ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(deuxième chambre)

15 septembre 2011


Affaire F-102/09


Kelly-Marie Bennett e.a.

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur
(marques, dessins et modèles) (OHMI)

« Fonction publique – Agents temporaires – Contrat à durée indéterminée assorti d’une clause de résiliation – Concours généraux – Recevabilité – Acte faisant grief – Articles 8 et 47 du RAA – Obligation de motivation – Devoir de sollicitude – Principe de bonne administration – Confiance légitime – Principe d’exécution de bonne foi des contrats – Détournement de pouvoir »

Objet :      Recours, introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis, par lequel Mme Bennett et treize autres agents temporaires ou anciens agents temporaires de l’OHMI demandent, notamment, l’annulation des décisions de l’OHMI, du 12 mars 2009, portant résiliation de leurs contrats, ainsi que la réparation du préjudice moral prétendument subi.

Décision :      Mme Infante Seco Herrera est radiée de la liste des requérants. La décision du 12 mars 2009 de l’OHMI de résilier le contrat d’agent temporaire de Mmes Bennett, Galle, Nuti, Scardocchia et Schmidt, ainsi que MM. Chertier González, Guarinos Viňals et Ramirez Battistig requérants est annulée. L’OHMI est condamné à verser à Mmes Bennett, Galle, Nuti, Scardocchia et Schmidt, ainsi qu’à MM. Chertier González, Guarinos Viňals et Ramirez Battistig la différence entre le montant de la rémunération auquel ils auraient pu prétendre s’ils étaient restés en fonctions en son sein et la rémunération, les indemnités de chômage ou toute autre indemnité de remplacement qu’ils ont pu effectivement percevoir par ailleurs depuis le 15 octobre 2009. Le recours est rejeté pour le surplus. L’OHMI supporte les trois quarts de ses propres dépens et les dépens de Mmes Bennett, Galle, Nuti, Scardocchia et Schmidt, ainsi que de MM. Chertier González, Guarinos Viňals et Ramirez Battistig. Mmes Dickmanns et Forzy, ainsi que MM. Bianchi, Ruiz Molina et Zaragoza Gomez supportent leurs propres dépens et le quart des dépens de l’OHMI. Mme Infante Seco Herrera supporte ses propres dépens.

Sommaire

1.      Fonctionnaires – Recours – Acte faisant grief – Notion – Lettre adressée à un agent temporaire et lui rappelant la date d’expiration de son contrat – Exclusion – Modification d’un contrat – Décision de ne pas renouveler un contrat – Inclusion

(Statut des fonctionnaires, art. 90, § 2)

2.      Fonctionnaires – Recours – Acte faisant grief – Notion – Clause d’un contrat d’agent temporaire subordonnant le maintien de la relation de travail à l’inscription de l’agent sur la liste de réserve d’un concours général – Décision de l’administration constatant la non-inscription de l’agent sur ladite liste et mettant en œuvre la clause de résiliation – Inclusion

(Statut des fonctionnaires, art. 90, § 2)

3.      Fonctionnaires – Agents temporaires – Recrutement – Modification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et insertion d’une clause de résiliation en cas de non-inscription de l’agent sur la liste de réserve d’un concours général – Modification s’analysant comme le renouvellement d’un contrat à durée déterminée

[Régime applicable aux autres agents, art. 2, a), b) et d), et 8, al. 1 et 2 ; directive du Conseil 1999/70, annexe, clauses 1, b), 3, point 1, et 5, § 1, b) et c)]

4.      Procédure – Requête introductive d’instance – Exigences de forme

[Règlement de procédure du Tribunal de la fonction publique, art. 35, § 1, e)]

5.      Fonctionnaires – Recours – Compétence de pleine juridiction – Litiges à caractère pécuniaire au sens de l’article 91, paragraphe 1, du statut – Notion

(Statut des fonctionnaires, art. 91, § 1)

1.      Un acte qui ne contient aucun élément nouveau par rapport à un acte antérieur constitue un acte purement confirmatif de celui-ci et ne saurait, de ce fait, avoir pour effet d’ouvrir un nouveau délai de recours. En particulier, une lettre se bornant à rappeler à un agent les stipulations de son contrat relatives à la date d’expiration de celui-ci et ne contenant ainsi aucun élément nouveau par rapport auxdites stipulations ne constitue pas un acte faisant grief.

En revanche, constitue un acte faisant grief toute modification d’un contrat, mais ce uniquement pour ce qui est des stipulations ayant été modifiées, à moins que lesdites modifications n’entraînent un bouleversement de l’économie générale du contrat. De même, dans le cas où le contrat peut faire l’objet d’un renouvellement, la décision prise par l’administration de ne pas le renouveler constitue un acte faisant grief, distinct du contrat en question et susceptible de faire l’objet d’une réclamation et d’un recours dans les délais statutaires. En effet, une telle décision, qui intervient à la suite d’un réexamen de l’intérêt du service et de la situation de l’intéressé, contient un élément nouveau par rapport au contrat initial et ne saurait être regardée comme purement confirmative de celui-ci.

(voir points 56 à 59)

Référence à :

Cour : 10 décembre 1980, Grasselli/Commission, 23/80, point 18 ; 9 juillet 1987, Castagnoli/Commission, 329/85, points 10 et 11 ; 14 septembre 2006, Commission/Fernández Gómez, C‑417/05 P, point 46

Tribunal de première instance : 2 février 2001, Vakalopoulou/Commission, T‑97/00, point 14 ; 1er avril 2003, Mascetti/Commission, T‑11/01, point 41 ; 15 octobre 2008, Potamianos/Commission, T‑160/04, point 21

Tribunal de la fonction publique : 15 avril 2011, Daake/OHMI, F‑72/09 et F‑17/10, point 36

2.      Une lettre par laquelle l’administration constate l’existence d’un événement ou d’une situation nouvelle et en tire les conséquences prévues par une norme ou une disposition contractuelle à l’égard des personnes concernées constitue un acte faisant grief, car elle modifie la situation juridique de ses destinataires.

Tel est le cas d’une décision de l’administration constatant la non-inscription du nom d’un agent temporaire sur la liste de réserve d’un concours général donné et mettant en œuvre la clause de résiliation contenue dans le contrat de celui-ci, clause entraînant la résiliation de ce contrat en cas de survenance d’un événement déterminé, à savoir l’établissement de la liste de réserve du concours visé par ladite clause, dont la date était nécessairement incertaine au moment de la conclusion de celle-ci. Cette décision modifiant la situation juridique de l’agent constitue un acte faisant grief, susceptible de réclamation et, le cas échéant, de recours.

Aussi, ledit agent ne saurait-il être contraint d’attaquer cette clause dès la signature du contrat, alors même que la réunion des conditions dans lesquelles elle devrait s’appliquer demeure incertaine. L’insertion de la clause de résiliation faisant l’objet d’une opération complexe, il doit être loisible à l’agent de contester, par la voie incidente, la légalité de ladite clause, même de portée individuelle, à l’occasion de l’adoption par l’administration de la décision la mettant en œuvre, au stade ultime de l’opération.

(voir points 63, 64 et 80)

Référence à :

Tribunal de la fonction publique : Daake/OHMI, précité, points 34 et suivants

3.      La clause 1, sous b), de l’accord-cadre sur le travail a durée déterminée, qui figure en annexe de la directive 1999/70 concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, a pour objet d’établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs et, dans cette optique, il vise à circonscrire le recours successif aux contrats de travail à durée déterminée, considéré comme une source potentielle d’abus au détriment des travailleurs, en prévoyant un certain nombre de dispositions protectrices minimales destinées à éviter la précarisation de la situation des salariés. Or, l’article 8, premier et deuxième alinéas, du régime applicable aux autres agents tend précisément à limiter le recours à des contrats d’agent temporaire successifs. D’une part, le contrat d’agent temporaire, au sens de l’article 2, sous a), dudit régime, ne peut être renouvelé qu’une fois pour une durée déterminée, tout renouvellement ultérieur de cet engagement demeurant à durée indéterminée. D’autre part, le contrat d’agent temporaire, au sens de l’article 2, sous b) ou d), de ce régime, dont la durée ne peut excéder quatre ans, ne peut être renouvelé qu’une fois pour une durée de deux ans au plus, à condition que la possibilité de renouvellement ait été prévue dans le contrat initial, l’agent considéré ne pouvant être maintenu dans son emploi, à l’expiration de son contrat, que s’il a été nommé fonctionnaire. De telles dispositions correspondent aux mesures visées par la clause 5, paragraphe 1, sous b) et c), de l’accord-cadre, susceptibles de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.

La circonstance que le contrat de l’agent a été affecté d’une clause de résiliation, permettant à l’administration d’y mettre fin en cas de non-réussite par l’intéressé à un concours dont l’organisation avait été annoncée dans un certain délai, ne permet pas, nonobstant les termes du contrat, de qualifier celui-ci de contrat à durée indéterminée, lequel se caractérise par la stabilité de l’emploi. En effet, la durée d’un contrat, ainsi qu’il ressort de la clause 3, point 1, de l’accord-cadre, peut être déterminée non seulement par « l’atteinte d’une date précise », mais également par « l’achèvement d’une tâche déterminée ou la survenance d’un événement déterminé », tels que l’établissement d’une liste de réserve d’un concours donné, à laquelle sont attachées plusieurs conséquences possibles selon les termes du contrat de l’agent. Ainsi, en cas de non-inscription de son nom sur la liste de réserve, il découle des termes du contrat qu’il sera mis fin à celui-ci ; il en irait de même normalement en cas de réussite, puisqu’un emploi de fonctionnaire serait alors proposé à l’agent concerné, étant entendu que, en cas de refus de l’offre, il serait également mis fin au contrat conformément aux termes de celui-ci.

Toutefois, cette circonstance ne saurait justifier la non-application de la règle énoncée à l’article 8, premier alinéa, du régime applicable aux autres agents, selon laquelle « tout renouvellement ultérieur » à une première prolongation pour une durée déterminée d’un contrat d’agent temporaire, au titre de l’article 2, sous a), dudit régime, « devient à durée indéterminée », cette requalification opérant de plein droit. En effet, une telle règle vise la situation de tout agent temporaire au sens de l’article 2, sous a), qui, après avoir conclu deux contrats successifs à durée déterminée, poursuit, sans interruption, sa relation de travail avec une institution ou une agence déterminée. Admettre qu’une période de travail en qualité d’agent auxiliaire puisse interrompre cette relation de travail et écarter ainsi l’applicabilité de l’article 8, premier alinéa, du régime applicable aux autres agents permettrait de légitimer le recours à un artifice vidant de sa substance ladite disposition, destinée à protéger les travailleurs contre l’utilisation abusive de contrats à durée déterminée.

(voir points 85, 86, 104 à 106, 110 et 112)

Référence à :

Cour : 4 juillet 2006, Adeneler e.a., C‑212/04, point 63

Tribunal de la fonction publique : 26 octobre 2006, Landgren/ETF, F‑1/05, point 66

4.      En vertu de l’article 35, paragraphe 1, sous e), du règlement de procédure du Tribunal de la fonction publique, l’exposé des moyens de la partie requérante dans la requête doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit, sur lesquels celui-ci se fonde, ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même.

(voir point 115)

Référence à :

Tribunal de première instance : 14 décembre 2005, Honeywell/Commission, T‑209/01, points 55 et 56, et la jurisprudence citée

Tribunal de l’Union européenne : 6 mai 2010, Kerelov/Commission, T‑100/08 P, point 16

5.      Une demande tendant au versement par l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur à l’un de ses agents d’une somme que celui-ci estime lui être due en vertu du régime applicable aux autres agents entre dans la notion des litiges de caractère pécuniaire au sens de l’article 91, paragraphe 1, du statut. En vertu de cette disposition, le juge de l’Union a, dans ces litiges, une compétence de pleine juridiction, qui l’investit de la mission de donner aux litiges dont il est saisi une solution complète, c’est-à-dire de statuer sur l’ensemble des droits et des obligations de l’agent, sauf à renvoyer à l’institution ou l’agence en cause, et sous son contrôle, l’exécution de telle partie de l’arrêt dans les conditions précises qu’il fixe.

(voir point 184)

Référence à :

Cour : 18 décembre 2007, Weißenfels/Parlement, C‑135/06 P, points 65, 67 et 68

Tribunal de la fonction publique : 2 juillet 2009, Giannini/Commission, F‑49/08, points 39 à 42