ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

10 mai 2017 (1)

« Droit institutionnel – Initiative citoyenne européenne – Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement – Accord économique et commercial global – Défaut manifeste d’attributions de la Commission – Proposition d’acte juridique aux fins de l’application des traités – Article 11, paragraphe 4, TUE – Article 2, paragraphe 1, et article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement (UE) n° 211/2011 –  Égalité de traitement »

Dans l’affaire T‑754/14,

Michael Efler, demeurant à Berlin (Allemagne), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (2), représentés par M. B. Kempen, professeur,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. J. Laitenberger et H. Krämer, puis par M. Krämer et enfin par MM. Krämer et F. Erlbacher et, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2014) 6501 final de la Commission, du 10 septembre 2014, rejetant la demande d’enregistrement de la proposition d’initiative citoyenne européenne intitulée « Stop TTIP » ,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. H. Kanninen, président, E. Buttigieg (rapporteur) et L. Calvo‑Sotelo Ibáñez‑Martín, juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 13 septembre 2016,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Par décision du 27 avril 2009, le Conseil de l’Union européenne a autorisé la Commission des Communautés européennes à ouvrir des négociations avec le Canada en vue de la conclusion d’un accord de libre-échange, dénommé par la suite « Accord économique et commercial global » (Comprehensive Economic and Trade Agreement, ci-après le « CETA »). Par décision du 14 juin 2013, le Conseil a autorisé la Commission à ouvrir des négociations avec les États-Unis d’Amérique en vue de la conclusion d’un accord de libre-échange, dénommé par la suite « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement » (Transatlantic Trade and Investment Partnership, ci-après le « TTIP »).

2        Le 15 juillet 2014, les requérants, M. Michael Efler et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe, ont, en leur qualité de membres du comité des citoyens constitué à cet effet, transmis à la Commission une demande d’enregistrement de la proposition d’initiative citoyenne européenne (ci-après l’« ICE ») intitulée « Stop TTIP » (ci-après la « proposition d’ICE »). Au titre de son objet, la proposition d’ICE indique que « la Commission européenne […] recommande au Conseil d’annuler le mandat de négociation pour le [TTIP] et de ne pas conclure l[e CETA] ». Au titre des objectifs poursuivis, la proposition d’ICE énonce qu’il s’agit de « faire obstacle au TTIP et au CETA car ils contiennent plusieurs points critiques tels que des procédures de règlement des différends entre investisseurs et États et des dispositions sur la coopération en matière de réglementation menaçant la démocratie et l’État de droit […], [d’]éviter que des négociations opaques [n’]entraînent un affaiblissement des règles de protection du travail, de protection sociale, de protection environnementale, de protection de la vie privée et de protection des consommateurs et que des services publics (par ex. approvisionnement en eau) et la culture ne soient déréglementés » et de soutenir « une politique commerciale et d’investissement différente dans l’[Union européenne] ». La proposition d’ICE se réfère aux articles 207 et 218 TFUE comme fondement juridique de ladite initiative.

3        Par la décision C(2014) 6501, du 10 septembre 2014 (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a refusé d’enregistrer la proposition d’ICE en application de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement (UE) n° 211/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, relatif à l’initiative citoyenne (JO 2011, L 65, p. 1).

4        La décision attaquée énonce, en substance, qu’une décision du Conseil autorisant la Commission à ouvrir des négociations en vue de la conclusion d’un accord avec un pays tiers n’est pas un acte juridique de l’Union européenne et qu’une recommandation s’y rapportant ne constitue donc pas une proposition appropriée au sens de l’article 11, paragraphe 4, TUE et de l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 211/2011, dans la mesure où une telle décision constitue un acte préparatoire au regard de la décision postérieure du Conseil d’autoriser la signature de l’accord, tel que négocié, et de conclure ce dernier. Pareille décision préparatoire déploierait des effets juridiques uniquement entre les institutions concernées, sans modifier le droit de l’Union, contrairement à ce qui serait le cas de la décision de signer et de conclure un accord déterminé, laquelle pourrait faire l’objet d’une ICE. La Commission en déduit que l’enregistrement de la proposition d’ICE, en ce qu’elle vise à l’inviter à soumettre au Conseil une recommandation d’adopter une décision de retrait de l’autorisation d’ouvrir des négociations en vue de la conclusion du TTIP, doit être refusé.

5        La décision attaquée énonce par ailleurs que, dans la mesure où la proposition d’ICE peut être comprise comme invitant la Commission à ne pas soumettre au Conseil des propositions de décisions du Conseil sur la signature et la conclusion du CETA ou du TTIP ou à soumettre au Conseil des propositions de décisions de ne pas autoriser la signature de ces accords ou de ne pas conclure ceux-ci, une telle invitation ne relève pas non plus du champ d’application de l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 211/2011, selon lequel l’ICE vise à l’adoption d’actes juridiques nécessaires aux fins de l’application des traités et produisant des effets juridiques autonomes.

6        La décision attaquée conclut que la proposition d’ICE est, dès lors, en dehors du cadre des attributions de la Commission en vertu desquelles celle-ci peut présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités, au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 211/2011, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, du même règlement.

 Procédure et conclusions des parties

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 novembre 2014, les requérants ont introduit le présent recours.

8        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 15 avril 2016, les requérants ont introduit une demande en référé, qui a été rejetée par ordonnance du 23 mai 2016, Efler e.a./Commission (T‑754/14 R, non publiée, EU:T:2016:306). Par acte du 17 juillet 2016, les requérants ont formé un pourvoi au titre de l’article 57, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a été rejeté par ordonnance du vice-président de la Cour du 29 septembre 2016, Efler e.a./Commission [C‑400/16 P(R), non publiée, EU:C:2016:735]. 

9        Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

10      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

11      À l’appui de leur recours, les requérants invoquent deux moyens pris, le premier, d’une violation de l’article 11, paragraphe 4, TUE, de l’article 2, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 211/2011, le second, d’une méconnaissance du principe d’égalité de traitement.

12      S’agissant du premier moyen, les requérants observent en premier lieu que, pour autant que le refus d’enregistrer la proposition d’ICE est fondé sur la circonstance que les décisions du Conseil visant à autoriser l’ouverture de négociations en vue de la conclusion d’un accord international sont des actes préparatoires, ils ne contestent pas que ces décisions présentent un tel caractère. Toutefois, il n’en irait pas différemment des décisions du Conseil autorisant la signature d’un accord international. En outre, le règlement n° 211/2011 viserait, de manière générale, tout acte juridique, sans se limiter aux actes produisant des effets définitifs et ni la genèse des dispositions en cause ni leur contexte normatif n’indiqueraient que la notion d’« acte juridique » serait d’interprétation étroite. Enfin, une décision de retrait du mandat de négociation en faveur de la Commission mettrait un terme aux négociations, serait juridiquement contraignante et présenterait dès lors un caractère définitif.

13      Les requérants observent en deuxième lieu que, pour autant que le refus d’enregistrer la proposition d’ICE est fondé sur la circonstance que les décisions du Conseil autorisant l’ouverture de négociations en vue de la conclusion d’un accord international produisent seulement des effets entre les institutions en cause, la notion étendue d’acte juridique figurant dans les articles 288 à 292 TFUE interdit de dénier cette qualité aux décisions de la Commission prises en dehors de la procédure législative ordinaire et d’exclure ces dernières du domaine d’application des dispositions relatives à l’ICE, dès lors que ces décisions sont juridiquement contraignantes. Il ne ressortirait ni du libellé des traités, ni de l’économie de ceux-ci, ni des objectifs poursuivis par ces derniers que le principe de démocratie, sur lequel repose l’Union, ne devrait s’appliquer qu’aux personnes affectées ou concernées par l’acte juridique en cause. La Commission se contredirait également en ce qu’elle admettrait, par ailleurs, comme recevable une ICE d’acclamation et de confirmation, visant à signer et à conclure un accord dont l’objet et le contenu seraient déjà fixés.

14      Les requérants observent en troisième lieu que, pour autant que la décision attaquée est fondée sur le prétendu caractère « destructeur » des propositions d’actes visant à retirer à la Commission le mandat de négociation en vue de la conclusion du TTIP et à soumettre au Conseil une proposition de ne pas autoriser la signature du TTIP et du CETA ou de ne pas conclure ces derniers, de telles propositions ne sauraient être tenues en échec par la circonstance que, conformément à l’article 11, paragraphe 4, TUE et à l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 211/2011, l’acte juridique envisagé devrait contribuer à l’« application des traités », dès lors que les actes envisagés aboutiraient, sous une forme ou sous une autre, à rendre opérationnels les fondements de compétences tirés du droit primaire. Selon les requérants, le droit général des citoyens de participer à la vie démocratique de l’Union inclut la faculté d’agir en vue de modifier des actes de droit dérivé en vigueur, de les réformer ou de les annuler en tout ou en partie. L’enregistrement de la proposition d’ICE conduirait à davantage de débat public, objectif primaire de toute ICE.

15      Par ailleurs, si, comme le soutiendrait la Commission pour la première fois dans le mémoire en défense, toute sorte de traité international, qu’il vise à abroger un traité existant ou à instituer un traité totalement nouveau, pourrait être proposée par une ICE, il serait contradictoire que celle‑ci ne puisse avoir pour objet d’empêcher la conclusion d’un traité en cours de négociation.

16      Les requérants ajoutent qu’une proposition au Conseil de ne pas approuver le CETA n’exclut pas que des projets modifiés d’accords transatlantiques de libre-échange puissent être élaborés par la suite.

17      Enfin, la proposition d’ICE ne serait pas, en tout état de cause, « manifestement » en dehors du cadre des attributions de la Commission, comme l’exige l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 211/2011.

18      La Commission relève d’emblée que le grief tiré d’une violation de l’article 11, paragraphe 4, TUE est inopérant, le règlement n° 211/2011, adopté sur la base de l’article 24, premier alinéa, TFUE, constituant la référence pour le contrôle de la légalité des décisions de la Commission relatives à l’enregistrement des propositions d’ICE.

19      La Commission fait valoir ensuite qu’une décision du Conseil l’autorisant à ouvrir des négociations en vue de la conclusion d’un accord international, à l’opposé d’une décision du Conseil de signer un tel accord, revêt un caractère purement préparatoire, dans la mesure où elle ne déploie des effets juridiques que dans les rapports entre les institutions. Or, une interprétation systématique et téléologique de l’article 2, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 211/2011 aboutirait à la conclusion selon laquelle un acte juridique à caractère purement préparatoire ne serait pas un acte juridique au sens desdites dispositions.

20      Par ailleurs, selon la Commission, seuls les actes juridiques dont les effets vont au-delà des rapports entre les institutions de l’Union peuvent faire l’objet d’une ICE, car la participation démocratique que celle-ci vise à favoriser a pour but que les citoyens soient associés aux décisions sur des affaires qui concernent, au moins potentiellement, leur propre sphère juridique. Le Conseil et la Commission jouiraient d’une légitimité démocratique indirecte suffisante pour adopter les actes dont les effets juridiques se limiteraient aux institutions.

21      En outre, selon la Commission, la proposition d’ICE contourne la règle selon laquelle elle ne saurait être invitée par une ICE à ne pas proposer un acte juridique déterminé ou à proposer une décision de ne pas adopter un acte juridique déterminé. En effet, le libellé de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 211/2011, en ce qu’il fait référence à l’« action qu’elle compte entreprendre », supposerait que seules les ICE qui tendent à l’adoption d’un acte juridique ayant un contenu précis ou à l’annulation d’un acte juridique existant seraient autorisées. Si la Commission annonçait, dans sa communication au titre de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 211/2011, qu’elle n’entendait pas proposer d’acte juridique correspondant, il en résulterait une limitation politique inacceptable de son droit d’initiative. À cela s’ajouterait que la fonction dévolue à l’ICE, consistant à amener la Commission à aborder publiquement le thème faisant l’objet de l’ICE et à susciter ainsi un débat politique, ne pourrait être pleinement remplie que par une proposition d’ICE tendant à l’adoption d’un acte juridique ayant un contenu précis ou à l’abrogation d’un acte juridique existant. Une ICE qui demanderait la non-adoption d’une décision du Conseil ne serait plus en mesure de remplir la fonction consistant à lancer un tel débat politique pour la première fois et représenterait une immixtion inadmissible dans le déroulement d’une procédure législative en cours.

22      Enfin, une décision du Conseil de non-acceptation du TTIP ou du CETA, telle que suggérée par la proposition d’ICE, n’aurait pas de portée autonome par rapport à la simple non‑adoption d’une décision du Conseil approuvant la conclusion de l’accord, de sorte qu’une telle décision serait juridiquement superflue. Une ICE ayant un tel objet serait fonctionnellement équivalente à une ICE demandant l’abstention de soumettre une proposition d’acte juridique et serait, à ce titre, irrecevable.

23      Le Tribunal rappelle que l’article 11, paragraphe 4, TUE énonce que des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatif d’États membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission européenne, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités.

24      Ainsi que le relève le considérant 1 du règlement n° 211/2011, par lequel le Parlement européen et le Conseil ont arrêté, en application de l’article 24, premier alinéa, TFUE, les dispositions relatives aux procédures et aux conditions requises pour la présentation d’une ICE au sens de l’article 11 TUE, le traité UE renforce la citoyenneté de l’Union et améliore encore le fonctionnement démocratique de l’Union en prévoyant notamment que tout citoyen a le droit de participer à la vie démocratique de l’Union par l’intermédiaire d’une ICE (arrêts du 30 septembre 2015, Anagnostakis/Commission, T‑450/12, sous pourvoi, EU:T:2015:739, point 26, et du 19 avril 2016, Costantini e.a/Commission, T‑44/14, EU:T:2016:223, points 53 et 73). Selon le même considérant, ledit mécanisme permet aux citoyens, à l’instar du Parlement au titre de l’article 225 TFUE et du Conseil en vertu de l’article 241 TFUE, de s’adresser directement à la Commission afin qu’elle soumette une proposition d’acte juridique de l’Union en vue de l’application des traités.

25      À cette fin, l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 211/2011 définit l’ICE comme une initiative présentée à la Commission en application de ce règlement, invitant la Commission à soumettre, dans le cadre de ses attributions, une « proposition appropriée sur des questions pour lesquelles des citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités » et ayant recueilli le soutien d’au moins un million de signataires admissibles provenant d’au moins un quart de l’ensemble des États membres.

26      Conformément à l’article 4, paragraphe 2, sous b), et paragraphe 3, du règlement n° 211/2011, la Commission refuse d’enregistrer la proposition d’ICE si elle est manifestement en dehors du cadre de ses attributions en vertu desquelles elle peut présenter une « proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités ».

27      L’article 10, paragraphe 1, sous c), du même règlement dispose que, lorsque la Commission reçoit une ICE conformément à l’article 9 de ce règlement, elle présente, dans un délai de trois mois, ses conclusions juridiques et politiques sur l’ICE, l’« action qu’elle compte entreprendre, le cas échéant, ainsi que les raisons qu’elle a d’entreprendre ou de ne pas entreprendre cette action ».

28      S’agissant de la portée de la proposition d’ICE, les requérants ont précisé, en réponse à une question posée à l’audience, que celle‑ci n’avait pas pour objet d’inviter la Commission à ne pas soumettre au Conseil une proposition d’acte en vue d’autoriser la signature du TTIP et du CETA et de conclure lesdits accords, mais qu’elle visait à inviter la Commission à soumettre au Conseil, d’une part, une proposition d’acte du Conseil de retirer le mandat de négociation en vue de la conclusion du TTIP, d’autre part, une proposition d’acte du Conseil de ne pas autoriser la Commission à signer le TTIP et le CETA et de ne pas conclure ces derniers.

29      Par ailleurs, le présent recours ne porte pas sur la compétence de l’Union pour négocier les accords TTIP et CETA, mais les requérants contestent les motifs invoqués dans la décision attaquée pour refuser d’enregistrer la proposition d’ICE en ce que celle‑ci tend à mettre un terme au mandat de négociation en vue de la conclusion du TTIP et à empêcher la signature et la conclusion du CETA et du TTIP.

30      À cet égard, il ressort de la décision attaquée que, selon la Commission, la circonstance qu’une décision du Conseil l’autorisant à ouvrir des négociations sur la conclusion d’un accord international présente un caractère préparatoire et déploie des effets juridiques uniquement entre les institutions empêche ladite décision d’être qualifiée d’acte juridique au sens de la réglementation en cause et s’oppose à l’enregistrement de la proposition d’ICE en ce qu’elle tend au retrait d’une telle décision. Il en serait de même de la proposition d’ICE en ce qu’elle inviterait la Commission à soumettre au Conseil une proposition de décision de ne pas autoriser la signature des accords en cause ou de ne pas conclure ceux‑ci, car une telle décision ne déploierait pas d’effets juridiques autonomes alors que, selon l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 211/2011, l’ICE vise à l’adoption d’actes juridiques nécessaires « aux fins de l’application des traités », ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

31      Ainsi qu’il a été relevé précédemment, la Commission refuse d’enregistrer les propositions d’ICE qui sont manifestement en dehors du cadre des attributions en vertu desquelles elle peut présenter une « proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités ».

32      Il est constant que la Commission peut, de sa propre initiative, présenter au Conseil une proposition d’acte de lui retirer le mandat par lequel elle a été autorisée à ouvrir des négociations en vue de la conclusion d’un accord international. La Commission ne saurait pas non plus être empêchée de présenter au Conseil une proposition de décision de ne pas autoriser, en fin de compte, la signature d’un accord négocié ou de ne pas conclure ce dernier.

33      La Commission fait néanmoins valoir qu’une proposition d’ICE ne peut pas porter sur de tels actes et elle invoque, d’une part, le caractère préparatoire et l’absence d’effets juridiques externes aux institutions de l’acte d’ouverture des négociations en vue de la conclusion d’un accord international et, d’autre part, la circonstance que les actes juridiques dont l’adoption est proposée ne sont pas nécessaires « aux fins de l’application des traités ».

34      Il convient de constater d’emblée que les parties sont d’accord pour considérer qu’une décision du Conseil autorisant la Commission, conformément aux articles 207 et 218 TFUE, à ouvrir des négociations sur la conclusion d’un accord international constitue un acte préparatoire au regard de la décision ultérieure de signature et de conclusion d’un tel accord et qu’elle déploie des effets juridiques entre l’Union et ses États membres ainsi qu’entre les institutions de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 4 septembre 2014, Commission/Conseil, C‑114/12, EU:C:2014:2151, point 40, et du 16 juillet 2015, Comission/Conseil, C‑425/13, EU:C:2015:483, point 28).

35      Or, ainsi que les requérants l’ont fait valoir à juste titre, la notion d’acte juridique, au sens de l’article 11, paragraphe 4, TUE, de l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 211/2011 et de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du même règlement ne saurait, en l’absence de toute indication contraire, être comprise, ainsi que l’entend la Commission, comme se limitant aux seuls actes juridiques de l’Union définitifs et produisant des effets juridiques à l’égard des tiers.

36      Ni le libellé des dispositions en cause ni les objectifs poursuivis par celles-ci ne justifient en particulier qu’une décision autorisant l’ouverture de négociations en vue de la conclusion d’un accord international, comme en l’occurrence le TTIP et le CETA, prise en application de l’article 207, paragraphes 3 et 4, TFUE et de l’article 218 TFUE et qui constitue manifestement une décision au sens de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 4 septembre 2014, Commission/Conseil, C‑114/12, EU:C:2014:2151, point 40, et du 16 juillet 2015, Commission/Conseil, C‑425/13, EU:C:2015:483, point 28), soit exclue de la notion d’acte juridique aux fins d’une ICE.

37      Au contraire, le principe de démocratie, qui, comme il est relevé notamment dans le préambule du traité UE, à l’article 2 TUE ainsi que dans le préambule de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, figure parmi les valeurs fondamentales sur lesquelles l’Union repose, de même que l’objectif spécifiquement poursuivi par le mécanisme de l’ICE, consistant à améliorer le fonctionnement démocratique de l’Union en conférant à tout citoyen un droit général de participer à la vie démocratique (voir point Error! Reference source not found. ci‑dessus), commandent de retenir une interprétation de la notion d’acte juridique qui inclut des actes juridiques tels qu’une décision d’ouverture de négociations en vue de la conclusion d’un accord international, qui vise incontestablement à modifier l’ordre juridique de l’Union.

38      En effet, la thèse défendue par la Commission, selon laquelle le Conseil et celle-ci jouiraient d’une légitimité démocratique indirecte suffisante pour adopter les actes juridiques qui ne déploient pas d’effets juridiques à l’égard des tiers, aurait pour conséquence de limiter considérablement le recours au mécanisme de l’ICE comme instrument de participation des citoyens de l’Union à l’activité normative de celle-ci par le biais de la conclusion d’accords internationaux. Pour autant que la motivation énoncée dans la décision attaquée puisse ainsi, le cas échéant, être comprise comme empêchant en définitive les citoyens de l’Union de proposer toute ouverture de négociations sur un nouveau traité à négocier par le biais d’une ICE, ladite argumentation irait manifestement à l’encontre des objectifs poursuivis par les traités ainsi que par le règlement n° 211/2011 et ne saurait, dès lors, être admise.

39      Par voie de conséquence, la thèse défendue par la Commission dans la décision attaquée, selon laquelle la décision de retrait de l’autorisation d’ouvrir des négociations en vue de la conclusion du TTIP serait exclue de la notion d’acte juridique aux fins d’une proposition d’ICE au motif que ladite autorisation ne relèverait pas, elle‑même, de cette notion en raison de son caractère préparatoire et de l’absence d’effets à l’égard des tiers, doit être rejetée également. Il en est d’autant plus ainsi que, comme les requérants l’ont relevé à juste titre, une décision de retrait de l’autorisation d’ouvrir des négociations en vue de la conclusion d’un accord international, en ce qu’elle met un terme à ces dernières, ne saurait être qualifiée d’acte préparatoire, mais présente, quant à elle, un caractère définitif.

40      Par ailleurs, pour s’opposer à l’enregistrement de la proposition d’ICE, la Commission fait encore valoir que les actes du Conseil dont l’adoption est envisagée par ladite proposition, en particulier les décisions du Conseil de ne pas signer ou de ne pas conclure le TTIP et le CETA, équivalent à des actes « destructeurs » qui n’interviennent pas aux fins de l’« application des traités », et, partant, ne sauraient faire l’objet d’une ICE.

41      À cela il convient de répondre que la réglementation relative à l’ICE ne comporte aucune indication, selon laquelle la participation citoyenne ne pourrait pas être envisagée pour empêcher l’adoption d’un acte juridique. Certes, si, conformément à l’article 11, paragraphe 4, TUE et à l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 211/2011, l’acte juridique envisagé doit contribuer à l’application des traités, tel est bien le cas des actes ayant pour objet d’empêcher la conclusion du TTIP et du CETA, lesquels visent à modifier l’ordre juridique de l’Union.

42      Ainsi que les requérants l’ont relevé à juste titre, l’objectif de participation à la vie démocratique de l’Union poursuivi par le mécanisme de l’ICE inclut manifestement la faculté de demander la modification des actes juridiques en vigueur ou leur retrait, en tout ou en partie.

43      Dès lors, rien ne justifie non plus d’exclure du débat démocratique les actes juridiques visant au retrait d’une décision autorisant l’ouverture de négociations en vue de la conclusion d’un accord international, de même que les actes ayant pour objet d’empêcher la signature et la conclusion d’un tel accord, lesquels, contrairement à la thèse défendue par la Commission, produisent incontestablement des effets juridiques autonomes en empêchant, le cas échéant, une modification annoncée du droit de l’Union.

44      La thèse défendue par la Commission, telle qu’elle paraît ressortir de la décision attaquée, impliquerait en définitive qu’une ICE ne pourrait se rapporter qu’à la décision du Conseil de conclure ou d’autoriser la signature d’accords internationaux dont les institutions de l’Union auraient pris l’initiative et que celles-ci auraient préalablement négociés, tout en empêchant les citoyens de l’Union de recourir au mécanisme de l’ICE pour proposer des modifications ou l’abandon de tels accords. Certes, devant le Tribunal, la Commission a soutenu qu’une ICE pouvait, le cas échéant, comporter aussi une proposition d’ouverture de négociations en vue de la conclusion d’un accord international. Or, rien ne justifie, dans cette dernière hypothèse, d’obliger les auteurs d’une proposition d’ICE à attendre la conclusion d’un accord pour pouvoir en contester ensuite seulement l’opportunité.

45      L’argument de la Commission, selon lequel les actes que la proposition d’ICE l’invite à soumettre au Conseil aboutiraient à une immixtion inadmissible dans le déroulement d’une procédure législative en cours, ne saurait non plus prospérer. En effet, le but poursuivi par l’ICE est de permettre aux citoyens de l’Union de participer davantage à la vie démocratique de l’Union, notamment, en exposant dans le détail à la Commission les questions soulevées par l’ICE, en invitant cette institution à soumettre une proposition d’acte juridique de l’Union après avoir, le cas échéant, présenté l’ICE lors d’une audition publique organisée au Parlement, conformément à l’article 11 du règlement n° 211/2011, partant, en suscitant un débat démocratique sans avoir à attendre l’adoption de l’acte juridique dont la modification ou l’abandon est en définitive souhaité.

46      Admettre pareille possibilité ne porte dès lors pas non plus atteinte au principe de l’équilibre institutionnel, caractéristique de la structure institutionnelle de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2015, Conseil/Commission, C‑409/13, EU :C:2015:217, point 64), dans la mesure où il revient à la Commission de décider si elle donne ou non une suite favorable à l’ICE en présentant, conformément à l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 211/2011, au moyen d’une communication, ses conclusions juridiques et politiques sur l’ICE, l’action qu’elle compte entreprendre, le cas échéant, ainsi que les raisons qu’elle a d’entreprendre ou de ne pas entreprendre cette action.

47      Par conséquent, loin de représenter une immixtion dans le déroulement d’une procédure législative en cours, la proposition d’ICE constitue une expression de la participation effective des citoyens de l’Union à la vie démocratique de celle-ci, sans remettre en cause l’équilibre institutionnel voulu par les traités.

48      Enfin, aucun motif ne s’oppose à ce que l’action que la Commission « compte entreprendre, le cas échéant », au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 211/2011, puisse consister à proposer au Conseil d’adopter les actes envisagés par la proposition d’ICE. Contrairement aux allégations de la Commission, rien n’empêcherait, le cas échéant, les institutions de l’Union de négocier et de conclure de nouveaux projets d’accords transatlantiques de libre-échange à la suite de l’adoption par le Conseil des actes qui font l’objet de la proposition d’ICE.

49      Eu égard à toutes les considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la Commission a violé l’article 11, paragraphe 4, TUE ainsi que l’article 4, paragraphe 2, sous b), en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 211/2011, en refusant d’enregistrer la proposition d’ICE.

50      Par conséquent, il convient d’accueillir le premier moyen et, partant, le recours dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le second moyen.

 Sur les dépens

51      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens de la présente instance ainsi qu’à ceux afférents à la procédure en référé, conformément aux conclusions des requérants.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C(2014) 6501 final de la Commission, du 10 septembre 2014, rejetant la demande d’enregistrement de la proposition d’initiative citoyenne européenne intitulée « Stop TTIP » est annulée.

2)      La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par M. Michael Efler et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe, y compris les dépens afférents à la procédure en référé.

Kanninen

Buttigieg

Calvo-Sotelo Ibáñez-Martín

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 mai 2017.

Signatures


1      Langue de procédure : l’allemand.


2      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.