ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

1er octobre 2019 (*) 

« Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande d’enregistrement de la marque figurative comportant l’élément verbal “pear” – Marque figurative antérieure représentant une pomme – Motif relatif de refus – Règlement (CE) no 207/2009 – Article 8, paragraphe 5 – Absence de similitude entre les signes en conflit – Pourvoi manifestement non fondé »

Dans l’affaire C‑295/19 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 10 avril 2019,

Apple Inc., établie à Cupertino (États-Unis), représentée par MM. G. Tritton et J. Muir Wood, barristers, mandatés par MM. J. Olsen et P. Andreottola, solicitors,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Pear Technologies Ltd, établie à Macau (Chine),

partie demanderesse en première instance,

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO),

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. F. Biltgen (rapporteur), président de chambre, M. C. G. Fernlund et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, Apple Inc. demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 31 janvier 2019, Pear Technologies/EUIPO – Apple (PEAR) (T‑215/17, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2019:45), par lequel celui-ci a accueilli le recours de Pear Technologies Ltd tendant à l’annulation de la décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 18 janvier 2017 (affaire R 860/2016–5), relative à une procédure d’opposition entre Apple et Pear Technologies.

2        Cette procédure d’opposition a été introduite par Apple, titulaire d’une marque de l’Union européenne figurative antérieure en forme de pomme, contre une demande d’enregistrement, par Pear Technologies, d’un signe figuratif en forme de poire assorti de l’élément verbal « pear », en tant que marque de l’Union européenne.

3        À l’appui de son pourvoi, la requérante invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) n°2015/2424 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015 (JO 2015, L 341, p. 21) (ci-après le « règlement no 207/2009 »).

 Sur le pourvoi

4        En vertu de l’article 181 de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de rejeter ce pourvoi, totalement ou partiellement, par voie d’ordonnance motivée.

5        Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

6        M. l’avocat général a, le 9 juillet 2019, pris la position suivante :

« 1.      Pour les raisons exposées ci-après, je propose à la Cour, conformément à l’article 181 de son règlement de procédure, de rejeter le présent pourvoi comme manifestement non fondé et de condamner la requérante aux dépens, conformément à l’article 137 et à l’article 184, paragraphe 1, du règlement de procédure.

2.      À l’appui de son pourvoi, la requérante invoque un seul moyen, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement [no 207/2009].

3.      Je rappelle que, aux termes de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009, “[s]ur opposition du titulaire d’une marque antérieure enregistrée au sens du paragraphe 2, la marque demandée est refusée à l’enregistrement si elle est identique ou similaire à une marque antérieure, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels elle est demandée sont identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque cette marque antérieure est une marque de l’Union européenne qui jouit d’une renommée dans l’Union ou une marque nationale qui jouit d’une renommée dans l’État membre concerné et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque antérieure ou leur porterait préjudice” [...]

4.      S’agissant de la première branche du moyen unique, la requérante reproche au Tribunal, en substance, une violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009, en ce qu’il n’aurait jamais examiné, in concreto, l’existence d’une similitude quelconque entre les deux marques en conflit et qu’il aurait écarté l’existence d’une telle similitude ainsi que l’application de cette disposition sur le fondement d’un examen abstrait. Or, la question juridique qu’il aurait dû se poser était celle de savoir si les différences entre ces marques suffisaient à exclure l’établissement d’un lien entre celles-ci par le public pertinent, compte tenu du caractère distinctif et de la renommée internationale de la marque antérieure ainsi que du niveau d’attention élevé du public pertinent.

5.      À mon avis, il convient de rejeter cette branche, dans la mesure où le Tribunal a conclu à l’absence de similitude entre les marques en conflit et a donc annulé la décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 18 janvier 2017 (affaire R 860/2016–5), relative à une procédure d’opposition entre Apple et Pear Technologies, qui avait constaté un faible degré de similitude sur les plans visuel et conceptuel, sans examiner les autres branches du moyen unique du recours.

6.      À cet égard, il suffit de relever que le Tribunal s’est conformé à la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’identité ou la similitude entre les marques en conflit est une condition nécessaire de l’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009 (voir, en ce sens, ordonnance du 27 octobre 2010, Guedes – Indústria e Comércio/OHMI, C‑342/09 P, non publiée, EU:C:2010:639, point 25), la similitude devant être suffisante pour que le public concerné établisse un lien entre celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2011, Ferrero/OHMI, C‑552/09 P, EU:C:2011:177, points 52 et 53).

7.      D’une part, ainsi que la Cour l’a rappelé au point 65 de ce dernier arrêt, si l’appréciation globale implique une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte, un faible degré de similitude entre les marques pouvant ainsi être compensé par un fort caractère distinctif de la marque antérieure [voir, en ce sens, arrêt du 7 mai 2009, Waterford Wedgwood/Assembled Investments (Proprietary), C‑398/07 P, non publié, EU:C:2009:288, point 33], il n’en demeure pas moins que, en l’absence de toute similitude entre la marque antérieure et la marque contestée, la notoriété ou la renommée de la marque antérieure de même que l’identité ou la similitude des produits ou des services concernés ne suffisent pas pour constater l’existence d’un risque de confusion entre les marques en conflit ou d’un lien entre celles-ci dans l’esprit du public concerné (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2010, Calvin Klein Trademark Trust/OHMI, C‑254/09 P, EU:C:2010:488, point 53 et jurisprudence citée).

8.      D’autre part, ainsi qu’il ressort du point 66 de l’arrêt du 24 mars 2011, Ferrero/OHMI (C‑552/09 P, EU:C:2011:177), cité par la requérante elle-même, l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 207/2009 est manifestement inapplicable lorsque le Tribunal écarte toute similitude entre les marques en conflit et c’est uniquement dans l’hypothèse où celles-ci présentent une certaine similitude, même faible, qu’il incombe à ladite juridiction de procéder à une appréciation globale afin de déterminer si, nonobstant le faible degré de similitude entre ces marques, il existe, en raison de la présence d’autres facteurs pertinents, tels que la notoriété ou la renommée de la marque antérieure, un lien entre lesdites marques dans l’esprit du public concerné.

9.      À titre surabondant, il pourrait être relevé que, contrairement à ce que prétend la requérante, le Tribunal a bien effectué un examen concret et détaillé du degré de similitude des marques en conflit, tant sur le plan visuel (points 24 à 54 de l’arrêt attaqué) que conceptuel (points 55 à 79 de l’arrêt attaqué), en tenant compte de la perception de ces marques par le public pertinent.

10.      Partant, la première branche du moyen unique doit être rejetée comme manifestement non fondée.

11.      Par la deuxième branche, la requérante reproche au Tribunal, en substance, d’avoir omis de prendre en considération les services et les biens pour lesquels la protection a été demandée dans le contexte de l’appréciation du caractère similaire de deux marques en conflit. La requérante soutient que si l’on recherche si deux marques figuratives représentant une pomme et une poire sont similaires sur le plan conceptuel, de sorte que la marque contestée évoquerait dans l’esprit du public pertinent la marque antérieure, il est évident que la marque antérieure sera bien moins facilement évoquée dans son esprit si les deux marques sont utilisées notamment pour des fruits, des services de livraison de fruits et légumes que pour des produits électroniques, dès lors qu’une pomme et une poire ne décrivent en aucune manière une caractéristique de tels produits.

12.      Or, en faisant valoir que l’absence de rapport entre les marques en conflit et les produits et services visés par celles-ci est pertinente pour l’appréciation de la similitude conceptuelle entre ces marques, la requérante méconnaît la portée de l’arrêt du 24 mars 2011, Ferrero/OHMI (C‑552/09 P, EU:C:2011:177), que le Tribunal cite à juste titre au point 60 de l’arrêt attaqué, et au point 58 duquel la Cour a jugé que le caractère distinctif de la marque antérieure constitue un facteur pertinent pour l’appréciation non pas de la similitude des marques en conflit, mais de l’existence d’un lien entre celles-ci dans l’esprit du public concerné. En effet, audit point 60, le Tribunal rejette l’argument selon lequel “il convient de tenir compte [...] du fait qu’il n’existe aucun rapport entre les poires et les pommes et les produits et les services visés par les marques en conflit”.

13.      Il s’ensuit que la deuxième branche du moyen unique doit également être rejetée comme manifestement non fondée.

14.      Enfin, en ce qui concerne la troisième branche, la requérante reproche au Tribunal, en substance, d’une part, d’avoir omis de prendre en considération, lors de son appréciation de la similitude conceptuelle des marques en conflit, les nombreuses caractéristiques qu’elles partagent. Elle conteste, d’autre part, la prise en considération, par le Tribunal, de la représentation réelle de ces marques.

15.      Je suis d’avis que le Tribunal s’est conformé à la jurisprudence de la Cour tant dans le cadre de son examen qu’à l’appui de sa décision selon laquelle il n’existe pas de similitude conceptuelle entre les marques en conflit.

16.      En effet, le Tribunal, au point 71 de l’arrêt attaqué, a apprécié à bon droit la pertinence des éléments dans le cadre de la comparaison conceptuelle des marques, telle qu’elle découle de l’arrêt du 11 novembre 1997, SABEL (C‑251/95, EU:C:1997:528). À cet égard, le Tribunal a précisé le contexte dudit arrêt, rendu dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, dans lequel la Cour n’a pas tranché cette question ni effectué une comparaison des signes en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, mais s’est basée sur les constatations de la juridiction de renvoi selon lesquelles ces signes étaient similaires sur le plan conceptuel.

17.      De plus, le Tribunal a relevé que la similitude conceptuelle entre les signes en cause dans cette affaire reposait, selon la juridiction de renvoi, sur le fait que tous deux utilisaient l’image d’un “félin bondissant” et donc ne reposait pas sur le fait que les pumas et les guépards en cause dans ladite affaire partageaient, dans la vie réelle, plusieurs caractéristiques.

18.      À mon avis, il suffit de relever que le Tribunal a appliqué correctement l’enseignement qui se dégage de l’arrêt du 11 novembre 1997, SABEL (C‑251/95, EU:C:1997:528), notamment de son point 24, ainsi que sa propre jurisprudence, rappelée au point 22 de l’arrêt attaqué, en se fondant sur la comparaison des marques en conflit portant sur une impression d’ensemble produite par ces dernières.

19.      D’ailleurs, s’agissant de la prise en considération, par le Tribunal, de la représentation réelle des marques en conflit, il convient d’ajouter que l’obligation de motivation n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige et que la motivation du Tribunal peut donc être implicite, à la condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle.

20.      Tel est le cas en l’espèce. Partant, la troisième branche du moyen unique doit, elle aussi, être rejetée comme manifestement non fondée.

21.      Il s’ensuit que le moyen unique doit, à mon avis, être rejeté, dans son ensemble, comme manifestement non fondé.

22.      Dès lors que le moyen unique doit être rejeté, il y a lieu de rejeter le pourvoi et de condamner la requérante aux dépens, conformément à l’article 137 et à l’article 184, paragraphe 1, du règlement de procédure. »

7        Pour les motifs retenus par M. l’avocat général, il y a lieu de rejeter le pourvoi comme étant manifestement non fondé.

 Sur les dépens

 En application de l’article 137 du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance étant adoptée avant que le pourvoi ne soit signifié aux autres parties à la procédure et, par conséquent, avant que celles-ci n’aient pu exposer des dépens, il convient de décider que Apple supportera ses propres dépens.


Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) ordonne :

1)      Le pourvoi est rejeté comme étant manifestement non fondé.

2)      Apple Inc. supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.