ou avec son autorisation - puissent être identifiés clairement et a essayé de convaincre ses supporters de n'acheter que de tels produits. De plus, il a engagé des actions judiciaires, tant au civil qu'au pénal, à l'encontre de commerçants vendant des produits non officiels.

15.
    Depuis 1970, M. Reed vend des souvenirs et d'autres produits dérivés du football, presque tous revêtus de signes évoquant Arsenal FC, dans plusieurs échoppes situées à l'extérieur de l'enceinte du stade d'Arsenal FC. Il n'a pu obtenir de la société KT Sports, chargée par le club de vendre ses produits aux revendeurs situés autour dudit stade, que de très petites quantités de ces produits officiels. En 1991 et en 1995, Arsenal FC a fait confisquer des articles non officiels détenus par M. Reed.

16.
    La juridiction de renvoi indique qu'il n'est pas contesté en l'espèce au principal, que, dans une de ses échoppes, M. Reed a vendu et proposé à la vente des écharpes revêtues de signes évoquant Arsenal FC inscrits en grands caractères et qu'il s'agissait en l'occurrence de produits non officiels.

17.
    Elle indique en outre que, dans ladite échoppe figurait un grand panneau portant le texte suivant:

«Le mot ou le(s) logo(s) reproduits sur les objets vendus ne sont que des ornements et n'impliquent pas ni n'indiquent une relation quelconque avec les fabricants ou distributeurs de tout autre objet. Seuls les produits revêtus d'étiquettes attestant qu'il s'agit de produits officiels d'Arsenal sont des produits officiels d'Arsenal.»

18.
    De plus, la juridiction de renvoi relève que, quand il a pu, exceptionnellement, se procurer des articles officiels, M. Reed a, dans ses contacts avec ses clients, clairement distingué les produits officiels des produits non officiels, notamment en apposant une étiquette portant la mention «officiel». Par ailleurs, les produits officiels étaient vendus à des prix supérieurs.

19.
    Considérant que, en vendant les écharpes non officielles en cause, M. Reed avait, d'une part, engagé sa responsabilité non contractuelle en raison d'un «passing off» - à savoir, selon la juridiction de renvoi, le comportement d'un tiers induisant en erreur de telle sorte qu'un grand nombre de personnes croit ou est amené à croire que les objets vendus par ce tiers sont des objets du requérant ou vendus avec son autorisation ou présentant un lien de nature commerciale avec lui - et s'était, d'autre part, rendu coupable de contrefaçon de marque, Arsenal FC a introduit contre ce commerçant une action devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division.

20.
    Au vu des circonstances de l'espèce au principal, la juridiction de renvoi a débouté Arsenal FC de son action en responsabilité non contractuelle (pour «passing off»), au motif que, en substance, ce club n'avait pas pu prouver l'existence d'une réelle confusion dans le chef du public concerné et, plus particulièrement, n'avait pas pu démontrer que tous les produits non officiels vendus par M. Reed étaient considérés par le public comme provenant d'Arsenal FC ou autorisés par lui. À cet égard, la juridiction de renvoi a notamment relevé qu'il lui semblait que les signes évoquant Arsenal FC, apposés sur les objets vendus par M. Reed, ne comportaient aucune indication relative à l'origine de ceux-ci.

21.
    Quant au grief d'Arsenal FC relatif à la contrefaçon de ses marques et tiré de l'article 10, paragraphes 1 et 2, sous b), de la Trade Marks Act 1994, la juridiction de renvoi a rejeté l'argument d'Arsenal FC selon lequel l'usage fait par M. Reed des signes enregistrés comme marques était perçu par ceux auxquels ils étaient destinés comme indiquant la provenance des produits («badge of origin») et constituait donc un usage de ces signes «en tant que marques» («trademark use»).

22.
    En effet, selon cette juridiction, les signes apposés sur les produits de M. Reed étaient perçus par le public comme des témoignages de soutien, de loyauté ou d'attachement («badge of support, loyalty or affiliation»).

23.
    Au vu de ces éléments, la juridiction de renvoi a considéré que l'action d'Arsenal FC en contrefaçon ne pouvait aboutir que si la protection conférée au titulaire de marque par l'article 10 de la Trade Marks Act 1994 et par la directive que cette loi transpose interdisait à un tiers un usage autre qu'un usage en tant que marque, ce qui supposerait une interprétation large de ces textes.

24.
    À cet égard, la juridiction de renvoi juge que la thèse selon laquelle un usage autre qu'un usage en tant que marque est interdit à un tiers présente des incohérences. Toutefois, la thèse inverse, à savoir celle selon laquelle seul l'usage en tant que marque est réglementé, se heurterait à une difficulté liée au libellé de la directive et de la Trade Marks Act 1994, qui définissent la contrefaçon comme l'usage d'un «signe» et non comme l'usage d'une «marque».

25.
    La juridiction de renvoi relève que c'est notamment au vu de ce libellé que la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni) a jugé, dans l'arrêt Philips Electronics Ltd/Remington Consumer Products ([1999] RPC 809), que l'usage d'un signe, enregistré comme marque, autrement qu'en tant que marque pouvait constituer une violation d'un droit de marque. La High Court observe que l'état du droit sur cette question reste toutefois incertain.

26.
    Par ailleurs, la juridiction de renvoi a rejeté l'argument de M. Reed quant à l'invalidité prétendue des marques d'Arsenal FC.

27.
    Dans ces circonstances, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1))Dans une situation où une marque est régulièrement enregistrée et:

a))un tiers utilise dans le cadre de ses activités commerciales un signe identique à ladite marque et l'appose sur des produits identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, et

b))le tiers ne peut invoquer pour sa défense les dispositions de l'article 6, paragraphe 1, de la directive 89/104/CEE [...],

ce tiers peut-il invoquer des limitations aux effets de la marque au motif que l'usage qui lui est reproché ne comprend aucune indication d'origine (à savoir un lien dans la vie des affaires entre les produits et le titulaire de la marque)?

2))Dans l'affirmative, le fait qu'une telle utilisation soit perçue comme un signe de soutien, de loyauté ou d'attachement au titulaire de la marque est-il susceptible de constituer un lien suffisant?»

Sur les questions préjudicielles

28.
    Il convient d'examiner conjointement les deux questions préjudicielles.

Observations soumises à la Cour

29.
    Arsenal FC fait valoir que l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive permet au titulaire de la marque d'interdire l'usage d'un signe identique à la marque et n'assujettit nullement l'exercice de ce droit d'opposition à la condition que le signe soit utilisé en tant que marque. La protection conférée par cette disposition s'étend donc à l'usage du signe par un tiers même lorsque cet usage n'accrédite pas l'existence d'un lien entre le produit et le titulaire de la marque. Cette interprétation serait corroborée par l'article 6, paragraphe 1, de la directive puisque les limitations particulières à l'exercice des droits découlant de la marque prévues à cet article montreraient qu'un tel usage tombe en principe dans le champ d'application de l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive et qu'il n'est permis que dans les cas prévus de façon exhaustive à l'article 6, paragraphe 1, de la directive.

30.
    À titre subsidiaire, Arsenal FC fait valoir que, en l'occurrence, l'usage qu'a fait M. Reed du signe identique à la marque Arsenal doit en tout état de cause être qualifié d'usage de la marque en tant que marque au motif que cet usage donne une indication quant à la provenance des produits et qu'il n'importe pas que ce soit le titulaire de la marque qui soit ainsi désigné.

31.
    M. Reed soutient que les activités commerciales en cause au principal ne tombent pas sous le coup de l'article 5, paragraphe 1, de la directive, car Arsenal FC n'aurait pas établi que le signe était utilisé en tant que marque, c'est-à-dire pour indiquer la provenance des produits, ainsi que l'exigerait la directive et, plus particulièrement, l' article 5 de celle-ci. Si le public ne percevait pas le signe comme une indication d'origine, l'usage ne constituerait pas un usage du signe en tant que marque. Quant à l'article 6 de la directive, rien dans cette disposition n'indiquerait qu'elle contient une liste exhaustive des activités qui ne sont pas constitutives de contrefaçon.

32.
    La Commission fait valoir que le droit que tire le titulaire d'une marque de l'article 5, paragraphe 1, de la directive est indépendant de la circonstance que le tiers n'utilise pas le signe en tant que marque et, en particulier, de la circonstance que le tiers ne l'utilise pas à titre d'indication d'origine mais informe le public par d'autres moyens que les produits ne proviennent pas du titulaire de la marque, voire que l'usage du signe n'a pas été autorisé par ce dernier. L'objet spécifique de la marque serait en effet de garantir que seul le titulaire peut donner au produit son identité d'origine par l'apposition de la marque. La Commission soutient en outre qu'il découle du dixième considérant de la directive que la protection prévue à l'article 5, paragraphe 1, sous a), de celle-ci est absolue.

33.
    Lors de l'audience, la Commission a ajouté que la notion d'usage de la marque en tant que marque, si elle est reconnue pertinente, se réfère à un usage servant à distinguer des produits plutôt qu'à indiquer leur origine. Cette notion couvrirait également des usages par des tiers affectant les intérêts du titulaire de la marque, tels que celui de la réputation des produits. En tout état de cause, la perception par le public du mot «Arsenal», identique à une marque verbale, comme un témoignage de soutien, de loyauté ou d'attachement au titulaire de la marque n'exclurait pas que les produits concernés soient aussi perçus de ce fait comme provenant du titulaire de la marque. Bien au contraire, une telle perception confirmerait le caractère distinctif de la marque et augmenterait le risque que les produits soient perçus comme provenant du titulaire de la marque. Partant, même si l'usage de la marque en tant que marque était un critère pertinent, ledit titulaire devrait être en droit d'interdire l'activité commerciale en cause au principal.

34.
    L'Autorité de surveillance AELE soutient que, pour que l'article 5, paragraphe 1, de la directive puisse être invoqué par le titulaire de la marque, le tiers doit faire usage du signe afin de distinguer, comme c'est la fonction première et traditionnelle de la marque, des produits ou des services, c'est-à-dire utiliser la marque en tant que marque. Si cette condition n'était pas remplie, seules les dispositions du droit national visées à l'article 5, paragraphe 5, de la directive pourraient être invoquées par le titulaire.

35.
    Cependant, la condition d'usage de la marque en tant que marque au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la directive, qui devrait être comprise comme une condition d'usage d'un signe identique à la marque aux fins de distinguer des produits ou des services, serait une notion de droit communautaire qui devrait recevoir un sens large, englobant notamment l'usage comme un témoignage de soutien, de loyauté ou d'attachement au titulaire de la marque.

36.
    Selon l'Autorité de surveillance AELE, la circonstance que le tiers apposant la marque sur des produits indique que ceux-ci ne proviennent pas du titulaire de la marque n'exclurait pas un risque de confusion pour un cercle plus large de consommateurs. Si le titulaire n'avait pas le droit de s'opposer à ce que des tiers agissent de la sorte, il pourrait en résulter un usage généralisé du signe qui, au bout du compte, dépouillerait la marque de son caractère distinctif, mettant ainsi sa fonction première et traditionnelle en péril.

Réponse de la Cour

37.
    Il convient de rappeler, à titre liminaire, que l'article 5 de la directive définit les «[d]roits conférés par la marque» et que son article 6 contient des règles relatives à la «[l]imitation des effets de la marque».

38.
    Selon l'article 5, paragraphe 1, première phrase, de la directive, la marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Aux termes du même paragraphe, sous a), ce droit exclusif habilite le titulaire à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires, d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée. L'article 5, paragraphe 3, de la directive énumère de façon non exhaustive les types d'usage que le titulaire peut interdire au titre du paragraphe 1 de cet article. D'autres dispositions de la directive, tel l'article 6, définissent certaines limitations des effets de la marque.

39.
    S'agissant de la situation en cause au principal, il y a lieu de relever que, ainsi qu'il ressort en particulier du point 19 et de l'annexe V de l'ordonnance de renvoi, le mot «Arsenal» figure en grands caractères sur les écharpes mises en vente par M. Reed et est accompagné d'autres mentions significativement moins visibles, notamment «the Gunners», qui se réfèrent toutes au titulaire de la marque, à savoir Arsenal FC. Ces écharpes sont destinées, entre autres, aux supporters d'Arsenal FC, qui les portent notamment lors des compétitions auxquelles le club participe.

40.
    Dans ces circonstances, ainsi que l'a relevé la juridiction de renvoi, l'usage du signe identique à la marque a bien lieu dans la vie des affaires, dès lors qu'il se situe dans le contexte d'une activité commerciale visant à un avantage économique et non dans le domaine privé. Il s'agit en outre de l'hypothèse visée à l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive, à savoir celle d'un signe identique à la marque pour des produits identiques à ceux pour lesquels celle-ci a été enregistrée.

41.
    À cet égard, il convient de constater en particulier que l'usage en cause au principal est fait «pour des produits» au sens de l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive puisqu'il a trait à l'apposition du signe identique à la marque sur des produits ainsi qu'à l'offre, à la mise en commerce ou à la détention à ces fins de produits, au sens de l'article 5, paragraphe 3, sous a) et b), de la directive.

42.
    Afin de répondre aux questions préjudicielles, il est nécessaire de déterminer si l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive habilite le titulaire de la marque à interdire tout usage dans la vie des affaires par un tiers d'un signe identique à la marque pour des produits identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ou si ce droit d'opposition présuppose la présence d'un intérêt spécifique du titulaire en tant que titulaire de la marque, en ce que l'usage du signe en question par un tiers devrait affecter ou être susceptible d'affecter une des fonctions de la marque.

43.
    À cet égard, il convient, premièrement, de rappeler que l'article 5, paragraphe 1, de la directive procède à une harmonisation complète et définit le droit exclusif dont jouissent les titulaires de marques dans la Communauté (voir, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2001, Zino Davidoff et Levi Strauss, C-414/99 à C-416/99, Rec. p. I-8691, point 39, et jurisprudence citée).

44.
    Le neuvième considérant de la directive indique que celle-ci vise à assurer au titulaire de la marque une «même protection dans la législation de tous les États membres» et qualifie cet objectif de «fondamental».

45.
    Afin d'éviter que la protection accordée au titulaire de la marque varie d'un État à l'autre, il appartient dès lors à la Cour de donner une interprétation uniforme de l'article 5, paragraphe 1, de la directive et en particulier de la notion d'«usage» y figurant, qui fait l'objet des questions préjudicielles dans la présente affaire (voir, en ce sens, arrêt Zino Davidoff et Levi Strauss, précité, points 42 et 43).

46.
    Il y a lieu, deuxièmement, de relever que la directive a pour objet, ainsi qu'il ressort de son premier considérant, d'abolir les disparités entre les législations des États membres sur les marques qui peuvent entraver la libre circulation des produits et la libre prestation des services ainsi que fausser les conditions de concurrence dans le marché commun.

47.
    Le droit de marque constitue en effet un élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité entend établir et maintenir. Dans un tel système, les entreprises doivent être en mesure de s'attacher la clientèle par la qualité de leurs produits ou de leurs services, ce qui n'est possible que grâce à l'existence de signes distinctifs permettant de les identifier (voir, notamment, arrêts du 17 octobre 1990, Hag GF, C-10/89, Rec. p. I-3711, point 13, et du 4 octobre 2001, Merz & Krell, C- 517/99, Rec. p. I-6959, point 21).

48.
    Dans cette perspective, la fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou service de ceux qui ont une autre provenance. En effet, pour que la marque puisse jouer son rôle d'élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité entend établir et maintenir, elle doit constituer la garantie que tous les produits ou services qu'elle désigne ont été fabriqués ou fournis sous le contrôle d'une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité (voir, notamment, arrêts du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche, 102/77, Rec. p. 1139, point 7, et du 18 juin 2002, Philips, C-299/99, non encore publié au Recueil, point 30).

49.
    Le législateur communautaire a consacré cette fonction essentielle de la marque en disposant, à l'article 2 de la directive, que les signes susceptibles d'une représentation graphique ne peuvent constituer une marque qu'à la condition qu'ils soient propres à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises (voir, notamment, arrêt Merz & Krell, précité, point 23).

50.
    Pour que cette garantie de provenance, qui constitue la fonction essentielle de la marque, puisse être assurée, le titulaire de la marque doit être protégé contre les concurrents qui voudraient abuser de la position et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment pourvus de celle-ci (voir, notamment, arrêts Hoffmann-La Roche, précité, point 7, et du 11 novembre 1997, Loendersloot, C-349/95, Rec. p. I-6227, point 22). À cet égard, le dixième considérant de la directive souligne le caractère absolu de la protection conférée par la marque en cas d'identité entre la marque et le signe et entre les produits ou services en cause et ceux pour lesquels la marque a été enregistrée. Il indique que cette protection a notamment pour but de garantir la fonction d'origine de la marque.

51.
    Il découle de ces considérations que le droit exclusif prévu à l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive a été octroyé afin de permettre au titulaire de la marque de protéger ses intérêts spécifiques en tant que titulaire de la marque, c'est-à-dire d'assurer que la marque puisse remplir ses fonctions propres. L'exercice de ce droit doit dès lors être réservé aux cas dans lesquels l'usage du signe par un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque et notamment à sa fonction essentielle qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit.

52.
    En effet, la nature exclusive du droit conféré par la marque enregistrée au titulaire de celle-ci en vertu de l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive ne peut être justifiée que dans les limites du champ d'application de cette disposition.

53.
    Il y a lieu à cet égard de rappeler que l'article 5, paragraphe 5, de la directive prévoit que l'article 5, paragraphes 1 à 4, de celle-ci n'affecte pas les dispositions applicables dans un État membre et relatives à la protection contre l'usage qui est fait d'un signe à des fins autres que celle de distinguer les produits ou services.

54.
    En effet, le titulaire ne pourrait pas interdire l'usage d'un signe identique à la marque pour des produits identiques à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée si cet usage ne peut porter préjudice à ses intérêts propres en tant que titulaire de la marque eu égard aux fonctions de celle-ci. Ainsi, certains usages à des fins purement descriptives sont exclus du champ d'application de l'article 5, paragraphe 1, de la directive puisqu'ils ne portent atteinte à aucun des intérêts que cette disposition vise à protéger et ne relèvent donc pas de la notion d'usage au sens de ladite disposition (voir, en ce qui concerne un usage à des fins purement descriptives quant aux caractéristiques du produit offert, arrêt du 14 mai 2002, Hölterhoff, C-2/00, Rec. p. I-4187, point 16).

55.
    À cet égard, force est de constater d'emblée que la situation de l'espèce au principal est fondamentalement différente de celle ayant donné lieu à l'arrêt Hölterhoff, précité. En l'occurrence, l'usage du signe se situe en effet dans le cadre de ventes à des consommateurs et n'est manifestement pas destiné à des fins purement descriptives.

56.
    Eu égard à la présentation du mot «Arsenal» sur les produits en cause au principal ainsi qu'aux autres mentions secondaires figurant sur ceux-ci (voir point 39 du présent arrêt), l'usage de ce signe est de nature à accréditer l'existence d'un lien matériel dans la vie des affaires entre les produits concernés et le titulaire de la marque.

57.
    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l'avertissement, figurant dans l'échoppe de M. Reed, selon lequel les produits en cause au principal ne sont pas des produits officiels d'Arsenal FC (voir le point 17 du présent arrêt). En effet, à supposer même qu'un tel avertissement puisse être invoqué par un tiers pour sa défense dans une procédure en contrefaçon de marque, force est de constater que, en l'espèce au principal, il ne saurait être exclu que certains consommateurs, notamment si les produits leur sont présentés après qu'ils ont été vendus par M. Reed et ont été emportés hors de l'échoppe où figurait l'avertissement, interprètent le signe comme désignant Arsenal FC en tant qu'entreprise de provenance des produits.

58.
    Il y a lieu de constater, par ailleurs, que, en l'espèce au principal, il n'est pas non plus garanti, ainsi que l'exige pourtant la jurisprudence de la Cour rappelée au point 48 du présent arrêt, que tous les produits désignés par la marque ont été fabriqués ou fournis sous le contrôle d'une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité.

59.
    En effet, les produits en cause au principal sont fournis en dehors du contrôle d'Arsenal FC en tant que titulaire de la marque, car il est constant que lesdits produits ne proviennent pas d'Arsenal FC ni de ses revendeurs agréés.

60.
    Dans ces circonstances, l'usage d'un signe identique à la marque en cause au principal est susceptible de mettre en péril la garantie de provenance qui constitue la fonction essentielle de la marque, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour rappelée au point 48 du présent arrêt. Partant, il s'agit d'un usage auquel le titulaire de la marque peut s'opposer conformément à l'article 5, paragraphe 1, de la directive.

61.
    Dès lors qu'il est constaté que, en l'espèce au principal, l'usage du signe concerné par le tiers est susceptible d'affecter la garantie de provenance du produit et que le titulaire de la marque doit pouvoir s'y opposer, cette conclusion ne saurait être remise en cause par la circonstance que ledit signe est perçu, dans le cadre de cet usage, comme un témoignage de soutien, de loyauté ou d'attachement au titulaire de la marque.

62.
    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi que, dans une situation ne relevant pas de l'article 6, paragraphe 1, de la directive où un tiers utilise dans la vie des affaires un signe identique à une marque valablement enregistrée sur des produits identiques à ceux pour lesquels elle est enregistrée, le titulaire de la marque peut, dans un cas d'espèce tel que celui en cause au principal, s'opposer à cet usage conformément à l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive. Cette conclusion ne saurait être remise en cause par la circonstance que ledit signe est perçu, dans le cadre de cet usage, comme un témoignage de soutien, de loyauté ou d'attachement au titulaire de la marque.

Sur les dépens

63.
    Les frais exposés par la Commission et par l'Autorité de surveillance AELE, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, par ordonnance du 4 mai 2001, dit pour droit:

1)    Dans une situation ne relevant pas de l ' article 6, paragraphe 1, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, où un tiers utilise dans la vie des affaires un signe identique à une marque valablement enregistrée sur des produits identiques à ceux pour lesquels elle est enregistrée, le titulaire de la marque peut, dans un cas d'espèce tel que celui en cause au principal, s'opposer à cet usage conformément à l'article 5, paragraphe 1, sous a), de ladite directive. Cette conclusion ne saurait être remise en cause par la circonstance que ledit signe est perçu, dans le cadre de cet usage, comme un témoignage de soutien, de loyauté ou d'attachement au titulaire de la marque.

Rodríguez Iglesias
Puissochet

Wathelet

Timmermans

Gulmann

Edward

Jann

Skouris

Macken

Colneric

von Bahr

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 novembre 2002

Le greffier

Le président

R. Grass

G. C. Rodríguez Iglesias


1: Langue de procédure: anglais