DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

19 mai 2015 (*)

« Aides d’État – Construction – Aide des autorités espagnoles en faveur de la société Habidite – Conventions conclues en vue de l’implantation d’une usine de fabrication de modules de construction et de la livraison de logements modulaires produits par cette usine – Décision déclarant les aides illégales – Décision déclarant les aides pour partie compatibles et pour partie incompatibles avec le marché intérieur – Défaut de notification préalable – Droits de la défense – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑397/12,

Diputación Foral de Bizkaia, représentée par Me I. Sáenz-Cortabarría Fernández, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme M. Afonso, M. É. Gippini Fournier et Mme P. Němečková, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision C (2012) 4194 final de la Commission, du 27 juin 2012, relative à l’aide d’État SA.28356 (C 37/2009) (ex N 226/2009),

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme M. E. Martins Ribeiro (rapporteur), président, MM. S. Gervasoni et L. Madise, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 octobre 2014,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        Le 15 avril 2009, les autorités espagnoles ont notifié à la Commission des Communautés européennes deux conventions qui avaient été signées le 15 décembre 2006 entre, d’une part, Bizkailur, SA , société publique détenue à 100 % par la requérante, Diputación Foral de Bizkaia, et cette dernière et, d’autre part, Habidite Technologies País Vasco, SA (ci-après « Habidite »), Grupo Empresarial Afer, SA et Grupo Habidite, concernant un projet d’implantation d’une usine d’Habidite de fabrication de modules de construction à Alonsotegi (Espagne).

2        Le projet concerné consistait en la création d’une usine de fabrication de modules de construction préfabriqués ou « modules Habidite », destinés à être utilisés dans l’assemblage direct de logements et de bâtiments. La requérante s’engageait à acheter à Habidite un nombre de logements qui seraient revendus sous le régime applicable aux logements sociaux.

3        En vertu de la première convention signée le 15 décembre 2006, dénommée, dans la décision C (2012) 4194 final de la Commission, du 27 juin 2012, relative à l’aide d’État SA.28356 (C 37/2009) (ex N 226/2009) (ci-après la « décision attaquée »), la « convention sur les sols », la requérante et Bizkailur s’engageaient à acquérir un terrain et à l’aménager en vue d’un usage industriel pour l’usine d’Habidite et à transférer la propriété du terrain aménagé à Habidite pour un prix équivalant au coût effectif supporté par Bizkailur payable en quatre versements annuels de 25 % chacun, au terme d’un délai de quatre années de carence à compter de la date de l’acte de transfert de propriété.

4        En vertu de la seconde convention signée le 15 décembre 2006, dénommée, dans la décision attaquée, la « convention sur les habitations », il était prévu que la requérante (ou Bizkailur) achète à Habidite un total de 1 500 habitations, qui seraient revendues sous un régime de prix réglementé, à savoir à un prix fixé par un arrêté du département du Logement et des Affaires sociales du gouvernement basque. Habidite devait recevoir pour les habitations environ 83 % du prix de vente au public appliqué par Bizkailur et 100 % du prix des annexes (garages, débarras, etc.). La requérante devait conserver environ 17 % du prix de vente au public (à l’exception des annexes).

5        Par lettre du 15 avril 2009, la Commission a accusé réception de la notification, qu’elle a enregistrée sous la référence N 226/2009, et a informé les autorités espagnoles que le délai de deux mois pour se prononcer sur le projet d’aide notifié commençait le 16 avril 2009.

6        Par lettre du 6 mai 2009, la Commission a demandé des informations complémentaires aux autorités espagnoles, lesquelles ont été transmises le 15 juin 2009.

7        Par lettre du 15 juin 2009, la Commission a accusé réception de la lettre des autorités espagnoles du même jour et a fixé un nouveau délai de deux mois pour se prononcer sur la conformité des deux conventions, soit un délai courant à compter du 16 juin 2009.

8        Le 8 juillet 2009, une réunion s’est tenue entre les autorités espagnoles et la Commission.

9        Par lettre du 17 juillet 2009, la Commission a demandé aux autorités espagnoles de lui transmettre de nouvelles informations complémentaires, lesquelles ont été transmises le 28 septembre 2009.

10      Par lettre du 2 décembre 2009, la Commission a notifié au Royaume d’Espagne sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

11      La Commission a indiqué éprouver des doutes quant à la compatibilité des deux conventions visées au point 1 ci-dessus avec la réglementation applicable, en sorte qu’elle a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen et de recueillir les observations de tiers intéressés par la publication d’un avis dans le Journal officiel (JO 2010, C 61, p. 6). Les doutes de la Commission portaient, d’une part, sur les conditions de restitution des frais engagés par Bizkailur pour l’acquisition des terrains destinés à l’usine d’Habidite et leur adaptation à l’usage industriel dans la première convention et, d’autre part, sur les conditions d’acquisition et de revente des 1 500 habitations, conformément à la seconde convention.

12      Par lettre du 15 avril 2010, la Commission a transmis aux autorités espagnoles les observations qu’elle avait reçues d’Habidite le 9 avril 2010 et leur a demandé de lui présenter leur position en ce qui concerne ces observations, position qui a été transmise à la Commission le 12 mai 2010.

13      Le 28 juin 2010, la Commission a répondu aux autorités nationales, auxquelles elle a demandé des informations supplémentaires qu’elle a reçues le 27 juillet 2010.

14      Par lettre du 7 octobre 2010, la Commission a transmis aux autorités espagnoles les observations complémentaires qu’elle avait reçues d’Habidite et leur a demandé de lui présenter leurs éventuelles observations à cet égard. Les autorités espagnoles ont répondu le 2 novembre 2010.

15      Le 9 décembre 2010, la Commission a communiqué aux autorités nationales ses observations sur le projet d’aide en cause, lesquelles ont répondu le 29 décembre suivant.

16      Par lettre du 15 avril 2011, la Commission a transmis aux autorités espagnoles les observations qu’elle avait reçues d’Habidite le 13 avril 2011 et leur a demandé de lui présenter leurs observations dans le délai d’un mois à compter de la transmission de ladite lettre, ce qui a été fait par lettre du 30 mai 2011.

17      Le 27 juin 2012, la Commission a adopté la décision attaquée.

18      Aux termes de l’article 2 de la décision attaquée, « [l]’aide en cause dans les conventions notifiées est illégale, dans la mesure où elle a été accordée en violation de l’obligation préalable de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE ».

19      L’article 5 de la décision attaquée est rédigé ainsi :

« L’aide en cause dans la convention sur les sols est compatible avec les règles du traité […] à hauteur de la somme de 10,5 millions d’euros. L’aide excédant ce plafond est incompatible avec le traité. »

20      L’article 6 de la décision attaquée prévoit :

« L’aide en cause dans la convention sur les habitations est incompatible avec les règles du traité […] »

 Procédure et conclusions des parties

21      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 septembre 2012, la requérante a introduit le présent recours.

22      Par demande en date du 28 novembre 2012, Azpiegiturak, SAU, a déposé une demande en intervention au greffe du Tribunal au soutien des conclusions de la requérante.

23      Par ordonnance du Tribunal du 19 avril 2013, la demande en intervention d’Azpiegiturak a été rejetée.

24      Dans la requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 2 de la décision attaquée, dans la mesure où il déclare illégales les aides prévues dans les conventions notifiées le 15 avril 2009 ou, à titre subsidiaire, dans la mesure où il déclare illégale l’aide prévue dans la convention sur les sols ;

–        annuler les articles 5 et 6 de la décision attaquée, dans la mesure où la Commission a fondé l’examen prévu à l’article 108, paragraphe 2, TFUE en ce qui concerne la compatibilité avec le traité FUE sur la prémisse qu’il s’agissait d’aides illégales ;

–        en tout état de cause, condamner la Commission aux dépens.

25      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 Sur le fond

26      Sans soulever formellement d’exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal, la Commission fait valoir que le recours est irrecevable, au motif que la requérante n’a pas d’intérêt à agir et qu’elle n’est pas individuellement affectée par la décision attaquée.

27      À cet égard, il convient de rappeler qu’il appartient au Tribunal d’apprécier ce que commande une bonne administration de la justice dans les circonstances de la cause (arrêts du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, Rec, EU:C:2002:118, points 50 à 52, et du 2 décembre 2008, Nuova Agricast et Cofra/Commission, T‑362/05 et T‑363/05, EU:T:2008:541, point 52). En l’espèce, le Tribunal estime qu’il convient de se prononcer tout d’abord sur le fond du recours.

28      La requérante invoque quatre moyens au soutien de son recours. Le premier moyen est tiré d’une erreur de droit en ce que la Commission a considéré que, le 15 décembre 2006, un engagement juridiquement contraignant et inconditionnel avait été adopté pour le versement des aides d’État prévues dans les conventions en cause, erreur qui affecterait la déclaration d’illégalité des aides contenue à l’article 2 de la décision attaquée. Le deuxième moyen est tiré, d’une part, de l’erreur de droit en ce que la Commission a déclaré illégale l’aide prévue dans la « convention sur les sols » et, d’autre part, d’une dénaturation dans la procédure administrative. Le troisième moyen est tiré d’une violation de l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1), et du principe général de bonne administration et, notamment, des droits et garanties procédurales. Le quatrième moyen est tiré de la violation de l’obligation de motivation au titre de l’article 296 TFUE.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit en ce que la Commission a considéré que, le 15 décembre 2006, un engagement juridiquement contraignant et inconditionnel avait été adopté pour le versement des aides d’État

29      La requérante fait, en substance, valoir que la Commission n’a aucune compétence pour interpréter librement des contrats ou des règles de droit privé interne des États membres et que, selon l’article 1258 du code civil espagnol, les contractants devaient impérativement respecter « toutes les conséquences qui, selon la nature de ces conventions, [étaie]nt conformes à […] la loi ». Selon la requérante, dès lors que, conformément aux dispositions de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, il conviendrait d’obtenir une décision préalable de la Commission sur la compatibilité des aides, il n’y aurait eu, le 15 décembre 2006, aucun engagement juridiquement contraignant et inconditionnel.

30      À titre surabondant, les conventions en cause seraient nulles de plein droit par application de l’article 6, paragraphe 3, du code civil espagnol, puisque cette disposition précise que sont nuls les actes contraires aux règles impératives et aux interdictions, telles que celle énoncée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Enfin, la requérante relève que la référence « N 226/2009 », qui n’a jamais été modifiée, met en exergue le fait que l’aide en cause avait été notifiée et que les autorités espagnoles avaient respecté l’effet suspensif auquel renvoie l’article 3 du règlement n° 659/1999.

31      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

32      Partant, seuls les avantages accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État ou constituant une charge supplémentaire pour l’État sont à considérer comme des aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En effet, il résulte des termes mêmes de cette disposition et des règles de procédure instituées à l’article 108 TFUE que les avantages accordés par d’autres moyens que les ressources d’État ne tombent pas dans le champ d’application des dispositions en cause (voir arrêt du 19 mars 2013, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, C‑399/10 P et C‑401/10 P, Rec, EU:C:2013:175, point 99 et jurisprudence citée).

33      Enfin, le moment auquel une aide est réputée accordée est déterminé par l’adoption de l’acte juridiquement contraignant par lequel l’autorité nationale compétente s’engage à accorder l’aide et non pas celui du versement effectif de l’aide consentie par ladite autorité (voir, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2004, Fleuren Compost/Commission, T‑109/01, Rec, EU:T:2004:4, points 73 et 74).

34      En l’espèce, force est de constater que l’acte juridiquement contraignant par lequel la requérante s’est engagée à accorder l’aide est matérialisé par les deux conventions qui ont été signées le 15 décembre 2006 et qui n’ont été notifiées à la Commission que le 15 avril 2009, soit près de deux ans et demi après leur signature.

35      En outre, même si, ainsi qu’il ressort du considérant 29 de la décision attaquée, le projet Habidite semble avoir été abandonné, pour des raisons tenant à la faisabilité économique dudit projet, il résulte du considérant 30 de la décision attaquée, qui n’a pas été contesté par la requérante, que cette dernière a été informée que Bizkailur avait fait l’acquisition, à partir du mois de mai 2007 jusqu’au mois d’avril 2008, d’une superficie de 205 487,73 m² de terrains aux fins de la réalisation dudit projet pour une somme de 4,7 millions d’euros.

36      S’agissant, en outre, de l’argument de la requérante selon lequel il ne saurait y avoir violation du droit de l’Union dès lors que le droit national exigerait la notification préalable à la Commission des aides envisagées, il suffit de relever qu’il ne saurait être constaté une absence de violation du droit de l’Union au seul motif que le droit national aurait également été violé.

37      Par ailleurs, force est de constater qu’il ne saurait être valablement soutenu, ainsi que le fait valoir la requérante, que l’exécution de l’aide serait subordonnée au respect d’une quelconque légalité, eu égard à la rédaction de la clause contenue dans la convention sur les sols, dont la requérante se prévaut, qui est la suivante :

« Dans la mesure du possible sur un plan légal et urbanistique, ‘Bizkailur, SA’ ou la société publique ou l’entité à laquelle elle peut faire recours aux fins de la présente convention, et obligatoirement dans le délai de douze mois à compter de la signature de la présente [convention], transmettra à ‘Habidite Technologies País Vasco, SA’ […], par acte de vente, la pleine propriété de ces sols. »

38      En effet, outre que la condition de la réalisation du projet conformément à des prescriptions légales et urbanistiques n’est pas absolue, mais est affirmée « dans la mesure du possible », l’exécution de ladite convention doit, en tout état de cause, être obligatoirement réalisée dans les douze mois de la signature de cette dernière, soit à une date antérieure à la notification de l’aide projetée à la Commission.

39      Dès lors, ainsi que le relève à juste titre la Commission, la requérante procède à une lecture erronée de cette clause, puisque cette dernière comporte également comme alternative au membre de phrase « dans la mesure du possible », le respect d’un délai non prorogeable de douze mois à compter de la signature de la convention sur les sols, en sorte que, nonobstant l’existence du membre de phrase « dans la mesure du possible », Bizkailur était dans l’obligation de transmettre la propriété des terrains dans ledit délai.

40      S’agissant de la convention sur les habitations, il ressort de cette dernière, et en particulier de l’article 1er, sous c), de ladite convention, que des échéances précises ont été prévues en ce qui concerne la construction des habitations, certaines de ces dates étant antérieures à la notification de ladite convention à la Commission.

41      En effet, l’article 1er, sous c), de la convention sur les habitations prévoit que l’engagement prévu à la même disposition, sous a), devra être rempli par la requérante, par le biais de Bizkailur, entre mai 2007 et une date qui puisse permettre la livraison de la totalité des habitations prévues avant mai 2011, de manière à ce que l’adjudication des habitations puisse s’effectuer selon les quantités minimales suivantes :

–        avant le 31 décembre 2008, un ensemble minimal de 500 maisons ;

–        avant le 31 décembre 2009, un ensemble minimal de 1 000 maisons ;

–        avant le 30 juin 2010, un total minimal de 1 500 maisons.

42      Ainsi, il ressort clairement tant de la convention sur les sols que de la convention sur les habitations que des échéanciers de réalisation des projets étaient prévus à une date antérieure à la notification de l’aide projetée à la Commission.

43      En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la Commission, en inscrivant le projet d’aides sous la référence « N 226/2009 » (aide notifiée), et non pas sous la référence « NN 226/2009 » (aide non notifiée) aurait considéré de manière irréfragable que l’aide aurait été légale, il suffit de constater que la constatation de la légalité de l’aide ne saurait dépendre d’une inscription à des fins administratives au moment de l’enregistrement de l’aide sans modification postérieure de ladite référence, ce d’autant plus que les autorités nationales ont notifié la convention sur les sols et la convention sur les habitations comme n’ayant pas encore été mises à exécution.

44      Il s’ensuit que, contrairement à ce que prétend la requérante, il n’existe aucune obligation dans lesdites conventions selon laquelle la réalisation des prescriptions qui y sont contenues serait conditionnée au respect d’exigences légales préalables, et en particulier au respect d’une autorisation par la Commission de l’aide projetée.

45      Il convient de conclure de l’ensemble de ce qui précède que, à la date du 15 décembre 2006, par la signature de la convention sur les sols et de la convention sur les habitations, les autorités nationales ont adopté un acte juridiquement contraignant, en sorte que c’est à cette date que, au regard de l’article 107 TFUE, l’aide d’État a été octroyée.

46      Il s’ensuit que le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré, d’une part, de l’erreur de droit en ce que la Commission a déclaré illégale l’aide prévue dans la « convention sur les sols » et, d’autre part, d’une « dénaturation dans la procédure administrative »

47      La requérante fait à nouveau valoir que l’aide prévue dans la convention sur les sols ne saurait être déclarée illégale, dès lors que son versement est assujetti au respect de la réglementation pertinente, y inclus les règles de notification et d’autorisation des aides. La requérante rappelle qu’il est expressément prévu dans la convention sur les sols que l’engagement de mettre en œuvre toute aide éventuelle est soumis au respect de la légalité, ce que la Commission ignorerait.

48      À cet égard, il suffit de constater que, ainsi que le relève à juste titre la Commission, la requérante fait une lecture manifestement erronée de la clause de la convention sur les sols figurant à l’annexe A 3, dans la mesure où, pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 37 à 39 ci-dessus, Bizkailur devait obligatoirement transmettre les terrains dans le délai de douze mois à compter de la signature de la convention sur les sols.

49      Par ailleurs, il y a lieu de relever que, à plusieurs reprises, Habidite s’est adressée à l’administration espagnole pour critiquer les importants retards de la Diputación Foral de Bizkaia et pour réclamer l’exécution immédiate des conventions, ce qui tend à confirmer l’interprétation selon laquelle les délais prévus dans la convention sur les sols étaient des délais dont le respect n’était nullement assujetti à une quelconque autorisation de l’aide par la Commission.

50      C’est ainsi que, notamment, dans sa lettre du 6 février 2009 adressée au Diputado General de Biscaye, Habidite a manifesté sa « préoccupation croissante face à l’état d’exécution des obligations contractées en vertu du contrat ou de la convention signée le 15 décembre 2006 à la Diputación Foral de Bizkaia par la société publique Bizkailur et Habidite concernant la vente d’un terrain industriel pour l’implantation d’une usine Habidite à Alonsotegi » et a regretté que « cette société publique ait accumulé des retards considérables dans l’exécution des obligations au point d’avoir fait subir à Habidite d’importantes pertes économiques et un retard de plus d’un an dans la mise en marche de l’usine ».

51      Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 et du principe général de bonne administration et, notamment, des « droits et garanties procédurales »

52      La requérante prétend que la Commission a violé les dispositions de l’article 6 du règlement n° 659/1999, dès lors qu’elle n’a, dans la décision d’ouverture de la procédure d’examen, invoqué aucune illégalité des aides prévues dans les conventions, ce qu’elle aurait dû faire. Ainsi, la Commission n’ayant pas défini le cadre de son examen, la requérante n’aurait pas pu participer à la procédure d’examen de manière adéquate, ce qui constituerait une violation du principe de bonne administration et des garanties procédurales.

53      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental du droit de l’Union et doit être assuré même en l’absence d’une réglementation spécifique. Ce principe exige que la personne concernée ait été mise en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission (arrêts du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, 234/84, Rec, EU:C:1986:302, point 27, et du 12 mai 2011, Région Nord-Pas-de-Calais et Communauté d’Agglomération du Douaisis/Commission, T‑267/08 et T‑279/08, Rec, EU:T:2011:209, point 70).

54      S’agissant des droits des entités infra-étatiques ayant octroyé les aides d’État, il convient de relever que la procédure administrative en matière d’aides d’État est seulement ouverte à l’encontre de l’État membre concerné. Seul l’État membre concerné, en tant que destinataire de la décision attaquée, peut donc se prévaloir de véritables droits de la défense. Les entités infra-étatiques qui octroient les aides, telles que la requérante, tout comme les entreprises bénéficiaires des aides et leurs concurrents sont uniquement considérés comme étant des intéressés dans cette procédure, au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir arrêt Région Nord-Pas-de-Calais et Communauté d’Agglomération du Douaisis/Commission, point 53 supra, EU:T:2011:209, point 71 et jurisprudence citée).

55      En outre, il est de jurisprudence constante que, lors de la phase d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, la Commission a le devoir de mettre en demeure les intéressés de présenter leurs observations (arrêts du 19 mai 1993, Cook/Commission, C‑198/91, Rec, EU:C:1993:197, point 22, et Région Nord-Pas-de-Calais et Communauté d’Agglomération du Douaisis/Commission, point 53 supra, EU:T:2011:209, point 72).

56      En ce qui concerne cette obligation, la Cour a jugé que la publication d’un avis au Journal officiel constituait un moyen adéquat en vue de faire connaître à tous les intéressés l’ouverture d’une procédure et que cette communication visait exclusivement à obtenir, de la part des intéressés, toute information destinée à éclairer la Commission dans son action future (voir arrêt Région Nord-Pas-de-Calais et Communauté d’Agglomération du Douaisis/Commission, point 53 supra, EU:T:2011:209, point 73 et jurisprudence citée).

57      Cette jurisprudence confère essentiellement aux intéressés le rôle de sources d’information pour la Commission dans le cadre de la procédure administrative engagée au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Il s’ensuit que les intéressés, loin de pouvoir se prévaloir des droits de la défense reconnus aux personnes à l’encontre desquelles une procédure est ouverte, disposent du seul droit d’être associés à la procédure administrative dans une mesure adéquate tenant compte des circonstances du cas d’espèce (voir arrêt Région Nord-Pas-de-Calais et Communauté d’Agglomération du Douaisis/Commission, point 53 supra, EU:T:2011:209, point 74 et jurisprudence citée).

58      S’agissant, en premier lieu, du grief selon lequel la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen sur le fondement de l’illégalité des aides prévues dans la convention sur les sols et celle sur les habitations, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la décision d’ouverture de la procédure d’examen, telle que visée à l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 peut se limiter à récapituler les éléments pertinents de fait et de droit, à inclure une évaluation provisoire de la mesure étatique en cause visant à déterminer si elle présente le caractère d’une aide et à exposer les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché intérieur (voir arrêt du 16 décembre 2010, Pays-Bas et NOS/Commission, T‑231/06 et T‑237/06, Rec, EU:T:2010:525, point 37 et jurisprudence citée).

59      Par ailleurs, il résulte de l’article 7 du règlement n° 659/1999 que, à l’issue de la procédure formelle d’examen, l’analyse de la Commission peut avoir évolué, puisqu’elle peut décider finalement que la mesure ne constitue pas une aide ou que les doutes sur son incompatibilité ont été levés. Il s’ensuit que la décision finale peut présenter certaines divergences avec la décision d’ouverture, sans que celles-ci vicient pour autant la décision finale (voir arrêt Pays-Bas et NOS/Commission, point 58 supra, EU:T:2010:525, point 50 et jurisprudence citée).

60      Il ne saurait donc être reproché à la Commission d’avoir ouvert la procédure formelle d’examen sans avoir relevé que l’aide était illégale en considérant, à titre provisoire, que l’aide envisagée était légale et d’avoir adopté la décision finale en ayant constaté le caractère illégal de l’aide octroyée. Au surplus, il convient de relever que l’analyse qui a été effectuée par la Commission dans le cadre de la procédure formelle d’examen a confirmé l’existence de l’aide et la décision finale, en ce qui concerne la compatibilité de l’aide, a été plus favorable à la requérante, puisque l’aide comprise dans la convention sur les sols a été déclarée partiellement compatible avec les dispositions de l’Union.

61      En tout état de cause, la requérante ne saurait prétendre n’avoir pas été avertie, dans le cadre de la procédure formelle d’examen, que les aides pourraient être réputées accordées en 2006, dès lors qu’il ressort de la lettre d’Habidite du 9 avril 2010 que cette dernière a informé la Commission que les « conventions [… étaie]nt efficaces et en vigueur à la date de leur signature par les parties », que des « actes d’exécution importants » avaient été adoptés par les autorités nationales et que, aux fins de l’analyse de la compatibilité des aides, l’élément pertinent était le moment auquel les aides avaient été octroyées, à savoir celui de la date de signature des conventions.

62      Ces informations ont été transmises par la Commission aux autorités espagnoles par lettre du 15 avril 2010, lesquelles n’ont pas jugé utile de présenter d’observations sur ce point. En outre, la requérante n’a pas non plus déposé d’observations, notamment dans sa lettre du 11 mai 2010, alors même qu’il ressort de cette dernière que la requérante a bien eu accès à la lettre d’Habidite du 9 avril 2010.

63      S’agissant, en second lieu, du grief de la requérante selon lequel ses droits de la défense auraient été violés, il suffit de rappeler que, à partir du moment où la procédure formelle d’examen a été ouverte et que la Commission a publié au Journal officiel l’information selon laquelle ladite procédure était ouverte, il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 56 et 57 ci-dessus qu’une entité infra-étatique, telle que la requérante, ne peut se prévaloir de droits de la défense, ni prétendre à un débat contradictoire avec la Commission.

64      Pour autant que la requérante allègue une violation des droits de la défense du Royaume d’Espagne, il résulte également d’une jurisprudence constante que seul l’État membre peut se prévaloir d’une telle atteinte qui aurait été commise à ses droits (voir, en ce sens, arrêts du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, Rec, EU:C:2011:732, points 165 et 181, et du 8 juillet 2004, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, T‑198/01, Rec, EU:T:2004:222, points 196 à 198).

65      Dès lors, en ne relevant pas, dans le cadre de l’ouverture de la procédure formelle d’examen, que les aides étaient illégales et en concluant, dans le cadre de la décision finale, que les aides l’étaient, la Commission n’a commis aucune violation des dispositions de l’article 6 du règlement n° 659/1999.

66      Le troisième moyen ne saurait donc être accueilli.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation au titre de l’article 296 TFUE

67      La requérante fait valoir que la Commission a effectué l’examen de compatibilité des aides prévues dans les conventions sous la prémisse qu’il s’agissait d’aides illégales : en qualifiant d’aides illégales les mesures prévues dans la convention sur les sols et la convention sur les habitations, la Commission a commis une erreur qui affecte la motivation de la décision attaquée, puisque l’examen de compatibilité aurait dû être fait au regard de la réglementation applicable aux aides notifiées.

68      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et de défendre leurs droits et au juge d’exercer son contrôle. Il ne saurait toutefois être exigé que la motivation spécifie tous les différents éléments de fait et de droit pertinents. En effet, la question de savoir si la motivation d’une décision satisfait à ces exigences doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 22 avril 2008, Commission/Salzgitter, C‑408/04 P, Rec, EU:C:2008:236, point 56 ; du 30 avril 1998, Vlaamse Gewest/Commission, T‑214/95, Rec, EU:T:1998:77, points 62 et 63, et du 27 septembre 2005, Common Market Fertilizers/Commission, T‑134/03 et T‑135/03, Rec, EU:T:2005:339, point 156).

69      Il s’ensuit que le défaut ou l’insuffisance de motivation constitue un moyen tiré de la violation des formes substantielles, distinct, en tant que tel, du moyen pris de l’inexactitude des motifs de la décision, dont le contrôle relève de l’examen du bien-fondé de cette décision (arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑67/95 P, Rec, EU:C:1998:154, point 67 ; du 15 décembre 2005, Italie/Commission, C‑66/02, Rec, EU:C:2005:768, point 26 ; du 14 mai 1998, Buchmann/Commission, T‑295/94, Rec, EU:T:1998:88, point 45, et du 12 décembre 2006, Asociación de Estaciones de Servicio de Madrid et Federación Catalana de Estaciones de Servicio/Commission, T‑95/03, Rec, EU:T:2006:385, point 107).

70      À cet égard, force est de constater que, ainsi que l’a reconnu la requérante lors de l’audience, en réponse à une question posée par le Tribunal, ce dont il a été pris acte au procès-verbal d’audience, ce moyen relève du fond, dans la mesure où la requérante ne prétend pas que la motivation de la décision attaquée est erronée ou contradictoire, mais que l’examen de l’aide aurait dû être effectué au regard de la réglementation applicable aux aides légales et non pas aux aides illégales.

71      Dès lors que, dans le cadre des premier et deuxième moyens, il a été conclu que l’aide avait été octroyée, en sorte qu’il s’agissait d’une aide illégale, il s’ensuit que le quatrième moyen doit, par conséquent, être également rejeté.

72      En tout état de cause et pour autant que le présent moyen puisse être considéré comme tiré de la violation de l’obligation de motivation, il convient de relever que, ainsi que le relève à juste titre la Commission, au regard tant de son libellé que du contexte dans lequel elle a été adoptée, la décision attaquée contient, aux considérants 111 à 151, une motivation longue et particulièrement détaillée, qui satisfait aux obligations énoncées à l’article 296 TFUE.

73      Il s’ensuit que le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation doit être rejeté.

74      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le recours dans son ensemble doit être rejeté, sans qu’il soit besoin d’examiner la fin de non-recevoir opposée en défense par la Commission.

 Sur les dépens

75      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En l’espèce, la requérante a succombé et la Commission a conclu à ce que celle-ci soit condamnée aux dépens, en sorte qu’il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Diputación Foral de Bizkaia est condamnée aux dépens.

Martins Ribeiro

Gervasoni

Madise

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 mai 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’espagnol.