DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

13 septembre 2018 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine – Inscription du nom de la requérante sur la liste des entités auxquelles s’appliquent des mesures restrictives – Obligation de motivation – Erreur manifeste d’appréciation – Droit à une protection juridictionnelle effective – Détournement de pouvoir – Droit de propriété – Liberté d’entreprise – Égalité de traitement »

Dans l’affaire T‑737/14,

Bank for Development and Foreign Economic Affairs (Vnesheconombank), établie à Moscou (Russie), représentée par Mes J. M. Viñals Camallonga, J. L. Iriarte Ángel et L. Barriola Urruticoechea, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par MM. A. de Elera-San Miguel Hurtado et G. Étienne, puis par M. F. Florindo Gijón, Mmes P. Mahnič Bruni et H. Marcos Fraile, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par M. F. Castillo de la Torre, Mmes D. Gauci et S. Pardo Quintillán, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation partielle de la décision 2014/512/PESC du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 13), dans sa version résultant de la décision 2014/659/PESC du Conseil, du 8 septembre 2014, modifiant la décision 2014/512 (JO 2014, L 271, p. 54), et du règlement (UE) no 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1), dans sa version résultant du règlement (UE) no 960/2014 du Conseil, du 8 septembre 2014, modifiant le règlement no 833/2014 (JO 2014, L 271, p. 3), en ce que ces actes concernent la requérante,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, D. Spielmann et Z. Csehi, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 15 novembre 2017,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Bank for Development and Foreign Economic Affairs (Vnesheconombank), est une banque russe établie à Moscou (Russie), active sur le marché national russe ainsi qu’au niveau international.

2        Le 20 février 2014, le Conseil de l’Union européenne a condamné dans les termes les plus fermes le recours à la violence en Ukraine. Il a appelé à l’arrêt immédiat de la violence ainsi qu’au plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales en Ukraine. Le Conseil a également envisagé l’instauration de mesures restrictives à l’encontre des personnes responsables des violations des droits de l’homme, des violences et du recours excessif à la force.

3        Lors d’une réunion extraordinaire qui s’est tenue le 3 mars 2014, le Conseil a condamné les actes d’agression des forces armées russes, qui constituaient une violation manifeste de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine ainsi que l’autorisation donnée par le Soviet Federatsii Federal’nogo Sobrania Rossiskoï Federatsii (Conseil de la Fédération de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie), le 1er mars 2014, de recourir aux forces armées sur le territoire de l’Ukraine. L’Union européenne a appelé la Fédération de Russie à ramener immédiatement ses forces armées vers leurs lieux de stationnement permanent, conformément à ses obligations internationales.

4        Le 5 mars 2014, le Conseil a adopté des mesures restrictives axées sur le gel et la récupération de fonds détournés appartenant à l’État ukrainien.

5        Le 6 mars 2014, les chefs d’État ou de gouvernement de l’Union ont entériné les conclusions du Conseil adoptées le 3 mars 2014. Ils ont condamné fermement la violation par la Fédération de Russie, sans qu’il y ait eu provocation, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et ils ont appelé la Fédération de Russie à ramener immédiatement ses forces armées vers leurs lieux de stationnement permanent, conformément aux accords applicables. Les chefs d’État ou de gouvernement de l’Union ont déclaré que toute autre mesure de la Fédération de Russie qui serait de nature à déstabiliser la situation en Ukraine entraînerait d’autres conséquences, d’une portée considérable, pour les relations entre l’Union et ses États membres, d’une part, et la Fédération de Russie, d’autre part, et ce dans un grand nombre de domaines économiques. Ils ont demandé à la Fédération de Russie de permettre un accès immédiat aux observateurs internationaux, soulignant que la solution à la crise en Ukraine devait être fondée sur l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance du pays ainsi que sur le respect rigoureux des normes internationales.

6        Le 16 mars 2014, le parlement de la République autonome de Crimée et le gouvernement local de la ville de Sébastopol, toutes deux subdivisions de l’Ukraine, ont tenu un référendum sur le statut de la Crimée. Dans le cadre de ce référendum, la population de Crimée était invitée à indiquer si elle souhaitait être rattachée à la Fédération de Russie en qualité de sujet ou si elle souhaitait que soient rétablis la Constitution de 1992 et le statut de la Crimée au sein de l’Ukraine. Le résultat annoncé en République autonome de Crimée indiquait 96,77 % de votes en faveur de l’intégration de la région dans la Fédération de Russie, avec un taux de participation de 83,1 %.

7        Le 17 mars 2014, le Conseil a adopté d’autres conclusions concernant l’Ukraine. Le Conseil a fermement condamné la tenue, le 16 mars 2014 en Crimée, du référendum sur le rattachement à la Fédération de Russie, réalisé selon lui en violation manifeste de la Constitution ukrainienne. Le Conseil a demandé instamment à la Fédération de Russie de prendre des mesures pour apaiser la crise, de ramener immédiatement ses forces aux effectifs et aux bases d’avant la crise, conformément à ses engagements internationaux, d’entamer des discussions directes avec le gouvernement de l’Ukraine et de faire usage de tous les mécanismes internationaux pertinents pour trouver une solution pacifique et négociée, dans le plein respect de ses engagements bilatéraux et multilatéraux de garantir la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. À cet égard, le Conseil a déploré que le Conseil de sécurité des Nations unies n’ait pas été en mesure d’adopter une résolution, en raison d’un veto opposé par la Fédération de Russie. En outre, il a exhorté la Fédération de Russie à ne rien entreprendre pour annexer la Crimée en violation du droit international.

8        Le Conseil a adopté, sur la base de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16) ainsi que, sur la base de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) no 269/2014, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6), par lesquels il a imposé des restrictions en matière de déplacements et un gel des avoirs visant les personnes responsables d’actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ainsi que les personnes et les entités qui leur étaient associées.

9        Le 17 mars 2014, la Fédération de Russie a reconnu officiellement les résultats du référendum tenu en Crimée le 16 mars 2014. À la suite de ce référendum, le Conseil suprême de Crimée et le conseil municipal de Sébastopol ont proclamé l’indépendance de la Crimée par rapport à l’Ukraine et ont demandé le rattachement à la Fédération de Russie. Le même jour, le président russe a signé un décret reconnaissant la République de Crimée en tant qu’État souverain et indépendant.

10      Le 21 mars 2014, le Conseil européen a rappelé la déclaration des chefs d’État ou de gouvernement de l’Union du 6 mars 2014 et a demandé à la Commission européenne et aux États membres de réfléchir à d’éventuelles autres mesures ciblées.

11      Le 23 juin 2014, le Conseil a décidé que l’importation dans l’Union de marchandises originaires de Crimée ou de Sébastopol devait être interdite, à l’exception des marchandises originaires de Crimée ou de Sébastopol pour lesquelles le gouvernement ukrainien avait délivré un certificat d’origine.

12      À la suite de l’accident du 17 juillet 2014 ayant entraîné la destruction, à Donetsk (Ukraine), de l’avion de la Malaysia Airlines affrété pour le vol MH17, le Conseil a demandé à la Commission et au Service européen pour l’action extérieure (SEAE) de finaliser leurs travaux préparatoires sur d’éventuelles mesures ciblées et de présenter, le 24 juillet suivant au plus tard, des propositions de mesures, y compris en ce qui concerne l’accès aux marchés des capitaux, la défense, les biens à double usage et les technologies sensibles, notamment dans le secteur énergétique.

13      Le 31 juillet 2014, eu égard à la gravité de la situation en Ukraine malgré l’adoption, au mois de mars 2014, de restrictions en matière de déplacements ainsi que d’un gel des avoirs visant certaines personnes physiques et morales (voir point 8 ci-dessus), le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 13), afin d’introduire des mesures restrictives ciblées dans les domaines de l’accès aux marchés des capitaux, de la défense, des biens à double usage et des technologies sensibles, notamment dans le secteur énergétique.

14      Estimant que ces dernières mesures relevaient du champ d’application du traité FUE et que leur mise en œuvre nécessitait une action réglementaire à l’échelle de l’Union, le Conseil a adopté à la même date, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) no 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1), qui contient des dispositions plus détaillées pour donner effet, tant au niveau de l’Union que dans les États membres, aux prescriptions de la décision 2014/512.

15      L’objectif déclaré de ces mesures restrictives était d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et de promouvoir un règlement pacifique de la crise. À cette fin, ont été établies, en particulier, des interdictions d’exportation de certains produits et de technologies sensibles destinés au secteur pétrolier en Russie ainsi que des restrictions à l’accès au marché des capitaux de l’Union à certains opérateurs de ce secteur.

16      Par la suite, le Conseil a adopté, le 8 septembre 2014, la décision 2014/659/PESC, modifiant la décision 2014/512 (JO 2014, L 271, p. 54), et le règlement (UE) no 960/2014, modifiant le règlement no 833/2014 (JO 2014, L 271, p. 3), afin d’étendre l’interdiction portant sur certains instruments financiers qui avait été décidée le 31 juillet 2014 et d’imposer des restrictions supplémentaires relatives à l’accès au marché des capitaux.

17      L’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/512, telle que modifiée par la décision 2014/659 (ci-après la « décision attaquée »), est rédigé en ces termes :

« 1.       Sont interdits l’achat direct ou indirect ou la vente directe ou indirecte, la fourniture directe ou indirecte de services d’investissement ou l’aide à l’émission ou toute autre opération portant sur des obligations, actions ou instruments financiers similaires dont l’échéance est supérieure à 90 jours s’ils ont été émis après le 1er août 2014 et jusqu’au 12 septembre 2014, ou dont l’échéance est supérieure à 30 jours, s’ils ont été émis après le 12 septembre 2014 par :

a)      les principaux établissements de crédit ou institutions financières de développement établis en Russie, détenus ou contrôlés à plus de 50 % par l’État à la date du 1er août 2014, dont la liste figure à l’annexe I ;

b)      toute personne morale, toute entité ou tout organisme établi en dehors de l’Union qui est détenu à plus de 50 % par une entité figurant à l’annexe I ; ou

c)      toute personne morale, toute entité ou tout organisme agissant pour le compte ou sur les instructions d’une entité de la catégorie visée [sous b),] du présent paragraphe ou figurant à l’annexe I. »

18      Le nom de la requérante figure au point 4, de l’annexe I, de la décision attaquée.

19      L’article 5, paragraphe 1, du règlement no 833/2014, tel que modifié par le règlement no 960/2014 (ci-après le « règlement attaqué »), se lit comme suit :

« 1.      Sont interdites les opérations, directes ou indirectes, d’achat, de vente, de prestation de services d’investissement ou d’aide à l’émission de valeurs mobilières et d’instruments du marché monétaire dont l’échéance est supérieure à 90 jours, émis après le 1er août 2014 jusqu’au 12 septembre 2014, ou dont l’échéance est supérieure à 30 jours, émis après le 12 septembre 2014, ou toute autre transaction portant sur ceux-ci, par :

a)      un établissement de crédit principal ou tout autre établissement principal ayant un mandat explicite pour promouvoir la compétitivité de l’économie russe et sa diversification et favoriser les investissements, établi en Russie et détenu ou contrôlé à plus de 50 % par l’État à la date du 1er août 2014, figurant à l’annexe III ; ou

b)      une personne morale, une entité ou un organisme établi en dehors de l’Union, dont plus de 50 % des droits de propriété sont détenus, directement ou indirectement, par une entité figurant à l’annexe III ; ou

c)      une personne morale, une entité ou un organisme agissant pour le compte ou selon les instructions d’une entité visée [sous b),] du présent paragraphe ou figurant sur la liste de l’annexe III. »

20      Le nom de la requérante figure au point 4 de l’annexe III du règlement attaqué.

21      Par lettre du 15 septembre 2014, la requérante a demandé à avoir accès aux documents et aux éléments de preuve la concernant figurant dans le dossier du Conseil.

22      Par lettre du 16 octobre 2014, le Conseil a répondu à la demande de la requérante et lui a transmis des éléments de preuve et des documents relatifs à la décision d’inscrire son nom sur la liste des entités visées par les mesures restrictives en cause en sa possession. La requérante a reçu cette lettre le 21 octobre suivant.

 Procédure et conclusions des parties

23      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 octobre 2014, la requérante a introduit le présent recours.

 Intervention

24      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 23 février 2015, la Commission a demandé à intervenir au présent litige, au soutien des conclusions du Conseil.

25      Les parties principales n’ont pas formulé d’observations sur cette demande dans le délai qui leur avait été imparti à cette fin.

26      Par ordonnance du 18 mai 2015, le président de la neuvième chambre du Tribunal a fait droit à cette demande.

27      Le 23 juin 2015, la Commission a produit un mémoire en intervention.

28      La requérante a formulé des observations écrites sur ce mémoire dans le délai imparti à cet effet, tandis que le Conseil n’a pas fait usage de cette possibilité.

 Suspension de la procédure

29      Le 12 mars 2015, le président de la neuvième chambre du Tribunal a décidé d’entendre les parties sur une éventuelle suspension de la procédure dans l’attente de la décision de la Cour mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑72/15, Rosneft. Par lettre du greffe du Tribunal du 18 mars 2015, un délai a été fixé aux parties à cette fin.

30      Le Conseil et la requérante ont formulé des observations sur cette éventuelle suspension par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement le 27 mars et le 9 avril 2015.

31      Par décision du 29 octobre 2015, adoptée sur le fondement de l’article 69, sous a), du règlement de procédure du Tribunal, le président de la neuvième chambre du Tribunal a décidé de suspendre l’affaire au motif qu’il existait une coïncidence au moins partielle entre les dispositions dont la Cour était appelée à apprécier la portée et la validité dans l’affaire C‑72/15, Rosneft, et celles qui étaient pertinentes dans la présente affaire.

32      À la suite de l’arrêt du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236), la suspension de la procédure a pris fin, conformément à l’article 71, paragraphe 3, du règlement de procédure.

33      Les parties principales ont été invitées, dans ce contexte, à présenter leurs observations sur les conséquences à tirer de l’arrêt du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236), en ce qui concerne les moyens et les arguments soulevés dans le cadre du présent recours. Elles ont répondu à cette demande dans le délai imparti. 

 Procédure en référé

34      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 3 avril 2017, la requérante a introduit une demande en référé, en vue d’obtenir le sursis à l’exécution de la décision attaquée et du règlement attaqué en tant qu’ils la concernaient, jusqu’à ce que le Tribunal se fût prononcé sur le recours au principal.

35      Par ordonnance du 28 septembre 2017, Vnesheconombank/Conseil (T‑737/14 R, non publiée, EU:T:2017:681), le président du Tribunal a rejeté cette demande et a réservé les dépens.

 Modification de la composition des chambres

36      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la sixième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée, conformément à l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure.

 Phase orale de la procédure et jonction

37      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et d’adresser à la requérante une question pour réponse écrite avant l’audience, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure visées à l’article 89 du règlement de procédure. La requérante a répondu à cette question dans le délai imparti.

38      Par décision du président de la sixième chambre du Tribunal du 8 novembre 2017, la présente affaire et l’affaire T‑739/14, PSC Prominvestbank/Conseil, ont été jointes aux seules fins de la phase orale de la procédure, sur le fondement de l’article 68 du règlement de procédure, les parties ayant été entendues à cet égard.

39      Les parties principales ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l’audience du 15 novembre 2017, à laquelle la Commission n’a pas participé. À cette occasion, la requérante a soulevé un argument concernant la durée prétendument excessive de la procédure devant le Tribunal, en le rattachant à son moyen tiré de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective.

 Conclusions des parties

40      La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée et l’article 5, paragraphe 1, du règlement attaqué, en ce qui la concerne ;

–        supprimer son nom des annexes de la décision attaquée et du règlement attaqué où celui-ci figure ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

41      À la suite des précisions fournies dans sa réponse à la question du Tribunal mentionnée au point 33 ci-dessus, le Conseil, soutenu par la Commission, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

42      À l’appui de son recours, la requérante invoque six moyens, tirés, le premier, de la violation de l’obligation de motivation, le deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation des faits sur lesquels sont fondés l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision attaquée et l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement attaqué (ci-après les « dispositions pertinentes des actes attaqués »), le troisième, de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective, le quatrième, d’un détournement de pouvoir, le cinquième, de la violation du droit de propriété ainsi que de la liberté d’entreprise et, le sixième, de la violation du principe d’égalité de traitement.

43      Il convient, à titre liminaire, d’examiner la recevabilité du recours.

 Sur la recevabilité

44      Le Conseil fait valoir que la requérante n’est pas directement concernée, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, par les dispositions pertinentes des actes attaqués, étant donné que celles-ci n’affecteraient pas sa situation juridique. En effet, ces dispositions s’adresseraient aux personnes physiques et morales soumises au droit de l’Union, en leur interdisant l’achat direct ou indirect ou la vente directe ou indirecte, la fourniture directe ou indirecte de services d’investissement ou l’aide à l’émission ou toute autre opération portant sur des obligations, actions ou instruments financiers similaires émis par des entités financières liées à l’État russe. Ce serait donc la situation juridique de ces personnes qui serait directement affectée par les dispositions pertinentes des actes attaqués, alors que la requérante ne le serait que dans sa situation factuelle, ce qui ne suffirait pas pour lui conférer la qualité pour agir en l’espèce, indépendamment de l’importance des conséquences économiques que l’application de ces dispositions est susceptible d’engendrer pour la requérante. Le Conseil se réfère, dans ce contexte, à l’ordonnance du 6 septembre 2011, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (T‑18/10, EU:T:2011:419).

45      La requérante conteste les arguments du Conseil.

46      Il convient de rappeler, à cet égard, que, selon l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution. La deuxième branche de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE précise ainsi que, si la personne physique ou morale introduisant le recours en annulation n’est pas le destinataire de l’acte attaqué, la recevabilité du recours est soumise à la condition que la partie requérante soit directement et individuellement concernée par celui-ci. Le traité de Lisbonne a en outre ajouté à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE une troisième branche qui a assoupli les conditions de recevabilité des recours en annulation introduits par des personnes physiques et morales. En effet, cette branche, sans soumettre la recevabilité des recours en annulation introduits par les personnes physiques et morales à la condition relative à l’affectation individuelle, ouvre cette voie de recours à l’égard des « actes réglementaires » ne comportant pas de mesures d’exécution et concernant une partie requérante directement (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 56 et 57).

47      Premièrement, s’agissant de la condition relative à l’affectation directe de la requérante, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert que la mesure de l’Union contestée produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires qui sont chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2008, Commission/Infront WM, C‑125/06 P, EU:C:2008:159, point 47 et jurisprudence citée).

48      En l’espèce, les dispositions pertinentes des actes attaqués interdisent à tous les opérateurs de l’Union d’effectuer certains types d’opérations financières avec des établissements de crédit établis en Russie, qui remplissent les conditions fixées auxdites dispositions et dont le nom figure à l’annexe I de la décision attaquée ou à l’annexe III du règlement attaqué.

49      Il convient de constater, dès lors, que la requérante est directement concernée par les dispositions pertinentes des actes attaqués. En effet, les mesures restrictives en cause s’appliquent directement à son égard, en conséquence immédiate du fait qu’elle est une entité visée par ces dispositions, lues à la lumière des annexes correspondantes, sans laisser aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de leur mise en œuvre. Il importe peu, à cet égard, que lesdites dispositions n’interdisent pas à la requérante d’effectuer les opérations visées en dehors de l’Union. En effet, il est constant que les dispositions pertinentes des actes attaqués imposent des restrictions à l’accès au marché des capitaux de l’Union à la requérante.

50      De même, il convient de rejeter l’argumentation du Conseil selon laquelle la requérante ne serait pas directement affectée dans sa situation juridique, étant donné que les mesures instaurées par les dispositions pertinentes des actes attaqués s’appliquent uniquement aux organismes établis dans l’Union. S’il est vrai que les dispositions pertinentes des actes attaqués énoncent des interdictions qui s’appliquent en premier lieu aux établissements de crédit et aux autres organismes financiers établis dans l’Union, ces interdictions ont pour objectif et pour effet d’affecter directement les entités, telles que la requérante, qui se voient limitées dans leur activité économique du fait de l’application de ces mesures à leur égard. Il va de soi qu’il appartient aux organismes établis dans l’Union d’appliquer lesdites mesures, étant donné que les actes adoptés par les institutions de l’Union n’ont, en principe, pas vocation à s’appliquer en dehors du territoire de l’Union. Cela ne signifie pas pour autant que les entités affectées par les dispositions pertinentes des actes attaqués ne sont pas directement concernées par les mesures restrictives appliquées à leur égard. En effet, le fait d’interdire aux opérateurs de l’Union d’effectuer certains types d’opérations avec des entités établies en dehors de l’Union équivaut à interdire à ces entités d’effectuer les opérations en cause avec des opérateurs de l’Union. En outre, accueillir la thèse du Conseil à cet égard reviendrait à considérer que, même dans les cas de gel de fonds individuels, les personnes listées auxquelles s’appliquent les mesures restrictives ne sont pas directement concernées par de telles mesures, étant donné qu’il appartient en première ligne aux États membres de l’Union et aux personnes physiques ou morales relevant de leur compétence de les appliquer.

51      Par ailleurs, c’est en vain que le Conseil se fonde, à cet égard, sur l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 6 septembre 2011, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (T‑18/10, EU:T:2011:419). En effet, dans cette affaire, le Tribunal a considéré que le règlement (CE) no 1007/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, sur le commerce des produits dérivés du phoque (JO 2009, L 286, p. 36) affectait uniquement la situation juridique des parties requérantes qui étaient actives dans la mise sur le marché de l’Union des produits dérivés du phoque et qui étaient concernées par l’interdiction générale de mise sur le marché de ces produits, à la différence des parties requérantes dont l’activité n’était pas la mise sur le marché de ces produits ou de celles qui relevaient de l’exception prévue par le règlement no 1007/2009, puisque, en principe, la mise sur le marché de l’Union des produits dérivés du phoque provenant de formes de chasse traditionnellement pratiquées par les communautés inuit et par d’autres communautés indigènes à des fins de subsistance restait autorisée (voir, en ce sens, ordonnance du 6 septembre 2011, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, T‑18/10, EU:T:2011:419, point 79). En l’espèce, en revanche, force est de constater que la requérante est active sur le marché des services financiers visés par les dispositions pertinentes des actes attaqués, et non sur un quelconque marché en amont ou en aval de ces services, comme le fait valoir le Conseil. En effet, c’est en raison des dispositions pertinentes des actes attaqués que la requérante s’est vue dans l’impossibilité d’effectuer certaines transactions financières prohibées avec des organismes établis dans l’Union, alors qu’elle aurait été en droit d’effectuer de telles transactions en l’absence de ces actes.

52      Il y a lieu de conclure, dès lors, que la requérante est directement concernée par les dispositions pertinentes des actes attaqués, en tant qu’elles la visent.

53      Deuxièmement, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les dispositions pertinentes des actes attaqués comportent ou non des mesures d’exécution, il convient de relever que la condition relative à l’affectation individuelle, prévue par le deuxième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est également remplie en l’espèce.

54      En effet, il convient de rappeler à cet égard que toute inscription sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives ouvre à cette personne ou à cette entité, en ce qu’elle s’apparente à son égard à une décision individuelle, l’accès au juge de l’Union, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, auquel renvoie l’article 275, second alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 50 ; du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 44 et jurisprudence citée, et du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 103 et jurisprudence citée).

55      Or, en l’espèce, la requérante, dès lors que son nom est mentionné dans les listes de l’annexe I de la décision attaquée et de l’annexe III du règlement attaqué, parmi les entités auxquelles les mesures restrictives prévues aux dispositions pertinentes des actes attaqués s’appliquent, doit être considérée comme étant individuellement concernée par ces mesures.

56      Toute autre solution violerait les dispositions de l’article 263 et de l’article 275, second alinéa, TFUE et serait dès lors contraire au système de protection juridictionnelle institué par le traité FUE, ainsi qu’au droit à un recours effectif consacré par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2014, National Iranian Oil Company/Conseil, T‑578/12, non publié, EU:T:2014:678, point 36).

57      Partant, il y a lieu de conclure que la requérante est recevable à demander l’annulation des mesures restrictives instaurées par les dispositions pertinentes des actes attaqués en tant qu’elles la concernent.

 Sur le fond

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

58      La requérante soutient que le Conseil a violé l’obligation de motivation, dans la mesure où il n’a pas indiqué les raisons spécifiques et concrètes sur lesquelles il s’était fondé pour lui appliquer les mesures prévues dans les dispositions pertinentes des actes attaqués.

59      Dans ce contexte, la requérante souligne, d’une part, que les annexes correspondant aux dispositions pertinentes des actes attaqués se limitent à mentionner son nom, sans toutefois fournir de motivation.

60      D’autre part, le texte même des dispositions pertinentes des actes attaqués ne pourrait pas constituer une motivation suffisante.

61      En effet, premièrement, les dispositions pertinentes des actes attaqués fourniraient la description d’une situation de fait, sans indiquer qu’il s’agit là d’une motivation. Deuxièmement, la rédaction de ces dispositions comporterait des différences telles qu’elles ne rempliraient nullement les conditions de précision requises pour que la requérante comprenne les griefs qui lui sont reprochés. Troisièmement, les descriptions qui figurent dans les dispositions pertinentes des actes attaqués concerneraient des activités et des situations absolument normales et habituelles pour une banque publique ou pour une banque dans le capital de laquelle l’État détient une participation et ne pourraient dont pas justifier l’imposition de mesures restrictives. Quatrièmement, il s’agirait d’une rédaction générale et stéréotypée.

62      Enfin, la requérante fait valoir qu’aucune motivation pertinente à son égard ne peut être identifiée dans les considérants de la décision attaquée et du règlement attaqué (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), car il n’existerait aucun lien entre le fait de préserver l’intégrité territoriale de l’Ukraine et celui de limiter radicalement l’accès aux financements provenant des États membres à l’égard d’une banque, telle que la requérante, qui n’aurait rien à voir avec les événements déstabilisant l’Ukraine.

63      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments de la requérante.

64      Aux termes de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, « [l]es actes juridiques sont motivés […] ».

65      Par ailleurs, en vertu de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte, à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités, le droit à une bonne administration comprend notamment « l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions ».

66      Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE et l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte doit être adaptée à la nature de l’acte attaqué et au contexte dans lequel celui-ci a été adopté. Elle doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 94 et jurisprudence citée).

67      Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Ainsi, d’une part, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. D’autre part, le degré de précision de la motivation d’un acte doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles celui-ci doit intervenir (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 95 et jurisprudence citée).

68      S’agissant, plus particulièrement, de l’étendue de l’obligation de motivation pesant sur le Conseil en l’espèce, il convient de rappeler que la requérante ne demande que l’annulation des dispositions pertinentes des actes attaqués, en ce que celles-ci la concernent, et l’élimination de son nom des annexes correspondantes de ces actes. À cet égard, il y a lieu de relever que l’objet des mesures restrictives résultant de ces dispositions est défini par référence à des entités spécifiques, étant donné qu’elles interdisent, notamment, l’exécution de diverses opérations financières à l’égard d’entités inscrites à l’annexe I de la décision attaquée et à l’annexe III du règlement attaqué, parmi lesquelles figure la requérante. Il s’agit donc de mesures restrictives individuelles (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, points 100 et 119).

69      La jurisprudence a précisé que la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive individuelle ne devait pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considérait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé devait faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 38 et jurisprudence citée).

70      Partant, il y a lieu d’écarter l’argumentation du Conseil, selon laquelle les critères jurisprudentiels relatifs à l’obligation de motivation d’actes imposant des mesures restrictives individuelles ne seraient pas applicables en l’espèce.

71      Il convient néanmoins, conformément à la jurisprudence énoncée au point 67 ci-dessus, de tenir compte du contexte dans lequel les mesures restrictives ont été adoptées ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée.

72      En l’espèce, premièrement, il convient de rappeler que les mesures restrictives découlant des dispositions pertinentes des actes attaqués s’inscrivent dans le contexte, connu de la requérante, de tension internationale ayant précédé l’adoption des actes attaqués, rappelé aux points 2 à 12 ci-dessus. Il ressort des considérants 1 à 8 de la décision attaquée et du considérant 2 du règlement attaqué que l’objectif déclaré des actes attaqués est d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et de promouvoir un règlement pacifique de la crise. Ces actes indiquent ainsi la situation d’ensemble qui a conduit à leur adoption et les objectifs généraux qu’ils se proposent d’atteindre (arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 123).

73      Deuxièmement, s’agissant plus particulièrement des dispositions pertinentes des actes attaqués, il convient de rappeler que celles-ci interdisent, pour les opérateurs de l’Union, l’achat, la vente ou la fourniture, directe ou indirecte, de services d’investissement ou l’aide à l’émission ou toute autre opération portant sur des obligations, actions ou instruments financiers similaires dont l’échéance est supérieure à 90 jours s’ils ont été émis après le 1er août 2014 et jusqu’au 12 septembre 2014, ou dont l’échéance est supérieure à 30 jours, s’ils ont été émis après le 12 septembre 2014, par des personnes morales remplissant les conditions établies à ces dispositions, parmi lesquelles figure celle d’être détenues ou contrôlées à plus de 50 % par l’État russe, et dont le nom figure à l’annexe I de la décision attaquée et à l’annexe III du règlement attaqué (voir points 17 et 19 ci-dessus). Ces annexes, quant à elles, ne contiennent aucune motivation spécifique concernant chacune des entités listées.

74      Il y a lieu de considérer, cependant, que les « raisons spécifiques et concrètes » pour lesquelles le Conseil a estimé, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que la requérante devait faire l’objet de telles mesures, au sens de la jurisprudence mentionnée au point 69 ci-dessus, correspondent en l’espèce aux critères qui sont fixés dans les dispositions pertinentes des actes attaqués.

75      En effet, la requérante a été visée au seul motif qu’elle remplissait les conditions spécifiques et concrètes prévues aux dispositions pertinentes des actes attaqués.

76      À cet égard, il y a lieu de relever que le fait d’avoir recours aux mêmes considérations pour adopter des mesures restrictives visant plusieurs personnes n’exclut pas que lesdites considérations donnent lieu à une motivation suffisamment spécifique pour chacune des personnes concernées (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 115).

77      En outre, il ressort des éléments du dossier que, en réponse à la lettre de la requérante du 15 septembre 2014, le Conseil a précisé, par lettre du 16 octobre 2014, que c’était bien en sa qualité d’établissement principal ayant un mandat explicite pour promouvoir la compétitivité de l’économie russe et sa diversification et favoriser les investissements, établi en Russie et détenu ou contrôlé à plus de 50 % par l’État à la date du 1er août 2014, que le nom de la requérante avait été inscrit sur les listes en annexe des actes attaqués. Le Conseil a également annexé à ladite lettre un extrait de la loi fédérale russe no 82-FZ, du 17 mai 2007, sur les banques de développement (ci-après la « loi no 82 »), dont l’article 3 précise que la requérante est une société publique établie par la Fédération de Russie pour promouvoir la compétitivité de l’économie russe.

78      Une telle motivation complémentaire ne saurait être considérée comme tardive, dans la mesure où elle ne vise qu’à compléter la motivation déjà fournie en s’appuyant sur des éléments qui étaient connus de la requérante au moment de l’adoption des actes attaqués (voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2015, Tomana e.a./Conseil et Commission, T‑190/12, EU:T:2015:222, point 152). Dans ces circonstances, tout en admettant que des motifs plus détaillés auraient été préférables, la motivation fournie a permis à la requérante de connaître, de manière suffisamment précise, la justification des mesures restrictives la visant et de la contester. De même, ladite motivation permet au Tribunal d’exercer le contrôle de légalité des actes attaqués (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2015, Ministry of Energy of Iran/Conseil, T‑564/12, EU:T:2015:599, points 45 et 46).

79      S’agissant de l’argument de la requérante portant sur les différences rédactionnelles entre les dispositions pertinentes des actes attaqués, il convient de rappeler que l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement attaqué vise, notamment, tout « établissement de crédit principal ou tout autre établissement principal ayant un mandat explicite pour promouvoir la compétitivité de l’économie russe et sa diversification et favoriser les investissements, établi en Russie et détenu ou contrôlé à plus de 50 % par l’État à la date du 1er août 2014, figurant à l’annexe III », alors que l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision attaquée vise, notamment, « les principaux établissements de crédit ou institutions financières de développement établis en Russie, détenus ou contrôlés à plus de 50 % par l’État à la date du 1er août 2014, dont la liste figure à l’annexe I ».

80      À cet égard, il y a lieu de relever que la seule question que les différences rédactionnelles en cause peuvent soulever est de savoir si, s’agissant de l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement attaqué, la condition ayant trait au fait d’avoir reçu « un mandat explicite pour promouvoir la compétitivité de l’économie russe et sa diversification et favoriser les investissements » concerne également tout « établissement de crédit principal » ou seulement « tout autre établissement principal », alors que, s’agissant de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision attaquée, il est évident que la référence au « développement » concerne seulement les « institutions financières » et ne concerne pas également  les « principaux établissements de crédit ».

81      À titre liminaire, force est d’admettre qu’une lecture des différentes versions linguistiques de l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement attaqué ne permet pas, en tant que telle, de conclure que cette disposition vise, d’une part, tout « établissement de crédit principal » et, d’autre part, « tout autre établissement principal ayant un mandat explicite pour promouvoir la compétitivité de l’économie russe et sa diversification et favoriser les investissements ». En effet, certaines versions linguistiques sont ambiguës et pourraient être interprétées en ce sens que, même pour un établissement de crédit principal, l’existence d’un « mandat explicite » est nécessaire.

82      Cependant, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, les dispositions du droit de l’Union doivent être interprétées et appliquées de manière uniforme à la lumière des versions établies dans toutes les langues de l’Union. En cas de disparité entre les diverses versions linguistiques d’un texte de l’Union, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (arrêt du 8 décembre 2005, Jyske Finans, C‑280/04, EU:C:2005:753, point 31 ; voir également, en ce sens, arrêt du 21 novembre 1974, Moulijn/Commission, 6/74, EU:C:1974:129, points 10 et 11).

83      En l’espèce, étant donné que l’article 5, paragraphe 1, du règlement attaqué a pour objectif, conformément à l’article 215 TFUE, l’adoption des mesures nécessaires pour donner effet à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée, les termes de cette première disposition doivent être interprétés, dans la mesure du possible, à la lumière de cette dernière (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 141).

84      Or, l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision attaquée fait référence aux « principaux établissements de crédit ou institutions financières de développement établis en Russie, détenus ou contrôlés à plus de 50 % par l’État à la date du 1er août 2014, dont la liste figure à l’annexe I ». Il existe bien une alternative, dès lors, entre les « principaux établissements de crédit » et les « institutions financières de développement », ces dernières étant définies de manière plus précise à l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement attaqué comme étant « tout autre établissement principal ayant un mandat explicite pour promouvoir la compétitivité de l’économie russe et sa diversification et favoriser les investissements ».

85      Il s’ensuit que les différences rédactionnelles entres les dispositions pertinentes des actes attaqués invoquées par la requérante n’affectent pas le caractère suffisant de la motivation des mesures restrictives en cause.

86      En tout état de cause, la requérante n’explique pas en quoi les différences rédactionnelles qu’elle invoque l’auraient empêchée de comprendre les raisons de l’inscription de son nom dans les actes attaqués, étant donné qu’elle ne pouvait pas ignorer que, conformément à l’article 3 de la loi no 82 (voir point 77  ci-dessus), elle avait reçu un mandat au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement attaqué.

87      Au vu de ces considérations, il y a lieu de conclure que le Conseil a suffisamment motivé les mesures restrictives prévues par les dispositions pertinentes des actes attaqués, de sorte que le premier moyen doit être rejeté comme non fondé, étant précisé que la question, évoquée par la requérante, de savoir si de telles mesures sont conformes aux objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et si elles sont appropriées et nécessaires pour atteindre ces objectifs relève de l’examen au fond de celles-ci, dans le cadre de l’appréciation du deuxième moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation des faits sur lesquels sont fondées les dispositions pertinentes des actes attaqués

88      En premier lieu, la requérante fait valoir qu’elle est complètement indépendante du gouvernement de la Fédération de Russie en ce qui concerne la gestion quotidienne de ses activités bancaires et qu’elle fonctionne comme tout établissement financier qui opère normalement sur le marché national et international. Cela serait attesté par la loi no 82, qui, tout en qualifiant la requérante de banque chargée de promouvoir la compétitivité de l’économie russe, précise que celle-ci doit le faire par des opérations qui caractérisent l’activité de tout établissement de crédit (article 3), prévoit qu’elle est soumise aux lois ordinaires russes (article 4), qu’elle dispose d’un patrimoine propre et indépendant (article 5) et que les autorités de la Fédération de Russie n’ont pas le pouvoir d’intervenir dans ses activités (article 6, paragraphe 1). Cette indépendance serait confirmée par le fait que les comptes annuels de la requérante sont vérifiés par un cabinet d’audit international.

89      En outre, la requérante n’émettrait ni bons, ni obligations ni autres instruments financiers de l’État russe, qui, en vertu des lois de ce pays, pourraient uniquement être émis par l’État lui-même. La requérante ne serait nullement responsable des obligations de la Fédération de Russie et cette dernière ne devrait jamais répondre des obligations de la requérante. Les titres et instruments financiers émis par la requérante le seraient toujours à son propre nom et jamais à celui de l’État.

90      En deuxième lieu, la requérante souligne qu’elle réalise une activité très significative et primordiale dans la Fédération de Russie en ce qui concerne le financement et la gestion de différents projets qui bénéficient à l’ensemble de la société russe, notamment en matière d’éducation, de culture, de santé, d’environnement et de mise en œuvre de projets caritatifs dans ces domaines. Ainsi, les mesures restrictives résultant des dispositions pertinentes des actes attaqués ne porteraient pas préjudice au gouvernement russe, mais à la société russe dans son ensemble.

91      En troisième lieu, la requérante n’aurait aucun type de relation, aucun lien, ni en matière de financement ni en matière de coopération, avec les sujets et les entités qui participent aux événements qui se sont produits ou qui se déroulent encore en Ukraine. Par ailleurs, il conviendrait de tenir compte du fait que la requérante réalise des activités importantes en Ukraine par l’intermédiaire de sa filiale PSC Prominvestbank, Joint-Stock Commercial Industrial & Investment Bank, lesquelles auraient des effets bénéfiques sur l’économie ukrainienne.

92      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments de la requérante.

93      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Ainsi, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 77 et jurisprudence citée).

94      Il s’ensuit qu’il appartient au juge de l’Union, dans le cadre de son contrôle juridictionnel des mesures restrictives, de reconnaître au Conseil une large marge d’appréciation pour la définition des critères généraux délimitant le cercle des personnes susceptibles de faire l’objet de telles mesures (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 120, et du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41).

95      Cependant, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou à tout le moins l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour étayer cette même décision, sont étayés de façon suffisamment précise et concrète (voir arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 36 et jurisprudence citée).

96      En l’espèce, les mesures restrictives en cause cherchent à accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et à promouvoir un règlement pacifique de la crise (voir point 72 ci-dessus). Ainsi, elles visent à exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. Or, il s’agit là d’objectifs qui relèvent de ceux poursuivis dans le cadre de la PESC et visés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, tels que la consolidation et le soutien de la démocratie, de l’État de droit, des droits de l’homme et des principes de droit international ainsi que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale et de la protection des populations civiles (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, points 113 à 115, et du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 176).

97      Au vu notamment de l’insuffisance des mesures précédemment adoptées (voir points 2 à 12 ci-dessus), il n’était pas manifestement inapproprié de la part du Conseil d’adopter des mesures visant à exercer une pression supplémentaire sur la Fédération de Russie, en limitant l’accès au marché des capitaux de l’Union des principaux établissements de crédit et des autres établissements principaux ayant un mandat explicite pour promouvoir la compétitivité de l’économie russe, établis en Russie et détenus ou contrôlés à plus de 50 % par l’État russe, et ce indépendamment de toute implication des établissements concernés dans les actions de l’État russe déstabilisant la situation en Ukraine.

98      Or, la requérante ne conteste pas le fait d’être détenue à plus de 50 % par l’État russe ni, par ailleurs, d’avoir reçu un mandat explicite pour promouvoir la compétitivité de l’économie russe ainsi que cela résulte de l’article 3 de la loi no 82. Ses arguments ont trait à d’autres questions, qui sont dépourvues de pertinence pour évaluer si elle remplit les conditions fixées aux dispositions pertinentes des actes attaqués. Ainsi, bien que le contrôle du juge de l’Union sur l’application du critère en cause à la situation de la requérante soit entier, ses arguments sont néanmoins inopérants.

99      Partant, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen ainsi que les arguments de fond que la requérante invoque dans le cadre du premier moyen (voir points 62 et 87 ci-dessus).

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective

100    Dans le cadre du moyen tiré de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective, la requérante, d’une part, invoque des arguments ayant trait à la prétendue absence de motivation affectant les mesures restrictives en cause et, d’autre part, fait valoir une violation de ses droits de la défense.

101    À ce dernier égard, la requérante se plaint du retard avec lequel le Conseil lui a permis d’avoir accès au dossier qui contient les éléments constituant le fondement de l’adoption des mesures restrictives la concernant. Bien que la demande d’accès de la requérante fût du 15 septembre 2014, le Conseil ne lui aurait donné une suite favorable que le 16 octobre suivant, en lui envoyant par voie postale des documents, peu nombreux et peu volumineux, qu’elle n’aurait reçus que le 21 octobre 2014, soit à une date très rapprochée de celle de l’expiration du délai de recours.

102    Selon la requérante, ce retard s’ajoute au fait qu’elle n’a pas été entendue préalablement à l’adoption des mesures restrictives la concernant.

103    En outre, lors de l’audience, la requérante a soulevé un argument concernant la durée prétendument excessive de la procédure devant le Tribunal, en le rattachant au présent moyen.

104    Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments de la requérante.

105    À titre liminaire, il y a lieu d’observer que, dans le cadre du premier moyen, il a été conclu que la motivation des mesures restrictives prévues par les dispositions pertinentes des actes attaqués était suffisante en ce qui concernait la requérante. Dès lors, les arguments qu’elle avance à présent pour faire valoir à nouveau un prétendu défaut de motivation doivent être rejetés pour les mêmes raisons que celles déjà exposées lors de l’examen dudit moyen.

106    S’agissant des autres arguments de la requérante, il convient de rappeler que le respect des droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective sont des droits fondamentaux, qui font partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, au regard desquels les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2016, Good Luck Shipping/Conseil, T‑423/13 et T‑64/14, EU:T:2016:308, points 47 et 48 et jurisprudence citée).

107    Le respect des droits de la défense, qui est expressément consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, comporte le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 60, et du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 139 et jurisprudence citée).

108    Le droit à une protection juridictionnelle effective, qui est affirmé à l’article 47 de la Charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite sur sa demande, sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision en cause (voir arrêt du 24 mai 2016, Good Luck Shipping/Conseil, T‑423/13 et T‑64/14, EU:T:2016:308, point 50 et jurisprudence citée).

109    Lors de cette communication, l’autorité compétente de l’Union doit permettre à cette personne de faire connaître utilement son point de vue à l’égard des motifs retenus à son égard (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 112).

110    C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner les arguments de la requérante.

111    À titre liminaire, il convient de rejeter l’argument du Conseil, avancé lors de l’audience, selon lequel la jurisprudence en matière de mesures restrictives individuelles ne serait pas applicable en l’espèce, dès lors qu’il s’agirait de mesures de portée générale et non de mesures restrictives ciblées. En effet, la compétence du Tribunal en ce qui concerne la décision attaquée découle précisément du fait que le présent recours porte sur le contrôle de la légalité de mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, au sens de l’article 275, second alinéa, TFUE, comme l’a jugé la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236).

112    S’agissant du fait que la requérante n’a pas été entendue avant l’adoption des mesures restrictives la concernant, il convient de rappeler que la jurisprudence a reconnu que, dans le cas d’une décision initiale de gel de fonds, le Conseil n’était pas tenu de communiquer au préalable à la personne ou à l’entité concernée les motifs sur lesquels cette institution entendait fonder l’inclusion du nom de cette personne ou de cette entité dans la liste pertinente. En effet, une telle mesure, afin de ne pas compromettre son efficacité, doit, par sa nature même, pouvoir bénéficier d’un effet de surprise et s’appliquer immédiatement. Dans un tel cas, il suffit, en principe, que l’institution procède à la communication des motifs à la personne ou à l’entité concernée et ouvre le droit à l’audition de celle-ci concomitamment avec ou immédiatement après l’adoption de la décision (arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 61).

113    Interrogé à ce sujet lors de l’audience, le Conseil a fait valoir, à titre principal, qu’il n’avait aucune obligation d’entendre la requérante préalablement à l’adoption des mesures restrictives en cause ni de lui communiquer les éléments retenus à son égard dès ce stade. À titre subsidiaire, le Conseil a soutenu que la jurisprudence relative à l’effet de surprise pouvait être transposée aux circonstances de l’espèce, même si les mesures restrictives en cause ne comportaient pas le gel des fonds des personnes concernées, sans pour autant fournir des explications plus précises justifiant cette transposition.

114    Aucune des thèses du Conseil ne saurait être accueillie.

115    En effet, il convient de rappeler que le droit fondamental au respect des droits de la défense au cours d’une procédure précédant l’adoption d’une mesure restrictive découle directement de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte (voir point 107 ci-dessus).

116    Dès lors, dans la mesure où les restrictions imposées à la requérante en vertu des dispositions pertinentes des actes attaqués à la requérante constituent des mesures restrictives de portée individuelle à son égard (voir point 68 ci-dessus), et en l’absence de nécessité démontrée d’octroyer un effet de surprise à ces mesures afin de garantir leur efficacité, le Conseil aurait dû communiquer les motifs concernant l’application de ces mesures à l’égard de la requérante préalablement à l’adoption des actes attaqués.

117    Il convient de rappeler toutefois que, en l’espèce, les motifs retenus par le Conseil pour imposer des mesures restrictives à l’égard de la requérante, qui figurent, en substance, dans les dispositions pertinentes des actes attaqués elles-mêmes, consistent dans le fait qu’elle est un établissement principal ayant un mandat explicite pour promouvoir la compétitivité de l’économie russe et sa diversification et favoriser les investissements, établi en Russie et détenu ou contrôlé à plus de 50 % par l’État à la date du 1er août 2014.

118    Or, la requérante reste en défaut d’expliquer dans quelle mesure l’absence d’audition préalable ou un défaut de communication préalable, par le Conseil, de certains éléments du dossier concernant ces motifs aurait affecté ses droits de la défense de façon à entraîner l’annulation des actes attaqués.

119    En effet, il y a lieu de rappeler que, pour qu’une violation des droits de la défense entraîne l’annulation d’un acte, il faut que, en l’absence de cette irrégularité, la procédure ait pu aboutir à un résultat différent (voir, en ce sens, arrêts du 18 septembre 2014, Georgias e.a./Conseil et Commission, T‑168/12, EU:T:2014:781, point 106 et jurisprudence citée, et du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 153).

120    En l’espèce, la requérante reste en défaut d’expliquer quels sont les arguments ou les éléments qu’elle aurait pu faire valoir si elle avait été entendue préalablement et n’a pas non plus démontré que ces arguments ou ces éléments auraient pu conduire à un résultat différent dans son cas. En effet, la requérante ne saurait valablement prétendre qu’elle ignorait, au moment de l’adoption des actes attaqués, qu’elle était un établissement principal établi en Russie, détenu ou contrôlé à plus de 50 % par l’État et ayant un mandat explicite pour promouvoir la compétitivité de l’économie russe et sa diversification et favoriser les investissements. De plus, bien que la requérante ait contesté, dans le cadre de son deuxième moyen, qu’elle satisfaisait aux critères fixés dans les dispositions pertinentes des actes attaqués, elle n’a pas expliqué en quoi l’absence de communication préalable de ces critères aurait pu affecter ses droits de la défense en l’espèce. Ainsi le présent grief ne peut entraîner l’annulation des actes attaqués.

121    Par ailleurs, à supposer que la décision 2014/659 et le règlement no 960/2014 doivent être considérés comme étant des actes par lesquels le Conseil a maintenu à l’égard de la requérante les mesures restrictives déjà adoptées, force est de constater que ce maintien est fondé sur les mêmes motifs que ceux ayant justifié l’adoption initiale de ces mesures. Or, selon la jurisprudence, dans le cadre de l’adoption d’une décision maintenant le nom d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives, le Conseil doit respecter le droit de cette personne ou de cette entité d’être préalablement entendue lorsqu’il retient à son égard, dans la décision portant maintien de l’inscription de son nom sur la liste, de nouveaux éléments, à savoir des éléments qui ne figuraient pas dans la décision initiale d’inscription de son nom sur cette liste (voir arrêt du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 26 et jurisprudence citée).

122    En ce qui concerne le droit de la requérante d’avoir accès au dossier du Conseil, il convient de rappeler que, lorsque des informations suffisamment précises, permettant à la personne intéressée de faire connaître utilement son point de vue sur les éléments retenus à sa charge par le Conseil, ont été communiquées, le principe du respect des droits de la défense n’implique pas l’obligation pour cette institution de donner spontanément accès aux documents contenus dans son dossier. Ce n’est que sur demande de la partie intéressée que le Conseil est tenu de donner accès à tous les documents administratifs non confidentiels concernant la mesure en cause (voir arrêt du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 97 et jurisprudence citée).

123    En l’espèce, à la suite de la demande de la requérante du 15 septembre 2014, le Conseil lui a donné accès au dossier par une lettre du 16 octobre 2014, qu’elle a reçue le 21 octobre suivant.

124    À cet égard, il y a lieu de considérer qu’un délai de cinq semaines n’est pas déraisonnable pour le traitement d’une telle demande. Par ailleurs, s’il est vrai que la requérante n’a eu accès au dossier que quelques jours avant l’expiration du délai de recours, il doit être relevé qu’elle n’a pas introduit sa demande d’accès immédiatement après la publication au Journal officiel des actes comportant les mesures restrictives la concernant, qui a eu lieu le 31 juillet 2014, mais a attendu un mois et demi, et ce bien que, ainsi que cela résulte de certaines annexes à la requête, déjà à partir du 6 août 2014, des banques établies dans l’Union aient refusé d’effectuer avec elle des transactions interdites par les mesures restrictives en cause. Dès lors, par son comportement, la requérante a contribué à la réduction du laps de temps dont elle a disposé entre le moment où elle a eu accès au dossier et la date d’expiration du délai de recours (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 150).

125    En tout état de cause, en application de la jurisprudence rappelée au point 119 ci-dessus, il y a lieu de constater que la requérante reste en défaut d’expliquer quels étaient les arguments et les éléments qu’elle aurait pu faire valoir si elle avait reçu les documents en cause plus tôt.

126    Enfin, en ce qui concerne l’argument invoqué par la requérante lors de l’audience, portant sur la durée prétendument déraisonnable de la procédure juridictionnelle, premièrement, force est de constater que la durée de la procédure devant le Tribunal ne saurait avoir une incidence sur la légalité des actes attaqués, qui ont été adoptés par le Conseil. Deuxièmement, il résulte de la jurisprudence que l’instrument auquel un justiciable peut avoir recours lorsqu’il estime que le Tribunal n’a pas respecté un délai de jugement raisonnable est une demande en indemnité (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2013, Groupe Gascogne/Commission, C‑58/12 P, EU:C:2013:770, points 81 à 83). Il s’ensuit que le présent argument ne peut qu’être écarté dans le cadre du présent recours en annulation.

127    Au vu de toutes les considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le troisième moyen dans son ensemble.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir

128    La requérante soutient que, par l’adoption des mesures restrictives la concernant, le Conseil a commis un détournement de pouvoir. En effet, il existerait en l’espèce un ensemble d’indices objectifs, précis et concordants qui permettraient de soutenir que le Conseil visait des fins autres que celles avancées pour justifier ces mesures.

129    En premier lieu, la prétendue absence totale de motivation serait déjà un indice clair du détournement de pouvoir. En second lieu, l’application des mesures restrictives à l’encontre de la requérante ne permettrait pas d’atteindre le but de faire obstacle aux actions que la Fédération de Russie met en œuvre pour déstabiliser la situation en Ukraine, mais l’empêcherait d’exercer son activité bancaire normale et porterait ainsi indirectement atteinte à l’économie russe.

130    Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments de la requérante.

131    À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, qu’il a été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles pour lesquelles le pouvoir en cause a été conféré ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par les traités pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 135 et jurisprudence citée).

132    En l’espèce, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel l’existence d’un détournement de pouvoir résulterait de l’absence de motivation des mesures restrictives la concernant, il suffit de renvoyer aux considérations exposées dans le cadre du premier moyen, qui ont permis de conclure que la motivation fournie par le Conseil répondait aux conditions requises par la jurisprudence.

133    Au regard des autres arguments de la requérante, il découle des points 96 et 97 ci-dessus que les mesures restrictives en cause constituent une manière légitime d’exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. Ainsi, ces mesures ont vocation à atteindre un objectif qui relève de ceux poursuivis dans le cadre de la PESC et visés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE.

134    Il s’ensuit que la requérante n’a pas fourni d’indices objectifs, pertinents et concordants pour démontrer que les mesures restrictives en cause en l’espèce auraient été adoptées dans un but autre que celui qui ressort de la motivation des actes attaqués (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 136).

135    Dès lors, il y a lieu de rejeter le présent moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du droit de propriété ainsi que de la liberté d’entreprise

136    La requérante fait valoir que les mesures restrictives en cause, puisqu’elles l’empêchent d’accéder au financement sur le marché des capitaux de l’Union, comportent une violation importante de son droit de propriété et de sa liberté d’entreprise, qui sont protégés par la Charte. Elle se réfère également à l’atteinte à son droit à la réputation.

137    Selon la requérante, les limitations de ses droits fondamentaux résultant des mesures restrictives en cause ne sont pas justifiées et ne respectent pas le principe de proportionnalité, car celles-ci ne seraient pas motivées et seraient dépourvues de fondement.

138    En outre, ces mesures seraient contraires à l’accord général sur le commerce des services de 1994 (JO 1994, L 336, p. 191, ci-après l’« AGCS »), constituant l’annexe 1 B de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) (JO 1994, L 336, p. 3). Bien qu’invoqué dans la réplique, cet argument ne serait pas irrecevable, dès lors qu’il s’agirait d’un simple développement des arguments avancés dans la requête. Par ailleurs, le juge de l’Union pourrait contrôler la légalité des mesures restrictives en cause à l’aune de l’AGCS, car il s’agirait d’une situation dans laquelle l’Union a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC.

139    Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments de la requérante.

140    Premièrement, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 16 de la Charte, « [l]a liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales ».

141    Deuxièmement, l’article 17, paragraphe 1, de la Charte prévoit ce qui suit :

« Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. »

142    Il est certes vrai que des mesures restrictives comme celles en cause en l’espèce limitent incontestablement les droits dont la requérante bénéficie en vertu des articles 16 et 17 de la Charte (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 22 septembre 2016, NIOC e.a./Conseil, C‑595/15 P, non publié, EU:C:2016:721, point 50 et jurisprudence citée).

143    Toutefois, les droits fondamentaux invoqués par la requérante ne constituent pas des prérogatives absolues et peuvent, en conséquence, faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 121, et du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 195 et jurisprudence citée).

144    À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la […] Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».

145    Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice des droits fondamentaux en cause doit répondre à une triple condition. Premièrement, la limitation doit être prévue par la loi. En d’autres termes, la mesure dont il s’agit doit avoir une base légale. Deuxièmement, la limitation doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Troisièmement, la limitation ne doit pas être excessive. D’une part, elle doit être nécessaire et proportionnelle au but recherché. D’autre part, le « contenu essentiel », c’est-à-dire la substance, du droit ou de la liberté en cause ne doit pas être atteint (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, points 170 à 173 et jurisprudence citée).

146    Or, force est de constater que ces trois conditions sont remplies en l’espèce.

147    En premier lieu, les mesures restrictives en cause sont « prévues par la loi », puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union ainsi que d’une motivation suffisante (voir points 70 à 87 ci-dessus).

148    En deuxième lieu, ainsi que cela résulte notamment des points 96 et 97 ci-dessus, les mesures restrictives en cause poursuivent un but légitime.

149    En troisième lieu, s’agissant du principe de proportionnalité, il doit être rappelé que celui-ci, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 178 et jurisprudence citée).

150    La jurisprudence précise à cet égard que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels celui-ci est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, au regard de l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 146 et jurisprudence citée).

151    Contrairement à ce que soutient la requérante, il existe un rapport raisonnable entre les mesures restrictives en cause et l’objectif poursuivi par le Conseil en adoptant celles-ci. En effet, dans la mesure où cet objectif est, notamment, d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, l’approche consistant à cibler des banques publiques russes répond, de manière cohérente, audit objectif et ne saurait, en tout état de cause, être considéré comme étant manifestement inapproprié au regard de l’objectif poursuivi (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 147).

152    En outre, il est certes vrai que les mesures restrictives comportent, par définition, des effets qui affectent les droits de propriété et le libre exercice des activités professionnelles, causant ainsi des préjudices à des parties qui n’ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des sanctions. Tel est a fortiori l’effet des mesures restrictives ciblées pour les entités visées par celles-ci (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 149 et jurisprudence citée).

153    Toutefois, il y a lieu de relever que, au vu des considérations exposées aux points 96 et 97 ci-dessus, les objectifs poursuivis par le Conseil sont de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs économiques, découlant des mesures restrictives en cause. Dans ces conditions, et eu égard, notamment, à l’évolution progressive de l’intensité des mesures restrictives adoptées par le Conseil en réaction à la crise en Ukraine, l’ingérence dans la liberté d’entreprise et le droit de propriété de la requérante ne saurait être considérée comme disproportionnée (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 150).

154    S’agissant du droit à la réputation, invoqué par la requérante, il convient de relever, d’une part, qu’une atteinte à la réputation d’une personne visée par des mesures restrictives résultant des motifs justifiant ces mesures ne saurait, par elle-même, constituer une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre de cette personne. Ainsi, faute de précision sur le lien entre les atteintes à sa réputation alléguées par la requérante et les atteintes aux droits fondamentaux susvisées qui font l’objet du présent moyen, cet argument est inopérant. D’autre part et en tout état de cause, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, tout comme le droit de propriété et la liberté d’entreprise, le droit à la protection de sa réputation ne constitue pas une prérogative absolue et son exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union. Ainsi, l’importance des objectifs poursuivis par les mesures restrictives en cause est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour la réputation des personnes ou des entités concernées (voir arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, points 167 et 168 et jurisprudence citée).

155    Au regard de l’argument de la requérante concernant l’AGCS, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur sa recevabilité, contestée par le Conseil et par la Commission, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante, compte tenu de leur nature et de leur économie, les accords de l’OMC ne figurent pas, en principe, parmi les normes au regard desquelles la Cour contrôle la légalité des actes des institutions de l’Union. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’Union a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC ou dans l’occurrence où l’acte de l’Union renvoie expressément à des dispositions précises des accords de l’OMC qu’il appartient à la Cour de contrôler la légalité de cet acte au regard des règles de l’OMC (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2007, Ikea Wholesale, C‑351/04, EU:C:2007:547, points 29 et 30 et jurisprudence citée).

156    Or, la requérante se limite à indiquer que « l’Union a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC, à savoir les obligations qui découlent de l’[AGCS] », mais n’est pas en mesure d’indiquer par quels actes et à quelle occasion l’Union aurait procédé de la sorte.

157    En tout état de cause, il convient de relever que l’AGCS, et notamment son article XIV bis, comporte des exceptions claires concernant la sécurité. Dès lors, au vu du large pouvoir d’appréciation dont il dispose dans ce domaine, le Conseil a pu estimer que l’adoption des mesures restrictives en cause était nécessaire à la protection des intérêts essentiels de la sécurité de l’Union, au sens de cette disposition (voir, par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 116).

158    Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le cinquième moyen.

 Sur le sixième moyen, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement

159    La requérante soutient, en substance, que les mesures restrictives en cause violent le principe d’égalité de traitement au motif, premièrement, qu’elles ne sont pas justifiées par des preuves démontrant qu’elle a commis les faits qui lui sont reprochés, deuxièmement, qu’elle est traitée de la même manière que les entreprises qui ont réellement apporté un soutien actif aux prétendues actions mises en œuvre par la Fédération de Russie afin de déstabiliser la situation en Ukraine et, troisièmement, que le libellé même des dispositions pertinentes des actes attaqués, qui renvoie uniquement aux établissements de crédit figurant aux annexes, revêt un caractère discriminatoire, étant donné qu’il pourrait exister des entités bancaires remplissant les conditions énoncées auxdites dispositions sans pour autant être mentionnées dans les annexes correspondantes.

160    Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments de la requérante.

161    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le principe d’égalité de traitement, qui constitue un principe fondamental du droit de l’Union, interdit que des situations comparables soient traitées de manière différente ou que des situations différentes soient traitées de manière égale, à moins que de tels traitements ne soient objectivement justifiés (arrêts du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 56, et du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 145).

162    En ce qui concerne le premier argument de la requérante, il suffit d’observer que, ainsi que cela a été relevé au point 98 ci-dessus, celle-ci remplit les conditions prévues aux dispositions pertinentes des actes attaqués pour qu’une entité soit visée par les mesures restrictives en cause. Dès lors, cet argument doit être rejeté.

163    Au regard du deuxième argument de la requérante, il y a lieu de relever que les dispositions pertinentes des actes attaqués ne prévoient pas la condition que les personnes ou les entités visées par les mesures restrictives en cause aient apporté un soutien actif aux prétendues actions mises en œuvre par la Fédération de Russie afin de déstabiliser la situation en Ukraine. En effet, un tel critère, s’il a été retenu par le Conseil lors de l’adoption des mesures restrictives prévues par les actes mentionnés au point 8 ci-dessus, n’est pas pertinent aux fins de l’application des dispositions pertinentes des actes attaqués en l’espèce. Cette conclusion n’est pas affectée par le fait que ces dispositions ont pour objectif, tout comme lesdits actes, d’exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant la situation en Ukraine. En effet, un tel but peut être poursuivi par le recours à des mesures restrictives différentes, qui s’adressent à des personnes et à des entités répondant à des conditions différentes.

164    Enfin, s’agissant du troisième argument de la requérante, d’une part, il y a lieu de noter que celui-ci a un caractère hypothétique, puisque la requérante ne précise pas quels seraient ses concurrents qui, tout en remplissant les conditions prévues aux dispositions pertinentes des actes attaqués, n’auraient pas vu leurs noms inscrits sur les listes figurant aux annexes correspondantes. D’autre part, et surtout, même à supposer que le Conseil ait effectivement omis d’adopter des mesures restrictives à l’égard de certains établissements se trouvant dans la même situation que la requérante, cette circonstance ne saurait être valablement invoquée par cette dernière, à l’égard de laquelle il ne fait pas de doute qu’elle remplit lesdites conditions. En effet, le principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le principe de légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 59 et jurisprudence citée).

165    Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter également le sixième moyen et, dès lors, le recours dans son intégralité, sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité du deuxième chef de conclusions.

 Sur les dépens

166    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de décider qu’elle supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil dans le cadre de la présente instance et lors de la procédure en référé, conformément aux conclusions de ce dernier.

167    En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs propres dépens. Il s’ensuit que la Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Bank for Development and Foreign Economic Affairs (Vnesheconombank) supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne dans le cadre de la présente instance et lors de la procédure en référé.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Berardis

Spielmann

Csehi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 septembre 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.