DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (septième chambre)

19 octobre 2012(*)

« Recours en annulation – Aides d’État – Construction navale – Aides accordées par les autorités grecques à un chantier naval – Mesures d’exécution de la décision de la Commission constatant l’incompatibilité et ordonnant la récupération des aides – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑466/11,

Ellinika Nafpigeia AE, établie à Skaramagka (Grèce),

2. Hoern Beteiligungs GmbH, établie à Kiel (Allemagne),

représentées par Mes K. Chrysogonos et A. Mitsis, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. Stromsky et M. Konstantinidis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la lettre C (2010) 8274 final de la Commission, du 1er décembre 2010, relative à l’« Aide d’État CR 16/2004 – exécution de la décision négative et récupération des aides d’État accordées à la société [Ellinika Nafpigeia AE] – invocation par la Grèce de l’article 346, paragraphe 1, sous b), TFUE et procédure au titre de l’article 348, paragraphe 1, TFUE », telle que complétée par les documents et les autres éléments du dossier dont les requérantes ont pris en partie connaissance en juin 2011,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. A. Dittrich, président, Mme I. Wiszniewska-Białecka (rapporteur) et M. M. Prek, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Faits à l’origine du litige

1        Les requérantes sont Ellinika Nafpigeia AE (ci-après « ENAE »), un important chantier naval de la Méditerranée, et 2. Hoern Beteiligungs GmbH, son principal actionnaire depuis le mois d’octobre 2010.

2        Le 2 juillet 2008, la Commission a adopté la décision 2009/610/CE, concernant les aides C 16/04 (ex NN 29/04, CP 71/02 et CP 133/05) octroyées par la Grèce à l’entreprise [ENAE] (JO 2009, L 225, p. 104).

3        Au considérant 338 de la décision 2009/610, la Commission a constaté :

« […] parmi les seize mesures sur lesquelles portait la procédure officielle d’examen, certaines ne constituent pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, [CE], d’autres constituent une aide compatible, plusieurs constituent des aides non compatibles tandis que bon nombre d’aides ayant été autorisées par la Commission dans le passé ont été appliquées de façon abusive. Pour ce qui concerne les aides non compatibles octroyées en violation des dispositions de l’article 88, paragraphe 3, [CE], et pour ce qui concerne les cas d’application abusive d’aides, la Commission a jugé que les aides en cause d[e]v[ai]ent être récupérées. »

4        L’article 17 de la décision 2009/610 prévoit :

« Compte tenu du fait que l’aide à récupérer, comme stipulé aux articles 2, 3, 5, 6, 8, 9 et 11 à 15, a bénéficié seulement et exclusivement aux activités civiles de [ENAE], il convient que l’aide soit récupérée auprès de la partie des activités civiles de [ENAE]. Concernant cette question, la Grèce est tenue de présenter des données détaillées — y compris une attestation délivrée par la société d’audit indépendante qui vérifie ses comptes — prouvant que le remboursement a été financé exclusivement par la partie des activités civiles de [ENAE]. »

5        Le 15 septembre 2008, une des requérantes, ENAE, a introduit un recours en annulation partielle contre cette décision devant le Tribunal. Son recours a été rejeté par l’arrêt du Tribunal du 15 mars 2012, Ellinika Nafpigeia/Commission (T‑391/08, non publié au Recueil). Le 18 mai 2012, ENAE a introduit un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal (affaire C‑246/12 P).

6        La Commission a adressé à la République hellénique la lettre C (2010) 8274 final, datée du 1er décembre 2010, relative à l’« Aide d’État CR 16/2004 – exécution de la décision négative et récupération des aides d’État accordées à la société [ENAE] – invocation par la Grèce de l’article 346, paragraphe 1, sous b), TFUE et procédure au titre de l’article 348, paragraphe 1, TFUE » (ci-après la « lettre du 1er décembre 2010 »).

7        Dans la lettre du 1er décembre 2010, la Commission prend acte du fait que la République hellénique invoque l’exception prévue à l’article 346 TFUE et prend également acte des engagements offerts par celle-ci concernant la mise en œuvre de la décision 2009/610, tels que convenus dans le cadre de la procédure visée à l’article 348, paragraphe 1, TFUE et tels que détaillés dans la lettre de la République hellénique du 29 octobre 2010, ainsi que dans la lettre d’ENAE à la République hellénique du 27 octobre 2010. La Commission a considéré que, « à condition d’être intégralement mis en œuvre dans les délais impartis, les mesures proposées et les engagements souscrits par la République hellénique constituer[aie]nt une application définitive, viable et complète de la décision [2009/610], telle que rectifiée par la décision du 13 août 2008 ».

 Procédure et conclusions des parties

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 août 2011, les requérantes ont introduit le présent recours.

9        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 6 décembre 2011, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal.

10      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 3 janvier 2012, Napfigikes kai viomichanikes epicheiriseis Elefsinas a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission.

11      Les requérantes ont déposé leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité le 16 janvier 2012.

12      Dans la requête, les requérantes concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler la lettre du 1er décembre 2010, telle que complétée par les documents et les autres éléments du dossier ;

–        à titre subsidiaire, interpréter de manière contraignante la lettre du 1er décembre 2010, telle que complétée par les documents et les autres éléments du dossier, en ce sens que :

« (i) ENAE et/ou ses actionnaires peuvent récupérer les avoirs vendus ou restitués à l’État grec, si ceux-ci deviennent par la suite nécessaires aux activités militaires d’ENAE ;

(ii) seule ENAE est soumise à l’interruption des activités civiles pendant une période de quinze ans, alors que ses actionnaires peuvent développer librement des activités civiles, s’ils agissent par l’intermédiaire d’une entreprise ou d’une entité autre qu’ENAE. En outre, et avant tout, que l’interruption de quinze ans ne comprend nullement l’activité militaire d’ENAE, étant considérée comme telle toute activité non commerciale d’ENAE, y compris toutes sortes de commandes de la part de la marine militaire grecque, des forces armées grecques ou étrangères ou toute autre activité de fabrication, de fourniture ou de réparation de matériel de défense ;

(iii) seule ENAE et ses actionnaires sont soumis à l’interdiction d’acquérir les avoirs mis en vente, alors que les propriétaires des actionnaires d’ENAE peuvent acquérir lesdits avoirs, s’ils agissent par l’intermédiaire d’une entreprise ou d’une entité autre qu’ENAE ou ses actionnaires ;

(iv) seule ENAE et ses actionnaires sont soumis à l’interdiction d’acquérir les biens immeubles à restituer à l’État grec, alors que lesdits biens immeubles peuvent être concédés aux propriétaires des actionnaires d’ENAE, s’ils agissent par l’intermédiaire d’une entreprise ou d’une entité autre qu’ENAE ou ses actionnaires ;

(v) la validité de la renonciation d’ENAE au droit exclusif d’utilisation des biens immeubles concédés est limitée dans le temps. Au terme de l’expiration de la période de quinze ans d’interruption de son activité civile, la concession est à nouveau valable et la situation antérieure est rétablie ;

(vi) le délai de six mois fixé par la décision d’application étant absolument irréalisable, il est considéré comme non écrit et est remplacé par un délai d’achèvement de la procédure de vente d’une période raisonnable aussi brève que possible » ;

–        condamner la Commission aux dépens.

13      Dans l’exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

14      Dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, les requérantes concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité ;

–        adopter des mesures d’organisation de la procédure et ordonner des mesures d’instruction visant à la production de documents ;

–        condamner la Commission aux dépens.

 En droit

15      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, de son règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire.

16      En l’espèce, le Tribunal estime être suffisamment éclairé par les pièces du dossier et qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

17      Dans l’exception d’irrecevabilité, la Commission fait valoir notamment que le recours a été introduit tardivement contre la lettre du 1er décembre 2010 et que, en ce qui concerne les « documents et les autres éléments du dossier », il est vague et ne remplit pas les conditions de l’article 44 du règlement de procédure.

18      Les requérantes soutiennent que la décision attaquée est composée de la lettre du 1er décembre 2010, telle que complétée par les « documents et les autres éléments du dossier ». Elles indiquent avoir reçu du ministère des Finances grec en juin 2011 une partie des « documents et des autres éléments du dossier » mais qu’elles n’ont pas encore reçu les « documents et les autres éléments du dossier » qu’elles avaient demandés à la Commission. Elles font valoir qu’elles n’ont eu qu’une connaissance partielle de la décision attaquée, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas eu une connaissance complète de tous les « documents et les autres éléments » qui la composent.

19      Il y a lieu de relever qu’une requête devant, aux termes de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, indiquer l’objet du litige, des conclusions tendant à l’annulation d’actes autres que celui attaqué ou qui le fondent ou lui sont coordonnés ou connexes sans qu’ils soient identifiés, doivent, faute de précision suffisante, être déclarées irrecevables.

20      En l’espèce, d’une part, s’agissant des « documents et des autres éléments du dossier » dont les requérantes indiquent avoir eu communication par le gouvernement grec en juin 2011, elles ne précisent, à aucun moment dans la requête, quels sont ces documents et elles ne les ont pas fournis en annexe de la requête. D’autre part, s’agissant des « documents et des autres éléments du dossier » pour lesquels la Commission a rejeté la demande d’accès des requérantes, ils ne sont pas non plus identifiés. Pour aucun des « documents et des autres éléments du dossier » visés par la requête, les requérantes n’indiquent leur auteur, leur contenu, ou la date à laquelle ils auraient été adoptés.

21      Force est donc de constater que les requérantes n’ont pas identifié dans leur requête quels seraient ces « documents et ces autres éléments du dossier » qui feraient partie de la décision attaquée.

22      Dès lors, il y a lieu de considérer que, les requérantes n’ayant pas identifié dans la requête la décision attaquée dans son ensemble, elles n’ont pas défini l’objet du litige au sens de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure.

23      Partant, le recours est irrecevable.

24      À titre surabondant, il y a lieu de relever que, s’agissant de la partie de la décision attaquée qui a été identifiée dans la requête, à savoir la lettre du 1er décembre 2010, le recours est en toute hypothèse irrecevable, car tardif. Les requérantes reconnaissent que, le 13 décembre 2010, le ministère des Finances grec a transmis cette lettre par télécopie à ENAE. Les requérantes admettent donc en avoir pris connaissance à cette date.

25      Aux termes de l’article 263, paragraphe 6, TFUE, un recours en annulation doit être formé dans un délai de deux mois, à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance. Ce délai est augmenté d’un délai de distance forfaitaire de dix jours en vertu de l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure.

26      Il en résulte que le délai pour introduire un recours en annulation contre la lettre du 1er décembre 2010 a expiré le 23 février 2011. Or, le recours a été introduit le 23 août 2011.

27      Il y a lieu de relever que, dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, les requérantes demandent au Tribunal d’ordonner la production de ceux des « documents et des autres éléments du dossier » que la Commission a refusé de leur communiquer et qui font partie, selon elles, de la décision attaquée.

28      Étant donné que l’acte attaqué doit être identifié dans la requête, les requérantes ne sauraient, par le biais d’une mesure d’organisation de la procédure de l’article 64 du règlement de procédure ou d’une mesure d’instruction de l’article 65 du même règlement, obtenir les documents qui, selon elles, constituent la décision attaquée.

29      Par ailleurs, il y a lieu de relever que, pour permettre au Tribunal de déterminer s’il est utile au bon déroulement de la procédure d’ordonner la production de certains documents, la partie qui en fait la demande doit identifier les documents sollicités et fournir au Tribunal au moins un minimum d’éléments accréditant l’utilité de ces documents pour les besoins de l’instance (arrêt de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 93, et arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Sogelma/AER, T‑411/06, Rec. p. II‑2771, point 152).

30      Or, les requérantes n’identifient pas les « documents et les autres éléments du dossier » dont elles demandent la production.

31      Dès lors, il y a lieu de rejeter la demande de production de documents présentée par les requérantes dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité.

32      Il ressort de ce qui précède qu’il convient de rejeter l’ensemble du recours comme irrecevable, sans qu’il soit besoin de statuer sur la demande d’intervention de Napfigikes kai viomichanikes epicheiriseis Elefsinas.

33      S’agissant de la demande de jonction avec l’affaire T‑391/08, il suffit de constater que, le Tribunal ayant rendu son arrêt dans cette affaire le 15 mars 2012, cette demande est, dès lors, devenue sans objet.

 Sur les dépens

34      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux de la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

35      En vertu de l’article 87, paragraphe 6, du règlement de procédure, Napfigikes kai viomichanikes epicheiriseis Elefsinas, demandeur en intervention, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande en intervention de Nafpigikes kai viomichanikes epicheiriseis Elefsinas.

3)      Ellinika Nafpigeia AE et 2. Hoern Beteiligungs GmbH sont condamnées à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

4)      Nafpigikes kai viomichanikes epicheiriseis Elefsinas, demandeur en intervention, supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 19 octobre 2012.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       A. Dittrich


* Langue de procédure : le grec.