CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 29 janvier 2009 (1)

Affaire C‑523/07

A

[demande de décision préjudicielle formée par le Korkein hallinto-oikeus (Finlande)]

«Coopération judiciaire en matière civile – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale – Règlement (CE) nº 2201/2003 – Notion de ‘matières civiles’ – Compétence pour l’adoption de décisions en matière de responsabilité parentale – Résidence habituelle d’un enfant – Mesures provisoires»





I –    Introduction

1.        Avant même que ne fût rendu l’arrêt dans l’affaire C (C‑435/06)(2), le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande), a une nouvelle fois saisi la Cour de questions relatives à l’interprétation du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (3).

2.        La première question posée par la juridiction de renvoi est celle à laquelle l’arrêt C répond par l’affirmative de savoir si le règlement n° 2201/2003 est applicable à des mesures de prise en charge immédiate et de placement d’enfants relevant, en droit national, du droit public. En revanche, les autres questions portant sur l’interprétation des dispositions relatives à la détermination des juridictions compétentes aux fins de l’adoption de telles mesures sont inédites. Il sera plus particulièrement nécessaire de préciser la notion de «résidence habituelle» d’un enfant, qui constitue le principal critère de détermination de la compétence internationale. D’autres questions concernent la possibilité d’adoption de mesures conservatoires par une juridiction qui n’est pas compétente pour connaître du fond.

II – Cadre juridique

 Droit communautaire

3.        Le douzième considérant du règlement n° 2201/2003 énonce les considérations qui sous-tendent les règles pertinentes de répartition des compétences dans les termes suivants:

«Les règles de compétence établies par le présent règlement en matière de responsabilité parentale sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et en particulier du critère de proximité. Ce sont donc en premier lieu les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle qui devraient être compétentes, sauf dans certains cas de changement de résidence de l’enfant ou suite à un accord conclu entre les titulaires de la responsabilité parentale.»

4.        Les dispositions suivantes du règlement n° 2201/2003 revêtent une importance particulière aux fins de la présente affaire:

«Article premier

Champ d’application

Le présent règlement s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives:

[…]

b)       l’attribution, à l’exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale.

[…]»

«Article 8

Compétence générale

1. Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie.

2. Le paragraphe 1 s’applique sous réserve des dispositions des articles 9, 10 et 12.»

«Article 13

Compétence fondée sur la présence de l’enfant

1. Lorsque la résidence habituelle de l’enfant ne peut être établie et que la compétence ne peut être déterminée sur base de l’article 12, les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant est présent sont compétentes.

2. Le paragraphe 1 s’applique également aux enfants réfugiés ainsi qu’aux enfants qui, par suite de troubles prévalant dans leur pays, sont internationalement déplacés.»

«Article 17

Vérification de la compétence

La juridiction d’un État membre saisie d’une affaire pour laquelle sa compétence n’est pas fondée aux termes du présent règlement et pour laquelle une juridiction d’un autre État membre est compétente en vertu du présent règlement se déclare d’office incompétente.»

«Article 20

Mesures provisoires et conservatoires

1. En cas d’urgence, les dispositions du présent règlement n’empêchent pas les juridictions d’un État membre de prendre des mesures provisoires ou conservatoires relatives aux personnes ou aux biens présents dans cet État, prévues par la loi de cet État membre même si, en vertu du présent règlement, une juridiction d’un autre État membre est compétente pour connaître du fond.

2. Les mesures prises en exécution du paragraphe 1 cessent d’avoir effet lorsque la juridiction de l’État membre compétente en vertu du présent règlement pour connaître du fond a pris les mesures qu’elle estime appropriées.»

III – Cadre factuel et questions préjudicielles

5.        Selon la description figurant dans l’ordonnance de renvoi, les circonstances de fait à l’origine de l’affaire au principal sont les suivantes.

6.        A est la mère de C, D et E. Celle-ci et les enfants habitaient initialement avec F, le beau-père des enfants, en Finlande. Du fait de la violence du beau-père, les enfants avaient déjà fait l’objet d’une mesure de prise en charge par leur commune de résidence. La prise en charge avait ultérieurement été suspendue. En 2001, la famille a déménagé en Suède. Durant l’été 2005, la famille s’est rendue en Finlande, au départ dans l’intention d’y passer des vacances. En Finlande, elle a habité dans des caravanes de différents campings et chez des membres de la famille. Les enfants n’ont pas été scolarisés. Le 30 octobre 2005, la famille a déposé une demande de logement auprès des services sociaux de la commune finlandaise d’Y.

7.        Par décisions du 16 novembre 2005 de la perusturvalautakunta (commission de garantie des droits sociaux fondamentaux), C, D, et E ont été pris en charge de manière urgente et ont été placés dans une famille d’accueil en vertu de l’article 18 de la loi finlandaise sur la protection des enfants (lastensuojelulaki, ci-après la «loi sur la protection des enfants»), au motif qu’ils auraient été abandonnés. Cette prise en charge avait également pour but d’éclaircir la situation des enfants.

8.        A et F ont demandé l’annulation des décisions relatives à la prise en charge urgente. Par décision du 15 décembre 2005, la perusturvalautakunta a rejeté la demande de réformation, a pris en charge les enfants sur le fondement de l’article 16 de la loi sur la protection des enfants et a ordonné leur placement en foyer d’accueil. A et F ont saisi le hallinto-oikeus (tribunal administratif) d’un recours contre cette décision, qui a été rejeté.

9.        Saisi d’un recours contre cette décision, le Korkein hallinto-oikeus a déféré à la Cour, par ordonnance du 22 novembre 2007, les questions préjudicielles suivantes:

«1) a)  Le règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (règlement Bruxelles II a) est-il applicable à l’exécution, dans tous ses éléments, d’une décision comme celle prise en l’espèce, qui ordonne la prise en charge immédiate et le placement d’un enfant en dehors de son foyer d’origine dans une famille d’accueil, lorsque cette décision prend la forme d’une décision unique adoptée dans le cadre des règles de droit public relatives à la protection de l'enfance?

         b)     À défaut, le règlement n’est-il applicable, eu égard à son article premier, paragraphe 2, point d), qu’à la partie de la décision relative au placement en dehors du foyer d’origine dans une famille d’accueil?

2)      De quelle manière convient-il d’interpréter, en droit communautaire, la notion de ‘résidence habituelle’ visée à l’article 8, paragraphe 1, du règlement ainsi que l’article 13, paragraphe 1, qui y est lié, en particulier au regard d’une situation dans laquelle l’enfant a une résidence permanente dans un État membre mais séjourne dans un autre État membre où il mène une vie sans habitation fixe?

3) a) Si l’on considère que la résidence habituelle de l’enfant ne se trouve pas dans cet autre État membre, à quelles conditions une mesure conservatoire urgente (une mesure de prise en charge) peut-elle néanmoins être adoptée sur le fondement de l’article 20, paragraphe 1, du règlement, dans ledit État membre?

         b)     La mesure conservatoire visée à l’article 20, paragraphe 1, du règlement est-elle uniquement une mesure pouvant être mise en œuvre conformément au droit national et les dispositions du droit national relatives à ladite mesure sont-elles contraignantes lors de l’application de l’article concerné?

         c)      À la suite de la mise en œuvre de la mesure conservatoire, l’affaire doit-elle être déférée d’office à la juridiction de l’État membre compétent?

4)      Si la juridiction de l’État membre n’a aucune compétence, doit-elle conclure à l’irrecevabilité de l’affaire ou la déférer à la juridiction d’un autre État membre?»

10.      Au cours de la procédure devant la Cour, les gouvernements finlandais, allemand, grec et italien, le gouvernement du Royaume-Uni, ainsi que la Commission des Communautés européennes ont déposé des observations.

IV – Appréciation juridique

A –    Sur la première question préjudicielle

11.      La première question est en substance identique à la première question dans l’affaire C (C‑435/06). La Cour a répondu à cette question dans les termes suivants, dans son arrêt (4), rendu cinq jours après l’adoption de la décision de renvoi:

«L’article 1er, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000, tel que modifié par le règlement (CE) n° 2116/2004 du Conseil, du 2 décembre 2004, doit être interprété en ce sens que relève de la notion de ‘matières civiles’, au sens de cette disposition, une décision unique qui ordonne la prise en charge immédiate et le placement d’un enfant en dehors de son foyer d’origine, dans une famille d’accueil, lorsque cette décision a été adoptée dans le cadre des règles de droit public relatives à la protection de l’enfance.»

12.      Il y a lieu de répondre dans le même sens à la première question dans la présente affaire.

B –    Sur la deuxième question

13.      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi sollicite l’interprétation de la notion de «résidence habituelle» d’un enfant à laquelle l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003 lie la compétence des juridictions (5) de l’État membre en question aux fins de l’adoption de décisions en matière de responsabilité parentale. Cette interprétation a, en même temps, une incidence sur la compétence des juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant est présent, sans y résider habituellement. En effet, selon l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003, la simple présence ne fonde une compétence que lorsque aucune autre résidence habituelle de l’enfant ne peut être établie.

14.      Le règlement n° 2201/2003 ne comporte aucune définition de la notion de «résidence habituelle». L’utilisation de l’adjectif «habituelle» permet simplement de conclure que la résidence doit présenter un certain caractère de stabilité ou de régularité.

15.      Contrairement à ce que soutient le gouvernement du Royaume-Uni, il ne résulte pas de l’absence de définition que cette notion ne pourrait faire l’objet d’aucune interprétation juridique, et que sa signification ne pourrait pas aller au-delà du sens normal de ces mots. Il convient plutôt de préciser la signification de cette notion en tenant compte de sa finalité ainsi que de l’économie du règlement n° 2201/2003. Le gouvernement du Royaume-Uni souligne toutefois à juste titre que l’interprétation doit laisser au juge national une marge d’appréciation suffisante pour lui permettre de tenir compte de l’ensemble des circonstances de fait pertinentes dans l’affaire en question.

1.      Principes sous-tendant les règles de répartition des compétences du règlement n° 2201/2003 aux fins de l’adoption de décisions en matière de responsabilité parentale

16.      Les enfants ont besoin de la protection particulière et de l’assistance de leurs parents ou, lorsque ces derniers manquent à leurs obligations, de celles de l’État ou des tiers à qui leur garde a été confiée. Lorsque des décisions de justice s’avèrent nécessaires en matière d’autorité parentale, il importe d’éviter autant que possible de lourdes procédures judiciaires afin de limiter au maximum toute entrave au développement de l’enfant.

17.      Dans les affaires présentant des liens de rattachement avec plusieurs États, le règlement n° 2201/2003 garantit une détermination claire et exhaustive de la compétence internationale des juridictions, première condition nécessaire à l’adoption rapide de décisions judiciaires dans l’intérêt de l’enfant. En conséquence, il convient de donner une interprétation autonome aux notions utilisées à cet égard par le règlement n° 2201/2003, sans se référer au droit national, afin d’assurer l’uniformité de l’interprétation et de l’application des règles de répartition des compétences et d’éviter tout conflit de compétence (6).

18.      Comme le souligne en particulier son douzième considérant, le règlement n° 2201/2003 attribue la compétence en premier lieu aux juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle. En effet, du fait de leur proximité géographique, ces juridictions sont généralement les mieux placées pour apprécier les mesures à adopter dans l’intérêt de l’enfant.

19.      Il y a lieu d’interpréter la notion de «résidence habituelle» à la lumière de cet objectif qui joue un rôle prépondérant non seulement en vue de fonder la compétence générale selon l’article 8 du règlement n° 2201/2003, mais également à l’égard d’autres chefs de compétence qui en dépendent directement ou indirectement (articles 9, 10 et 13).

20.      Il convient de distinguer la simple présence d’une résidence habituelle. La présence d’un enfant dans un État membre est certes également à l’origine d’une proximité géographique avec les juridictions de cet État. Ce lien n’a toutefois pas la même qualité que celui tenant à la résidence habituelle. C’est pourquoi l’article 13 du règlement n° 2201/2003 ne confère aux juridictions de l’État dans lequel l’enfant est présent qu’une compétence subsidiaire qui cède devant la constatation d’une résidence habituelle dans un autre État.

21.      Afin de distinguer les compétences respectives résultant des articles 8 et 13 du règlement n° 2201/2003, il convient donc de dégager des critères conférant à la résidence d’un enfant la qualité de résidence «habituelle» et la distinguant ainsi d’une simple présence, moins stable.

2.      Relations du règlement n° 2201/2003 avec les conventions internationales

22.      Lors de l’adoption du règlement n° 2201/2003, il existait déjà un certain nombre de conventions internationales qui s’appliquaient à un grand nombre, voire à tous les États membres, et qui comportaient des dispositions relatives à la compétence juridictionnelle en matière de décisions relatives à l’autorité parentale. Le règlement n° 2201/2003 s’est pour partie substitué à ces dispositions dans les rapports entre les États membres; il s’est pour partie également inséré aux côtés des règles à caractère multilatéral.

23.      Les conventions internationales en question constituent en tout état de cause un élément important de la genèse du règlement n° 2201/2003. De surcroît, il convient de délimiter avec cohérence les champs d’application respectifs des différents instruments. Cela suppose une interprétation uniforme de la notion de «résidence habituelle» à laquelle se réfèrent tant les conventions internationales que le règlement n° 2201/2003.

24.      Sur le fond, le règlement n° 2201/2003 s’inspire dans ce domaine principalement de la convention concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, conclue à La Haye le 19 octobre 1996 (7) (ci-après la «convention de La Haye de 1996») (8). L’article 5, paragraphe 1, de la convention de La Haye de 1996 donne, tout comme l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003, compétence avant tout aux juridictions de l’État dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle.

25.      Selon l’article 61, sous a), du règlement n° 2201/2003, ce dernier prévaut sur la convention de La Haye de 1996, lorsque l’enfant concerné a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre. Dans le même sens, l’article 52, paragraphes 2 et 4, de la convention de La Haye de 1996 permet aux États membres d’appliquer aux enfants habituellement résidents dans la Communauté les dispositions de droit communautaire relatives à la répartition des compétences.

26.      Ainsi que le relèvent à juste titre les gouvernements finlandais, allemand et grec, ainsi que le gouvernement du Royaume-Uni, il est nécessaire de donner une interprétation uniforme à la notion de «résidence habituelle», afin de distinguer de manière cohérente les champs d’application respectifs de la convention de La Haye de 1996 et du règlement n° 2201/2003, et d’éviter tout conflit de compétence entre les juridictions des États membres et celles d’autres États signataires de la convention de La Haye de 1996 (9).

27.      Il convient d’évoquer encore trois autres conventions internationales pertinentes dont les rapports avec le règlement n° 2201/2003 sont régis par son article 60:

–        la convention concernant la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs, conclue à La Haye le 5 octobre 1961 (10) (ci-après la «convention de La Haye de 1961») [article 60, sous a)],

–        la convention européenne sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants, conclue à Luxembourg le 20 mai 1980 (11) (ci-après la «convention européenne de 1980») [article 60, sous b)],

–        la convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, conclue à La Haye le 25 octobre 1980 (12) (ci-après la «convention de La Haye de 1980») [article 60, sous e)].

28.      Selon l’article 60 du règlement n° 2201/2003, ce dernier prévaut sur ces conventions, dans les rapports entre les États membres, dans la mesure où les conventions portent sur des matières réglées par ledit règlement.

29.      La convention de La Haye de 1996 trouve son origine dans la convention de La Haye de 1961 (13). La convention de La Haye de 1961 déterminait déjà la compétence notamment en fonction de la résidence habituelle. La convention européenne de 1980 utilise le critère de la résidence habituelle en matière de retour d’enfants enlevés, tout comme la convention de La Haye de 1980.

30.      L’article 11 du règlement n° 2201/2003 s’inspire tout particulièrement de la convention de La Haye de 1980 et a repris son orientation, ainsi que l’a récemment souligné la Cour dans l’arrêt rendu dans l’affaire Rinau (14). Les deux actes ont pour objectif d’assurer sans délai le retour des enfants enlevés dans l’État dans lequel ils résidaient habituellement avant leur déplacement ou non-retour illicites. Cette congruence impose également une interprétation uniforme de la notion de «résidence habituelle».

31.      Les conventions internationales pertinentes renoncent délibérément à définir la résidence habituelle et laissent aux juridictions le soin de préciser les contours de cette notion dans le cadre de l’appréciation des faits dans chaque cas d’espèce (15). Ainsi que le soulignent les gouvernements intervenus, les conventions en question partent de l’idée qu’il convient de s’attacher au centre effectif de la vie du mineur en question. Celui-ci doit être déterminé en fonction de toutes les circonstances pertinentes et distingué du concept juridique de «domicile» (16).

3.      Incidence de la jurisprudence de la Cour relative à la résidence habituelle en matière de statut des fonctionnaires et de droit social

32.      La Commission insiste sur d’autres aspects dans sa proposition d’interprétation. S’agissant de la définition de la résidence habituelle, elle se réfère aux réflexions menées lors des négociations relatives à la convention, établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale (17).

33.      Dans le rapport explicatif relatif à la convention (rapport de Mme Borrás), il est indiqué que l’introduction d’une définition de la résidence habituelle a finalement été rejetée. Cependant, il aurait été tenu particulièrement compte du fait que la Cour a, dans des domaines différents, défini la résidence habituelle comme «le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts, étant entendu qu’à fin de détermination de cette résidence, il importe de tenir compte de tous les éléments de fait constitutifs de celle-ci et notamment, de la résidence effective de l’intéressé» (18).

34.      Lors de l’audience, les agents des gouvernements finlandais et allemand, ainsi que l’agent du gouvernement du Royaume-Uni ont émis, non sans raison, des objections à l’encontre de l’utilisation de cette définition en vue de préciser la notion de «résidence habituelle» d’un enfant au sens du règlement n° 2201/2003.

35.      La jurisprudence citée concerne une question particulière du statut des fonctionnaires, à savoir les conditions d’octroi d’indemnités de dépaysement. Un agent des Communautés européennes n’a droit à cette indemnité que s’il transfère sa résidence habituelle à son lieu d’affectation à l’occasion de son entrée en fonction, mais non s’il y résidait déjà antérieurement.

36.      Outre le fait que le domaine en question, à savoir celui du statut des fonctionnaires, ne présente aucun point commun avec le droit de la famille en cause dans la présente affaire, c’est également pour des raisons de fond qu’il n’apparaît pas possible d’appliquer mutatis mutandis la définition. Celle-ci place exagérément l’accent sur l’intention de l’intéressé. Cela est peut-être possible pour des adultes. Ainsi, le rapport explicatif de Mme Borrás évoque-t-il la jurisprudence citée au sujet de la compétence en matière de divorce. Or, en tout état de cause, ce n’est pas la volonté propre de jeunes enfants qui apparaît déterminante, mais plutôt celle des parents à qui il revient, au titre de leur autorité, de déterminer le lieu de résidence de l’enfant. C’est justement dans le cadre de litiges relatifs au droit de garde que les avis des personnes disposant du droit de garde quant au lieu de résidence de l’enfant sont susceptibles de diverger. C’est pourquoi l’intention du père et/ou de la mère de s’établir en un lieu déterminé ne peut constituer qu’un indice du lieu de la résidence habituelle, mais en aucun cas un élément à lui seul déterminant.

37.      C’est également à juste titre que le gouvernement du Royaume-Uni se prononce contre une application mutatis mutandis de la définition de la notion de «résidence» élaborée par la Cour aux fins de l’interprétation de dispositions de droit social (19) au règlement n° 2201/2003, étant donné que les textes en question poursuivraient des objectifs profondément différents. Les dispositions relatives à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté ont pour objet de déterminer les compétences respectives de l’État de résidence et de l’État d’emploi aux fins de l’octroi de prestations déterminées. À cet égard, et contrairement à ce qui prévaut en ce qui concerne la compétence en matière de garde d’enfants, ce n’est pas l’intérêt de la personne concernée qui est placé au premier plan, mais la répartition des charges entre les États membres.

4.      Conséquences sur l’interprétation de la notion de «résidence habituelle» au sens du règlement n° 2201/2003

38.      Compte tenu de la lettre et des objectifs du règlement n° 2201/2003, ainsi que des conventions internationales pertinentes, il convient par conséquent d’interpréter la notion de «résidence habituelle» à l’article 8, paragraphe 1, dudit règlement comme désignant le centre effectif de la vie de l’enfant en question.

39.      Aux fins de la détermination du centre effectif de la vie de l’enfant, la juridiction de renvoi doit tenir compte de l’ensemble des éléments existant au moment de la saisine. Reste à savoir ce qu’il y a lieu de considérer comme une saisine dans un cas, tel le cas présent, dans lequel une administration semble avoir agi d’office (20). La mesure déterminante pourrait notamment être la prise en charge ordonnée le 16 novembre 2005, puisque les autorités en question ont, par cette mesure, agi pour la première fois de manière à produire des effets juridiques (21).

40.      Sur le fond, ce sont principalement la durée et la régularité de la résidence, ainsi que l’intégration familiale et sociale de l’enfant qui sont susceptibles de permettre de déterminer le lieu de résidence habituelle.

–        Durée et régularité de la résidence

41.      Pour distinguer la résidence habituelle d’une simple présence temporaire, la résidence doit en principe être d’une certaine durée. Le règlement n° 2201/2003 ne prévoit pas, à cet égard, de durée minimale. Le point de savoir à partir de quand la résidence présente un caractère de stabilité suffisant dépend au contraire des circonstances du cas d’espèce. L’âge de l’enfant et son environnement familial et social sont susceptibles de présenter une importance particulière.

42.      Il n’est pas nécessaire que la résidence soit ininterrompue. Ainsi, une absence momentanée de l’enfant, par exemple durant les congés scolaires, ne remet pas en cause la pérennité de la résidence habituelle. En revanche, il n’apparaît plus possible de retenir une résidence habituelle lorsqu’un retour au lieu initial de résidence apparaît incertain, eu égard aux circonstances de fait.

43.      En cas de déménagement légal, il peut y avoir transfert de la résidence habituelle dans l’État d’accueil, même à bref délai. C’est ce que suggère l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003. Selon cette disposition, les juridictions de l’État membre de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant gardent leur compétence, par dérogation à l’article 8, durant une période de trois mois suivant le déménagement, pour modifier une décision concernant le droit de visite rendue dans cet État membre avant que l’enfant ait déménagé, lorsque le titulaire du droit de visite continue à résider habituellement dans l’État membre de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant. Cette disposition repose sur l’idée qu’il peut y avoir résidence habituelle au lieu du nouveau domicile avant même l’écoulement du délai de trois mois, de sorte qu’il est nécessaire de prévoir une compétence dérogeant aux règles de l’article 8 en faveur des juridictions de l’État membre de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant.

44.      L’article 9, paragraphe 1, ne porte toutefois que sur un cas très particulier. Dans toute autre situation impliquant un changement de lieu, il convient de tenir compte de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce. L’intention commune des parents de s’établir avec l’enfant dans un autre État peut notamment constituer un indice du transfert de la résidence habituelle. L’intention des parents peut se traduire, par exemple, par certaines mesures tangibles, telle l’acquisition ou la location d’un appartement dans l’État d’accueil, la déclaration auprès des autorités, la conclusion d’un contrat de travail et l’inscription de l’enfant dans une crèche ou un établissement scolaire. De manière symétrique, le fait de quitter un ancien appartement et un travail, ainsi qu’une radiation auprès des autorités compétentes sont susceptibles d’indiquer la fin de la résidence habituelle dans l’État de départ.

45.      Il est également concevable que, dans des cas exceptionnels, il n’y ait plus, durant une période transitoire, de résidence habituelle dans l’État de départ, sans que le statut dans l’État d’accueil soit suffisamment consolidé pour permettre d’y admettre l’existence d’une résidence habituelle. C’est précisément pour un tel cas que l’article 13 du règlement n° 2201/2003 reconnaît une compétence subsidiaire aux juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant est présent.

46.      Dans l’hypothèse d’un enlèvement d’enfant, l’article 10 prévoit que les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son enlèvement illicite conservent sous certaines conditions leur compétence. L’enlèvement n’exclut toutefois pas un transfert de la résidence habituelle de l’enfant dans l’État dans lequel il a été emmené. Un changement de compétence juridictionnelle peut, dans un tel cas, avoir lieu immédiatement avec l’accord des personnes ayant le droit de garde et des autorités compétentes [article 10, sous a)]. En toute autre hypothèse, le transfert de compétence ne peut avoir lieu qu’après que l’enfant a résidé dans l’autre État membre pendant une période d’au moins un an [article 10, sous b)]. La période d’un an en question n’est, dans ce contexte, pas non plus déterminante à elle seule: le transfert de la compétence dépend au contraire de la présence des circonstances énumérées à l’article 10, sous b), i) à iv).

–        Situation sociale et familiale de l’enfant

47.      La stabilité qui permet de distinguer la résidence habituelle de la simple présence est également fonction de l’environnement familial et social de l’enfant. Il appartient à la juridiction de renvoi de s’en faire une idée complète en tenant compte de tous les éléments dont l’importance peut varier en fonction de l’âge des enfants.

48.      L’environnement familial est essentiellement déterminé par les personnes de référence avec lesquelles l’enfant vit au lieu de résidence ou entretient des relations régulières, c’est-à-dire les parents, les frères et sœurs, les grands-parents ou d’autres parents proches. L’intégration sociale est, quant à elle, tributaire de la scolarité, des amis, des activités de loisir et surtout de la maîtrise linguistique.

49.      Sans vouloir anticiper l’examen de l’ensemble des circonstances, qui appartient à la juridiction de renvoi, un certain nombre d’éléments militent en l’espèce contre la localisation de la résidence habituelle des enfants C, D et E en Finlande dès le mois de novembre 2005. En effet, seules des vacances avaient initialement été envisagées, ce qui pourrait militer en faveur du maintien de la résidence habituelle en Suède. En outre, le passage répété de campings en campings n’a probablement pas permis aux enfants d’établir des relations sociales durables avec d’autres personnes que leur mère et leur beau-père. À cela s’ajoute le fait qu’ils n’ont pas été scolarisés.

50.      D’un autre côté, il y a lieu de supposer que les enfants maîtrisaient au moins une des langues officielles de la Finlande. En outre, les parents semblent avoir abandonné, en novembre, leur intention initiale de ne passer que des vacances en Finlande. Cela est confirmé par le fait que la famille avait l’intention d’emménager dans un logement social, à tout le moins en octobre 2005.

51.      Si les juridictions finlandaises parvenaient néanmoins à la conclusion que C, D, et E ne disposaient pas d’une résidence habituelle en Finlande au moment considéré, de sorte que leur compétence ne pourrait pas être fondée sur l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003, la compétence des juridictions finlandaises pourrait néanmoins résulter de l’article 13. Cela suppose qu’aucune autre résidence habituelle ne puisse être établie, compte tenu des critères évoqués, notamment en Suède.

52.      Il convient donc de répondre comme suit à la deuxième question: la résidence habituelle d’un enfant selon l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003 est constituée à l’endroit où est situé le centre des intérêts de l’enfant, compte tenu de l’ensemble des circonstances de fait pertinentes, notamment de la durée et de la régularité du séjour, ainsi que de son intégration familiale et sociale. Ce n’est que lorsque aucune résidence habituelle au sens précité ne peut être établie et qu’il n’existe aucune compétence au titre de l’article 12 (22) que les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant est présent sont compétentes en vertu de l’article 13, paragraphe 1.

C –    Sur la troisième question

53.      La troisième question, divisée en trois branches, porte sur l’interprétation de l’article 20 du règlement n° 2201/2003. Cette disposition prévoit que, en cas d’urgence, les juridictions d’un État membre sont autorisées à prendre les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi de cet État, même si le règlement ne leur confère pas de compétence pour connaître du fond.

54.      L’interprétation de cette disposition n’est donc déterminante de l’issue de la présente affaire que dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi parviendrait à la conclusion, eu égard aux réponses à la deuxième question, que la compétence des juridictions finlandaises ne résulte pas d’emblée des articles 8 ou 13 du règlement n° 2201/2003.

1.      Sur la branche a) de la troisième question

55.      Dans cette branche, la juridiction de renvoi s’interroge sur les conditions auxquelles l’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003 subordonne l’adoption d’une mesure conservatoire urgente en matière de responsabilité parentale, telle la prise en charge immédiate d’un enfant.

56.      Dans le cadre de l’interprétation de l’article 20, paragraphe 1, il convient certes de garder à l’esprit que cette disposition confère une compétence à des juridictions qui ne sont pas compétentes pour connaître du fond en vertu des dispositions du règlement n° 2201/2003 et qui devraient donc se déclarer incompétentes en vertu de l’article 17 dudit règlement. L’article 20, paragraphe 1, est donc, en principe, d’interprétation stricte. Il n’en demeure pas moins que les juridictions doivent pouvoir ordonner, en cas d’urgence, toutes les mesures que requiert l’intérêt de l’enfant.

57.      Il ressort cependant des termes de la disposition, premièrement, que les mesures ne peuvent porter que sur des enfants qui sont présents dans l’État de la juridiction saisie. La juridiction de l’État où se trouve l’enfant est en effet en mesure d’apprécier, du fait de sa proximité géographique, quelles mesures d’urgence il conviendrait, le cas échéant, d’adopter. En outre, elle est à même de veiller à la mise en œuvre des mesures. Les conditions posées à cet égard par l’article 20, paragraphe 1, sont ici réunies. Il n’y a pas lieu, en l’espèce, de se prononcer sur la question débattue en doctrine du point de savoir si l’article 20 constitue le fondement même de la compétence aux fins de l’adoption de mesures conservatoires ou si cet article se borne à renvoyer aux règles de compétence du droit national de la juridiction saisie (23). En effet, il semble que les juridictions finlandaises étaient compétentes, sur le fondement du droit national également, en vue d’ordonner la prise en charge immédiate en vertu de l’article 18 de la loi sur la protection des enfants.

58.      Deuxièmement, il doit y avoir urgence. L’urgence doit toujours être retenue lorsque l’adoption immédiate d’une mesure est nécessaire, du point de vue de la juridiction saisie dans l’État où l’enfant est présent, en vue de préserver l’intérêt de l’enfant.

59.      À cet égard, le critère de l’urgence à l’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003 ne saurait être appliqué sans tenir compte du paragraphe 2 de ce même article. Selon l’article 20, paragraphe 2, les mesures provisoires cessent d’avoir effet lorsque la juridiction compétente pour connaître du fond a pris les mesures qu’elle estime appropriées. Ainsi que le souligne le gouvernement du Royaume-Uni, l’article 20, paragraphe 2, garantit une continuité de compétence juridictionnelle dans le cadre de laquelle la juridiction compétente pour connaître du fond peut à tout moment se saisir de l’affaire. Ainsi que l’observe à juste titre le gouvernement allemand, les règles de répartition des compétences du règlement ne risquent donc pas d’être vidées de leur substance par une interprétation excessivement large de la notion d’urgence au sens de l’article 20, paragraphe 1.

60.      Troisièmement, l’article 20, paragraphe 1, autorise uniquement l’adoption de mesures provisoires. C’est exclusivement à la juridiction compétente pour connaître du fond qu’il appartient de statuer à titre définitif. L’article 20 ne prévoit toutefois pas de limitation dans le temps en ce qui concerne la durée d’application des mesures provisoires. Si la juridiction qui a adopté la mesure conservatoire n’a pas limité son application dans le temps ou ne l’a pas rapportée, celle-ci demeure en vigueur, conformément à l’article 20, paragraphe 2, jusqu’à ce que la juridiction compétente pour connaître du fond ait agi.

61.      La Commission se réfère toutefois, dans le cadre de la branche c) de la question, à la jurisprudence relative à l’article 24 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32, ci-après la «convention de Bruxelles»), qui correspond à l’article 31 du règlement (CE) n° 44/2001 (24). Selon cette jurisprudence, les «mesures provisoires» au sens de ces dispositions sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond (25). Le juge devrait pouvoir subordonner son autorisation à toutes les conditions qui garantissent le caractère provisoire ou conservatoire de la mesure qu’il ordonne (26).

62.      Faute de saisine des juridictions suédoises éventuellement compétentes pour connaître du fond, les mesures de prise en charge et de placement ordonnées le 15 décembre 2005 par la perusturvalautakunta risqueraient de se poursuivre dans le temps, jusqu’à la majorité des enfants, en contradiction avec la jurisprudence citée. Puisque le règlement n° 2201/2003 ne prévoirait pas de mécanisme de renvoi à la juridiction compétente [voir à ce sujet la branche c) de la question], la protection pourrait s’avérer lacunaire après expiration des mesures provisoires, ce qui irait à l’encontre des objectifs du règlement.

63.      Il convient d’observer à cet égard, d’une part, qu’une application par analogie, dans le présent contexte, de la jurisprudence relative aux mesures provisoires dans la convention de Bruxelles se heurterait à des objections. Des mesures provisoires en matière civile ou commerciale, au sens de cette convention ou du règlement n° 44/2001, servent à préserver les droits du requérant et portent provisoirement atteinte, à cette fin, aux droits du défendeur. C’est pourquoi il importe que de telles mesures provisoires ordonnées par un juge qui n’est pas compétent pour connaître du fond soient limitées au strict nécessaire.

64.      S’agissant au contraire de mesures au sens de l’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003, c’est l’intérêt de l’enfant qui passe au premier plan, dès lors que ce dernier n’est pas en mesure d’assurer lui-même la défense de ses intérêts. Des mesures conservatoires portent certes atteinte aux prérogatives des parents de l’enfant. Il leur est cependant loisible de saisir la juridiction compétente et d’obtenir ainsi, le cas échéant, que cessent les effets des mesures provisoires au sens de l’article 20, paragraphe 2. Cela marque une différence importante par rapport à l’article 24 de la convention de Bruxelles et à l’article 31 du règlement n° 44/2001, qui ne comportent pas de disposition analogue.

65.      D’autre part, c’est à bon droit que la Commission fait valoir que la résidence habituelle des enfants peut avoir été transférée en Finlande durant leur prise en charge et leur placement ordonnés par les autorités finlandaises. Il s’ensuivrait que les juridictions finlandaises seraient compétentes, en vertu de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003, pour connaître du fond dans le cadre d’une nouvelle procédure introduite par la suite. En tout état de cause, dès lors que la famille avait quitté la Suède depuis un certain temps, qu’elle n’envisageait plus de ne passer que des vacances en Finlande et que les circonstances objectives de fait rendaient un retour en Suède improbable, le maintien d’une résidence habituelle en Suède apparaît peu plausible. Dès lors, les juridictions finlandaises pourraient être compétentes sur le fondement de l’article 13 dans le cadre d’une nouvelle procédure, si une résidence habituelle n’existait pas encore en Finlande. Il n’y a donc pas lieu de craindre de «lacune en matière de compétence».

2.      Sur la branche b) de la troisième question

66.      Dans la branche b) de la troisième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si les mesures conservatoires visées à l’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003 sont uniquement celles pouvant être ordonnées en vertu des dispositions de droit national et si ces dispositions relatives aux mesures en questions sont contraignantes aux fins de l’application de l’article 20, paragraphe 1.

67.      Selon son libellé, la disposition en question permet l’adoption des mesures provisoires prévues par la législation nationale. Outre les conditions qui viennent d’être exposées ci-dessus dans le cadre de la réponse à la branche a) de la question, l’article 20 du règlement n° 2201/2003 ne pose aucune exigence supplémentaire quant au contenu des dispositions de droit national applicables (27).

68.      À cet égard, il importe de relever que la notion de mesure provisoire constitue une notion autonome de droit communautaire. Ainsi que le gouvernement finlandais et la Commission le relèvent à juste titre, l’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003 ne s’oppose pas à l’adoption de mesures que les dispositions de droit national ne qualifient pas expressément de mesures provisoires. Ainsi que cela résulte de la réponse à la branche a) de la question, cet article permet l’adoption de toutes les mesures qui sont nécessaires à la préservation de l’intérêt de l’enfant jusqu’à l’intervention de la juridiction compétente pour connaître du fond et qui n’ont pas un caractère définitif.

69.      Au reste, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer quelles sont les mesures susceptibles d’être adoptées en droit national et si les dispositions de droit national sont contraignantes.

3.      Sur la branche c) de la troisième question

70.      La juridiction de renvoi soulève encore la question de savoir si l’affaire doit être déférée d’office à la juridiction de l’État membre compétent à la suite de la mise en œuvre de la mesure conservatoire.

71.      Seul le gouvernement grec s’est prononcé en faveur de l’admission d’une telle obligation, alors que les autres intéressés l’ont écartée en l’absence de toute disposition en ce sens.

72.      Seul l’article 15 du règlement n° 2201/2003 prévoit effectivement un renvoi à une juridiction mieux placée pour connaître de l’affaire. Cette disposition n’ouvre cependant cette possibilité qu’aux seules juridictions compétentes pour connaître du fond. S’agissant d’une juridiction qui, sur le fondement de l’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003, aurait adopté une mesure provisoire prévue par la législation nationale, aucune disposition ne prévoit le renvoi à une juridiction compétente pour connaître du fond.

73.      Pour les raisons évoquées dans la réponse à la branche b) de la question, une obligation de renvoi n’apparaît pas non plus nécessaire pour assurer, dans l’intérêt de l’enfant, une continuité des compétences aux fins de l’adoption de mesures en matière de responsabilité parentale.

74.      Pour autant, le règlement n° 2201/2003 n’interdit nullement au juge qui a adopté la mesure provisoire d’informer de ces mesures une juridiction compétente, selon lui, pour connaître du fond. À cet effet, il lui est loisible de s’adresser à l’autorité centrale qui pourra alors prendre contact, conformément à l’article 55, sous a), du règlement n° 2201/2003, avec l’autorité centrale de l’autre État membre.

D –    Sur la quatrième question

75.      La juridiction de renvoi cherche enfin à savoir si une juridiction qui n’est pas compétente selon le règlement n° 2201/2003 doit rejeter la demande comme irrecevable ou la déférer à une juridiction d’un autre État membre.

76.      Selon l’article 17 du règlement n° 2201/2003, la juridiction d’un État membre saisie d’une affaire pour laquelle sa compétence n’est pas fondée aux termes du règlement et pour laquelle une juridiction d’un autre État membre est compétente en vertu dudit règlement doit se déclarer d’office incompétente. Le règlement n° 2201/2003 ne prévoit pas dans ce cas de renvoi à une juridiction compétente d’un autre État membre.

77.      Le gouvernement grec souligne à bon droit que le règlement n° 2201/2003 a pour objectif d’assurer la continuité de la compétence juridictionnelle en ce qui concerne les mesures en matière de responsabilité parentale. Telle est en substance la finalité des articles 8 et 13 du règlement n° 2201/2003. Faute d’urgence, les mesures peuvent attendre que les juridictions compétentes en vertu de ces dispositions agissent d’office ou après avoir été saisies d’une requête en ce sens, après qu’une autre juridiction se fut déclarée incompétente.

78.      Les règles prévues par le règlement n° 2201/2003 ne sauraient toutefois garantir que la juridiction compétente soit informée de ce qui se passe dans un autre État membre. Puisque le législateur s’est abstenu de prévoir une obligation de renvoi, celle-ci ne saurait être tirée des seuls objectifs poursuivis par le règlement n° 2201/2003.

79.      En outre, une juridiction qui n’était pas encore compétente lors de l’introduction de la requête peut devenir compétente aux fins d’une nouvelle procédure lorsque la résidence habituelle a été transférée au cours de la première procédure dans l’État membre en question. Une obligation de renvoi à la juridiction compétente lors de l’introduction de la requête aux fins de la première procédure est donc susceptible d’être inappropriée.

80.      En tout état de cause, le règlement n° 2201/2003 n’interdit pas à la juridiction incompétente d’informer la juridiction d’un autre État membre qu’elle considère comme compétente de sa décision. À cet effet, il est également possible de passer par les autorités centrales visées à l’article 55 du règlement n° 2201/2003. Dans l’hypothèse d’une telle transmission d’information, que ne prévoit pas le règlement, à l’initiative de la juridiction incompétente, la juridiction d’un autre État membre destinataire de l’information ne saurait être liée par celle-ci, s’agissant de sa compétence. C’est au contraire à elle seule qu’il appartient de vérifier sa compétence.

V –    Conclusion

81.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’apporter les réponses suivantes aux questions préjudicielles du Korkein hallinto-oikeus:

«1)      L’article 1er, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000, tel que modifié par le règlement (CE) n° 2116/2004 du Conseil, du 2 décembre 2004, doit être interprété en ce sens que relève de la notion de ‘matières civiles’, au sens de cette disposition, une décision unique qui ordonne la prise en charge immédiate et le placement d’un enfant en dehors de son foyer d’origine, dans un foyer d’accueil, lorsque cette décision a été adoptée dans le cadre des règles de droit public relatives à la protection de l’enfance.

2)      La résidence habituelle d’un enfant selon l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003 est constituée à l’endroit où est situé le centre des intérêts de l’enfant, compte tenu de l’ensemble des circonstances de fait pertinentes, notamment de la durée et de la régularité du séjour, ainsi que de son intégration familiale et sociale. Ce n’est que lorsque aucune résidence habituelle au sens précité ne peut être établie et qu’il n’existe aucune compétence au titre de l’article 12 que les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant est présent sont compétentes en vertu de l’article 13, paragraphe 1.

3)      a)     L’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003 permet aux juridictions d’un État membre, en cas d’urgence, d’adopter toutes les mesures provisoires destinées à protéger un enfant présent dans cet État, même lorsque les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond en vertu du règlement. Dans un tel cas, il y a urgence lorsque la prise immédiate d’une mesure est nécessaire, du point de vue de la juridiction saisie dans l’État où se trouve l’enfant, pour préserver l’intérêt de l’enfant.

b)      L’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003 permet d’ordonner les mesures conservatoires prévues par la loi de l’État membre de la juridiction saisie, sans qu’il soit nécessaire, à cet égard, que ces mesures fussent qualifiées, en droit national, de mesures provisoires. Pour le surplus, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer quelles sont les mesures susceptibles d’être adoptées en droit national et si les dispositions de droit national sont contraignantes.

c)      Le règlement n° 2201/2003 n’impose pas à la juridiction qui a adopté une mesure provisoire sur le fondement de l’article 20, paragraphe 1, de déférer l’affaire à la juridiction d’un autre État membre qu’elle considère compétente pour connaître du fond. Il ne s’oppose cependant pas à ce que la juridiction saisie informe la juridiction compétente des mesures prises soit directement, soit par l’intermédiaire des autorités centrales.

4)      Une juridiction qui, selon le règlement n° 2201/2003, n’est pas compétente pour connaître du fond et qui ne juge pas nécessaire d’adopter des mesures provisoires sur le fondement de l’article 20, paragraphe 1, du règlement doit se déclarer incompétente conformément à l’article 17 dudit règlement. Le règlement n° 2201/2003 ne prévoit pas de renvoi à une juridiction compétente. Le règlement n° 2201/2003 ne s’oppose cependant pas à ce que la juridiction saisie informe la juridiction compétente de sa décision, soit directement, soit par l’intermédiaire des autorités centrales.»


1 – Langue originale: l’allemand.


2 – Arrêt du 27 novembre 2007 (Rec. p. I-10141).


3 – JO L 338, p. 1, tel que modifié par le règlement (CE) n° 2116/2004 du Conseil, du 2 décembre 2004 (JO L 367, p. 1). Le règlement n° 2201/2003 est également connu sous le nom de «règlement Bruxelles II a».


4 – Précité note 2.


5 – Par «juridiction» au sens du règlement n° 2201/2003, on entend, conformément à son article 2, point 1, toutes les autorités compétentes des États membres dans les matières relevant du champ d’application de ce règlement en vertu de l’article 1er.


6 – Voir, en ce sens, arrêt C (précité note 2, points 46 et 47).


7 – La décision 2008/431/CE du Conseil, du 5 juin 2008 (JO L 151, p. 36), autorise les États membres qui n’ont pas encore adhéré à la convention de 1996 à la ratifier dans l’intérêt de la Communauté et à y adhérer. Le texte de la convention figure à l’annexe de ladite décision (JO L 151, p. 39).


8 – Proposition de la Commission de règlement du Conseil relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 et modifiant le règlement n° 44/2001 en ce qui concerne les questions alimentaires [COM (2002) 222 final]. Voir, également, mes conclusions présentées le 20 septembre 2007 dans l’affaire C, précitée note 2, point 49).


9 – Voir, s’agissant des dispositions relatives au champ d’application, mes conclusions dans l’affaire C (précitées note 8, point 50).


10 – Actes et documents de la neuvième session de la conférence de La Haye de droit international privé (1960), tome IV (la version française est accessible à l’adresse: http://www.hcch.net/index_fr.php?act=conventions.pdf&cid=39).


11 – La version française est accessible à l’adresse: http://www.conventions.coe.int/Treaty/fr/Treaties/Html/105.htm.


12 – Actes et documents de la quatorzième session de la conférence de La Haye de droit international privé (1980), tome II (La version française est accessible à l’adresse: http://www.hcch.net/index_fr.php?act=conventions.text&cid=24).


13 – Voir Lagarde, P., Rapport explicatif sur la convention de La Haye de 1996, Actes et documents de la dix-huitième session de la conférence de La Haye de droit international privé (1996), tome II, p. 534, point 3 (le rapport explicatif est accessible à l’adresse: http://hcch.e-vision.nl/upload/expl34.pdf).


14 – Arrêt du 11 juillet 2008, Rinau (C-195/08 PPU, non encore publié au Recueil, points 49 et 62).


15 – Voir proposition de la Commission (citée note 8, p. 9). P. Lagarde explique que l’introduction d’une définition de la résidence habituelle dans la convention de La Haye de 1996 a été rejetée afin de ne pas perturber l’interprétation des nombreuses autres conventions existantes utilisant la même notion (voir rapport explicatif, cité note 13, p. 552, point 40).


16 – Quant à la convention de La Haye de 1961, voir rapport explicatif de de Steiger, W., Actes et documents de la neuvième session de la conférence de La Haye de droit international privé (1960), tome IV, p. 225 et suiv. (le rapport explicatif est accessible à l’adresse: http://hcch.e-vision.nl/upload/expl10f.pdf).


Quant à la convention de La Haye de 1980: voir rapport explicatif de Pérez-Vera, E., Actes et documents de la quatorzième session de la conférence de La Haye de droit international privé (1980), tome III, p. 445, point 66 (le rapport explicatif est accessible à l’adresse: http://hcch.e-vision.nl/upload/expl28.pdf). La jurisprudence des juridictions des États signataires de la convention de La Haye de 1980 est répertoriée dans la banque de données INCADAT (http://www.incadat.com/index.cfm).


Quant à la convention européenne de 1980: voir rapport explicatif, point 15 (http://conventions.coe.int/Treaty/fr/Reports/Html/105.htm), qui se référe aux règles n° 7 à 11 de la résolution (72) 1 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe relative à l’unification des concepts juridiques de «domicile» et de «résidence» (la version française de cette résolution est disponible à l’adresse: https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?command=com.instranet.CmdBlobGet&InstranetImage=587908&SecMode=1&DocId=642776&Usage=2.)


17 – JO 1998, C 221, p. 2. La convention n’est certes pas entrée en vigueur, mais peut être considérée, sur le fond, comme le précurseur du règlement n° 2201/2003. Ses dispositions ont été reprises dans une large mesure par le règlement (CE) n° 1347/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des enfants communs (JO L 160, p. 19), auquel le règlement n° 2201/2003 s’est substitué.


18 – Borrás, A., Rapport explicatif relatif à la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale (JO 1998, C 221, p. 27, point 32). Le passage cité est tiré notamment de l’arrêt du 15 septembre 1994, Magdalena Fernández/Commission (C-452/93 P, Rec. p. I-4295, point 22), et a été repris par la suite de manière constante dans la jurisprudence du Tribunal (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Herrero Romeu/Commission, T-298/02, Rec. p. II-4599, point 51).


19 – Arrêts du 17 février 1977, Di Paolo (76/76, Rec. p. 315, points 17 à 22); du 8 juillet 1992, Knoch (C-102/91, Rec. p. I-4341, points 21 à 23); du 25 février 1999, Swaddling (C-90/97, Rec. p. I-1075, points 29 et 30), et du 11 novembre 2004, Adanez-Vega (C-372/02, Rec. p. I-10761, point 37).


20 – Sur la notion d’«actions intentées» au sens de l’article 64, paragraphe 2, du règlement n° 2201/2003, voir nos conclusions dans l’affaire C (précitée note 2, points 67 et 68).


21 – S’agissant des actions intentées au sens de l’article 64, paragraphe 2, du règlement n° 2201/2003, la Cour semble même retenir une date antérieure, à savoir celle des premières mesures internes d’instruction au sein de l’autorité en question (voir arrêt C, précité note 2, point 72).


22 – La primauté de l’article 12 sur l’article 13 soulève toutefois des problèmes (voir Rauscher, Th., dans Rauscher, Th., Europäisches Zivilprozessrecht, tome I, 2e édition, Munich, 2006, article 13, point 5).


23 – Sur cette controverse, voir Andrae, M., «Zur Abgrenzung des räumlichen Anwendungsbereichs von KSÜ und autonomen IZPR/IPR», Praxis des Internationalen Privat- und Verfahsnrechts – IPRax, 2006, p. 82 (p. 85 et suiv.).


24 – Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001 L 12, p. 1).


25 – Arrêts du 26 mars 1992, Reichert et Kockler (C-261/90, Rec. p. I-2149, point 34); du 17 novembre 1998, Van Uden (C-391/95, Rec. p. I-7091, point 37), et du 28 avril 2005, St. Paul Dairy (C-104/03, Rec. p. I-3481, point 13).


26 – Arrêts du 21 mai 1980, Denilauler (125/79, Rec. p. 1553, point 15); Van Uden (cité note 25, point 38), et St. Paul Dairy (précité note 25, point 14).


27 – Les règles de conflit sont au nombre des dispositions en question, ainsi que le souligne à juste titre le gouvernement allemand. Si ces règles déclarent applicables le droit d’un autre État, l’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003 ne s’opposerait pas à l’application des dispositions en question auxquelles renvoient les règles de conflit de l’État de la juridiction saisie.