CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 23 mai 2007 (1)

Affaire C‑341/05

Laval un Partneri Ltd

contre

Svenska Byggnadsarbetareförbundet e.a.

[demande de décision préjudicielle formée par l’Arbetsdomstolen (Suède)]

«Libre prestation de services – Articles 12 CE et 49 CE – Directive 96/71/CE – Effet direct horizontal – Détachement de travailleurs – Entreprise du secteur de la construction – Conditions de travail et d’emploi – Taux de salaire minimal – Convention collective non déclarée d’application générale – Actions collectives – Droits fondamentaux – Protection des travailleurs – Dumping social – Proportionnalité»

I –   Introduction

II – Le cadre juridique

A –   Le droit communautaire

B –   Le droit national

1.     Le droit national relatif au détachement des travailleurs

2.     Les conventions collectives en Suède

3.     Le droit national relatif à l’action collective

III – Le litige au principal et les questions préjudicielles

IV – La procédure devant la Cour

V –   Analyse juridique

A –   Observations liminaires

1.     Sur l’applicabilité du droit communautaire

2.     Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

B –   Sur les questions préjudicielles

1.     Observations générales

2.     Sur l’interprétation de la directive 96/71 et sa mise en œuvre en Suède

3.     Conclusion intermédiaire

4.     Sur l’article 49 CE

a)     Remarques générales

b)     Sur l’existence d’une restriction à la libre prestation des services

c)     Sur les justifications éventuelles de la restriction

i)     Sur la proportionnalité des actions collectives en ce qu’elles visent à imposer le taux de salaire déterminé conformément à la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet

ii)   Sur la proportionnalité des actions collectives en ce qu’elles visent à imposer toutes les conditions prévues par la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet

VI – Conclusion





I –    Introduction

1.        Par ses deux questions préjudicielles, l’Arbetsdomstolen (Suède) demande, en substance, à la Cour si, dans la situation où un État membre ne possède pas de système de déclaration d’application générale des conventions collectives, l’article 12 CE, l’article 49 CE et la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (2), doivent être interprétés de sorte qu’ils s’opposent à ce que des organisations syndicales de travailleurs d’un État membre déclenchent, en conformité avec le droit interne de cet État, des actions collectives qui visent à contraindre un prestataire de services d’un autre État membre à souscrire une convention collective au profit des travailleurs détachés temporairement par ce prestataire sur le territoire du premier État membre, y compris lorsque ce prestataire est déjà lié par une convention collective conclue dans l’État membre de son établissement.

2.        La présente affaire soulève de nombreuses questions juridiques dont la résolution est loin d’être aisée et dont les plus complexes s’inscrivent sous le sceau de l’exigence de la conciliation d’intérêts divergents.

3.        Ainsi, la réponse à apporter à la présente affaire commande de mettre en balance l’exercice par des organisations syndicales de travailleurs du droit de recourir à l’action collective pour la défense des intérêts des travailleurs – droit qui, comme je le propose dans les présentes conclusions, devrait être considéré comme appartenant aux principes généraux du droit communautaire – avec l’exercice, par une entreprise établie dans la Communauté, de la libre prestation des services, liberté fondamentale du traité CE.

4.        Elle requiert également que soient conciliées la protection des travailleurs détachés de manière temporaire sur le territoire d’un État membre dans le cadre d’une prestation de services transfrontalière, la lutte contre le dumping social et la préservation de l’égalité de traitement entre les entreprises nationales d’un État membre et les prestataires de services des autres États membres.

5.        Elle exige aussi, à mon sens, d’examiner de manière détaillée l’articulation des dispositions de la directive 96/71 et de l’article 49 CE, eu égard au modèle particulier des relations collectives du travail qui prévaut en Suède, modèle que, selon l’analyse développée dans les présentes conclusions, l’application du droit communautaire ne devrait pas mettre en cause, mais qui doit cependant assurer que les actions collectives qu’il autorise respectent, en particulier, le principe de proportionnalité.

6.        Enfin, la présente affaire pourrait donner l’occasion à la Cour de préciser sa jurisprudence relative à l’effet direct horizontal de l’article 49 CE, effet que je lui propose de reconnaître dans les présentes conclusions.

II – Le cadre juridique

A –    Le droit communautaire

7.        L’article 12 CE énonce que, dans le domaine d’application du traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.

8.        L’article 49, premier alinéa, CE prévoit que les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de la Communauté sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation.

9.        L’article 50, premier alinéa, CE définit comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives, notamment, à la libre circulation des capitaux et des personnes. En vertu du dernier alinéa de cette disposition, le prestataire peut, pour l’exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans le pays où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que ce pays impose à ses propres ressortissants.

10.      Selon l’article 55 CE, les dispositions des articles 45 CE à 48 CE sont applicables au chapitre relatif à la libre prestation des services. S’appliquent ainsi à ce chapitre tant les dispositions de l’article 46 CE, qui accordent aux États membres le droit d’appliquer des dispositions législatives, réglementaires et administratives prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers, et justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique, que celles de l’article 47, paragraphe 2, CE, qui permettent ainsi au Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l’article 251 CE, d’adopter notamment des directives visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de prestation de services.

11.      C’est ainsi que, sur la base de l’article 57, paragraphe 2, du traité CE (devenu, après modification, article 47, paragraphe 2, CE) et de l’article 66 du traité CE (devenu article 55 CE), le Conseil et le Parlement européen ont adopté, le 16 décembre 1996, la directive 96/71.

12.      Constatant, à son troisième considérant, que le marché intérieur offre un cadre dynamique à la prestation de services transnationale, dans lequel les entreprises peuvent détacher des travailleurs en vue d’effectuer à titre temporaire un travail sur le territoire d’un État membre autre que celui sur le territoire duquel ils accomplissent habituellement leur travail, la directive 96/71 vise, ainsi que le souligne son cinquième considérant, à concilier la promotion de la libre prestation de services transnationale avec la nécessité d’une «concurrence loyale» et des «mesures garantissant le respect des droits des travailleurs».

13.      Comme le rappellent les huitième et dixième considérants de la directive 96/71, les dispositions de la convention de Rome, du 19 juin 1980, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (3), prévoient que, à défaut de choix par les parties, le contrat de travail est régi par la loi de l’État où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s’il est détaché à titre temporaire dans un autre État, ou par la loi de l’État où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur, sans que cela préjuge toutefois de la possibilité, sous certaines conditions, que soit donné effet, concurremment avec la loi déclarée applicable au contrat, aux règles de police d’une autre loi, en particulier celle de l’État sur le territoire duquel le travailleur est détaché à titre temporaire.

14.      À cet égard, ainsi que ses sixième et treizième considérants l’annoncent, la directive 96/71 a pour objet de coordonner le droit des États membres qui s’applique à la prestation de services transnationale, en prévoyant les conditions de travail et d’emploi applicables à la relation de travail envisagée, dont notamment un «noyau» de règles impératives de protection minimale que doivent observer, dans l’État d’accueil, les employeurs qui détachent des travailleurs à titre temporaire sur le territoire de l’État membre de la prestation.

15.      L’article 1er de la directive 96/71 énonce:

«1. La présente directive s’applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d’une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs, conformément au paragraphe 3, sur le territoire d’un [autre] État membre.

[…]

3. La présente directive s’applique dans la mesure où les entreprises visées au paragraphe 1 prennent l’une des mesures transnationales suivantes:

a)       détacher un travailleur, pour leur compte et sous leur direction, sur le territoire d’un État membre, dans le cadre d’un contrat conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services opérant dans cet État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement

ou

b)       détacher un travailleur sur le territoire d’un État membre, dans un établissement ou dans une entreprise appartenant au groupe, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement

ou

c)      détacher, en tant qu’entreprise de travail intérimaire ou en tant qu’entreprise qui met un travailleur à disposition, un travailleur à une entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité sur le territoire d’un État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise de travail intérimaire ou l’entreprise qui met un travailleur à disposition et le travailleur pendant la période de détachement.

[…]»

16.      L’article 3 de la directive 96/71, relatif aux conditions de travail et d’emploi, est libellé comme suit:

«1. Les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1er paragraphe 1 garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d’emploi concernant les matières visées ci-après qui, dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées:

–        par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives

et/ou

–        par des conventions collectives ou sentences arbitrales déclarées d’application générale au sens du paragraphe 8, dans la mesure où elles concernent les activités visées en annexe:

a)      les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos;

b)      la durée minimale des congés annuels payés;

c)      les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires; le présent point ne s’applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels;

d)      les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire;

e)      la sécurité, la santé et l’hygiène au travail;

f)      les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes;

g)      l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d’autres dispositions en matière de non-discrimination.

Aux fins de la présente directive, la notion de taux de salaire minimal visée au second tiret point c) est définie par la législation et/ou la pratique nationale(s) de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché.

[…]

7. Les paragraphes 1 à 6 ne font pas obstacle à l’application de conditions d’emploi et de travail plus favorables pour les travailleurs.

Les allocations propres au détachement sont considérées comme faisant partie du salaire minimal, dans la mesure où elles ne sont pas versées à titre de remboursement des dépenses effectivement encourues à cause du détachement, telles que les dépenses de voyage, de logement ou de nourriture.

8. On entend par conventions collectives ou sentences arbitrales, déclarées d’application générale, les conventions collectives ou les sentences arbitrales qui doivent être respectées par toutes les entreprises appartenant au secteur ou à la profession concernés et relevant du champ d’application territoriale de celles-ci.

En l’absence d’un système de déclaration d’application générale de conventions collectives ou de sentences arbitrales au sens du premier alinéa, les États membres peuvent, s’ils décident ainsi, prendre pour base:

–        les conventions collectives ou sentences arbitrales qui ont un effet général sur toutes les entreprises similaires appartenant au secteur ou à la profession concernés et relevant du champ d’application territoriale de celles-ci,

et/ou

–        les conventions collectives qui sont conclues par les organisations des partenaires sociaux les plus représentatives au plan national et qui sont appliquées sur l’ensemble du territoire national,

pour autant que leur application aux entreprises visées à l’article 1er paragraphe 1 garantisse, quant aux matières énumérées au paragraphe 1 premier alinéa du présent article, une égalité de traitement entre ces entreprises et les autres entreprises visées au présent alinéa se trouvant dans une situation similaire.

Il y a égalité de traitement, au sens du présent article, lorsque les entreprises nationales se trouvant dans une situation similaire:

–        sont soumises, au lieu d’activité ou dans le secteur concernés, aux mêmes obligations, en ce qui concerne les matières énumérées au paragraphe 1 premier alinéa, que les entreprises visées par les détachements

et

–        se voient imposer lesdites obligations avec les mêmes effets.

[…]

10. La présente directive ne fait pas obstacle à ce que les États membres, dans le respect du traité, imposent aux entreprises nationales et aux entreprises d’autres États, d’une façon égale:

–        des conditions de travail et d’emploi concernant des matières autres que celles visées au paragraphe 1 premier alinéa, dans la mesure où il s’agit de dispositions d’ordre public;

–        des conditions de travail et d’emploi fixées dans des conventions collectives ou sentences arbitrales au sens du paragraphe 8 et concernant des activités autres que celles visées à l’annexe.»

17.      Il ressort de l’article 4, paragraphes 1 et 3, de la directive 96/71 que, dans le cadre de la coopération en matière d’information, chaque État membre peut désigner un ou plusieurs bureaux de liaison sur son territoire et prend les mesures appropriées pour que les informations concernant les conditions de travail et d’emploi visées à l’article 3 soient généralement accessibles.

18.      Par ailleurs, en vertu de l’article 5, second alinéa, de la directive 96/71, les États membres doivent veiller en particulier à ce que les travailleurs et/ou leurs représentants disposent de procédures adéquates aux fins de l’exécution des obligations prévues par la même directive.

19.      En outre, les vingt et unième et vingt-deuxième considérants de la directive 96/71 rappellent, respectivement, que le règlement (CEE) nº 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (4), fixe les dispositions applicables en matière de prestations et de cotisations de sécurité sociale et que la directive 96/71 est sans préjudice du droit des États membres en matière d’action collective pour la défense des intérêts professionnels.

20.      Enfin, l’annexe de la directive 96/71 vise toutes les activités dans le domaine de la construction, y compris celles concernant la réalisation, la remise en état et la modification de constructions.

B –    Le droit national

1.      Le droit national relatif au détachement des travailleurs

21.      L’article 5 de la loi sur le détachement des travailleurs [lagen (1999: 678) om utstationering av arbetstagare, ci-après la «loi suédoise relative au détachement des travailleurs»], qui a transposé la directive 96/71 en Suède, précise les conditions de travail et d’emploi applicables aux travailleurs détachés, quelle que soit la loi applicable au contrat de travail lui-même. Cet article vise ainsi les conditions de travail et d’emploi relevant des matières énumérées à l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de la directive 96/71, à l’exception de celle sous c), portant sur le taux de salaire minimal. La loi suédoise relative au détachement des travailleurs est en effet muette en ce qui concerne les rémunérations, lesquelles sont traditionnellement régies en Suède par les conventions collectives. Elle ne renvoie pas non plus aux conditions de travail et d’emploi, autres que la rémunération, qui sont régies par des conventions collectives.

22.      Il est constant que cette situation s’explique par les caractéristiques du système suédois qui accorde aux conventions collectives conclues par les partenaires sociaux un rôle prépondérant pour assurer aux travailleurs la protection que leur reconnaît la législation dans les autres États membres. Les conventions collectives ayant un degré de couverture élevé en Suède, puisqu’elles s’appliquent à plus de 90 % des travailleurs du secteur privé, et les mécanismes et les procédures à la disposition des partenaires sociaux assurant de manière satisfaisante le respect des règles minimales prévues par les conventions collectives, le législateur suédois n’a dès lors pas ressenti la nécessité d’étendre l’effet de ces conventions par le biais d’une déclaration d’application générale. Selon le législateur suédois, une déclaration d’application générale uniquement applicable aux prestataires de services étrangers qui exercent temporairement une activité en Suède aurait eu pour effet de créer une discrimination entre ces prestataires et les entreprises suédoises, dans la mesure où les conventions collectives ne s’appliquent jamais automatiquement à ces dernières. Il n’existe donc pas en Suède de système de déclaration d’application générale des conventions collectives, tel que visé par l’article 3, paragraphes 1 et 8, de la directive 96/71.

23.      Selon l’article 9 de la loi suédoise relative au détachement des travailleurs, le bureau de liaison, créé conformément à l’article 4 de la directive 96/71, doit signaler l’existence de conventions collectives qui peuvent être applicables en cas de détachement de travailleurs en Suède et renvoyer tout intéressé aux parties à la convention collective concernée pour de plus amples informations.

2.      Les conventions collectives en Suède

24.      Les conventions collectives, qui sont des conventions de droit civil, peuvent être conclues à différents échelons entre employeurs et organisations syndicales de travailleurs, conformément aux dispositions de la loi sur la participation des salariés aux décisions négociées [Lagen (1976: 580) om medbestämmande i arbetslivet ou medbestämmandelagen, ci-après la «MBL»] (5). Ainsi qu’il a déjà été indiqué, les conventions collectives possèdent un degré de couverture élevé dans le secteur privé suédois.

25.      Les conventions collectives sont généralement conclues à l’échelon national entre organisations d’employeurs et de travailleurs, dans différents domaines d’activités. Elles lient ensuite tous les employeurs membres de l’organisation concernée. Une entreprise non membre de l’organisation patronale signataire, y compris une entreprise étrangère, peut également être liée par une convention collective si elle conclut un accord dit «de rattachement» («hängavtal» en suédois, ci-après l’«accord de rattachement») à l’échelon local avec la section locale de l’organisation syndicale de travailleurs en question. En signant un accord de rattachement, l’employeur s’engage à se conformer aux conventions collectives généralement appliquées dans la branche à laquelle il appartient. Cet accord implique que les parties sont tenues par une obligation de paix sociale, leur permettant ensuite, en particulier, d’ouvrir une négociation sur le niveau de rémunération à appliquer aux travailleurs concernés.

26.      Par ailleurs, de nombreuses conventions collectives contiennent des «clauses billot» («stupstocksregel» en suédois ou «fall-back clause» en anglais), qui représentent des solutions de dernier ressort à propos d’une question sur laquelle, au niveau local, les parties à la négociation n’ont pas réussi à s’entendre après un certain délai. Une telle clause billot peut, en particulier, concerner la rémunération.

27.      Conformément à la MBL, une convention collective signée par un employeur à l’échelon national, ou à laquelle un employeur se rattache par la signature d’un accord de rattachement au niveau local, s’applique à tous les travailleurs sur le lieu de travail, qu’ils soient organisés sur le plan syndical ou non.

3.      Le droit national relatif à l’action collective

28.      Le droit de mener une action collective en Suède est un droit constitutionnel, garanti au chapitre 2 de la loi fondamentale portant organisation des pouvoirs publics (Regeringsformen 1974:152). Son article 17 autorise les organisations de travailleurs et d’employeurs à entreprendre des actions collectives, sauf dispositions contraires prévues par une loi ou par un accord.

29.      La MBL prévoit des limitations au droit de mener une action collective, parmi lesquelles figure le cas où règne la paix sociale entre employeurs et travailleurs liés par une convention collective.

30.      Selon l’article 42, premier alinéa, de la MBL, tel qu’interprété par la jurisprudence, il est interdit de mener une action collective aux fins d’obtenir l’abrogation ou la modification d’une convention collective conclue par des tiers. Un arrêt de l’Arbetsdomstolen de 1989, dit Britannia (6), a jugé que cette interdiction s’étendait aux actions collectives déclenchées en Suède aux fins d’obtenir l’abrogation ou la modification d’une convention collective conclue entre des parties étrangères, sur un lieu de travail à l’étranger, si une telle action collective est interdite par le droit étranger applicable aux parties signataires de ladite convention collective.

31.      Afin de limiter la portée du principe dégagé par l’arrêt Britannia, précité, le législateur suédois a adopté une loi dite «lex Britannia», entrée en vigueur le 1er juillet 1991, par laquelle trois dispositions ont été insérées dans la MBL, à savoir les articles 25 bis, 31 bis et 42, troisième alinéa.

32.      L’article 25 bis de la MBL dispose qu’«[u]ne convention collective privée de validité au regard du droit étranger, au motif qu’elle aurait été conclue après une action collective, est néanmoins valable en Suède si l’action collective en question est autorisée au regard de la loi suédoise».

33.      En vertu de l’article 31 bis de la MBL, «[a]u cas où un employeur lié par une convention collective, à laquelle ne s’appliquerait pas directement la présente loi, conclut par la suite une convention collective conformément aux dispositions des articles 23 et 24 de la présente loi, la convention collective postérieure s’appliquera chaque fois que les conventions comportent des stipulations qui s’opposent entre elles».

34.      Aux termes de l’article 42 de la MBL:

«Les organisations patronales ou de travailleurs ne sont pas en droit d’organiser ni de susciter, d’une quelconque autre manière, une action collective illégale. Elles ne sont pas non plus en droit de participer à une action collective illégale, sous la forme d’un soutien ou d’une quelconque autre manière […].

En cas de déclenchement d’une action collective illégale, il est fait interdiction à des tiers de participer à cette action.

Les dispositions des deux premières phrases du premier alinéa ne sont applicables que si une organisation déclenche une action collective en raison de rapports de travail entrant directement dans le champ d’application de la présente loi».

35.      Les actions collectives visées par la MBL comprennent, outre la grève et le lock‑out, le blocus, c’est-à-dire l’action de boycott d’une organisation syndicale à l’encontre d’un employeur visant à l’empêcher de recourir aux travailleurs membres de cette organisation, ainsi que l’«action de solidarité» («sympatiåtgärd») qui implique, en particulier, qu’une organisation syndicale, qui n’est pas elle-même partie à un conflit social, soutient l’action collective d’une autre organisation, en adoptant une action allant dans le même sens.

III – Le litige au principal et les questions préjudicielles

36.      Au début du mois de mai 2004, Laval un Partneri Ltd (ci-après «Laval»), société de droit letton dont le siège social est à Riga, a détaché plusieurs dizaines de travailleurs de Lettonie pour l’exécution de chantiers en Suède. Les travaux ont été entrepris par une société filiale, dénommée L&P Baltic Bygg AB (ci-après «Baltic Bygg»). Parmi ces travaux figuraient la rénovation et l’extension d’un établissement scolaire dans la ville de Vaxholm, située dans la région de Stockholm. Baltic Bygg s’est vu attribuer le marché public de travaux à la suite d’un appel d’offres. Le contrat conclu entre l’administration communale et l’entreprise prévoyait que les conventions collectives et accords de rattachement suédois seraient applicables sur le chantier, mais, d’après Laval, les parties se sont accordées ultérieurement sur la non-application de cette clause.

37.      En juin 2004, des contacts ont été établis entre, d’une part, un représentant de Laval et de Baltic Bygg et, d’autre part, le délégué de la section syndicale (locale) nº 1 (Svenska Byggnadsarbetareförbundet avdelning 1, ci-après la «section syndicale locale») du syndicat suédois des travailleurs du secteur du bâtiment et des travaux publics (Svenska Byggnadsarbetareförbundet, ci‑après «Byggnadsarbetareförbundet») (7). Des négociations se sont ouvertes avec la section syndicale locale en vue de la conclusion d’un accord de rattachement à la convention collective du bâtiment, signée entre Byggnadsarbetareförbundet et le syndicat suédois des employeurs du bâtiment (Sveriges Byggindustrier) (ci-après la «convention collective de Byggnadsarbetareförbundet»). L’accord de rattachement aurait eu pour conséquence d’étendre l’application de la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet aux travailleurs détachés par Laval sur le chantier de la commune de Vaxholm. Cependant, aucun accord n’a pu être conclu. D’après les renseignements fournis par la juridiction de renvoi dans son ordonnance, la section syndicale locale exigeait, d’une part, la conclusion de l’accord de rattachement pour le chantier en question et, d’autre part, qu’un salaire horaire de 145 SEK (8) soit garanti aux travailleurs du chantier, ce qui, selon la section syndicale locale, constituait un salaire horaire moyen. À défaut de la conclusion d’un tel accord, la section syndicale locale a indiqué que Byggnadsarbetareförbundet serait prêt à déclencher une action collective.

38.      D’après les éléments du dossier, à la fin de l’année 2004, la section syndicale locale s’est déclarée disposée à abandonner la revendication salariale de 145 SEK de l’heure, pour autant que Laval signe l’accord de rattachement. Dans ce cas, Laval aurait pu bénéficier de la paix sociale et des négociations sur les salaires auraient pu s’ouvrir, conformément à la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet (9). Si ces négociations avaient échoué, tout d’abord au niveau local avec la section syndicale locale, puis au niveau central avec Byggnadsarbetareförbundet, Laval aurait encore pu se prévaloir de la clause billot salariale, prévue dans la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet, en vertu de laquelle était fixé un salaire de base de 109 SEK de l’heure (10) pour la seconde moitié de 2004.

39.      En septembre et en octobre 2004, Laval a signé deux conventions collectives avec le syndicat des travailleurs du secteur du bâtiment en Lettonie. Son personnel détaché ne s’est pas affilié aux syndicats suédois.

40.      Une action collective, déclenchée par Byggnadsarbetareförbundet et sa section syndicale locale, a débuté le 2 novembre 2004 après un préavis de blocus de tous les travaux sur l’ensemble des lieux de travail de Laval. À partir du 3 décembre 2004, le syndicat suédois des travailleurs électriciens (Svenska Elektrikerförbundet, ci-après «SEF») (11) s’est joint au mouvement par solidarité. Tous les travaux d’électricité en cours sur le chantier de Vaxholm ont ainsi été arrêtés. Suivant l’interruption des travaux sur ce chantier pendant un certain temps, Baltic Bygg a fait l’objet d’une procédure collective de liquidation. Entre‑temps, les travailleurs lettons détachés par Laval sur le chantier de Vaxholm sont retournés en Lettonie. D’après les renseignements fournis par la juridiction de renvoi dans son ordonnance, l’action collective des syndicats était toujours en cours en septembre 2005.

41.      En décembre 2004, Laval a saisi l’Arbetsdomstolen d’un recours visant, d’abord, à ce que soient déclarées illégales tant l’action collective de Byggnadsarbetareförbundet et de sa section syndicale locale, frappant l’ensemble des chantiers de Laval, que l’action de solidarité de SEF relative au blocus des travaux; ensuite, qu’il soit ordonné de mettre fin à ces actions; enfin, que les organisations syndicales soient condamnées à la réparation du préjudice qu’elle a subi. Laval a également introduit une demande en référé devant l’Arbetsdomstolen qui visait à ordonner qu’il soit mis fin aux actions collectives. Cette demande a été rejetée par ordonnance du 22 décembre 2004.

42.      Dans sa décision sur le fond, l’Arbetsdomstolen a conclu que l’appréciation de la légalité de l’action collective décrite ci-dessus soulève des questions d’interprétation du droit communautaire et a posé à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes:

«1)       Le fait pour des organisations syndicales de tenter, par une action collective prenant la forme d’un blocus, de contraindre un prestataire de services étranger à signer une convention collective dans l’État de séjour relative aux conditions de travail et d’emploi, telle que celle présentée dans la décision [de renvoi], est-il compatible avec les règles du traité CE sur la libre prestation de services et sur l’interdiction de toute discrimination en raison de la nationalité, ainsi qu’avec la directive 96/71 […], si la situation dans l’État de séjour est telle que la législation transposant ladite directive ne renferme aucune disposition expresse sur l’application de conditions de travail et d’emploi dans les conventions collectives?

2)      La [MBL] interdit à une organisation syndicale d’entreprendre une action collective visant à écarter une convention collective conclue entre d’autres partenaires sociaux. Cette interdiction ne vaut cependant, d’après une disposition spéciale constituant une partie de la loi dite ‘lex Britannia’, que si une organisation syndicale déclenche une action collective en raison de conditions de travail auxquelles la [MBL] est directement applicable ce qui, en pratique, signifie qu’elle ne vaut pas pour des actions collectives dirigées contre des sociétés étrangères exerçant temporairement une activité en Suède avec leurs propres personnels. Les règles du traité CE relatives à la libre prestation de services et à l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité, ainsi que la directive 96/71, s’opposent-elles à l’application de cette dernière règle – qui, ensemble avec les autres dispositions de la lex Britannia, a pour effet qu’en pratique les conventions collectives suédoises deviennent applicables et priment sur des conventions collectives étrangères déjà conclues – contre une action collective prenant la forme d’un blocus exercé par des organisations syndicales suédoises à l’encontre d’un prestataire de services séjournant temporairement en Suède?»

IV – La procédure devant la Cour

43.      Dans son ordonnance, l’Arbetsdomstolen a demandé à la Cour de soumettre le renvoi préjudiciel à une procédure accélérée, en application de l’article 104 bis, premier alinéa, du règlement de procédure.

44.      Par ordonnance du 15 décembre 2005, le président de la Cour a rejeté cette demande.

45.      Conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice, des observations écrites ont été présentées par la requérante et les défenderesses au principal, quatorze États membres, à savoir le Royaume de Belgique, la République tchèque, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, le Royaume d’Espagne, la République française, l’Irlande, la République de Lettonie, la République de Lituanie, la République d’Autriche, la République de Pologne, la République de Finlande, le Royaume de Suède, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, la République d’Islande, le Royaume de Norvège et l’Autorité de surveillance AELE.

46.      Ces parties ont été entendues à l’audience du 9 janvier 2007, à l’exception du Royaume de Belgique et de la République tchèque qui ne s’y sont pas fait représenter. Par ailleurs, le Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord a également soumis des observations orales lors de cette audience.

V –    Analyse juridique

A –    Observations liminaires

47.      Avant d’entamer l’analyse des questions préjudicielles, il importe de répondre aux objections de nature générale soulevées par les gouvernements danois et suédois quant à l’applicabilité du droit communautaire ainsi que celles, plus circonstancielles, invoquées par les défenderesses au principal quant à la recevabilité de la demande de renvoi préjudiciel.

1.      Sur l’applicabilité du droit communautaire

48.      Le gouvernement danois estime que le droit de déclencher une action collective dans le but de contraindre un employeur à conclure une convention collective, conformément à la législation nationale, échappe à l’application du droit communautaire au motif que la Communauté, ainsi que l’établirait l’article 137, paragraphe 5, CE, n’est pas compétente pour réglementer, directement ou indirectement, une telle action.

49.      Il soutient également avec le gouvernement suédois que l’inapplicabilité du droit communautaire, notamment des libertés de circulation prévues par le traité, découlerait du statut de droit fondamental dont bénéficierait le droit de recourir à l’action collective, en vertu, en particulier, de différents instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme.

50.      S’agissant tout d’abord du premier argument développé par le gouvernement danois, on relèvera que, contrairement à ce que certaines des parties qui sont intervenues à l’audience ont suggéré, son objection ne se résume pas à soutenir que le domaine social échapperait, en tant que tel, à l’application du droit communautaire. Hormis les difficultés à définir avec exactitude l’expression «domaine social», une telle position aurait été manifestement indéfendable et anachronique; en effet, d’une part, les législations sociales des États membres ne bénéficient d’aucune exception générale à l’application des règles du traité, notamment à celle des libertés de circulation que ce dernier instaure, la compétence que les États membres retiennent dans ce secteur devant être exercée dans le respect du droit communautaire (12) et, d’autre part, la Communauté, en vertu du chapitre 1 du titre XI du traité, jouit également d’une compétence dans le domaine social, bien que limitée, qui vise à soutenir et à compléter l’action des États membres, dans les conditions prévues aux articles 137 CE à 145 CE.

51.      Ces deux aspects de l’intégration communautaire, souvent qualifiés, respectivement, d’«intégration négative», à savoir, notamment, une obligation des États membres de ne pas s’opposer à l’application des libertés de circulation prévues par le traité, et d’«intégration positive», ne sont cependant pas antinomiques, ainsi que l’illustre, en particulier, l’article 136 CE, puisque le développement de la politique sociale de la Communauté (13) est perçu comme susceptible de découler «tant du fonctionnement du marché commun, qui favorise l’harmonisation des systèmes sociaux, que des procédures prévues par le […] traité et du rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives» (14).

52.      Cela étant, l’objection opposée par le gouvernement danois à l’applicabilité du droit communautaire dans la présente affaire se fonde plus précisément sur l’article 137, paragraphe 5, CE, qui prévoit que «[l]es dispositions du présent article ne s’appliquent ni aux rémunérations, ni au droit d’association, ni au droit de grève, ni au droit de lock-out».

53.      Je ne crois cependant pas que ladite disposition ait la portée générale que lui prête le Royaume de Danemark.

54.      En effet, il ressort du libellé même de l’article 137, paragraphe 5, CE que celui-ci vise uniquement à exclure des mesures pouvant être adoptées par les institutions communautaires dans les domaines énumérés en son paragraphe 1, selon les modalités prévues dans son paragraphe 2 (majorité qualifiée ou unanimité au sein du Conseil et procédures de codécision ou de consultation du Parlement européen, selon le cas), les aspects de la politique sociale des États membres relatifs aux rémunérations, au droit d’association, aux droits de grève et de lock-out.

55.      Ce libellé, mais également la place qu’occupe le paragraphe 5 de l’article 137 CE au sein du traité, se prête dès lors mal à une interprétation extensive dudit paragraphe suivant laquelle ce dernier déterminerait le champ d’application de l’ensemble des dispositions du traité.

56.      Il n’est d’ailleurs pas certain que la réserve que prévoit l’article 137, paragraphe 5, CE en ce qui concerne le droit de grève et le droit de lock-out s’étende, plus généralement, à toute action collective. En effet, il convient de faire remarquer que, en vertu de l’article 137, paragraphe 1, sous f), CE, la Communauté peut compléter l’action des États membres dans le domaine de «la représentation et [de] la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs, y compris la cogestion, sous réserve du paragraphe 5». Ce dernier semble donc avoir pour fonction de poser une limite à l’attribution de compétences normatives à la Communauté dans des domaines énumérés de manière exhaustive.

57.      Néanmoins, quand bien même on consentirait à interpréter la référence aux droits de grève et de lock-out, faite au paragraphe 5 de l’article 137 CE, comme visant, plus généralement, le droit de recourir à l’action collective, il n’en demeurerait pas moins que cette disposition se limiterait à exclure l’adoption par les institutions communautaires des mesures visées au paragraphe 2 du même article, en particulier l’adoption de directives arrêtant des prescriptions minimales qui régiraient le droit à l’action collective. Pour préserver l’effet utile du paragraphe 5 de l’article 137 CE, les institutions communautaires ne pourraient pas, bien entendu, recourir à d’autres bases juridiques dans le traité pour adopter des mesures visant à rapprocher les législations des États membres en ce domaine.

58.      À toutes fins utiles, tel n’est, par exemple, pas le cas de la directive 96/71, fondée sur les dispositions du traité régissant la libre prestation des services, qui a pour objet de coordonner les règles de conflit de lois des États membres afin de déterminer le droit national applicable à une prestation de services transfrontalière dans une situation de détachement temporaire de travailleurs au sein de la Communauté, sans harmoniser ni les règles matérielles des États membres relatives au droit du travail et aux conditions de travail et d’emploi relevant, notamment, du taux de salaire, ni le droit de recourir à l’action collective.

59.      Cela étant dit, même en épousant une interprétation de l’article 137, paragraphe 5, CE de sorte que ce dernier inclurait une réserve de compétence exclusive des États membres en ce qui concerne la réglementation du droit de recourir à l’action collective, cette disposition ne signifierait pas que, dans le cadre de l’exercice de cette compétence, les États membres ne doivent pas s’assurer que les libertés fondamentales de circulation prévues par le traité sont respectées sur leur territoire.

60.      Il reste à savoir ensuite – et j’aborde maintenant l’examen de l’objection commune soulevée par les gouvernements danois et suédois quant à l’applicabilité du droit communautaire dans la présente affaire – si le droit de recourir à l’action collective, tel que garanti par leurs droits nationaux respectifs, peut néanmoins échapper à l’application des libertés de circulation prévues par le traité, en raison de son statut allégué de droit fondamental.

61.      Cette question revêt une importance primordiale puisque, si l’application des libertés de circulation du traité, en l’occurrence celle de la libre prestation des services, portait atteinte à la substance même du droit de recourir à l’action collective, protégé en tant que droit fondamental, cette application pourrait être considérée comme illégale, quand bien même elle poursuivrait un objectif d’intérêt général (15).

62.      Hormis les références aux droits de grève et de lock-out déjà discutées, le traité ne fait aucunement état d’un droit – qui plus est fondamental – de recourir à l’action collective dans le but de défendre les intérêts professionnels des membres d’un syndicat.

63.      Aux termes de l’article 6, paragraphe 2, UE, «[l]’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire».

64.      Même si cet article ne mentionne, parmi les instruments internationaux, que la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH»), sa rédaction s’inspire de la jurisprudence de la Cour selon laquelle ce traité revêt une «signification particulière» (16), dans l’optique de permettre à la Cour d’identifier les principes généraux du droit communautaire.

65.      Dans cette recherche, il est légitime que la Cour puisse s’inspirer d’autres instruments de protection des droits de l’homme que la CEDH.

66.      Pour ce qui concerne la question qui nous préoccupe, on relèvera que le préambule du traité UE et l’article 136 CE évoquent tant la charte sociale européenne, signée à Turin le 18 octobre 1961, qui a été conclue sous l’égide du Conseil de l’Europe, que la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989, laquelle n’est pas juridiquement contraignante, en affirmant le caractère de «droits sociaux fondamentaux» des droits que ces instruments énoncent. La Cour s’est, elle aussi, référée dans sa jurisprudence à la charte sociale européenne (17) et à la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux (18).

67.      L’attitude de la Cour consistant à accorder une «signification particulière» à la CEDH, sans pour autant exclure d’autres sources d’inspiration, a trouvé son expression dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée solennellement le 7 décembre 2000 à Nice par le Parlement européen, le Conseil et la Commission, après avoir été approuvée par les chefs d’État et de gouvernement des États membres (19) (ci-après la «charte des droits fondamentaux»).

68.      Certes, la charte des droits fondamentaux ne constitue pas un instrument juridique contraignant. Cependant, la Cour a déjà souligné que son objectif principal est de réaffirmer, ainsi qu’il résulte de son préambule, «les droits qui résultent notamment des traditions constitutionnelles et des obligations internationales communes aux États membres, du traité sur l’Union européenne et des traités communautaires, de la [CEDH], des Chartes sociales adoptées par la Communauté et par le Conseil de l’Europe, ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice […] et de la Cour européenne des droits de l’homme» (20).

69.      S’agissant de la liberté syndicale et du droit de recourir à l’action collective, on fera tout d’abord observer que l’article 11 de la CEDH, relatif à la liberté de réunion et d’association – dont la liberté syndicale ne constitue qu’un aspect particulier – (21), énonce, à son paragraphe 1, le droit pour toute personne «à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts». Son paragraphe 2 précise que «[l]’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui […]».

70.      L’article 11, paragraphe 1, de la CEDH protège tant la liberté de s’affilier à un syndicat (aspect dit «positif» de la liberté d’association) que celle de ne pas s’y affilier ou de s’en retirer (aspect dit «négatif» de cette liberté) (22). À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que, si contraindre une personne à s’inscrire à un syndicat déterminé peut ne pas se heurter toujours à la CEDH, une forme de contrainte qui, dans une situation donnée, touche à la substance même de la liberté d’association, telle que la consacre l’article 11 de la CEDH, porte atteinte à ladite liberté. Les autorités nationales peuvent donc être conduites, dans certaines circonstances, à intervenir dans les relations entre personnes privées en adoptant des mesures raisonnables et appropriées afin d’assurer le respect effectif du droit à la liberté de ne pas se syndiquer (23).

71.      Bien que l’article 11, paragraphe 1, de la CEDH ne mentionne pas explicitement le droit de recourir à l’action collective, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que l’expression «pour la défense de ses intérêts» qui y figure «montre que la [CEDH] protège la liberté de défendre les intérêts professionnels des adhérents d’un syndicat par l’action collective de celui-ci, action dont les États contractants doivent à la fois autoriser et rendre possible la conduite et le développement» (24).

72.      Il résulte cependant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que l’article 11, paragraphe 1, de la CEDH, en laissant à chaque État le choix des moyens à employer à cette fin, n’implique pas nécessairement le droit de grève, car les intérêts des membres d’un syndicat peuvent être défendus par d’autres moyens, le droit de grève n’étant d’ailleurs pas expressément consacré par l’article 11 de la CEDH et pouvant être soumis par le droit interne à une réglementation de nature à en limiter dans certains cas l’exercice (25). De même, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu que la conclusion de conventions collectives pouvait également constituer un moyen de défense des intérêts des membres d’un syndicat (26), tout en rejetant le droit, qu’un syndicat tenterait d’opposer à l’État, de conclure de pareilles conventions (27). Jusqu’à présent, la seule modalité de l’action collective qui ait été expressément reconnue par la Cour européenne des droits de l’homme comme un droit à part entière est celui d’être «entendu» par l’État (28).

73.      On pourrait ainsi résumer cette jurisprudence de telle manière que l’article 11, paragraphe 1, de la CEDH exige que les parties contractantes permettent aux syndicats de lutter pour la défense des intérêts de leurs membres (29), sans pour autant leur imposer les moyens d’atteindre ce résultat.

74.      Il convient ensuite de relever que, en vertu de l’article 6, paragraphe 4, de la charte sociale européenne, les parties contractantes reconnaissent «le droit des travailleurs et des employeurs à des actions collectives en cas de conflits d’intérêt, y compris le droit de grève, sous réserve des obligations qui pourraient résulter des conventions collectives en vigueur». L’annexe de la charte sociale européenne, qui fait partie intégrante de cette convention (30), précise, à propos de son article 6, paragraphe 4, qu’«il est entendu que chaque [p]artie contractante peut, en ce qui la concerne, réglementer l’exercice du droit de grève par la loi, pourvu que toute autre restriction éventuelle à ce droit puisse être justifiée aux termes de l’article 31». Il résulte du paragraphe 1 de cet article que l’exercice effectif des droits et des principes consacrés par la charte sociale européenne ne peut faire l’objet de restrictions ou de limitations non spécifiées dans les parties I et II de ladite charte, à l’exception de celles prescrites par la loi et qui sont nécessaires, dans une société démocratique, pour garantir le respect des droits et des libertés d’autrui ou pour protéger l’ordre public, la sécurité nationale, la santé publique ou les bonnes mœurs.

75.      Par ailleurs, le point 13 de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux prévoit que «le droit de recourir en cas de conflits d’intérêts à des actions collectives inclut le droit de grève sous réserve des obligations résultant des réglementations nationales et des conventions collectives».

76.      Enfin, aux termes de l’article 28 de la charte des droits fondamentaux, «les travailleurs et les employeurs, ou leurs organisations respectives ont, conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales le droit […] de recourir, en cas de conflits d’intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris la grève». Son article 52, paragraphe 1, indique que «[t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la Charte des droits fondamentaux doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de la protection des droits et libertés d’autrui».

77.      Quant aux traditions constitutionnelles des États membres, si leur examen exhaustif ne m’apparaît pas impératif eu égard au fait que, ainsi qu’il a été mis en exergue au point 68 des présentes conclusions, la charte des droits fondamentaux, bien que dépourvue de caractère contraignant, a pour objectif principal de réaffirmer les droits qui résultent notamment desdites traditions, on fera cependant remarquer que les textes constitutionnels de nombreux États membres protègent explicitement la liberté de créer des organisations syndicales (31) et la défense de leurs intérêts par l’action collective (32), le droit de grève étant, à cet égard, la modalité la plus régulièrement citée (33).

78.      Cette analyse m’entraîne à considérer que le droit de recourir à l’action collective en vue de défendre les intérêts des membres d’un syndicat constitue un droit fondamental (34). Il s’agit donc non pas uniquement d’un «principe général du droit du travail», comme l’avait déjà admis la Cour dans une jurisprudence relativement ancienne se rapportant au contentieux de la fonction publique communautaire (35), mais bien d’un principe général du droit communautaire, au sens de l’article 6, paragraphe 2, UE. Ce droit doit donc être protégé dans la Communauté.

79.      Contrairement toutefois à ce que suggèrent les gouvernements danois et suédois, reconnaître un tel statut et une telle protection au droit de recourir à l’action collective ne conduit pas à exclure l’applicabilité des règles du traité CE relatives à la libre circulation, dans une situation comme celle au principal.

80.      Tout d’abord, ainsi que les instruments internationaux précités et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme le mettent en exergue, il convient de distinguer entre le droit de recourir à l’action collective et ses modalités d’exercice, lesquelles peuvent varier d’un État membre à un autre et ne bénéficient pas automatiquement de la protection dont jouit ce droit lui-même. Ainsi, si une telle appréciation semble valable pour ce qui concerne le droit de grève, lequel, bien que régulièrement mentionné comme l’un des moyens les plus importants de mise en œuvre de l’action collective, est généralement garanti sous réserve de la reconnaissance d’un droit équivalent en faveur des employeurs (36), le plus souvent sous la forme de lock-out, elle est en tout cas pertinente, selon moi, à propos des modalités, sensiblement moins courantes, sous lesquelles se présentent les actions collectives dans l’affaire au principal, à savoir un blocus et une action de solidarité.

81.      Ensuite, et de manière corollaire, les instruments de protection des droits de l’homme précités, ainsi que les Constitutions des États membres examinées, reconnaissent tous la possibilité d’apporter certaines restrictions à l’exercice du droit de recourir à l’action collective. On peut déduire de ces textes que de telles restrictions doivent être prévues par un acte législatif ou réglementaire, justifiées par la poursuite d’un intérêt général impérieux et ne pas emporter la conséquence d’affecter le «contenu essentiel» de ce droit, selon l’expression qui figure à l’article 52 de la charte des droits fondamentaux, ou de porter atteinte à la substance même du droit ou de la liberté ainsi protégés (37).

82.      Or, je ne perçois pas la raison pour laquelle seules des limites d’origine exclusivement nationale puissent être posées à l’exercice du droit de recourir à l’action collective, lorsque, comme dans l’affaire au principal, les actions en cause visent à contraindre un prestataire de services étranger à signer une convention collective et que, dès lors, cet opérateur, pour s’opposer à de telles actions collectives, tend à se prévaloir, entre autres, d’une des libertés fondamentales de circulation prévues par le traité, laquelle n’apparaît pas manifestement étrangère au litige dont est saisie la juridiction de renvoi, ainsi que je le préciserai dans les développements du second point des présentes observations liminaires.

83.      Certes, il incombe sans conteste aux États membres d’assurer que les syndicats puissent défendre les intérêts de leurs membres par l’action collective sur leur territoire (38). Dès lors que les États membres autorisent l’une ou plusieurs des modalités de cette action sur leur territoire, il leur revient également le droit d’en définir les limites et les conditions d’exercice, conformément aux instruments de protection des droits de l’homme déjà cités. Cependant, il leur incombe tout autant d’assurer que les obligations qu’ils ont décidé d’assumer en vertu du traité, dont, notamment, le respect des libertés fondamentales de circulation qu’il prévoit, soient observées sur leur territoire.

84.      Écarter dans toutes les hypothèses l’applicabilité des libertés de circulation du traité au motif de garantir la protection des droits fondamentaux reviendrait en réalité à consacrer une hiérarchie entre des règles ou des principes de droit primaire qui, si elle n’est pas nécessairement dénuée de pertinence, n’est pas admise en l’état actuel du droit communautaire (39).

85.      Ainsi, loin d’être exclue en l’espèce, l’application des libertés fondamentales de circulation prévues par le traité doit, en définitive, être conciliée avec l’exercice d’un droit fondamental.

86.      C’est précisément la nécessité d’une «mise en balance» de ces exigences qu’a retenue la Cour dans l’arrêt Schmidberger, sur lequel nous reviendrons plus loin, dans un contexte où les autorités nationales, ayant autorisé une manifestation sur un axe autoroutier central pour la circulation transalpine, s’étaient fondées sur la nécessité de respecter des droits fondamentaux garantis tant par la CEDH que par la Constitution de l’État membre concerné pour permettre qu’une limitation soit apportée à l’une des libertés de circulation fondamentales consacrées par le traité (40).

87.      À l’évidence, la Cour n’a nullement considéré que, en raison des droits fondamentaux dont l’exercice était en cause dans cette affaire, à savoir les libertés d’expression et de réunion visées respectivement aux articles 10 et 11 de la CEDH, les règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises étaient inapplicables.

88.      Par ailleurs, admettre l’inapplicabilité des règles et des principes du traité dans une situation comme celle au principal, comme le prétendent les gouvernements danois et suédois, serait, selon moi, susceptible de se heurter à la jurisprudence de la Cour qui précise que des clauses de conventions collectives n’y sont pas soustraites, en particulier s’agissant du respect du principe de non‑discrimination (41), qui trouve notamment son expression dans le principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et féminins (42).

89.      En effet, il serait, à mon avis, bien peu cohérent, voire contradictoire, d’exclure du champ d’application du traité des actions collectives, prenant la forme d’un blocus et d’une action de solidarité, dont le but est de contraindre un employeur à signer une convention collective, et de soumettre, éventuellement dans le même temps, une telle convention au respect du principe de non‑discrimination, tel qu’il résulte précisément des dispositions de ce traité.

90.      Enfin, bien que cet argument ne revête pas une force décisive en soi, je me permets néanmoins de faire remarquer, compte tenu du nombre exceptionnel de parties qui ont déposé des observations devant la Cour, que, parmi les dix-sept États qui sont intervenus dans la présente procédure, quinze d’entre eux n’ont pas mis en doute l’applicabilité du droit communautaire et, en particulier, celle de la libre prestation des services, dans la présente affaire.

91.      Je propose donc à la Cour de retenir que l’exercice par des syndicats d’un État membre de leur droit de recourir à des actions collectives dans le but de contraindre un prestataire de services étranger à conclure une convention collective dans l’État membre dans lequel ce prestataire tend à se prévaloir, notamment, de la libre prestation des services prévue par le traité entre dans le champ d’application du droit communautaire.

92.      Il convient à présent d’examiner l’objection formulée par les défenderesses au principal quant à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle.

2.      Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

93.      Les défenderesses au principal font valoir que la demande de décision préjudicielle serait irrecevable. Au soutien de cette conclusion, elles estiment que les questions posées par la juridiction de renvoi n’auraient aucun lien avec les circonstances de fait de l’affaire au principal, puisque, Laval étant établie en Suède par l’intermédiaire de sa filiale, ni la directive 96/71 ni l’article 49 CE ne sauraient trouver à s’appliquer. La situation factuelle à l’origine du litige reposerait ainsi sur une construction artificielle visant à contourner l’application du droit du travail suédois, Laval cherchant finalement à faire accéder des travailleurs lettons au marché de l’emploi de l’État membre d’accueil tout en voulant échapper aux obligations qui résultent de l’application du droit du travail dudit État.

94.      Cette argumentation mérite, selon moi, d’être écartée, puisque, pour l’essentiel, elle vise à remettre en cause l’appréciation des faits effectuée par la juridiction de renvoi.

95.      Or, selon la jurisprudence, la procédure visée à l’article 234 CE, étant fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, implique que l’appréciation des faits de la cause relève de la compétence du juge national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier au regard des particularités de l’affaire tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (43).

96.      Ainsi que la Cour l’a également indiqué, la présomption de pertinence qui s’attache aux questions posées à titre préjudiciel par les juridictions nationales ne peut être écartée que dans des cas exceptionnels, à savoir lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée des dispositions du droit communautaire visées dans ces questions n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées. Sauf en de telles hypothèses, la Cour est, en principe, tenue de statuer sur les questions préjudicielles qui lui sont posées (44).

97.      En l’espèce, comme je l’ai déjà fait remarquer, la juridiction de renvoi sollicite l’interprétation des articles 12 CE et 49 CE, ainsi que des dispositions de la directive 96/71 sur le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services. Il ressort de l’ordonnance de renvoi que ces questions sont posées dans le cadre du litige qui oppose Laval, une société établie en Lettonie, au syndicat suédois Byggnadsarbetareförbundet, à sa section syndicale locale, ainsi qu’à SEF, à propos des actions collectives déclenchées par ces derniers à la suite du refus de Laval de signer la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet visant à régir les conditions de travail et d’emploi des travailleurs lettons détachés par Laval sur un chantier situé en Suède et exécuté par une entreprise appartenant au groupe Laval. Il est constant que, à la suite des actions collectives et de l’interruption de l’exécution des travaux, les travailleurs détachés sont retournés en Lettonie.

98.      Or, l’interprétation du droit communautaire demandée par la juridiction de renvoi n’apparaît pas manifestement sans rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal et n’apparaît pas de nature hypothétique.

99.      J’ajouterai que, eu égard aux éléments du dossier, c’est à juste titre que la juridiction de renvoi a considéré que l’activité économique de Laval constitue une prestation de services, au sens de l’article 49 CE et de la directive 96/71.

100. À cet égard, et compte tenu également de l’argument développé par les défenderesses au principal, selon lequel la mise à disposition de main-d’œuvre par Laval visait à faire accéder les travailleurs lettons au marché de l’emploi suédois, j’estime opportun de formuler, à ce stade, quelques remarques sur l’articulation des dispositions du traité évoquées par la juridiction de renvoi et celles de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Lettonie (45) (ci‑après l’«acte d’adhésion de 2003»),  lequel, rappelons-le, régissait également, au moment des faits au principal, les rapports entre la République de Lettonie et les autres États membres, mais qui n’est pas mentionné par la demande de renvoi préjudiciel.

101. Aux termes de l’article 2 de l’acte d’adhésion de 2003, les dispositions des traités originaires (46) et les actes pris, avant l’adhésion, par les institutions lient les nouveaux États membres et sont applicables dans ces États dans les conditions prévues par ces traités et par cet acte.

102. Les dispositions du traité, notamment en matière de libre prestation de services, s’appliquent donc, en principe, aux rapports entre la République de Lettonie et les autres États membres dès la date d’adhésion, à savoir le 1er mai 2004, sous réserve des conditions prévues dans l’acte d’adhésion de 2003.

103. L’article 24 de l’acte d’adhésion de 2003 renvoie aux annexes de cet acte qui énumèrent, pour chacun des dix nouveaux États membres, les mesures transitoires qui leur sont applicables et en spécifient les conditions d’application.

104. L’annexe VIII de l’acte d’adhésion de 2003, applicable à la République de Lettonie, vise spécifiquement les articles 39 CE et 49, premier alinéa, CE, ainsi que la directive 96/71.

105. Cependant, les conditions d’application de ces dispositions, telles qu’elles résultent de l’annexe VIII de l’acte d’adhésion de 2003, n’ont pas d’incidence dans les circonstances de la présente affaire.

106. S’agissant tout d’abord de l’article 49, premier alinéa, CE et de la directive 96/71, il résulte du point 13 de l’annexe VIII de l’acte d’adhésion de 2003 que les dispositions transitoires dérogeant à la pleine application de cet article et de ladite directive ne concernent que la circulation temporaire des travailleurs, dans le cadre de la prestation de services par des entreprises établies en Lettonie, sur le territoire de l’Allemagne et de l’Autriche, dans les conditions précisées sous ce point. Le point 13 de l’annexe VIII de l’acte d’adhésion de 2003 n’est donc pas applicable ratione loci aux faits du litige au principal.

107. La directive 96/71 étant susceptible de s’appliquer à l’activité économique de Laval, il importe de noter que, en vertu de l’article 1er, paragraphe 3, sous b), de ladite directive, relève de son champ d’application l’activité d’une entreprise établie dans un État membre qui détache un travailleur sur le territoire d’un autre État membre, dans un établissement ou dans une entreprise appartenant au groupe, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement.

108. C’est bien, semble-t-il, ainsi qu’il ressort de l’ordonnance de renvoi, la situation dans laquelle se trouvaient Laval et les travailleurs lettons que cette entreprise a détachés temporairement en Suède. Notons, en outre, qu’il est constant que les activités pour lesquelles Laval a détaché les travailleurs lettons en Suède relèvent du champ d’application de l’annexe de la directive 96/71, c’est‑à‑dire qu’elles se réalisent dans le secteur de la construction.

109. Ensuite, en ce qui concerne la libre circulation des travailleurs, on relèvera que, au moment des faits au principal, les États membres pouvaient, en vertu du point 2 de l’annexe VIII de l’acte d’adhésion de 2003, par dérogation aux articles 1er à 6 du règlement (CEE) nº 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (47), et jusqu’à la fin de la période de deux ans suivant la date de l’adhésion (à savoir le 30 avril 2006), appliquer des mesures nationales ou des mesures résultant d’accords bilatéraux qui réglementaient l’accès des ressortissants lettons à leur marché du travail (48). Certes, les États membres avaient la faculté de décider, à l’instar du Royaume de Suède, de libéraliser l’accès de leur marché du travail dès le 1er mai 2004 (49). Cependant, cette décision devait être adoptée en application du droit national et non pas en vertu des dispositions du droit communautaire (50).

110. C’est à ce stade de mes développements qu’intervient l’argument des défenderesses au principal, évoqué plus haut, selon lequel la mise à disposition de main-d’œuvre par Laval à sa filiale visait à faire accéder les travailleurs lettons au marché de l’emploi suédois.

111. Cet argument semble être inspiré de la considération, formulée par la Cour dans l’arrêt Rush Portuguesa, selon laquelle, la dérogation, prévue à l’article 216 de l’acte d’adhésion de la République portugaise, apportée à la libre circulation des travailleurs prévue par le traité, s’opposerait à la mise à disposition de travailleurs provenant du Portugal dans un autre État membre par une entreprise prestataire de services (51). Selon le raisonnement de la Cour, une telle entreprise, bien que prestataire de services au sens du traité, viserait, en définitive, à faire accéder des travailleurs au marché de l’emploi de l’État membre d’accueil, au mépris de la dérogation prévue par l’acte d’adhésion.

112. En l’espèce cependant, l’argumentation des défenderesses au principal ne semble étayée par aucun élément du dossier, l’activité de Laval n’apparaissant pas avoir eu pour objet de permettre aux travailleurs lettons d’accéder au marché de l’emploi suédois (52).

113. Pour être complet – même si cette observation dépasse également le cadre de la recevabilité des questions préjudicielles stricto sensu, mais je n’y reviendrai pas –, l’argument des défenderesses au principal, inspiré de l’arrêt Rush Portuguesa, aboutit, selon moi, à desservir et, finalement, à écarter leur thèse, développée dans leurs observations écrites, selon laquelle la présente affaire devrait être examinée uniquement au regard de la libre circulation des travailleurs prévue à l’article 39 CE, et non pas à la lumière de l’article 49 CE et/ou de la directive 96/71.

114. En effet, il suffit de relever que, en raison même de l’application de la première étape des mesures transitoires prévues à l’annexe VIII de l’acte d’adhésion de 2003 au moment des faits au principal, et quand bien même le Royaume de Suède avait décidé, sur la base du droit national, d’ouvrir son marché du travail à l’ensemble des travailleurs en provenance des États membres ayant adhéré à l’Union européenne le 1er mai 2004, les travailleurs lettons ne pouvaient pas se prévaloir directement des dispositions de l’article 39 CE.

115. Enfin, aucun élément du dossier, contrairement à ce que le laissent entendre les défenderesses au principal, ne démontre ni même n’indique que les activités de Laval auraient été entièrement ou principalement tournées vers le territoire suédois en vue de se soustraire aux règles qui lui seraient applicables au cas où cette entreprise aurait été établie en Suède (53).

116. Au terme de ces observations liminaires, j’estime que le droit communautaire est applicable dans la présente affaire et qu’il convient de déclarer recevable la demande de renvoi préjudiciel. Il importe toutefois de souligner que les réponses que je propose de donner aux questions préjudicielles analysées ci‑après ne s’imposeraient pas nécessairement dans tous les cas, notamment en présence de circonstances de fait différentes susceptibles de déclencher l’application des dispositions de l’acte d’adhésion de 2003.

B –    Sur les questions préjudicielles

1.      Observations générales

117. Ainsi qu’il ressort du libellé des deux questions préjudicielles, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur l’interprétation des articles 12 CE, 49 CE et de la directive 96/71.

118. S’agissant de l’article 12 CE, qui énonce l’interdiction de principe de toute discrimination exercée en raison de la nationalité, cette disposition est applicable, comme le rappelle son libellé, «sans préjudice des dispositions particulières que [le traité] prévoit», ce qui implique, conformément à la jurisprudence, qu’elle n’a vocation à s’appliquer de façon autonome que dans des situations régies par le droit communautaire pour lesquelles celui-ci ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination (54).

119. Or, ce principe général a été mis en œuvre et concrétisé tant par l’article 49 CE (55) que par la directive 96/71, laquelle prévoit, en substance, à son article 3, que les conditions de travail et d’emploi fixées dans l’État d’accueil, qui relèvent des matières qui sont énumérées par cette directive ou auxquelles celle-ci renvoie, s’appliquent aux prestataires de services qui détachent temporairement des travailleurs sur le territoire de cet État membre et aux entreprises nationales se trouvant dans une situation similaire dans le respect de l’égalité de traitement.

120. Partant, il n’est pas nécessaire, à mon sens, que la Cour se prononce sur l’article 12 CE dans la présente affaire.

121. Quant à la directive 96/71 et à l’article 49 CE, je tiens à faire observer que la grande majorité des parties qui ont déposé des observations écrites dans la présente procédure a proposé que la Cour examine les questions préjudicielles à l’aune tant des dispositions de la directive 96/71 que de l’article 49 CE, indépendamment de la solution que ces parties suggèrent d’apporter auxdites questions (56). Une minorité des parties qui sont intervenues devant la Cour n’a procédé à l’examen des questions préjudicielles qu’au regard de l’article 49 CE (57), alors que seuls la Commission et le gouvernement norvégien ont développé leur analyse des questions posées par le juge a quo exclusivement à la lumière des dispositions de la directive 96/71.

122. Devant la diversité de ces positions, il paraît utile d’apurer le débat de certains de ses éléments.

123. S’agissant de la directive 96/71, plusieurs parties qui ont déposé des observations devant la Cour, dont très clairement les défenderesses au principal, le gouvernement suédois et l’Autorité de surveillance AELE, ont soutenu que son examen serait dépourvu d’intérêt, dans la mesure où il est constant, d’une part, que le litige à l’origine des questions préjudicielles oppose des personnes privées et, d’autre part, que les dispositions d’une directive, en vertu de la jurisprudence de la Cour, ne sauraient bénéficier d’aucun effet direct «horizontal».

124. Cette argumentation n’est fondée que partiellement, car je ne pense pas qu’elle puisse emporter la conséquence d’exclure la directive 96/71 de l’examen auquel est invitée la Cour.

125. À cet égard, dans un souci de clarté du raisonnement, il convient de préciser la logique qui sous-tend les questions posées par la juridiction de renvoi dans leurs rapports à la directive 96/71 et à la transposition qui en a été réalisée par le Royaume de Suède, en particulier lorsque cette juridiction évoque la circonstance, dans sa première question préjudicielle, selon laquelle la loi suédoise relative au détachement des travailleurs ne renfermerait aucune disposition expresse sur l’application des conditions de travail et d’emploi dans les conventions collectives.

126. Je vous rappelle que l’article 3 de la directive 96/71, disposition fondamentale de cet acte, exige que les États membres veillent à ce que les travailleurs détachés temporairement sur leur territoire, dans le cadre d’une prestation de services, bénéficient des conditions de travail et d’emploi relevant des matières énumérées au paragraphe 1 de cet article. Ces matières comprennent, entre autres, les taux de salaire minimal.

127. Les matières énumérées par l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 sont fixées par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives et/ou, pour ce qui concerne les activités du secteur de la construction, à l’instar de celles en cause dans l’affaire au principal, par des conventions collectives ou sentences arbitrales déclarées d’application générale, au sens du paragraphe8 dudit article.

128. Le paragraphe 8, premier alinéa, de l’article 3 précise que les conventions déclarées d’application générale sont celles qui doivent être respectées par toutes les entreprises appartenant au secteur ou à la profession concernés et relevant du champ d’application territoriale de celles-ci.

129. Le deuxième alinéa du paragraphe 8 du même article permet aux États membres, en l’absence de système de déclaration d’application générale des conventions collectives, de prendre pour base, s’ils décident ainsi: a) les conventions collectives qui ont un effet général sur toutes les entreprises similaires appartenant au secteur ou à la profession concernés et relevant du champ d’application territoriale de celles-ci, et/ou b) les conventions collectives qui sont conclues par les organisations des partenaires sociaux les plus représentatives sur le plan national et qui sont appliquées sur l’ensemble du territoire national à condition, dans chacun de ces cas de figure, de respecter l’égalité de traitement entre les prestataires de services étrangers et les entreprises nationales se trouvant dans une situation similaire.

130. Il est constant, ainsi que je l’ai mis en exergue dans l’exposé du cadre juridique ci-dessus, que le Royaume de Suède n’a pas de système de déclaration d’application générale au sens de l’article 3, paragraphe 8, premier alinéa, de la directive 96/71 et qu’il ne s’est pas prévalu du deuxième alinéa de cette disposition. Par ailleurs, comme déjà indiqué au point 21 ci-dessus, la plupart des conditions de travail et d’emploi concernant les matières énumérées à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 ont été reprises par la loi suédoise relative au détachement des travailleurs qui transpose cette directive.

131. En revanche, la méthode choisie par le Royaume de Suède, qui vise à assurer que les travailleurs détachés temporairement sur son territoire bénéficient des conditions de travail et d’emploi prévues par les conventions collectives, dont, en principe, celles se rapportant au taux de salaire, consiste à laisser aux organisations syndicales de travailleurs, à défaut de signature desdites conventions par un prestataire de services, le soin d’initier des actions collectives dans le but de contraindre cet employeur à souscrire auxdites conventions soit directement, soit par le truchement d’un accord de rattachement, y compris lorsque – et cela intéresse la seconde question posée par la juridiction de renvoi – ce prestataire est déjà lié par une convention collective conclue dans l’État membre de son établissement.

132. Or, il convient également de faire observer que l’application du «noyau dur» des conditions de travail et d’emploi devant être garanti par l’État membre d’accueil aux travailleurs qui se trouvent dans une situation de détachement temporaire sur son territoire, conformément à l’article 3 de la directive 96/71, constitue une dérogation au principe de l’application de la législation de l’État membre d’origine à la situation du prestataire de services dudit État membre qui détache lesdits travailleurs sur le territoire du premier État membre.

133. En conséquence, en interrogeant la Cour sur l’éventuelle transposition incorrecte de l’article 3 de la directive 96/71 en droit interne suédois, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour de la mettre en mesure de déterminer si Laval peut opposer aux organisations syndicales, défenderesses au principal, le fait que le Royaume de Suède n’a pas eu recours aux modalités prévues à l’article 3 de ladite directive pour étendre ou avaliser par un acte d’autorité publique l’application des conventions collectives conclues sur son territoire aux prestataires de services étrangers qui y détachent des travailleurs de manière temporaire. Selon la thèse défendue par Laval et sous-jacente aux deux questions posées par la juridiction de renvoi, cette abstention du Royaume de Suède impliquerait, en l’espèce, que seules la législation et les conventions collectives lettones seraient applicables au détachement et priverait, par voie de conséquence, les organisations syndicales suédoises de la possibilité de tenter de contraindre Laval, par le recours aux actions collectives, à signer la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet en cause dans le litige au principal.

134. Il est donc exact, ainsi que le soutiennent les défenderesses au principal, le gouvernement suédois et l’Autorité de surveillance AELE, que l’interprétation de la directive 96/71 sollicitée par la juridiction de renvoi serait susceptible d’entraîner cette dernière à faire une application directe de ladite directive entre Laval et les organisations syndicales défenderesses au principal.

135. Or, la Cour semble s’être désormais fermement opposée à ce qu’une directive puisse créer des obligations dans le chef d’un particulier et qu’elle soit donc invoquée en tant que telle à son encontre (58).

136. Par ailleurs, je ne crois pas que cet obstacle puisse être écarté par la tentative, esquissée dans les observations écrites de Laval, d’élargir le concept d’État de sorte que, en l’espèce, les organisations syndicales de travailleurs soient considérées comme un démembrement de l’État suédois, à l’encontre duquel Laval pourrait alors invoquer directement la directive 96/71, pour autant que celle‑ci réponde aux critères substantiels de l’effet direct.

137. En effet, ces organisations ne sont aucunement des autorités publiques (59) et ne sont pas chargées, en vertu d’un acte de l’autorité publique, d’accomplir, sous le contrôle de cette dernière, un service d’intérêt public en disposant, à cet effet, de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre les particuliers (60).

138. De plus, la problématique liée à l’effet direct horizontal de la directive 96/71 ne se manifesterait que dans l’hypothèse où la Cour serait amenée à constater que le Royaume de Suède a incorrectement transposé l’article 3 de ladite directive.

139. Cela signifie, d’une part, que la directive 96/71 n’est pas exclue de l’examen auquel doit procéder la Cour, dès lors que, dans sa première question, le juge de renvoi soulève indirectement mais nécessairement la question de savoir si le Royaume de Suède a effectivement correctement transposé cet acte.

140. D’autre part, à supposer même que cette transposition soit incorrecte et à défaut de pouvoir appliquer directement les dispositions de la directive 96/71 dans le litige au principal, il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence, les juridictions nationales doivent interpréter dans toute la mesure du possible le droit interne à la lumière du texte et de la finalité de la directive en cause pour atteindre le résultat visé par celle-ci (61). L’obligation d’interprétation conforme qui s’impose aux juridictions nationales, qui concerne l’ensemble des dispositions du droit national, tant antérieures que postérieures à la directive dont il s’agit, vise à leur permettre d’assurer la pleine efficacité du droit communautaire dans le litige qu’elles ont à trancher en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par le droit interne (62).

141. Certes, toujours selon la jurisprudence, l’obligation d’interprétation conforme trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment dans ceux de sécurité juridique ainsi que de non‑rétroactivité, et elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (63).

142. Dans la présente affaire, cette limitation signifierait certainement que l’interprétation conforme du droit national à laquelle la juridiction de renvoi serait conduite ne pourrait l’entraîner à porter atteinte à la substance même du droit de recourir à l’action collective pour la défense des intérêts des travailleurs, dont j’ai admis, dans mes observations liminaires ci-dessus, qu’il constituait un principe général du droit communautaire, également consacré par la Constitution suédoise. Au demeurant, aucun risque de ce type ne peut provenir d’une interprétation du droit national conforme à la directive 96/71, puisque le préambule de cette dernière, de manière redondante, rappelle, à son vingt-deuxième considérant, que cet acte est sans préjudice du droit des États membres en matière d’action collective pour la défense des intérêts professionnels (64).

143. Malgré l’impossibilité de reconnaître à ses dispositions un effet direct horizontal, l’examen de la directive 96/71 par la Cour est donc loin d’être privé d’intérêt, ainsi qu’il sera développé plus loin dans les présentes conclusions.

144. Il reste à déterminer si la Cour peut faire l’économie de l’analyse des questions préjudicielles au regard de l’article 49 CE ou doit également procéder à leur examen à la lumière de cette disposition.

145. On précisera, à cet égard, que la directive 96/71, ainsi que l’ont fait valoir, en substance et à juste titre, plusieurs parties qui ont déposé des observations écrites dans la présente affaire, constitue une interprétation spécifique de l’article 49 CE, à la lumière de la jurisprudence de la Cour.

146. En effet, en partant de la prémisse, reconnue par la Cour dans son interprétation de l’article 49 CE (65), et rappelée par le douzième considérant de la directive 96/71, que le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que les États membres étendent le champ d’application de leur législation ou des conventions collectives de travail conclues par les partenaires sociaux à toute personne effectuant un travail salarié, y compris temporaire, même si l’employeur est établi dans un autre État membre, la directive 96/71 vise, à son article 3, à préciser les règles impératives de protection minimales des travailleurs que doivent respecter les prestataires de services étrangers qui détachent des travailleurs dans l’État membre d’accueil et que, partant, la libre prestation de services transfrontalière devrait tolérer.

147. Cependant, de par son caractère «minimaliste», la directive 96/71 n’épuise pas l’application de l’article 49 CE (66).

148. En définitive, la réponse à l’interrogation posée au point 144 ci-dessus dépend, à mon sens, essentiellement de l’issue de l’analyse qui sera effectuée sous l’angle de la directive 96/71.

149. En effet, une mesure incompatible avec la directive 96/71 sera a fortiori contraire à l’article 49 CE, puisque cette directive vise à mettre en œuvre, dans son champ d’application spécifique, le contenu dudit article (67).

150. À l’inverse, reconnaître une mesure comme étant conforme à la directive 96/71 ne signifie pas nécessairement qu’elle répond aux exigences de l’article 49 CE, tel qu’interprété par la Cour.

151. En particulier, bien que la directive 96/71 admette que les États membres puissent appliquer au prestataire de services d’un État membre, qui détache des travailleurs de manière temporaire sur le territoire d’un autre État membre, des conditions de travail et d’emploi plus favorables pour les travailleurs que celles visées notamment à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, la reconnaissance d’une telle faculté doit cependant être exercée dans le respect de la libre prestation des services garantie à l’article 49 CE (68).

152. De même, la Cour a considéré que, en vertu de la lecture combinée des articles 3, paragraphe 1, et 5 de la directive 96/71, les États membres doivent veiller, notamment, à ce que les travailleurs détachés disposent de procédures adéquates aux fins de l’obtention effective du salaire minimal, impliquant que la marge d’appréciation offerte aux États membres par l’article 5 susmentionné devait être exercée dans le respect de la libre prestation des services garantie par le traité (69).

153. Dans la mesure où, ainsi qu’il sera exposé plus en détail aux points 194 à 217 des présentes conclusions, certains aspects de la problématique soulevée par la juridiction de renvoi dépassent le champ d’application de la directive 96/71 ou sont tolérés par celle-ci, je considère que les questions préjudicielles devraient également être examinées au regard de l’article 49 CE.

154. Pour être complet, cette appréciation n’est pas mise en cause par l’argument développé par les défenderesses au principal selon lequel Laval ne saurait se prévaloir directement de l’article 49 CE à leur encontre, ne serait-ce qu’en raison de l’obligation, déjà évoquée plus haut, qui incombe au juge a quo d’interpréter le droit interne conformément au droit communautaire dans toute la mesure du possible.

155. Mais j’estime également, à l’instar de ce que soutiennent de manière circonstanciée Laval, le gouvernement estonien et l’Autorité de surveillance AELE, que l’article 49 CE est susceptible de recevoir une application directe dans l’affaire au principal.

156. À cet égard, il y a lieu de souligner que la Cour a reconnu à plusieurs reprises que le respect de l’interdiction de discrimination prévue à l’article 49 CE s’impose non seulement aux autorités publiques, mais aussi aux réglementations de nature non publique qui visent à régler, de façon collective, le travail indépendant et les prestations de services. En effet, selon la jurisprudence, l’abolition entre les États membres des obstacles à la libre prestation des services serait compromise si l’abolition des barrières d’origine étatique pouvait être neutralisée par des obstacles résultant de l’exercice de leur autonomie juridique par des associations ou des organismes ne relevant pas du droit public (70).

157. La Cour justifie également cette approche au motif que les conditions de travail dans les différents États membres sont régies tantôt par la voie de dispositions d’ordre législatif ou réglementaire, tantôt par des conventions et autres actes conclus ou adoptés par des personnes privées. Une limitation de l’interdiction de discrimination aux actes de l’autorité publique risquerait ainsi de créer des inégalités quant à son application (71).

158. J’admets bien volontiers que la présente affaire diffère des situations en cause dans les arrêts où la Cour a jusqu’ici constaté que l’article 49 CE était applicable aux actions de personnes privées. Dans ces affaires, en effet, c’est la légalité des règlements ou autres règles établies par les entités en cause qui était examinée. En revanche, dans la présente affaire, c’est l’exercice par les organisations syndicales de leur droit d’engager une action collective à l’encontre d’un prestataire de services étranger, en vue de le contraindre à souscrire une convention collective suédoise qui est en cause.

159. Toutefois, cette différence n’importe, à mon sens, que pour déterminer si les actions collectives en cause constituent une entrave à la libre prestation des services. Elle est indifférente quant à la question de savoir si les organisations syndicales sont en principe obligées de respecter les interdictions énoncées à l’article 49 CE. Il convient d’ailleurs de rappeler que, dans le cadre de la détermination des conditions de travail et d’emploi dans les États membres, la Cour considère que le principe de non-discrimination mis en œuvre par l’article 49 CE s’impose aux personnes privées dans l’élaboration des conventions (collectives) et lors de la conclusion ou de l’adoption d’autres actes (72).

160. En l’espèce, comme il a déjà pu être observé, le modèle suédois des relations collectives de travail accorde une grande autonomie aux partenaires sociaux, guidée par les principes de responsabilisation et d’autorégulation desdits partenaires (73). Les organisations syndicales jouissent en particulier de larges compétences leur permettant d’étendre la portée des conventions collectives adoptées en Suède aux employeurs non affiliés à une organisation patronale signataire dans cet État membre, dont le recours, le cas échéant, à l’action collective. Ces compétences et leur exercice ont ainsi un effet collectif sur le marché suédois du travail. Le déclenchement d’une action collective constitue, en définitive, une forme de l’exercice, par les organisations syndicales, de leur autonomie juridique dans le but de régler les prestations de services, au sens de la jurisprudence susmentionnée.

161. L’article 49 CE est donc, à mon sens, susceptible de recevoir une application directe dans l’affaire au principal.

162. Il résulte de ces observations générales que, par ses deux questions préjudicielles, qui peuvent être, à mon avis, traitées conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans la situation où un État membre ne possède pas de système de déclaration d’application générale des conventions collectives, la directive 96/71 et l’article 49 CE doivent être interprétés de sorte qu’ils s’opposent à ce que des organisations syndicales de travailleurs d’un État membre déclenchent, en conformité avec le droit interne de cet État, des actions collectives qui visent à contraindre un prestataire de services d’un autre État membre à souscrire, par le biais d’un accord de rattachement, une convention collective au profit des travailleurs détachés temporairement par ce prestataire sur le territoire du premier État membre, y compris lorsque ce prestataire est déjà lié par une convention collective conclue dans l’État membre de son établissement.

163. Ainsi que précisé précédemment, cette question doit nous conduire tout d’abord à examiner si le déclenchement de telles actions collectives repose sur une mise en œuvre correcte de la directive 96/71 en droit interne suédois. En cas de réponse positive, il conviendra ensuite de l’analyser au regard de l’article 49 CE.

2.      Sur l’interprétation de la directive 96/71 et sa mise en œuvre en Suède

164. Comme je l’ai déjà fait observer, il est constant que, en mettant en œuvre la directive 96/71 en droit interne, le législateur suédois a, suivant la tradition suédoise des relations collectives de travail et en l’absence de déclaration d’application générale des conventions collectives, laissé aux partenaires sociaux le soin de déterminer l’essentiel des conditions de travail et d’emploi fixées par les conventions collectives, dont celles relatives à la rémunération, en Suède.

165. Selon le gouvernement suédois, la directive 96/71 n’imposerait pas aux États membres d’introduire dans leur législation un taux de salaire minimal. Aux dires du gouvernement suédois, la directive 96/71 permettrait aux États membres d’accorder une protection supérieure aux travailleurs détachés temporairement sur le territoire de l’un d’entre eux à celle que ce texte prévoit. Les travailleurs détachés de manière temporaire sur le territoire d’un État membre dans le cadre d’une prestation de services transfrontalière doivent donc pouvoir, de l’avis de ce gouvernement, bénéficier des conditions relatives à la rémunération prévues par les conventions collectives, ou auxquelles ces conventions renvoient, dans cet État membre.

166. Ce seraient précisément les mécanismes et les procédures qui sont à la disposition des partenaires sociaux et qui sont garantis par la loi, dont notamment le droit de recourir à l’action collective, qui, de l’avis du gouvernement suédois, assureraient le respect des conditions de travail et d’emploi prévues par les conventions collectives. En ce sens, ces mécanismes et ces procédures permettraient d’atteindre l’objectif visé à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, laquelle, au demeurant, serait sans préjudice du droit de recourir à l’action collective. Le gouvernement suédois ajoute qu’il n’était point besoin que le Royaume de Suède se prévale de l’article 3, paragraphe 8, deuxième alinéa, de ladite directive, puisque cette disposition ne prévoit qu’une modalité facultative offerte aux États membres qui sont dépourvus de système de déclaration d’application générale des conventions collectives. Dans ces conditions, la méthode adoptée par le Royaume de Suède pour transposer la directive 96/71 en droit interne répondrait aux objectifs de cette dernière.

167. Les gouvernements autrichien, danois, finlandais, français, islandais et norvégien défendent, en substance, une conclusion similaire.

168. Tout en suivant la même ligne générale de raisonnement, les gouvernements allemand, espagnol et l’Irlande ainsi que la Commission ajoutent, pour l’essentiel, que les conditions de travail et d’emploi prévues par les conventions collectives doivent soit relever des matières qui sont énumérées à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/7, soit être prévues par des dispositions d’ordre public, au sens de son article 3, paragraphe 10.

169. De leur côté, Laval et les gouvernements estonien, letton, lituanien, polonais ainsi que le gouvernement tchèque sont d’avis que le Royaume de Suède a incorrectement transposé la directive 96/71. Tout d’abord, ces parties considèrent, en référence à une communication du 25 juillet 2003 adoptée par la Commission (74), que le Royaume de Suède, ne s’étant pas prévalu de l’article 3, paragraphe 8, deuxième alinéa, de la directive 96/71, a renoncé à appliquer aux travailleurs détachés de manière temporaire sur son territoire par un prestataire de services étranger les conditions de travail et d’emploi fixées dans des conventions collectives. Ensuite, elles soutiennent que la méthode suédoise n’assure pas l’égalité de traitement entre les prestataires de services et les entreprises nationales et s’avère être une source d’insécurité juridique dans la mesure où, notamment, les premiers ne sont pas informés de l’ensemble des conditions de travail et d’emploi, en particulier celles liées à la rémunération, qui leur seront applicables dans le cadre d’un détachement temporaire de travailleurs dans cet État membre. Enfin, elles estiment que la législation suédoise autorise l’assujettissement des prestataires de services étrangers à des conditions de travail et d’emploi, fixées dans des conventions collectives, qui ne correspondent ni à l’énumération de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 ni aux limites prévues à l’article 3, paragraphe 10, de ladite directive.

170. Pour ma part, j’ai tendance à partager l’approche proposée par les gouvernements allemand, espagnol et l’Irlande ainsi que par la Commission.

171. Comme déjà indiqué, l’article 3 de la directive 96/71 poursuit un double objectif de protection minimale des travailleurs détachés et d’égalité de traitement entre les prestataires de services et les entreprises nationales se trouvant dans une situation similaire. Ces deux exigences doivent être poursuivies concurremment.

172. Quant au premier objectif, l’article 3 de la directive 96/71 requiert des États membres qu’ils veillent à ce que soient garanties aux travailleurs détachés de manière temporaire sur leur territoire les conditions de travail et d’emploi minimales, relevant des matières énumérées à son paragraphe 1, dont le taux de salaire minimal, tout en les autorisant, d’une part, à appliquer des conditions de travail et d’emploi qui sont plus favorables aux travailleurs, conformément à son paragraphe 7, et, d’autre part, à imposer des conditions de travail et d’emploi concernant des matières autres que celles visées au paragraphe 1, dans la mesure où il s’agit de dispositions d’ordre public.

173. Afin d’assurer l’égalité de traitement entre les prestataires de services qui détachent temporairement des travailleurs et les entreprises nationales, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 prévoit que les garanties offertes auxdits travailleurs sont fixées par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives et/ou, dans le secteur de la construction, par des conventions collectives ou sentences arbitrales déclarées d’application générale, au sens du paragraphe 8, premier alinéa, dudit article, c’est-à-dire qu’elles sont «respectées par toutes les entreprises appartenant au secteur ou à la profession concernés et relevant du champ d’application territoriale de celles-ci» (75).

174. Il ressort de l’article 3, paragraphe 8, deuxième et troisième alinéas, de la directive 96/71 que, en l’absence d’un système de déclaration d’application générale des conventions collectives, l’État membre sur le territoire duquel sont détachés des travailleurs peut, s’il décide ainsi, prendre pour base les conventions collectives qui ont un effet général sur toutes les entreprises similaires ou qui sont conclues par les organisations des partenaires sociaux les plus représentatives et appliquées sur l’ensemble du territoire, pour autant que l’État membre assure l’égalité de traitement entre le prestataire de services qui détache lesdits travailleurs sur son territoire et les entreprises nationales se trouvant dans une situation analogue, c’est-à-dire, notamment, que ces entreprises se voient imposer les mêmes obligations avec les mêmes effets.

175. Il peut être légitimement déduit de cette disposition que le législateur communautaire a voulu éviter que des conventions collectives qui ne seraient pas juridiquement contraignantes dans le secteur de la construction dans l’État membre d’accueil soient imposées aux prestataires de services étrangers, alors qu’une grande majorité des employeurs nationaux y serait, en pratique, soustraite.

176. Par ailleurs, je tiens à faire observer que, aux termes de l’article 5 de la directive 96/71, les États membres doivent veiller en particulier à ce que les travailleurs et/ou leurs représentants disposent des procédures adéquates aux fins de l’exécution des obligations prévues par ladite directive.

177. Cette disposition doit, selon moi, être lue tant à la lumière du douzième considérant in fine de la directive 96/71, lequel dispose, suivant en cela la jurisprudence de la Cour relative à l’article 49 CE (76), que «le droit communautaire n’interdit pas aux États membres de garantir le respect des [règles de protection des travailleurs] par les moyens appropriés», qu’à celle de son vingt-deuxième considérant, qui, je le rappelle, note que la directive 96/71 est «sans préjudice du droit des États membres en matière d’action collective pour la défense des intérêts professionnels».

178. La lecture combinée de ces dispositions m’entraîne à formuler les considérations suivantes.

179. Tout d’abord, je ne pense pas que, en l’absence de système de déclaration d’application générale des conventions collectives, le Royaume de Suède soit obligé de recourir à la modalité prévue à l’article 3, paragraphe 8, deuxième alinéa, de la directive 96/71. En effet, cette modalité, ainsi que le libellé de cette disposition l’indique, n’est qu’une faculté offerte aux États membres qui ne connaissent pas de système de déclaration d’application générale des conventions collectives.

180. Le fait que le Royaume de Suède accorde aux partenaires sociaux le soin de fixer les conditions de travail et d’emploi, dont notamment les règles relatives à la rémunération, par le biais des conventions collectives, ne saurait en soi constituer une mise en œuvre insuffisante de la directive 96/71, à tel point que cet État membre aurait renoncé à appliquer lesdites conditions aux prestataires de services étrangers.

181. De manière générale, on rappellera que la Cour a admis qu’il était loisible aux États membres de laisser le soin de réaliser les objectifs poursuivis par des directives communautaires aux partenaires sociaux, par le biais de conventions collectives (77).

182. Certes, il a également été jugé que, dans de telles situations, l’État membre reste toujours tenu de remplir l’obligation qui lui incombe d’assurer la pleine mise en œuvre des directives, en adoptant, le cas échéant, toutes les mesures appropriées (78).

183. Dans la présente affaire, je ne crois pas, en premier lieu, que le Royaume de Suède ait failli à l’obligation d’assurer que les travailleurs détachés sur son territoire bénéficient des conditions de travail et d’emploi concernant les matières énumérées à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71.

184. Si le Royaume de Suède impose directement le respect des conditions de travail et d’emploi se rapportant aux matières énumérées aux points a) et b) ainsi qu’aux points d) à g) de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 par le biais de la législation nationale, c’est par sa reconnaissance, au profit des organisations syndicales de travailleurs, du droit de recourir à l’action collective qu’il s’assure que ces organisations peuvent, in fine, imposer les conditions salariales prévues ou régies par les conventions collectives, à défaut de souscription volontaire à ces conditions par le prestataire de services étranger.

185. Or, si, comme le note la juridiction de renvoi, une telle reconnaissance ne résulte pas de façon expresse de la loi suédoise relative au détachement des travailleurs, elle découle, en revanche, implicitement mais nécessairement de la MBL, laquelle prévoit que l’action collective visant à contraindre un employeur étranger à conclure une convention collective stipulée en Suède peut être déclenchée lorsque ce prestataire est lié par une convention collective dans son État d’origine. A fortiori, cette législation s’applique à tout prestataire de services d’un État membre qui n’est lié par aucune convention collective conclue dans ledit État. Elle assure donc, en définitive, aux organisations syndicales la possibilité d’imposer, par le biais du recours à l’action collective, les conditions salariales prévues ou régies par les conventions collectives suédoises, à tout prestataire de services étranger, à défaut de souscription volontaire auxdites conditions par cet opérateur, dans le but de garantir aux travailleurs détachés de manière temporaire en Suède le bénéfice des conditions salariales applicables dans la branche en cause aux travailleurs suédois.

186. J’ajoute que l’article 9 de la loi suédoise relative au détachement des travailleurs, en ce qu’il prévoit que le bureau de liaison informe les prestataires de services étrangers de l’applicabilité de conventions collectives dans le secteur et renvoie ces prestataires pour de plus amples informations aux organisations syndicales, emporte également la conséquence que le Royaume de Suède n’a pas entendu renoncer à ce que soit assuré aux travailleurs détachés de manière temporaire sur son territoire les conditions salariales applicables en vertu des conventions collectives conclues dans cet État membre.

187. Il est donc indubitable, selon moi, que le droit de recourir à l’action collective, reconnu par le droit suédois, aux organisations syndicales de travailleurs, leur permettant d’imposer les conditions salariales prévues ou régies par les conventions collectives suédoises est apte à atteindre l’objectif de la protection des travailleurs détachés visé à l’article 3 de la directive 96/71.

188. Demeure posée, en deuxième lieu, la problématique relative à la mise en œuvre du second objectif poursuivi par l’article 3 de la directive 96/71, à savoir celui d’assurer l’égalité de traitement entre les prestataires de services étrangers et les entreprises nationales.

189. Cet examen peut être limité au secteur de la construction. En effet, d’une part, l’obligation qui pèse sur les États membres d’accueil, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, de veiller à ce que soient assurées les conditions de travail et d’emploi, concernant les matières énumérées à cette disposition, qui sont prévues par les conventions collectives sur leur territoire, ne s’étend qu’à ce secteur d’activités et, d’autre part, il est constant que, dans l’affaire au principal, Laval a détaché les travailleurs lettons dans ce secteur d’activités en Suède.

190. Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que, comme le souligne la juridiction de renvoi, c’est précisément afin d’assurer l’égalité de traitement avec les entreprises nationales que le législateur suédois a considéré ne pouvoir exiger des prestataires de services étrangers qu’ils se conforment automatiquement, par le biais d’une éventuelle déclaration d’application générale ou selon la modalité prévue à l’article 3, paragraphe 8, deuxième alinéa, de la directive 96/71, aux conditions de travail et d’emploi prévues ou régies par les conventions collectives, puisque les employeurs nationaux ne sont pas soumis à un tel automatisme.

191. Ensuite, il ressort des éléments d’information fournis par le gouvernement suédois dans ses réponses aux questions écrites adressées par la Cour que, d’une part, il existerait en Suède près de 9 800 entreprises qui emploient plus de 3 salariés, alors que près de 11 200 entreprises, c’est-à-dire y compris des entreprises employant moins de 3 salariés, seraient liées par des conventions collectives dans le secteur de la construction. D’autre part, le gouvernement suédois a aussi confirmé que les employeurs suédois non affiliés à une organisation patronale peuvent être contraints, par l’exercice de l’action collective des organisations syndicales des travailleurs, à souscrire à une de ces conventions par le truchement de la signature d’un accord de rattachement. Par ailleurs, il résulte des principes généraux du droit suédois des relations de travail que les employeurs signataires d’une convention collective ou d’un accord de rattachement en Suède doivent accorder des conditions de travail et d’emploi uniformes à leurs travailleurs, indépendamment de l’affiliation ou non de ces derniers à l’organisation syndicale signataire de la convention collective, tout contrat de travail individuel contraire à cette convention étant, en outre, en vertu de l’article 27 de la MBL, nul de plein droit. Ces dernières caractéristiques, notamment, entraînent certains auteurs suédois à considérer que les conventions collectives jouissent d’une couverture erga omnes de fait en Suède (79). En outre, ainsi que le gouvernement suédois a fait, en substance, observer, la seule façon pour une entreprise suédoise, employant des salariés, ou une entreprise étrangère, qui désire détacher temporairement des travailleurs dans le secteur du bâtiment en Suède, d’éviter qu’une action collective soit initiée à leur égard, serait de consentir à conclure, soit directement soit par le biais d’un accord de rattachement, la convention collective dont les organisations syndicales réclament l’application.

192. Enfin, il résulte également des éléments du dossier que Byggnadsarbetareförbundet est l’une des organisations syndicales de travailleurs les plus représentatives, puisqu’elle représente plus de 87 % des travailleurs du secteur de la construction en Suède et que Laval a détaché dans cet État membre plusieurs dizaines de travailleurs lettons, y compris sur le chantier de Vaxholm.

193. Ainsi, eu égard à l’ensemble de ces caractéristiques, et notamment au taux de couverture des conventions collectives dans le secteur de la construction en Suède et à la possibilité, telle qu’elle résulte du régime prévu par la MBL, de contraindre les employeurs nationaux non affiliés à une organisation patronale de conclure une de ces conventions par le droit reconnu aux organisations syndicales des travailleurs de recourir à l’action collective, le système suédois apparaît, en soumettant un prestataire de services étranger à ce dernier régime, assurer l’égalité de traitement, visée par l’article 3 de la directive 96/71, entre ce prestataire et les entreprises nationales qui exercent leurs activités dans le secteur de la construction en Suède et qui se trouvent dans une situation similaire.

194. Selon moi, cette appréciation n’est remise en cause ni par la circonstance selon laquelle le système suédois tolère l’application d’un taux de salaire qui ne constitue pas, à proprement dit, le taux de salaire minimal, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 96/71, ni par le fait que la MBL permette, le cas échéant, d’imposer une telle rémunération à un prestataire de services étranger déjà lié par une convention collective conclue dans l’État de son établissement.

195. En effet, ainsi que je vais le préciser ci-après, ces deux points relèvent, à mon avis, du champ d’application de l’article 49 CE.

196. Quant à la première question, il y a d’abord lieu de souligner que, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 96/71, la notion de taux de salaire minimal est définie par la législation et/ou la pratique nationale(s) de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché. Cet article admet que les États membres dépourvus de législation nationale sur le taux de salaire minimal, d’une part, n’ont aucune obligation, en vertu de la directive 96/71, d’introduire une telle disposition dans leur droit national (80) et, d’autre part, peuvent accorder aux partenaires sociaux, dans le cadre des conventions collectives, le soin de définir ce qu’il convient d’entendre par «taux de salaire minimal», voire de fixer ce taux dans le secteur d’activités concerné.

197. Ensuite, il convient de rappeler que, conformément à l’article 3, paragraphe 7, de la directive 96/71, le paragraphe 1 de cette disposition ne fait pas obstacle à l’application de conditions de travail et d’emploi plus favorables pour les travailleurs.

198. Cette latitude implique que la directive 96/71 ne fait pas obstacle à ce qu’un taux de salaire déterminé conformément à une convention collective conclue dans l’État membre d’accueil, qui s’applique, de fait, aux entreprises nationales du secteur d’activités concerné, soit également étendu, par le déclenchement d’actions collectives, aux prestataires de services d’un autre État membre qui, dans le cadre d’un détachement temporaire de travailleurs sur le territoire du premier État membre, opèrent dans le même secteur d’activités et se trouvent dans une situation analogue.

199. Cependant, ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le faire remarquer au point 151 des présentes conclusions, l’exercice d’une telle faculté doit être réalisé dans le respect de l’article 49 CE.

200. Quant à la seconde question, ainsi que l’a fait valoir à juste titre la Commission dans ses observations écrites, l’État membre d’accueil devant veiller à ce que les travailleurs détachés de manière temporaire dans le secteur de la construction bénéficient des conditions de travail et d’emploi concernant les matières énumérées à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 prévues par les conventions collectives, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, l’existence d’une convention collective étrangère liant le prestataire de services d’un autre État membre qui exerce son activité dans ledit secteur est dénuée de pertinence immédiate aux fins de l’application de ces conditions.

201. Ainsi, ce prestataire devra, tout comme les entreprises nationales dans une situation similaire opérant dans le même secteur d’activités et s’il désire poursuivre son activité dans l’État membre d’accueil, garantir aux travailleurs détachés temporairement sur le territoire de l’État membre d’accueil les conditions de travail et d’emploi impératives, relevant des matières énumérées à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, fixées dans ledit État membre, y compris, donc, celles qui sont déterminées par des conventions collectives applicables de fait aux entreprises nationales dudit secteur d’activités, mais qui, à défaut d’adhésion volontaire par l’employeur, indépendamment de sa nationalité, lui seront imposées par des organisations syndicales de travailleurs à la suite du déclenchement d’actions collectives.

202. Il me semble donc que la directive 96/71 ne s’oppose pas à ce que le taux de salaire déterminé conformément à une convention collective, applicable de fait aux entreprises nationales exerçant leurs activités dans le secteur de la construction en Suède, soit, notamment par l’exercice du droit garanti aux organisations syndicales de travailleurs de déclencher une action collective, étendu à un prestataire de services étranger, qui détache des travailleurs, de façon temporaire, dans ce secteur d’activités sur le territoire suédois et qui se trouve dans une situation similaire, y compris lorsque ce prestataire est déjà lié par une convention collective conclue dans l’État membre de son établissement.

203. Une telle situation doit néanmoins être examinée au regard de l’article 49 CE.

204. Il reste enfin à apprécier, au regard de la directive 96/71, la problématique liée à la situation, tolérée par le système suédois, de l’extension à un prestataire de services étranger de toutes les conditions figurant dans une convention collective applicable de fait aux entreprises nationales du même secteur d’activités se trouvant dans une situation similaire.

205. En effet, il y a lieu de souligner que le système suédois admet qu’il soit possible de contraindre un prestataire de services étranger, par l’exercice d’une action collective, à souscrire à l’ensemble des conditions figurant dans une convention collective applicable de fait aux entreprises nationales du secteur de la construction se trouvant dans une situation analogue, sans que soit garanti que ces conditions relèvent soit des matières énumérées à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96/71, soit, s’il s’agit d’autres matières que celles visées à cet article, «de dispositions d’ordre public», conformément à l’article 3, paragraphe 10, de ladite directive.

206. En imposant une stricte égalité de traitement entre les prestataires de services étrangers et lesdites entreprises nationales, le système suédois apparaît ignorer, en définitive, les caractéristiques propres de la libre prestation des services en assimilant intégralement l’activité temporaire de détachement de travailleurs exercée par un prestataire de services d’un État membre en Suède à une activité permanente accomplie par les entreprises qui sont établies sur le territoire suédois (81).

207. Cependant, même dans cette situation, la question de l’articulation entre les dispositions de la directive 96/71 et l’article 49 CE demeure encore posée.

208. Il convient, à cet égard, à mon sens, de distinguer selon que le prestataire de services est, de manière concrète, contraint de souscrire à des conditions de travail et d’emploi appartenant aux matières énumérées à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96/71 ou qu’il est astreint d’adhérer à des conditions relevant de matières autres que celles visées à cette disposition.

209. Dans le premier cas de figure, ainsi que je l’ai déjà fait observer, en vertu de l’article 3, paragraphe 7, de la directive 96/71, celle-ci admet que des conditions de travail et d’emploi, appartenant aux matières visées en son paragraphe 1, qui sont plus favorables pour les travailleurs détachés, peuvent être imposées dans l’État membre d’accueil. Comme déjà indiqué, de telles conditions doivent cependant respecter l’article 49 CE.

210. Pour ce qui concerne les conditions relevant d’autres matières que celles énumérées à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96/71, deux hypothèses se présentent.

211. La première concerne des conditions qui n’ont pas trait, à proprement parler, au travail et à l’emploi, mais auxquelles est subordonné l’exercice de l’activité économique du prestataire de services, y compris, le cas échéant, dans l’optique de protéger les travailleurs détachés. À mon avis, ces conditions ne relèvent pas du champ d’application de la directive 96/71 et doivent, partant, être examinées au regard de l’article 49 CE.

212. La seconde hypothèse est celle de conditions de travail et d’emploi qui ne relèvent pas des matières énumérées à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96/71. Cette dernière prévoit que de telles conditions, si elles sont exigées dans l’État membre d’accueil de façon égale auprès des prestataires de services étrangers et des entreprises nationales se trouvant dans des situations similaires, doivent relever de dispositions d’ordre public. Certes, ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 10, de la directive 96/71 et de la jurisprudence relative à l’article 49 CE, l’appartenance de règles nationales à la catégorie de dispositions d’ordre public ou à celle de lois de police ne les soustrait pas au respect des dispositions du traité (82). Toutefois, il est très clair que de telles conditions de travail et d’emploi, stipulées dans une convention collective, qui seraient imposées à un prestataire de services étranger et qui ne relèveraient pas de dispositions d’ordre public dans l’État membre d’accueil seraient déjà, en soi, contraires à l’article 3, paragraphe 10, de la directive 96/71.

213. Dans l’affaire au principal, j’estime qu’il reviendra à la juridiction de renvoi d’interpréter la MBL, dans toute la mesure du possible, à la lumière de l’exigence susmentionnée, énoncée par l’article 3, paragraphe 10, de la directive 96/71.

214. Ainsi, il lui incombera de s’assurer que le droit interne n’admet l’extension de conditions de travail et d’emploi, qui ne relèvent pas des matières énumérées à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96/71, éventuellement prévues par une convention collective telle que la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet – dont les défenderesses au principal exigeaient, dans le cadre des actions collectives qu’elles ont menées, l’adhésion de la part de Laval avant même de pouvoir, dans un premier temps, négocier le taux de salaire conformément aux critères de ladite convention ou, à défaut d’accord et dans un second temps, souscrire au taux déterminé conformément à la clause billot de cette même convention (83) – que si ces conditions répondent au critère énoncé à l’article 3, paragraphe 10 de la directive 96/71. Si tel devait être le cas, la juridiction nationale devrait encore vérifier si de telles conditions sont conformes aux exigences de l’article 49 CE.

215. On ajoutera, à propos des conditions supplémentaires figurant dans la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet, que la juridiction de renvoi s’est référée à diverses cotisations au paiement desquelles Laval aurait dû se soumettre si elle n’avait pas renoncé, à la suite des actions collectives menées par les défenderesses au principal visant à lui faire signer l’accord de rattachement à ladite convention collective, à détacher les travailleurs lettons sur le chantier de la commune de Vaxholm.

216. Ainsi qu’il ressort des observations des parties au principal, ces cotisations concernent des primes d’assurance devant être payées par l’employeur, des redevances, dites «centimes additionnels», versées par l’employeur au profit de divers organismes suédois ainsi qu’une commission versée par l’employeur à Byggnadsarbetareförbundet ayant pour objet de rémunérer l’activité de contrôle des salaires à laquelle se livrent les sections locales de ce syndicat.

217. Or, selon moi, dans la mesure où les deux premières cotisations ne relèvent pas de la catégorie de conditions de travail et d’emploi visée par la directive 96/71 et où la troisième est intrinsèquement liée à l’application du taux de salaire (plus favorable) prévu par la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet, l’exigence du versement de telles cotisations de la part d’un prestataire de services étranger, conformément à une convention collective à laquelle il peut être contraint de souscrire à la suite du déclenchement d’actions collectives, doit également être examinée à la lumière de l’article 49 CE.

3.      Conclusion intermédiaire

218. Pour résumer les développements qui précèdent relatifs à l’interprétation de la directive 96/71 et à sa mise en œuvre en Suède, j’estime, en guise de conclusion intermédiaire, que:

–        premièrement, la directive 96/71 ne s’oppose pas à ce que le taux de salaire prévu ou déterminé conformément à une convention collective applicable de fait aux entreprises nationales exerçant leurs activités dans le secteur de la construction en Suède soit, notamment par l’exercice du droit garanti aux organisations syndicales de travailleurs de déclencher une action collective, étendu à un prestataire de services étranger qui détache temporairement des travailleurs dans ce secteur sur le territoire suédois qui se trouve dans une situation similaire, y compris lorsque ce prestataire est déjà lié par une convention collective conclue dans l’État membre de son établissement. Il convient toutefois d’examiner une telle situation ainsi que les conditions liées au contrôle de l’application d’un tel taux de salaire au regard de l’article 49 CE;

–        deuxièmement, la directive 96/71 requiert que, pour que les conditions de travail et d’emploi relatives à des matières autres que celles visées à son article 3, paragraphe 1, premier alinéa, prévues par une convention collective applicable de fait aux entreprises nationales exerçant leurs activités dans le secteur de la construction en Suède, puissent être imposées à un prestataire de services étranger dans une situation similaire dans le cadre de l’exercice du droit d’action collective reconnu aux organisations syndicales de travailleurs dans cet État membre, ces conditions relèvent de dispositions d’ordre public, au sens de l’article 3, paragraphe 10, de cette directive. Il incombe à la juridiction de renvoi d’interpréter la MBL, dans toute la mesure du possible, à la lumière de l’exigence susmentionnée. Dans l’affirmative, l’assujettissement d’un prestataire de services étranger à de telles conditions doit, en tout état de cause, respecter les exigences posées par l’article 49 CE;

–        troisièmement, ne relèvent pas du champ d’application de la directive 96/71 et doivent, partant, être examinées au regard de l’article 49 CE, les conditions, autres que celles relatives au travail et à l’emploi, prévues par une convention collective applicable de fait aux entreprises nationales du secteur de la construction en Suède et auxquelles un prestataire de services étranger, qui détache temporairement des travailleurs dans ce même secteur et se trouve dans une situation similaire, serait contraint à souscrire à la suite d’actions collectives déclenchées par des organisations syndicales de travailleurs.

219. Il s’agit maintenant d’examiner ces points à l’aune de l’article 49 CE.

4.      Sur l’article 49 CE

a)      Remarques générales

220. Selon la jurisprudence, l’article 49 CE exige non seulement l’élimination de toute forme de discrimination à l’encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (84).

221. La Cour a également jugé que l’application des réglementations nationales de l’État membre d’accueil aux prestations de services est susceptible de prohiber, de gêner ou de rendre moins attrayantes les prestations de services par des personnes ou des entreprises établies dans d’autres États membres, dans la mesure où elle entraîne des frais ainsi que des charges administratives et économiques supplémentaires (85).

222. Comme je l’ai indiqué au point 161 des présentes conclusions, j’estime que l’article 49 CE est susceptible de recevoir une application directe dans la présente affaire.

223. Il convient certes de faire observer que la jurisprudence s’étant prononcée sur l’effet direct horizontal de l’article 49 CE semble a priori avoir plutôt mis l’accent sur la reconnaissance d’un tel effet au principe de non-discrimination en raison de la nationalité concrétisé par cet article (86).

224. Toutefois, une analyse plus détaillée de cette jurisprudence met en évidence que l’application directe horizontale de l’article 49 CE ne se limite pas aux actions discriminatoires des personnes privées ayant un effet collectif sur le marché du travail à l’égard des prestataires de services des États membres.

225. Ainsi, dans l’affaire Deliège (87), la Cour a examiné au regard de l’article 49 CE des règles de sélection, fixées par une fédération sportive, qui déterminaient la participation d’athlètes de haut niveau à concourir pour leur propre compte à une compétition internationale, en dépit de la circonstance que ces règles ne comportaient pas de clause de nationalité et ne fixaient pas les conditions d’accès des sportifs au marché du travail. Si la Cour a certes rejeté que la règle en cause puisse constituer une restriction à la libre prestation de services, elle n’a toutefois pas uniquement motivé cette appréciation sur le simple fondement que la règle en question ne comportait pas de clause de nationalité.

226. De même dans l’arrêt Wouters e.a., la Cour n’a pas non plus exclu que, à supposer que la libre prestation de services fusse applicable à une interdiction faite aux avocats et aux experts-comptables d’entretenir tout lien de collaboration intégrée, telle que la prévoyait une réglementation de l’ordre des avocats néerlandais indistinctement applicable en raison de la nationalité, cette interdiction puisse constituer une restriction à ladite liberté (88).

227. De plus, dans le contexte d’une réglementation sportive adoptée par le comité international olympique et la fédération internationale de natation, la Cour a considéré que, si l’exercice de l’activité sportive en cause doit être apprécié au regard des dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs ou, la libre prestation des services, il devait alors être vérifié si les règles qui régissent ladite activité remplissent les conditions d’application des articles 39 CE et 49 CE, c’est-à-dire ne constituent pas des restrictions interdites par lesdits articles (89).

228. Au demeurant, s’agissant d’une liberté fondamentale du traité, il m’apparaît malaisé de prétendre délimiter la portée horizontale de l’obligation qu’elle impose suivant la nature discriminatoire ou non des obstacles érigés à son encontre. Si une telle délimitation devait être accueillie, il s’ensuivrait des débats complexes quant à la question de savoir si telle ou telle action ou réglementation adoptée par des personnes privées doit s’analyser en une discrimination indirecte fondée sur la nationalité, une restriction, une entrave ou une dissuasion à la libre prestation des services. Comme l’illustre déjà la jurisprudence, la ligne de démarcation entre ces différentes qualifications étant, en pratique, loin d’être entièrement limpide, faire droit à une telle délimitation de la portée horizontale de l’article 49 CE affecterait la sécurité juridique des opérateurs.

229. Ces précisions étant faites, il s’agit de déterminer, en ce qui concerne les trois points énumérés au point 218 des présentes conclusions, si l’exercice des actions collectives par des organisations syndicales de travailleurs à l’encontre d’un prestataire de services dans une situation comme celle au principal constitue une restriction au sens de l’article 49 CE et si, si tel est le cas, cette dernière est susceptible d’être justifiée par des exigences impératives d’intérêt général.

b)      Sur l’existence d’une restriction à la libre prestation des services

230. Tout d’abord, il est, à mon avis, indéniable que, en dépit de l’absence d’un lien contractuel entre les défenderesses au principal et Laval et malgré le fait que les actions collectives (respectivement, blocus et action de solidarité) étaient directement dirigées à l’égard des membres des organisations défenderesses au principal, lesquels devaient s’abstenir de répondre à toute offre d’embauche ou de travail pour Laval, le déclenchement des actions collectives a eu pour effet de contraindre Laval à renoncer à l’exécution du contrat du chantier de Vaxholm et au détachement des travailleurs lettons sur ce chantier.

231. Il existe donc, selon moi, un lien de causalité suffisant entre le déclenchement de ces actions et l’interruption de l’activité économique de Laval sur le territoire suédois.

232. C’est d’ailleurs, de manière générale, l’un des résultats auxquels est susceptible d’aboutir l’exercice d’une action collective dans le but de contraindre un prestataire de services à conclure une convention collective applicable en Suède, puisque ce prestataire soit souscrira à la convention collective, dont les organisations syndicales de travailleurs revendiquent l’application, de manière volontaire ou à la suite du déclenchement d’une action collective, soit devra renoncer à réaliser sa prestation.

233. L’exercice d’une telle action collective, même si elle est conduite également à l’égard des entreprises établies sur le territoire de l’État membre en cause, est susceptible d’entraîner des coûts importants pour le prestataire de services étranger, quelle que soit l’issue de cette action, de sorte qu’elle constitue, à mon sens, une restriction à la libre prestation des services.

234. En effet, dans l’hypothèse où, à l’instar de l’affaire au principal, le prestataire de services est finalement contraint d’abandonner l’exécution d’un marché public de travaux, en raison de l’incapacité dans laquelle il se trouve de poursuivre son activité à moins de souscrire aux conditions de la convention collective dont l’application lui est réclamée, ce prestataire devra assumer, en principe, l’intégralité des coûts afférents à la non-exécution de ce contrat. Le caractère systémique d’un tel mécanisme, autorisé par le droit interne suédois, est susceptible également de dissuader les entreprises établies dans d’autres États membres d’exercer la liberté de fournir leurs services au Royaume de Suède.

235. Dans l’hypothèse où, à la suite de l’action collective diligentée par les organisations syndicales de travailleurs, le prestataire de services étranger souscrit à la convention collective en cause, ce prestataire, ainsi que cela se serait produit dans l’affaire au principal si Laval avait accepté de signer l’accord de rattachement à la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet, se trouverait obligé, en premier lieu, d’adhérer à l’ensemble des conditions prévues par cette convention, y compris les cotisations diverses mentionnées au point 216 des présentes conclusions, à l’instar des entreprises du même secteur qui sont établies en Suède et qui sont liées par cette convention et, en second lieu, de verser, à tout le moins, le taux de salaire déterminé conformément aux dispositions de ladite convention.

236. Or, il y a lieu de rappeler, d’une part, que, selon la jurisprudence, un État membre ne peut subordonner la réalisation de la prestation de services sur son territoire à l’observation de toutes les conditions requises pour un établissement, sous peine de priver de tout effet utile les dispositions du traité destinées précisément à assurer la libre prestation des services (90).

237. D’autre part, si la Cour a admis que l’application par l’État membre d’accueil de sa réglementation relative au salaire minimal aux prestataires de services établis dans un autre État membre peut, en principe, être autorisée, elle a cependant souligné que de telles règles doivent poursuivre un intérêt général et n’a pas écarté que, dans certaines circonstances, l’application desdites règles soit incompatible avec l’article 49 CE (91).

238. Ce qui est valable pour les États membres doit également l’être, selon moi, pour les personnes privées dont l’action a un effet collectif sur le marché du travail et la prestation de services transfrontalière, comme celle exercée par les défenderesses au principal.

239. Le fait que, dans la seconde hypothèse sous analyse, le prestataire de services puisse continuer à exercer son activité économique sur le territoire de l’État membre d’accueil n’en diminue pas moins le caractère restrictif des conditions qui lui sont imposées.

240. Dans ces circonstances, j’estime que les actions collectives déclenchées par les défenderesses au principal constituent une restriction à la libre prestation des services au sens de l’article 49 CE.

c)      Sur les justifications éventuelles de la restriction

241. Il résulte de la jurisprudence applicable aux réglementations des États membres que, lorsque de telles réglementations s’appliquent indistinctement à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l’État membre d’accueil, elles peuvent être justifiées lorsqu’elles répondent à des raisons impérieuses d’intérêt général dans la mesure où cet intérêt n’est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi et pour autant qu’elles soient propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (92).

242. Eu égard à la spécificité du litige au principal, un premier problème qui doit être affronté est celui de l’identification des objectifs poursuivis.

243. Tout d’abord, je ne crois pas qu’il convienne d’examiner l’objectif poursuivi par les autorités suédoises lorsqu’elles ont autorisé ou, à tout le moins, lorsqu’elles se sont abstenues d’interdire les actions collectives déclenchées par les défenderesses au principal, mais d’identifier ceux poursuivis par ces dernières lorsqu’elles ont initié lesdites actions.

244. En ce sens, la présente affaire se distingue de la situation à l’origine de l’arrêt Schmidberger susmentionné, dans lequel la Cour a uniquement examiné l’objectif des autorités nationales, inspiré des considérations liées au respect des droits fondamentaux en matière de liberté d’expression et de réunion des manifestants qui avaient bloqué l’autoroute du Brenner, dans la mesure où, dans le litige au principal, Schmidberger visait à mettre en cause la responsabilité de la République d’Autriche au motif d’une violation alléguée de ses obligations tirées du droit communautaire, en s’abstenant d’empêcher qu’un obstacle soit créé à la libre circulation des marchandises. La Cour a donc estimé que les objectifs spécifiques du rassemblement des manifestants n’étaient pas, en tant que tels, déterminants dans le contexte d’une action juridictionnelle telle que celle intentée par Schmidberger (93).

245. En revanche, les objectifs poursuivis par les actions collectives déclenchées par les défenderesses au principal sont, à mon sens, déterminants dans le contexte d’un litige qui oppose uniquement des personnes privées.

246. À cet égard, bien que l’ordonnance de renvoi ne soit pas particulièrement explicite, le juge de céans a mentionné, parmi les objectifs à l’origine des actions collectives en cause, la protection des travailleurs et la lutte contre le dumping social.

247. Ces deux objectifs pourraient sembler dépasser l’objet de l’activité d’une organisation syndicale, qui consiste, en principe, à défendre les intérêts professionnels de ses propres membres.

248. Toutefois, cette circonstance ne saurait faire méconnaître la possibilité que le déclenchement d’actions collectives par des organisations syndicales de travailleurs, telles que celles en cause dans l’affaire au principal, puisse viser réellement les deux objectifs susmentionnés, dans la mesure où, ainsi que nous l’avons vu précédemment à propos de la mise en œuvre de la directive 96/71 en droit suédois, il s’agit précisément de la modalité retenue par le Royaume de Suède afin d’assurer que les conditions de travail et d’emploi, qui relèvent des matières visées par ladite directive et qui sont fixées dans les conventions collectives applicables de fait sur son territoire aux entreprises nationales dans le secteur de la construction, puissent être étendues aux prestataires de services étrangers qui y détachent, de manière temporaire, des travailleurs dans ledit secteur. En tout cas, rien ne s’oppose à ce que de tels objectifs puissent être invoqués par des particuliers (94).

249. Or, on le sait, la Cour a reconnu que, parmi les exigences impératives d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services figurent tant la protection des travailleurs que la lutte contre le dumping social (95), exigences qui sous-tendent également la directive 96/71 (96).

250. Il s’agit donc de vérifier si l’exercice du droit à l’action collective dans le but de contraindre un prestataire de services étranger, déjà lié par une convention collective dans l’État membre d’origine, à adhérer à l’ensemble des conditions d’une convention collective suédoise, applicable de fait aux entreprises nationales du même secteur d’activités, est apte à atteindre les objectifs poursuivis sans excéder ce qui est nécessaire à cette fin.

251. De manière générale, il importe de rappeler que l’article 49 CE ne saurait imposer des obligations dans le chef d’organisations syndicales qui porteraient atteinte à la substance même du droit de recourir à l’action collective (97). Cette appréciation doit, selon moi, être étendue à la situation où, comme il apparaît en l’espèce, le droit de déclencher une action collective est admis non pas uniquement pour défendre les intérêts des membres d’un syndicat, mais également pour permettre à ce dernier de poursuivre des objectifs légitimes reconnus par le droit communautaire, tels que la protection des travailleurs en général et la lutte contre le dumping social dans l’État membre concerné.

252. Néanmoins, ce droit n’étant pas absolu, son exercice doit être concilié avec l’exigence d’intérêt général communautaire que constitue la libre prestation des services dans la Communauté.

253. S’agissant des trois points énumérés au point 218 des présentes conclusions et à la lumière de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 49 CE, la nécessité de réaliser la mise en balance des intérêts en présence m’entraîne à formuler les observations suivantes.

i)      Sur la proportionnalité des actions collectives en ce qu’elles visent à imposer le taux de salaire déterminé conformément à la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet

254. Premièrement, je considère que l’article 49 CE ne s’oppose pas, en principe, au déclenchement d’actions collectives dans le but de contraindre un prestataire de services d’un État membre à souscrire à la rémunération déterminée conformément à une convention collective applicable de fait aux entreprises nationales se trouvant dans une situation similaire dans le secteur de la construction dans l’État membre sur le territoire duquel ledit prestataire détache temporairement des travailleurs.

255. Tout d’abord, une telle modalité est, en général, appropriée pour atteindre les objectifs qu’elle poursuit, puisque la simple menace d’une action collective des organisations syndicales de travailleurs incitera le plus souvent les employeurs à conclure la convention collective dont est revendiquée la signature. Par ailleurs, ainsi qu’il résulte des indications du gouvernement suédois et des éléments du dossier, le recours aux actions collectives pour non-signature d’une convention collective est rare en Suède.

256. Certes, il y a lieu de rappeler que, en l’espèce, le déclenchement des actions collectives a indirectement entraîné les travailleurs lettons à la perte de leur emploi temporaire dans cet État membre.

257. Cependant, comme il sera précisé plus loin, je ne crois pas que cette situation résulte des revendications salariales à proprement dites des défenderesses au principal, mais plutôt, dans les circonstances particulières de l’affaire au principal, des autres conditions fixées dans la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet dont elles réclamaient la signature par Laval, dans le cadre des actions collectives qu’elles ont menées, et que cette entreprise considérait comme démesurées.

258. Ensuite, l’exercice du droit d’action collective dans le but de contraindre un prestataire de services à souscrire au taux de salaire pratiqué dans le secteur d’activités en cause de l’État membre d’accueil constitue, en principe, une mesure moins restrictive que l’assujettissement automatique à un taux de salaire similaire qui, sans être un taux de salaire minimal, serait fixé par la législation nationale, puisqu’elle permet au prestataire de services, dans le cadre d’un système de négociation avec les organisations syndicales de travailleurs compétentes, d’atteindre une rémunération prenant en compte sa propre situation de coûts, sans lui permettre de pratiquer, en tout état de cause, le taux de salaire en deçà de celui déterminé conformément à la clause billot de la convention collective.

259. Certes, un tel système est susceptible d’aboutir à un résultat imprévisible, voire à permettre, dans certaines situations, des revendications salariales qui peuvent éventuellement être excessives.

260. Toutefois, ces circonstances sont inhérentes à un système des relations collectives de travail qui repose et privilégie la négociation entre partenaires sociaux, et donc la liberté contractuelle, plutôt que l’intervention du législateur national. Je ne pense pas que, en l’état actuel du développement du droit communautaire, celui-ci puisse remettre en cause, par l’application d’une des libertés fondamentales de circulation du traité, un tel choix d’organisation sociale.

261. Certes, il est vrai que, dans la situation en cause au principal, Laval se trouvait contrainte soit à souscrire à la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet, soit, comme ce fut le cas, à refuser de signer une telle convention et finalement à interrompre l’exécution des travaux sur le chantier de Vaxholm, sans pouvoir elle-même recourir, par exemple, au lock-out des travailleurs.

262. Néanmoins, j’estime qu’admettre dans une situation comme celle en cause que l’employeur puisse recourir à une telle modalité ne rendrait pas les actions collectives moins restrictives, puisque, notamment, l’exécution des travaux devant être réalisés resterait toujours interrompue.

263. Cela étant, il ressort de la jurisprudence relative à l’article 49 CE et à l’appréciation de la proportionnalité des restrictions apportées à la liberté qu’il consacre par l’application de la réglementation des États membres au motif de la protection des travailleurs que l’extension du taux de salaire (minimal) prévu par cette réglementation, ou une convention collective déclarée d’application générale dans un État membre, à toute personne effectuant un travail salarié, même temporaire, sur son territoire est possible lorsqu’il s’avère que la protection conférée par celles-ci n’est pas garantie par des obligations identiques ou essentiellement comparables auxquelles l’entreprise est déjà soumise dans l’État membre de son établissement (98).

264. Cette jurisprudence exige donc des États membres d’accueil, notamment de leurs juridictions, qu’ils apprécient l’équivalence ou le caractère essentiellement comparable de la protection déjà offerte aux travailleurs détachés par la législation et/ou les conventions collectives dans l’État d’établissement du prestataire de services, en particulier en ce qui concerne la rémunération qui leur est octroyée.

265. Ainsi qu’il résulte aussi de la jurisprudence, cette comparaison doit prendre en compte le montant brut du salaire (99).

266. Dans l’affaire au principal, et indépendamment de la question liée à l’obligation pour Laval de souscrire à l’ensemble des conditions prévues par la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet par la signature de l’accord de rattachement préalablement à l’ouverture de pourparlers sur le niveau de la rémunération, il convient de rappeler que les défenderesses au principal ont tout d’abord revendiqué de cette entreprise qu’elle verse aux travailleurs lettons détachés temporairement en Suède le taux de salaire moyen pratiqué par les entreprises du secteur de la construction de la région de Stockholm de 145 SEK de l’heure (correspondant à environ 16 euros de l’heure), revendication ouverte à négociation, mais dont l’échec aurait conduit à permettre à Laval d’appliquer un taux de salaire de 109 SEK de l’heure (correspondant à environ 12 euros de l’heure), conformément à ce que prévoyait, à l’époque des faits au principal, la clause billot de la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet.

267. Deux observations peuvent être formulées sur ces éléments factuels.

268. D’une part, on relèvera que le taux de salaire revendiqué par les défenderesses au principal n’est pas celui applicable à toute personne (dans le secteur d’activités en cause) sur le territoire suédois, pour reprendre la terminologie utilisée par la jurisprudence citée au point 263 ci-dessus. Toutefois, je ne pense pas que, en l’espèce, cette circonstance soit déterminante, puisqu’il ne semble pas contesté devant la juridiction de renvoi que ce salaire était exigé de l’ensemble des entreprises du secteur d’activités dans la région où étaient détachés les travailleurs lettons à l’époque des faits au principal, lesquelles se trouvaient donc dans une situation comparable à celle de Laval. Par ailleurs, cette circonstance semble dépassée par le fait que Laval avait la possibilité, prévue par la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet elle-même, de s’opposer à cette revendication salariale.

269. En effet, et d’autre part, il découle des circonstances de la situation au principal, comme l’ont d’ailleurs admis les défenderesses au principal dans leurs observations écrites, que, si les actions collectives qu’elles ont engagées avaient abouti à ce que Laval signe l’accord de rattachement à la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet, Laval aurait pu faire échouer les négociations sur le taux de salaire moyen et appliquer le taux de salaire de 109 SEK de l’heure, déterminé conformément à ladite convention.

270. Il s’ensuit que, pour autant qu’une telle rémunération constitue le salaire brut, il reviendrait à la juridiction de renvoi de la comparer avec celle qui était versée par Laval aux travailleurs lettons.

271. À cet égard, il y a également lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort de l’ordonnance de renvoi, Laval versait à ses travailleurs une rémunération mensuelle d’environ 13 650 SEK (soit environ 1 500 euros), à laquelle s’ajoutaient divers avantages en nature.

272. Partant, j’estime que, si la juridiction de renvoi devait effectuer la comparaison des montants bruts de rémunération, et pour autant que les rémunérations évoquées ci-dessus correspondent effectivement aux montants bruts de salaire, le juge a quo devrait vérifier si la rémunération pratiquée par Laval était identique ou essentiellement comparable à celle déterminée conformément à la clause billot de la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet, applicable aux moments des faits au principal. À cet égard, la juridiction de renvoi devrait aussi vérifier que les divers avantages en nature versés par Laval ne constituent pas des allocations versées au titre d’un remboursement des dépenses encourues en raison du détachement.

273. Si la rémunération brute versée par Laval n’était pas identique ou essentiellement comparable à celle déterminée conformément à la clause billot de la convention de Byggnadsarbetareförbundet, comme j’en ai la conviction mais non la certitude, on pourrait, à mon sens, en conclure que les actions collectives, en ce qu’elles visent à imposer le taux de salaire prévu par la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet, ne seraient pas disproportionnées aux objectifs de la protection des travailleurs et de la lutte contre le dumping social.

274. À toutes fins utiles, j’ajoute que, contrairement à ce qu’ont soutenu certaines des parties étant intervenues devant la Cour dont Laval, une telle appréciation n’emporte pas une atteinte à l’aspect négatif de la liberté d’association du prestataire de services ou des travailleurs qu’il détache, à savoir le droit de ne pas adhérer à un syndicat ou de s’en retirer (100), dont la Cour doit, à mon sens, également assurer le respect.

275. À cet égard, il importe de souligner que, dans l’arrêt Gustafsson c. Suède précité, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que le Royaume de Suède n’avait pas failli à son obligation d’assurer les droits du requérant, énoncés à l’article 11 de la CEDH, dans la situation où cet employeur suédois du secteur de la restauration avait été contraint, à la suite d’actions collectives, ayant pris la forme d’un blocus et d’une action de solidarité, initiées par plusieurs organisations syndicales de travailleurs dans le but de l’amener à souscrire à une convention collective, de finalement cesser son activité dans ce secteur. Dans son appréciation, la Cour européenne des droits de l’homme a en effet principalement mis en exergue que, malgré les pressions exercées sur le requérant, ce dernier n’avait pas été obligé de s’affilier aux organisations patronales signataires, mais aurait pu choisir de signer l’accord de rattachement à la convention collective en cause, lequel lui aurait permis de faire inclure des clauses adaptées à la nature particulière de ses activités et n’apparaissait pas présenter sur le plan économique des inconvénients qui l’auraient contraint à adhérer au syndicat patronal (101).

276. Telle est, selon moi, également la situation de Laval, cette dernière n’ayant jamais soutenu que la signature de l’accord de rattachement à la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet présentait de tels inconvénients économiques qu’elle l’aurait entraînée à s’affilier au syndicat suédois des employeurs du bâtiment (Sveriges Byggindustrier).

277. En outre, il ne saurait non plus être valablement soutenu que l’aspect négatif de la liberté d’association des travailleurs lettons aurait été méconnu, dans la mesure où, conformément aux principes applicables aux relations collectives de travail en Suède, l’employeur signataire d’un accord de rattachement doit faire bénéficier l’ensemble des travailleurs qu’il emploie, sans égard à leur éventuelle affiliation aux organisations syndicales signataires, des conditions de travail et d’emploi prévues par la convention collective en question.

278. Cette précision étant faite, il est toutefois très possible que la comparaison des rémunérations brutes, mentionnée aux points 272 et 273 ci-dessus, ne soit finalement pas nécessaire dans l’affaire au principal, compte tenu de la circonstance, particulière à la situation en cause (102), selon laquelle Laval, avant même de pouvoir appliquer le taux de salaire déterminé conformément à la clause billot de la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet, devait souscrire à l’ensemble des conditions prévue par ladite convention.

ii)    Sur la proportionnalité des actions collectives en ce qu’elles visent à imposer toutes les conditions prévues par la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet

279. En effet, et deuxièmement, c’est le refus de Laval d’adhérer à toutes les conditions fixées par la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet, que cette entreprise considérait comme excessives, qui a conduit les défenderesses au principal à (et leur a permis de) déclencher les actions collectives en cause. Plus précisément, si Laval avait signé l’accord de rattachement à la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet, cette adhésion lui aurait accordé le bénéfice de la paix sociale, conformément à la MBL, paix sociale qui aurait ensuite pu lui permettre d’entamer des négociations sur le taux de salaire, en application des dispositions prévues par ladite convention.

280. Or, à cet égard, il me semble que le fait de subordonner la possibilité même de pratiquer un taux de salaire donné à la signature préalable de toutes les conditions prévues par une convention collective qui s’appliqueraient de fait aux entreprises du même secteur d’activités dans une situation similaire, qui sont établies en Suède, va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la protection des travailleurs et prévenir le dumping social.

281. Cette appréciation embrasse a fortiori la situation où, comme dans l’affaire au principal, l’entreprise qui détache des travailleurs, de manière temporaire, dans l’État membre d’accueil est liée par une convention collective légalement stipulée dans un autre État membre. En effet, dans une telle situation, il serait, à mon sens, contraire au principe de proportionnalité de vouloir soumettre, y compris à la suite d’actions collectives déclenchées conformément au droit interne, le prestataire de services d’un autre État membre soit à des conditions qui ne visent pas à atteindre les objectifs pour lesquels l’engagement des actions collectives se justifie, soit à des conditions qui dupliquent celles auxquelles ledit prestataire est soumis dans l’État membre de son établissement, notamment en vertu de la convention collective conclue dans ledit État membre.

282. Cette approche est, selon moi, conforme à la jurisprudence qui exige, d’une part, que les conditions, subordonnant la prestation de services dans le contexte d’un détachement temporaire de travailleurs, prévues par la réglementation de l’État membre d’accueil, comportent, pour les travailleurs concernés, un avantage réel qui contribue, de manière significative, à leur protection sociale (103) et, d’autre part, ainsi qu’il a été dit précédemment, que la protection que de telles conditions offrent ne soit pas déjà garantie par des obligations identiques ou essentiellement comparables auxquelles le prestataire de services est déjà soumis dans l’État membre de son établissement.

283. Rien ne s’oppose à ce que cette jurisprudence soit étendue à une situation comme celle au principal. En effet, les limites que cette jurisprudence imposerait aux actions collectives déclenchées sur le territoire d’un État membre, conformément au droit interne, ne constitueraient pas une atteinte démesurée et intolérable à l’exercice du droit de recourir auxdites actions qui porterait atteinte à la substance même du droit protégé (104).

284. Pour évaluer le caractère proportionné des actions collectives déclenchées par les défenderesses au principal, la juridiction de renvoi, en examinant les conditions de la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet que ces actions visaient à faire souscrire à Laval, avant même d’engager toute négociation sur le taux de salaire applicable ou d’appliquer le taux de salaire déterminé conformément à la clause billot de ladite convention, devrait:

–        d’une part, s’agissant des éventuelles conditions de travail et d’emploi prévues par la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet – qui, comme nous l’avons vu dans les développements relatifs à la directive 96/71, se rapporteraient à des matières autres que celles énumérées à son article 3, paragraphe 1, premier alinéa, – vérifier si, pour autant que ces conditions seraient visées par des dispositions d’ordre public en Suède, au sens de l’article 3, paragraphe 10, de ladite directive, l’assujettissement de Laval à de telles conditions n’aurait pas excédé ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs visés par les actions collectives en cause;

–        d’autre part, s’agissant des autres conditions prévues par la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet, vérifier si ces conditions comportaient un avantage réel qui contribuait, de manière significative, à la protection sociale des travailleurs détachés et ne dupliquaient pas une éventuelle protection identique ou essentiellement comparable qui leur était offerte par la législation et/ou la convention collective applicables à Laval dans l’État membre de son établissement.

285. À cet égard, j’estime opportun de formuler quelques observations sur certaines des conditions prévues par la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet, dont les parties ont longuement débattu devant la Cour, à savoir les cotisations relatives à des primes d’assurance devant être payées par l’employeur, des redevances, dites «centimes additionnels», versées par l’employeur au profit de divers organismes suédois, ainsi que la commission versée par l’employeur à Byggnadsarbetareförbundet, correspondant, à tout le moins en apparence, à la rémunération du contrôle des salaires auquel se livrent les sections locales de ce syndicat.

286. En premier lieu, s’agissant des premières cotisations, il résulte des observations des parties au principal, ainsi que de leurs réponses aux questions écrites posées par la Cour, que ces cotisations comprenaient cinq assurances, devant être souscrites auprès d’une société suédoise, qui représentaient un coût total, au moment des faits au principal, de 5,9 % de la masse salariale. Plus précisément, elles consistaient respectivement en une assurance groupe collective dite «AGS», garantissant des prestations en cas de maladie, une assurance complémentaire retraite, dite «SAF-LO», dont peut bénéficier un travailleur à partir de l’âge de 55 ans, une assurance dite «AGB» qui assure des prestations en cas de chômage, une assurance vie groupe dite «TGL», garantissant une aide financière aux survivants en cas de décès du travailleur et une assurance couvrant les accidents de travail, dite «TFA». Les primes des assurances AGS et SAF-LO susmentionnées représentaient respectivement 1,2 % et 4,2 % de la masse salariale, soit 5,4 % de celle-ci. Les primes des trois autres assurances représentaient un total cumulé de 0,5 % de la masse salariale.

287. On relèvera que, tant devant la juridiction de renvoi que devant la Cour, Laval s’est déclarée fermement opposée à l’obligation de souscrire aux deux premières assurances. Quant à la première, son opposition est tirée de ce que l’admissibilité au bénéfice de l’AGS pour le travailleur salarié serait subordonnée à la perception d’un revenu ouvrant droit à l’assurance maladie au sens de la loi suédoise sur les assurances sociales [lagen (1962 :381) om allmän försäkring], alors qu’il résulte du droit communautaire que le travailleur détaché temporairement sur le territoire d’un État membre conserve son affiliation au régime de sécurité sociale dans l’État membre de sa résidence. Quant à la seconde, Laval doute de son intérêt pour les travailleurs détachés, puisque les prestations auxquelles ouvre droit une telle assurance supposent, d’une part, que le salarié atteigne l’âge de 55 ans et donc, en général, une échéance très lointaine et impliquent, d’autre part, une gestion active dans le mode de gestion des capitaux susceptible d’entraîner de nombreux problèmes pratiques et financiers, y compris la gestion cumulée de fonds dans plusieurs États membres. En outre, Laval a souligné que les régimes complémentaires de retraite professionnels sont explicitement exclus du taux de salaire minimal visé à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71.

288. Ces arguments ne me laissent pas insensible, à tout le moins pour ce qui concerne l’assurance AGS, pour autant que l’interprétation de la loi suédoise sur les assurances sociales, proposée par Laval, soit correcte, interprétation qui n’a pas été contestée par les défenderesses au principal, mais qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier.

289. En effet, ainsi que le rappelle le vingt et unième considérant de la directive 96/71, le règlement nº 1408/71 fixe les dispositions applicables en matière de prestations et de cotisations de sécurité sociale des travailleurs salariés qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, lequel prévoit à son article 14, paragraphe 1, sous a), conformément au principe de l’unicité de législation qui guide ce règlement, qu’un travailleur salarié d’un État membre qui est détaché par son entreprise de manière temporaire sur le territoire d’un autre État membre pour une durée prévisible n’excédant pas douze mois relève de la législation en matière de sécurité sociale du premier État membre (105).

290. Partant, sous réserve de l’interprétation de la loi suédoise sur les assurances sociales, il me semble que les défenderesses au principal ne pouvaient exiger de Laval, dans le cadre des actions collectives qu’elles ont menées, que cette entreprise souscrive à l’assurance AGS visée par la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet.

291. Cette appréciation ne me semble pas infirmée par l’argument, exposé par les défenderesses au principal dans leur réponse aux questions écrites adressées par la Cour, tiré de la circonstance que Laval aurait pu demander à être exonérée du paiement des primes d’assurance AGS. En effet, non seulement une telle possibilité semblait exclue au moment des faits au principal, mais elle apparaît, en tout état de cause, reposer sur un principe contraire à l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 1408/71, qui prévoit l’application de la loi de sécurité sociale de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur exerce normalement son activité salariée aux salariés détachés de manière temporaire dans un autre État membre pour une durée n’excédant pas douze mois.

292. Quant aux trois autres primes d’assurance, je relèverai simplement qu’il me paraît pour le moins curieux que les primes AGB susmentionnées soient prélevées pour couvrir le risque de chômage, alors que, par définition, les travailleurs détachés n’ont pas vocation à intégrer le marché de l’emploi de l’État membre d’accueil.

293. Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier, au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes de l’affaire au principal, si les assurances dont le paiement était exigé de la part de Laval répondent aux critères exposés au point 284 ci-dessus.

294. En deuxième lieu, quant aux redevances dites «centimes additionnels», j’observe que, d’après les explications non contestées fournies par les défenderesses au principal dans leur réponse aux questions écrites posées par la Cour, ces redevances s’élevaient à 0,8 % de la masse salariale de l’employeur. Ces redevances étaient versées à une société d’assurances suédoise au profit de différents bénéficiaires, selon la clé de répartition suivante: environ 0,4 % était versé au profit d’une société d’assurances suédoise garantissant une assurance vie et prévoyance pour les survivants des travailleurs et une assurance couvrant les accidents hors temps de travail; environ 0,3 % participait au financement du fonds pour la recherche des entreprises suédoises du bâtiment [Svenska Byggbranschens Utvecklingsfond (SBUF)] afin de favoriser la recherche et le développement du secteur du bâtiment et de nouveaux procédés dans ce secteur; environ 0,03 % était versé au profit d’une société suédoise ayant pour mission l’adaptation des postes de travail aux personnes à mobilité réduite et la rééducation de celles-ci; environ 0,04 % subventionnait la formation professionnelle et la promotion de son développement dans le secteur du bâtiment; enfin, 0,02 % finançait les frais d’administration et de gestion occasionnés à la société d’assurances suédoise susmentionnée chargée du versement, à leurs bénéficiaires respectifs, des quatre redevances venant d’être énumérées.

295. Or, il m’apparaît que certaines des redevances réclamées à Laval dans le cadre des actions collectives menées par les défenderesses au principal, notamment celles subventionnant le SBUF et la formation professionnelle dans le secteur du bâtiment, ne présentent soit aucun lien avec la protection des travailleurs, soit aucun avantage réel contribuant, de manière significative, à la protection sociale des travailleurs détachés.

296. En troisième lieu, pour ce qui concerne la commission de contrôle des salaires versée aux sections locales de Byggnadsarbetareförbundet, il y a lieu de relever que, ainsi que cela ressort des observations des défenderesses au principal dans leur réponse aux questions écrites posées par la Cour, cette commission, qui représentait 1,5 % de la masse salariale des travailleurs du bâtiment pour chaque période de contrôle, répond à plusieurs objectifs dont le premier est de vérifier si l’employeur verse la rémunération convenue entre les partenaires sociaux, eu égard, notamment, aux caractéristiques particulières du secteur de la construction au sein duquel existent une grande mobilité des travailleurs et des formes variées de rémunérations. Le contrôle des rémunérations s’effectue toutes les quatre à huit semaines sur la base de listes nominatives que les employeurs adressent aux sections locales de Byggnadsarbetareförbundet. Selon les défenderesses au principal, ce contrôle périodique aurait permis d’augmenter le niveau des salaires de plusieurs centaines de travailleurs, y compris des travailleurs non syndiqués, à la suite d’augmentations annuelles des salaires convenues mais non versées par les employeurs. Outre la vérification concrète du versement des salaires, un tel contrôle permettrait également d’établir les statistiques salariales servant de base aux négociations collectives avec les organisations patronales. Les défenderesses au principal ont également souligné que l’activité de contrôle aurait engendré un large déficit pour la période entre 2001 et 2005 et que les sommes versées par l’employeur constituent la rémunération d’un travail réel qui profite aux travailleurs, indépendamment de leur affiliation à une organisation syndicale.

297. De manière générale, il me semble qu’un contrôle du type de celui prévu par la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet constitue une condition intrinsèquement liée à l’application du taux de salaire déterminé conformément à ladite convention. Partant, dès lors que serait accepté le principe selon lequel l’article 49 CE ne s’oppose pas à ce que des organisations syndicales puissent imposer, par la voie d’actions collectives, à un prestataire de services étranger l’application d’un taux de salaire, déterminé conformément à une convention collective applicable de fait aux entreprises nationales du même secteur d’activités se trouvant dans une situation similaire, le droit communautaire devrait garantir à ces organisations la possibilité de faire respecter ces règles par des moyens appropriés.

298. Demeurerait alors posée la question de savoir si, dans une situation comme celle de l’affaire au principal, l’assujettissement de Laval au paiement de la commission de contrôle des rémunérations, perçue par la section syndicale locale de Byggnadsarbetareförbundet, aurait dépassé ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visant à assurer aux travailleurs détachés le versement de la rémunération qui aurait été déterminée, conformément à la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet.

299. Si une telle appréciation est relativement hypothétique et, eu égard à mes observations exposées plus haut, ne serait pas strictement nécessaire à la résolution de l’affaire au principal, quelques considérations générales peuvent cependant être formulées.

300. Selon moi, une telle commission ne saurait être perçue que pour des contrôles réellement effectués. Cela implique, compte tenu du caractère temporaire de la période de détachement des travailleurs et de l’objectif poursuivi par l’activité de contrôle des rémunérations, que les contrôles puissent être réalisés durant ladite période, permettant ainsi que ses résultats contribuent, de manière significative, à la protection des travailleurs détachés.

301. Une telle commission devrait donc également refléter les coûts réels engendrés par l’activité de contrôle des rémunérations et ne pas servir à financer des activités syndicales étrangères à cet objet. En effet, si tel n’était pas le cas, il existerait un risque, notamment dans l’hypothèse où la commission serait déduite des salaires des travailleurs détachés, conformément aux dispositions prévues par la convention collective, d’une interférence soit dans l’aspect négatif de la liberté d’association de ces travailleurs, soit, à tout le moins, dans la libre disposition de leur salaire, les privant ainsi de leur propriété, au sens de l’article 1er du protocole nº 1 de la CEDH.

302. Or, à cet égard, je tiens à faire remarquer qu’une telle interférence a été récemment constatée par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Evaldsson e.a. c. Suède, à propos de retenues prélevées, auprès d’un employeur suédois, sur les salaires de travailleurs non affiliés au syndicat Byggnadsarbetareförbundet visant à financer le contrôle des rémunérations convenues conformément à la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet, dans un contexte où l’absence de transparence suffisante dans les comptes de la section syndicale locale de Byggnadsarbetareförbundet excluait, au moment des faits en cause, que lesdits travailleurs soient informés de la destination des prélèvements réalisés sur leur salaires, les privant ainsi de la possibilité de vérifier qu’ils ne finançaient pas des activités syndicales étrangères à celle relative au contrôle des rémunérations, contraires à leurs convictions (106).

303. La Cour européenne des droits de l’homme a donc estimé que l’interférence dans la jouissance paisible des biens desdits travailleurs était disproportionnée au regard de l’objectif, reconnu d’intérêt général, de la protection des travailleurs du secteur de la construction au sens large, poursuivi par le contrôle des rémunérations réalisé par l’organisation syndicale en cause, interférence à l’encontre de laquelle le Royaume de Suède aurait dû s’opposer afin de protéger les droits des travailleurs concernés, tirés de l’article 1er du protocole nº 1 de la CEDH (107).

304. Dans la présente affaire, la juridiction de renvoi devrait, à mon sens, également prendre en considération cette jurisprudence, pour autant qu’elle considère que la résolution du litige au principal dépend aussi de l’examen de la proportionnalité de l’assujettissement de Laval au paiement d’une commission de contrôle des rémunérations, obligation qui aurait été imposée à Laval en vertu de la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet et à la signature de laquelle les défenderesses au principal ont tenté de contraindre cette entreprise dans le cadre des actions collectives qu’elles ont menées.

305. Enfin, par souci de complétude à propos de la problématique relative à la proportionnalité des restrictions découlant des actions collectives en cause dans la présente affaire, je ne pense pas que, dans le cadre de l’examen que la juridiction de renvoi sera conduite à réaliser à cet égard – y compris quant à l’appréciation du caractère fondé de l’action en responsabilité introduite par Laval à l’encontre des organisations syndicales des travailleurs dans l’affaire au principal – elle doive établir une distinction parmi les défenderesses au principal, entre, d’une part, Byggnadsarbetareförbundet et la section syndicale locale, lesquelles ont initié le blocus, et, d’autre part, SEF, lequel a conduit l’action de solidarité.

306. En effet, bien que ce soit cette dernière action qui ait entraîné l’interruption des travaux sur le chantier de la commune de Vaxholm et a, principalement contribué à ce que Laval mette fin au détachement des travailleurs lettons sur ce chantier, il n’en demeure pas moins que, juridiquement, cette action était nécessairement subordonnée au déclenchement du blocus.

307. Pour l’ensemble de ces raisons, j’estime que, dans la situation où un État membre ne possède pas de système de déclaration d’application générale des conventions collectives, la directive 96/71 et l’article 49 CE ne s’opposent pas à ce que des organisations syndicales tentent, par des actions collectives prenant la forme d’un blocus et d’une action de solidarité, de contraindre un prestataire de services d’un autre État membre à souscrire au taux de salaire, déterminé conformément à une convention collective, applicable de fait aux entreprises nationales du même secteur d’activités se trouvant dans une situation similaire, conclue dans le premier État membre sur le territoire duquel sont détachés, de manière temporaire, des travailleurs de l’autre État membre, dès lors que les actions collectives sont motivées par des objectifs d’intérêt général, tels que la protection des travailleurs et la lutte contre le dumping social, et ne sont pas exercées d’une manière disproportionnée par rapport à la réalisation de ces objectifs. Dans le cadre de l’examen de la proportionnalité des actions collectives, la juridiction de renvoi devra notamment vérifier si les conditions de travail et d’emploi, prévues par la convention collective en cause dans l’affaire au principal et auxquelles les organisations syndicales subordonnaient l’application du taux de salaire susmentionné, étaient conformes à l’article 3, paragraphe 10, de la directive 96/71 et si les autres conditions, auxquelles était également subordonnée l’application dudit taux de salaire, comportaient un avantage réel qui contribuait, de manière significative, à la protection sociale des travailleurs détachés et ne dupliquaient pas une éventuelle protection identique ou essentiellement comparable qui était offerte à ces travailleurs par la législation et/ou la convention collective applicables au prestataire de services dans l’État membre de son établissement.

VI – Conclusion

308. Pour l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par l’Arbetsdomstolen:

«Dans la situation où un État membre ne possède pas de système de déclaration d’application générale des conventions collectives, la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, et l’article 49 CE doivent être interprétés de sorte qu’ils ne s’opposent pas à ce que des organisations syndicales tentent, par des actions collectives prenant la forme d’un blocus et d’une action de solidarité, de contraindre un prestataire de services d’un autre État membre à souscrire au taux de salaire, déterminé conformément à une convention collective, applicable de fait aux entreprises nationales du même secteur d’activités se trouvant dans une situation similaire, conclue dans le premier État membre sur le territoire duquel sont détachés, de manière temporaire, des travailleurs de l’autre État membre, dès lors que les actions collectives sont motivées par des objectifs d’intérêt général, tels que la protection des travailleurs et la lutte contre le dumping social, et ne sont pas exercées d’une manière disproportionnée par rapport à la réalisation de ces objectifs.

Dans le cadre de l’examen de la proportionnalité des actions collectives, la juridiction de renvoi devra notamment vérifier si les conditions de travail et d’emploi, prévues par la convention collective en cause dans l’affaire au principal et auxquelles les organisations syndicales subordonnaient l’application du taux de salaire susmentionné, étaient conformes à l’article 3, paragraphe 10, de la directive 96/71 et si les autres conditions, auxquelles était également subordonnée l’application dudit taux de salaire, comportaient un avantage réel qui contribuait, de manière significative, à la protection sociale des travailleurs détachés et ne dupliquaient pas une éventuelle protection identique ou essentiellement comparable qui était offerte à ces travailleurs par la législation et/ou la convention collective applicables au prestataire de services dans l’État membre de son établissement.»


1 – Langue originale: le français.


2 – JO 1997, L 18, p. 1.


3 – JO L 266, p. 1.


4 – JO L 149, p. 2.


5 – L’article 23 de la MBL définit une convention collective comme un accord écrit entre une organisation patronale ou un employeur et une organisation de travailleurs, relatif aux conditions de travail ou concernant les relations entre les employeurs et les travailleurs.


6 – AD 1989: 120. Le litige portait sur les conditions de travail applicables à l’équipage d’un porte‑conteneurs naviguant sous pavillon étranger et portant le nom de «Britannia».


7 – D’après les informations fournies par Byggnadsarbetareförbundet, celui-ci regroupe 128 000 membres dont 95 000 en âge d’être actifs. Byggnadsarbetareförbundet représente plus de 87 % des travailleurs du secteur de la construction en Suède. Il est composé de 31 sections syndicales locales. Byggnadsarbetareförbundet est membre de la confédération nationale des organisations syndicales suédoises (Landsorganisationen i Sverige, ci-après «LO»), laquelle regroupe près de 1 860 000 travailleurs.


8 – Soit environ 16 euros de l’heure, sur la base du cours moyen de change entre l’euro et la couronne suédoise correspondant, pour l’année 2004, à 1 euro = 9,10 SEK.


9 – La convention collective en cause est conçue de telle manière que le salaire au rendement correspond à l’échelle normale des salaires pour la construction, l’employeur et la section locale concernés pouvant cependant s’entendre sur l’application d’un salaire horaire.


10 – Soit environ 12 euros de l’heure. D’après les indications des défenderesses au principal, la clause billot figure à l’article 3, sous c), point 12, de la convention collective de Byggnadsarbetareförbundet, le salaire de base de 109 SEK résultant du protocole additionnel à cette convention, applicable en 2004.


11 – D’après le dossier, cette organisation syndicale compte 26 500 membres. Comme Byggnadsarbetareförbundet, elle est membre de LO.


12 – Voir, notamment, en ce qui concerne la libre prestation de services, arrêts du 28 avril 1998, Kohll (C‑158/96, Rec. p. I‑1931, points 17 à 21); du 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms (C‑157/99, Rec. p. I-5473, points 44 à 46), et du 23 octobre 2003, Inizan (C‑56/01, Rec. p. I‑12403, point 17). Cette affirmation s’apparente à celle utilisée par la Cour en matière de fiscalité directe: voir, en particulier, arrêts du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, Rec. p. I‑225, point 21), et du 14 novembre 2006, Kerckhaert et Morres (C‑513/04, non encore publié au Recueil, point 15 et jurisprudence citée).


13 – Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, sous j), du traité, l’action de la Communauté comporte une «politique dans le domaine social […]», le titre XI du traité utilisant l’expression «politique sociale».


14 – Voir également à cet égard, à propos de l’article 117 CE, arrêt du 17 mars 1993, Sloman Neptun (C-72/91 et C-73/91, Rec. p. I-887, point 25 et jurisprudence citée), qui précise que «cet article ne vise que des objectifs sociaux dont la mise en œuvre doit être le résultat de l'action de la Communauté, de la collaboration étroite entre les États membres et du fonctionnement du marché commun».


15 – Voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2005, Alliance for Natural Health e.a. (C‑154/04 et C‑155/04, Rec. p. I‑6451, point 126), à propos du droit de propriété. Voir, également, point 133 des conclusions jointes de l’avocat général Jacobs dans les affaires Albany (arrêt du 21 septembre 1999, C‑67/96, Rec. p. I‑5751), Brentjens’ (arrêt du 21 septembre 1999, C‑115/97, C‑116/97 à C‑117/97, Rec. p. I‑6025) et Drijvende Bokken (arrêt du 21 septembre 1999, C‑219/97, Rec. p. I‑6121).


16 – Voir, par exemple, arrêts du 18 juin 1991, ERT (C-260/89, Rec. p. I-2925, point 41); du 6 mars 2001, Connolly/Commission (C‑274/99 P, Rec. p. I‑1611, point 37), et du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil (C‑229/05 P, non encore publié au Recueil, point 79 et jurisprudence citée).


17 – Arrêts du 15 juin 1978, Defrenne (149/77, Rec. p. 1365, point 28), concernant le statut de droit fondamental de l’élimination de toute discrimination fondée sur le sexe; du 2 février 1988, Blaizot e.a. (24/86, Rec. p. 379, point 17), à propos de l’article 10 de cette charte qui comprend l’enseignement universitaire parmi les différentes formes d’enseignement professionnel; du 27 juin 2006, Parlement/Conseil (C‑540/03, Rec. p. I-5769, point 107), concernant la mention faite par la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial (JO L 251, p. 12), selon laquelle celle-ci ne porte pas atteinte aux dispositions plus favorables prévues par la charte sociale européenne.


18 – Arrêts du 26 juin 2001, BECTU (C-173/99, Rec. p. I-4881, point 39); du 9 septembre 2003, Jaeger (C-151/02, Rec. p. I-8389, point 47), et du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C-397/01 à C‑403/01, Rec. p. I-8835, point 91), concernant les paragraphes 8 et 19, premier alinéa, de cette charte, rappelés au quatrième considérant de la directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (JO L 307, p. 18).


19 – JO C 364, p. 1.


20 – Arrêt Parlement/Conseil, précité (point 38).


21 – Voir Cour eur. D. H., arrêt Schmidt et Dahlström c. Suède du 6 février 1976, série A nº 21, § 34.


22 – Voir Cour eur. D. H., arrêts Sigurður A. Sigurjónsson c. Islande du 30 juin 1993, série A nº 264, § 35; Gustafsson c. Suède du 25 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 637, § 45, et Sørensen et Rasmussen c. Danemark du 11 janvier 2006, non encore publié, § 54.


23 – Arrêts précités Gustafsson c. Suède, § 45, et Sørensen et Rasmussen c. Danemark, § 57.


24 – Voir Cour eur. D. H., arrêts Syndicat national de la police belge c. Belgique du 27 octobre 1975, série A nº 19, § 39; Syndicat suédois des conducteurs de locomotives c. Suède du 6 février 1976, série A nº 20, § 4; Schmidt et Dahlström c. Suède, précité, § 36; Gustafsson c. Suède, précité, § 45, et Wilson, National Union of Journalists e.a. c. Royaume-Uni du 2 juillet 2002, Recueil des arrêts et décisions 2002-V, § 42.


25 – Voir arrêt Schmidt et Dahlström c. Suède, précité, § 36.


26 – Voir arrêts précités Syndicat suédois des conducteurs de locomotives c. Suède, § 39, et Gustafsson c. Suède, § 45.


27 – Arrêts précités Syndicat national de la police belge c. Belgique, § 39, et Syndicat suédois des conducteurs de locomotives c. Suède, § 39.


28 – Arrêts précités Syndicat national de la police belge c. Belgique, § 39, Syndicat suédois des conducteurs de locomotives c. Suède, § 40, et Wilson, National Union of Journalists e.a. c. Royaume-Uni, § 42.


29 – Idem.


30 – Article 38 de la charte sociale européenne.


31 – Voir article 9, paragraphe 3, de la Loi fondamentale allemande; article 49, paragraphe 1, de la Constitution bulgare; article 21, paragraphe 2, de l’annexe D, deuxième partie, de la Constitution chypriote; article 29 de la Constitution estonienne; article 13 de la Constitution finlandaise; préambule de la Constitution française; article 40, paragraphe 6, premier alinéa, sous iii), de la Constitution irlandaise; article 39, premier alinéa, de la Constitution italienne; article 50 de la Constitution lituanienne; article 59, paragraphe 1, de la Constitution polonaise; article 55, paragraphe 1, de la Constitution portugaise; article 40, paragraphe 1, de la Constitution roumaine; article 29 de la Constitution slovaque, et article 76 de la Constitution slovène.


32 – Voir, article 9, paragraphe 3, de la Loi fondamentale allemande; article 37, paragraphe 2, de la Constitution espagnole; préambule de la Constitution française; article 59, paragraphe 3, de la Constitution polonaise; article 56 de la Constitution portugaise et article 17 du chapitre 2 de la Loi fondamentale suédoise.


33 – Voir article 50 de la Constitution bulgare; article 27, paragraphe 1, de l’annexe D, deuxième partie, de la Constitution chypriote; article 29 de la Constitution estionienne; préambule de la Constitution française; article 23, paragraphe 2, de la Constitution grecque; article 70 C, paragraphe 2, de la Constitution hongroise; article 40 de la Constitution italienne; article 108 de la Constitution lettone; article 51 de la Constitution lituanienne; article 59, paragraphe 3, de la Constitution polonaise; article 57, paragraphe 1, de la Constitution portugaise; article 43, paragraphe 1, de la Constitution roumaine; article 30, paragraphe 4, de la Constitution slovaque, et article 77 de la Constitution slovène.


34 – Voir également et en ce sens, point 159 des conclusions jointes de l’avocat général Jacobs dans les affaires Albany, Brentjens’ et Drijvende Bokken, précitées.


35 – Arrêts du 8 octobre 1974, Union syndicale e.a./Conseil (175/73, Rec. p. 917, point 14) et Syndicat général du personnel des organismes européens/Commission (18/74, Rec. p. 933, point 10), et du 10 janvier 1990, Maurissen et Union syndicale/Cour des comptes (C‑193/87 et C‑194/87, Rec. p. I‑95, point 13).


36 – Ainsi que cela résulte notamment de l’article 6, paragraphe 4, de la charte sociale européenne. Voir également, à cet égard, Cour eur. D. H. , arrêt Schmidt et Dahlström c. Suède, précité, § 36.


37 – Voir, notamment, Cour eur. D. H., Gustafsson c. Suède, précité, § 45. La Cour retient aussi un tel critère: voir, en particulier, arrêt du 12 juin 2003, Schmidberger (C‑112/00, Rec. p. I‑5659, point 80 et jurisprudence citée).


38 – En effet, en particulier, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (voir, notamment, arrêts précités Gustafsson c. Suède, § 45, et Wilson, National Union of Journalists e.a. c. Royaume-Uni, § 41), l’article 11 de la CEDH peut impliquer l’obligation positive de la part de l’État d’assurer la jouissance effective des droits qu’il consacre.


39 – Voir, en ce sens, point 177 de mes conclusions présentées le 26 octobre 2006 dans les affaires Gestoras Pro Amnistía e.a./Conseil (arrêt du 27 février 2007, C‑354/04 P, non encore publié au Recueil) et Segi e.a./Conseil (arrêt du 27 février 2007, C‑355/04 P, non encore publié au Recueil).


40 – Arrêt précité (points 76, 77 et 81).


41 – Voir, en particulier, arrêts du 15 janvier 1998, Schöning-Kougebetopoulou (C‑15/96, Rec. p. I‑47, point 12); du 24 septembre 1998, Commission/France (C‑35/97, Rec. p. I‑5325, points 36 et 37), et du 16 septembre 2004, Merida (C‑400/02, Rec. p. I‑8471, points 19 et 21).


42 – Voir, notamment, arrêts du 31 mai 1995, Royal Copenhagen (C-400/93, Rec. p. I‑1275, point 45), et du 26 juin 2001, Brunnhofer (C‑381/99, Rec. p. I‑4961, points 28 à 32).


43 – Voir, notamment, arrêts du 12 avril 2005, Keller (C‑145/03, Rec. p. I-2529, point 33), et du 11 juillet 2006, Chacón Navas (C‑13/05, Rec. p. I-6467, point 32).


44 – Voir arrêts du 7 septembre 1999, Beck et Bergdorf (C‑355/97, Rec. p. I-4977, point 22); du 16 juin 2005, Pupino (C‑105/03, Rec. p. I-5285, point 30), et Chacón Navas, précité (point 33).


45 – Acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2003, L 236, p. 33).


46 – Selon l’article 1er de l’acte d’adhésion de 2003, on entend par «traités originaires»: a) le traité instituant la Communauté européenne et le traité instituant la Communauté européenne de ‘'énergie atomique (Euratom), tels qu’ils ont été complétés ou modifiés par des traités ou d’autres actes entrés en vigueur avant ladite adhésion; et b) le traité sur l’Union européenne, tel qu’il a été complété ou modifié par des traités ou d’autres actes entrés en vigueur avant ladite adhésion.


47 – JO L 257, p. 2.


48 – À noter que cette première phase des mesures transitoires était applicable à huit des dix États membres, excepté la République de Malte et la République de Chypre, qui ont adhéré à l’Union européenne le 1er mai 2004.


49 – Voir, sur l’état de libéralisation des marchés du travail dans les quinze anciens États membres de la Communauté durant et à la fin de la première phase des mesures transitoires, les indications figurant dans le communiqué de presse de la Commission du 28 avril 2006 «Mesures transitoires pour la libre circulation des travailleurs visées au traité d’adhésion de 2003» (Memo/06/176), http://www.europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=MEMO/06/176&format=HTML&aged=1&language=FR&guiLanguage=fr.


50 – Ainsi que le met en exergue le point 12 de l’annexe VIII susmentionnée.


51 – Arrêt du 27 mars 1990 (C‑113/89, Rec. p. I‑1417, points 13 et 16).


52 – De fait, ainsi que je l’ai précisé plus haut, d’après les éléments du dossier, tous les travailleurs détachés par Laval sont retournés en Lettonie à la suite des actions collectives déclenchées par les défenderesses au principal.


53 – Voir, à cet égard, arrêt du 23 novembre 1999, Arblade e.a. (C‑369/96 et C‑376/96, Rec. p. I‑8453, point 32).


54 – Voir, notamment, arrêts du 4 mai 1999, Sürül (C-262/96, Rec. p. I‑2685, point 64); du 28 octobre 1999, Vestergaard (C‑55/98, Rec. p. I-7641, point 16); du 26 juin 2003, Skandia et Ramstedt (C-422/01, Rec. p. I-6817, point 61), et du 16 février 2006, Öberg (C-185/04, Rec. p. I-1453, point 25).


55 – Arrêts Vestergaard, précité (point 17), et du 11 décembre 2003, AMOK (C‑289/02, Rec. p. I‑15059, point 26); voir, également, arrêt Skandia et Ramstedt, précité (points 61 et 62).


56 – Tel est le cas de Laval, des gouvernements allemand, autrichien, belge, estonien, français, islandais, letton, lituanien (qui propose une réponse globale aux deux questions) et polonais, ainsi que des gouvernements espagnol et irlandais dont les observations respectives sont toutefois limitées à la première question préjudicielle.


57 – Tel est le cas, à titre (particulièrement) subsidiaire, des défenderesses au principal (qui proposent une réponse globale aux deux questions), des gouvernements danois (qui n’a examiné que la première question préjudicielle), finlandais (qui ne se prononce pas sur la réponse à donner aux deux questions), suédois, tchèque et de l’Autorité de surveillance AELE, laquelle s’est cependant limitée à répondre à la première question préjudicielle.


58 – Arrêts du 26 février 1986, Marshall (152/84, Rec. p. 723, point 48); du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C-91/92, Rec. p. I-3325, point 20); du 7 janvier 2004, Wells (C‑201/02, Rec. p. I-723, point 56); Pfeiffer e.a., précité (point 108); du 25 octobre 2005, Schulte (C‑350/03, Rec. p. I‑9215, point 70). Ce refus s’applique en tout cas aux directives dites «classiques»; en revanche, la Cour a admis, à titre exceptionnel, qu’un particulier qui se fonde sur une règle technique d’un État membre qui n’a pas été notifiée à la Commission, au stade de projet, conformément aux procédures prévues aux articles 8 et 9 de la directive 83/189/CEE du Conseil, du 28 mars 1983, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO L 109, p. 8), modifiée et abrogée par la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO L 204, p. 37), dont l’objet est de prévenir les éventuelles restrictions futures à la libre circulation des marchandises, puisse se voir opposer, dans un litige avec un autre particulier, le défaut de notification par cet État membre de ladite règle technique: voir arrêts du 30 avril 1996, CIA Security International (C‑194/94, Rec. p. I‑2201, points 48, 54 et 55); du 26 septembre 2000, Unilever (C‑443/98, Rec. p. I‑7535, points 49 et 50), et du 6 juin 2002, Sapod Audic (C‑159/00, Rec. p. I‑5031, points 49 et 50).


59 – Contrairement à la situation des collectivités territoriales décentralisées des États membres, à propos desquelles la Cour a admis qu’une directive pouvait leur être directement opposée par un particulier: voir, notamment, arrêts du 22 juin 1989, Fratelli Costanzo (103/88, Rec. p. 1839, point 31), et du 4 décembre 1997, Kampelmann e.a. (C‑253/96 à C‑258/96, Rec. p. I‑6907, point 46).


60 – Contrairement donc à la situation qui prévalait dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juillet 1990, Foster e.a. (C-188/89, Rec. p. I-3313, points 20 et 22). Voir, également, arrêts du 14 septembre 2000, Collino et Chiappero (C‑343/98, Rec. p. I‑6659, point 23); du 20 mars 2003, Kutz-Bauer (C‑187/00, Rec. p. I‑2741, point 69), et du 10 mars 2005, Nikoloudi (C‑196/02, Rec. p. I‑1789, point 70).


61 – Voir, notamment, arrêts Pfeiffer e.a., précité (point 113), et du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C‑212/04, Rec. p. I‑6057, point 108).


62 – Voir, en ce sens, arrêts précités Pfeiffer e.a. (points 114, 115, 116, 118 et 119) et Adeneler e.a. (points 108, 109 et 111) (italiques ajoutés par mes soins).


63 – Arrêts précités Pupino (points 44 et 47) et Adeneler e.a. (point 110).


64 – La redondance de ce considérant émerge en effet de la circonstance que le droit communautaire, y compris donc le droit primaire, ne saurait affecter la substance même du droit de recourir à l’action collective. Cette limite s’étend donc nécessairement au droit dérivé.


65 – Arrêts Rush Portuguesa, précité (point 18); du 21 octobre 2004, Commission/Luxembourg (C‑445/03, Rec. p. I‑10191, point 29); du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne (C-244/04, Rec. p. I‑885, points 44 et 61), et du 21 septembre 2006, Commission/Autriche (C-168/04, non encore publié au Recueil, point 47). À noter que ces arrêts, ainsi que le douzième considérant de la directive 96/71, admettent le principe de l’extension des conventions collectives en général à la situation des prestataires de services, alors que les motifs d’arrêts précédents ou contemporains portaient uniquement sur l’extension du taux de salaire minimal prévu par l’État membre d’accueil: voir, notamment, arrêts du 3 février 1982, Seco (62 et 63/81, Rec. p. 223, point 14); du 9 août 1994, Vander Elst (C‑43/93, Rec. p. I‑3803, point 23); Arblade e.a., précité (point 41), et du 14 avril 2005, Commission/Allemagne (C-341/02, Rec. p. I‑2733, point 24).


66 – Voir, également en ce sens, la note 15 des conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/Autriche, précité, ainsi que le point 27 des conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 14 décembre 2006 dans l’affaire Commission/Allemagne (C-490/04, actuellement pendante devant la Cour).


67 – Voir, à cet égard, arrêt du 14 avril 2005, Commission/Allemagne, précité (points 41 et 42).


68 – Voir, par analogie, avec la libre circulation des marchandises: arrêt du 25 mars 2004, Karner (C‑71/02, Rec. p. I‑3025, points 33 et 34).


69 – Arrêt du 12 octobre 2004, Wolff & Müller (C‑60/03, Rec. p. I‑9553, points 28 à 30).


70 – Voir arrêts du 12 décembre 1974, Walrave et Koch (36/74, Rec. p. 1405, points 17, 18, 23 et 24); du 14 juillet 1976, Donà (13/76, Rec. p. 1333, points 17 et 18); du 11 avril 2000, Deliège (C‑51/96 et C‑191/97, Rec. p. I‑2549, point 47); du 13 avril 2000, Lehtonen et Castors Braine (C‑176/96, Rec. p. I‑2681, point 35); du 19 février 2002, Wouters e.a. (C‑309/99, Rec. p. I‑1577, point 120), et du 18 juillet 2006, Meca-Medina et Majcen/Commission (C‑519/04 P, Rec. p. I‑6991, point 24).


71 – Voir arrêt Walrave et Koch, précité (point 19) (italiques ajoutés par mes soins).


72 – Idem.


73 – Voir, notamment, Fahlbeck, R., Labour and Employment Law in Sweden, Acta Societatis Juridicae Lundensis nº 125, Juristförlaget i Lund, Lund, 1997, p. 27; Rönnmar, M., «Mechanisms for establishing and changing terms and conditions of employment in Sweden», dans JILPT Comparative Labour Law Seminar, JILPT Report, nº 1, 2004, p. 96; Bruun, N., et Malmberg, J., «Ten Years within the EU – Labour Law in Sweden and Finland following EU accession», dans Wahl, N., et Cramér, P., Swedish Studies in European Law, Hart, Oxford, 2006, p. 79 à 81, et Dølvik, J., E., et Eldring, L., The Nordic Labour Market two years after the EU enlargement, TemaNord 2006:558, Norden, Copenhague, 2006, p. 24.


74 – Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social et au Comité des régions – La mise en œuvre de la directive 96/71/CE dans les États membres [COM (2003) 458 final].


75 – Italiques ajoutés par mes soins.


76 – Voir notamment, arrêts précités Rush Portuguesa (point 18) et Vander Elst (point 23).


77 – Voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 1985, Commission/Danemark (143/83, Rec. p. 427, points 8 et 9); du 10 juillet 1986, Commission/Italie (235/84, Rec. p. 2291, point 20), et du 8 juillet 1999, Fernández de Bobadilla (C‑234/97, Rec. p. I‑4773, point 19).


78 – Arrêt Fernández de Bobadilla, précité (point 19 et jurisprudence citée).


79 – Voir ainsi les articles de Röonmar, M., précité, p. 98, et de Malberg, J., «The Collective Agreement as an Instrument for Regulation of Wages and Employment Conditions», Scandinavian Studies in Law, vol. 43, 2002, Stockholm, p. 208.


80 – Voir, à cet égard, arrêt du 14 avril 2005, Commission/Allemagne, précité (point 26), dans lequel la Cour a constaté que l’adoption de dispositions législatives régissant le taux de salaire minimal sur le territoire national était facultative. Voir, également, la déclaration nº 5 du Conseil et de la Commission, jointe au procès‑verbal du Conseil à l’occasion de l’adoption de la directive 96/71 (document 10048/96 add. 1, 20 septembre 1996).


81 – Voir à cet égard, notamment, arrêts du 17 décembre 1981, Webb (279/80, Rec. p. 3305, point 16); du 10 juillet 1991, Commission/France (C‑294/89, Rec. p. I‑3591, point 26), et du 15 mars 2001, Mazzoleni et ISA (C‑165/98, Rec. p. I‑2189, point 23).


82 – Voir, à cet égard, arrêt Arblade e.a., précité (point 31). Dans cette affaire, la Cour a défini la notion de loi de police et de sûreté comme visant les dispositions nationales dont l’observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique de l’État membre concerné, au point d’en imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire national de cet État membre ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci (point 30).


83 – Sur la clause billot, voir point 26 des présentes conclusions.


84 – Voir, notamment, arrêts Vander Elst précité (point 14); Arblade e.a., précité (point 33); du 24 janvier 2002, Portugaia Construções (C‑164/99, Rec. p. I‑787, point 16), et Wolff & Muller, précité (point 31).


85 – Arrêts précités Portugaia Construções (point 18) et Wolff & Muller (point 32).


86 – Voir, à cet égard, l’approche nuancée de l’arrêt Walrave et Koch, précité (point 34).


87 – Arrêt précité (points 60 à 69).


88 – Arrêt précité (point 122).


89 – Arrêt Meca-Medina et Majcen/Commission, précité (point 29).


90 – Voir, notamment, arrêts du 25 juillet 1991, Säger (C-76/90, Rec. p. I-4221, point 13); du 25 octobre 2001, Finalarte e.a. (C‑49/98, C‑50/98, C‑52/98 à C‑54/98 et C‑68/98 à C‑71/98, Rec. p. I‑7831, point 29), et Portugaia Construções, précité (point 17).


91 – Voir arrêt Portugaia Construções, précité (points 21 à 23 et jurisprudence citée).


92 – Voir, notamment, arrêts précités Arblade e.a. (points 34 et 35), Portugaia Construções (point 19), Wolff & Muller (point 34), et Commission/Luxembourg (point 21).


93 – Arrêt Schmidberger, précité (points 66 à 68).


94 – Voir, en ce sens, à propos de l’invocation des justifications tirées de l’ordre public, de la sécurité publique et de la santé publique, arrêt du 15 décembre 1995, Bosman (C‑415/93, Rec. p. I‑4921, point 86).


95 – Voir, notamment, s’agissant de la protection des travailleurs, arrêts précités Arblade e.a. (point 36), Finalarte e.a. (point 33), Portugaia Construções (point 20), et Wolff & Muller (point 35). Pour ce qui concerne la lutte contre le dumping social, voir arrêt du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne, précité (point 61).


96 – Voir article 3 de la directive 96/71 et arrêt du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne, précité (point 61).


97 – Voir mes considérations dans les observations liminaires ci-dessus ainsi que, notamment, arrêt Schmidberger, précité (point 80 et jurisprudence citée).


98 – Arrêts du 28 mars 1996, Guiot (C-272/94, Rec. p. I-1905, points 16 et 17); Arblade e.a., précité (point 51); Commission/Luxembourg, précité (point 29), et du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne, précité (point 44).


99 – Voir arrêt du 14 avril 2005, Commission/Allemagne, précité (point 29). À noter que, dans l’arrêt Mazzoleni et ISA, précité, la Cour a demandé à ce que la juridiction de renvoi prenne en considération les salaires nets dans sa comparaison des conditions salariales, mais cette position s’explique, selon moi, par les circonstances très particulières de l’affaire dont la Cour était saisie, puisqu’il s’agissait d’une entreprise établie dans une région frontalière dont certains des salariés pouvaient être amenés, aux fins d’une prestation de services par l'entreprise, à effectuer à temps partiel et pendant de brèves périodes une partie de leur travail sur le territoire limitrophe d'un État membre autre que celui d’établissement de l’entreprise.


100 – Sur cet aspect de la liberté d’association, voir la jurisprudence mentionnée au point 70 des présentes conclusions.


101 – Arrêt précité, § 52.


102 – Il ressort en effet des réponses des défenderesses au principal aux questions écrites posées par la Cour que la pratique consistant à subordonner l’application du taux de salaire, prévu ou déterminé conformément à une convention collective, à l’adhésion par l’employeur à l’ensemble des conditions prévues par ladite convention, ne constitue pas une caractéristique du modèle suédois des relations collectives de travail.


103 – Voir arrêt Wolff & Muller, précité (point 38).


104 – Voir arrêt Schmidberger, précité (point 80).


105 – Voir récemment, à propos de l’article 14 du règlement nº 1408/71, arrêt du 26 janvier 2006, Herbosch Kiere (C‑2/05, Rec. p. I‑1079).


106 – Arrêt du 13 février 2007, non encore publié, § 8, 61 et 62.


107 – Idem, § 54, 55 et 63.