DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

19 novembre 2015(*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de l’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire – Gel des fonds – Erreur d’appréciation – Modulation dans le temps des effets d’une annulation »

Dans l’affaire T‑539/14,

North Drilling Co., établie à Téhéran (Iran), représentée par Mes J. Viñals Camallonga, L. Barriola Urruticoechea et J. Iriarte Ángel, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. Á. de Elera-San Miguel Hurtado et M. Bishop, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2014/222/PESC du Conseil, du 16 avril 2014, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 119, p. 65), et du règlement d’exécution (UE) n° 397/2014 du Conseil, du 16 avril 2014, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 119, p. 1), en ce que ces actes concernent la requérante,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. M. van der Woude (rapporteur), président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. I. Ulloa Rubio, juges,

greffier : Mme B. Pastor, greffier adjoint,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 juillet 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, North Drilling Co., est une société iranienne spécialisée dans le domaine de la prospection et des forages pétroliers et gaziers en mer et sur terre.

2        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives instaurées en vue de faire pression sur la République islamique d’Iran afin que cette dernière mette fin à toute activité nucléaire présentant un risque de prolifération et à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires.

3        Le 9 juin 2010, le Conseil de sécurité des Nations unies (ci-après le « Conseil de sécurité ») a adopté la résolution 1929 (2010) (ci-après la « résolution 1929 »), destinée à élargir la portée des mesures restrictives instituées à l’encontre de la République islamique d’Iran par les résolutions 1737 (2006), 1747 (2007) et 1803 (2008) du Conseil de sécurité et à instaurer des mesures restrictives supplémentaires.

4        Le 17 juin 2010, le Conseil européen a souligné qu’il était de plus en plus préoccupé par le programme nucléaire iranien et s’est félicité de l’adoption de la résolution 1929. Il a invité le Conseil de l’Union européenne à adopter des mesures mettant en œuvre celles prévues dans la résolution 1929 ainsi que des mesures d’accompagnement, en vue de contribuer à répondre, par la voie des négociations, à l’ensemble des préoccupations que continue de susciter le développement par la République islamique d’Iran de technologies sensibles à l’appui de ses programmes nucléaire et balistique. Ces mesures devaient porter sur le secteur du commerce, le secteur financier, le secteur des transports iraniens et les grands secteurs de l’industrie gazière et pétrolière ainsi que sur des désignations supplémentaires, en particulier le Corps des gardiens de la révolution islamique.

5        Le 26 juillet 2010, le Conseil a adopté la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO L 195, p. 39), dont l’annexe II énumère les noms des personnes et des entités – autres que celles désignées par le Conseil de sécurité ou par le comité des sanctions créé par la résolution 1737 (2006), mentionnées à l’annexe I – dont les avoirs sont gelés. Le considérant 22 de ladite décision se réfère à la résolution 1929, laquelle relève le lien potentiel entre les recettes que la République islamique d’Iran tire de son secteur de l’énergie et le financement de ses activités nucléaires posant un risque de prolifération et mentionne que le matériel et les matières utilisés par les procédés chimiques de l’industrie pétrochimique sont très semblables à ceux qui sont employés dans certaines activités sensibles du cycle du combustible nucléaire.

6        Au vu de ce lien potentiel entre le secteur de l’énergie et le développement du programme nucléaire de la République islamique d’Iran, la décision 2010/413 a prévu, à son article 4, paragraphe 1, des restrictions concernant la vente ou la fourniture par les ressortissants des États membres ou depuis le territoire des États membres d’équipements et de technologies destinés aux secteurs de l’industrie iranienne du pétrole et du gaz.

7        L’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413 prévoit le gel des fonds, notamment, des personnes et des entités qui « apportent un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou qui apportent un appui à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires, y compris en concourant à l’acquisition des articles, biens, équipements, matières et technologies interdits ».

8        Le 23 janvier 2012, le Conseil a adopté la décision 2012/35/PESC modifiant la décision 2010/413 (JO L 19, p. 22). Selon le considérant 13 de cette décision, les restrictions à l’admission et le gel des fonds et des ressources économiques devraient être appliqués à l’égard d’autres personnes et entités qui fournissent un appui au gouvernement iranien lui permettant de poursuivre des activités nucléaires posant un risque de prolifération ou la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires, en particulier les personnes et entités apportant un soutien financier, logistique ou matériel audit gouvernement.

9        L’article 1er, point 7, sous a), ii), de la décision 2012/35 a ajouté un c) à l’article 20, paragraphe 1, de la décision 2010/413, prévoyant le gel des fonds appartenant aux personnes et entités suivantes :

« c)      les autres personnes et entités non mentionnées à l’annexe I qui fournissent un appui au gouvernement iranien et les personnes et entités qui leur sont associées, telles qu’énumérées à l’annexe II. » 

10      En conséquence, le Conseil a adopté, le 23 mars 2012, le règlement (UE) n° 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (UE) n° 961/2010 (JO L 88, p. 1). L’article 8 de ce règlement met en œuvre l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2010/413 et prévoit ainsi des restrictions analogues à celles prévues par cette dernière disposition concernant les équipements et technologies destinés au secteur iranien de l’énergie. Par ailleurs, en vue de mettre en œuvre l’article 20, paragraphe 1, sous b) et c), de la décision 2010/413, l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 267/2012 prévoit le gel des fonds, notamment, des personnes, des entités et des organismes énumérés à l’annexe IX de ce règlement, qui ont été reconnus :

« a)      comme participant, étant directement associés ou apportant un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires par l’Iran, y compris en concourant à l’acquisition de biens et technologies interdits […] ;

[…]

d)      comme étant d’autres personnes, entités ou organismes qui fournissent un appui au gouvernement iranien, notamment un soutien matériel, logistique ou financer, ou qui lui sont associés[.] » 

11      Le 15 octobre 2012, le Conseil a adopté la décision 2012/635/PESC modifiant la décision 2010/413 (JO L 282, p. 58). Selon le considérant 16 de cette décision, il convient d’inscrire d’autres personnes et entités sur la liste des personnes et des entités faisant l’objet de mesures restrictives qui figure à l’annexe II de la décision 2010/413, en particulier les entités détenues par l’État iranien se livrant à des activités dans le secteur du pétrole et du gaz, étant donné qu’elles fournissent une source de revenus substantielle au gouvernement iranien.

12      L’article 1er, point 8, sous a), de la décision 2012/635 a modifié l’article 20, paragraphe 1, sous c), de la décision 2010/413, qui prévoit ainsi que feront désormais l’objet de mesures restrictives :

« c)      d’autres personnes et entités non mentionnées à l’annexe I qui fournissent un appui au gouvernement iranien et aux entités qui sont leur propriété ou qui sont sous leur contrôle ou les personnes et entités qui leur sont associées, telles qu’énumérées à l’annexe II. » 

13      L’article 2 de la décision 2012/635 a inscrit le nom de la requérante à l’annexe II de la décision 2010/413 au motif que cette dernière était une « filiale (100 %) de la National Iranian Oil Company (NIOC) ».

14      En conséquence, le même jour, le 15 octobre 2012, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) n° 945/2012 mettant en œuvre le règlement n° 267/2012 (JO L 282, p. 16). L’article 1er dudit règlement d’exécution a inscrit le nom de la requérante à l’annexe IX du règlement n° 267/2012 pour le même motif que celui énoncé dans la décision 2012/635.

15      Le 21 décembre 2012, le Conseil a adopté le règlement (UE) n° 1263/2012 modifiant le règlement n° 267/2012 (JO L 356, p. 34). L’article 1er, point 11, sous a), de ce règlement a modifié l’article 23, paragraphe 2, sous d), du règlement n° 267/2012, qui prévoit ainsi le gel des fonds des personnes, des entités et des organismes énumérés à l’annexe IX de ce règlement, qui ont été reconnus :

« d)      comme étant d’autres personnes, entités ou organismes qui fournissent un appui, notamment matériel, logistique ou financier, au gouvernement iranien et comme des entités qu’ils ou elles détiennent ou contrôlent ou des personnes et entités qui leur sont associées[.] »

16      Le 21 décembre 2012, la requérante a introduit un recours en annulation contre la décision 2012/635 et le règlement d’exécution n° 945/2012, dans la mesure où ces actes la concernaient.

17      Dans un arrêt du 12 novembre 2013, le Tribunal a considéré que le Conseil avait commis une erreur d’appréciation en inscrivant le nom de la requérante sur les listes des personnes et des entités soumises à des mesures restrictives et a, par conséquent, annulé la décision 2012/635 et le règlement d’exécution n° 945/2012, en ce qu’ils concernaient la requérante (arrêt du 12 novembre 2013, North Drilling/Conseil, T‑552/12, EU:T:2013:590).

18      Par lettre du 30 janvier 2014, la requérante a demandé au Conseil de publier un amendement à la décision 2012/635 et au règlement d’exécution n° 945/2012 afin de retirer son nom des listes figurant à l’annexe II de la décision 2010/413 et à l’annexe IX du règlement n° 267/2012 (ci-après, prises ensemble, les « listes litigieuses »). 

19      Par courriels du 14 et du 19 mars 2014, la requérante a demandé au Conseil de lui fournir une lettre déclarant qu’elle n’était plus soumise à des mesures restrictives, afin qu’elle puisse reprendre une activité commerciale normale au sein de l’Union européenne.

20      Le 16 avril 2014, le Conseil a adopté la décision 2014/222/PESC modifiant la décision 2010/413 (JO L 119, p. 65), ainsi que le règlement d’exécution (UE) n° 397/2014 mettant en œuvre le règlement n° 267/2012 (JO L 119, p. 1). Par ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), le nom de la requérante a été réinscrit sur les listes litigieuses.

21      Dans les actes attaqués, le Conseil a motivé l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses comme suit :

« [La requérante] fournit un soutien financier au gouvernement iranien étant donné qu’elle appartient indirectement à la Fondation Mostazafan, entité parapublique de premier plan contrôlée par le gouvernement iranien. [La requérante] est une importante entité du secteur de l’énergie, qui est une source substantielle de revenus pour le gouvernement iranien. Qui plus est, [la requérante] a importé des équipements clés pour l’industrie du pétrole et du gaz, y compris des biens interdits. Dès lors, [la requérante] fournit un soutien aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération. »

22      Par lettre du 29 avril 2014, la requérante a demandé au Conseil l’accès au dossier contenant les informations sur la base desquelles il avait adopté les actes attaqués.

23      Par lettre du 2 juin 2014, le Conseil a répondu à la lettre de la requérante du 29 avril 2014 et a communiqué à cette dernière les éléments contenus dans son dossier.

 Procédure et conclusions des parties 

24      Par requête déposée au greffe le 16 juillet 2014, la requérante a introduit le présent recours.

25      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a adressé aux parties des questions pour réponses orales lors de l’audience.

26      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er de la décision 2014/222 et l’article 1er du règlement d’exécution n° 397/2014, en ce qu’ils la concernent ;

–        retirer son nom des annexes respectives dans lesquelles il figure ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

27      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

28      En réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, la requérante a confirmé que le deuxième chef de conclusions pouvait être interprété comme n’apportant qu’une simple précision au premier chef de conclusions, puisque, dans l’hypothèse où le Tribunal déciderait d’annuler les actes attaqués, il appartiendra au Conseil de prendre les mesures nécessaires pour que cette décision déploie tous ses effets en retirant son nom des listes litigieuses.

29      Par ailleurs, lors de cette audience, la requérante a déposé des documents relatifs à la composition de son actionnariat ainsi qu’une déclaration de son directeur général stipulant qu’elle n’avait acquis aucun bien interdit. Le Tribunal a décidé de verser ces documents au dossier et a invité le Conseil à présenter par écrit ses observations à cet égard.

30      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 20 juillet 2015, le Conseil a présenté ses observations sur la recevabilité des documents produits par la requérante lors de l’audience.

 En droit 

31      À l’appui de son recours, la requérante invoque sept moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur d’appréciation. Le deuxième moyen est tiré d’une violation de l’obligation de motivation. Le troisième moyen est tiré d’une violation du principe de protection juridictionnelle effective. Le quatrième moyen est tiré d’un détournement de pouvoir. Le cinquième moyen est tiré d’une interprétation incorrecte des règles juridiques appliquées. Le sixième moyen est tiré d’une violation du droit de propriété. Le septième moyen est tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur d’appréciation

32      La requérante fait valoir que les motifs de sa désignation ne sont pas fondés.

33      Premièrement, elle soutient qu’elle n’appartient pas à la fondation Mostazafan (ci-après la « FM ») et qu’elle ne fournit pas à travers celle-ci de soutien financier au gouvernement iranien.

34      Deuxièmement, elle affirme qu’elle ne fournit pas directement des revenus substantiels au gouvernement iranien. Elle précise que l’État iranien n’est plus présent dans son actionnariat depuis 2011 et qu’elle se limite à payer les impôts directs et indirects exigés par la réglementation fiscale iranienne, dont les montants ne sauraient être qualifiés de substantiels.

35      Troisièmement, elle soutient qu’elle n’a jamais importé de biens interdits et n’apporte donc aucun soutien aux activités nucléaires de l’Iran. À cet égard, tout d’abord, elle indique que les plateformes de forage en provenance de Chine ne sauraient être considérées comme des biens interdits, dès lors qu’elles ont pour origine un pays tiers à l’Union. Selon elle, sanctionner l’importation de biens qui proviennent d’États tiers impliquerait une application extraterritoriale des sanctions de l’Union. Ensuite, elle fait valoir que les équipements de forage ne constituent pas des biens liés à la prolifération nucléaire. Enfin, dans la réplique, elle souligne que le Conseil n’a présenté aucune preuve de l’acquisition effective de tels biens.

36      Le Conseil conteste les arguments de la requérante.

37      D’une part, il fait valoir que le gouvernement iranien contrôle la requérante par l’intermédiaire de la FM et que, de ce fait, la requérante fournit des ressources financières audit gouvernement. À cet égard, il explique que la FM est contrôlée par le gouvernement iranien, comme en attestent ses statuts, et que celle-ci détient, indirectement, 50 % des actions de la requérante. Cette entité détient en effet 80 % du capital social de Pishro Iran Financial and Investment Company (ci-après « PIFIC »), laquelle détient 50,29 % du capital social de la requérante.

38      D’autre part, il rappelle que toute entreprise qui importe sur le territoire iranien des biens interdits, indépendamment de la provenance de ces biens, est visée par les sanctions. Selon lui, adopter le point de vue de la requérante priverait le régime des mesures restrictives de toute efficacité, étant donné que les entreprises qui mettent à la disposition de l’État iranien des biens interdits pourraient continuer à acheter ces biens à des entreprises établies en dehors de l’Union.

39      Il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur les listes, le juge de l’Union s’assure que cette décision repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, Rec, ci-après l’« arrêt Kadi II », EU:C:2013:518, point 119).

40      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée. Si ces éléments ne permettent pas de constater le bien-fondé d’un motif, le juge de l’Union écarte ce dernier en tant que support de la décision d’inscription ou de maintien de l’inscription en cause (arrêt Kadi II, point 39 supra, EU:C:2013:518, points 121 à 123).

41      Par ailleurs, s’agissant du contrôle de la légalité d’une décision adoptant des mesures restrictives, la Cour a jugé que, eu égard à leur nature préventive, si le juge de l’Union considérait que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés était suffisamment précis et concret, qu’il était étayé et qu’il constituait en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (arrêt Kadi II, point 39 supra, EU:C:2013:518, point 130).

42      Avant d’examiner si, en l’espèce, à tout le moins, l’un des motifs retenus à l’encontre de la requérante est fondé à suffisance de droit, le Tribunal estime opportun de rappeler le contexte dans lequel le nom de la requérante a été inscrit sur les listes litigieuses.

43      À cet égard, tout d’abord, il y a lieu de souligner la volonté du Conseil d’accroître la pression sur la République islamique d’Iran en élargissant la portée des mesures restrictives instaurées à l’encontre de cet État, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité. À cette fin, des mesures restrictives supplémentaires ont été adoptées, visant, notamment, le secteur de l’énergie et, en particulier, l’industrie gazière et pétrolière. Le considérant 22 de la décision 2010/413, qui fait référence à la résolution 1929, relève en effet le lien potentiel entre les recettes que la République islamique d’Iran tire de son secteur de l’énergie et le financement de ses activités nucléaires constituant un risque de prolifération et mentionne que le matériel et les matières utilisés par les procédés chimiques de l’industrie pétrochimique sont très semblables à ceux qui sont employés dans certaines activités sensibles du cycle du combustible nucléaire.

44      Ensuite, en raison de ce lien entre le secteur de l’énergie et le développement du programme nucléaire de la République islamique d’Iran, le Conseil a rappelé, au considérant 8 de la décision 2012/35, la nécessité d’interdire la vente et la fourniture à l’Iran, ainsi que le transfert à destination de ce pays, des équipements et technologies essentiels qui pourraient être utilisés dans les grands secteurs de l’industrie du pétrole et du gaz naturel ou dans l’industrie pétrochimique.

45      En outre, le Conseil a précisé au considérant 16 de la décision 2012/635 qu’il entendait élargir les catégories de personnes et d’entités susceptibles de faire l’objet de mesures restrictives, en visant également les entités détenues par l’État iranien opérant dans le secteur du pétrole et du gaz, étant donné qu’elles fournissaient une source de revenus substantielle au gouvernement iranien.

46      Enfin, tenant compte du risque lié au matériel destiné à l’industrie du pétrole et du gaz, la Cour a affirmé, dans un arrêt du 28 novembre 2013, que la commercialisation d’équipements et de technologies essentiels destinés à l’industrie du gaz et du pétrole était susceptible d’être considérée comme un appui aux activités nucléaires de la République islamique d’Iran (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, Rec, ci-après l’« arrêt Kala Naft de la Cour », EU:C:2013:776, point 83).

47      C’est dès lors au regard de ce contexte qu’il convient d’examiner si le Conseil a commis une erreur d’appréciation en inscrivant le nom de la requérante sur les listes litigieuses.

48      Comme il ressort de la motivation des actes attaqués ainsi que de la réponse du Conseil à une question posée par le Tribunal lors de l’audience, l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses est fondée sur la base, d’une part, du critère visant les entités qui apportent un appui financier au gouvernement iranien, tel qu’il est prévu à l’article 20, paragraphe 1, sous c), de la décision 2010/413 et à l’article 23, paragraphe 2, sous d), du règlement n° 267/2012, et, d’autre part, du critère visant les entités qui apportent un appui aux activités nucléaires de la République islamique d’Iran posant un risque de prolifération, tel qu’il est prévu à l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413 et à l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 267/2012. Le Tribunal examinera donc si les raisons invoquées par le Conseil justifiaient, en l’espèce, l’application de l’un ou l’autre de ces critères.

 Sur le premier critère, relatif à l’appui financier fourni au gouvernement iranien

49      Le Conseil a conclu que la requérante apportait un soutien financier au gouvernement iranien en raison du contrôle qu’exercerait ce dernier sur la FM, laquelle détiendrait indirectement la requérante par l’intermédiaire de PIFIC. Selon lui, en raison de cette chaîne de détention, des flux financiers remonteraient de la requérante vers la FM à travers le versement de dividendes, lesquels bénéficieraient in fine au gouvernement iranien dès lors que celui-ci contrôle la FM.

50      Le Tribunal constate que les parties s’opposent sur l’existence d’un contrôle de l’État iranien sur la FM ainsi que sur le pourcentage des parts que cette dernière entité détiendrait dans le capital social de PIFIC. Elles s’accordent en revanche sur le fait que PIFIC détient 50,29 % du capital social de la requérante.

51      À cet égard, le Tribunal souligne que, selon la jurisprudence, la détention par un actionnaire de 60 % du capital d’une entité ne peut, à elle seule, conduire à la conclusion que cette entité est détenue par l’actionnaire en question [voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Persia International Bank/Conseil, T‑493/10, Rec (Extraits), EU:T:2013:398, point 106].

52      En l’espèce, au regard de la jurisprudence mentionnée au point 51 ci-dessus, une participation de 50,29 % de PIFIC dans le capital de la requérante ne saurait être considérée comme suffisante pour conclure que cette dernière est détenue par PIFIC. Tenant compte, par ailleurs, du fait que PIFIC n’est elle-même pas entièrement détenue par la FM, le Tribunal estime dès lors que c’est à tort que le Conseil a conclu que la requérante était indirectement détenue par la FM par l’intermédiaire de PIFIC.

53      Or, le Conseil a clairement souligné lors de l’audience que les flux financiers qui, selon lui, partiraient de la requérante vers la FM résultaient uniquement des liens de détention existant entre ces deux entités. Ni lors de l’audience ni dans ses écrits, le Conseil n’a mentionné l’existence d’autres facteurs qui auraient permis à la FM de s’attribuer des dividendes ou de bénéficier d’autres ressources financières provenant de la requérante. Il n’a par ailleurs présenté aucun élément démontrant l’existence de paiements, tels que des dividendes, versés par la requérante au profit de PIFIC ou de la FM qui aurait pu remettre en question l’affirmation de la requérante selon laquelle la FM n’avait reçu, ni directement ni indirectement, aucun dividende ou autre revenu de sa part.

54      Dans ces circonstances, quand bien même le gouvernement iranien contrôlerait la FM et que celle-ci détiendrait une participation majoritaire de 80 % au sein de PIFIC, comme le soutient le Conseil, il y a lieu, en raison de l’absence de participation suffisante de PIFIC dans le capital de la requérante et de l’absence de preuves démontrant l’existence de paiements au profit de la FM, d’écarter l’argumentation du Conseil selon laquelle la requérante est indirectement détenue par la FM et apporte ainsi des ressources financières au gouvernement iranien.

55      Partant, il convient de conclure que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en considérant que la requérante satisfaisait au critère relatif à l’appui financier apporté au gouvernement iranien.

 Sur le second critère, relatif à l’appui apporté aux activités nucléaires de la République islamique d’Iran posant un risque de prolifération

56      Le Conseil soutient que la requérante a acquis des biens interdits et qu’une telle acquisition suffit à justifier l’adoption de mesures restrictives à son égard, sur la base du critère prévu à l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413 ainsi qu’à l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 267/2012. À titre de preuve, il invoque un article diffusé sur un site Internet, dont une copie figurait dans le dossier transmis à la requérante et selon lequel la requérante allait acquérir du matériel de forage en provenance de Chine.

57      La requérante considère que l’acquisition de tours de forage en provenance de Chine ne saurait constituer un appui aux activités nucléaires au sens des dispositions susmentionnées. Par ailleurs, elle conteste la matérialité des faits qui lui sont reprochés et estime que les éléments avancés par le Conseil ne démontrent aucunement qu’elle a effectivement acquis des biens interdits.

58      Tout d’abord, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 20, paragraphe 1, sous c), de la décision 2010/413 et de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 267/2012, le Conseil peut geler les fonds, notamment, des entités apportant un appui aux activités nucléaires de la République islamique d’Iran posant un risque de prolifération, y compris en concourant à l’acquisition de biens et technologies interdits.

59      Ensuite, il y a lieu de préciser que la notion d’« acquisition de biens et technologies interdits » au sens des dispositions susmentionnées recouvre l’acquisition d’équipements et de technologies clés destinés aux secteurs essentiels de l’industrie du pétrole et du gaz naturel en Iran, tels que ceux visés par les interdictions prévues à l’article 8 du règlement n° 267/2012 et énumérées aux annexes VI et VIA de ce même règlement (voir, par analogie, arrêt Kala Naft de la Cour, point 46 supra, EU:C:2013:776, point 77). La Cour a par ailleurs considéré qu’il résultait explicitement de la réglementation applicable en matière de mesures restrictives à l’encontre de la République islamique d’Iran que l’industrie iranienne du pétrole et du gaz pouvait faire l’objet de mesures restrictives, notamment lorsqu’elle concourait à l’acquisition de biens et technologies interdits, et qu’il n’était pas nécessaire de rechercher un lien direct entre l’acquisition de ces biens et la prolifération nucléaire, dès lors qu’un tel lien était établi par le législateur de l’Union dans les règles générales des dispositions applicables (voir, par analogie, arrêt Kala Naft de la Cour, point 46 supra, EU:C:2013:776, point 76).

60      Enfin, il convient de relever que, certes, les interdictions de vendre, de fournir et de transférer ou d’exporter à toute personne, à toute entité ou à tout organisme iranien des équipements essentiels à l’industrie de l’énergie, telles qu’elles sont prévues à l’article 8 du règlement n° 267/2012, ne s’imposent qu’aux personnes et entités établies au sein de l’Union, conformément à l’article 49 du même règlement. Toutefois, force est de constater que l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413 et l’article 23, paragraphe 2, sous a), dudit règlement permettent le gel des fonds des entités qui acquièrent de tels équipements, sans stipuler de condition quant au lieu dans lequel ceux-ci ont été acquis. L’acquisition de biens interdits est donc susceptible d’être sanctionnée, quand bien même ces biens auraient été acquis auprès d’entités établies dans des États tiers.

61      En l’espèce, le Tribunal considère que le Conseil ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve qui lui incombait en ce que la copie des pages Internet figurant dans son dossier ne saurait constituer une preuve suffisante de l’acquisition par la requérante de biens interdits au sens des dispositions de la décision 2010/413 et du règlement n° 267/2012. En effet, les informations contenues dans ces pages, dont la source n’a fait l’objet d’aucune précision par le Conseil, mentionnent le projet d’acquisition de matériel de forage en provenance de Chine, mais n’indiquent aucunement que le matériel en question a effectivement été acquis par la requérante au jour de l’inscription du nom de cette dernière sur les listes litigieuses.

62      Or, il ressort de la motivation des actes attaqués et des arguments présentés par le Conseil que l’application du critère relatif à l’appui aux activités nucléaires est justifiée par un comportement répréhensible effectif qu’aurait adopté préalablement la requérante, à savoir l’acquisition de biens interdits. Le Tribunal estime dès lors que, à défaut de preuve d’un tel comportement répréhensible, la requérante ne saurait être considérée comme posant un risque au regard de la lutte contre la prolifération nucléaire.

63      À cet égard, il y a lieu de souligner que la finalité générale de la requérante, telle qu’elle est révélée par ses statuts, ne consiste aucunement à acquérir des équipements pour les secteurs pétrolier et gazier susceptibles d’être utilisés pour le programme nucléaire iranien, mais à effectuer des opérations de prospection et de forage. Certes, il n’est pas exclu que, dans le cadre de ces opérations, la requérante soit amenée, comme le serait toute autre entreprise active dans l’industrie de l’énergie, à acquérir, pour son propre compte, des biens interdits. Toutefois, au vu de la finalité mentionnée ci-dessus et en l’absence de preuve que la requérante a effectivement acquis de tels biens, le Tribunal estime que cette circonstance n’est pas suffisante pour justifier l’application du critère relatif à l’appui aux activités nucléaires de la République islamique d’Iran posant un risque de prolifération.

64      Par ailleurs, le Conseil n’ayant apporté aucun élément établissant que la requérante était détenue ou contrôlée, directement ou indirectement, par l’État iranien (voir points 49 à 55 ci-dessus), rien ne permet d’affirmer qu’il existe un risque que les activités de la requérante soient, d’une manière ou d’une autre, détournées au profit des activités nucléaires de cet État.

65      Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en considérant que la requérante satisfaisait au critère relatif à l’appui aux activités nucléaires, tel qu’il est prévu à l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413 et à l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 267/2012.

66      Au vu de tout ce qui précède, il convient donc d’accueillir le premier moyen, en ce que l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses n’est pas justifiée, et d’annuler les actes attaqués en ce qu’ils la concernent, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête et de se prononcer sur la recevabilité des documents produits à l’audience par la requérante.

 Sur les effets dans le temps de l’annulation des actes attaqués 

67      Sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la nature de la décision 2014/222 et du règlement d’exécution n° 397/2014 au regard de l’article 60, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, il convient de relever que l’article 264, second alinéa, TFUE permet au juge de l’Union d’indiquer, s’il l’estime nécessaire, ceux des effets des actes qu’il annule qui doivent être considérés comme définitifs.

68      Il ressort de la jurisprudence que le Tribunal peut décider, en vertu de cette disposition, de la date de prise d’effet de ses arrêts d’annulation (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2013, Nabipour e.a./Conseil, T‑58/12, EU:T:2013:640, points 250 et 251).

69      En l’espèce, l’annulation avec effet immédiat des actes en cause, en tant qu’ils visent la requérante, permettrait à cette dernière de transférer hors de l’Union tout ou partie des fonds qu’elle détient au sein de celle-ci et qui étaient gelés jusqu’alors, sans que le Conseil puisse, le cas échéant, appliquer en temps utile l’article 266 TFUE en vue de remédier aux irrégularités constatées dans le présent arrêt. Une telle situation risquerait de causer une atteinte sérieuse et irréversible à l’efficacité de tout gel de fonds susceptible d’être décidé à l’avenir par le Conseil à l’égard de la requérante.

70      Dans ces circonstances, il apparaît nécessaire de suspendre la prise d’effet du présent arrêt jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, du statut de la Cour ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, jusqu’à ce que la Cour se prononce sur celui-ci.

 Sur les dépens

71      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      L’article 1er de la décision 2014/222/PESC du Conseil, du 16 avril 2014, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, et l’article 1er du règlement d’exécution (UE) n° 397/2014 du Conseil, du 16 avril 2014, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, sont annulés, pour autant qu’ils concernent North Drilling Co.

2)      Les effets de l’article 1er de la décision 2014/222 et de l’article 1er du règlement d’exécution n° 397/2014 sont maintenus à l’égard de North Drilling jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet du pourvoi.

3)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Van der Woude

Wiszniewska-Białecka

Ulloa Rubio

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 novembre 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’espagnol.