PRISE DE POSITION DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentée le 26 octobre 2012 (1)

Affaire C‑370/12

Thomas Pringle

contre

Government of Ireland, Ireland and the Attorney General

(demande de décision préjudicielle de la Supreme Court, Irlande)

«Emploi de la procédure simplifiée prévue à l’article 48, paragraphe 6, TUE pour modifier la troisième partie du TFUE – Décision 2011/199/UE modifiant l’article 136 TFUE – Politique économique et monétaire – Traité instituant le mécanisme européen de stabilité»






1.        L’Europe est secouée par une crise de la dette, que l’Union et les États membres s’emploient à maîtriser au moyen de mesures parfois hétérodoxes. La Cour est invitée à se prononcer sur le point de savoir si le «mécanisme européen de stabilité», qui fait partie de ces mesures, est conforme aux critères du droit de l’Union.

I –    Le cadre juridique

A –    Droit de l’Union

2.        L’article premier de la décision 2011/199/UE du Conseil européen du 25 mars 2011 modifiant l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en ce qui concerne un mécanisme de stabilité pour les États membres dont la monnaie est l’euro (ci-après: décision 2011/199) est rédigé dans les termes suivants:

«À l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le paragraphe suivant est ajouté:

‘3. Les États membres dont la monnaie est l’euro peuvent instituer un mécanisme de stabilité qui sera activé si cela est indispensable pour préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble. L’octroi, au titre du mécanisme, de toute assistance financière nécessaire sera subordonnée à une stricte conditionnalité.’»

3.        L’entrée en vigueur de la décision 2011/199 est régie par son article 2, deuxième alinéa, aux termes duquel: «[l]a présente décision entre en vigueur le 1er janvier 2013 à condition que toutes les notifications visées au premier alinéa aient été reçues ou, à défaut, le premier jour du mois suivant la réception de la dernière des notifications visées au premier alinéa.»

4.        Il apparaît des visas de la décision 2011/199 que celle-ci est fondée sur «le traité sur l’Union européenne, et notamment son article 48, paragraphe 6».

B –    Traité instituant le mécanisme européen de stabilité

5.        Le 2 février 2012, les États membres dont la monnaie est l’euro (ci-après: les États membres de la zone euro) ont signé un «traité instituant le mécanisme européen de stabilité» (ci-après: le traité MES).

6.        Conformément à l’article 1er du traité qui l’institue, ce «mécanisme européen de stabilité» (ci-après: MES) est une «institution financière internationale» dont les membres sont les États membres de la zone euro et qui, conformément à l’article 3, première phrase, de ce traité MES, a pour but de mobiliser des ressources financières et de fournir, à des conditions strictes adaptées à l’instrument d’assistance financière choisi, un soutien à la stabilité à ses membres qui connaissent ou risquent de connaître de graves problèmes de financement, si cela est indispensable pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble et de ses membres.

7.        Conformément à l’article 12, paragraphe 1, deuxième phrase, du traité MES, les conditions d’octroi d’une assistance financière par le MES peuvent prendre la forme, notamment, d’un programme d’ajustement macroéconomique ou de l’obligation de continuer à respecter les conditions d’octroi préalables.

8.        Les «instruments d’assistance financière» que le MES peut adopter en faveur de ses membres sont énumérés aux articles 14 à 18 du traité MES:

–        Une «ligne de crédit assortie de conditions ou […] de conditions renforcées» (article 14);

–        des prêts accordés «dans le but spécifique de recapitaliser des institutions financières» du membre du MES concerné (article 15);

–        des prêts accordés en dehors de tout but spécifique (article 16);

–        des achats «sur le marché primaire» de titres émis par un membre du MES (article 17) et

–        «des opérations sur le marché secondaire relatives aux titres émis par un membre du MES» (article 18).

9.        Conformément à son article 48, paragraphe 1, le traité MES est entré en vigueur pour tous les États de la zone euro, à l’exception de la République d’Estonie, le 27 septembre 2012 après que la République fédérale d’Allemagne a eu déposé son instrument de ratification.

II – La procédure au principal et la procédure devant la Cour

10.      M. Pringle, député à la chambre basse du Parlement irlandais (ci-après: le requérant), avait assigné le gouvernement irlandais, notamment, devant la High Court de son pays afin que celle-ci constate que la modification de l’article 136 TFUE que la décision 2011/199 a pour objet de mettre en place est illicite et illégale. Il lui avait également demandé d’interdire au gouvernement de ratifier, d’autoriser ou d’accepter le traité MES. La High Court ne l’a pas suivi et a rejeté ses deux chefs de demande.

11.      Saisie d’un pourvoi contre l’arrêt de la High Court, la Supreme Court irlandaise a jugé ne pas pouvoir statuer sans avoir préalablement obtenu une réponse aux questions préjudicielles suivantes:

1)      La décision 2011/199/UE du Conseil européen du 25 mars 2011 est-elle valide:

–        si l’on considère le recours à la procédure de révision simplifiée prévue par l’article 48, paragraphe 6, TUE et, en particulier, le point de savoir si la modification proposée de l’article 136 TFUE implique un accroissement des compétences attribuées à l’Union dans les traités?

–        si l’on considère la teneur de l’amendement proposé et, en particulier, le point de savoir s’il comporte une violation des traités ou des principes généraux de droit de l’Union?

2)      Considérant

–        les articles 2 et 3 TUE et les dispositions de la troisième partie, titre VIII, du TFUE, dont en particulier les articles 119, 120, 121, 122, 123, 125, 126 et 127 TFUE;

–        la compétence exclusive de l’Union pour la politique monétaire, telle qu’elle découle de l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE, ainsi que pour la conclusion d’accords internationaux ressortissant au champ d’application de l’article 3, paragraphe 2, TFUE;

–        la compétence de l’Union pour coordonner les politiques économiques conformément à l’article 2, paragraphe 3, TFUE et à la troisième partie, titre VIII, du TFUE;

–        les pouvoirs et fonctions des institutions de l’Union dans le cadre des principes figurant à l’article 13 TUE;

–        le principe de coopération loyale établi à l’article 4, paragraphe 3, TUE;

–        les principes généraux du droit de l’Union, en particulier le principe général de protection juridictionnelle effective et le droit à un recours effectif au sens de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et le principe général de sécurité juridique,

un État membre de l’Union européenne dont la monnaie est l’euro a-t-il le droit de conclure et de ratifier un accord international comme le traité MES?

3)      Si la décision du Conseil européen est jugée valide, le droit d’un État membre de conclure et de ratifier un accord international comme le traité MES est-il subordonné à l’entrée en vigueur de cette décision?

12.      Par décision du 4 octobre 2012, le président de la Cour a accédé à la demande de la juridiction de renvoi et accepté de traiter la présente affaire suivant la procédure accélérée prévue à l’article 104 bis du règlement de procédure.

13.      Ont présenté des observations écrites à la Cour le requérant ainsi que les gouvernements belge, allemand, irlandais, grec, espagnol, français, italien, chypriote, néerlandais, autrichien et slovaque ainsi que le gouvernement du Royaume-Uni, le Conseil européen et la Commission. Outre le requérant, ont comparu à l’audience du 23 octobre 2012 les représentants du Parlement européen ainsi que les représentants de tous les gouvernements et institutions susnommés, à l’exception des gouvernements chypriote et autrichien.

III – Appréciation juridique

A –    Sur la première question: validité de la décision 2011/199

14.      La juridiction de renvoi a adressé sa première question à la Cour afin que celle-ci lui précise si les États membres pouvaient utiliser la procédure simplifiée prévue à l’article 48, paragraphe 6, TFUE pour adopter la décision 2011/199 et modifier l’article 136 TFUE dans le sens qu’il propose.

1.      Recevabilité de la question préjudicielle

15.      Plusieurs États membres contestent, en tout ou en partie, la recevabilité de la première question préjudicielle.

a)      Priorité du recours en annulation prévu à l’article 263 TFUE

16.      Le gouvernement irlandais estime que le requérant aurait dû contester la validité de la décision 2011/199 au moyen d’un recours en annulation fondé sur l’article 263 TFUE. Pareil recours doit cependant être introduit dans un certain délai, qui a déjà expiré en l’espèce. Il résulterait de la jurisprudence constante de la Cour que contester indirectement la validité d’un acte d’une institution devant une juridiction nationale qui saisira ensuite la Cour à titre préjudiciel est illicite lorsque le requérant cherche ainsi à se soustraire aux conditions auxquelles l’article 263 TFUE soumet la recevabilité d’un tel recours en annulation.

17.      Il est de jurisprudence constante qu’un particulier qui aurait pu attaquer un acte d’une institution sur le pied de l’article 263 TFUE, mais qui a laissé expirer le délai impératif dans lequel il pouvait introduire son recours ne peut pas remettre en cause la légalité de cet acte devant les juridictions nationales (2). Encore aurait-il fallu, selon une jurisprudence tout aussi constante, qu’il eût été manifestement recevable à engager un recours contre l’acte litigieux au titre de l’article 263 TFUE (3). Il saute aux yeux que le requérant ne remplit pas cette condition puisqu’il n’est manifestement pas directement et individuellement affecté par la décision 2011/199 comme l’exigerait l’article 263, paragraphe 4, TFUE pour qu’il fût recevable à engager un recours contre elle.

b)      Compétence de contrôle de la Cour

18.      Le Conseil européen et divers États membres tiennent en outre la deuxième partie de la première question préjudicielle pour irrecevable. Elle porte sur la compatibilité du contenu de la décision 2011/1999 avec le droit primaire.

19.      Ils estiment que la Cour n’est pas compétente à contrôler la compatibilité de la décision 2011/199 avec les traités et les principes généraux du droit de l’Union. S’agissant d’une décision modifiant le traité telle que celle dont il s’agit en l’espèce, elle serait compétente à vérifier le respect des règles de procédure auxquelles l’article 48, paragraphe 6, TUE subordonne une telle modification, mais elle ne pourrait pas vérifier si le contenu de la décision est compatible avec le droit primaire. En effet, la décision inscrit dans le traité une nouvelle disposition qui n’est pas susceptible d’un contrôle de validité par la Cour. Si la Cour pouvait contrôler la compatibilité matérielle d’une modification du traité avec le droit primaire, une telle compétence ferait obstacle à toute modification des traités.

20.      C’est à l’aune de l’article 267 TFUE qu’il convient d’apprécier la recevabilité de la deuxième partie de la première question préjudicielle. Comme quelques États membres l’ont souligné à bon escient, une comparaison de la lettre a) et de la lettre b) de cette disposition nous enseigne que, dans le cadre d’une procédure préjudicielle, la Cour ne peut pas statuer sur la validité des traités, mais uniquement sur la validité des actes des institutions.

21.      Il résulte de l’article 48, paragraphe 6, deuxième alinéa, première phrase, TUE que la décision 2011/199 en tant que telle ne fait pas partie des «traités» au sens de l’article 267, paragraphe 1, sous a), TFUE et qu’elle n’est qu’un acte adopté en vue d’une modification d’un traité. Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE, le Conseil européen, auteur de la décision, est une institution de l’Union. Par conséquent, la Cour a vocation à se prononcer sur la validité de cette décision, comme divers États membres et la Commission l’ont fait observer.

22.      Néanmoins, il faut alors se demander dans quelle mesure la Cour doit apprécier la validité d’une décision qui a pour objet de modifier un traité.

23.      On retiendra tout d’abord qu’aucun traité ne contient de disposition qui, pour une telle décision, limiterait la compétence de la Cour au contrôle du respect des dispositions gouvernant la procédure. Cette constatation est d’autant plus lourde de conséquences que, pour le cas particulier des actes adoptés en vertu de l’article 7 TUE, l’article 269 TFUE énonce formellement une telle restriction. Il en résulte que la Cour ne doit pas se limiter à contrôler la procédure d’adoption d’une décision fondée sur l’article 48, paragraphe 6, TUE, mais qu’elle peut également statuer sur son contenu.

24.      Cette conclusion nous oblige à déterminer ensuite les critères sur la base desquels apprécier la validité du contenu d’une décision modifiant un traité.

25.      L’article 48, paragraphe 6, troisième alinéa, TUE, aux termes duquel la décision ne peut pas accroître les compétences de l’Union, est un premier critère, que ne contestent ni le Conseil européen ni les États membres bien que cette disposition n’énonce aucune règle de procédure, mais limite le contenu des décisions modifiant les traités.

26.      Le deuxième critère à la lumière duquel il convient de contrôler la validité du contenu de la décision figure à l’article 48, paragraphe 6, deuxième alinéa, première phrase, TUE, dont il résulte que le Conseil européen ne peut modifier que les dispositions de la troisième partie du TFUE.

27.      Cette restriction a pour première conséquence que le contenu de la décision, qui modifie précisément une disposition de la troisième partie du TFUE, ne peut pas être apprécié sur la base de cette troisième partie parce qu’une telle décision entre quasi forcément en conflit avec elle. Un tel conflit serait particulièrement manifeste dans le cas d’une décision modifiant l’ensemble des dispositions de cette troisième partie du TFUE comme l’article 48, paragraphe 6, deuxième alinéa, première phrase, TUE permet expressément de le faire. Si ces dispositions de la troisième partie du TFUE devaient servir de base d’appréciation de la validité d’une décision modifiant le traité, une telle décision serait tout aussi forcément jugée invalide. Il serait alors impossible d’utiliser la procédure simplifiée mise en place par l’article 48, paragraphe 6, TUE. Dans ces conditions, une telle décision ne pourrait pas enfreindre des dispositions figurant dans la troisième partie du TFUE.

28.      Limiter toute modification du traité à sa seule troisième partie oblige toutefois à vérifier qu’une décision ne porte pas atteinte à des règles de droit primaire figurant en dehors de celle-ci, car, conformément à l’article 48, paragraphe 6, deuxième alinéa, première phrase, TUE, le Conseil européen ne peut pas modifier d’autres dispositions que celles de la troisième partie du TFUE. Cette vérification ne peut pas porter uniquement sur les aspects formels de la décision, mais doit s’intéresser également à ses aspects matériels, comme le gouvernement italien l’a d’ailleurs souligné. Une modification formelle de la troisième partie du TFUE ne peut pas entraîner une modification matérielle de dispositions du droit primaire qui ne peuvent pas être modifiées selon la procédure simplifiée.

29.      Il n’est donc pas seulement interdit au Conseil européen d’adopter une décision modifiant le texte des traités en dehors de la troisième partie du TFUE, mais également de modifier le texte de celle-ci d’une manière qui serait incompatible avec les dispositions de droit primaire qui n’en font pas partie.

30.      Admettre la validité d’une décision du Conseil européen qui modifierait la troisième partie du TFUE en y insérant une disposition qui, par exemple, suspendrait une règle de la deuxième partie ou subordonnerait son application à des conditions supplémentaires reviendrait à tenir en échec la règle de la procédure simplifiée qui limite toute modification à la troisième partie du TFUE, car il suffirait alors de procéder de cette manière pour modifier toutes les dispositions des traités pour autant que la nouvelle règle juridique figure, formellement, dans la troisième partie.

31.      Cette conclusion ne remet pas en cause le pouvoir qu’ont en principe les États membres de modifier toutes les dispositions du droit primaire. Mais si, pour le faire, ils choisissent la procédure simplifiée mise en place par l’article 48, paragraphe 6, TUE comme ils l’ont incontestablement fait en l’espèce (4), ils doivent également respecter les limites dans lesquelles celle-ci s’inscrit. Contrairement à ce que le gouvernement français a soutenu dans ses observations, l’étendue du pouvoir de contrôle de la Cour dépend donc de la procédure de modification qu’ils ont retenue.

32.      Il résulte du raisonnement qui précède que la validité d’une décision que le Conseil européen adopte sur la base de l’article 48, paragraphe 6, deuxième alinéa, première phrase, TUE doit s’apprécier également au regard des dispositions de droit primaire qui ne font pas partie de la troisième partie du TFUE. La Cour devra donc examiner si, lorsqu’une telle décision modifie une règle du traité, cette modification se limite à une disposition de la troisième partie du TFUE ou bien si, au contraire, elle modifie d’autres dispositions du droit primaire.

33.      Dans ces conditions, il ne nous paraît pas défendable de limiter un tel examen aux seuls principes fondamentaux du reste du droit primaire comme la Commission a préconisé de le faire. L’article 48, paragraphe 6, deuxième alinéa, première phrase, TUE ne contient aucun élément qui justifierait une telle distinction.

c)      Interprétation de la première question préjudicielle

34.      C’est donc le respect de toutes les conditions énoncées à l’article 48, paragraphe 6, TUE qui détermine le spectre de notre examen de la validité de la décision 2011/199. Cela nous obligera, comme nous l’avons vu, à la confronter aux exigences des dispositions de droit primaire qui ne font pas partie de la troisième partie du TFUE. La deuxième partie de la première question préjudicielle, qui semble se référer à l’ensemble du droit primaire, doit, en conséquence, être interprétée de manière restrictive.

35.      Par ailleurs, l’examen de validité de la décision 2011/199 doit se limiter aux motifs d’invalidité que la juridiction de renvoi a énumérés dans sa demande préjudicielle (5).

36.      Il apparaît de l’exposé des motifs de sa décision qu’en dépit des termes dans lesquels elle a formulé la deuxième partie de la première question, la juridiction de renvoi n’entend pas mettre en cause la conformité du contenu de la décision 2011/199 à l’ensemble des dispositions du droit primaire.

37.      Dans sa demande, le juge de renvoi reproduit les arguments du requérant et laisse entendre qu’aux yeux de celui-ci, la légalité de la décision 2011/199 serait compromise également si elle restreignait les compétences de l’Union, mais il n’a pas mentionné un tel motif d’invalidité et le requérant n’a pas davantage fourni d’explications à ce sujet.

2.      Accroissement des compétences de l’Union

38.      La juridiction de renvoi demande en premier lieu si la modification de l’article 136 TFUE prévue dans la décision 2011/199 entraîne un accroissement des compétences que les traités confèrent à l’Union, accroissement prohibé par l’article 48, paragraphe 6, troisième alinéa, TUE.

39.      Le requérant soutient que le paragraphe 3 ajouté à l’article 136 TFUE accroît subrepticement les compétences de l’Union et qu’il permet aux États membres de la zone euro d’approfondir leur collaboration en matière de politique économique et monétaire. Or, cette collaboration s’inscrirait dans le cadre d’une organisation supranationale dont les décisions lient ces États membres, ce qui aurait pour effet d’accroître les compétences de l’Union parce que, désormais, le droit de l’Union régirait un domaine jadis réservé aux États membres eux-mêmes.

40.      Nous ne saurions nous rallier à cette façon de voir les choses.

41.      Aux termes du nouveau paragraphe 3, première phrase, de l’article 136 TFUE, les États membres de la zone euro peuvent «instituer un mécanisme de stabilité», «mécanisme» qui, aux termes de la deuxième phrase du nouveau paragraphe, a pour vocation d’octroyer des aides financières.

42.      La modification proposée s’adresse donc uniquement aux États membres et n’énonce aucune règle concernant les compétences de l’Union. Elle n’impose en outre aux États membres aucune obligation d’agir.

43.      Le simple fait d’adopter une disposition de droit de l’Union n’emporte pas en soi un accroissement des compétences de celle-ci au sens de l’article 48, paragraphe 6, troisième alinéa, TUE, sauf à admettre que cet alinéa fait obstacle à tout ajout au traité suivant la procédure simplifiée mise en place par les deux alinéas qui le précèdent.

44.      Il est exact, enfin, qu’en fonction de leur objet, des obligations imposées aux États membres par le droit de l’Union peuvent comporter un accroissement matériel des compétences de celle-ci. Dans le cas présent, le fait que le nouvel article 136, paragraphe 3, deuxième phrase, TFUE prévoit que l’octroi de toute assistance financière sera soumis à des conditions strictes pourrait, à la rigueur, comporter une telle obligation. Il serait permis den déduire qu’à l’avenir, le droit de l’Union privera les États membres de toute liberté d’action dans le domaine des aides financières.

45.      Il apparaît cependant du contexte dans lequel la décision a été adoptée (6) et de sa genèse (7) que les conditions strictes évoquées plus haut doivent avoir un objet de politique économique. Or, l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, deuxième phrase, deuxième proposition, l’article 19, paragraphe 1, et les articles 120 et suiv. TFUE confient déjà à l’Union une compétence générale en matière de politique économique, compétence qui comprend celle de règlementer les aides financières.

46.      Faisant écho aux observations de la Commission, nous rétorquerons, en dernier lieu, aux arguments que le requérant a développés à ce sujet que les éventuels transferts de compétence aux institutions de l’Union par le traité MES sont dénués de pertinence pour l’appréciation de la légalité de l’article 136, paragraphe 3, TFUE que la décision 2011/199 a pour objet d’introduire, car le seul point qu’il y a lieu de vérifier, c’est celui de savoir si les règles de ce nouvel article 136, paragraphe 3, TFUE elles-mêmes vont à l’encontre de l’article 48, paragraphe 6, troisième alinéa, TUE. Or, ce n’est pas le traité MES qui détermine le contenu règlementaire de l’article 136, paragraphe 3, TFUE. Comme ce dernier ne transfère aucune compétence à des institutions de l’Union, il ne saurait comporter une violation de l’article 48, paragraphe 6, troisième alinéa, TUE.

47.      En conclusion, la décision 2011/199 n’accroît pas les compétences que les traités ont attribuées à l’Union et elle n’enfreint donc pas l’article 48, paragraphe 6, troisième alinéa, TUE.

3.      Violation de l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE

48.      La deuxième partie de la première question préjudicielle nous conduit à présent à examiner si ajouter un paragraphe 3 à l’article 136 TFUE comme la décision 2011/199 a pour objet de le faire modifierait davantage que la troisième partie du TFUE, qui est la seule que l’article 48, paragraphe 6, deuxième alinéa, première phrase, TUE autorise le Conseil européen à modifier. Ce nouveau paragraphe 3 irait au-delà de cette limite s’il modifiait matériellement des dispositions de droit primaire qui ne font pas partie de la troisième partie du TFUE.

49.      Selon la décision de renvoi, cette question ne soulève de doutes sérieux qu’à propos de l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE, qui consacre la compétence exclusive de l’Union en matière de politique monétaire des États membres de la zone euro.

50.      Selon le requérant, le nouveau paragraphe 3 introduit dans l’article 136 TFUE par la décision 2011/199 enfreint l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE parce qu’il permettrait aux États membres d’instituer un mécanisme destiné à préserver la stabilité de la zone euro et que les compétences qu’ils obtiendraient ainsi en matière de politique monétaire seraient incompatibles avec cette disposition.

51.      Indépendamment de la question de savoir si la décision 2011/199 confèrerait une quelconque compétence en matière de politique monétaire aux États membres (8), il faut rappeler les effets juridiques d’une compétence exclusive de l’Union. L’article 2, paragraphe 1, deuxième proposition, TFUE permet, en effet, aux États membres, de légiférer et d’adopter des actes juridiquement contraignants lorsqu’ils y sont habilités par l’Union. Une compétence exclusive de l’Union au sens de l’article 3 TFUE ne signifie donc pas que seule l’Union pourrait agir dans cette matière.

52.      À supposer que l’article 136, paragraphe 3, TFUE habilite les États membres à agir dans le domaine d’une compétence exclusive de l’Union, pareille habilitation ne modifierait pas matériellement les dispositions que l’article 2, paragraphe 1, et l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE énoncent en matière de compétence exclusive de l’Union. Ces dispositions demeureraient intégralement en vigueur comme elles l’ont été jusqu’à présent.

53.      La décision 2011/199 ne transgresse donc pas les restrictions que comporte la procédure simplifiée mise en place par l’article 48, paragraphe 6, TUE puisqu’elle n’entame pas la compétence exclusive de l’Union consacrée par l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE.

4.      Violation du principe de la sécurité juridique

54.      Rapportant des arguments du requérant, la juridiction de renvoi soulève encore, dans sa demande, la question de savoir si la nouvelle disposition qui s’ajouterait à l’article 136 TFUE enfreindrait le principe général de la sécurité juridique.

55.      Le requérant a fait valoir que la nouvelle disposition est formulée dans des termes tellement vagues qu’elle autoriserait une intervention des États membres qui irait au-delà de ce que permet une modification du traité selon la procédure simplifiée organisée par l’article 48, paragraphe 6, TUE. Le texte même des dispositions du traité adoptées suivant cette procédure devrait, toutefois, mentionner les restrictions imposées par l’article 48, paragraphe 6, TUE, car, après leur entrée en vigueur, plus rien ne permettrait de discerner en elles les limites de la procédure de modification simplifiée.

56.      Cet argument n’a, en réalité, rien à voir avec une violation du principe de la sécurité juridique ni, par exemple, avec l’obligation de précision dont il peut prendre la forme (9). Le propos du requérant n’est pas tant que le texte de la proposition de paragraphe 3 de l’article 136 TFUE est, en soi, tellement imprécis qu’il ne permettrait pas à son destinataire de connaître les obligations qu’il lui impose et que cette imprécision ferait obstacle à sa validité. L’objectif qu’il poursuit est bien plutôt d’obtenir que le texte même de cette disposition, dont il est prévu qu’elle soit adoptée suivant la procédure simplifiée, mentionne lui aussi les limites de cette procédure afin d’éviter qu’elle puisse être interprétée sans restriction aucune. Ce qui le préoccupe donc, ce sont les conditions de fond qui résultent de l’article 48, paragraphe 6, TFUE en ce qui concerne le contenu d’une disposition du traité modifiée.

57.      Le requérant a raison jusqu’à un certain point, car il serait effectivement inadmissible qu’une disposition ajoutée suivant la procédure de modification simplifiée mise en place par l’article 48, paragraphe 6, TUE soit appliquée d’une manière telle qu’elle entraînerait, par exemple, un accroissement des compétences de l’Union incompatible avec le troisième alinéa de cet article.

58.      C’est pourquoi une disposition du traité adoptée suivant la procédure simplifiée organisée par l’article 48, paragraphe 6, TUE doit impérativement être interprétée d’une manière qui respecte les limites imposées par cette procédure.

59.      Exiger, comme le fait le requérant, que ces restrictions soient explicitement mentionnées dans le texte de la disposition du traité modifiée part d’une prémisse erronée, qui veut qu’après son entrée en vigueur, une disposition ajoutée suivant la procédure de modification simplifiée sortisse ses effets normatifs indépendamment des limites fixées à l’article 48, paragraphe 6, TUE. C’est inexact. Les limites dans lesquelles l’article 48, paragraphe 6, TUE enferme toute modification du traité déterminent également les limites du contenu règlementaire de la disposition du traité modifié.

60.      Cette règle entraîne une certaine hiérarchisation du droit primaire de l’Union, dont elle accroît la complexité légistique, mais une telle hiérarchisation est la conséquence nécessaire des restrictions que comporte la procédure de modification simplifiée instituée par l’article 48, paragraphe 6, TUE.

61.      Un futur article 136, paragraphe 3, TFUE devrait donc impérativement être interprété d’une manière qui exclue tout accroissement des compétences de l’Union, d’une part, et qui garantisse le respect du droit primaire dont les règles sont énoncées en dehors de la troisième partie du TFUE, d’autre part. Par conséquent, la décision 2011/199, en dépit de sa formulation ouverte, n’enfreint ni l’article 48, paragraphe 6, TUE ni le principe de la sécurité juridique.

5.      Conclusion intermédiaire

62.      L’examen de la première question préjudicielle n’a donc révélé aucun élément susceptible d’affecter la validité de la décision 2011/199.

B –    Sur la deuxième question: droit de conclure et de ratifier le traité MES

63.      La juridiction de renvoi a formulé sa deuxième question afin que la Cour lui précise si les nombreuses dispositions de droit primaire qu’il énumère autorisent un État membre à conclure et à ratifier une convention internationale telle que le traité MES.

64.      Cette question préjudicielle porte sur l’interprétation du droit en vigueur, de sorte que, pour y répondre, il n’est pas possible de tenir compte de la décision 2011/199, qui prévoit l’ajout d’un troisième paragraphe à l’article 136 TFUE, puisque cette décision n’est pas encore entrée en vigueur. Bien que, dans cette décision, le Conseil européen déclare que cette modification du traité est indispensable à la mise ne place du MES (10), il n’est pas exclu que la conclusion et la ratification du traité MES soient compatibles avec les traités en vigueur également. C’est en ce sens qu’aussi bien le Conseil européen que les États membres expliquent aujourd’hui que la modification du traité prévue par la décision 2011/199 a pour seule fonction d’apporter des précisions.

1.      Recevabilité de la question préjudicielle

65.      Plusieurs parties à la procédure ont mis en cause la recevabilité de la deuxième question préjudicielle à divers égards.

a)      Examen de la compétence de la Cour

66.      Le gouvernement espagnol soutient que la Cour n’est pas compétente à répondre à la deuxième question parce que le traité MES est un accord international et ne fait pas partie du droit de l’Union. Or, conformément à sa jurisprudence, la Cour n’est compétente à interpréter de tels accords que lorsque l’Union y est partie (11).

67.      Il est exact que, conformément à l’article 267 TFUE, la compétence d’interprétation de la Cour se limite au droit de l’Union. La deuxième question préjudicielle porte cependant uniquement sur l’interprétation du droit de l’Union et non pas sur l’interprétation du traité MES. La juridiction de renvoi veut définir les obligations que les dispositions énumérées dans la deuxième question imposent aux États membres et déterminer si ces obligations s’opposent à ce qu’ils concluent et ratifient un accord international tel que le traité MES. L’objet de la présente procédure est, par conséquent, comparable à celui d’une demande de décision préjudicielle portant sur la compatibilité d’une réglementation de droit national avec le droit de l’Union. En pareille hypothèse, la Cour n’a pas davantage pour vocation d’interpréter le droit national (12). En pareil cas, la Cour doit interpréter le droit de l’Union spécifiquement au regard du contenu du droit national qui lui a été exposé par la juridiction de renvoi.

68.      La Cour est donc compétente à répondre à la deuxième question.

b)      Exposé suffisant dans la décision de renvoi

69.      Plusieurs États membres ont en outre contesté la recevabilité de la deuxième question au motif que la juridiction de renvoi n’aurait pas suffisamment expliqué en quoi les dispositions qu’elle énumère dans la deuxième question feraient obstacle à la conclusion et à la ratification du traité MES. Le gouvernement français a souligné en particulier que la possibilité pour les États membres de présenter des observations sur la demande préjudicielle devait être protégée.

70.      Il est de jurisprudence constante que la Cour peut rejeter une demande préjudicielle lorsqu’elle ne dispose pas des indications de fait et de droit qui lui sont indispensables pour fournir une réponse utile aux questions qui lui ont été soumises (13). Les indications figurant dans une décision de renvoi ne doivent pas seulement permettre à la Cour de fournir une réponse utile, mais doivent également donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour (14).

71.      Il résulte de la jurisprudence précitée que les objections que les États membres ont soulevées en matière de recevabilité de la deuxième question sont partiellement justifiées. Dans celle-ci, en effet, la juridiction de renvoi se réfère à une multitude de dispositions du traité et renvoie même à la totalité du titre VIII du troisième chapitre du TFUE. L’exposé des motifs de sa décision ne contient cependant pas d’explications à propos de chacune des dispositions qu’elle énumère. Pour certaines de celles-ci, et cela vaut, en particulier, pour les articles 119 et 120 TFUE comme l’a souligné le gouvernement slovaque, elle n’explique pas dans quelle mesure leur interprétation pose problème. La deuxième question préjudicielle doit donc être condensée quelque peu pour être conforme aux exigences que la jurisprudence énonce en ce qui concerne les indications nécessaires que doit contenir une demande préjudicielle.

72.      La juridiction de renvoi a formulé sa deuxième question en se fondant sur cinq moyens invoqués par le requérant, qu’elle a manifestement transposés dans les six tirets de sa question (15). C’est donc sur la base de ces moyens qu’il faut déterminer le contenu de la deuxième question préjudicielle, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’aborder l’ensemble des dispositions des traités que la juridiction de renvoi a énumérées dans sa deuxième question.

73.      Le requérant fait grief au traité MES d’enfreindre la répartition des compétences entre l’Union et les État membres (voir le chapitre 2) ainsi que ce qu’il est convenu d’appeler l’interdiction de Bail-out énoncée à l’article 125 TFUE (voir le chapitre 3). Il considère en outre que le traité MES transfère de nouvelles compétences aux institutions de l’Union en violation des traités (voir le chapitre 4). Le traité MES serait, de surcroît, incompatible avec le principe de la protection juridictionnelle effective énoncé à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux et avec le principe de la sécurité juridique (voir le chapitre 5). Enfin, en créant le MES en tant qu’organisation internationale autonome, les États membres signataires auraient contourné les règles du droit de l’Union au mépris de l’obligation de coopération loyale que leur fait l’article 4, paragraphe 3, TUE (voir le chapitre 6).

2.      La répartition des compétences entre l’Union et les États membres

74.      Le premier grief nous oblige à déterminer si les dispositions des traités concernant la répartition des compétences entre l’Union et les États membres font obstacle à ce que ceux-ci concluent et ratifient le traité MES. Selon le requérant, ils violeraient ainsi les compétences de l’Union en matière de politique monétaire (section a), en matière de coordination des politiques économiques (section b) et en matière de conclusion d’accords internationaux (section c).

a)      Politique monétaire

75.      Conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE, l’Union dispose d’une compétence exclusive dans le domaine de «la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro». L’article 2, paragraphe 1, TFUE quant à lui dispose que les États membres ne peuvent intervenir dans ce domaine «que s’ils sont habilités par l’Union ou pour mettre en œuvre les actes de l’Union».

76.      Le requérant soutient à ce sujet que le traité MES vise à protéger la monnaie unique et que l’activité du MES influencera manifestement la masse monétaire, ce qui se répercutera sur la stabilité des prix dans la zone euro. Cette activité aura donc des conséquences directes sur la politique monétaire, laquelle relève de la compétence exclusive de l’Union et de la Banque centrale européenne.

77.      Les États membres qui sont intervenus à la procédure estiment, au contraire, que le traité MES ne porte pas atteinte à la compétence exclusive de l’Union en matière de politique monétaire. Plusieurs d’entre eux ont ajouté dans le même sens que l’activité du MES relève de la politique économique et non pas de la politique monétaire.

78.      Le droit primaire ne contient aucune définition explicite de la notion de politique monétaire et la Cour n’a pas encore comblé cette lacune jusqu’à présent. Quoi qu’il en soit, le domaine de la politique monétaire est, pour les États membres de la zone euro, réglé au chapitre 2 du titre VIII du TFUE, intitulé «la politique monétaire». Il faut donc s’en remettre aux dispositions de ce chapitre pour définir l’étendue de la politique monétaire.

79.      Les articles 127 à 133 de ce chapitre consacré à la politique monétaire décrivent sommairement les missions, les compétences et l’organisation interne du système européen de banques centrales (ci-après: SEBC), lequel, conformément à l’article 282, paragraphe 1, deuxième phrase, TFUE, conduit seul la politique monétaire de l’Union. Selon l’article 127, paragraphe 2, TFUE, les «missions fondamentales» du SEBC consistent à définir et à mettre en œuvre la politique monétaire de l’Union, à conduire les opérations de change conformément à l’article 219 TFUE, à détenir et à gérer les réserves officielles de change des États membres et à promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement. Ces missions circonscrivent ainsi l’étendue de la politique monétaire au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE.

80.      La question qui se pose est celle de savoir si le traité MES empiète sur ces missions du SEBC.

81.      L’article 3, première phrase, du traité MES fait au MES l’obligation de fournir un «soutien à la stabilité» à ses membres qui connaissent ou risquent de connaître de graves problèmes de financement (16). Ce soutien doit être «indispensable pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble et de ses États membres». Comme le démontrent les «instruments d’assistance financière» décrits en détail aux articles 14 à 18 du traité MES, il s’agit, en substance, de mettre à la disposition des membres du MES des prêts destinés au financement de leur budget, prêts assortis de conditions et d’obligations.

82.      Pareil octroi de crédit ne relève en tant que tel d’aucune des missions du SEBC qui sont énumérées à l’article 127, paragraphe 2, TFUE. De surcroît, les articles 123 et 124 TFUE, qui sont directement consacrés aux conditions de financement des États membres, figurent dans le chapitre dédié à la politique économique et précisément pas dans le chapitre dédié à la politique monétaire.

83.      La conclusion demeure la même si l’on considère les conditions dont sont assortis les prêts. Conformément à l’article 12, paragraphe 1, deuxième phrase, du traité MES, ces conditions peuvent prendre la forme, notamment, d’un programme d’ajustement macroéconomique ou de l’obligation de continuer à respecter des conditions d’octroi préétablies. S’il est vrai que cette formulation ne permet pas de distinguer directement le contenu des conditions, programme d’ajustement macroéconomique mis à part, l’article 13, paragraphe 3, deuxième alinéa, du traité MES précise toutefois que les conditions convenues avec les membres du MES concernés doivent «être pleinement compatibles avec les mesures de coordination des politiques économiques prévues par le TFUE». Les conditions sont, par conséquent, des conditions de politique économique et non pas des conditions de politique monétaire.

84.      Le requérant prétend que l’action du MES est susceptible d’avoir un impact direct sur la masse monétaire et qu’elle relèverait ainsi d’une politique monétaire au sens de l’article 127, paragraphe 2, TFUE. C’est faux. Le MES n’est pas une banque d’affaires susceptible de créer de la monnaie scripturale par l’octroi de crédits. Les prêts consentis par le MES doivent au contraire être financés dans leur totalité par du capital libéré ou par l’émission d’instruments financiers, comme le prévoit l’article 3, deuxième phrase, du traité MES.

85.      Il faut enfin souligner que, comme le gouvernement allemand l’a expliqué à bon droit, une forme de politique économique ne peut pas être assimilée à de la politique monétaire en raison du seul fait qu’elle est susceptible d’avoir des effets indirects sur la stabilité des prix de la zone euro. Si tel était le cas, l’ensemble de la politique économique serait réservé au SEBC, ce qui viderait de leur substance toutes les règles du traité qui sont consacrées à la coordination des politiques économiques dans le cadre de l’Union.

86.      En conclusion, il faut donc constater qu’une réglementation telle que le traité MES n’empiète pas sur la compétence exclusive en matière de politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro que l’article 3, paragraphe 1, sous c), TFUE attribue à l’Union.

b)      Coordination des politiques économiques

87.      La question se pose en outre de savoir si, en concluant et en ratifiant le traité MES, les États membres agiraient dans le respect de la compétence de l’Union en matière de coordination des politiques économiques des États membres.

88.      Aux termes de l’article 2, paragraphe 3, et de l’article 5, paragraphe 1, TFUE, les États membres coordonnent leurs politiques économiques dans le cadre de l’Union. Sur ce point particulier, les articles 120 et 121 TFUE énoncent des règles qui, à l’article 121, paragraphe 2, TFUE notamment, prévoient des recommandations du Conseil pour les grandes orientations des politiques économiques des États membres. L’article 126 TFUE, qui fait partie du chapitre consacré à la politique économique, met en place certaines procédures destinées à éviter des déficits publics excessifs dans les États membres. Ces procédures prévoient notamment des recommandations du Conseil visant à remédier à un déficit excessif (paragraphe 7) ainsi que d’éventuelles sanctions (paragraphe 11).

89.      Le requérant considère que, de par leur fonction, les conditions convenues dans le cadre du soutien à la stabilité fourni par le MES correspondent aux recommandations prévues par les articles 121 et 126 TFUE. Étant donné que, conformément à l’article 2, paragraphe 2, deuxième phrase, TFUE, les États membres ne peuvent intervenir dans un domaine de compétence partagée que dans la mesure où l’Union n’a pas fait usage de la sienne, le MES empièterait ainsi sur la compétence de l’Union de façon illégale.

90.      Nous ne partageons pas cette façon de voir.

91.      Lorsque le MES subordonne l’assistance financière qu’il accorde à l’un de ses membres à des conditions pleinement compatibles avec les mesures de coordination des politiques économiques prévues par le TFUE, il ne coordonne pas les politiques économiques des États membres, mais ne fait qu’assurer le respect des mesures de coordination déjà mises en place au niveau de l’Union.

92.      Lorsqu’il accorde son assistance financière à des conditions qui s’écartent des mesures de coordination des politiques économiques décidées au niveau de l’Union, il ne coordonne pas davantage les politiques économiques des États membres puisque le protocole d’accord attaché à l’octroi de l’aide ne contient que les conditions imposées par le MES à un seul État membre individuel et ne coordonne donc pas les politiques économiques des États membres les unes avec les autres. Par ailleurs, les obligations imposées dans le cadre du MES ne le sont pas à titre de sanction.

93.      Il n’est donc pas nécessaire de trancher la question de savoir si la coordination des politiques économiques des États membres requise par l’article 2, paragraphe 3, et par l’article 5 TFUE relève d’une compétence partagée de l’Union. En effet, ces dispositions sont rédigées suivant une formulation particulière qui s’écarte des autres règles de compétence du traité. Aux termes de cette formule, ce n’est pas l’Union qui coordonne les politiques économiques des États membres, mais bien ceux-ci qui les coordonnent dans le cadre de l’Union. L’article 4 TFUE détermine les domaines des compétences partagées entre l’Union et les États membres. Son paragraphe 1 suppose néanmoins une compétence de l’Union et son article 2 ne prévoit pas non plus de compétence partagée en matière de politique économique.

94.      Par ailleurs, il n’est pas non plus nécessaire de déterminer ici si la Commission a raison d’affirmer que l’article 5, paragraphe 1, TFUE doit être interprété de telle manière que les politiques économiques des États membres ne doivent être coordonnées que dans le cadre de l’Union et qu’elles ne peuvent pas l’être à un autre niveau.

95.      Par conséquent, une réglementation telle que le traité MES n’enfreint pas davantage l’article 2, paragraphe 3, et l’article 5, paragraphe 1, TFUE.

c)      Conclusion d’accords internationaux

96.      Nous en aurons terminé avec la répartition des compétences entre l’Union et les États membres quand nous aurons répondu à la question de savoir si la compétence exclusive que l’article 3, paragraphe 2, TFUE confère à l’Union en matière de conclusion d’accords internationaux fait obstacle à la conclusion et à la ratification du traité MES par les États membres de la zone euro.

97.      Il résulte en particulier de l’article 3, paragraphe 2, TFUE que l’Union est exclusivement compétente à conclure un accord international lorsque cette conclusion «est susceptible d’affecter des règles communes ou d’en altérer la portée». Le requérant juge que le traité MES est de nature à altérer les règles de l’Union qui gouvernent la politique économique et monétaire.

98.      Une lecture combinée de l’article 3, paragraphe 2, TFUE avec l’article 216 TFUE nous enseigne que la compétence exclusive de l’Union en matière de conclusion d’accords internationaux ne concerne que les accords passés avec des pays tiers et des organisations internationales. Les dispositions combinées de cet article 3, paragraphe 2 et de l’article 2, paragraphe 1, TFUE interdisent donc uniquement aux États membres de conclure de tels accords avec des pays tiers. Or, les parties signataires du traité MES sont uniquement des États membres.

99.      Rien ne permet dès lors d’admettre d’emblée qu’une réglementation telle que le traité MES enfreint l’article 3, paragraphe 2, TFUE. En fin de compte, dans la mesure où l’argumentation que le requérant a développée à propos de cet article 3, paragraphe 2, TFUE est uniquement basée sur sa conviction que le traité MES altérerait les règles de l’Union qui gouvernent la politique économique et monétaire, c’est lorsque nous examinerons si, en concluant et en ratifiant le traité MES, les États membres de la zone euro ont enfreint les dispositions correspondantes qu’il nous appartiendra d’analyser son grief.

3.      L’interdiction de Bail-out énoncée à l’article 125 TFUE

100. L’article 125 TFUE pourrait s’opposer à la conclusion et à la ratification d’un traité tel que le traité MES.

101. Selon le requérant, le traité MES est incompatible avec l’article 125 TFUE en ce qu’il aurait pour effet de garantir les dettes existantes des États membres de la zone euro. L’article 125 TFUE ne permettrait pas d’obliger, comme le ferait le traité MES selon le requérant, les États membres à fournir des moyens financiers destinés à la prise en charge des dettes d’un autre État membre. Le fait que, conformément au traité MES, les aides financières ne seraient accordées que sous conditions ne remédierait pas à l’incompatibilité qu’il dénonce.

102. Selon lui, les règles d’appel de capital mises en place par le MES enfreindraient l’article 125 TFUE tout autant que les instruments financiers qu’il prévoit. L’article 25, paragraphe 2, du traité MES prévoirait ainsi la possibilité de revoir un appel de fond à la hausse en cas de défaut d’un membre du MES, ce qui obligerait les autres membres à garantir la dette du défaillant.

103. C’est pourquoi il nous faut à présent déterminer si l’article 125 TFUE interdit des instruments d’aide financière tels que ceux qui sont prévus par le traité MES (section a ci-dessous) ainsi que les règles d’appel de capital (section b ci-dessous).

a)      L’assistance financière mise en place par les articles 14 à 18 du traité MES

104. Les articles 14 à 18 du traité MES énoncent des règles d’«assistance financière». Les articles 14 à 16 permettent d’octroyer divers types de lignes de crédit aux membres du MES. Conformément aux articles 17 et 18, le MES peut en outre être autorisé à acheter des titres émis par un membre du MES sur le marché primaire ou sur le marché secondaire. Conformément à l’article 12, paragraphes 1 et 2, du traité qui l’institue, le MES ne peut accorder cette assistance financière qu’à des conditions strictes adaptées à l’instrument d’assistance financière choisi.

105. Tous les États membres et toutes les institutions de l’Union qui sont intervenus à la procédure estiment qu’en tout état de cause, l’article 125 TFUE n’interdit pas l’assistance financière mise en place par le MES lorsque les conditions du futur article 136, paragraphe 3, TFUE sont remplies, c’est-à-dire lorsqu’une intervention est indispensable pour préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble, l’octroi de toute assistance étant subordonné à des conditions «strictes».

i)      Intervention des États membres

106. Le premier point qu’il nous faut tirer au clair est celui de savoir si la conclusion et la ratification du traité MES par les États membres présentent avec la mise en œuvre d’instruments d’assistance financière par le MES un lien tel qu’il permettrait de conclure à une violation de l’article 125 TFUE par ces mêmes États membres.

107. Certains d’entre eux ont expliqué à ce propos que l’article 125, paragraphe 1, deuxième phrase, TFUE énonce une interdiction qui s’adresse aux seuls États membres, mais qui ne s’applique pas à une organisation internationale autonome telle que le MES. Il en résulterait que, d’emblée, cette disposition ne s’appliquerait pas à l’activité du MES.

108. Aux termes de l’article 125, paragraphe 1, deuxième phrase, TFUE, «un État membre» ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d’autres organismes ou entreprises publics d’un autre État membre (première interdiction) ni ne les prend à sa charge (deuxième interdiction).

109. Bien que le MES soit une organisation internationale autonome, les États membres doivent observer les règles du droit de l’Union lorsqu’ils interviennent dans le cadre de cette organisation. En effet, lorsqu’ils s’acquittent des engagements qu’ils ont contractés en vertu de conventions internationales, les États membres sont tenus de respecter les obligations qui leur incombent en vertu du droit communautaire (17). Ils doivent donc s’en tenir aux règles de l’article 125 TFUE, notamment lorsqu’ils adoptent des décisions concernant les instruments d’assistance financière qu’il s’agit d’analyser ici. Il résulte des articles 14 à 18 du traité MES que l’octroi d’une telle assistance requiert une décision du Conseil des gouverneurs, lequel, conformément à l’article 5, du traité MES, compte un représentant du gouvernement par État membre du MES.

110.  L’octroi d’un tel instrument d’assistance financière en violation de l’article 125 TFUE n’implique pas nécessairement que cette disposition s’applique au MES. La question se pose au contraire de savoir si les États membres enfreignent les règles de cet article 125 TFUE lorsqu’ils activent le mécanisme permettant au MES d’octroyer un tel instrument. Comme ils contrôlent entièrement cet organisme et que, conformément à l’article 9 du traité MES, les moyens financiers de celui-ci proviennent, partiellement du moins, du capital libéré par les États membres, le fait que les instruments d’assistance financière sont financés par le MES et non pas directement par les budgets des États membres n’exclut pas d’emblée que ceux-ci enfreignent l’article 125 TFUE en raison de l’octroi d’une assistance financière par le MES. Par conséquent, il s’impose de vérifier pour chaque instrument octroyé au titre de l’assistance financière du MES si l’octroi de celui-ci a pour effet que les États membres répondent ou prennent en charge les engagements d’un autre État membre.

111. Il est par ailleurs possible que non seulement l’octroi de l’assistance financière comporte une violation de l’article 125 TFUE, mais que la simple conclusion et la ratification du traité MES par les États membres enfreignent déjà à elles seules cette disposition. Certes, la conclusion et la ratification du traité MES n’entraînent pas encore l’octroi d’une aide du MES parce que cette aide est subordonnée à une décision préalable du Conseil des gouverneurs. Par ailleurs, les représentants des gouvernements doivent de toute façon, comme nous l’avons vu, respecter les règles de cet article 125 TFUE lorsqu’ils exercent leur droit de vote après l’entrée en vigueur du traité MES. Nonobstant cette obligation, cependant, la conclusion et la ratification du traité MES enfreindraient déjà à elles seules l’article 125 TFUE si l’octroi de l’assistance financière prévue par ce traité ne pouvait pas être décidé en accord avec les règles qu’énonce cette disposition parce qu’il entrerait forcément en conflit avec elle.

112. Par conséquent, les États membres enfreindraient déjà l’article 125 TFUE en adoptant et en ratifiant le traité MES si cette disposition leur interdisait d’accorder une assistance financière par le truchement du MES conformément aux articles 14 à 18 de celui-ci. Cette interdiction implique, d’une part, qu’il leur est interdit d’accorder une telle assistance financière et, d’autre part, que l’octroi de celle-ci par le MES se présente comme un acte des États membres, ce que nous allons nous appliquer à vérifier à présent.

ii)    Le MES en tant que garantie des engagements d’un État membre

113. En ce qui concerne les instruments d’assistance financière disponibles, il y a lieu de vérifier en premier lieu si le traité MES pris dans son ensemble institue une garantie pour les engagements des États membres de la zone euro et enfreint ainsi l’article 125 TFUE comme le prétend le requérant.

114. Comme la Commission l’a souligné à bon escient, l’interdiction de répondre des engagements de l’un des leurs que l’article 125, paragraphe 1, deuxième phrase, TFUE fait aux États membres démontre déjà qu’aucune garantie réciproque implicite des engagements des États membres ne peut être déduite de l’existence de l’Union monétaire. Le droit de l’Union n’impose donc à aucun État membre l’obligation de désintéresser les créanciers d’un autre État membre.

115. L’article 125 TFUE interdit également aux États membres d’instaurer librement une obligation de répondre de tels engagements. En effet, la deuxième proposition de la deuxième phrase de l’article 125, paragraphe 1, TFUE instaure une dérogation à la règle générale puisqu’il en excepte les garanties financières mutuelles pour la réalisation d’un projet spécifique en commun. Formuler une telle exception explicitement implique, a contrario, qu’il serait déjà d’emblée incompatible avec l’article 125 TFUE d’instaurer librement une obligation de répondre des engagements d’un autre État membre.

116. Les instruments d’assistance financière prévus par le traité MES ne comportent en tout cas pas une telle garantie des engagements d’un autre État membre. Comme nous l’avons déjà expliqué, ils ne peuvent être octroyés que sur la base d’une décision du Conseil des gouverneurs (18), le MES n’ayant aucune obligation sur ce point. Qui plus est, ni les prêts ni les achats de titres ne garantissent aux créanciers d’un État membre qu’ils recouvreront leurs créances. Bien que le MES semble avoir également pour mission de renforcer la confiance dans la solvabilité de ses membres (19), aucune garantie de leurs engagements ne s’attache aux instruments d’assistance financière dont il dispose à cette fin. Il n’est donc pas nécessaire de déterminer si une éventuelle garantie du MES doit également être considérée comme une garantie des États membres.

117. Par conséquent, les instruments d’assistance financière prévus par le traité MES ne comportent dans l’ensemble aucune garantie au moyen de laquelle les États membres répondraient des engagements de l’un des leurs. A cet égard, il n’est donc pas incompatible avec l’article 125 TFUE de conclure et de ratifier ce traité.

iii) Les prêts en tant que prise en charge des engagements d’un État membre

118. La question se pose en outre de savoir si l’article 125 TFUE interdit aux États membres d’accorder des prêts à un membre du MES par le truchement de ce même MES. Cela implique qu’il soit interdit aux États membres d’accorder de tels prêts et que l’octroi de prêts par le MES soit un octroi de prêts par les États membres.

119. En premier lieu, les prêts n’impliquent pas que les États membres répondent des engagements d’un autre (20). L’article 125, paragraphe 1, deuxième phrase, interdit non seulement aux États membres de répondre des engagements de l’un des leurs, mais il leur interdit aussi de prendre de tels engagements à leur charge. La question qui se pose alors est celle de savoir si cette interdiction comporte celle d’octroyer des prêts.

–        Libellé et systématique

120. L’expression allemande «Eintreten für Verblindlichkeiten» est insolite dans le domaine juridique (21). Si l’on s’en réfère au sens usuel de cette formulation, elle peut désigner aussi bien la prise en charge des engagements du débiteur, le repreneur contractant ainsi une dette propre, que l’exécution effective de l’engagement d’autrui. Alors que la version française de cette disposition, qui utilise l’expression «les prend à sa charge», semble exprimer la même chose, la version anglaise, qui utilise la formule «assume the commitments», semble plutôt mettre l’accent sur la reprise de la dette que sur son acquittement.

121. Si les différentes versions linguistiques semblent présenter certaines nuances, elles ont toutes en commun d’interdire toute intervention directe d’un État membre dans les engagements d’un autre. L’interdiction que l’article 125, paragraphe 1, deuxième phrase, première proposition, TFUE fait aux États membres de prendre en charge les engagements de l’un des leurs s’entend donc aussi bien de l’interdiction d’acquitter la dette que de l’interdiction d’y souscrire en vue d’un règlement ultérieur.

122. L’octroi d’un prêt ne remplit pas ces critères, car octroyer un prêt n’implique pas la reprise de la dette d’un autre État membre ni son exécution, mais crée une nouvelle dette à sa charge.

123. Rien dans les autres dispositions des traités ne permet d’affirmer que l’article 125, paragraphe 1, deuxième phrase, première proposition, TFUE interdirait l’octroi de prêts aux États membres. Dans certains cas, en revanche, les traités soumettent de tels prêts à certaines conditions. C’est ainsi que l’article 143, paragraphe 2, deuxième phrase, sous c), TFUE prévoit l’«octroi de crédits» par des États membres dont la monnaie est l’euro à des États membres qui ne font pas partie de la zone euro. De tels crédits sont accordés par acte du Conseil en cas de difficultés dans la balance des paiements d’un État membre en dehors de cette zone. L’article 122, paragraphe 2, TFUE prévoit, quant à lui, une «assistance financière» de l’Union en faveur d’un État membre, assistance qui pourrait comporter l’octroi d’un prêt.

124. Contrairement à ce que prétend le requérant, l’existence de pareilles dispositions ne permet cependant pas de conclure qu’en dehors des possibilités qu’elles prévoient, le droit de l’Union interdirait tout prêt à un État membre. L’article 125 TFUE ne comportant aucune référence à l’article 143 ou à l’article 122 TFUE, rien ne permet d’affirmer que ces deux dispositions devraient être considérées comme des dérogations au principe de l’interdiction énoncé à l’article 125 TFUE. D’autre part, ces deux articles du traité consacrés à l’octroi de prêts à des États membres par l’Union ne concernent pas le cas d’un prêt entre États membres qui nous occupe aujourd’hui. Alors que l’article 122, paragraphe 2, TFUE vise les prêts accordés par l’Union, l’article 143, paragraphe 2, deuxième phrase, sous c), TFUE concerne également une mesure de l’Union financée par les États membres qui permet d’accorder un prêt uniquement à des États membres ne faisant pas partie de la zone euro. Que le droit de l’Union n’impose aucune restriction en matière de prêts entre États membres de la zone euro ne rend pas obsolètes les conditions auxquelles l’article 122, paragraphe 2, et l’article 143, paragraphe 2, TFUE subordonnent l’octroi de prêts à d’autres États membres.

125. En particulier, les mesures de l’Union et les mesures des États membres se situent dans un autre contexte. Conformément à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphe 1, première phrase, TUE, les compétences de l’Union sont régies par le principe de subsidiarité, les États membres conservant toutes les compétences qui ne lui ont pas été attribuées. C’est dans ce contexte que l’article 122, paragraphe 2, et l’article 143, paragraphe 2, TFUE habilitent l’Union à accorder des crédits alors que les États membres n’ont pas besoin d’une telle habilitation. Déduire de l’octroi à l’Union d’habilitations individuelles assorties de conditions restrictives qui lui permettent d’accorder des crédits qu’il serait globalement interdit aux États membres d’en faire autant serait dès lors contraire aux principes de la répartition des compétences entre les États membres et l’Union.

–        Finalité de l’article 125 TFUE

126. Il faut néanmoins se demander si la finalité de l’article 125 TFUE ne remet pas en question ces constatations que nous avons déduites de son libellé et de sa systématique.

127. Il peut s’avérer utile d’utiliser comme critères d’interprétation complémentaires les travaux préparatoires et le contexte de la conclusion du traité afin de déterminer la finalité de l’article 125 TFUE.

128. L’article 125 TFUE assure, en substance, la succession de l’article 104 bis CE qui avait été introduit par le traité de Maastricht (22). Il résulte de l’exposé des motifs de la proposition de la Commission, qui est à l’origine de l’article 104A CE, que cette disposition a été ajoutée à ce qui est devenu les articles 123 et 124 TFUE afin de prévenir les déficits budgétaires et les dettes excessifs des États membres, qui, parce qu’ils suscitaient la crainte de turbulences sur les marchés financiers, étaient considérés comme une menace pour la stabilité monétaire et la pérennité de l’Union économique et financière (23). Afin d’éviter que les États membres s’endettent au-delà de leurs moyens, il s’agissait de renforcer la discipline budgétaire, notamment en durcissant les conditions du crédit.

129. C’est dans ce but qu’ont été adoptés les articles 123 à 125 TFUE. L’article 123 TFUE interdit aux banques centrales d’accorder des facilités de financement aux États membres. L’article 124 TFUE interdit toutes mesures accordant aux États membres un accès privilégié aux institutions financières.

130. Enfin, conformément au projet de la Commission, l’article 125 TFUE visait à éviter qu’un État membre s’imagine pouvoir obtenir une garantie inconditionnelle de sa dette publique auprès de l’Union ou d’un autre État membre (24). L’article 104A CE que contenait le projet de la Commission se limitait encore à interdire l’«octroi par la communauté ou par les États membres d’une garantie inconditionnelle aux dettes publiques d’un État membre». C’est au cours des négociations entre États membres sur le traité de Maastricht que l’interdiction a été élargie et a trouvé sa forme actuelle, qui apparaît pour la première fois dans la proposition de la présidence néerlandaise du Conseil (25). C’est, en particulier, sur proposition du gouvernement allemand que cet article a été complété par l’interdiction faite aux États membres de prendre les engagements d’un des leurs à leur charge (26). Il n’existe cependant aucune source accessible au public concernant cette proposition, ses motivations précises et, en particulier, la manière dont elle a été perçue par la conférence des représentants des gouvernements des États membres.

131. Sa genèse montre donc que l’article 125 TFUE a manifestement pour vocation minimale d’empêcher que les États membres misent sur le fait que leurs dettes seront épongées par les autres et de les inciter ainsi à modérer leurs politiques budgétaires.

132. Le Conseil européen et quelques États membres ont exposé à bon escient que l’article 125 TFUE vise également à assurer que les États membres fassent preuve de discipline budgétaire, ramenés à plus de sagesse par les suppléments d’intérêts qui leur sont appliqués sur le marché des capitaux en fonction de leurs comportements individuels en matière financière après la mise en place de l’Union économique et monétaire. Idéalement, en effet, les surcroîts d’intérêts sont calculés en fonction de la perception que les créanciers potentiels ont de la solvabilité de tel ou tel État membre. Or, cette solvabilité dépend de façon déterminante du potentiel financier de l’État membre concerné. L’article 125 TFUE a donc également pour objectif de dissocier ce potentiel financier de celui d’autres États membres.

133. Interdire toute prestation financière des États membres à certains des leurs permettrait d’atteindre au mieux ces deux objectifs, à savoir éviter tout espoir déplacé des États membres endettés et éviter que les marchés de capitaux se reposent sur le potentiel financier des autres États membres. En effet, l’État membre bénéficiaire d’une telle prestation financière pourrait également utiliser celle-ci pour éponger ses dettes. Cela ne vaut pas seulement pour les prestations financières octroyées sous la forme de prêts, mais également, par exemple, pour les apports de fonds résultant de la vente d’actifs d’un État membre à un autre. Cela reviendrait, certes, à interdire les échanges commerciaux entre États membres eux-mêmes, mais une interdiction aussi rigoureuse montrerait clairement à toutes les parties intéressées qu’un État membre qui s’endette ne peut attendre aucune aide financière des autres sous quelque forme que ce soit. Le règlement de l’ensemble des dettes dépendrait alors uniquement du potentiel financier individuel de l’État membre débiteur.

134. Ce n’est pourtant pas la voie que le législateur a choisie lorsqu’il a adopté l’article 125 TFUE, lequel n’a manifestement pas interdit toute prestation financière en faveur d’un État membre.

135. Cependant, eu égard à la finalité de l’article 125 TFUE, il serait en tout cas concevable de donner à celui-ci une interprétation large qui permettrait d’exclure au moins également les prestations financières susceptibles d’avoir, en pratique, les effets d’un règlement des dettes d’un État membre. Une telle interprétation étendrait le champ d’application de la deuxième interdiction faite par l’article 125, paragraphe 1, deuxième phrase, première proposition, TFUE de façon à prohiber également une prise en charge des engagements qui ne serait qu’indirecte. Une prise en charge ne serait qu’indirecte lorsque, par exemple, un prêt permet uniquement à un État membre d’acquitter ses dettes. Cela serait particulièrement manifeste lorsque le montant du prêt est calculé en fonction du volume des dettes que l’État membre doit rembourser à ses créanciers.

–       Principes structurels de l’Union européenne

136.  Interpréter l’article 125 TFUE de façon aussi large en s’inspirant de sa finalité pourrait cependant n’être pas compatible avec des principes essentiels de l’Union, qui présentent une importance à tout le moins égale à celle de l’article 125 TFUE.

Souveraineté des États membres

137. Le premier enjeu en cause ici est la protection de la souveraineté des États membres. L’Union a été créée par des États membres qui ont conservé leur souveraineté. Le principe d’attribution énoncé à l’article 5, paragraphe 1, première phrase, TUE, principe qui délimite les compétences de l’Union, est l’expression de cette souveraineté et a pour objet de la protéger.

138. En créant le MES, les États membres n’ont pas transféré à l’Union des compétences qu’ils auraient soustraites à leur souveraineté. Au contraire, le traité MES est un traité de droit international public qui se présente comme l’expression de la souveraineté et de l’autonomie contractuelle des États membres.

139. Admettre que le droit de l’Union interdit également aux États membres de prendre indirectement en charge des engagements d’un des leurs les empêcherait de mobiliser des fonds dans l’espoir d’éviter les effets négatifs que la défaillance de l’un d’entre eux pourrait avoir sur leur propre situation économique et financière. L’imbrication des activités économiques respectives des États membres que le droit de l’Union veut favoriser est susceptible de causer des dommages considérables aux économies des autres États membres en cas de défaillance de l’un d’entre eux. Comme certaines parties à la procédure l’ont expliqué, rien n’exclut que ces dommages prennent une telle ampleur qu’ils mettent en péril l’existence même de l’Union monétaire.

140. Il ne nous appartient pas ici de constater l’existence d’une telle menace pour la stabilité de l’Union monétaire ou d’étudier les meilleurs moyens de s’en prémunir. Il faut uniquement souligner que, dans un tel cas également, une interprétation large de l’article 125 TFUE priverait les États membres de leur compétence à se prémunir contre la défaillance de l’un des leurs et de la possibilité pour eux de s’employer à prévenir tout dommage pour eux-mêmes. Nous considérons qu’on ne peut pas se fonder sur une interprétation large déduite d’arguments téléologiques pour limiter la souveraineté des États membres au point de les priver de la possibilité d’adopter des mesures pour leur propre protection lorsque le texte de la disposition en question n’exprime pas cette limitation en toute clarté.

141. Notre conviction s’arme en particulier du fait que, dans d’autres circonstances, les traités ont énoncé une interdiction explicite d’accorder des prêts tels que ceux qui sont en cause ici. L’article 123, paragraphe 1, TFUE interdit expressément à la banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres d’accorder «des découverts ou tout autre type de crédits» aux États membres. Il est donc interdit aux banques centrales d’octroyer des prêts aux États membres (27). Or, l’article 125 TFUE ne contient précisément aucune formulation de la sorte en ce qui concerne l’octroi de prêts aux États membres.

Solidarité des États membres

142. Une interprétation large de l’article 125 TFUE heurterait en outre l’idée de solidarité qui s’exprime à divers endroits des traités. C’est ainsi que, dans le préambule du TUE, les États membres déclarent qu’en créant l’Union, ils entendent «approfondir la solidarité entre leurs peuples». Aux termes de l’article 3, paragraphe 3, troisième alinéa, TUE, l’Union «promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres». Dans le chapitre du TFUE qui est consacré à la politique économique, l’article 122, paragraphe 1, se réfère explicitement à la solidarité entre les États membres.

143. Le souci de solidarité ne saurait, certes, pas fonder une obligation d’accorder une assistance financière telle que celle pour laquelle le MES a été créé. De surcroît, une interprétation téléologique extensive de l’article 125 TFUE interdirait même aux États membres d’accorder librement une aide à l’un des leurs en cas d’urgence, à savoir lorsqu’il s’agit d’empêcher que sa défaillance entraîne pour eux de graves effets économiques et sociaux. Une aide d’urgence en faveur d’un quelconque État tiers serait permise alors qu’une aide d’urgence serait interdite dans le cadre de l’Union. Une telle interdiction nous paraîtrait mettre en cause précisément la finalité de l’Union dans son ensemble.

144. Les principes structurels fondamentaux des traités s’opposent donc à une interprétation extensive de l’article 125 TFUE.

–       Contournement et respect des objectifs liés à l’article 125 TFUE

145. On nous objectera que l’interdiction énoncée à l’article 125, paragraphe 1, deuxième phrase, TFUE perdrait tout son sens s’il était interdit aux États membres de prendre des engagements directement en charge alors qu’il leur serait facilement possible de contourner cette interdiction par une prise en charge indirecte. Nous sommes d’accord avec cette façon de voir les choses dans la mesure où l’interprétation de l’article 125 TFUE ne peut pas entraîner un résultat qui viderait de leur substance les interdictions qu’il énonce.

146. Tel n’est cependant pas le cas. Interdire aux États membres de répondre des engagements d’un autre ou des les prendre en charge comme le fait l’article 125, paragraphe 1, deuxième phrase, première proposition, TFUE sortit un «effet utile» même lorsque ces deux interdictions sont appliquées sur la base du contenu règlementaire qui trouve son expression dans le libellé de cette disposition.

147. Comme le gouvernement grec notamment l’a expliqué à bon escient, l’interdiction que l’article 125 TFUE fait aux États membres de répondre des engagements de l’un des leurs exclut toute obligation pour un État membre d’acquitter les dettes d’un autre. Une telle obligation ne peut être déduite du droit de l’Union et, à l’exception des garanties visées à l’article 125 in fine, un État membre ne peut pas s’imposer une telle obligation à soi-même. Tout État membre et ses créanciers potentiels savent ainsi qu’il n’aura jamais le droit de recourir à l’assistance financière d’un autre État membre.

148. Par ailleurs, la deuxième interdiction que fait aux États membres l’article 125, paragraphe 1, deuxième phrase, première proposition, TFUE, à savoir l’interdiction de prendre à leur charge les engagements de l’un d’entre eux est, en fin de compte, assortie d’une interdiction de favoriser directement certains créanciers. Cette interdiction empêche les États membres de désintéresser directement les créanciers d’un autre État membre. Il leur est interdit d’apporter un soutien direct aux créanciers, mais pas de leur apporter un soutien indirect résultant de l’assistance accordée à l’État membre débiteur. Il n’est donc pas exclu que les créanciers tirent ainsi régulièrement profit d’une aide accordée à cet État membre. Les créanciers potentiels d’un État membre seront cependant confrontés à une incertitude supplémentaire en ce qu’ils devront se demander si l’éventuelle assistance financière dégagée en faveur d’un État membre entraînera effectivement un règlement de leurs créances. L’aide volontairement accordée à un État membre ne doit donc pas forcément entraîner un désintéressement complet ou partiel de ses créanciers. Cette incertitude est de nature à favoriser l’objectif qui est d’instaurer sur les marchés des capitaux des taux d’intérêts différents selon les États membres (28).

149. Par conséquent, les États membres ne prendraient en charge les engagements de l’un des leurs en lui accordant un prêt que s’ils favorisaient directement ses créanciers. Tel serait notamment le cas s’ils ne lui accordaient aucun pouvoir de disposition sur les fonds qui lui ont été prêtés.

150. Le Conseil européen, en particulier, préconise d’interpréter l’article 125 TFUE en ce sens que, pour s’y conformer, les aides financières accordées à un État membre doivent l’être à des «conditions strictes» afin de garantir également la réalisation de l’objectif supérieur qu’est la discipline budgétaire des États membres, mais il ne nous appartient pas de nous prononcer sur cette interprétation ici, car les États membres de la zone euro ont en tout cas prévu de telles conditions dans le respect des principes énoncés à l’article 12, paragraphe 1, du traité MES.

–       Résultat intermédiaire

151. Il résulte donc du libellé, de la systématique et de l’interprétation téléologique de la deuxième interdiction énoncée à l’article 125, paragraphe 1, deuxième phrase, première proposition, TFUE qu’il est seulement interdit aux États membres de prendre directement en charge les engagements de l’un des leurs en ce sens qu’ils ne peuvent pas les assumer ou les honorer, et favoriser ainsi directement les créanciers. En conséquence, il n’est pas interdit aux États membres d’accorder un prêt à l’un des leurs.

152. Par conséquent, en concluant et en ratifiant le traité MES, les États membres n’enfreignent pas non plus l’article 125 TFUE en ce qui concerne les prêts accordés par le MES conformément aux articles 14 à 16 de ce traité.

153. Si la Cour devait néanmoins retenir une interprétation large de l’article 125, paragraphe 1, deuxième phrase, première proposition, TFUE et conclure qu’il est également interdit aux États membres de s’accorder des prêts entre eux, il faudrait encore examiner si l’octroi de prêts par le MES doit être considéré comme un acte des États membres. Nous considérons qu’une telle assimilation est hors de question dans le cadre d’une interprétation large de l’article 125 TFUE, car, si l’octroi d’un prêt à un État membre devait être considéré comme un règlement indirect de ses engagements, l’octroi de ce prêt par le MES devrait à tout le moins lui aussi être considéré comme étant le fait des États membres, car ce sont eux qui ont fondé le MES et qui le contrôlent totalement. Qui plus est, c’est à eux, en définitive, que la règle de couverture des pertes qui est énoncée à l’article 25, paragraphe 1, du traité MES impose de libérer complètement les moyens nécessaires à ce prêt.

iv)    Achats de titres en tant que prise en charge des engagements d’un État membre

154. En ce qui concerne les instruments financiers, il faut enfin examiner s’il est compatible avec l’article 125 TFUE d’acheter, comme le prévoient les articles 17 et 18 du traité MES, des titres émis par un membre du MES sur le marché primaire ou sur le marché secondaire. Pareille incompatibilité impliquerait une fois encore d’emblée que l’article 125 TFUE interdit aux États membres d’acheter de tels titres.

155. Acheter des titres directement auprès de l’État membre émetteur comme le prévoit l’article 17 du traité MES n’est qu’une forme de prêt particulière. Comme nous l’avons expliqué plus haut, il est compatible avec l’article 125 TFUE d’octroyer des prêts conformément au traité MES.

156. Acheter sur le marché secondaire des titres émis par un État membre conformément à l’article 18 du traité MES n’est, en principe, pas non plus une prise en charge des engagements de cet État membre parce qu’une telle acquisition n’équivaut pas à régler les dettes de celui-ci puisque, comme la Commission l’a souligné à bon droit, cet État membre émetteur demeure titulaire des dettes en question. L’engagement de l’État membre conserve donc le même contenu; seul son créancier a changé.

157. On nous rétorquera que, d’un point de vue économique, la situation résultant d’un achat de titres ne se distingue pas d’un règlement ordinaire des dettes d’un État membre à l’égard d’un tiers, règlement qui crée dans le chef de l’État membre qui a réglé la dette un droit à remboursement contre l’État membre libéré. S’il est exact que le contenu d’un tel droit à remboursement se distingue du contenu d’une créance acquise directement par le biais d’un achat de titres et s’il est tout aussi exact qu’en règle générale, le prix d’achat des titres émis par un État membre en détresse se situera nettement en dessous de la valeur totale de ses engagements, le créancier à l’égard duquel ceux-ci ont été contractés obtient, en définitive, au moins une partie de sa créance directement des mains de l’État membre acquéreur grâce à l’achat des titres.

158. La question se pose alors de savoir si l’achat de titres sur le marché secondaire enfreint l’article 125 TFUE parce qu’il favorise directement les vendeurs en leur qualité de créanciers de l’État membre auquel les titres avaient été achetés (29). Bien qu’en cas d’un tel achat de titres, les moyens financiers du MES seraient directement transmis au créancier, l’interdiction de favoriser directement un créancier demeurerait intacte, selon nous, si les titres étaient achetés aux conditions normales du marché. En pareil cas, en effet, le créancier obtiendrait son argent de la même manière qu’il l’obtiendrait de n’importe quel acquéreur et ne profiterait pas particulièrement du potentiel financier d’un autre État membre. Qui plus est, en cas d’achat ordinaire sur le marché des titres, le créancier ignorerait tout autant que l’acheteur est un État membre. Un tel achat de titres n’est donc pas de nature à inciter les créanciers potentiels d’un État membre à se reposer sur la solvabilité d’un autre.

159. Rien ne permet d’affirmer que la mise en œuvre d’instruments d’assistance financière conformément à l’article 18 du traité MES s’écarterait forcément des circonstances qui viennent d’être décrites. Des achats de titres du MES conformément à cette disposition n’entrent donc pas forcément d’emblée en conflit avec l’article 125 TFUE (30), mais il est, en tout cas, possible de les effectuer conformément aux conditions qu’il énonce. C’est la raison pour laquelle, dans le cas des achats de titres également, il n’est pas nécessaire de répondre, pour l’objet de l’analyse qui nous occupe à présent, à la question de savoir si l’activité du MES peut, dans cette mesure-là, être imputée aux États membres dans le cadre de l’article 125 TFUE.

160. En résumé, la conclusion et la ratification du traité MES n’enfreint pas l’article 125 TFUE non plus en ce qui concerne les achats de titres effectués par le MES conformément aux articles 17 et 18 de ce traité.

b)      Appel de fonds conformément à l’article 25 du traité MES

161. Enfin, il faut encore examiner à propos de l’interdiction énoncée à l’article 125 TFUE si la règle concernant un appel de fonds revu à la hausse tel qu’il est prévu par l’article 25, paragraphe 2, du traité MES est compatible avec l’article 125 TFUE.

162. La première interdiction énoncée à l’article 125, paragraphe 1, deuxième phrase, première proposition, TFUE interdit aux États membres de répondre volontairement des engagements d’un des leurs (31).

163. Conformément à l’article 8, paragraphe 2, première phrase, du traité MES, le capital autorisé se compose de parts libérées et de parts appelables. L’article 9 de ce traité permet au Conseil des gouverneurs et au directeur général de celui-ci, notamment, d’appeler le capital non libéré aux conditions que cette disposition fixe. Or, l’article 25, paragraphe 2, du traité MES prévoit que, lorsqu’un État membre du MES ne verse pas les fonds appelés, un appel de fonds revu à la hausse est lancé à tous les autres membres.

164. La règle énoncée à l’article 25, paragraphe 2, du traité MES ne signifie cependant pas encore qu’en concluant le traité MES, les États membres auraient librement répondu des engagements de l’un des leurs puisqu’elle impose uniquement à chaque membre du MES de s’acquitter de sa propre obligation de libérer le capital appelé. Conformément à l’article 25, paragraphe 2, du traité MES, le non paiement par l’un d’eux a pour unique conséquence d’obliger les autres à accroître leur contribution. En revanche, ils ne sont pas obligés de remplir l’obligation du membre défaillant, qui, conformément à cet article 25, paragraphe 2, deuxième phrase, du traité MES, demeure intégralement tenu de libérer sa part de capital.

165. Cette constatation est confirmée par la déclaration commune des signataires du traité MES du 27 septembre 2012, déclaration dans laquelle ils rappellent que le traité n’impose à aucun État membre une obligation de paiement excédant sa part du capital autorisé (32). Par conséquent, aucun appel de fonds revu à la hausse ne peut être lancé conformément à l’article 25, paragraphe 2, première phrase, du traité MES à un État membre qui a entièrement libéré sa part de capital.

c)      Résultat intermédiaire

166. Il y a donc lieu de constater que l’article 125 TFUE n’interdit pas aux États membres de conclure et de ratifier une convention qui prévoit un appel de fonds revu à la hausse comme le fait l’article 25, paragraphe 2, première phrase du traité MES ainsi que des instruments d’assistance financière par une organisation internationale sous la forme de prêts et d’achats de titres au sens des articles 14 à 18 du traité MES.

4.      Transfert de nouvelles compétences à des institutions de l’Union

167. Il faut examiner ensuite si, en concluant et en ratifiant le traité MES, les États signataires enfreindraient le droit de l’Union dans la mesure où ils confieraient ainsi de nouvelles missions à des institutions de l’Union. Bien que seuls les États membres, et non pas l’Union, agissent dans le cadre du traité MES, celui-ci prévoit à de nombreux endroits une intervention de la Commission, de la Cour de justice et de la Banque centrale européenne.

168. Le requérant considère que ce transfert de compétences est incompatible avec les fonctions que les traités confèrent aux institutions de l’Union. Il estime en particulier qu’un tel recours à leurs bons offices n’est possible que selon la procédure de la coopération renforcée prévue par l’article 20 TUE.

169. C’est la raison pour laquelle nous allons nous employer à présent à déterminer si les missions que le traité MES prévoit de confier à la Commission (section a), à la Banque centrale européenne (section b) et à la Cour de justice (section c) sont incompatibles avec l’article 13, paragraphe 2, première phrase, TUE, aux termes duquel chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités.

a)      Commission

170. Conformément à l’article 13, paragraphe 1, troisième phrase, du traité MES, lorsqu’un membre du MES adresse une demande de soutien à la stabilité au président du Conseil des gouverneurs, celui-ci charge la Commission d’évaluer un certain nombre de paramètres d’octroi de l’assistance financière. Conformément à l’article 13, paragraphes 3 et 4, du traité MES, le Conseil des gouverneurs charge la Commission de négocier avec le membre du MES, en liaison avec la BCE et, lorsque cela est possible, conjointement avec le FMI, un protocole d’accord précisant les conditions de l’assistance. Conformément au paragraphe 4 de cet article 13, ces conditions doivent encore être approuvées par le Conseil des gouverneurs pour pouvoir sortir leurs effets juridiques. Aux termes du paragraphe 7 de cette disposition, c’est à la seule Commission qu’il appartient de veiller au respect des conditions dont l’assistance financière est assortie. Le rôle de la Commission ne s’arrête pas là puisque, dans un certain nombre d’autres situations, le traité MES prévoit que la Commission procède à une évaluation ou établisse un rapport (33).

171. À propos de l’article 155, quatrième tiret, du traité CEE, qui décrivait les compétences de la Commission, la Cour a dit pour droit que cette disposition n’empêchait pas les États membres de confier à celle-ci la mission de veiller à la coordination d’une action collective entreprise par eux sur la base d’un acte de leurs représentants réunis au sein du Conseil (34). Dans un arrêt ultérieur, la Cour a indiqué qu’aucune disposition du traité n’empêche les États membres d’utiliser, en dehors de son cadre, des éléments de procédure inspirés de règles de l’Union et d’associer les institutions communautaires à la procédure ainsi établie (35). Il résulte de cette jurisprudence que si les États membres lui en font la demande, la Commission peut également intervenir en dehors du cadre des missions qui lui sont confiées par les traités.

172. Le 20 juin 2011, les représentants des gouvernements de tous les États membres ont adopté une décision aux termes de laquelle le traité MES devrait comporter des dispositions permettant à la Commission et à la Banque centrale européenne d’exécuter les tâches énoncées dans le traité (36). Cette décision va au-delà de la jurisprudence citée au point précédent dans la mesure où le traité MES n’est pas le fruit d’une action entreprise par tous les États membres et où le contenu exact du traité MES, qui n’a été conclu que le 2 février 2012, n’était pas encore connu au moment de l’adoption de la décision susvisée.

173. Nous déduisons néanmoins de cette jurisprudence que la Commission est foncièrement habilitée à exécuter les tâches que le traité MES prévoit pour elle parce que, d’une part, le soutien apporté à cette décision par l’ensemble des représentants des gouvernements dénote à suffisance qu’il s’agit d’une action collective des États membres et parce que, d’autre part, les représentants des États membres connaissaient suffisamment le contenu essentiel du traité MES au moment où ils ont adopté leurs décisions puisque, dès le 20 avril 2011, le Conseil européen avait déjà approuvé les linéaments du MES (37).

174. Le requérant prétend que la procédure de coopération renforcée prévue par l’article 20 TUE empêcherait de confier des tâches à des institutions de l’Union, mais son argument ne nous convainc pas. S’il est vrai que le paragraphe 1 de cette disposition prévoit explicitement que les États membres peuvent «recourir aux institutions» dans le cadre de cette procédure, la coopération renforcée va cependant au-delà d’un simple transfert de tâches au sens de la jurisprudence susmentionnée. Elle ne s’arrête pas quand les États membres ont fait usage de la possibilité de recourir aux institutions, mais elle permet avant toute chose à l’Union d’adopter des actes qui ne lient que les États membres participants. Rien ne permet donc de conclure qu’en introduisant les règles de coopération renforcée dans le traité, les signataires de celui-ci entendaient limiter la possibilité de solliciter l’intervention des institutions de l’Union en dehors du champ d’application des traités, possibilité que la Cour a confirmée dans la jurisprudence que nous avons citée plus haut.

175. Par ailleurs, contrairement aux obligations qui lui incombent dans le cadre d’une coopération renforcée fondée sur l’article 20 TUE, la Commission n’est pas tenue d’exécuter les tâches que le traité MES prévoit pour elle. La jurisprudence de la Cour que nous avons citée plus haut ne peut pas être interprétée en ce sens que les États membres pourraient obliger la Commission à agir en dehors du cadre de l’Union, une telle obligation ne pouvant découler pour elle en tant qu’institution de l’Union que lorsqu’il s’agit de missions qui lui sont confiées par le droit de l’Union. À cela s’ajoute que, conformément à l’article 17, paragraphe 3, troisième alinéa, TUE, la Commission exerce ses responsabilités en pleine indépendance et que ses membres ne sollicitent ni n’acceptent d’instructions d’aucun gouvernement, institution, organe ou organisme. Les États membres ne semblent d’ailleurs pas l’entendre autrement lorsqu’au dixième considérant du traité MES, ils se réfèrent à l’habilitation que leur ont donnée les représentants des gouvernements de tous les États membres de l’Union de «demander» (38) à la Commission d’exécuter les tâches prévues par ce traité. Ils n’ont donc jamais entendu que la Commission serait obligée de le faire.

176. S’il permettait aux États membres d’exiger de la Commission qu’elle intervienne là où les traités ne lui permettent pas de le faire, le traité MES pourrait être incompatible avec le droit de l’Union, car, en sa qualité d’institution de l’Union, la Commission demeure entièrement liée par le droit de celle-ci, y compris par la Charte des droits fondamentaux, même lorsqu’elle agit dans le cadre du MES.

177. Nous ne parvenons cependant pas à voir une violation du droit de l’Union dans les missions que le traité MES confie à la Commission. Bien au contraire, le respect de celui-ci a tout à gagner à ce qu’elle soit chargée de veiller à ce que les conditions dont sont assortis les instruments d’assistance financière soient conformes au droit de l’Union comme l’exige l’article 13, paragraphe 3, deuxième alinéa, du traité MES.

178. En exécutant, dans le respect de ses obligations de droit de l’Union, les tâches que les États membres signataires du traité MES lui confient en application de celui-ci, la Commission ne s’écarte donc pas de l’article 13, paragraphe 2, première phrase, TUE.

b)      Banque centrale européenne

179. Le traité MES confie une série de tâches à la Banque centrale européenne également, même si elles sont plus modestes que celles qu’il prévoit pour la Commission. Seuls l’article 4, paragraphe 4, premier alinéa, première phrase, et l’article 18, paragraphe 2, du traité MES comportent des compétences de contrôle autonomes pour l’institution financière. L’article 13, paragraphes 1, 3 et 7, et l’article 14, paragraphe 6, du traité MES prévoient en outre, l’un et l’autre, que la Commission agit «en liaison» avec la Banque centrale européenne, ce qui s’apparente davantage à un droit pour la Commission de la consulter qu’à une véritable attribution de tâches à la banque.

180. Comme l’a notamment fait observer le gouvernement néerlandais, la jurisprudence précitée que la Cour a consacrée au transfert de tâches à la Commission peut s’appliquer à la Banque centrale européenne. Elle lui est en tout cas applicable lorsque, comme dans le traité MES, les tâches ont trait à la politique économique globale que la Banque centrale européenne a notamment pour mission de soutenir puisque l’article 282, paragraphe 1 et paragraphe 2, troisième phrase, TFUE la charge de le faire.

181. Il faut cependant souligner une fois encore que la Banque centrale européenne n’est pas tenue d’exécuter les tâches que le traité MES permet de lui confier, ce qui, dans son cas, revêt une importance particulière en raison de l’obligation d’indépendance que lui fait l’article 130 TFUE.

182. En conclusion, l’article 13, paragraphe 2, première phrase, TUE n’interdit pas aux États membres de la zone euro signataires du traité MES de confier, par celui-ci, des tâches facultatives à la Banque centrale européenne également à condition que celle-ci s’en acquitte dans le respect des obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union.

c)      Cour de justice

183. Enfin, il faut encore déterminer si le rôle que le traité MES prévoit pour la Cour de justice est compatible avec le droit de l’Union.

184. Conformément à l’article 37, paragraphe 2, du traité MES, le Conseil des gouverneurs «statue sur tout litige opposant le MES à l’un de ses membres ou des membres du MES entre eux à propos de l’interprétation et de l’application de ce traité, y compris tout litige relatif à la compatibilité des décisions adoptées par le MES avec le présent traité». Conformément au paragraphe 3 de cette disposition, le litige doit être soumis à la Cour de justice lorsqu’un membre du MES conteste la décision du Conseil des gouverneurs. Ainsi qu’il apparaît du seizième considérant du traité MES, c’est sur l’article 273 TFUE que les États signataires se sont fondés pour confier ce rôle à la Cour.

185. Aux termes de l’article 273 TFUE, la Cour de justice est compétente à statuer sur tout différend entre États membres en connexité avec l’objet des traités si ce différend lui est soumis en vertu d’un compromis. Il faut se demander si les règles de l’article 37 du traité MES que nous avons décrites sont conformes à ces critères.

186. Le premier de ceux-ci exige que les différends concernant l’interprétation et l’application du traité MES présentent un lien avec l’objet des traités. Ainsi qu’il apparaît d’une comparaison avec les recours en violation des traités que les États membres peuvent engager les uns contre les autres en vertu de l’article 259, paragraphe 1, TFUE, l’article 273 TFUE ne concerne pas les litiges relatifs à l’interprétation des traités eux-mêmes. Une simple connexité est suffisante. Comme la saisine de la Cour prévue par l’article 273 TFUE est fondée sur un compromis, il suffit en outre que l’objet d’un tel compromis présente un lien de connexité avec celui des traités de l’Union. Il n’est dès lors pas nécessaire que tout différend naissant de l’interprétation ou de l’application du traité MES présente nécessairement un lien avec les traités de l’Union.

187. Dans le cas du MES, un tel lien se présente déjà en raison du simple fait que son article 13, paragraphe 3, deuxième alinéa, prévoit que le protocole d’accord énonçant les conditions dont est assorti l’octroi d’une assistance financière doit être pleinement compatible avec les mesures de coordination des politiques économiques prévues par le TFUE. Des litiges pourraient d’ailleurs voir le jour en ce qui concerne, par exemple, l’interprétation de l’article 125 TFUE (qui énonce ce qu’il est convenu d’appeler l’interdiction de Bail-out) à propos de l’octroi d’instruments concrets d’assistance financière. Par conséquent, des différends concernant l’interprétation et l’application du traité MES présentent un lien de connexité avec l’objet des traités au sens de l’article 273 TFUE.

188. La question se pose en deuxième lieu de savoir si l’article 37 du traité MES vise les différends entre États membres au sens de l’article 273 TFUE. C’est ainsi que le traité MES prévoit que la Cour puisse également être saisie lorsqu’un litige oppose un membre du MES au MES lui-même en sa qualité d’organisation internationale.

189. Les signataires du traité MES sont exclusivement des États de la zone euro, lesquels, conformément à l’article 5 du traité MES, agissent par le truchement des représentants de leurs gouvernements respectifs au sein de l’organe suprême du MES, à savoir le Conseil des gouverneurs. Comme le gouvernement du Royaume Uni, notamment, l’a souligné à bon escient, un litige opposant un membre du MES au MES lui-même s’apparente, en substance du moins, à un litige opposant un membre du MES aux autres membres de celui-ci à propos d’une décision adoptée à la majorité dans le cadre de celui-ci. L’activité que les États membres déploient dans le cadre de l’organisation est en outre soumise à des obligations particulières qui leur sont imposées par le droit de l’Union. La compétence de la Cour ne garantit dès lors pas seulement l’application uniforme de celui-ci, mais elle renforce en outre le système de protection juridique propre à l’Union, ce qui est conforme à l’objectif de l’article 273 TFUE. À cela s’ajoute que cette disposition n’a qu’un caractère facultatif pour les États membres. Rien ne s’oppose donc à ce qu’il fasse l’objet d’une interprétation large. L’article 273 TFUE peut donc s’appliquer aux différends opposant les États membres dans le cadre d’une organisation fondée par eux seuls même lorsque cette organisation est elle-même partie à ce différend.

190. Le rôle que le traité MES confie à la Cour de justice est, par conséquent, compatible lui aussi avec l’article 13, paragraphe 2, première phrase, TUE.

5.      L’article 47 de la Charte des droits fondamentaux et le principe de la sécurité juridique

191. Il nous faut encore examiner si le traité MES est compatible avec le droit à une protection juridictionnelle effective consacré par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux et avec le principe général de la sécurité juridique.

192. Selon le requérant, il résulterait de l’article 37, paragraphe 2, du traité qui l’institue que le MES ne serait soumis au contrôle de la Cour que de façon limitée alors que, par exemple, les conditions auxquelles il peut octroyer un soutien à la stabilité sont susceptibles d’avoir une incidence sur les droits sociaux garantis par le titre IV de la Charte des droits fondamentaux. Or, seuls les États membres seraient recevables à saisir la Cour. L’activité du MES n’offrirait donc pas toutes les garanties d’une protection juridictionnelle effective requises par l’article 47 de la Charte.

193. Aux termes de l’article 51, paragraphe 1, première phrase, de la Charte, celle-ci s’adresse aux États membres «uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union». La Commission considère que l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux ne s’applique pas à l’activité du MES, mais il n’est pas nécessaire de confirmer son point de vue ici, car le droit des particuliers à une protection juridictionnelle effective est, en tout cas, suffisamment garanti en ce qui concerne l’activité du MES.

194. Comme l’illustre la présente procédure, la Cour et les juridictions nationales peuvent utiliser la procédure habituelle de l’article 267 TFUE pour contrôler la compatibilité avec le droit de l’Union des actes que les États membres adoptent dans le cadre du MES. Les États membres doivent donc, conformément à l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE, établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective, à tout le moins en ce qui concerne la transposition des conditions d’un soutien à la stabilité en droit national (39).

195. Quant au principe de la sécurité juridique évoqué dans la question préjudicielle, rien ne permet de voir en quoi l’activité du MES pourrait lui porter atteinte.

196. Ni l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux ni le principe de la sécurité juridique ne s’opposent donc à ce que les États membres concluent et ratifient le traité MES.

6.      Le principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE

197. La juridiction de renvoi formule enfin des doutes concernant la compatibilité du traité MES avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, qui énonce le «principe de coopération loyale», en vertu duquel l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités.

198. Le requérant prétend que les États membres auraient violé ce principe parce qu’en créant une organisation internationale indépendante telle que le MES, ils auraient cherché à contourner le droit de l’Union et, en particulier, les interdictions énoncées à l’article 125 TFUE.

199. Comme nous l’avons déjà expliqué (40), rien ne nous a permis de constater que les États membres auraient cherché à se soustraire à leurs obligations de droit de l’Union, en particulier à celle que leur fait l’article 125 TFUE. Par ailleurs, c’est exclusivement dans le cadre d’une interprétation de ces obligations que le problème d’une éventuelle manoeuvre pourrait être apprécié. Indépendamment des dispositions de droit de l’Union que nous avons déjà examinées dans le cadre de notre analyse de la deuxième question préjudicielle, nous ne voyons guère en quoi les États membres auraient porté atteinte au principe de coopération loyale lorsqu’ils ont conclu le traité MES. Bien au contraire, les tâches que ce traité prévoit de confier à la Commission et à la Banque centrale européenne sont un gage de leur loyauté.

200. L’article 4, paragraphe 3, TUE ne s’oppose donc pas à ce que les États membres concluent et ratifient le traité MES.

7.      Résultat intermédiaire

201. Eu égard à tout l’exposé qui précède, il convient de répondre à la deuxième question préjudicielle que l’article 4, paragraphe 3, et l’article 13 TUE, l’article 2, paragraphe 3, l’article 3, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 2, l’article 122, l’article 123 et l’article 125 TFUE ainsi que l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux et le principe de la sécurité juridique ne s’opposent à ce qu’un État membre conclue et ratifie un accord international tel que le traité MES.

C –    La troisième question préjudicielle: effet de l’entrée en vigueur de la décision sur la réponse à la deuxième question

202. La juridiction de renvoi voudrait enfin savoir si le droit d’un État membre de conclure et de ratifier un accord international tel que le traité MES est subordonné à l’entrée en vigueur de la décision 2011/199.

203. Étant donné que, comme nous l’avons démontré plus haut lorsque nous avons répondu à la deuxième question, le droit en vigueur permet aux États membres de conclure et de ratifier un accord international tel que le traité MES, leur droit de le faire ne dépend pas de l’addition d’un nouveau paragraphe 3 à l’article 136 TFUE par la décision 2011/199. Il convient donc de répondre négativement à la troisième question.

IV – Conclusion

204. Par tous les motifs qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions de la Supreme Court irlandaise:

1)      L’analyse n’a révélé aucun élément susceptible d’affecter la validité de la décision 2011/199.

2)      L’article 4, paragraphe 3, et l’article 13 TUE, l’article 2, paragraphe 3, l’article 3, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 2, l’article 122, l’article 123 et l’article 125 TFUE ainsi que l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux et le principe de la sécurité juridique ne s’opposent pas à ce qu’un État membre dont la monnaie est l’euro conclue et ratifie un accord international tel que le traité MES avant l’entrée en vigueur de la décision 2011/199.


1 – Langue originale: l’allemand.


2 –      Voir, notamment, arrêts du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf (C‑188/92, Rec. p. I‑833, point 17) et du 29 juin 2010, E et F (C-550/09, Rec. p. I‑6213, point 46).


3 –      Voir, notamment, arrêts du 11 novembre 1997, Eurotunnel e.a. (C‑408/95, Rec. p. I‑6315, point 29) et du 8 juillet 2010, Afton Chamical (C‑343/09, Rec. p. I‑7023, point 19).


4 –      Voir également, sur ce point, les visas de la décision 2011/199.


5 – Voir, sur cette restriction, arrêt Eurotunnel (déjà cité à la note 5, point 34).


6 – Voir le quatrième considérant de la décision 2011/199.


7 – Voir les conclusions du Conseil européen du 20 avril 2011 sur la cession des 24 et 25 mars 2011, EUCO 10/1/11 REV 1, points 16 et suiv. et annexe II.


8 –      En ce qui concerne l’objet du traité MES, voir les points 75 et suiv.


9 –      Voir notamment, à ce sujet, arrêts du 9 juillet 1981, Gondrand et Garancini (169/80, Rec. p. 1931, point 17) et du 15 juillet 2010, Commission/Royaume-Uni (C‑582/8, Rec. p. I‑7191, point 49).


10 – Voir le deuxième considérant de la décision 2011/199.


11 – Voir, notamment, arrêt du 30 septembre 2010, Commission/Belgique (C‑132/09, Rec. p. I‑8695, point 43, ainsi que la jurisprudence citée à cet endroit).


12 – Voir, notamment, arrêt du 27 octobre 2011, Tanoarch (C‑504/10, Rec. p. I‑10853, point 43).


13 – Voir, notamment, arrêt du 19 juillet 2012, Garkalns (C‑470/11, point 18, ainsi que la jurisprudence citée à cet endroit).


14 – Voir, notamment, arrêt du 9 décembre 2010, Fluxys (C‑241/09, Rec. p. I‑12773, point 30, ainsi que la jurisprudence citée à cet endroit).


15 – Voir les pages 12 et suiv. de la décision de renvoi: le premier moyen trouve son expression dans le premier tiret, le deuxième dans le cinquième, le troisième dans le deuxième et le troisième, le quatrième dans le quatrième et le cinquième dans le dernier tiret.


16 – Voir également les premier et treizième considérants du traité MES.


17 –      Arrêt du 15 janvier 2002, Gottardo (C‑55/00, Rec. p. I‑413, point 33).


18 –      Voir le point 70 plus haut.


19 –      Voir le quatrième considérant du traité MES.


20 –      Voir le point 116 plus haut.


21 –      Les textes juridiques allemands utilisent parfois l’expression «Eintreten ‘in’ ein Schuldverhältnis» («intervenir dans un rapport débiteur»); voir § 563 du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil allemand) à propos de l’«Eintrittsrecht bei Tod des Mieters» («droit d’intervention en cas de décès du locataire»).


22 –      Traité sur l’Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992, JO C 191, page 1.


23 –      Voir le projet d’un traité modifiant le traité instituant la communauté économique européenne en vue de la mise en place d’une Union économique et monétaire, communication de la Commission du 21 août 1990, bulletin des communautés européennes, annexe 2/91, page 25.


24 –      Ibidem.


25 –      Voir le document SN 3738/91 (UEM 82) de la présidence de la conférence des représentants des gouvernements des États membres sur l’Union économique monétaire du 28 octobre 1991: «Proposal by the Presidency to the Intergovernmental Conference on Economic and Monetary Union», article 104a.


26 –      Voir Jan Viebig, Der Vertrag von Maastricht, Die Positionen Deutschlands und Frankreichs zur Europäischen Wirtschafts- und Währungsunion, page 314.


27 –      Voir également l’article 1er, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 3603/93 du Conseil du 13 décembre 1993 précisant les définitions nécessaires à l’application des interdictions énoncées à l’article 104 et à l’article 104b du paragraphe 1 du traité, disposition qui se fonde sur l’article 125, paragraphe 2, TFUE.


28 –      Voir le point 132 plus haut.


29 –      Voir le point 148 plus haut.


30 –      Voir le point 111 plus haut.


31 –      Voir le point 115 plus haut.


32 –      Voir la lettre du représentant permanent de la République de Chypre auprès de l’Union européenne au Secrétariat général du Conseil européen du 27 septembre 2012, doc. numéro SGE12/010319.


33 –      Voir article 4, paragraphe 4, premier alinéa, première phrase, article 14, paragraphes 5 et 6, article 15, paragraphe 5, article 16, paragraphe 5, et article 17, paragraphe 5, du traité MES.


34 –      Voir arrêt du 30 juin 1993, Parlement/Conseil et Commission (C‑181/91 et C‑248/91, Rec. p. I‑3685, point 20).


35 –      Voir arrêt du 2 mars 1994, Parlement/Conseil (C‑316/91, Rec. p. I‑625, point 41).


36 –      Note de transmission du Conseil du 24 juin 2011, document no 12114/11, et dixième considérant du traité MES.


37 –      Voir les conclusions du Conseil européen à la session des 24 et 25 mars 2011 telles qu’elles sont reproduites dans la note de transmission du Conseil européen du 20 avril 2011, document no EUCO 10/1/11 REV 1, point 17 et annexe II.


38 –      Note sans objet dans la version française.


39 –      Voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, Rec. p. I‑2271, points 38 et 42, ainsi que la jurisprudence citée à cet endroit.


40 –      Voir les points 100 et suiv. plus haut.